CORPUS HISTORIQUE ETAMPOIS
 
 Maxime de Montrond
Étampes de 1327 à 1411
Essais historiques sur la ville d’Étampes, chapitre XIII
1836
 
Armoiries de Pierre II d'Alençon et de Louis II d'Evreux Premier sceau de Jean de Berry (vers 1397)
armes de Louis II d'Anjou et de Jean de Berry  
Pierre II d’Alençon et Louis II d’Évreux
Premier sceau de Jean de Berry (vers 1397)
Louis II d’Anjou et Jean de Berry 

   Maxime de Montrond traite ici de l’histoire d’Étampes sous ses seigneurs apanagistes, de lavènement de Charles d’Évreux jusqu’au siège de la ville et à la prise en 1411 par les troupes royales et bourguigonnes du donjon d’Étampes, alors occupé par les Armagnacs.

      La saisie des textes anciens est une tâche fastidieuse et méritoire. Merci de ne pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.
     
Essais historiques sur la ville d’Étampes
Étampes, Fortin, 1837, tome 2
Chapitre XIII, pp. 1-16.
Étampes de 1327 à 1411
 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT


CHAPITRE TREIZIÈME
ÉTAMPES DE 1327 à 1411



     Suite des comtes d’Étampes.  Charles d’Évreux, Louis II, etc.  Étampes sous la domination de la maison de Bourgogne.  Ligue des Armagnacs.  Siège d’Étampes par les Bourguignons.

     Nous avons essayé dans la première partie de cet ouvrage, de répandre d’abord quelque jour sur l’origine et la fondation de la ville d’Étampes. Parcourant ensuite les divers siècles de notre monarchie, nous y avons cherché les traces de l’accroissement de cette cité, l’époque de la construction de ses principaux monumens; et nous avons relaté enfin tous les faits historiques dignes d’intérêt, dont son enceinte a été le théâtre. Une nouvelle carrière s’ouvre à nos regards. Étampes agrandie, fortifiée, et passée du domaine de la couronne entre les mains de
[p.2] princes issus du sang royal, va nous apparaître sous des faces diverses. Sous le gouvernement de ses nouveaux seigneurs, d’autres destinées se préparent pour elle. Si durant plusieurs siècles on l’a vu calme, paisible, jouissant sans trouble des trésors de sa fraîche vallée, auxquels venaient se joindre par intervalles les immunités de quelques uns de nos rois, d’autres tableaux frapperont nos yeux, quand nous étudierons la suite de son histoire. Le récit de sièges sanglants, de funestes combats, se présentera plus d’une fois sous notre plume. Étampes devra à son heureuse position le triste privilège d’être fréquemment le point d’attaque et l’objet de l’ambition de partis rivaux; et ses habitants auront ainsi souvent à gémir sous le poids des discordes civiles qui désolèrent la France dans les siècles que nous allons maintenant traverser.












     Charles d’Évreux, petit-fils du roi Philippe-le-Hardi, avait succédé à son père, le prince Louis, dans la possession de la seigneurie d’Étampes (1319). On a déjà vu ailleurs que cette seigneurie fut vers cette époque érigée en comté par des lettres patentes de Philippe-le-Bel (1) (1319). Le nom de Charles d’Évreux doit donc figurer le premier sur la liste de ces princes qui, sous le titre de comtes, exercèrent tour à tour leur juridiction sur la ville d’Étampes et sur son territoire.
     (1) Tome I, chap. XII, page 180 [ici].
     L’histoire ne nous a légué que de bien faibles souvenirs [p.3] de la domination de ces nouveaux seigneurs dans ces contrées. Possesseurs en même temps de la châtellenie de Dourdan, ils avaient établi dans cette ville leur résidence habituelle, et se plaisaient à la doter de leurs faveurs (1). Étampes, en quelque sorte, veuve et délaissée, n’avait que de loin en loin une part dans leurs bienfaits. Si donc nous trouvons à de rares intervalles le nom de ces princes issus du sang royal, mêlé à celui de la ville dont ils étaient suzerains, ce n’est guère que dans quelques titres ou chartes de donations dont ils enrichirent l’église Notre-Dame ou l’abbaye de Morigny.


