Essais historiques sur
la ville d’Étampes
Étampes, Fortin, 1836
Chapitre IX, pp. 119-134.
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Étampes
sous le roi Louis VII le Jeune |
CHAPITRE NEUVIÈME
ÉTAMPES SOUS LE ROI LOUIS VII LE JEUNE
Grande assemblée de seigneurs convoquée
par Louis-le-Jeune en son palais d’Étampes. — Suger, abbé de Saint-Denis. — Concessions diverses de Louis VII aux habitans d’Étampes.
— Templiers. — Monnaies
d’Étampes.
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L’histoire d’Étampes ne présente
point, comme celle d’autres villes plus considérables, une suite
d’événemens continus, qui s’enchaînent mutuellement
et offrent dans leur ensemble un lien insoluble d’unité. Quelques
faits isolés, épars en nos annales, dans lesquels cette cité
a joué un rôle important, ou dont elle a été
simplement le théâtre, voilà quelles sont encore le
plus souvent, aux siècles que nous venons d’atteindre, les seules
sources où se reflète çà et là son image.
[p.120]
On a vu dans le chapitre précédent
les détails des conciles tenus à Étampes. Une autre
assemblée convoquée par le roi Louis-le-Jeune, dans son palais
de cette ville, ne mérite pas moins de trouver place dans ces récits.
Si, dans l’une de celles dont nous avons esquissé l’histoire, un
illustre solitaire est apparu pour y régner en maître par la
force de son éloquence; ici encore nous voyons briller d’un éclat
semblable, au sein de la même cité, un de ces hommes, oracles
de leur siècle, dont l’heureuse influence dans les conseils des rois
assure aux peuples une durable félicité.
Louis VII, surnommé Florus, par la
cour de France, à cause de sa beauté, mais plus connu sous
le nom de Louis-le-Jeune, tenait depuis peu de temps les rênes de
l’État. L’incendie de Vitry et le massacre de ses habitans, tristes
fruits de la colère et de l’orgueil de ce monarque, avaient troublé
son âme par le remords. On lui conseilla d’entreprendre une nouvelle
croisade, en lui citant l’exemple de grands coupables qui avaient trouvé
dans un voyage en Palestine un soulagement à leurs douleurs. Le roi
se laissa persuader, et de toutes parts on se disposa à partir pour
cette lointaine contrée. De puissans seigneurs avaient pris la croix
à la suite de leur prince. Durant leurs apprêts de départ,
Louis VII convoqua une grande assemblée de prélats et de barons
chargés d’élire un régent du royaume. Or, cette auguste
assemblée à laquelle présida le roi lui-même,
se tint dans la ville d’Étampes. C’était le 16 février
1147. Le palais construit par la reine Constance se remplit aussitôt
de nobles seigneurs; là se trouvèrent réunis les comtes
de Blois, d’Angers, de [p.121] Flandre, Nevers, ainsi que bon nombre d’autres puissans personnages,
venus de loin, et dont l’histoire n’a point recueilli les noms. Chacun portait
ses regards autour de soi, et cherchait quel serait l’homme le plus digne
de gouverner la France durant l’expédition d’outre-mer qui se préparait.
Dans cette même
assemblée se tenait, modeste et recueilli, un vénérable
vieillard dont la France entière avait déjà mainte
fois reconnu les talens, alors qu’elle goûtait les fruits précieux
de sa sagesse profonde. Orphelin obscur et pauvre, il avait vu les jours
de son adolescence s’écouler paisibles et studieux sous les cloîtres
de l’abbaye de Saint-Denis. Dans cette antique enceinte, devenue depuis
les fils de Clotaire la sépulture de nos rois, souvent alors les
princes héréditaires venaient passer eux-mêmes quelques-unes
de leurs jeunes années. “Leur enfance, dérobée aux adulations des courtisans,
recevait d’utiles leçons dans ces cloîtres religieux… C’est
là qu’entre les tombeaux qui n’ont jamais flatté, et l’autel
où les malheureux venaient implorer l’assistance divine, ils apprenaient
de bonne heure à marcher dans l’étroit sentier de la justice
(1).” Élevé comme lui dans cet
asile, le fils de Philippe Ier avait connu l’orphelin, et une vive amitié
avait bientôt uni leurs cœurs. Parvenu au trône, Louis VI n’eut
garde d’oublier le compagnon de son enfance: il l’appela dans ses conseils,
lui confia plusieurs missions importantes, et l’éleva par degrés
au ministère: l’histoire a dit comment cet homme sage et habile se
montra digne [p.122] de cet honneur. Le roi Louis VII avait hérité
des sentimens de son père pour son ancien ami: et sous ce nouveau
règne, le ministre de Louis-le-Gros était encore l’âme
des conseils du jeune monarque et l’arbitre des destinées de la nation
(1). Cet homme
puissant en œuvres et en discours, c’était Suger, abbé de Saint-Denis!
