Essais historiques sur
la ville d’Étampes
Étampes, Fortin, 1836
Chapitre VII et Notes VII et VIII, pp. 81-96 et 209-212. |
Étampes
sous le roi Louis VI le Gros |
CHAPITRE SEPTIÈME
ÉTAMPES SOUS LE ROI LOUIS VI LE GROS
SUIVI DE
Note
VII: Charte de la franchise du marché
Saint-Gilles d’Étampes.
Note VIII: Sur le droit de Commune d’Étampes.
Chapitre septième: Affranchissement
des communes. — Commune d’Étampes.
— Chronique de quelques faits et gestes de Louis-le-Gros.
— Note VII: Charte de la franchise
du marché Saint-Gilles d’Étampes. — Note VIII: Sur le droit de Commune d’Étampes.
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Nous voici arrivés à l’une des époques
les plus importantes de notre histoire. Le douzième siècle
vient de s’ouvrir, et le règne de Louis-le-Gros prépare à
la France une ère nouvelle de liberté. Avant ce monarque
la France n’était guère en quelque sorte qu’un composé
bizarre d’états incohérens, que de puissans vassaux gouvernaient
à leur gré. Sous ce règne de l’épée,
le peuple se consumait en pénibles labeurs pour des maîtres
ambitieux qui en recueillaient tous les fruits. Il était temps enfin
de [p.82] voir
la nation entière arrachée à la servitude, et jouissant
de ses droits imprescriptibles que des lois sages allaient lui rendre.
Déjà sous le règne précédent,
le départ pour la Palestine d’une foule de seigneurs confédérés,
avait délivré le royaume des suites funestes de leur ambition
et de leurs violences. Plus d’un seigneur suzerain se croyant appelé
par le ciel aux combats de la croisade, avait vendu à bas prix
ses vastes domaines pour subvenir aux frais d’un long voyage; et nos monarques
en rachetant facilement quelques-uns des fiefs distraits de leur couronne,
commençaient à faire rentre dans leurs mains de nombreux
privilèges, devenus des armes redoutables dans celles de leurs puissans
vassaux.
Mais le plus grand bienfait dont l’histoire semble
rattacher le souvenir au règne de Louis-le-Gros, fut l’établissement
des communes. Par ces associations indépendantes qui se formèrent
alors en plusieurs contrées sous la protection royale, la France
reprit une face nouvelle; un nouvel ordre social s’y établit; et
son fertile sol devint plus abondant et plus fécond encore quand,
affranchi de la glèbe, le cultivateur put travailler paisible,
en regardant sans effroi les tourelles du manoir féodal.
En parlant des bienfaits du règne de
Louis VI, on doit rappeler qu’une part en est due au ministre sage et
habile dont la prudence merveilleuse sut comprimer les factions, affaiblir
la puissance de turbulens vassaux, et cimenter la paix avec les nations
voisines. Ce digne ministre, c’est l’immortel Suger, abbé de Saint-Denis!
C’est ce grand homme que nous retrouverons tout-à-l’heure au sein
de [p.83]
la ville d’Étampes, où il viendra recevoir des marques d’un
insigne honneur, dans le palais des rois, au milieu de la plus illustre
assemblée.
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Gardons-nous
cependant de croire que l’affranchissement des communes soit tout entier
l’œuvre du règne et de la volonté de Louis-le-Gros. Le pouvoir
royal, au commencement du douzième siècle, ne régissait
qu’une très faible partie de la France actuelle. Un grand nombre
de nos provinces étaient sous la suzeraineté de l’empire
d’Allemagne, ou se regardaient comme des états libres, sous des
ducs et des comtes qui ne reconnaissaient aucun suzerain. L’influence
législative du monarque ne pouvait donc s’étendre que dans
les pays situés entre la Somme et la Loire. Or, nous voyons les
communes s’établir sur tous les points de la Gaule, principalement
dans les provinces indépendantes de la couronne, telles que celles
des contrées méridionales. Le règne communal se
révèle même dans ces dernières provinces à
une époque antérieure aux chartes où figure le nom
de Louis-le-Gros. Ainsi, à ce roi seul n’appartiennent point idée
et la création de ce nouvel ordre social. En puisant aux sources
de l’histoire, on découvre que dans le grand mouvement d’où
sortirent les communes au moyen-âge, les marchands et les artisans
qui formaient la population des villes n’avaient eu garde de demeurer spectateurs
oisifs. Plus d’une fois, dans plus d’une cité, ce furent ces bourgeois
eux-mêmes qui, les armes à la main, osèrent conquérir
leurs libertés, et surent durant plusieurs siècles en maintenir
l’orageuse existence. «Accoutumés, dit M. Thierry, par les habitudes paisibles
de notre civilisation, à voir dans le nom [p.84] bourgeois l’opposé de celui de soldat,
nous avons peine à comprendre ces héros de l’industrie renaissante,
qui maniaient les armes presque aussi souvent que les outils de leurs
métiers, et faisaient trembler jusque dans leurs donjons les fils
des nobles et des preux, quand le son du beffroi annonçait au loin
que la commune allait se lever pour la défense de ses franchises…
Mais, ajoute ailleurs le même écrivain, que nous sommes loin
du compte, si nous croyons que le moyen-âge ressemblait à
l’ancien régime, et qu’en France les passions populaires sont filles
de la révolution (1)!»