     (1) Lescornay, Mémoires de la ville de Dourdan [bib].

     Charles d’Évreux avait épousé Marie d’Espagne, fille du roi Ferdinand. Il périt dans une bataille livrée entre le duc de Bourgogne et Jean de Châlons, et laissa son héritage entre les mains de ses deux fils, Louis et Jean. Le second de ces princes fut au nombre des seigneurs français envoyés en Angleterre comme otages pour le roi Jean, après le traité de Brétigny. Quelques années après il se rendit à Rome, où il termina ses jours. Quant au prince Louis, il succéda à son père dans les domaines d’Étampes, Dourdan, et autres châtellenies (1336).

     Louis d’Évreux, deuxième du nom, comte d’Étampes et de Gien, seigneur de Lunel, en Languedoc, fut un prince vaillant et généreux, dont le nom brille avec honneur dans les annales générales de la France. On le trouve dans les rangs de ces preux chevaliers, toujours [p.4] braves et fidèles, qui, sous les yeux de Philippe de Valois, leur souverain, s’efforcèrent de résister aux anglais, dont les armées ennemies, s’avançant comme un torrent rapide, menaçaient d’envahir tout le royaume. Le comte Louis en convoquant l’arrière-ban de ses guerriers, n’avait point oublié sans doute d’appeler près de lui ses hommes d’armes de la vallée d’Étampes; et maint habitant de cette contrée marchant à la suite de son suzerain, se vit ainsi associé aux succès et aux revers qui signalèrent tour à tour le règne du premier des Valois. Sous le règne suivant, le comte Louis figure au nombre des seigneurs que le roi Jean arma chevaliers à Reims, afin de rendre plus magnifique la cérémonie de son sacre. Puis quand arriva le jour funeste de la bataille de Poitiers (19 septembre 1356), l’histoire nous le montre encore présent à ce combat. Fait prisonnier avec le roi Jean, il eut part aux honneurs que le prince de Galles, généreux vainqueur, se plut à rendre à son noble captif, et on le vit prendre place le soir de ce même jour à la table de ce prince avec le monarque vaincu.
Armoiries de Pierre II d'Alençon et de Louis II d'Evreux
Armes de Pierre II d’Alençon et de Louis II d’Évreux
(Armorial de Gueldre)
     Ainsi, c’est toujours sur le théâtre de la guerre, ou à la suite de son roi, que nous retrouvons le noble prince auquel appartenait alors la châtellenie d’Étampes. Les archives de l’église Notre-Dame, de cette ville, rappellent aussi le nom du comte Louis II, qu’elle range à bon droit parmi ses bienfaiteurs. Prenant en pitié l’état précaire de cette collégiale, que les guerres précédentes aux environs de la capitale avaient fait déchoir de son ancienne splendeur, il l’avait en effet dotée de biens et de revenus considérables: et, grâce à ses largesse, le [p.5] pieux édifice du roi Robert avait recouvré son premier éclat (1).
     (1) Voyez aux archives de Notre-Dame et à celles de l’Hôtel-de-Ville d’Étampes, plusieurs chartes du comte Louis II, relatives à ces donations.
     Louis II d’Évreux, se voyant sans postérité, fit donation entre-vifs du comté d’Étampes et des seigneuries de Gien, Dourdan, et d’Aubigny-sur-Nierre, à Louis, duc d’Anjou, second fils du roi Jean, se réservant sa vie durant la jouissance de ces domaines, et le douaire de sa femme (9 novembre 1381). Cette donation avait pour motif la proximité du sang, et les liens d’une étroite amitié qui unissait les deux princes depuis leur enfance. Mais le duc d’Anjou ne jouit pas longtemps de la libéralité de son généreux ami. Il mourut lui-même avant son donateur (21 septembre 1384) et ses enfants transportèrent à leur oncle Jean, duc de Berri, le comté d’Étampes et les autres seigneuries de Louis d’Évreux. Ce prince reçut de leurs mains ces divers domaines, pour remplacer la principauté de Tarente, que le duc d’Anjou lui avait accordée, afin de le mettre dans ses intérêts. Par des lettres patentes d’août 1384, le roi Charles VI ratifia ce transport.

