Essais historiques sur
la ville d’Étampes
Étampes, Fortin, 1837, tome
2
Chapitre XXII et Note VI, pp. 143-151 & 239-240. |
Étampes de 1774 à 1837
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CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME
ÉTAMPES
DE 1774 A 1837
Chapitre XXII: Jacques-Guillaume Simonneau, maire d’Étampes. —
Étampes au XIXe siècle. —
Choléra. — Les meuniers étampois.
— Conclusion. — Note VI: Conseil municipal
en 1837. — magistrats.
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Le règne de Louis XVI et les dernières années
du dix-huitième siècle, si fécondes en événemens
de toute sorte, présentent peu de faits historiques qui soient particuliers
à la ville d’Étampes, et puissent occuper une place dans
cet ouvrage. Cette contrée, comme les autres points de la France,
eut à subir sa part des perturbations violentes qui signalèrent
cette époque; quelques uns des édifices religieux que nous
avons décrits ailleurs, tels que l’église Sainte-Croix et la
nouvelle maison des pères cordeliers, furent détruits ou mutilés.
Les autres furent fermés ou réservés pour de profanes
usages; la belle église de Notre-Dame vit célébrer
dans son enceinte plusieurs fêtes [p.144]
nationales ou décadaires, tandis que celle de Saint-Gilles était
devenue un magasin pour les grains, et que la nef de Saint-Basile servait
de prison à quelques soldats vendéens.
Mais il n’entre point dans notre plan d’écrire
l’histoire contemporaine, si difficile à traiter avec impartialité:
glissant donc rapidement sur cette période si agitée de nos
annales, nous nous bornerons à mettre sous les yeux de nos lecteurs
le récit de l’événement tragique qui vint souiller
les murs d’Étampes et consterner ses habitans, par le meurtre de
leur premier magistrat.
C’était durant l’année 1792: la ville
d’Étampes se voyait souvent en proie aux suites funestes de l’anarchie
qui sur les divers points de la France désolait alors la plupart
des campagnes et des cités. Par son heureuse position qui la rendait
le grenier de la Beauce, et lui avait été déjà
mainte fois si fatale, elle était devenue encore un centre autour
duquel circulaient de toutes parts des attroupemens séditieux. Leur
but était de produire la famine et d’exciter des émeutes populaires;
leurs hordes séditieuses grossissant de jour en jour, fondaient sur
les villages et les hameaux où se tenaient des marchés publics,
y taxaient elles-mêmes le prix des grains et répandaient partout
le trouble et l’épouvante. Les fermiers saisis de crainte n’osaient
apporter leurs céréales, et la disette gagnait ainsi par degrés
tous lieux par où ces bandes turbulentes avaient passé.
Le 3 mars 1792, un de ces attroupemens, composé
d’environ huit cents hommes armés de sabres, de fusils ou de bâtons
et venant du côté d’Étréchy et de la Ferté-Aleps, [p.145]
fondit à l’improviste sur le marché aux blés d’Étampes,
et se mit en devoir d’y taxer le prix des grains: Jacques-Guillaume Simonneau,
citoyen probe, magistrat intègre, était alors maire de cette
ville. Aidé de soixante hommes de cavalerie, de quelques gendarmes
et du petit nombre de gardes nationaux qui avaient répondu à
son appel, il s’opposa de tous ses efforts à une pareille violence.
La municipalité s’était déjà portée
au devant des insurgés, vers le faubourg dit des Capucins; mais
ses prières et ses menaces n’avaient pu réussir à calmer
l’effervescence, de ces bandes tumultueuses. Les vives exhortations du maire
furent également inutiles, son autorité fut méconnue
et ses ordres méprisés: comme il continuait à refuser
de baisser le prix des grains, l’un des insurgés furieux se précipite
sur lui, l’entraîne vers le bas du marché et lui assène
un violent coup de bâton sur la tête. Le magistrat parvient
à se dégager de ses mains, et malgré sa blessure il
reparaît plus ferme encore au poste que le devoir lui avait assigné.
«Ma vie est à vous, criait-il aux factieux; vous pouvez me l’ôter,
mais je ne manquerai point à mon devoir.»