Quant à la ville d’Étampes, vers
laquelle il est temps de revenir, nous ne voyons nulle part qu’elle ait
eu à subir aucune de ces perturbations violentes, de ces discordes
civiles, qu’aurait fait naître un réveil spontané
ou une ardeur inquiète de ses habitans. Nulle part l’histoire ne
la [p.85] montre s’efforçant d’acquérir un peu de liberté
au prix de son repos et du sang de ses enfans. Partout, au contraire,
durant les temps du moyen-âge, cette cité nous apparaît
calme et paisible, se contentant de jouir sans trouble dans sa fraîche
vallée, des immunités qu’elle recevait parfois de nos monarques.
Ou si le désordre et l’épouvante viennent un instant régner
dans ses murs, ce n’est que lorsque les ennemis du dehors, rassemblés
à ses portes, assiègent son castel, et menacent le repos
et la vie de ses tranquilles habitans.
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(1)
Augustin Thierry, Lettres sur l’Histoire de France (bib).
Ce savant et judicieux écrivain, en traitant
à fond, dans ses Lettres sur l’Histoire de France (bib), la question de l’affranchissement des communes
a su dissiper bien des préjugés accrédités
par les récits de plusieurs historiens modernes. L’examen
des documens originaux lui a fait reconnaître quelle part respective
avaient eue nos monarques et les bourgeois des villes, au grand mouvement
communal du moyen-âge. En donnant l’initiative à ces derniers,
il appuie de nombreux exemples son assertion. Le récit des révolutions
communales de Cambrai, Noyon, Beauvais, Saint-Quentin, Laon, Soissons,
Reims, Vezelai, etc., revêt dans son ouvrage des couleurs brillantes,
animées; et c’est ainsi qu’il initie avec charme le lecteur aux
scènes si vives de cette époque que ses laborieux efforts
lui donnent si bien le droit de peindre et d’apprécier.
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L’histoire
nous a conservé le souvenir d’un droit de commune accordé
à la ville d’Étampes par nos anciens rois, et qui était
en pleine vigueur durant les premières années du règne
de Philippe-Auguste. On ignore quelle en était l’étendue;
car on ne retrouve point l’acte de concession; et cet acte n’est connu
que par une ordonnance de ce même prince, datée de Paris,
l’an 1189, laquelle vint soudain détruire ce droit (1). Mais à l’aide
d’autres chartes d’affranchissement, données vers le temps de Louis-le-Gros,
en faveur d’autres villes, on peut découvrir, en quelque sorte
par analogie, quel était le degré de liberté dont
cette concession avait mis Étampes en jouissance. Les attributions
des communes étaient de pouvoir se défendre elles-mêmes,
et poursuivre la réparation des torts ou injustices commises à
leur égard. Elles avaient Maître et des Échevins nommés
par les habitans, et chargés de veiller au maintien de leurs franchises.
Elles étaient aussi ordinairement exemptées de plusieurs
charges [p.86] que les seigneurs particuliers imposaient à leurs vassaux.
Peut-être la ville d’Étampes, en vertu de cette concession,
dont le texte et l’auteur sont aujourd’hui inconnus, jouissait-elle de
quelques-uns de ces droits, lorsqu’un acte de justice sévère
du roi Philippe-Auguste vint les révoquer. Les motifs donnés
de cette révocation sont les fréquens dommages que la commune
d’Étampes, abusant de ses privilèges, occasionait [sic]
aux biens des églises et de la noblesse. Le roi déclare
donc que les églises et la noblesse jouiront à l’avenir de
la plupart des droits, franchises et libertés qui leur avaient appartenu
avant l’établissement de cette commune. Quant à quelques autres
droits importans, qui leur appartenaient également, tels que celui
de contraindre les habitans à venir servir leur suzerain en ses armées
ou en ses voyages, et celui d’imposer sur eux telle taille qu’il lui plaira,
c’est à lui seul que le prince en réserve désormais
la libre jouissance (1).