     Louis, comte d’Étampes, mourut fort avancé en âge. Un jour, disent les historiens, étant à dîner à l’hôtel de Nesle, chez le duc de Berri, il laissa tomber sa tête sur l’un de ses bras, qu’il avait ployé sur la table. Le duc s’en aperçut et dit en riant: le beau cousin s’endort, il faut le réveiller. Mais on reconnut bientôt que ce [p.6] sommeil était celui de la mort (6 mai 1400). Le corps de ce prince fut inhumé à Saint-Denis, où celui de Jeanne, sa femme, morte à Sens quelques années auparavant, fut amené pour être réuni avec lui dans un même tombeau.

     Jean de France, duc de Berri et d’Auvergne, l’un des fils du roi Jean, fut le troisième comte d’Étampes (1384), en vertu de la cession faite par le duc d’Anjou.

armes de Louis II d'Anjou et de Jean de Berry
Armes de Louis II d’Anjou et de Jean de Berry
(Armorial de Gueldre)
     Dès l’année 1387, se voyant sans postérité masculine, ce prince fit don de son comté à son frère Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne, s’en réservant néanmoins la jouissance pendant sa vie. Mais Philippe étant mort en 1404, avant le duc de Berri, la propriété du comté d’Étampes passa à son fils aîné, Jean de Bourgogne, dit Jean-sans-Peur, qui ne devait également en prendre possession qu’après le duc de Berri. On verra bientôt comment il s’en saisit, les armes à la main, avant le terme fixé pour la donation.

     Mais avant de décrire le siège d’Étampes, entrepris par un prince de la maison de Bourgogne, jetons un coup d’œil rapide sur cette nouvelle puissance, qui grandissait fièrement, rivale de celle des monarques, et dont l’ambition fit de la France, à cette époque, un triste champ de discordes civiles, de meurtres et de guerres sanglantes.

     Jean-le-Bon, roi de France, devenu possesseur de l’ancien duché de Bourgogne, en avait fait don à Philippe, duc de Touraine, son quatrième fils, que sa [p.7] bravoure chevaleresque à la bataille de Poitiers avait fait surnommer le Hardi. Avec lui commença le second duché de Bourgogne, soumis dès lors à des princes de la maison de Valois. Philippe-le-Hardi, Jean-sans-Peur, Philippe-le-Bon, furent les premiers souverains de cette dynastie qui a joué un rôle si important dans nos annales. «Les conquêtes et les alliances des ducs de Bourgogne de cette seconde race, rendirent leur maison l’une des plus puissantes de l’Europe, en sorte qu’il y avait peu de souverains qui les égalassent en pouvoir, et tous leur étaient inférieurs en magnificence (1)».
     (1) Don Plancher, Histoire de Bourgogne [bib].
     Or, parmi les vastes et nombreux domaines de ces puissans suzerains, vient se ranger humblement le comté d’Étampes. Ils en avaient reçu la propriété, comme on l’a vu plus haut, des mains de Jean, duc de Berri (1387). Mais un événement inattendu vint changer brusquement le cours de ces dispositions, et rendit le duc autant ennemi de la maison de Bourgogne, qu’il s’était montré d’abord envers elle plein de bienveillance et de générosité.


