Quand on considère d’un œil attentif la nature des travaux auxquels
se livre de nos jours l’esprit humain, on s’étonne de voir avec quel
zèle le goût des études historiques se réveille
de toutes parts. Chacun s’efforce de recueillir les souvenirs des âges
qui nous ont précédés. Et cependant au milieu des vives
préoccupations d’un [p.II] présent
semé de tant d’événemens divers; en face d’un avenir
incertain dont chacun cherche à deviner le mystère, on croirait
qu’il ne doit plus rester de place pour le passé, dans les labeurs
de l’intelligence. Mais lorsque celle de l’homme embrasse à la fois,
dans sa sphère immense, ces trois portions successives du temps, il
sent que l’avenir échappe à ses prévisions; le présent
lui apparaît troublé par trop de partis opposés, de passions
contraires, auxquelles souvent lui-même il ne peut espérer de
demeurer étranger. Alors il se réfugie dans le passé:
il étudie avec calme et loisir dans nos vieilles annales les faits
et gestes de nos aïeux; il recueille et fixe d’anciens souvenirs prêts
à disparaître; il ajoute quelquefois aux naïfs récits
des vieux âges ses propres réflexions, ses propres lumières;
et il trouve un double charme dans cette étude, s’il pense
qu’elle puisse être utile à ses contemporains. [p.III]
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Un genre particulier de travaux historiques occupe en ce moment une partie
de nos écrivains. Ce n’est point l’histoire générale
d’un peuple, d’une province, ou celle d’une époque, qu’ils ont entrepris
de raconter. Ils veulent rappeler séparément les souvenirs
qui se rattachent à chaque cité, décrire sa formation,
son accroissement successif, et remettre en mémoire les principaux
événemens survenus dans son sein. Il est facile de concevoir
l’importante utilité d’un pareil travail. L’écrivain qui parcourt
la suite des annales relatives à un royaume, à une vaste contrée,
ne peut s’arrêter long-temps sur chacun des lieux dont il fait mention.
Semblable au voyageur qui se contente de jeter en passant quelques regards
furtifs sur mille objets intéressans semés le long de sa route,
il ne peut, sans s’écarter du plan qu’il s’est tracé, que nommer
par intervalles tant de villes, tant de bourgs qu’il rencontre dans le cours
de son récit. Ainsi [p.IV] souvent
échappent à sa vue, ou demeurent cachées dans l’ombre,
une foule de scènes diverses, dignes aussi de figurer dans ses tableaux.
Retrace-t-il au contraire l’histoire d’une seule ville: se concentrant alors
dans une étroite enceinte, il la parcourt dans tous les sens, n’omet
aucun des événemens qui la concernent, et présente
sa biographie complète, depuis l’ère de sa naissance jusqu’à
son âge actuel.
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Mais au milieu de ses veilles et de ses louables efforts, une pensée
pénible agite parfois l’esprit de l’historien. Quand, solitaire et
pensif, il poursuit ainsi à travers les voies poudreuses de nos vieilles
annales, son pèlerinage vers les siècles passés, et
que s’arrêtant sur divers points du sol de notre France, il essaye
d’en redire les anciens faits, souvent il s’afflige d’en voir la chaîne
interrompue et brisée, soit par les ravages [p.V]
du temps, soit par la main des hommes eux-mêmes. Ce n’est plus alors
cet heureux moissonneur qui s’en vient joyeux dans un champ fertile, et
recueille en abondance des gerbes précieuses entassées sous
ses pas: c’est au contraire un timide glaneur qui cueille quelques épis,
échappés par hasard à la faux destructive, et ne peut
en rassembler qu’un modique faisceau, faible récompense de longues
fatigues et de pénibles efforts.