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(1)
Voir Ordonnances du Louvre, tome X [Il faut
lire sans doute: tome XII (bib) (B.G.)].
(1) ..... Philippus
Dei gratiâ Francorum rex ..... Propter injurias, et oppressiones,
et gravamina, quae communia Stampensis inferebat tàm ecclesiis,
etc., rebus earum, quàm militibus, et rebus eorum, quassavimus
eamdem communiam: et concessimus tàm ecclesiis, quàm militibus,
quod apud Stampas deinceps communia non erit, etc..... Actum Parisiis,
anno Domini M. CXCIX, regni verò nostri XXI..... (Voir la note VIII,
à la fin du volume. (ici))
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On ignore à quelle époque furent restituées à
la ville d’Étampes les franchises dont le roi Philippe-Auguste l’avait
dépouillée. Elle les recouvra sans doute sous l’un des règnes
suivans. Nous voyons cependant que, même vers les premières
années du seizième siècle, ses libertés communales
étaient contenues en d’étroites limites. A cette époque
[p.87] les
habitans d’Étampes élisaient les échevins de deux
ans en deux ans; mais leur pouvoir était très borné;
car tout se réglait dans la ville par ordonnance du lieutenant au
bailliage, à la réquisition d’un magistrat nommé par
le roi. Les échevins ne pouvaient même rassembler les
bourgeois de la ville sans la permission de ces officiers. Et à
l’égard des deniers communs, il ne leur était point permis
de disposer, de leur propre gré, de plus de vingt sols parisis. Enfin,
sous le règne de Louis XII, les habitans d’Étampes voyant
qu’un certain nombre de villes s’étaient soustraites à cette
grande dépendance des lieutenans du roi, sollicitèrent du
monarque la même faveur. Ils réclamèrent le pouvoir
de construire une maison commune, et de régir eux-mêmes librement
leurs affaires communales, à l’exemple de tant d’autres bonnes villes
du royaume. Ils implorèrent aussi dans cette intention l’appui de
Claude de France, leur nouvelle comtesse, et par son puissant secours ils
obtinrent des lettres-patentes du monarque conformes à leurs désirs
(1).
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(1)
Les lettres-patentes du roi sont du mois de mai 1514.
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Le temps, en détruisant tant d’autres monumens du règne
de nos anciens rois, nous a conservé un diplôme remarquable
de Louis-le-Gros, qui fait connaître plusieurs exemptions singulières,
dont ce prince gratifia une partie des habitans d’Étampes. C’est
en outre un document curieux pour l’histoire des mœurs et des coutumes de
cette époque.
Le séjour des rois dans cette ville, bien
qu’il fût [p.88] l’une des sources de sa prospérité, lui imposait
aussi parfois quelques charges onéreuses. L’une d’elles était
l’obligation de fournir durant ce temps tout le linge, la vaisselle et
les ustensiles de cuisine nécessaires à la cour. Cette loi
avait été imposée par les premiers monarques aux
habitans du marché Saint-Gilles: mais dans la suite des temps les
exigences de la cour augmentant sans doute avec chaque nouveau règne,
cette charge parut si rude et si pesante que cette partie de la ville se
dépeuplait chaque jour et devenait en quelque sorte une solitude.
Louis VI prit en considération le sort de ce quartier, et il avisa
aux moyens de lui rendre le mouvement et la vie. Il ne déchargea
point, il est vrai, ses habitans de leur obligation; mais par une charte
donnée en son palais d’Étampes l’an 1123, il leur
octroya de nombreux privilèges qui les dédommageaient amplement
du lourd fardeau dont ils auraient eu peine à supporter le poids
(1).
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(1)
Une copie de cette charte, faite sur parchemin, et collationnée
à l’original le 6 décembre 1558 est conservée encore
dans les archives de l’hôtel-de-ville d’Étampes. (Voir. le
texte cette pièce à la note VII, à la fin du volume
(ici)).
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Le
roi accordait aux habitans du marché Saint-Gilles présens
et futurs:
1° L’exemption pour dix ans de toute taille,
du service militaire, et des amendes encourues selon l’usage par ceux d’entre
eux qui auraient porté de fausses accusations.
2° La réduction à perpétuité
à cinq sols quatre deniers, de certaines amendes s’élevant
à soixante sols, et l’abaissement à seize deniers de celles
qui étaient fixées à sept sols six deniers. [p.89]
3° Décharge du droit de minage, hors
le jeudi jour de marché.
4° La faculté de refuser le serment
en justice sans être tenu de le racheter par quelque offrande.
