VII. Les
monuments d’Étampes
Le Château.
— La Tour du Petit-Saint-Mard. — Notre-Dame.— Saint-Basile.—
Saint-Gilles.— Saint-Martin.— L’Hôtel
de Ville.— L’Hôtel Saint-Yon.— L’Hôtel Anne de Pisseleu.— L’Hôtel Diane de Poitiers.— Le Musée.— Vieilles maisons.—
Caves.
LE CHÂTEAU
La tour ruinée (fig. 6) dont le vieux nom Guinette vient de guigner,
guetter, n’est plus qu’un reste d’un important donjon roman, qui n’était
lui-même qu’une partie d’un vaste ensemble fortifié. On en
connaît plusieurs représentations peintes ou gravées,
de diverses époques, dont la plus ancienne est une miniature des
Très riches Heures du duc de Berry, exécutée vers
1410. Jointes à une description de Fleureau qui s’appuie sur un
procès-verbal de 1543, elles nous donnent quelque idée de
ce qu’était cette forteresse. Entourée de fossés
de tous côtés, elle comprenait d’abord un premier mur d’enceinte,
se raccordant plus bas à celui de la ville, et dans lequel s’ouvraient
deux portes fortifiées; une seconde muraille, flanquée de
tourelles et d’une chapelle dédiée à Saint Laurent,
enfermait trois grands corps de logis, plu sieurs bâtiments de service,
un puits couvert, une plateforme qui servait à la défense
et enfin le donjon, protégé lui-même par un mur ou
chemise carrée de deux mètres d’épaisseur dont les
soubassements existent encore et qui était muni de quatre tours
d’angle. Le donjon d’Étampes présente une forme originale
ce sont quatre tours demi-cylindriques dont l’ensemble figure un quatre-feuilles,
motif harmonieux, très fréquent au moyen âge dans l’architecture
ornementale. Cette nouvelle conception remonte au milieu du XIIe siècle,
après qu’on eut reconnu les inconvénients des donjons rectangulaires
ou [p.102] simplement cylindriques,
mais elle demeura exceptionnelle puis qu’on ne retrouve ce plan que dans
un donjon de la Nièvre, à Langeron, et à Rhodes, où
il fut reproduit plus tard, au XIVe ou au XVe siècle. Pour assurer
un meilleur flanquement aux donjons, on construisit de préférence
une tour centrale cylindrique ou carrée munie de quatre tourelles,
forme moins heureuse que celle de notre donjon d’Étampes. Après
avoir franchi la porte fortifiée de son enceinte, on y pénétrait
par une chaussée diagonale, sur laquelle s’abaissait un pont-levis,
qui aboutissait à une poterne ouverte entre la convexité
des tours, un peu au-dessous du premier étage. On accédait
ainsi à un petit vestibule situé à mi-étage,
d’où partait à droite et à gauche un escalier voûté
en berceau, pris dans l’épaisseur du mur, celle-ci dépassant
quatre mètres. Par les degrés de gauche, on descendait dans
la cave, faiblement éclairée par d’étroites ouvertures,
où se trouvaient un puits et une fosse de latrines. Elle n’était
pas voûtée, comme l’a cru Viollet-le-Duc, mais recouverte
d’un plafond de bois dont les poutres reposaient sur une colonne centrale
qui montait jusqu’au deuxième étage. A droite du vestibule
de la poterne, on montait en quelques marches au premier étage. Ainsi
l’assaillant, qui entrait brusquement par la poterne et se dirigeait naturellement
en avant, tombait d’une hauteur d’au moins quatre mètres sur le sol
de la cave, d’autant plus facilement que les défenseurs pouvaient
se dissimuler sur les degrés de droite et le pousser vers cette fosse.
Le premier étage comprenait une salle de dix mètres de hauteur,
éclairée par quatre longues fenêtres; d’abord couverte
d’un plancher comme la cave, au XIIe siècle, elle fut voûtée
en pierre par huit branches d’ogives retombant sur la pile centrale, au
milieu du XIIIe siècle; c’est de là qu’on tirait l’eau du puits
dont la cage s’élevait jusque dans cette salle. Un petit corps de
garde, juste au-dessus du vestibule de la poterne, permettait au moyen d’un
escalier à vis d’accéder au second étage, qui avait
treize mètres de hauteur; cette salle devait servir d’habitation au
commandant de la garnison; éclairée par des fenêtres
à larges embrasures intérieures, elle était lambrissée
et contenait deux grandes cheminées et des latrines. Quatre colonnes
engagées sont ornées de chapiteaux à feuilles plates,
à volutes et à tailloirs garnis de rinceaux ou moulurés.