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Simonneau (hôtel de ville d’Étampes)
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Cependant
le commandant des troupes rangées en armes sur la place du marché,
ayant donné l’ordre d’une retraite, Guillaume Simonneau escorté
de quelques cavaliers dirigeait sa marche vers la grande rue Saint-Jacques
lorsque soudain atteint presque à bout portant d’un coup de fusil,
il tombe baigné dans son sang. Le procureur de la commune, son ami,
qui le suivait de près, accourt aussitôt vers lui, et s’empresse
de le relever, [p.146] lorsqu’un second coup
de fusil se fait entendre à leurs côtés. L’infortuné
maire retombe frappé à mort, et son généreux
compagnon, blessé lui-même, n’échappe qu’avec peine
au sort fatal qui le menaçait (1).
La nouvelle de cet attentat fut bientôt connue
dans la capitale, et les feuilles publiques les répandirent sur
tous les points de la France. En plusieurs lieux, Simonneau fut honoré,
loué et chanté comme un héroïque citoyen, comme
un martyr de la religion du devoir. L’assemblée nationale, dans sa
séance du 18 mars 1792, décréta qu’un monument pyramidal
serait érigé en son honneur sur la place du marché
d’Étampes; et que le 3 juin de cette même année une
fête serait célébrée à Paris pour consacrer
le souvenir de ce funeste événement. Une partie du décret
reçut son exécution: la fête fut célébrée
au jour indiqué dans la plus grande magnificence; mais on négligea
d’exécuter la loi toute entière, et l’œil étonné
cherche en vain aujourd’hui dans la ville d’Étampes le [p.147] monument qu’avait décrété
l’assemblée nationale (1).
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(1)
Ce généreux compagnon, cet ami de Jacques Simonneau, existe
encore, et c’est de sa bouche même que j’ai recueilli les détails
qu’on vient de lire. Son nom, qu’on est peut-être étonné
de ne point trouver dans ce récit, y figurerait sans doute, si sa
modestie ne m’avait imposé le devoir de le tenir caché.
Ce fut dans le haut de la rue de l’Étape
aux vins, dix pas au dessus de la rue haute des Groisonneries, devant la
porte de la maison n° 9, que Simonneau rendit le dernier soupir. Un
autre témoin oculaire nous a assuré que dans le délire
de leur rage, les assassins défilèrent au son des tambours
autour de leur victime, et firent une fusillade sur son corps palpitant
et défiguré, en criant: vive la nation.
(1) Voir aux archives
de l’Hôtel-de-Ville d’Étampes, les pièces qui constatent
cet événement, ainsi que le décret de l’assemblée
nationale.
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Nous voici arrivés au dix-neuvième siècle,
à cette période qui doit grossir un jour de tant d’évémens
divers les récits de nos annales. La ville d’Étampes en a
suivi les différentes phases sans commotion violente, et sans qu’aucun
autre fait remarquable l’ait mise sous ce rapport hors de la ligne commune
au reste de la France. Lorsqu’en 1830, une révolution nouvelle accomplie
en trois jours donna la couronne de France au chef de la branche cadette
de la maison de Bourbon, la sagesse, la fermeté des magistrats et
des principaux fonctionnaires surent préserver cette ville des scènes
de troubles et d’anarchie, dont un grand nombre d’autres furent alors le
théâtre.
Mais si cette contrée échappa à
la guerre civile, elle ne put éviter également le fléau
plus meurtrier encore, qui vint deux années plus tard décimer
les infortunés habitans de la capitale et de la moitié de
la France. Au mois d’avril 1832, Étampes vit sa paisible vallée
envahie par le mal asiatique , dont la plupart des nations de l’Europe
avaient déjà ressenti les funestes atteintes. Pendant deux
mois entiers la consternation et l’effroi ne cessèrent de régner
dans les divers quartiers de la ville, où plus de trois cents personnes
périrent. Un plus grand nombre encore aurait succombé sans
doute, [p.148] si le dévouement généreux
du clergé, des médecins, des magistrats et de plusieurs dames
charitables, n’eût souvent opposé une barrière puissante
aux ravages de l’affreuse maladie. Quelques jeunes docteurs venus de la
capitale, rivalisèrent aussi de zèle pour conjurer le mal;
des aumônes abondantes recueillies de toutes parts, permirent de secourir
les indigens, et d’en arracher plusieurs à une mort presque inévitable.
Au milieu de leurs douleurs et de leur effroi, les
habitans d’Étampes n’oublièrent point d’élever leurs
regards supplians vers celui qui frappe et qui console. Ils invoquèrent
le ciel, par l’entremise de leurs saints patrons dont les restes vénérés
suivis de la foule du peuple, traversèrent plusieurs quartiers de
la ville. Le ciel ne fut point sourd à leurs prières: on vit
dès ce jour même le calme et la confiance renaître dans
tous les cœurs. Le mal diminua par degrés, et bientôt il disparut
entièrement du sein de la vallée, où son apparition
subite au milieu du printemps avait semé l’épouvante et l’horreur.
