Essais historiques sur la ville
d’Étampes
Étampes, Fortin, 1837, tome 2
Chapitre XIII, pp. 1-16.
|
Étampes
de 1327 à 1411 |
CHAPITRE TREIZIÈME
ÉTAMPES
DE 1327 à 1411
Suite des comtes d’Étampes. —
Charles d’Évreux, Louis II, etc. — Étampes sous la domination de la maison de Bourgogne. —
Ligue des Armagnacs. —
Siège d’Étampes par les Bourguignons.
Nous avons essayé dans la première partie
de cet ouvrage, de répandre d’abord quelque jour sur l’origine et
la fondation de la ville d’Étampes. Parcourant ensuite les divers
siècles de notre monarchie, nous y avons cherché les traces
de l’accroissement de cette cité, l’époque de la construction
de ses principaux monumens; et nous avons relaté enfin tous les faits
historiques dignes d’intérêt, dont son enceinte a été
le théâtre. Une nouvelle carrière s’ouvre à nos
regards. Étampes agrandie, fortifiée, et passée du domaine
de la couronne entre les mains de [p.2] princes issus du sang royal, va nous apparaître sous des
faces diverses. Sous le gouvernement de ses nouveaux seigneurs, d’autres
destinées se préparent pour elle. Si durant plusieurs siècles
on l’a vu calme, paisible, jouissant sans trouble des trésors de sa
fraîche vallée, auxquels venaient se joindre par intervalles
les immunités de quelques uns de nos rois, d’autres tableaux frapperont
nos yeux, quand nous étudierons la suite de son histoire. Le récit
de sièges sanglants, de funestes combats, se présentera plus
d’une fois sous notre plume. Étampes devra à son heureuse position
le triste privilège d’être fréquemment le point d’attaque
et l’objet de l’ambition de partis rivaux; et ses habitants auront ainsi
souvent à gémir sous le poids des discordes civiles qui désolèrent
la France dans les siècles que nous allons maintenant traverser.
|
|
Charles d’Évreux, petit-fils du roi Philippe-le-Hardi,
avait succédé à son père, le prince Louis, dans
la possession de la seigneurie d’Étampes (1319). On a déjà
vu ailleurs que cette seigneurie fut vers cette époque érigée
en comté par des lettres patentes de Philippe-le-Bel (1) (1319). Le nom de Charles d’Évreux doit
donc figurer le premier sur la liste de ces princes qui, sous le titre de
comtes, exercèrent tour à tour leur juridiction sur la ville
d’Étampes et sur son territoire.
|
(1) Tome I, chap. XII, page 180 [ici].
|
L’histoire
ne nous a légué que de bien faibles souvenirs [p.3] de la domination de ces nouveaux seigneurs
dans ces contrées. Possesseurs en même temps de la châtellenie
de Dourdan, ils avaient établi dans cette ville leur résidence
habituelle, et se plaisaient à la doter de leurs faveurs (1). Étampes, en quelque sorte, veuve et délaissée,
n’avait que de loin en loin une part dans leurs bienfaits. Si donc nous trouvons
à de rares intervalles le nom de ces princes issus du sang royal,
mêlé à celui de la ville dont ils étaient suzerains,
ce n’est guère que dans quelques titres ou chartes de donations dont
ils enrichirent l’église Notre-Dame ou l’abbaye de Morigny.
|
(1) Lescornay, Mémoires
de la ville de Dourdan [bib].
|
Charles
d’Évreux avait épousé Marie d’Espagne, fille du roi
Ferdinand. Il périt dans une bataille livrée entre le duc de
Bourgogne et Jean de Châlons, et laissa son héritage entre les
mains de ses deux fils, Louis et Jean. Le second de ces princes fut au nombre
des seigneurs français envoyés en Angleterre comme otages pour
le roi Jean, après le traité de Brétigny. Quelques années
après il se rendit à Rome, où il termina ses jours.