Elles portent de forts arcs doubleaux diagonaux qui se recoupent comme des
ogives sans voûtains: disposition très remarquable pour l’époque
et qu’on ne connaît qu’à Étampes. Ces arcs étaient
destinés à soutenir le plancher du troisième étage:
en effet, ce dernier étage, étant uniquement consacré
à la défense, avait à supporter la charge des projectiles
amassés et des défenseurs, outre celle du comble central.
Entre le deuxième et le troisième étage, on avait établi,
dans les quatre lobes du quatre-feuilles, des sortes de tribunes dont les
poutres et les corbeaux existent encore: on y descendait par des échelles [p.103] passant à travers
le plancher du troisième étage et ainsi, le commandant, se
tenant dans la grande salle, pouvait être vite averti de ce qui se
passait au dehors, envoyer des défenseurs aux créneaux et leur
transmettre facilement ses ordres. Le troisième étage, auquel
on accédait par le prolongement de l’escalier en vis, était
crénelé et pouvait être garni de hourds ou machicoulis
de bois, en temps de siège. Enfin, il était surmonté
d’une échauguette très élevée. Le comble était
composé d’un pavillon central carré et de croupes coniques
au-dessus des demi-tours. Si les dispositions intérieures en vue de
la défense étaient fort ingénieuses, d’autre part, la
construction est excellente la base de la tour, les pieds droits des fenêtres,
les arcs et les piles sont en pierre de taille, un calcaire dur, et le reste
de la maçonnerie est un moellon, lié par un mortier très
résistant. Les sculptures des chapiteaux permettent d’assigner comme
date à notre donjon le second quart ou le milieu du XIIe siècle.
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LA
TOUR DU PETIT SAINT-MARD
Infiniment plus modeste que la belle tour de Guinette, en partie masquée
par des maisons et par cela même fort peu connue, cette tour mutilée
offre cependant un réel intérêt parce qu’elle nous
prouve l’existence, au XIIe siècle et peut-être même
auparavant, d’un autre ouvrage militaire destiné à la défense
d’Étampes. C’était une tour carrée de douze mètres
de côté, dont il ne subsiste que le rez-de-chaussée
et une faible partie d’un premier étage, indiqué par un retrait
de la maçonnerie sur lequel reposaient les poutres du plancher et
qu’éclairaient quatre fenêtres. Le rez-de-chaussée ne
présente aucune ouverture ancienne, ce qui montre bien qu’il s’agit
d’une construction de défense; on pénétrait dans la
tour par le premier étage au moyen d’escaliers mobiles. Les murs
ont plus de deux mètres d’épaisseur et sont bien construits,
les angles et les ouvertures soigneusement appareillés. Une seule
face en est visible pour le passant, des maisons venant s’appuyer sur les
trois autres. Aucun texte ne mentionne l’existence de cette tour, tandis
que par un diplôme de Philippe Ier, de 1071, on sait que l’église
de Saint-Mard fut donnée par lui à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire.
Ce document sur une très ancienne église, qui donna son nom
au petit hameau d’Étampes-les-vieilles et qui ne fut détruite
qu’en 1848, entraîna sans doute l’attribution souvent faite de la
tour du Petit-Saint-Mard, à un dernier reste de cette église.
Elles ne peuvent cependant pas être confondues, leur emplacement n’étant
pas le même et la tour étant bien un ouvrage militaire, remontant
peut-être à l’époque où seule existait Étampes-les-Vieilles,
destiné à la défense de la vieille ville et à
la surveillance de l’ancienne route d’Orléans par Saclas, qui s’étend
à ses pieds. [p.104]
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L’ÉGLISE
NOTRE-DAME
Nous savons que le roi Robert le Pieux,
ayant fondé la collégiale de Notre-Dame, en fit commencer
la construction, qui était encore en cours d’exécution en
l’an 1046. De cette église romane, il ne nous reste que la crypte.