Lorsqu’on résolut la seconde croisade, il s’était opposé
à cette funeste expédition. Mais ses efforts cette fois avaient
été vains: l’élan était donné: rien ne
pouvait en arrêter le cours. Et cependant telle était la force
du secret ascendant exercé par ses talens et ses vertus, que dans
cette occasion même, il fut, d’une voix unanime, élu régent
par l’assemblée d’Étampes (2).
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Louis VII
(1) Marchangy, Gaule poétique
(bib).
(1) Guill., Vitâ
[sic] Sugerii. —
Rec. des hist. de Fr., t. XII (bib) — Suger., Vitâ
[sic] Ludov. Gros.,
etc.
(2) “Le choix de
l’assemblée, dit M. de Marchangy, devait obtenir l’approbation et
les suffrages du peuple, en telle sorte qu’on peut dire avec justesse que
c’est la France entière qui a nommé Suger régent du
royaume.” (Gaule poétique, note.) (bib)
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Cette
importante élection fut ratifiée sur le champ par le monarque,
qui applaudit au choix fait par les prélats et les barons. Mais lorsque
toutes les voix s’accordaient à louer l’habileté et la prudence
du nouveau régent, Suger, lui seul, refusait un fardeau dont il connaissait
tout le poids. Le devoir de l’obéissance à la plus vénérable
autorité, était seul capable de vaincre sa répugnance.
Or, il arriva vers ce même temps que le souverain pontife Eugène,
se trouvant dans les Gaules, se rendit à l’abbaye de Saint-Denis;
on lui apprit la décision de l’assemblée; et le pape, digne
appréciateur du mérite de Suger, l’obligea [p.123] aussitôt, par un ordre exprès,
d’accepter la charge qu’il s’obstinait à refuser (1).
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(1)
Ex Chron. abb. Sancti Dionys. — Vita Sugerii. (bib)
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Il
est flatteur pour la ville d’Étampes d’avoir été le
théâtre de cette mémorable assemblée. Le choix
important que firent les nombreux seigneurs réunis dans son sein,
a puissamment influé sur les destinées de la France; la sagesse,
la prévoyance et les vertus de Suger, surent triompher de tous les
complots des ennemis de l’Etat; il y fit refleurir la prospérité
et la paix; et la France toute entière, tombant à ses pieds,
lui décerna dans sa reconnaissance, le beau surnom de père
de la patrie (2).
Dès la première année du règne
de Louis VII, nous voyons ce monarque tourner des regards bienveillans vers
les habitans d’Étampes, et publier une ordonnance en [p.124] en leur faveur (1). Elle est surtout relative
à la vente des vins, qu’il s’efforce de rendre plus facile. L’une
des clauses exempte chaque bourgeois de l’onéreux tribut dont il était
redevable dans cette occasion au prévôt et au lieutenant du
roi. Mais la clause la plus importante de ce diplôme, et celle par
laquelle Louis-le-Jeune promettait de ne faire sa vie durant, aucune altération
à la monnaie d’Étampes, qui avait cours dans son territoire;
et de ne point souffrir qu’elle fût altérée par autrui,
sous peine d’un sévère châtiment. On voit par là,
ce qui d’ailleurs est confirmé par d’autres monumens historiques,
qu’il existait, sous les premiers rois de la troisième race, une
monnaie particulière frappée à Etampes. Nous aurons
tout à l’heure l’occasion de revenir sur cet intéressant sujet.
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(2)
L’histoire nous a conservé une lettre de Suger à Louis-le-Jeune,
pour l’engager à revenir de la Palestine. Je ne puis résister
au désir d’en citer ici quelques fragmens; on ne lit pas sans attendrissement
ces paroles si pleines de dévouement, adressées au monarque
par son vieux serviteur. — “Pourquoi, souverain chéri, pourquoi,
cher maître, ah! pourquoi nous fuyez-vous? Les perturbateurs de votre
état sont revenus, et vous, qui devriez nous défendre; vous
vous exilez comme un banni; vous abandonnez votre royaume aux invasions…
Vos maisons royales, vos châteaux, sont bien entretenus, mais il y manque
votre présence. J’étais déjà bien vieux à
votre départ, et mes cheveux achèvent de se blanchir dans des
fonctions pour lesquelles je consume ma vie avec joie, sans autre ambition,
sans autre vue, que mon amour pour votre majesté et pour mon devoir…
etc.” (Voy. Epist. 57, Suger, Recueil de Duchesne, t. IV (bib). — M. de Marchangy, Gaule poétique.