Quant au prince Louis, il succéda à son père dans les
domaines d’Étampes, Dourdan, et autres châtellenies (1336).
Louis d’Évreux, deuxième du nom, comte
d’Étampes et de Gien, seigneur de Lunel, en Languedoc, fut un prince
vaillant et généreux, dont le nom brille avec honneur dans
les annales générales de la France. On le trouve dans les rangs
de ces preux chevaliers, toujours [p.4] braves
et fidèles, qui, sous les yeux de Philippe de Valois, leur souverain,
s’efforcèrent de résister aux anglais, dont les armées
ennemies, s’avançant comme un torrent rapide, menaçaient d’envahir
tout le royaume. Le comte Louis en convoquant l’arrière-ban de ses
guerriers, n’avait point oublié sans doute d’appeler près
de lui ses hommes d’armes de la vallée d’Étampes; et maint
habitant de cette contrée marchant à la suite de son suzerain,
se vit ainsi associé aux succès et aux revers qui signalèrent
tour à tour le règne du premier des Valois. Sous le règne
suivant, le comte Louis figure au nombre des seigneurs que le roi Jean arma
chevaliers à Reims, afin de rendre plus magnifique la cérémonie
de son sacre. Puis quand arriva le jour funeste de la bataille de Poitiers
(19 septembre 1356), l’histoire nous le montre encore présent à
ce combat. Fait prisonnier avec le roi Jean, il eut part aux honneurs que
le prince de Galles, généreux vainqueur, se plut à
rendre à son noble captif, et on le vit prendre place le soir de
ce même jour à la table de ce prince avec le monarque vaincu.
|
Armes de Pierre II d’Alençon et de Louis II d’Évreux
(Armorial de Gueldre)
|
Ainsi,
c’est toujours sur le théâtre de la guerre, ou à la suite
de son roi, que nous retrouvons le noble prince auquel appartenait alors la
châtellenie d’Étampes. Les archives de l’église Notre-Dame,
de cette ville, rappellent aussi le nom du comte Louis II, qu’elle range
à bon droit parmi ses bienfaiteurs. Prenant en pitié l’état
précaire de cette collégiale, que les guerres précédentes
aux environs de la capitale avaient fait déchoir de son ancienne
splendeur, il l’avait en effet dotée de biens et de revenus considérables:
et, grâce à ses largesse, le [p.5]
pieux édifice du roi Robert avait recouvré son premier éclat
(1).
|
(1) Voyez aux archives de Notre-Dame et à celles
de l’Hôtel-de-Ville d’Étampes, plusieurs chartes du comte Louis
II, relatives à ces donations.
|
Louis
II d’Évreux, se voyant sans postérité, fit donation
entre-vifs du comté d’Étampes et des seigneuries de Gien,
Dourdan, et d’Aubigny-sur-Nierre, à Louis, duc d’Anjou, second fils
du roi Jean, se réservant sa vie durant la jouissance de ces domaines,
et le douaire de sa femme (9 novembre 1381). Cette donation avait pour motif
la proximité du sang, et les liens d’une étroite amitié
qui unissait les deux princes depuis leur enfance. Mais le duc d’Anjou ne
jouit pas longtemps de la libéralité de son généreux
ami. Il mourut lui-même avant son donateur (21 septembre 1384) et ses
enfants transportèrent à leur oncle Jean, duc de Berri, le
comté d’Étampes et les autres seigneuries de Louis d’Évreux.
Ce prince reçut de leurs mains ces divers domaines, pour remplacer
la principauté de Tarente, que le duc d’Anjou lui avait accordée,
afin de le mettre dans ses intérêts. Par des lettres patentes
d’août 1384, le roi Charles VI ratifia ce transport.
Louis, comte d’Étampes,
mourut fort avancé en âge. Un jour, disent les historiens,
étant à dîner à l’hôtel de Nesle, chez
le duc de Berri, il laissa tomber sa tête sur l’un de ses bras, qu’il
avait ployé sur la table. Le duc s’en aperçut et dit en riant:
le beau cousin s’endort, il faut le réveiller.