Elle nous montre, puisque son plan reproduit, selon la règle, celui
du chœur, que cette première église était beaucoup
moins vaste que l’actuelle et que le chœur primitif était en hémicycle.
Elle demeura telle un siècle environ au cours du XIIe siècle,
on rebâtit en cinq campagnes successives tout le gros œuvre, on
construisit le grand portail sud en tiers-point et le clocher fut élevé
en quatre autres campagnes (fig.7). Au début du XIIIe siècle
se place la construction de la façade et du crénelage et
enfin, des remaniements peu importants furent exécutés entre
1513 et 1515. Le plan de l’édifice actuel est tout à fait
irrégulier, mais il n’y faut pas chercher de raison symbolique:
l’obliquité des murs s’explique par l’existence des rues en bordures,
qui limitèrent les agrandissements.
Ce plan comprend un narthex sous le clocher, une
courte nef à deux larges travées, deux bas-côtés,
un double transept et un chevet plat flanqué de deux collatéraux,
qui se terminent par des absidioles. Le narthex remonte à la première
reconstruction, vers 1130, mais il fut voûté d’ogives au XIIIe
siècle. Il n’est pas dans l’axe du vaisseau central à cause
de l’escalier à vis qui fut pris dans l’épaisseur du mur
de gauche, ainsi beaucoup plus considérable que celle du mur de
droite. La nef est aussi ancienne, mais ses voûtes et ses fenêtres
hautes sont modernes (1845). Depuis le XVIIe siècle, elle avait
un plafond de bois; cependant elle dut être voûtée d’arêtes
au XIIe siècle, comme le montrent l’existence des demi-colonnes
engagées au-dessus des grosses piles isolées, la similitude
des chapiteaux supérieurs et inférieurs et la répétition
des marques de tâcheron. Les bas-côtés sont également
du XIIe siècle, mais ils se terminent chacun par une chapelle du
XIIIe. Le transept fut l’objet de nombreux remaniements: la croisée,
le gros œuvre de la chapelle du Sépulcre, aujourd’hui la sacristie,
et au-dessous d’elle, la salle souterraine, ancienne cave devenue un ossuaire
au XVIe siècle, appartiennent à la première campagne
du XIIe siècle, le croisillon nord à plusieurs campagnes postérieures
et, seulement à la fin du XIIe siècle, le croisillon sud
fut reconstruit et allongé, l’hôpital devant être installé
dans le croisillon primitif jusqu’à cette époque: il faut
y noter d’abord la hardiesse des piles à seize colonnes, puis, des
croix de consécration, répétées dans le chœur
et l’autre croisillon, qui sont peintes, avec une curieuse figure d’apôtre,
au centre de médaillons. Ces croix ont été très
rarement conservées dans les églises; celles-ci doivent remonter
à la fin du XIVe siècle. Enfin, la chapelle du Sépulcre,
où l’on pénètre par une porte en anse de panier, fut
transformée au [p.105] XVIe
siècle. Le chœur roman en hémicycle fut remplacé vers
1150 par un chevet plat à trois travées, ou l’architecte employa
pour la première fois à Notre-Dame des croisées d’ogives.
L’arc de la première travée s’élève aussi haut
que celui des croisillons, constituant ainsi un second transept. Le chevet
est éclairé par deux rangs de fenêtres superposées;
les inférieures sont en plein cintre et celle du centre forme une niche
destinée à encadrer l’autel, comme dans plusieurs églises
du Soissonnais. Les baies supérieures sont en tiers-point, mais d’autres
exemples, encore dans le Soissonnais, prouvent qu’il n’y faut pas voir une
différence d’époque. Le chœur reçut en suite des agrandissements,
sous forme de bas-côtés doubles, d’abord au nord, comme le montrent
le gros boudin des ogives et le style de trois belles clefs de voûtes,
ornées de quatre rois et de huit anges aux ailes éployées
ou repliées ces derniers sont assez étroitement apparentés
aux anges sculptés dans les écoinçons du portail sud
pour qu’on puisse attribuer les uns et les autres à la même
campagne. Dans le mur oblique du nord, s’ouvrent deux grandes fenêtres
en plein cintre du XIIe siècle, dont l’une, au remplage du XVIe,
con tient un beau vitrail de la Renaissance représentant les douze
Sybilles assises sur un arbre de Jessé. Le double collatéral
du chœur au sud fut ajouté ensuite et par un architecte plus habile
que celui du collatéral nord.