(bib))
(1) Ce diplôme,
daté de Paris, est de l’an 1137.
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Louis
VII, dans la suite de son règne, donna de nouvelles preuves de sa
sollicitude pour la ville d’Étampes. Il publia pour elle plusieurs
beaux réglemens de police: et par ces sages institutions, il retranchait
une foule d’abus provenant de la négligence de ses officiers. Parmi
ces articles réglementaires qui avaient tous pour but de garantir
les droits des habitans ou de maintenir chez eux le bon ordre, les plus intéressans
sont ceux relatifs aux duels. On sait qu’au moyen âge le duel judiciaire
en champ clos était d’un usage ordinaire, lorsqu’il s’agissait de
se purger d’un crime dont on était accusé, ou de soutenir
une vérité contre un adversaire. Alors des gages de bataille
étaient jetés de part et d’autre devant le juge,
[p.125]
qui faisait aussitôt entrer en lice les deux champions, et l’issue
du combat décidait la querelle (1). Il n’est pas sans intérêt
de voir nos rois s’efforcer par degrés, à l’aide de mesures
prudentes, de rendre moins fréquence l’emploi de ces coutumes barbares,
en attendant que les lois bienfaisantes de l’Eglise vinssent les abolir entièrement.
Ainsi Louis VII, par de sages réglemens, défendait au prévôt
d’Étampes de contraindre aucun habitant de donner le gage de bataille,
avant qu’on eût jugé légitime le motif du combat. Il
lui défendait également de recevoir au combat un champion
mercenaire, loué pour cet objet; et d’exiger du vaincu, à
moins qu’il ne s’agît d’un grand crime, plus de soixante
sols pour son propre droit, de six livres pour le roi et de trente-deux
sols pour le champion victorieux. Ce monarque arrêtait de la sorte
l’avidité des prévôts qui, par l’espoir de tirer du
vaincu une grosse amende, étaient enclins à donner le gage
de bataille indifféremment à toute espèce de personnes
et pour le moindre sujet. Quant à la défense d’admettre au
duel un champion mercenaire, c’était une loi sage, qui remédiait
à un abus dont les annales de la ville d’Étampes pouvaient
elles-mêmes offrir un exemple récent. Dans une lettre adressée
par le compte de Nevers à Suger, nous voyons en effet ce seigneur
inviter l’illustre abbé de Saint-Denis à se trouver la veille
du jour de la chaire de Saint-Pierre, dans l’enceinte d’Étampes,
où Geoffroy de Doury et un de ses gentilhommes doivent combattre en
champ clos pour sa propre querelle (2). On ignore ce qui advint
[p.126] de
ce duel: mais son souvenir montre du moins que les réglemens sur ce
sujet, donnés à Etampes par Louis-le-Jeune, ne devaient point
être dans la suite un stérile bienfait.
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(1)
Voy. Recher. sur la Fr., par Pasquier, liv. IV, c. 1 (bib).
(2) Lettres de l’abbé
Suger, XXIV (bib).
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Le nom du territoire d’Étampes se retrouve souvent
mêlé aux récits des largesses dont, à l’exemple
de plusieurs autres rois de France, Louis VII enrichit de célèbres
églises et d’illustres monastères. En suivant le cours des
libéralités de nos monarques, plus d’une fois en effet, on
reconnaît que les objets de leurs donations furent quelques-uns de
ces nombreux moulins ou autres domaines dont ils étaient possesseurs
dans la vallée d’Étampes (1). Or, dans le texte de ces actes d’un
âge si éloigné de nous, on retrouve le nom même,
quoique souvent défiguré, que ces moulins ou autres propriétés,
après plusieurs siècles, conservent encore aujourd’hui (2). Plusieurs anciens documens
attestent que quelques-uns de ces revenus furent aussi attribués aux
religieux hospitaliers de l’ordre du Temple. Ceci devrait nous inviter à
rechercher si cet ordre militaire, fruit des croisades, n’avait point établi
l’un [p.127] de ses séjours dans le territoire d’Étampes. Mais
les ruines d’une chapelle des Templiers, que l’œil découvre encore
non loin de la ville sur une colline au-dessus du vallon de Valnay, dispensent,
ce nous semble, de citer d’autres preuves, et ne permettent point de douter
de l’ancienne présence dans ces lieux de ces célèbres
chevaliers. On ignore à quelle époque fut détruite cette
antique chapelle; mais on ne doit point faire remonter sa destruction aux
temps où fut aboli l’ordre auquel elle appartenait. Un fait, puisé
dans l’histoire de nos guerres civiles du dernier siècle, porterait
à croire qu’elle survécut long-temps encore à cet ordre
religieux et militaire dont la gloire fut si grande, et la fin si tragique.