Enfin une clause de cet acte stipulait encore
qu’on ne pourrait faire aucune exécution contre ceux qui amèneraient
au dit marché de Saint-Gilles, ou dans les maisons de ses habitans,
des blés, des vins et autres marchandises quelconques. Le pouvoir
royal protégeait leur arrivée; leur séjour et leur
retour; et les circonstances d’un flagrant délit pouvaient seules
les soustraire à son tutélaire appui.
On n’aura point remarqué ici sans quelque
peine et quelque surprise cette immunité singulière en faveur
des faux témoins. Cette concession est une licence peu honorable
pour un prince, gardien de la justice, et dont le premier devoir est de la
faire régner dans ses états. Par cette mesure imprudente il
arrêtait son cours naturel, et il fournissait un champ libre aux haines
et aux inimitiés. Il y aurait d’ailleurs une autre conclusion à
tirer sans beaucoup de malice de tout ce qui précède; mais
elle serait peu flatteuse pour le caractère et les usages des anciens
habitans de Saint-Gilles. Cependant on est naturellement porté à
craindre que le faux témoignage et la calomnie n’aient été
fort en vigueur chez eux dans les temps reculés, si, comme il faut
le supposer, Louis-le-Gros dans l’édit précité avait
entendu accorder un bienfait à là majorité, au moins,
si ce n’est à l’ensemble de ce quartier. N’en accusons que l’ignorance
de ces anciens siècles, et jouissons avec d’autant plus de bonheur
des améliorations [p.90] que l’instruction et les lumières
ont successivement amenées dans les relations sociales et dans l’état
général de la société.
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Les
habitans du marché Saint-Gilles ont joui durant plusieurs siècles
de ces privilèges, qui leur furent confirmées [sic] à
divers intervalles, surtout dans le cours des quinzième et seizième
siècles, par des actes émanés du bailliage d’Étampes,
et spécialement par des lettres-patentes de Henri III, roi de France,
en date du mois de mars 1575 (1). Allégés
par ces immunités, les habitans de ce quartier supportèrent
alors sans se plaindre la charge qui leur était imposée.
Des documens conservés dans les archives de la ville d’Étampes,
nous révèlent à quelle époque l’on vit cesser
enfin l’usage de cette singulière obligation. Ce fut dans la dernière
période du quatorzième siècle. Louis d’Evreux, second
u nom, seigneur de Lunel, était alors comte d’Étampes. Vers
l’an 1370, les Anglais, après quelques tentatives infructueuses
sous les murs de Paris, vinrent passer au point d’Antony, et entrèrent
dans Étampes qu’ils prirent et saccagèrent. La belle église
de Sainte-Croix fut pillée: et celle de Notre-Dame-du-fort,
[p.91] ainsi nommée à
cause des fortification et des larges fossés qui l’environnaient*, se ressentit aussi de leurs violences. Les habitans
du marché Saint-Gilles, ruinés par cette guerre et par les
précédentes, vinrent alors représenter humblement
à leur seigneur, qu’il leur était désormais impossible
de fournir sa maison de linge, vaisselle et autres meubles. Le bon prince
fut ému de compassion en voyant la misère de ces pauvres habitans.
Il les déchargea volontiers d’une pareille servitude, tout en leur
laissant les privilèges qu’ils avaient reçus de Louis-le-Gros
en compensation de cette charge. II exigea d’eux seulement une simple rente
de dix livres parisis, payable à deux termes, sur les masures, maisons
et jardins situés dans les limites du marché (1).
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(1)
Une copie de cette charte française de Henri III se voit aux archives
de l’Hôtel-de-ville d’Étampes, sur le même parchemin
qui contient celle de Louis-le-Gros citée plus haut. On y conserve
aussi dans un cahier de deux feuilles une autre copie textuelle de ces deux
pièces, auxquelles est jointe une copie de la charte de Louis, comte
d’Étampes, dont il est parlé ci-après.
Ces mêmes archives renferment un grand
nombre de sentences du bailliage d’Étampes, sur parchemin, la plupart
relatives à la franchise du marché Saint-Gilles.
*
Le texte porte: qui l’environnent, mais fait l’objet d’un correctif en début de volume
(B.G.).
(1) La charte donnée
en cette occasion par Louis, comte d’Étampes, au mois de juillet
1378, est conservée dans les archives de cette ville. Tout porte
à croire que c’est l’original lui-même: elle est en français,
d’une écriture assez correcte et bien conservée. On y voit
encore les débris d’un sceau pendant en cire jaune, attaché
par un lacet de soie de diverses couleurs.