     C’était durant l’année 1407, au temps des grandes discordes entre Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne, et le duc d’Orléans, qui se disputaient le pouvoir et le gouvernement de la France, pendant la fatale démence du roi Charles VI. Ces querelles devenaient chaque jour plus menaçantes: vainement le duc de Berri, la reine, le duc de Bourbon, le roi de Sicile, s’entremettaient-ils [p.8] sans cesse pour réconcilier les deux princes. C’étaient toujours de nouvelles promesses d’amitiés suivies de nouveaux différends. Enfin on les crut revenus à de meilleurs sentimens [sic]: une réconciliation solennelle avait eut lieu à Paris, et personne ne semblait douter de la sincérité de leur sermens [sic].

     Mais ce n’étaient de la part de Jean-sans-Peur que des paroles feintes, sous lesquelles se cachait un coupable dessein. Trois jours après, la nouvelle d’un crime affreux vint épouvanter Paris. On apprend tout-à-coup que l’infortuné duc d’Orléans a été assassiné dans une rue de la capitale (1), par des meurtriers aux ordres du duc de Bourgogne (1407). Or, tandis que sa veuve suppliante poursuivait à la cour et auprès des princes ses oncles, la vengeance de la mort de son époux, Jean-sans-Peur, loin de renier son crime ou d’implorer son pardon, marchait fièrement tête levée, et semblait demander pour son forfait des récompenses au lieu d’un châtiment. Le duc de Berri, justement irrité d’un tel excès d’audace, n’avait point tardé à se déclarer son ennemi. Après avoir révoqué la donation du comté d’Étampes qu’il avait faite en sa faveur, il se montra l’allié du jeune duc d’Orléans. Cet orphelin, à peine âgé de quinze ans, ne pouvant obtenir contre le meurtrier de son père la justice qu’il désirait, avait pris les armes contre lui. Cependant, les princes s’effrayèrent de l’ascendant et du crédit merveilleux qu’obtenait de plus en plus chaque jour le duc de Bourgogne; ils l’avaient vu revenir à Paris vainqueur des Liégeois à la [p.9] bataille de Hasbain, et le surnom de Jean-sans-Peur, que sa bravoure lui mérita dans cette journée, avait accru son audace et sa puissance. Ils avisèrent donc aux moyens de renverser le pouvoir de ce rival ambitieux. Une alliance fut conclue entre eux à Méhun-sur-Sèvres, en Berri: on s’y donna un prochain rendez-vous à Gien. Là s’assemblèrent avec les princes d’Orléans, les comtes de Clermont et d’Alençon, le connétable d’Albret, les ducs de Berri et de Bourbon, le comte d’Armagnac et le duc de Bretagne. Un traité fut signé entre eux. Bernard, comte d’Armagnac, guerrier plein de courage, d’action et d’habileté, qui venait d’unir sa fille au jeune duc d’Orléans, fut regardé comme le principal chef de ce parti (1410).

     (1) La rue Barbette.

Jean Sans Peur
Jean Sans Peur

     Telle fut l’origine de cette fameuse ligue des Armagnacs, dont les querelles avec celle des Bourguignons, remplirent plusieurs provinces de la France d’effroi, de sang et de larmes.

     Cependant le duc de Bourgogne à la nouvelle de l’alliance formée contre lui, avait rassemblé à la hâte les hommes d’armes de son duché. Fort de l’appui du roi dont il avait su gagner la faveur, il s’efforça par de vaines paroles et d’inutiles négociations, de dissiper la ligue de ses ennemis. Ne pouvant réussir par cette voie, il se disposa à lui opposer une forte résistance.