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Le grand portail méridional fut plaqué après coup,
au plus tôt vers 1150, contre la seconde travée du bas côté
sud. A cette époque, le croisillon sud du transept n’avait pas
encore été allongé et son fond ne dépassait
pas l’alignement du mur du bas-côté sud: ainsi, le portail
faisait saillie de chaque côté et n’avait pas comme aujourd’hui,
son jambage droit collé sur le transept. L’architecte du croisillon
sud fut obligé de creuser une niche en plein cintre dans le mur
occidental du transept pour éviter de masquer l’aile de l’ange qui
orne l’écoinçon. Ceci montre que le portail ne peut pas provenir,
comme il a été dit, de la façade occidentale rebâtie
au XIIIe siècle, d’où il aurait été démonté
et replacé au sud. Cet admirable portail peut être attribué
aux sculpteurs chartrains des portes occidentales de la cathédrale:
mais il dut être exécuté un peu plus tard que celles-ci.
On retrouve à Étampes, outre les feuilles d’acanthe, des
tauloirs et les oves des socles, les vêtements plissés, les
pourpoints ajustés et brodés des grands personnages, les
ceintures et les longues nattes de cheveux des femmes. On sait que ces
statues ont été décapitées en 1562, pendant
les guerres de religion, crime à jamais irréparable. Les
imagiers ont représenté sur les chapiteaux l’Annonciation,
la Visitation, la Nativité, l’Adoration des Mages, l’entrée
du Christ à Jérusalem, la Cène. Au tympan, le Christ
se tient debout entre deux anges et les douze apôtres, mutilés,
ornent le linteau. Des vieillards de l’Apocalypse, assis et tenant des vases
et des [p.107] instruments de
musique, emplissent les voussures. Toutes les sculptures étaient
polychromées.
Le clocher comprend deux étages percés
sur chaque face de baies géminées en plein cintre, par où
se répand au loin le son des cloches les angles sont garnis de colonnettes
qui adoucissent les arêtes. La base octogonale de la flèche
fut elle-même ajourée de quatre baies surmontées d’un
gable, mais un dernier architecte modifia le plan de son prédécesseur.
Voulant surélever la flèche, qui risquait ainsi d’être
trop lourde, il l’allégea par des lucarnes qui coupent le gable
des baies inférieures: en même temps, il suréleva d’un
troisième rang d’arcatures les clochetons hexagones des angles, nécessaires
à la solidité de la construction parce qu’ils pèsent
de tout leur poids sur les trompes et en assurent la fixité. Cette
nécessité de construction fut ainsi transformée par
un habile maître d’œuvre en un élément décoratif
d’une grâce incomparable et qui est unique en son genre. II put alors
monter sa haute flèche de pierre à huit pans, ornée
d’écailles en dents de scie, plus élégante encore que
celle du Clocher Vieux de Chartres et de tous les clochers romans d’Ile de
France. Autant par sa beauté que par son caractère de transition
entre le XIIe et le XIIIe siècle, la flèche de Notre-Dame fait
d’Étampes une ville d’élection pour tous les amateurs d’art.
Au début du XIIIe siècle, une
façade gothique à trois portes fut plaquée obliquement
sur le clocher-porche roman. En même temps, on fortifia l’église,
en surélevant les murs et les voûtes des absidioles nord et
l’on établit un chemin de ronde crénelé, après
avoir modifié les toitures des chapelles du sud. La date de cette
fortification se déduit de la liaison des créneaux avec le
mur de façade et des motifs en perles semblables qui décorent
un créneau d’angle du croisillon nord et le portail central de la
façade. C’est donc à tort que le crénelage fut attribué
à l’époque de la guerre de Cent Ans: on ne dut alors qu’entourer
l’église de fossés.
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L’ÉGLISE
SAINT-BASILE
Fondée au XIe siècle par Robert le Pieux comme succursale
de Notre-Dame, cette église primitive n’a laissé aucun vestige.