Il est probable du moins que ces ruines, servant alors de prison, n’étaient
pas dans le même état de dégradation où nous les
voyons aujourd’hui (1).
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(1)
Une foule de monumens historiques constatent que plusieurs de nos rois, tels
que Louis-le-Gros, Louis VII, la reine Blanche, saint-Louis, etc., ont concédé
à diverses abbayes, entre autres à l’abbaye de Saint-Victor
de Paris, les revenus de plusieurs moulins royaux d’Étampes (Voy.
La plupart de ces actes au Trésor des Chartes, Archives du
royaume.)
(2) C’est ainsi que l’on
retrouve dans de vieilles chartes, conservées aux Archives du royaume,
le nom des moulins Derneteau, du Sablon, de Chaufour,
etc. (Voy. Trésor des chartes.)
(1) Les chevaliers de
l’ordre du Temple, fondé au douzième siècle et supprimé
par décision du concile de Vienne, le 3 avril 1312, possédaient
en France un grand nombre de chapelles isolées dont on retrouve souvent
les débris sur des collines, ou au milieu des bois. Le fait qui se
rapportte à celle des environs d’Étampes, m’a été
raconté par des habitans qui en conservent encore le souvenir. Sur
la fin du dernier siècle, à l’époque des guerres de
la Vendée, une troupe nombreuse de prisonniers vendéens ayant
été amenée à Etampes, on choisit pour le lieu
de leur prison, les ruines mêmes de la chapelle des Templiers.
Mais après quelques jours d’une dure captivité dans cette enceinte,
ils parvinrent, dit-on, à s’évader, et plusieurs regagnèrent
leurs foyers.
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Entre
les divers actes émanés des rois de France en faveur des Templiers,
et où se trouve mêlé le nom [p.128] d’Étampes,
on doit remarquer une charte de Louis-le-Jeune, de l’an 1163. Un seigneur
de sa cour, Théodoric Heleran, avait reçu de sa libéralité
une rente annuelle de dix muids de froment à prendre sur le moulin
royal de Dabustalle (de Dabustallo) à Etampes. Plus
tard, étant devenu chevalier de l’ordre du Temple, il avait transporté
cette rente aux Templiers, et le monarque, par cette charte précitée,
s’empressa de confirmer ce transport (1).
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(1)
Voyez aux manuscrits de la Bibliothèque royale un vidimus de
cette charte, sur parchemin, de l’an 1173.
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Dans les domaines de nos rois de la troisième
race, il est quelquefois fait mention d’une monnaie d’Étampes (moneta
Stampensis) (2). Ces mots nous font connaître un privilège important
dont jouissait cette ville: c’était le droit de battre monnaie
dans son enceinte. Ce droit a toujours été regardé comme
une faveur spéciale, que les monarques étaient loin de prodiguer
indifféremment à toutes les cités. Un grand nombre
de villes considérables n’en ont jamais joui, aussi devrait-on s’étonner
que celle d’Étampes l’eût obtenue de préférence,
si l’on ne se rappelait qu’ayant été l’une des résidences
habituelles de plusieurs rois de France, elle dut à ce titre d’être
honorée des marques particulières de leur affection.
Les rois de la troisième race, comme ceux de
la seconde [p.129] avaient autrefois à leur suite des monétaires ou
monnoyeurs (monetarii) qui fabriquaient des monnaies dans leurs différens
séjours. Étampes, à partir du règne de Robert
jusqu’au règne de saint Louis, vit ainsi frapper dans ses murs des
pièces de divers métaux; mais surtout un grand nombre de deniers
d’argent fin. Ils avaient 8 à 9 lignes de diamètre, pesaient
de 22 à 24 grains et leur valeur était d’environ trois sols
de notre monnaie actuelle. Ces deniers sont extrêmement rares aujourd’hui;
on m’a communiqué l’une de ces pièces, trouvée à
Étampes, dans les jardins de l’ancienne maison de Diane de Poitiers.