     Cette digression pourra paraître étrangère à l’histoire de la ville d’Étampes; elle s’y rattache néanmoins par plusieurs liens. Lorsque deux armées ennemies vont se rencontrer sous ses murs, il importe de connaître de quels élémens [sic] elles furent formées, et de pouvoir apprécier dignement les causes de leur querelle. [p.10]


     Pour faire faire au jeune dauphin, duc de Guienne, et depuis Charles VII, ses premières armes, le duc de Bourgogne, alors puissant à la cour, résolut de le mener avec les Parisiens et les Anglais accourus sous ses drapeaux, assiéger Étampes (1411) (1). Cette ville appartenait alors au duc de Berri, de la ligue des Armagnacs. Ce prince avait permis au jeune duc d’Orléans d’y mettre en garnison des troupes de son parti. De là elles se portaient dans les pays environnans, qu’elles désolaient par leur indiscipline et leur licence effrénée. Les plaintes des habitants des bourgs et des campagnes que ruinaient leurs exactions, devenant chaque jour plus vives, les gens de guerre du parti bourguignon entreprirent de détruire le foyer de tant de ravages. Le 23 novembre, on vit le dauphin, accompagné du duc de Bourgogne, des comtes de Nevers, de la Marche, de Penthièvre et de Vaudemont, du maréchal de Boucicaut, et d’un grand nombre d’autres seigneurs et preux chevaliers qu’environnaient leurs hommes d’armes, sortir de Paris et s’acheminer vers Étampes (1411). Cette armée imposante s’étant un peu détournée de sa route, arriva à Corbeil, où elle séjourna quelques jours attendant son artillerie. Puis, munie de toute sorte de machines de guerre, elle reprit sa marche. Sur son passage, elle s’empara du castel de la Bretonnière, voisin de la ville de Châtre (Arpajon), et quelques jours après elle apparut nombreuse et formidable, sous les remparts de la ville d’Étampes.
[p.11]

     Un guerrier éprouvé dans maint combat commandait alors cette place: c’était un chevalier d’Auvergne, le sire de Bosredon (1), servieur du duc de Berri, et fort estimé de ce prince.
     (1) Monstrelet; Juvenal des Ursins, l’anonyme de S. Denis












     (1) Quelques monumens historiques le nomment Bourdon, ou Boisbourdon.
     A la première sommation, les habitans sur-le-champ et sans coup férir ouvrirent les portes, et vinrent offrir les clefs au dauphin, en protestant de leur fidélité: ils le supplièrent en même temps d’empêcher le pillage de la ville, et de garantir leurs personnes d’insultes et d’outrages. «Mais, rapporte un vieil historien, on ne peut retenir l’humeur brigante de quelques soldats, qui, nonobstant l’honorable réception de ce prince, firent beaucoup de désordres et se gorgèrent de butin» (2).
     (2) Le Laboureur, Histoire de Charles VI, t. II [bib].
     Quant au commandant Louis de Bosredon, on le vit montrer moins de crainte et déployer plus de fermeté. Abandonné par la plus grande partie des habitans, il se retira avec ses gens de guerre dans le château bâti sur le roc, et que son heureuse position, jointe à l’épaisseur de ses murailles, semblait rendre inexpugnable. Là, il se fortifia de son mieux, et se mit en devoir de résister vivement aux attaques des ennemis. Sommé plusieurs fois de se rendre, il refusa constamment. Le preux chevalier avait juré au duc de Berri de défendre vaillamment cette forteresse contre toute attaque d’assaillans; et la présence du dauphin, que ses regards plongeant du haut des remparts pouvaient découvrir au pied des murs, ne [p.12] lui semblait point un motif d’oublier le serment qu’il avait prêté à son maître. Il fit donc plusieurs sorties, à la suite desquelles il rentrait dans l’enceinte du castel, emmenant toujours avec lui quelques prisonniers. Le sire de Roucy, chevalier picard, fut au nombre de ceux qui, tombèrent entre ses mains (1).
     (1) Bourdon souvent saillait et faisait de grands dommages à ceux du siège, et prit le seigneur de Roucy et plusieurs autres. (Jean Juvénal des Ursins, Hist. De Charles VI [bib]).
     Cependant l’armée bourguignonne voyant ses premiers efforts inutiles, se disposa à une attaque plus violente. Les soldats, un instant découragés, reprirent avec une vigueur nouvelle le siège du château. Des blocs de pierre énormes étaient sans cesse lancés contre la forteresse. On parvint ainsi à forcer les entrées, d’où les Bourguignons mirent le feu aux maisons voisines des murailles.
     «Finalement, dit la chronique, l’une des tours estant à un coin du château, fut tellement minée, qu’elle cheut. Quand ceux de dedans virent que bonnement ne se pouvoient plus tenir, ils se rendirent au roi, sauves leurs vies, et eurent très bonne composition» (2).
     (2) Juvénal des Ursins, Hist. de Charles VI [bib].
     Le sire de Bosredon, abandonnant la partie du castel qu’il ne pouvait plus défendre, se retira alors dans une tour si haute et si solide, qu’elle bravait tous les efforts des assaillans (3). Il encouragea ses hommes d’armes à [p.13] combattre plus vaillamment que jamais, et il les vit en effet durant plusieurs jours, fidèles à sa voix, provoquer leurs ennemis avec une audace et une bravoure sans égales. Les dames et damoiselles qui s’étaient retirées avec le brave commandant dans cette formidable tour, semblaient partager la confiance et la valeur des soldats. On rapporte que, loin de se cacher, elles se montraient sur le haut des remparts. Là, tendant leurs tabliers, comme pour recevoir les pierres que lançaient les machines, et qui ne pouvaient atteindre jusqu’à la hauteur de la muraille, elles jetaient des regards ironiques sur les assaillans, et raillaient ainsi en se jouant leurs inutiles efforts (1).
     (3) Il est à croire que c’est la tour de Guinette, qui subsiste encore aujourd’hui, et qui a seule bravé les efforts des hommes et du temps.