Des reconstructions du XIIe siècle, il subsiste la façade,
le transept et le clocher central (fig.2). Le beau portail en plein cintre
de la façade a été maheureusement beaucoup trop restauré:
ses six colonnettes avec leurs chapiteaux sont modernes, ainsi que les
anges en terre cuite de la première voussure. Le tympan en forme
de croissant, sur lequel est représentée la pesée
des âmes, surmonte deux rangs de chevrons continus. Ce portail,
où l’on retrouve une influence bourguignonne, était semblable
à celui de la façade romane de la cathédrale d’Orléans,
qui fut détruite au XVIIIe siècle. La nef est du XVe siècle,
ainsi que [p.107] les
bas-côtés, puis, celui du sud fut agrandi au XVIe siècle
par des chapelles latérales, dont la décoration extérieure,
pilastres et chapiteaux corinthiens, accusent le style Renaissance. Les
arcs-boutants s’en foncent dans la toiture des bas-côtés.
Les piles de la croisée du transept sont du XIIe siècle, mais
la voûte d’ogives est du XVe, ainsi que les fenêtres nord et
sud du transept. Un ancien portail flamboyant du croisillon sud est précédé
d’une porte en anse de panier du XVIe siècle. Le chœur et ses collatéraux,
qui se terminent par un mur droit, sont du XVe siècle, mais les
arcades en tiers-point de ses deux travées peuvent être attribuées
au XIIe. A l’est, un beau vitrail à meneaux du XVIe siècle
représente Saint-Basile. Le clocher fut construit vers le milieu
du XIIe siècle: il est ajouré sur chaque face par deux baies
en tiers point recoupées par une colonnette qui sépare deux
petites arcades. Les travaux du XVIe siècle furent interrompus en
1559, comme en témoigne l’inscription du chevet Faxit Deus perficiar
(Dieu fasse que je sois achevée!) ce vœu, qui devait s’appliquer à
la construction d’un collatéral autour du chœur, ne fut point réalisé.
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L’ÉGLISE
SAINT-GILLES
Nous avons dit que la fondation de Saint-Gilles suivit de près
la charte de Louis VI, en 1123, qui accordait des privilèges à
tous ceux qui viendraient habiter le quartier du nouveau marché.
Cette église romane fut reconstruite au XVe siècle, mais il
en subsiste la façade, où s’ouvre un portail sans tympan,
encadré d’un boudin continu et de quatre colonnettes, les arcades
et les fenêtres de la nef et enfin la croisée du transept,
aux piles cruciformes. Au XIIIe siècle, on bâtit le clocher:
ajouré sur chaque face par deux baies en tiers point, il est surmonté
de quatre pignons, percés d’une baie, dont les rampants sont garnis
de masques humains et de têtes d’animaux. Ce type de toiture est d’origine
rhénane et il fut souvent adopté au XIIIe siècle en
Champagne et en Ile-de-France. Ce fut sans doute le même architecte
qu’à Saint-Basile qui dirigea la reconstruction du XVe siècle.
Il reprit la nef en sous-œuvre et remplaça les piles romanes flanquées
de deux colonnes par des piles octogones à une colonne engagée,
comme à Saint-Basile. Il voûta d’ogives la croisée du
transept et les croisillons, construisit le chœur, avec un chevet plat semblable
à celui de Saint-Basile, à grande fenêtre flamboyante,
et des collatéraux. Au XVIe siècle, l’église fut agrandie,
d’une part, d’un double bas-côté occidental, dont les colonnes
ont des chapiteaux doriques et les baies, deux meneaux et des réseaux
Renaissance. D’autre part, des chapelles latérales furent ajoutées
au bas-côté oriental et surmontées, à l’extérieur,
de pignons, dont la répétition n’est pas d’un heureux effet.