Quelques autres sont conservées soigneusement dans la belle collection
des monnaies de France, au cabinet des médailles de la bibliothèque
du roi. |
(2) Voir entre autres
une charte de saint Louis, de l’an 1252, par laquelle ce monarque fait donc
aux Templiers de trente livres, monnaie d’Étampes (triginta libras
monetae Stampensis) à prendre sur le monnoyeur d’Étampes.
(Le Blanc, Traité des monnaies (bib), p. 155. —
Trésor des chartes, Arch. du royaume.)
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Le savant
auteur du Traité historique des monnaies de France, n’a point
oublié de parler de ces anciens deniers d’argent frappés à
Étampes (1). Il en mentionne trois, dont l’un appartient au règne
de Philippe 1er, et les deux autres à celui de Louis VI ou de Louis
VII. Voici les paroles de cet écrivain: “La sixième de ces monnoies, dit-il en expliquant tour à
tour celles d’une planche, a été faite à Estampes:
Castellum Stampis. De l’autre costé, il y a quelques
lettres dans le milieu de la pièce, dont je ne puis deviner la signification,
non plus que de deux A qui sont dans les angles de la croix. ...Le cinquième
et le douzième de ces deniers, ajoute-t-il ailleurs en parlant
des deux autres pièces, ont été frapez [p.130] à Estampes.....
J’advoue que je ne sçay point ce que veulent dire les deux S et
les deux V qui sont dans les angles de la croix, non plus que les figures
qui sont du costé de la pile.” (Voir notre planche ci à côté.)
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(1) Voir Fr. Le Blanc,
Traité historique des monnaies de France,1 vol. in-4°, Paris,
1690 (bib).
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La signification
de ces lettres, que n’avait pu découvrir Le Blanc, à la fin
du dix-septième siècle, a été expliquée
de nos jours par un autre écrivain dont les importans travaux sur
la numismatique ont éclairé bien des points obscurs de cette
science (1).
Nous lui emprunterons quelques passages propres à répandre un
peu de lumière sur l’objet qui nous occupe.
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(1)
Voir Numismatique du moyen âge, considérée sous le rapport
du type, par Joachim Lelewel. 2 vol. ln-8° avec un atlas, Paris, 1835
(bib).
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“De tout temps, dit-il, la numismatique
tortura les scrutateurs par ces lettres isolées qu’elle présente
dans le champ. Sur les sols des Mérovingiens, elles désignaient
le nom du lieu ou du roi et ses titres.... Les deniers des premiers
Carlovingiens indiquaient de cette manière le lieu et le titre royal.
Puis elles disparurent et ne reparurent que sur la monnaie des barons…”
“L’alpha et l’oméga furent bien acceptés
par la monnaie mérovingienne, mais ils s’y perdirent en s’accrochant
à la croix, et depuis ils disparurent. La monnaie carlovingienne les
évitait constamment; ce ne fut que la Capétienne qui les réhabilita
dans leurs anciens droits: ce fut vers le milieu du XI siècle…”
“Par toute la France, les monnaies des
seigneurs, tant laïcs qu’ecclésiastiques, présentent
les lettres de [p.131] l’éternité,
tantôt cantonnées ou suspendues à la croix, tantôt
séparément placées et défigurées de différentes
manières. Leurs figures disparaissent avec le temps; mais il en reste
d’autres qui ne sont que le fruit de leur défiguration. On les voit
différemment exprimées: et l’alpha et l’oméga sont,
avec le temps, remplacés par VE, VV, AA. Souvent on les sépare,
et l’alpha seul, ou l’oméga seul, prenait la place des deux. C’est
aussi par suite de la défiguration, que figurent isolément
le V, l’II ou l’E.
“Toutes
ces permutations sont très fréquentes dans l’intérieur
du rayon, et même on y substitue la fleur de lys, la lettre S, comme
on peut le voir par les exemples sur la monnaie de Reims, d’Orléans,
d’Étampes…
“Un
S qui remplace les lettres de l’Éternel près de la croix, à
Orléans, à Étampes et ailleurs, n’indique que le terme
de signum, qui se rapporte à la croix ou au type de la monnaie
marquée d’une croix (1).”
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Monnaies frappées à Etampes
Sous les règnes de Philippe 1er et Louis VI ou Louis VII
(1) Joachim Lelewel, t.
II, p. 156 et suivantes (bib).