Mais on reconnut bientôt que ce [p.6]
sommeil était celui de la mort (6 mai 1400). Le corps de ce prince
fut inhumé à Saint-Denis, où celui de Jeanne, sa femme,
morte à Sens quelques années auparavant, fut amené
pour être réuni avec lui dans un même tombeau.
Jean de France, duc de Berri et d’Auvergne, l’un des
fils du roi Jean, fut le troisième comte d’Étampes (1384),
en vertu de la cession faite par le duc d’Anjou.
|
Armes de Louis II d’Anjou et de Jean de Berry
(Armorial de Gueldre)
|
Dès
l’année 1387, se voyant sans postérité masculine, ce
prince fit don de son comté à son frère Philippe-le-Hardi,
duc de Bourgogne, s’en réservant néanmoins la jouissance pendant
sa vie. Mais Philippe étant mort en 1404, avant le duc de Berri,
la propriété du comté d’Étampes passa à
son fils aîné, Jean de Bourgogne, dit Jean-sans-Peur,
qui ne devait également en prendre possession qu’après le
duc de Berri. On verra bientôt comment il s’en saisit, les armes à
la main, avant le terme fixé pour la donation.
|
|
Mais avant
de décrire le siège d’Étampes, entrepris par un prince
de la maison de Bourgogne, jetons un coup d’œil rapide sur cette nouvelle
puissance, qui grandissait fièrement, rivale de celle des monarques,
et dont l’ambition fit de la France, à cette époque, un triste
champ de discordes civiles, de meurtres et de guerres sanglantes.
|
|
Jean-le-Bon,
roi de France, devenu possesseur de l’ancien duché de Bourgogne,
en avait fait don à Philippe, duc de Touraine, son quatrième
fils, que sa [p.7] bravoure chevaleresque à
la bataille de Poitiers avait fait surnommer le Hardi. Avec lui commença
le second duché de Bourgogne, soumis dès lors à des
princes de la maison de Valois. Philippe-le-Hardi,
Jean-sans-Peur, Philippe-le-Bon, furent les premiers souverains de cette
dynastie qui a joué un rôle si important dans nos annales. «Les
conquêtes et les alliances des ducs de Bourgogne de cette seconde race,
rendirent leur maison l’une des plus puissantes de l’Europe, en sorte qu’il
y avait peu de souverains qui les égalassent en pouvoir, et tous leur
étaient inférieurs en magnificence (1)». |
(1) Don Plancher, Histoire de Bourgogne
[bib].
|
Or, parmi
les vastes et nombreux domaines de ces puissans suzerains, vient se ranger
humblement le comté d’Étampes. Ils en avaient reçu
la propriété, comme on l’a vu plus haut, des mains de Jean,
duc de Berri (1387). Mais un événement inattendu vint changer
brusquement le cours de ces dispositions, et rendit le duc autant ennemi
de la maison de Bourgogne, qu’il s’était montré d’abord envers
elle plein de bienveillance et de générosité.
|
|
C’était durant l’année 1407, au temps
des grandes discordes entre Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne, et le duc d’Orléans,
qui se disputaient le pouvoir et le gouvernement de la France, pendant la
fatale démence du roi Charles VI. Ces querelles devenaient chaque
jour plus menaçantes: vainement le duc de Berri, la reine, le duc
de Bourbon, le roi de Sicile, s’entremettaient-ils [p.8]
sans cesse pour réconcilier les deux princes. C’étaient toujours
de nouvelles promesses d’amitiés suivies de nouveaux différends.