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A
cette époque critique de notre histoire, la frayeur des attaques
des Anglais obligeait les habitans des villes à des précautions
continuelles pour veiller à leur sûreté. Ceux d’Étampes
crurent donc devoir transférer la tenue du marché en un lieu
plus sûr, au-dessous du château, et sur la place située
devant l’église Notre- Dame. Les guerres ayant cessé, on le
transporta au lieu accoutumé, où il se tint avec tranquillité
jusqu’à ce que des motifs semblables, un siècle après,
obligèrent de le transférer de nouveau dans l’enceinte d’Étampes-le-Châtel.
De ces [p.92] changements successifs naquirent dans la suite une foule de
différends entre les habitans des quartiers de Saint-Basile et de
Notre-Dame d’une part et ceux de Saint-Gilles de l’autre. Le récit
de ces contestations tiendrait une place notable dans les annales d’Étampes;
mais d’autres faits plus importants appellent ailleurs nos regards. Il importe
d’ailleurs peu aux habitans de cette ville de connaître aujourd’hui
les fastidieux détails de ces jalouses rivalités (1).
Louis-le-Gros avait de bonne heure éprouvé
son courage contre de fiers et turbulens vassaux qui accablaient le menu
peuple sous le poids d’une rude oppression. Suger, l’historien de sa vie,
nous le montre, sous le règne même de Philippe Ier, son père,
occupé à redresser les torts des [p.93] seigneurs rebelles
envers leur prince, et tyrans des malheureuses contrées dont ils
se déclaraient souverains indépendans. C’est ainsi que les
comtes de Corbeil, de Montlhéry, et plusieurs autres seigneurs
des environs de Paris, apprirent tour à tour à redouter
la force de son bras. La réputation des exploits du jeune héritier
du trône s’étendait déjà au loin: «De sorte, dit un vieil
historien, que toute la France jeta dès lors la vue sur lui comme
sur un Hercule, dompteur des monstres de l’État: et tous ceux qui
souffraient quelque oppression, commencèrent à avoir recours
à lui pour en être délivrés.» C’est ainsi que les habitans
du Berri le conjurèrent de venir les venger des violences d’Humbault,
châtelain de Sainte-Sévère, dont la présence
dans ce castel était un fléau pour la contrée. Le
jeune prince marche aussitôt vers lui avec une poignée de
braves serviteurs. Le puissant châtelain vint à sa rencontre,
accompagné de troupes nombreuses. Une petite rivière se
trouvant sur leur passage, s’opposait au choc des deux armées.
Mais le jeune Louis ayant vu un des ennemis sortir des retranchemens, poussé
aussitôt son cheval vers lui, le terrasse, et du même coup
de lance, il en fait tomber un second à ses pieds. Aidé de
ses gens, il pénètre alors dans le camp de ses adversaires,
et remporte une victoire éclatante. Le châtelain Humbault
est forcé de mettre bas les armes, et de se rendre à la merci
du vainqueur. Louis s’empare du butin, et retourne en triomphe à
Paris. Mais durant ce temps, qu’était devenu son félon prisonnier?
Renfermé dans une tour du château d’Étampes, il expiait,
par une dure captivité, les violences criminelles dont il s’était
[p.94] rendu coupable, et en déplorait les funestes suites
(1).
Les troubles suscités en France sous Philippe
Ier, par de téméraires vassaux, continuèrent non
moins vivement sous le règne de Louis-le-Gros; ce ne fut pas l’une
des moindres gloires de ce prince, d’avoir su abattre leur puissance. Sa
force, dans ces combats, recevait un précieux secours des sages
conseils de son digne ministre, Suger, dont les avis étaient d’ordinaire
la règle de ses actions. Dans le récit que nous a transmis
ce grand homme des exploits de son maître, on voit souvent figurer
le nom de la ville d’Étampes; mais jamais, on doit le dire, il ne
la représente comme l’alliée de quelqu’un des ennemis de ce
monarque, auquel elle ne cessa au contraire de demeure constamment fidèle.
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(1) L’histoire d’un
grand nombre de nos villes de médiocre importance n’est ainsi
remplie bien souvent que de petites querelles fomentées dans leur
sein par de faibles divisions, dont la source est plus faible encore. Quant
à celles de la ville d’Étampes, elles durèrent pendant
de longues années. Les bourgeois de Saint-Basile et de Notre-Dame,
après bien des efforts, obtinrent l’an 1498, du roi Charles VIII,
des lettres-patentes qui leur permettaient de tenir un marché, sur
la place de Notre-Dame, le samedi et les autres jours de la semaine. Ceux
de Saint-Gilles s’opposèrent de tout leur pouvoir à la vérification
de ces lettres. On ignore ce qui advint de ces luttes rivales. Il est à
croire que tous ces différends se terminèrent par un accord
ou transaction, d’après lequel on vendit librement sur le marché
Notre-Dame, le samedi et les autres jours de la semaine, toute sorte de
menues denrées; tandis que les blés, les vins, les chevaux
et autres bestiaux, se vendaient le samedi sur la place Saint-Gilles, ainsi
que cela se pratique encore aujourd’hui.