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La première
des trois pièces de monnaie citées par Le Blanc appartient,
comme nous l’avons dit plus haut, au règne de Philippe 1er. D’un côté,
elle représente une croix dont les bras renferment deux A, opposés
par le sommet, autour on lit: Castellum Stampis; de l’autre côté,
on aperçoit ces mots: Philipus rex Dei; le champ est occupé
par un monogramme dont l’explication a été l’objet d’une dissertation
particulière de Lelewel, qui a donné l’empreinte de cette
pièce dans le précieux atlas joint à son ouvrage (2). Voici en quels termes
il s’exprime à ce [p.132] sujet: “Encore
un monogramme qui exige une singulière attention. Il figure sur une
monnaie du roi Philippe (1060-1108), frappée à Étampes.
Il offre à certains égards le supplément de la
légende rex Dei dextrâ; mais il a les deux
OO superflus, et il n’est autre que le monogramme du roi Odon, ODO REX…
D’où vient le monogramme d’ODO REX sur la monnaie du roi Philippe?
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(2)
Planche VII (bib).
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“Étampes et ses dépendances
firent partie du domaine des rois jusqu’à saint Louis. Mais les prédécesseurs
de ce prince, au moins depuis Philippe Ier, nommèrent un vicomte d’Étampes,
pour y percevoir leurs droits et y exercer leur juridiction. Deux vicomtes
sont connus sous le règne de Philippe; mais il serait déraisonnable
de chercher leur nom dans le monogramme d’ODO REX. Il est plutôt plausible
qu’ils étaient chargés ou qu’ils obtinrent le droit de fabriquer
la monnaie royale et qu’ils employèrent pour son empreinte le monogramme
du roi Odon, qui avait perdu sa signification et n’indiquait plus que le
type de la monnaie locale. Si l’explication est juste, il faut convenir que
la monnaie n’est pas royale, mais locale, ou qu’elle est du vicomte autorisé
par le nom royal, ou une pièce semi-royale.”
“…L’archevêque de Sens, en 1112,
confirme de son autorité, les donations du roi Philippe (à
l’abbaye de Morigny, près d’Étampes). Ce fut un de ses prédécesseurs,
l’archevêque Walter, qui cent vingt-quatre ans auparavant, en 888 au
mois de janvier, sacra le roi Eudes. Le souvenir de cette cérémonie
a eu peut-être quelque rapport avec la monnaie et le droit épiscopal
d’Étampes.” [p.133]
A la suite de ces
paroles, Lelewel propose une nouvelle explication qui peut servir à
éclaircir la précédente. Celle-ci est relative à
une pièce de monnaie de Louis VI ou Louis VII, frappée à
Mantes sur la Seine, Medante Castellum. “Le type du revers, dit-il, offre dans le champ deux croix et deux
O croisés. Mantes fut continuellement en la possession du roi Odon.
Par le traité conclu en 896 avec Charles-le-Simple, la Seine séparait
les deux rois, et Mantes resta au roi Odon jusqu’à sa mort (898).
Cette longue possession fut peut-être cause que le type d’Odon devint
local. Voyons la monnaie d’Odon fabriquée à Chartres, non loin
de Mantes; elle offre dans le champ un semblable arrangement uniforme des
O et des croix. Dans la monnaie de Mantes, le temps fit disparaître
le D du centre, et conserva le reste du type odonique, comme il conserva
le monogramme odonique à Étampes (1).” (Voir à la planche n° 1.)
Il est temps de parler
des deux autres pièces de monnaie citées par Le Blanc. Le
revers de l’une d’elles présente dans le champ une croix avec deux
S, et autour ces mots: Castellum Stampis: l’autre côté
retrace le monogramme du prince, autour duquel on lit: Lodovicus rex.
La seconde de ces pièces est l’une de celles qu’on retrouve au cabinet
des médailles de la bibliothèque du roi. Sur le revers on
voit une croix avec deux V, et autour: Castellum Stampis. Le côté
opposé offre l’image d’un Lambel avec ces mots: Lodovicus
rex. (Voir à la planche n°II et III.) [p.134]
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( 1) Numismatique du moyen âge, par Joachim Lelewel,
t. I, page 164-165 ( bib).
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Il est
à remarquer que ces diverses pièces sont toutes sans effigie.
Mais l’auteur des Antiquités d’Étampes fait mention
d’autres monnaies sur lesquelles était le portrait du roi, entouré
de ces mots en lettres gothiques: Lodovicus rex francorum. Sur le
revers, on voyait une montagne avec un château au-dessus, et ces mots:
Castello Stampis (1).
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(1)
Antiquités d’Étampes, p. 102 (ici).