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Le
sol où s’élève aujourd’hui la ville d’Étampes,
n’est point ce champ tout-à-fait stérile où la faux
du temps et de l’oubli n’a laissé que d’informes débris,
dispersés et confus. Cette ville, qui figure avec honneur dans l’histoire
générale de la France, méritait elle-même d’avoir
son histoire particulière. Il est peu de villes d’une médiocre
étendue, qui aient vu autant d’événemens [p.VI] importans se passer au milieu d’elles. Plusieurs
pages brillantes de nos fastes nationaux se rattachent par divers liens
à sa destinée spéciale. Robert-le-Pieux, Louis-le-Gros,
Philippe-Auguste, saint Louis, n’ont-ils pas honoré de leur séjour
la gracieuse vallée d’Étampes? Visitée par plusieurs
pontifes de Rome, elle a vu les Suger, les saint Bernard, ces gloires de
la Gaule religieuse, apparaître dans son sein, et y recevoir les hommages
éclatans dûs à leurs vertus. La gloire militaire ne
fut pas non plus étrangère aux habitans de ces bords: plusieurs
sièges soutenus avec vigueur par la ville et le château, attestent
la bravoure qu’ils surent déployer dans mainte occasion. Enfin, si
l’on recherche des souvenirs de chevalerie, de courtoisie ou de beauté,
ils s’y rencontreront en foule: les noms de Louis XII, de François
Ier, Henri IV, seront plus d’une fois mêlés dans nos récits;
tandis que ceux d’Anne de Bretagne, Claude de France, [p.VII] Anne de Pisseleu, Diane de Poitiers, Gabrielle
d’Estrées, tour à tour comtesses ou duchesses d’Étampes,
pourront aussi revêtir de quelque éclat l’histoire de la ville
dont nos princes leur avaient fait hommage, comme un noble gage de leur amour?
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Tels sont les récits divers que j’ai entrepris d’écrire, en
puisant aux sources originales, et recueillant les documens épars dans
nos Mémoires, nos Chartes, ou nos vieilles Chroniques. Nos recherches
nous permettront de présenter avec détail quelques uns des
événemens dont Étampes a été le théâtre.
A l’égard de quelques autres, nous devons l’avouer, l’histoire n’a
laissé qu’un petit nombre de matériaux bien insuffisans pour
en donner une idée juste et complète. Lorsque nous serons réduits
à les indiquer seulement en passant, qu’on veuille bien se rappeler
[p.VIII] ce que nous disions tout
à l’heure, et songer alors que souvent l’historien d’une ville est
réduit à rassembler ça et là quelques débris
échappés à la faux du temps. Mais avant de faire connaître
le plan et la forme de cet ouvrage, je dois dire ici quelques mots d’un écrivain
qui m’a précédé dans la carrière, et payer un
juste tribut à celui qui dans plus d’une occasion sera mon guide
et mon appui.
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Vers
l’an 1683, un volume fut publié sous ce titre: les Antiquités
de la ville et du duché d’Estampes (1).
L’auteur, D. Basile Fleureau, religieux barnabite de la congrégation
de Saint-Paul, entreprit ce livre, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même,
par le motif d’une louable émulation: «car voyant, dit-il, les
histoires que l’on [p.IX] a composées
depuis peu des villes qui ne sont pas si considérables que celle d’Estampes,
ma patrie, j’ay cru que je luy devois mon étude, et mon travail,
pour la rendre plus célebre, en mettant au jour ses antiquités
(1).» Les habitans d’Étampes doivent
une éternelle reconnaissance à ce savant religieux, qui le
premier débrouillant le dédale de mille faits confus, consacra
ses soins et ses veilles à retracer l’histoire des monumens de sa
ville natale. Son ouvrage, fruit de longs et consciencieux efforts, renferme
une foule de détails curieux sur nos vieilles coutumes, et sur les
faits et gestes de nos rois dans leurs rapports avec cette contrée.
Mais ce livre, demeuré entre les mains d’un petit nombre de lecteurs,
est aujourd’hui inconnu d’une partie des habitans d’Étampes, qui
ne songent guère à venir y apprendre les actions de leurs
[p.X] aïeux. Une pareille
lecture d’ailleurs serait souvent pour eux pénible et rebutante.