     (1) Le Laboureur, Histoire de Charles VI, tome II [bib].
     Le duc de Guyenne et l’armée des Bourguignons désespérèrent alors de se rendre maîtres du château. Dans cette extrémité, les princes et seigneurs tinrent un conseil, et il y fut proposé de faire sans plus tarder la levée du siège. Cet avis ne trouvant point de contradicteurs, on se disposait à renoncer à l’entreprise, quand tout-à-coup un notable bourgeois de Paris, nommé André Roussel, se leva et remontra par plusieurs raisons, dit un historien, qu’agir ainsi, «c’était faire injure, et ternir d’un reproche éternel la première milice et le premier exploit du fils de France» (2). Il offrit ensuite de forcer lui-même la place qu’on voulait abandonner, pourvu qu’on lui promît aide et secours, et une récompense pour les compagnons qui l’assisteraient dans [p.14] son noble dessein. Son offre étant acceptée, on vit aussitôt mettre la main à l’œuvre. Il fit charrier avec grande peine de grosses poutres de chêne, et les appuyant inclinées contre le mur, il construisit ainsi au pied de la tour une espèce de réduit qui résistait aux pierres lancées du haut des remparts. À l’abri de toute attaque sous ce toit protecteur, trente ouvriers armés de pics et de hoyaux travaillèrent librement à démolir la muraille. Son épaisseur était de dix pieds. Après cinq jours de continuels travaux, elle fut percée, et la brèche devint praticable.

     Cependant André Roussel ne cessait de crier au commandant qu’il eût à remettre le donjon au dauphin, s’il ne voulait être étoffé par la fumée. L’intrépide assaillant, après avoir fait creuser sous la muraille, qu’il soutenait avec des pans de bois, se disposait en effet à y mettre le feu, et la tour se serait écroulée. Le sire de Bosredon, voyant la mort inévitable pour lui et pour les siens, résolut enfin de se rendre. Le 15 décembre, la garnison mit donc bas les armes. Un guerrier, revêtu d’un habit magnifique de velours cramoisi, tout brillant d’or et de pierreries, descendit du donjon, et pénétrant dans la tente du dauphin, il vint embrasser ses genoux. C’était le brave commandant du château d’Étampes. Le jeune prince, touché de sa valeur, lui fit grâce de la vie. Mais il ordonna qu’il fut emmené prisonnier à Paris, avec Jean d’Amboise et quelques autres chevaliers, afin que leur arrivée donnât aux Parisiens une nouvelle certaine de sa victoire. Le dauphin envoya avec eux dans la capitale trente soldats de la garnison, que l’on fit promener dans [p. 15] dans les rues, les mains garrotées et liées derrière le dos. Quant aux autres, le vainqueur, dit l’historien, refusa de leur faire quartier (1).
Ainsi, au lieu de rehausser par la clémence l’éclat de son noble fait d’armes, il souilla par une vengeance inutile la gloire de son triomphe.
     (2) Ibid. [bib]