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Il nous
resterait, en terminant cette matière, à rechercher quel nom
particulier pouvaient avoir reçu ces diverses monnaies d’Étampes;
mais on ne trouve aucun document sur ce point. On ne peut douter cependant
que l’une d’elles, sans doute de minime valeur, ne portât le nom même
dont on se sert de nos jours pour désigner un habitant d’Étampes.
C’est ce qui résulte de ces deux vers, tirés de l’ancien
roman d’Auberg le Bourguignon.
Cavis son frère moult bien
ses droits,
Qu’il n’en perdit vaillant un Étampois
(2).
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(2)
Voir Glossaire de Ducange, Article moneta baronum.
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Grande assemblée de seigneurs convoquée par Louis-le-Jeune
en son palais d’Étampes. — Suger, abbé
de Saint-Denis. — Concessions diverses de
Louis VII aux habitans d’Étampes. — Templiers.
— Monnaies d’Étampes.
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BIBLIOGRAPHIE
Éditions
Clément-Melchior-Justin-Maxime
FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND),
«Chapitre neuvième», in ID., Essais historiques sur la ville d’Étampes
(Seine-et-Oise), avec des notes et des pièces justificatives,
par Maxime de Mont-Rond [2 tomes reliés en 1 vol. in-8°;
planches; tome 2 «avec des notes... et une statistique historique
des villes, bourgs et châteaux de l’arrondissement»],
Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 1 (1836), pp. 119-134.
Réédition numérique
illustrée en mode texte: François BESSE, Bernard MÉTIVIER & Bernard
GINESTE [éd.], «Maxime de
Montrond: Essais historiques sur la ville d’Étampes
(1836-1837)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-montrond.html,
2012.
Réédition
numérique de ce chapitre: François
BESSE & Bernard GINESTE
[éd.], «Maxime de Montrond: Étampes
sous le roi Louis VII le Jeune (1836)», in Corpus
Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-montrond1836chapitre09.html,
2012.
Sources
alléguées par Montrond
Étienne
PASQUIER (1529-1615), Les Recherches de la France, Reveuës
& augmentées de quatre Livres [36 cm; IV+379+XVII p.], Paris
Jamet Mettayer & Pierre L’huillier, 1596. — Les recherches
de la France d’Estienne Pasquier, reveues et augmentées d’un livre
et de plusieurs chapitres par le mesme autheur [in-4°; table des
chapitre;1175 p.; table des matières; édition en 7 livres],
Paris, L. Sonnius, 1607.
Éditions posthume de Pasquier: Les
Recherches de la France d’Estienne Pasquier,... augmentées en ceste
dernière édition de trois livres entiers, outre plusieurs chapitres
entrelassez en chacun des autres livres, tirez de la bibliothèque
de l’autheur [in-f°; pièces liminaires; 1019 p.; table], Paris,
L. Sonnius, 1621. — Id., Paris, O. de Varennes, 1633. — Id., Paris, P. Ménard,
1643. — Les Recherches de la France d’Estienne
Pasquier,... reveuës, corrigées, mises en meilleur ordre et augmentées
en cette dernière édition de trois livres entiers, outre plusieurs
chapitres entrelassez en chacun des autres livres, tirez de l’autheur
[in-f°; tables chapitres; 919 p.; table des matières], Paris,
L. Billaine / G. de Luyne, 1665.
Mises en ligne de l’édition de 1621 par la
BnF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6109174w,
en ligne en 2012, p. 466; de l’édition
de 1643 par Google sur son site Google Book, http://books.google.fr/books?id=gmJEAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=#v=onepage&q&f=false, en ligne en 2012, p. 466.
Édition critique de Pasquier: Marie-Madeleine
FRAGONARD & François ROUDAULT [dir.], Marie-Luce DEMONET, Jean-Pierre
DUPOUY, Raymond ESCLAPEZ et alii [éd.], Claude BLUM, Paul BOUTEILLER,
Fabrice IACONO [collab.], Étienne Pasquier. Les recherches de
la France. Édtition critique commentée [23 cm; 3 volumes
(2275 p.); bibliographie p. 2133-2176; index], Paris, Honoré Champion
[«Textes de la Renaissance» 11/1-3], 1996.