Enfin on les crut revenus à de meilleurs sentimens [sic]: une réconciliation
solennelle avait eut lieu à Paris, et personne ne semblait douter
de la sincérité de leur sermens [sic].
|
|
Mais ce
n’étaient de la part de Jean-sans-Peur que des paroles feintes, sous
lesquelles se cachait un coupable dessein. Trois jours après, la nouvelle
d’un crime affreux vint épouvanter Paris. On apprend tout-à-coup
que l’infortuné duc d’Orléans a été assassiné
dans une rue de la capitale (1), par des meurtriers
aux ordres du duc de Bourgogne (1407). Or, tandis que sa veuve suppliante
poursuivait à la cour et auprès des princes ses oncles, la
vengeance de la mort de son époux, Jean-sans-Peur, loin de renier
son crime ou d’implorer son pardon, marchait fièrement tête
levée, et semblait demander pour son forfait des récompenses
au lieu d’un châtiment. Le duc de Berri, justement irrité d’un
tel excès d’audace, n’avait point tardé à se déclarer
son ennemi. Après avoir révoqué la donation du comté
d’Étampes qu’il avait faite en sa faveur, il se montra l’allié
du jeune duc d’Orléans. Cet orphelin, à peine âgé
de quinze ans, ne pouvant obtenir contre le meurtrier de son père
la justice qu’il désirait, avait pris les armes contre lui. Cependant,
les princes s’effrayèrent de l’ascendant et du crédit merveilleux
qu’obtenait de plus en plus chaque jour le duc de Bourgogne; ils l’avaient
vu revenir à Paris vainqueur des Liégeois à la [p.9] bataille de Hasbain, et le surnom de Jean-sans-Peur,
que sa bravoure lui mérita dans cette journée, avait accru
son audace et sa puissance. Ils avisèrent donc aux moyens de renverser
le pouvoir de ce rival ambitieux. Une alliance fut conclue entre eux à
Méhun-sur-Sèvres, en Berri: on s’y donna un prochain rendez-vous
à Gien. Là s’assemblèrent avec les princes d’Orléans,
les comtes de Clermont et d’Alençon, le connétable d’Albret,
les ducs de Berri et de Bourbon, le comte d’Armagnac et le duc de Bretagne.
Un traité fut signé entre eux. Bernard, comte d’Armagnac,
guerrier plein de courage, d’action et d’habileté, qui venait d’unir
sa fille au jeune duc d’Orléans, fut regardé comme le principal
chef de ce parti (1410).
|
(1) La rue Barbette.
Jean Sans Peur
|
Telle
fut l’origine de cette fameuse ligue des Armagnacs, dont les querelles
avec celle des Bourguignons, remplirent plusieurs provinces de la France
d’effroi, de sang et de larmes.
|
|
Cependant
le duc de Bourgogne à la nouvelle de l’alliance formée contre
lui, avait rassemblé à la hâte les hommes d’armes de
son duché. Fort de l’appui du roi dont il avait su gagner la faveur,
il s’efforça par de vaines paroles et d’inutiles négociations,
de dissiper la ligue de ses ennemis. Ne pouvant réussir par cette
voie, il se disposa à lui opposer une forte résistance.