(1) Sugerri. Abb.
S. Dionysii liber de vita Ludovici grossi Regis. – Rec. des hist. de Fr.,
t. XII, p. 24 (bib).
..... Et ensi s’en retorna à victoire,
et emmena avec soi ce chastelain, et le mist en prisom en la tor d’Estampes.
(Chroniques de Saint-Denis. (bib))
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Parmi
les vassaux ambitieux contre lesquels Louis-le-Gros eut à exercer
sa bravoure, se trouvait Hugues, seigneur du Puiset en Beauce, et vicomte
de Chartres. De simple châtelain, il s’était rendu seigneur
feudataire pendant la vie du roi Phillipe, et il faisait peser son joug
sur toute la contrée. Ses prétentions sur les droits de
l’évêché de Chartres, et sur ceux du jeune Thibault,
comte de cette ville, son suzerain, étaient l’un des griefs qu’on
lui reprochait. Déjà le roi Louis avait pris d’assaut et
ruiné le château du Puiset. Hugues, après une courte
captivité à Château-Landon, était sorti de
prison. Brûlant d’assouvir sa [p.95] vengeance, il avait renoué
ses intelligences avec quelques seigneurs, et commencé à
réparer les fortifications de son château. Le roi vint alors
rejoindre son armée à Étampes, d’où il partie
incontinent pour aller assiéger de nouveau le castel du Puiset. Le
succès ne répondit pas à ses efforts; ses troupes plièrent,
et se dispersèrent soit à Orléans, soit à
Étampes d’où elles étaient venues. Louis sur les
rallier, et marchant à leur tête contre son redoutable vassal,
il le vainquit, et le contraignit de se rendre à discrétion.
Sa forteresse fut rasée et la contrée entière fut
ainsi délivrée de son odieuse tyrannie (1).
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(1)
Vie de Louis-le-Gros par Suger (bib).
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Les
habitans d’Étampes figurent encore avec honneur au nombre de ses
vaillantes troupes que Louis-le-Gros rassembla contre l’empereur Henri
V, alors que ce monarque, excommunié au concile de Reims, s’avançait
vers les plaines de Champagne. Henri ne prétendait à rien
moins qu’à détruire de fond en comble une ville où
il venait de recevoir un si solennel affront (2). Le roi, instruit de
son approche, s’était jeté promptement avec quelques hommes
d’armes dans les murs de cette place. Cependant de divers points de France
arrivaient de nombreuses phalanges pour soutenir leur roi, et défendre
contre l’armée impériale la noble cité champenoise.
On divisa ces troupes en [p.96] trois corps: le premier, de soixante mille hommes, avait été
fourni par les contrées voisines de Reims et de Châlons; le
second, égal en nombre, venait des pays de Laon et de Soissons; enfin
le troisième, non moins nombreux, mais plus dévoué à
son roi, se composait des troupes d’Orléans, d’Étampes, de
Paris et de Saint-Denis. C’est avec ce troisième corps que le roi
voulut combattre. «Au
milieu d’eux, s’écria-t-il, je combattrai avec autant de sécurité
que de courage. Après nos saints patrons, je n’ai point de plus
braves soutiens. Ce sont mes compatriotes; avec eux j’ai vécu familièrement.
Si je dois vivre, ils m’aideront à vaincre; si je meurs, ils ne
laisseront point mon corps à la merci de mes ennemis (1).»
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(2)
L’empereur Henri V fut excommunié dans le concile tenu à
Reims en Champagne, au mois d’octobre 1119, sous le pape Calixte
Il, par les prélats de France. Louis-le-Gros fut présent
lui-même à cette assemblée. Les motifs de cette excommunication
étaient les prétentions de l’empereur aux droits d’investiture.
(1) ..... «Hâc,
inquit, acie tàm securè quàm strenuè dimicabo,
cum praeter sanctorum dominorum suorum protectionem, etiam qui compatriotae
familiarius educaverunt, aut vivum juvabunt, aut mortuum conservantes reportabunt.»
(Sugerii liber de vitâ Ludovici Grossi. (bib))
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Les
craintes que sut inspirer à l’empereur l’aspect de ces troupes
si bien aguerries, l’engagèrent à éviter d’en venir
aux mains avec elles. Il s’enfuit couvert de honte en Allemagne. Mais
quoique dans cette occasion les habitans d’Étampes n’aient point
combattu, ce n’en est pas moins pour eux un honneur d’avoir figuré
dans les rangs de cette brave milice accourue sous les drapeaux de son
roi; et d’avoir entendu de sa bouche mémé l’éloge
de leur vaillance.
|
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NOTE VII.