Andreas DU CHESNE (alias
André DUCHESNE, DUCHÊNE, CHESNIUS, DUCHESNIUS, QUERNEUS, QUERCETANUS,
1584-1640; surnommé le Père de l’Histoire française)
[éd.] & Fransciscus DU CHESNE (François, son fils &
continuateur, 1616-1693) [Duchesne envisageait un recueil de 34 volumes mais
la mort l’arrêta avant que ne parût le 3e; son fils alla jusqu’au
tome 5; l’ensemble fut ensuite entièrement recommencé par Dom
Bouquet et les Mauristes], Historiae Francorum scriptores coaetanei...
quorum plurimi nunc primum ex variis codicibus mss. in lucem prodeunt, alii
verò auctiores et emendatiores; cum epistolis regum, reginarum, pontificum,
ducum, comitum, abbatum et aliis veteribus rerum Francicarum monumentis opera
ac studio Andreae Du Chesne [tom. I-II; «Auteurs de l’Histoire des
Francs contemporains des faits… dont la plupart sont édités
pour la première fois à partir de divers ouvrages manuscrits,
tandis que les autres le sont plus au long et plus correctement; avec les
lettres des rois, des reines, des évêques, des ducs, des comtes,
des abbés et les autres anciens monuments des affaires de la France,
par les soins et le travail d’André Duchesne»] — Historiae,
etc., opera ac studio filii post patrem Francisci Du Chesne [tom. III-V]
[5 vol. in-f°; «Auteurs, etc., par les soins et le travail du fils
d’André Duchesne, François, après la mort de son père»],
Lutetiae Parisiorum [Paris], sumptibus S. Cramoisy [Sébastien Cramoisy],
1636-1649, tome IV (1641).
François LEBLANC (?-1698),
Traité historique des monnoyes de France, avec leurs figures,
depuis le commencement de la monarchie jusqu’à présent
[ in-4°; pièces liminaires; LII+420 p.; table, planches], Paris,
C. Robustel, 1690.
Réédition: Traité historique
des monnoyes de France, avec leurs figures, depuis le commencement de la
monarche jusqu’à présent. Augmenté d’une dissertation
historique sur quelques monnoyes de Charlemagne, de Louis le Débonnaire,
de Lothaire et de leurs successeurs, frapées [sic] dans Rome... Sur
l’imprimé à Paris [in-4°; 2 parties en 1 volume; planches],
Amsterdam, P. Mortier, 1692.
François CLÉMENT & Michel-Jean-Joseph
BRIAL (1743-1828) (bénédictins de l’ordre de Saint-Maur)
[éd.], Rerum Gallicarum et Francicarum Scriptores. Tomus
duodecimus (Novæ Collectionis Historicorum Franciæ tomus duodecimus)
– Recueil des Historiens des Gaules et de la France. Tome douzième,
contenant ce qui s’est passé sous les trois règnes de Philippe
Ier, Louis VI dit le Gros, et de Louis VII surnommé le Jeune, depuis
l’an MLX jusqu’en MCLXXX, par des religieux bénédictins de
la Congrégation de Saint-Maur [in-8°; LVI+1013 p.; sommaire:
p. LVI], Paris, Imprimerie Royale, 1781. — Réédition: Léopold
DELISLE (membre de l’Institut, 1826-1910) [éd.], Recueil des historiens
des Gaules et de la France. Tome douzième, édité par
des religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur.
Nouvelle édition publiée sous la direction de M. Léopold
Delisle [mêmes texte & pagination], Paris, Victor Palmé,
1877. — Réédition
en microfiches: Doetinchem, Microlibrary Slangenburg Abbey. — Réédition numérique
en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k501306,
1995 (en ligne en 2005).
Louis-Antoine-François
de MARCHANGY (magistrat, littérateur, député du Haut-Rhin,
1782-1826), La Gaule poétique, ou L’histoire de France considérée
dans ses rapports avec la poésie, l’éloquence et les beaux-arts
[in-8°; 8 volumes; planches en couleur], Paris, C.-F. Patris,
1815-1817. — Autre édition [in-8°; 8 volumes], Paris, C.-F.
Patris / Chaumerot, 1819. — 4e édition [in-8°; 6 tomes en
3 volumes; portrait], Paris, Baudouin frères, 1824. — Autre
édition [in-8°; 6 volumes], Paris, U. Canel, 1825. — 5e
édition [in-8°; 8 volumes; planches], Paris, Hivert, 1834-1835.
Joseph STRASZEWICZ [éd.],
Joachim LELEWEL (1786-1861), Numismatique du moyen-âge, considérée
sous le rapport du type, accompagnée d’un atlas [in-8°; 3
parties en 2 volumes; 1 atlas in-8° oblong], Paris, sans mention d’éditeur,
1835.
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ou contribution sera la bienvenue.
Any criticism or contribution welcome.
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