|
|
Cette
digression pourra paraître étrangère à l’histoire
de la ville d’Étampes; elle s’y rattache néanmoins par plusieurs
liens. Lorsque deux armées ennemies vont se rencontrer sous ses murs,
il importe de connaître de quels élémens [sic] elles
furent formées, et de pouvoir apprécier dignement les causes
de leur querelle. [p.10]
|
|
Pour faire faire au jeune dauphin, duc de Guienne,
et depuis Charles VII, ses premières armes, le duc de Bourgogne,
alors puissant à la cour, résolut de le mener avec les Parisiens
et les Anglais accourus sous ses drapeaux, assiéger Étampes
(1411) (1). Cette ville appartenait alors au
duc de Berri, de la ligue des Armagnacs. Ce prince avait permis au jeune
duc d’Orléans d’y mettre en garnison des troupes de son parti. De
là elles se portaient dans les pays environnans, qu’elles désolaient
par leur indiscipline et leur licence effrénée. Les plaintes
des habitants des bourgs et des campagnes que ruinaient leurs exactions,
devenant chaque jour plus vives, les gens de guerre du parti bourguignon
entreprirent de détruire le foyer de tant de ravages. Le 23 novembre,
on vit le dauphin, accompagné du duc de Bourgogne, des comtes de
Nevers, de la Marche, de Penthièvre et de Vaudemont, du maréchal
de Boucicaut, et d’un grand nombre d’autres seigneurs et preux chevaliers
qu’environnaient leurs hommes d’armes, sortir de Paris et s’acheminer vers
Étampes (1411). Cette armée imposante s’étant un peu
détournée de sa route, arriva à Corbeil, où elle
séjourna quelques jours attendant son artillerie. Puis, munie de toute
sorte de machines de guerre, elle reprit sa marche. Sur son passage, elle
s’empara du castel de la Bretonnière, voisin de la ville de Châtre
(Arpajon), et quelques jours après elle apparut nombreuse et formidable,
sous les remparts de la ville d’Étampes. [p.11]
Un guerrier éprouvé
dans maint combat commandait alors cette place: c’était un chevalier
d’Auvergne, le sire de Bosredon (1), servieur du duc de Berri, et fort estimé
de ce prince.
|
(1) Monstrelet; Juvenal des Ursins, l’anonyme de S.
Denis
(1) Quelques monumens
historiques le nomment Bourdon, ou Boisbourdon.
|
A la première
sommation, les habitans sur-le-champ et sans coup férir ouvrirent
les portes, et vinrent offrir les clefs au dauphin, en protestant de leur
fidélité: ils le supplièrent en même temps d’empêcher
le pillage de la ville, et de garantir leurs personnes d’insultes et d’outrages.
«Mais, rapporte un vieil historien, on ne peut retenir l’humeur brigante
de quelques soldats, qui, nonobstant l’honorable réception de ce prince,
firent beaucoup de désordres et se gorgèrent de butin»
(2).
|
(2) Le Laboureur, Histoire de Charles VI, t. II [bib].
|
Quant
au commandant Louis de Bosredon, on le vit montrer moins de crainte et déployer
plus de fermeté. Abandonné par la plus grande partie des habitans,
il se retira avec ses gens de guerre dans le château bâti sur
le roc, et que son heureuse position, jointe à l’épaisseur
de ses murailles, semblait rendre inexpugnable. Là, il se fortifia
de son mieux, et se mit en devoir de résister vivement aux attaques
des ennemis. Sommé plusieurs fois de se rendre, il refusa constamment.
Le preux chevalier avait juré au duc de Berri de défendre
vaillamment cette forteresse contre toute attaque d’assaillans; et la présence
du dauphin, que ses regards plongeant du haut des remparts pouvaient découvrir
au pied des murs, ne [p.12] lui semblait point
un motif d’oublier le serment qu’il avait prêté à son
maître. Il fit donc plusieurs sorties, à la suite desquelles
il rentrait dans l’enceinte du castel, emmenant toujours avec lui quelques
prisonniers. Le sire de Roucy, chevalier picard, fut au nombre de ceux qui,
tombèrent entre ses mains (1).
|
(1)
Bourdon souvent saillait et faisait de grands dommages
à ceux du siège, et prit le seigneur de Roucy et plusieurs
autres. (Jean Juvénal des Ursins, Hist. De Charles VI
[bib]).
|
Cependant
l’armée bourguignonne voyant ses premiers efforts inutiles, se disposa
à une attaque plus violente. Les soldats, un instant découragés,
reprirent avec une vigueur nouvelle le siège du château. Des
blocs de pierre énormes étaient sans cesse lancés contre
la forteresse. On parvint ainsi à forcer les entrées, d’où
les Bourguignons mirent le feu aux maisons voisines des murailles. |
|
«Finalement,
dit la chronique, l’une des tours estant à un coin du château,
fut tellement minée, qu’elle cheut. Quand ceux de dedans virent que
bonnement ne se pouvoient plus tenir, ils se rendirent au roi, sauves leurs
vies, et eurent très bonne composition» (2).