L’église renferme vingt-deux pierres tombales, de marchands, d’officiers
du roi, la plupart du XVIIe siècle. [p.108]
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L’ÉGLISE
SAINT-MARTIN
Nous avons vu que la première
église d’Étampes, située dans la vieille ville, fut
probablement dédiée à Saint-Martin. Mais il n’est
pas demeuré trace de cette église mérovingienne et
nous n’avons pas non plus, contrairement à ce qui a été
dit par des historiens mal informés, un seul témoin de la
collégiale romane du XIe siècle, qui fut concédée
en 1106 par le roi Philippe Ier à l’abbaye de Morigny. Cette donation
ouvrit un violent conflit entre les religieux et les chanoines, qui chassèrent
en 1112 l’abbé de Morigny venu pour célébrer la messe
le jour de la fête de Saint-Martin. La reconstruction de l’église
ne fut entreprise qu’après l’apaisement de cette lutte, vers 1140,
le pape ayant confirmé la donation royale aux moines de Morigny.
Mais l’édifice n’était pas totalement terminé en 1213,
date à laquelle est prévue la construction d’une nouvelle
travée de la nef dans un règlement entre le curé et
l’abbé de Morigny. L’église ne fut consacrée qu’en 1526
et le clocher-porche ne fut achevé qu’après cette date. La
façade est moderne. Le plan se compose d’une nef et de deux bas-côtés
à quatre travées, d’un transept non saillant et d’un chœur
en hémicycle, encadré d’un collatéral qui en fait le
tour, c’est-à-dire d’une carole et non d’un déambulatoire,
mot impropre, sur laquelle s’ouvre trois chapelles rayonnantes très
profondes. La plus grande partie de l’église remonte au troisième
quart du XIIe siècle. Dans la nef, seules les deux premières
travées sont postérieures à 1213; les trois premières
voûtes d’ogives des bas-côtés appartiennent sans doute
au début du XIIIe siècle, ainsi que les voûtes du transept
et du chœur. Mais la troisième et la quatrième travée
de la nef et la quatrième voûte des bas-côtés sont
bien primitives. Les dernières voûtes de la nef s’étant
effondrées par suite de l’écartement des murs, elles furent
remplacées par une ossature en bois. Le chœur se compose de deux
premières travées droites, suivies, dans l’hémicycle,
de dix arcades en tiers point où de grosses piles cylindriques de
0 m. 95 de diamètre alternent avec des colonnes jumelles. Cette alternance,
dans une carole, est très rare, comme le nombre pair des arcades,
qui entraîne la présence d’une pile dans l’axe, mais l’une et
l’autre de ces dispositions se retrouvent dans la belle église de
Morienval (Oise). Les colonnes jumelles dénotent une influence champenoise.
La largeur de la carole correspondant à celle des bas-côtés
est également exceptionnelle, comme les irrégularités
de mesures des chapelles rayonnantes, des fenêtres, de la distance
des colonnes du chœur. Enfin, les voûtes de la carole offrent beaucoup
d’intérêt: dans les triangles qui séparent chaque voûte
d’ogives, l’architecte lança deux ou trois arcs doubleaux partant
de la même colonne isolée et rayonnant vers le mur extérieur.
Ce système d’origine champenoise, appliqué à Chalons-sur-Marne
et à Saint-Remi de Reims, inspira la voûte de la double carole
de Notre-Dme de [p.109] Paris.
Il est possible que l’architecte de Paris ait étudié Saint-Martin
d’Étampes. Enfin, il faut signaler que le profil très rare
de ces arcs doubleaux, une arête entre deux tores, se retrouve dans
l’église abbatiale de Saint-Germer: or c’est une colonie de moines
de Saint-Germer qui fonda l’abbaye de Morigny. Celle-ci possédant
l’église de Saint-Martin au moment de sa reconstruction a pu s’inspirer
de l’église-mère. Les arcs-boutants de la nef et de l’abside
furent ajoutés au XIIIe siècle. Enfin le clocher-porche remplaça
en 1537 une tour latérale du XIVe siècle; il était
complètement isolé avant la construction de la façade
moderne. Sa forte inclinaison (fig. 8) provient de l’affaissement du sol,
très peu solide en raison de sa constitution: un tuf calcaire criblé
de trous, parce qu’il s’est déposé autour des roseaux de l’ancien
marais quaternaire. L’écartement des murs de la nef qui recommence
à se manifester vient sans doute de la même cause, menace fort
inquiétante quand il s’agit d’une église d’une si grande valeur
archéologique.