Charte de la franchise
du marché Saint-Gilles d’Étampes.
(Chap. VII, p. 88.)
In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Ludovicus
Dei gratiâ Francorum Rex, notum fieri volo cunctis fidelibus, tam
instantibus, quàm futuris, et omnibus illis, qui apud Stampas,
in foro novo nostro hospitati, vel hospitandi sunt, hanc consuetudinem
à festo S. Remigii, quae XVII anno regni nostri fuerit, in decem
annos concedimus, ut infrà hos terminos ab omni ablatione, tallia,
expeditione,
et equitatis [sic] quiti , et soluti
penitùs permaneant. Annuimus etiam quod illi submonitionem vel falsum
clamorem non emendent. Iisdem praetereà furisfacta LX. solidorum,
pro quinque solidis, et quatuor denariis: de districto, et forisfacto VII
solidorum, et dimidii, pro sexdecim nummis, omnibus diebus condonamus. Nullus
insuper minagium, nisi die Jovis, donabit. Quocumque etiam in juramento
[p.210] quispiam vocatus, si jurare
noluerit, juramentum illud non redimet. Omnes quidem illi qui in praedictum
forum nostrum, vel in domos hospitum ejusdem fori annonam, vel vinum, vel
res quaslibet adducent, quieti cum omnibus rebus simul in veniendo, in morando,
in redeundo ità permaneant, quod pro suo, vel suorum Dominorum forisfacto
à nullo homine capientur, aut disturbentur, nisi in forisfacto praesenti
deprehendantur. Haec omnis, exceptis ablatione, et expeditione, et equitatu,
et talliis, de quibus infrà praedictos terminos quieti erunt, illis
diebus concedimus omnibus. Quod ne valeat oblivione deleri, scripto commendavimus:
et ne possit à posteris infirmari, sigilli nostri auctoritate, et
nominis nostri caractere subterfirmavimus. Actum Stampis publicè,
anno Incarn. Verbi M. CXXIII. regni vero nostri XVI. Astantibus in Palatio
quorum nomina subtitulata sont et signa: Stephani Dapiferi, Gilberti Buticularii,
Hugonis Constabularii, Alberti Camerarii, et Stephani Cancellarii.
(Archives de l’Hôtel-de-Ville
d’Étampes.)
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NOTE VIII.
Sur
le droit de Commune d’Étampes.
(Chap. VII, p. 86.)
Le droit de commune d’Étampes dont il
est question au chapitre VII, n’est connu, ainsi qu’on l’a vu, que par
l’acte de révocation émané du roi Philippe-Auguste.
Cet acte est extrait d’un vieux cartulaire, dont l’original se trouve
au Trésor des chartes (Archives du royaume), une copie à
la Bibliothèque royale, et une autre également à
la Chambre des Comptes. Au sixième feuillet de ce
même registre, on découvre un document assez curieux
pour l’histoire d’Étampes, et qu’il ne sera point sans doute hors
de propos de rapporter ici. C’est le dénombrement des seigneurs
qui tenaient immédiatement du roi, des fiefs ou arrière-fiefs,
situés au bailliage d’Étampes.
Voici cette énumération, dans laquelle
on peut retrouver [p.212] quelques noms, aujourd’hui
encore bien connus dans la contrée.
Isti sunt de Bailliva Stampensi de Rege, et habent
sexaginta libras reditus. Luca de Richervilla, Jacquelinus de Ardena, Joannes
de Bouvilla , Domina Alix de Auvertiaco, Joannes de Boutervillier, Guillelmus
Prunelès, Philippus de Cathena, Petrus de Rocejo, Thomas de Braia,
Crispinus de Orfino, Andraeas Polin.
Isti sunt milites tenentes de aliis in eadem Castellania,
et habent LX libras reditus.
Gilo de Oistreville, Manasserus de Galandes, Petrus
de Thuscis, Bartholomaeus Davinvilla, Ferricus de Cathena, Ferricus de
Busone, Petrus de Brueriis, Joannes Juvenis de Botervillier, Ansellus de
Botervillier, Guillelmus de Taignunvilla, Guido de Forest, Thomas Furnarius,
Joannes
de Aureliis.
Dans la copie de ce vieux cartulaire, conservée
à la chambre des comptes, on trouve aussi l’énumération
des seigneurs qui tenaient des fiefs du roi Philippe-Auguste, au bailliage
de Lorris en Gâtinois (in baillivâ Loriaci). Parmi eux, on
rencontre également des noms connus encore au pays d’Étampes,
tels que Guillaume de Barville et Godefroi son frère (Guilllelmus
de Barvilla, et Gothefredus ejus) [sic].