Siège du donjon d'Etampes en 1411 (reconstitution par Léon Marquis)


     (1) Le Laboureur, Hist. De Charles VI, tome II [bib].

     Après cette expédition l’armée du dauphin alla mettre le siège devant Dourdan, dont elle se rendit maître. Mais laissons-la poursuivre le cours de ses victoires, et en terminant ce récit, portons encore un instant nos regards sur le sire de Bosredon. Ce preux chevalier qui vient de défendre avec tant de bravoure le château d’Étampes, a dû inspirer un juste intérêt, et l’on doit désirer de connaître la suite de sa destinée. Pourquoi faut-il qu’une tragique histoire en soit le triste dénouement ? Louis de Bosredon fait prisonnier, fut envoyé en Flandre. Mais il parvint à obtenir bientôt sa liberté, et on le retrouve deux ans après, combattant de nouveau avec vaillance, à la porte Saint-Martin à Paris, qu’il était chargé de défendre contre le duc de Bourgogne (1413); son dévouement sans bornes au duc de Berri, son maître, était le mobile de sa valeur.

     Mais après la mort de ce prince, Louis de Bosredon, changeant de bannière, était devenu l’un des seigneurs les plus assidus à la cour de la reine Isabelle de Bavière. Cette princesse, dont l’histoire a justement flétri la mémoire criminelle, s’était entourée de divers personnages, avec lesquels elle tramait de perfides complots. Quelques uns l’accusaient même d’alliance avec les Anglais. Trahissant [p.16] ainsi ses devoirs de reine, Isabelle semblait encore avoir mis en oubli tous ceux d’épouse et de mère: elle menait au château de Vincennes une vie molle et voluptueuse au milieu d’une cour galante et dissolue. Or un jour, dit-on, Louis de Bosredon, devenu son grand maître d’hôtel et l’un de ses familiers, se rendant à Vincennes auprès d’elle, rencontra sur son chemin le roi Charles VI. Sans s’arrêter, sans mettre pied à terre, il se borna à saluer son souverain; celui-ci piqué de cette insolente conduite, et instruit d’ailleurs des intrigues amoureuses du félon chevalier, saisit cette occasion d’en tirer une cruelle vengeance. Il le fit aussitôt arrêter et charger de fers, par Tannegui du Châtel, prévôt de Paris. Bosredon appliqué à la torture avoua tout. Quelques jours après, l’infortuné fut jeté dans la Seine, cousu dans un sac de cuir, sur lequel on lisait cette inscription: Laissez passer la justice du roi (1417) (1).
     (1) Voyez Hist. de Charles VI [bib].
     Suite des comtes d’Étampes.  Charles d’Évreux, Louis II, etc.  Étampes sous la domination de la maison de Bourgogne.  Ligue des Armagnacs.  Siège d’Étampes par les Bourguignons.

 
 
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Source: édition de 1837 saisie par Bernard Métivier en mars 2012 (chapitre 13)
BIBLIOGRAPHIE

Éditions
 
     Clément-Melchior-Justin-Maxime FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND), «Chapitre douzième» & «Note XI. Le Chien Pêcheur», Essais historiques sur la ville d’Étampes (Seine-et-Oise), avec des notes et des pièces justificatives, par Maxime de Mont-Rond [2 tomes reliés en 1 vol. in-8°; planches; tome 2 «avec des notes... et une statistique historique des villes, bourgs et châteaux de l’arrondissement»], Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 1 (1836),  pp. 169-181 & 221-235.