Le texte vieilli n’offre qu’un style traînant et confus, hérissé
sans cesse de chartes latines ou françaises, qui, interrompant la
narration, ralentissent la marche de l’historien. En outre, l’auteur donnant
trop de place à une foule de détails peu importans, nous semble
négliger ou effleurer trop rapidement certaines parties historiques
de son sujet. Quelques uns de ces défauts peuvent être attribués
au temps où vécut
cet écrivain. Les autres dérivent du plan même de
l’ouvrage, d’après lequel l’auteur doit s’occuper moins des événemens
dont sa patrie fut le théâtre, que de ses monumens et surtout
de ses antiquités religieuses. |
(1)
L’ouvrage de D. Fleureau qui fut imprimé l’an 1683, avait été
composé en l’année 1668. (Voy. p. 600)
(1) Préface.
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J’ai
tâché dans ces Essais historiques, de remédier aux défautx
que je viens de signaler. J’ai [p.XI] voulu
par de simples récits rendre populaire et accessible à tous,
la connaissance des faits relatifs à l’histoire d’une ville qui tient
un rang distingué dans nos annales. M’environnant donc du résultat
des travaux de mes devanciers, et y ajoutant le fruit de mes recherches
particulières, continuées jusqu’à nos jours, je me
suis efforcé de les réunir dans un corps d’ouvrage dont le
style et la forme n’eussent rien d’austère, rien de rebutant. Rejetées
à la fin du récit, ou dans des notes en dehors du texte, les
pièces justificatives, ou certains détails de moindre importance,
ne viendront point interrompre inutilement le fil de la narration. Je me
suis efforcé de demeurer toujours dans mon sujet: ou si parfois, m’écartant
par quelque digression, j’ai semblé perdre de vue l’enceinte dont
nous suivions les traces; ce n’est qu’afin d’éclaircir quelques faits
purement locaux, ou pour leur donner plus de variété et d’intérêt,
en montrant leur liaison [p.XII] avec des événemens
plus importans encore de l’histoire générale de la France.
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L’histoire
d’Étampes se divise naturellement en deux parties. La première,
qui doit comprendre le laps de temps durant lequel son territoire fit partie
du domaine de la couronne, nous conduira jusqu’au XIIIe siècle. La
seconde, commençant après le règne du roi saint Louis,
se continue jusqu’à nos jours. Ainsi dans un premier volume, nous
aurons à rechercher l’origine d’Étampes, à parler de
ses accroissemens successifs, et à décrire ses divers monumens.
Dans un second volume, nous poursuivrons l’histoire d’Étampes jusqu
à l’époque actuelle. Ses seigneurs, ses comtes et ses ducs,
passeront tour à tour sous nos yeux; et le récit détaillé
de chacun de ses sièges et de ses combats fixera particulièrement
notre attention. [p.XIII]
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Mais
avant d’entrer en matière, qu’il me soit permis de remercier toutes
les personnes qui ont bien voulu m’aider de leurs secours et de leurs conseils,
ou me fournir des matériaux précieux pour les joindre à
mon travail. Je ne puis résister ici au désir de nommer M.
Grandmaison, digne propriétaire des ruines du château d’Étampes,
qui m’a donné le premier l’idée de cet ouvrage, et n’a rien
épargné pour en assurer le succès. MM. de Barville,
Vénard, Hénin de Longuetoise, de Bonnevaux, Sédillon,
Lenoir fils, et Chauvet, gardien des Archives de la ville, ont aussi des
droits particuliers à ma reconnaissance. Enfin, je dois des remercîmens
à tous ceux qui se sont empressés d’encourager de leur souscription
l’œuvre modeste de celui qui venait au milieu d’eux leur offrir le fruit
de ses veilles et de ses efforts. Puisse-t-il n’avoir pas trompé entièrement
leur attente! Puissent aussi les habitans d’Étampes accueillir favorablement
[p.XIV] ces Essais
historiques, faible tribut d’hommage et de gratitude d’un jeune étranger,
dont la famille, transplantée des rives natales sur les bords rians
de la Juine, n’a cessé d’y recevoir la plus gracieuse hospitalité!
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