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Chapitre
septième: Affranchissement des communes.
— Commune d’Étampes. — Chronique de quelques faits et gestes de Louis-le-Gros.
— Note VII: Charte de la franchise du
marché Saint-Gilles d’Étampes. — Note VIII:
Sur le droit de Commune d’Étampes.
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BIBLIOGRAPHIE
Éditions
Clément-Melchior-Justin-Maxime
FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND),
«Chapitre septième», «Note
VII» et «Note VIII», in ID., Essais historiques sur la ville d’Étampes
(Seine-et-Oise), avec des notes et des pièces justificatives,
par Maxime de Mont-Rond [2 tomes reliés en 1 vol. in-8°;
planches; tome 2 «avec des notes... et une statistique historique
des villes, bourgs et châteaux de l’arrondissement»],
Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 1 (1836), pp. 81-96 et 209-212.
Réédition numérique
illustrée en mode texte: François BESSE, Bernard MÉTIVIER & Bernard
GINESTE [éd.], «Maxime de
Montrond: Essais historiques sur la ville d’Étampes
(1836-1837)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-montrond.html,
2012.
Réédition
numérique de ce chapitre: François
BESSE & Bernard GINESTE
[éd.], «Maxime de Montrond: Étampes
sous le roi Louis VI le Gros (1836)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-montrond1836chapitre07.html,
2012.
Sources
alléguées par Montrond
Louis-Guillaume de VILEVRAULT
(†1786) & Louis George Oudard FEUDRIX DE BRÉTIGNY (1714-1795)
[éd.], Ordonnances des rois de France de la troisième
race. Dixième volume, Contenant les ordonnances de Charles VI,
données depuis le commencement de l’année 1411 jusqu’à
la fin de l’année 1418 [X+514+CCVI p.], Paris, Imprimerie royale,
1763.
Louis-Guillaume de VILEVRAULT (†1786) & Louis
George Oudard FEUDRIX DE BRÉTIGNY (1714-1795) [éd.], Douzième
volume, Contenant un supplément depuis l’an 1187, jusqu’à
la fin du règne de Charles VI [X+514+CCVI p.], Paris, Imprimerie
royale, 1777.
François CLÉMENT & Michel-Jean-Joseph
BRIAL (1743-1828) (bénédictins de l’ordre de Saint-Maur)
[éd.], Rerum Gallicarum et Francicarum Scriptores. Tomus
duodecimus (Novæ Collectionis Historicorum Franciæ tomus duodecimus)
– Recueil des Historiens des Gaules et de la France. Tome douzième,
contenant ce qui s’est passé sous les trois règnes de Philippe
Ier, Louis VI dit le Gros, et de Louis VII surnommé le Jeune, depuis
l’an MLX jusqu’en MCLXXX, par des religieux bénédictins de
la Congrégation de Saint-Maur [in-8°; LVI+1013 p.; sommaire:
p. LVI], Paris, Imprimerie Royale, 1781. — Réédition: Léopold
DELISLE (membre de l’Institut, 1826-1910) [éd.], Recueil des historiens
des Gaules et de la France. Tome douzième, édité par
des religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur.
Nouvelle édition publiée sous la direction de M. Léopold
Delisle [mêmes texte & pagination], Paris, Victor Palmé,
1877. — Réédition
en microfiches: Doetinchem, Microlibrary Slangenburg Abbey. — Réédition numérique
en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k501306,
1995 (en ligne en 2005).
Augustin THIERRY (1795-1856), Lettres sur
l’histoire de France, pour servir d’introduction à l’étude
de cette histoire [in-8°; XII+472 p.], Paris, Sautelet & Ponthieu,
1827. — 2e édition [in-8°; XVI+536 p.], Paris, Sautelet,
1829. — 4e édition [in-8°; 500 p.], Paris, Tessier, 1834. 6e
édition [in-8°; 468 p.], 1839. — 7e édition [23 cm; 475
p.], Paris, J. Tessier, 1842. — 8e édition [in-16], Paris, Furne [«Œuvres
complètes de M. Augustin Thierry» 5 (sur 10)], 1846. 9e édition,
1851. 10e édition, 1853. 1863. — [in-8°], Paris, Garnier frères
[«Œuvres complètes de M. Augustin Thierry» 3],
1866. 1867. — Nouvelle édition [in-18], Paris, Garnier, 1873. 1884
[in-8°], Paris, Garnier, 1878. 1883 — [in-18; 410 p.], Paris, Firmin-Didot,
1883.
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