     Réédition numérique illustrée en mode texte: François BESSE, Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «Maxime de Montrond: Essais historiques sur la ville d’Étampes (1836-1837)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-montrond.html, 2012.

     
Réédition numérique de ce chapitre: Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «Maxime de Montrond: Étampes de 1226 à 1319 (1836)» [édition numérique illustrée en mode texte], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-montrond1836chapitre12.html, 2012.

Sources alléguées par Montrond

     Jacques DELESCORNAY, Mémoires de la ville de Dourdan [in-8°; pièces liminaires; 243 p], Paris, B. Martin, 1624.

     Denys GODEFROY (1615-1681) [éd.], Jean JUVENAL DES OURSINS (1388-1473), Histoire de Charles VI, roi de France, et des choses mémorables advenues... depuis 1380 jusques à 1422. Par Jean Juvénal Des Ursins,... Augmentée en cette seconde édition de plusieurs mémoires, journaux, observations historiques et annotations contenans divers traictez, contracts, testamens et autres actes et pièces du mesme temps non encore imprimées [in-f°; 50+800+7 p.; tableaux], Paris, Sébastien Cramoisy, 1653.
     Joseph-François MICHAUD (1767-1839 ) & Jean-Joseph-François POULOULAT [éd.], JUVENAL DES OURSINS (1388-1473),
«Histoire de Charles VI, roy de France, et des choses mémorables advenues durant quarante-deux années de son règne, depuis 1380 jusqu’à 1422», in Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France 1/2 [24 cm; 699 p.], Paris, Éditions du commentaire analytique du Code civil, 1836 [Réimpression: Paris, Guyot frères, 1850], pp. 333-569.

     Dom Urbain PLANCHER (mauriste, 1667-1750) & dom Zacharie MERLE (mauriste), Histoire générale et particulière de Bourgogne, avec des notes, des dissertations et les preuves justificatives ; composée sur les auteurs, les titres originaux, les régistres publics, les cartulaires... et enrichie de vignettes, de cartes géographiques, de divers plans, de plusieurs figures... par un religieux Bénédictin de l’abbaïe de S. Bénigne de Dijon et de la congrégation de S.-Maur [in-f°; 4 volumes (le 4e volume a été rédigé par Merle, d’après les recherches d’Alexis Salazard); figures; planches; notes bibliographiques; index], Dijon, A. de Fay (puis L.N. Frantin), 1739-1781.
     Réédition en fac-similé (avec une introduction du médiéviste Jean RICHARD) [28 cm; 4 volumes; pagination multiple; dépliant; illustrations], Paris, Éditions du Palais Royal, 1974.

     Jean LE LABOUREUR (1621-1675) [éd.], Histoire de Charles VI, roi de France, écrite par les ordres et sur les mémoires et les avis de Guy de Monceaux, et de Philippes de Villette, abbés de Saint-Denis, par un auteur contemporain, religieux de leur abbaye, contenant tous les secrets de l’État et du schisme de l’Église, avec les intérêts et le caractère des princes de la chrétienté, des papes, des cardinaux et des principaux seigneurs de France, traduite sur le manuscrit latin tiré de la bibliothèque de M. le président de Thou, par messire J. Le Laboureur,... et par lui-même illustrée de plusieurs commentaires, tirés de tous les originaux de ce règne, avec un discours succinct des vies et moeurs, et de la généalogie et des armes de toutes les personnes illustres de ce temps, mentionnées en cette histoire et en celle de Jean Le Fèvre, seigneur de Saint-Remy (1380-1422), pareillement contemporain, qui y est ajoutée, et qui n’avait point encore été vue [in-f°], Paris, L. Billaine, 1663.


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