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Cholérique dessiné d’après nature par un médecin
allemand en 1832.
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Étampes, aujourd’hui plus qu’autrefois encore
cité commerçante et industrielle, poursuit en paix le cours
de ses destinées. Son genre spécial de commerce qui fait
toujours sa force et sa richesse, lui donne un degré d’importance
qu’à raison de son peu d’étendue, elle ne devait guère
espérer d’atteindre. Cette ville, non moins que ses sœurs Corbeil
et Pontoise, est de nos jours l’une des nourrices fécondes qui distribuent
chaque année la vie matérielle au grand corps de la capitale.
Des inventions [p.149] ingénieuses, des
améliorations utiles dues à plusieurs habitans de la contrée
ont depuis quelque temps donné un nouvel essor au commerce des grains,
et porté la fabrication des farines à un degré de
perfection inconnu jusqu’à nos jours. Plus de 40 moulins importans,
situés aujourd’hui sur le territoire d’Étampes ou dans ses
vallées, sont mus par les eaux puissantes de la Juine ou de ses affluens;
beaucoup d’entre eux sont montés d’après le procédé
dit anglais, dont le type principal consiste dans des engrenages métalliques
extrêmement remarquables par la force et la précision qu’ils
impriment à tous les mouvements. Les plus beaux de ces moulins sont
sans contredit ceux de Pierrebrou près Etréchy (à
M. Béchu), et de Vaux près Auvers (à M. le comte Perregaux).
Outre la perfection de leurs machines, leur aspect extérieur est
vraiment monumental et s’embellit d’ailleurs de toute la fraîcheur
du paysage dans lequel ils sont placés.
Le premier qui ait importé
en France le procédé des moulins anglais est, dit-on, un
commerçant originaire d’Étampes, qui en avait fait l’essai
à Saint-Quentin (Aisne), où il avait transporté son
industrie (M. Gérosme). Il fit part de ses avantages à l’un
de ses parens (M. Chevallier), qui étant accouru sur les lieux pour
s’en convaincre, revint à Étampes plein de l’ambition de
les obtenir pour lui-même, en imitant les procédés
qu’il venait d’admirer. Ces procédés se répandirent
avec rapidité dans tout le commerce de la ville, et plus tard dans
celui des contrées voisines. Mais les industriels d’Étampes
revendiquent l’honneur de la plus grande partie des améliorations
et des perfectionnemens obtenus, qui ont laissé bien loin, [p.150] selon eux, les procédés originairement
importés d’Angleterre.
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Sous
l’administration des magistrats éclairés qui régissent
aujourd’hui cette ville, sa prospérité ne peut manquer de
s’accroître; un jeune sous-préfet (1)
et un maire blanchi dans le métier des armes (2), rivalisent de zèle et de dévouement
pour les intérêts de la cité. M. le maire ne néglige
rien pour continuer les utiles travaux entrepris par ses honorables prédécesseurs:
parmi les créations nouvelles que la ville d’Étampes va devoir
à ses louables efforts, on peut citer déjà un magnifique
abattoir, qu’on se prépare à construire dans un des faubourgs,
et qui, sous le rapport du bon ordre et de la salubrité publique,
ne sera pas un des moindres bienfaits que la ville pouvait espérer
de la sollicitude de ses administrateurs.
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(1)
M. Edouard Bocher, auditeur au conseil-d’État.
(2) M. le colonel Cresté.
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Ici devrait, ce semble, s’arrêter notre tâche. A
l’aide de recherches nombreuses et quelquefois pénibles, nous avons
pu dérouler le fil souvent embrouillé, et confus des annales
de la ville d’Étampes. Autant qu’il a été donné
à nos faibles forces, nous avons recueilli avec soin toutes les
traditions et tous les souvenirs qui se rattachent à l’histoire
de cette cité. Nous avons aussi consigné dans cet ouvrage
quelques détails sur ses principaux monumens, soit qu’ils aient
disparu du sol, soit qu’ils ornent encore les places ou les rues de ses
divers quartiers: [p.151] mais un dernier devoir
nous reste à remplir. Étampes, comme la plupart des villes,
compte plusieurs personnages remarquables qui ont pris naissance dans son
sein. Il est juste de leur payer un tribut d’hommages et de reconnaissance,
en retraçant une esquisse des principales actions qui recommandent
leur mémoire. C’est à cette douce tâche que va être
consacré le dernier chapitre de nos Essais historiques.