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L’HÔTEL
DE VILLE, LES VIEILLES MAISONS, LE MUSÉE
Nous avons vu que l’Hôtel de Ville fut non bâti, mais
acheté en 1514. Sa construction doit remonter au moins en partie
à la fin du XVe siècle. La tour pentagonale était
alors engagée dans un autre bâtiment du Carrefour doré,
ancien nom de la place. C’est un élégant édifice qui
a été assez heureusement restauré au XIXe siècle
par Auguste Magne (fig. 3). La façade terminée par un pignon
à double rampant est couronnée de jolies tourelles en encorbellement.
La porte, les fenêtres et le balcon sont de style flamboyant.
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L’hôtel Saint-Yon, rue de la Tannerie, divisé
à l’époque moderne en plusieurs maisons, fut jadis une importante
demeure. Il tire son nom de la famille des Saint-Yon, originaires des environs
d’Étampes, qui dès le XIIe siècle étaient à
la tête de la puissante corporation des bouchers de Paris et qui devinrent
possesseurs de cet hôtel à une date indéterminée,
probablement parce qu’ils furent concessionnaires des boucheries étampoises
établies en face par Philippe-Auguste. Une partie très ancienne
de l’hôtel, où se trouvent de courtes colonnes à chapiteaux
très sobres et qui donne sur la rivière canalisée,
peut, en effet, avoir été, par cette disposition une dépendance
de la boucherie. Le reste est un bel ensemble de la fin du XVe siècle
et de la Renaissance. (fig. 4) Il se compose d’un bâtiment à
deux ailes, dont l’une, à grand pignon décoré de
crochets, sur la cour, offre des lucarnes et des balustrades très
ornées, en partie restaurées, et une jolie porte aux panneaux
plissés. Deux hautes tourelles d’escalier à pans coupés,
s’élèvent aux angles; une seule a conservé ses fenêtres
et sa porte, d’un [p.110] bon
style. L’intérieur possède encore quelques ornementations
du XVIe siècle.
L’hôtel d’Anne
de Pisseleu est un charmant spécimen de l’architecture du XVIe
siècle. La façade flanquée d’une échauguette
est couronnée d’une frise à guirlandes. Les fenêtres s’ouvrent
entre des colonnettes et sont encadrées de gracieux rinceaux; l’une
d’elles porte un petit cartouche où la date 1538 est gravée.
Le linteau de la porte d’entrée est décoré d’une ronde
de génies, celui d’une autre porte, de griffons enlacés de
rinceaux: au-dessus, un buste mutilé peut représenter François
Ier. Les deux lucarnes sont mal heureusement très altérées.
Une seconde cour montre un bâtiment sans décoration, avec une
tour pentagonale, vraisemblablement plus ancien, A l’intérieur,
on trouve encore une porte très ornée, mais avec moins de
goût et une belle cheminée. Comme pour l’Hôtel Saint-Yon,
on peut déplorer que ces beaux témoins du passé n’aient
pas été acquis par une administration qui aurait la mission
de les préserver des injures du temps et des hommes.
L’Hôtel de
Diane de Poitiers nous offre un autre spécimen assez différent
et d’autant plus intéressant de l’architecture du XVIe siècle.
(fig. 1) Il est de 1554 et fut sans doute construit et décoré
par Jean Goujon dont, nous l’avons dit, la présence à Étampes
est prouvée à cette date. Il a été restauré
avec goût. La façade d’un bon style, montre une grande porte
cintrée surmontée d’un fronton, des fenêtres et des
lucarnes sobrement ornées. Cà et là, on voit les armoiries
de France, celles de Diane de Poitiers, son emblème et les lettres
D et H. Un corps de bâtiment dans la cour est plus richement décoré.
La porte de droite est charmante dans ses proportions comme dans ses ornements;
elle est encadrée de colonnes cannelées aux chapiteaux corinthiens
et son tympan représente la descente du Saint-Esprit. Sur les lucarnes,
d’une moins heureuse exécution, sont sculptés des sphinx,
des génies tenant des guirlandes et des soldats romains appuyés
sur des boucliers. Il est possible que Jean Goujon n’ait pu achever lui-même
son œuvre puisqu’il fut emprisonné à Étampes pour
une raison inconnue.