|
(2)
Juvénal des Ursins, Hist. de Charles VI [bib].
|
Le sire
de Bosredon, abandonnant la partie du castel qu’il ne pouvait plus défendre,
se retira alors dans une tour si haute et si solide, qu’elle bravait tous
les efforts des assaillans (3). Il encouragea
ses hommes d’armes à [p.13] combattre
plus vaillamment que jamais, et il les vit en effet durant plusieurs jours,
fidèles à sa voix, provoquer leurs ennemis avec une audace
et une bravoure sans égales. Les dames et damoiselles qui s’étaient
retirées avec le brave commandant dans cette formidable tour, semblaient
partager la confiance et la valeur des soldats. On rapporte que, loin de
se cacher, elles se montraient sur le haut des remparts. Là, tendant
leurs tabliers, comme pour recevoir les pierres que lançaient les
machines, et qui ne pouvaient atteindre jusqu’à la hauteur de la muraille,
elles jetaient des regards ironiques sur les assaillans, et raillaient ainsi
en se jouant leurs inutiles efforts (1).
|
(3)
Il est à croire que c’est la tour de Guinette, qui subsiste
encore aujourd’hui, et qui a seule bravé les efforts des hommes et
du temps.
(1) Le Laboureur, Histoire
de Charles VI, tome II [bib].
|
Le duc
de Guyenne et l’armée des Bourguignons désespérèrent
alors de se rendre maîtres du château. Dans cette extrémité,
les princes et seigneurs tinrent un conseil, et il y fut proposé
de faire sans plus tarder la levée du siège. Cet avis ne trouvant
point de contradicteurs, on se disposait à renoncer à l’entreprise,
quand tout-à-coup un notable bourgeois de Paris, nommé André
Roussel, se leva et remontra par plusieurs raisons, dit un historien, qu’agir
ainsi, «c’était faire injure, et ternir d’un reproche éternel
la première milice et le premier exploit du fils de France»
(2). Il offrit ensuite de forcer lui-même
la place qu’on voulait abandonner, pourvu qu’on lui promît aide et
secours, et une récompense pour les compagnons qui l’assisteraient
dans [p.14] son noble dessein. Son offre étant
acceptée, on vit aussitôt mettre la main à l’œuvre. Il
fit charrier avec grande peine de grosses poutres de chêne, et les
appuyant inclinées contre le mur, il construisit ainsi au pied de
la tour une espèce de réduit qui résistait aux pierres
lancées du haut des remparts. À l’abri de toute attaque sous
ce toit protecteur, trente ouvriers armés de pics et de hoyaux travaillèrent
librement à démolir la muraille. Son épaisseur était
de dix pieds. Après cinq jours de continuels
travaux, elle fut percée, et la brèche devint praticable.
Cependant André Roussel ne cessait de crier
au commandant qu’il eût à remettre le donjon au dauphin, s’il
ne voulait être étoffé par la fumée. L’intrépide
assaillant, après avoir fait creuser sous la muraille, qu’il soutenait
avec des pans de bois, se disposait en effet à y mettre le feu, et
la tour se serait écroulée. Le sire de Bosredon, voyant la
mort inévitable pour lui et pour les siens, résolut enfin de
se rendre. Le 15 décembre, la garnison mit donc bas les armes. Un
guerrier, revêtu d’un habit magnifique de velours cramoisi, tout brillant
d’or et de pierreries, descendit du donjon, et pénétrant dans
la tente du dauphin, il vint embrasser ses genoux. C’était le brave
commandant du château d’Étampes. Le jeune prince, touché
de sa valeur, lui fit grâce de la vie. Mais il ordonna qu’il fut emmené
prisonnier à Paris, avec Jean d’Amboise et quelques autres chevaliers,
afin que leur arrivée donnât aux Parisiens une nouvelle certaine
de sa victoire. Le dauphin envoya avec eux dans la capitale trente soldats
de la garnison, que l’on fit promener dans [p. 15]
dans les rues, les mains garrotées et liées derrière
le dos. Quant aux autres, le vainqueur, dit l’historien, refusa de leur
faire quartier (1). Ainsi,
au lieu de rehausser par la clémence l’éclat de son noble fait
d’armes, il souilla par une vengeance inutile la gloire de son triomphe.
|
(1) Le Laboureur, Hist.