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Chapitre XXII: Jacques-Guillaume Simonneau, maire d’Étampes. —
Étampes au XIXe siècle. —
Choléra. — Les meuniers
étampois. — Conclusion. — Note VI: Conseil municipal
en 1837. — magistrats.
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NOTE VI.
A la désignation des Magistrats qui, sous
le titre de Maires, Échevins, Adjoints, etc., etc., ont rempli depuis
un temps reculé jusqu’à nos jours, les fonctions municipales
à Étampes, nous joignons celle des Membres du Conseil qui complète
en 1837 l’administration de la cité
CONSEIL
MUNICIPAL
MM. Angiboust. — Boivin-Chevallier.
— Brichard, adjoint. — Chevallier-Gérosme.
— Cresté, maire. — Delanoue,
adjoint. — Doucet. — Drot. — Duverger
(Henri). —
Gabaille, procureur du roi. — Grandmaison
(Aug.te). —
Grattery, juge. — Gresland.
—
Hamouy (Marc-Ant.e) — Hamouy (Jean-Bapt.e).
— Huet (Théodore). — Millocheau
(Mathurin-Laurent). — Pommeret des
Varennes (Albin). — Poteau. — Sergent
(Charles), juge. — Sergent-Genet.
— Venard (Narcisse). — Voizot, commandant
de la garde nationale. [p. 240 (non paginée)]
Fonctionnaires
de l’ordre judiciaire, en 1837, à Étampes.
TRIBUNAL DE PREMIÈRE
INSTANCE.
MM. Hénin de Chérel, président.
— Sergent (Ch.es), Grattery, juges. — Roger (Félix),
Haüer, suppléans. — Gabaille,
procureur du roi. — Tarbé, substitut. — Diet, greffier.
JUSTICE DE PAIX.
MM. Chartrain, juge de paix. — Chenain,
greffier.
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* Cette note n’apparaît semble-t-il que dans certains
exemplaires. (B.G.)
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Chapitre XXII: Jacques-Guillaume Simonneau, maire d’Étampes. —
Étampes au XIXe siècle. —
Choléra. — Les meuniers
étampois. — Conclusion. — Note VI: Conseil municipal
en 1837. — magistrats.
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BIBLIOGRAPHIE
Éditions
Clément-Melchior-Justin-Maxime
FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND),
«Chapitre vingt-deuxième», «Note
V», , in ID., Essais historiques sur la ville d’Étampes
(Seine-et-Oise), avec des notes et des pièces justificatives,
par Maxime de Mont-Rond [2 tomes reliés en 1 vol. in-8°;
planches»], Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 2 (1837), pp. 143-151
& 239-240.
Réédition
numérique illustrée en mode texte: François BESSE, Bernard MÉTIVIER
& Bernard GINESTE [éd.], «Maxime
de Montrond: Essais historiques sur la ville d’Étampes
(1836-1837)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-montrond.html,
2012.
Réédition numérique de ce chapitre: Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE
[éd.], «Maxime de Montrond:
Étampes de 1774 à 1837 (1837)» [édition
numérique illustrée en mode texte], in Corpus
Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-montrond1836chapitre22.html,
2012.
Sources
utilisées par l’auteur
Registre des délibérations municipales d’Étampes
Conservé
aux Archives municipales d’Étampes.
Antiquitez d’Estampes de Fleureau
Dom
Basile FLEUREAU (religieux barnabite, 1612-1674),
Les Antiquitez de la ville, et du Duché d’Estampes avec
l’histoire de l’abbaye de Morigny et plusieurs remarques
considerables, qui regardent l’Histoire generale de France
[in-4°; XIV+622+VIII p. (N.B: les pages 121-128 sont numérotées
par erreur 127-134); publication posthume par Dom Remy de Montmeslier
d’un texte rédigé en réalité entre
1662 & 1668], Paris, J.-B. Coignard, 1683.—
Réédition numérique
en ligne: Bernard GINESTE
[éd.], «Dom Fleureau: Les Antiquitez d’Estampes
(1668)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-fleureau.html,
2001-2012.
Meyserey
Guillaume MAHIEU DE MEYSEREY (médecin ordinaire du
roi), «Au sujet
des maladies qui ont régné à Étampes pendant
l’hiver de 1753 et au commencement du printemps de 1754», in Journal de médecine
1 (octobre 1754), pp. 262-268.
Toute critique, correction ou contribution
sera la bienvenue. Any criticism or contribution
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