Le Musée est installé
dans ce joli cadre depuis 1888. Il possède d’assez nombreux spécimens
archéologiques, ethnographiques et artistiques, reclassés
et étiquetés récemment, et dont une partie importante
est relative à l’histoire d’Étampes et des environs. Nous
relèverons seulement les pièces principales: moulages paléolithiques,
industrie néolithique de la région, bracelets de bronze d’Auvers-Saint-Georges,
nombreux témoins de l’époque gallo-romaine, dont une belle
mosaïque et des carrelages en marbre d’une villa de Souzy-la-Briche,
armes du Moyen-Age, de la Renaissance, [p.111]
du XVIIe siècle, dont quelques-unes proviennent
du Château. Parmi les fragments de sculpture, outre le linteau du
portail roman de l’église Saint-Pierre, se trouve la pièce
la plus remarquable de notre Musée: une très belle tête
de roi, du XIIe siècle. Dans la collection de peinture, l’œuvre de
Narcisse Berchère est représentée par des toiles caractéristiques
de son talent d’orientaliste et une série d’aquarelles régionales,
d’autant plus précieuses qu’elles nous apportent une image fidèle
de vieilles demeures disparues ou qui disparaîtront bientôt.
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Nous signalerons encore deux nobles hôtels du XVIIe siècle
dans la rue de la Juiverie, d’autres, rue des Cordeliers, enfin çà
et là, quelques vestiges pittoresques d’architecture ancienne: les
vieux piliers du XIIIe siècle, de la place Saint-Gilles et l’arcade
voisine, plus récente, la porte de la gendarmerie, seul reste, avec
quelques contreforts et la salle du Tribunal, de la vaste demeure royale,
dite le palais du Séjour, le beau portail à deux baies du
prieuré de St-Pierre, de gracieuses tourelles dans la rue Saint-Jacques,
la rue Darnatal, à l’ancienne auberge de l’Arche de Noé, d’autres
anciennes auberges sur «le chemin de Saint-Jacques», qui ont
encore de grandes cours encadrées de vieux bâtiments aux longs
rampants, la porte et les restes de la chapelle des Mathurins, rue Saint-Martin,
enfin, les derniers restes de la puissante enceinte médiévale:
le bastion des Portereaux (fig. 9), la tour du Loup, la tourelle
de Jean-le-Bâtard.
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Le sous-sol d’Étampes offre lui-même un objet d’admiration
et d’étude. Il renferme, en effet, un grand nombre de caves, près
d’une cinquantaine, dont plusieurs sont des modèles d’architecture.
Elles ont naturellement inspiré des légendes, mais il est
bien certain qu’elles furent simplement des caves, utilisées sans
doute comme refuges en temps de troubles, mais, si même elles ont
pu favoriser des sorties d’assiégés, elles n’ont pas été
établies pour cela et ne constituèrent ni des souterrains
conduisant au Château, ce qui eût été à
l’encontre des intérêts de la défense, ni des lieux
de réunions occultes des Juifs. Elles sont construites avec beaucoup
de soin et même d’art, parce que telles étaient les habitudes
anciennes. Quelques-unes remontent au XIXe siècle. Plusieurs ont
deux étages, d’autres renferment un puits. Les plus remarquables
ont des voûtes en berceau ou en ogive, qui retombent sur des colonnes
centrales et des piles engagées aux chapiteaux richement ornés,
notamment de grappes de raisin, pittoresque adaptation au but principal
de la cave. Ce sont d’abord évidemment les caves d’anciens bâtiments
importants, comme le collège des Barnabites, l’Hôtel de ville,
le palais du Séjour, le couvent des Mathurins, le [p.112] couvent des Cordeliers,
le prieuré de Saint-Pierre. Mais bien d’autres, rue Saint-Jacques,
rue des Cordeliers, rue Sainte-Croix, place de l’Hôtel-de-Ville, place
Notre-Dame, s’étendent sous d’anciennes auberges ou de simples maisons,
caves de marchands et aussi peut-être de tisserands, corporation jadis
importante à Étampes, l’atmosphère humide des caves étant
favorable au tissage des toiles. Toutes méritent d’être conservées
comme une des curiosités de notre ville.
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