De Charles VI, tome II [bib].
|
Après
cette expédition l’armée du dauphin alla mettre le siège
devant Dourdan, dont elle se rendit maître. Mais laissons-la poursuivre
le cours de ses victoires, et en terminant ce récit, portons encore
un instant nos regards sur le sire de Bosredon. Ce preux chevalier qui vient
de défendre avec tant de bravoure le château d’Étampes,
a dû inspirer un juste intérêt, et l’on doit désirer
de connaître la suite de sa destinée. Pourquoi faut-il qu’une
tragique histoire en soit le triste dénouement ? Louis de Bosredon
fait prisonnier, fut envoyé en Flandre. Mais il parvint à
obtenir bientôt sa liberté, et on le retrouve deux ans après,
combattant de nouveau avec vaillance, à la porte Saint-Martin à
Paris, qu’il était chargé de défendre contre le duc
de Bourgogne (1413); son dévouement sans bornes au duc de Berri, son
maître, était le mobile de sa valeur.
|
|
Mais
après la mort de ce prince, Louis de Bosredon, changeant de bannière,
était devenu l’un des seigneurs les plus assidus à la cour de
la reine Isabelle de Bavière. Cette princesse, dont l’histoire a
justement flétri la mémoire criminelle, s’était entourée
de divers personnages, avec lesquels elle tramait de perfides complots. Quelques
uns l’accusaient même d’alliance avec les Anglais. Trahissant [p.16] ainsi ses devoirs de reine, Isabelle semblait
encore avoir mis en oubli tous ceux d’épouse et de mère: elle
menait au château de Vincennes une vie molle et voluptueuse au milieu
d’une cour galante et dissolue. Or un jour, dit-on, Louis de Bosredon, devenu
son grand maître d’hôtel et l’un de ses familiers, se rendant
à Vincennes auprès d’elle, rencontra sur son chemin le roi Charles
VI. Sans s’arrêter, sans mettre pied à terre, il se borna à
saluer son souverain; celui-ci piqué de cette insolente conduite,
et instruit d’ailleurs des intrigues amoureuses du félon chevalier,
saisit cette occasion d’en tirer une cruelle vengeance. Il le fit aussitôt
arrêter et charger de fers, par Tannegui du Châtel, prévôt
de Paris. Bosredon appliqué à la torture avoua tout. Quelques
jours après, l’infortuné fut jeté dans la Seine, cousu
dans un sac de cuir, sur lequel on lisait cette inscription:
Laissez passer la justice du roi (1417) (1).
|
(1) Voyez Hist. de Charles VI [bib].
|
Suite des comtes d’Étampes. —
Charles d’Évreux, Louis II, etc. — Étampes sous la domination de la maison de Bourgogne. —
Ligue des Armagnacs. —
Siège d’Étampes par les Bourguignons.
|
|
|
BIBLIOGRAPHIE
Éditions
Clément-Melchior-Justin-Maxime
FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND), «Chapitre
douzième» & «Note
XI. Le Chien Pêcheur», Essais
historiques sur la ville d’Étampes (Seine-et-Oise), avec des
notes et des pièces justificatives, par Maxime de Mont-Rond
[2 tomes reliés en 1 vol. in-8°; planches; tome 2 «avec
des notes... et une statistique historique des villes, bourgs et châteaux
de l’arrondissement»], Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 1 (1836), pp. 169-181
& 221-235.
Réédition numérique
illustrée en mode texte: François BESSE, Bernard MÉTIVIER & Bernard
GINESTE [éd.], «Maxime de Montrond:
Essais historiques sur la ville d’Étampes (1836-1837)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-montrond.html,
2012.
Réédition
numérique de ce chapitre: Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.],
«Maxime de Montrond: Étampes
de 1226 à 1319 (1836)» [édition numérique
illustrée en mode texte], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-montrond1836chapitre12.html,
2012.
Sources
alléguées par Montrond
Jacques DELESCORNAY,
Mémoires de la ville de Dourdan [in-8°; pièces
liminaires; 243 p], Paris, B. Martin, 1624.
Denys GODEFROY (1615-1681) [éd.], Jean JUVENAL
DES OURSINS (1388-1473), Histoire de Charles VI, roi de France, et des
choses mémorables advenues... depuis 1380 jusques à 1422.
Par Jean Juvénal Des Ursins,... Augmentée en cette seconde
édition de plusieurs mémoires, journaux, observations historiques
et annotations contenans divers traictez, contracts, testamens et autres
actes et pièces du mesme temps non encore imprimées [in-f°;
50+800+7 p.; tableaux], Paris, Sébastien Cramoisy, 1653.
Joseph-François MICHAUD (1767-1839 ) & Jean-Joseph-François
POULOULAT [éd.], JUVENAL DES OURSINS (1388-1473), «Histoire de Charles VI, roy de France,
et des choses mémorables advenues durant quarante-deux années
de son règne, depuis 1380 jusqu’à 1422», in Nouvelle collection des
mémoires pour servir à l’histoire de France 1/2 [24 cm;
699 p.], Paris, Éditions du commentaire analytique du Code civil,
1836 [Réimpression: Paris, Guyot frères, 1850], pp. 333-569.
Dom Urbain PLANCHER (mauriste, 1667-1750) &
dom Zacharie MERLE (mauriste), Histoire générale et particulière
de Bourgogne, avec des notes, des dissertations et les preuves justificatives
; composée sur les auteurs, les titres originaux, les régistres
publics, les cartulaires... et enrichie de vignettes, de cartes géographiques,
de divers plans, de plusieurs figures... par un religieux Bénédictin
de l’abbaïe de S. Bénigne de Dijon et de la congrégation
de S.-Maur [in-f°; 4 volumes (le 4e volume a été rédigé
par Merle, d’après les recherches d’Alexis Salazard); figures; planches;
notes bibliographiques; index], Dijon, A. de Fay (puis L.N. Frantin), 1739-1781.
Réédition en fac-similé (avec
une introduction du médiéviste Jean RICHARD) [28 cm; 4 volumes;
pagination multiple; dépliant; illustrations], Paris, Éditions
du Palais Royal, 1974.
Jean LE LABOUREUR (1621-1675) [éd.], Histoire
de Charles VI, roi de France, écrite par les ordres et sur les mémoires
et les avis de Guy de Monceaux, et de Philippes de Villette, abbés
de Saint-Denis, par un auteur contemporain, religieux de leur abbaye, contenant
tous les secrets de l’État et du schisme de l’Église, avec
les intérêts et le caractère des princes de la chrétienté,
des papes, des cardinaux et des principaux seigneurs de France, traduite
sur le manuscrit latin tiré de la bibliothèque de M. le président
de Thou, par messire J. Le Laboureur,... et par lui-même illustrée
de plusieurs commentaires, tirés de tous les originaux de ce règne,
avec un discours succinct des vies et moeurs, et de la généalogie
et des armes de toutes les personnes illustres de ce temps, mentionnées
en cette histoire et en celle de Jean Le Fèvre, seigneur de Saint-Remy
(1380-1422), pareillement contemporain, qui y est ajoutée,
et qui n’avait point encore été vue [in-f°], Paris,
L. Billaine, 1663.
Toute critique, correction
ou contribution sera la bienvenue. Any
criticism or contribution welcome.
|