VI. La Révolution
et le XIXe siècle
La grande espérance.—
L’assemblée des trois ordres et la rédaction des cahiers.— La première rosière.— La fête de la Fédération.— Le District d’Étampes et l’activité révolutionnaire.—
Le Journal d’Étampes.— L’assassinat de Simonneau et son retentissement.—
La Terreur à Étampes.— Le 9 thermidor.— L’Empire.—
Les Cosaques à Étampes.— Passage de la duchesse de Berry.— Le choléra.— Le chemin
de fer.— Geoffroy-Saint-Hilaire.— La guerre de 1870.
Nous voici parvenus
à la Révolution. Dans Étampes comme dans presque toutes
les petites villes du royaume, elle n’éclata pas brutalement, au
milieu des désordres et des haines, mais bien au contraire, elle
était attendue comme une rénovation nécessaire et elle
s’ouvrit dans une atmosphère d’espérance, de concorde et de
bonne volonté pour le travail à accomplir. Un bouleversement
constitutionnel n’y était même pas envisagé la monarchie
restait profondément associée à l’œuvre de réforme
sociale qu’on allait entreprendre.
Les officiers
municipaux d’Étampes avait été renouvelés en
1787 et dès 1788, ils se préoccupent de la manière dont
seront élus les députés de notre bailliage pour la
réunion projetée des Etats généraux. Ils envoient
des vœux au roi, après les avoir fait approuver par les diverses
corporations d’Étampes. En février 1789, il prescrivent
à tous les habitants de nommer des délégués
et aux corporations de présenter par écrit «leurs doléances,
plaintes et remontrances», qui serviront ensuite à la rédaction
du «cahier» du tiers état. Le 3 mars, en vue de cette
rédaction, les délégués nomment quinze commissaires.
La municipalité recommandait aux délégués [p.86] de choisir «ceux à
qui ils reconnaîtront le plus de lumières pour les matières
qui doivent être discutées, qu’il croiront incapables de
se laisser éblouir ni par le rang, ni par des motifs d’intérêt,
en état de soutenir leurs opinions avec plus de fermeté et
en même temps avec le plus d’aménité, enfin ceux qui
seront enclins à entretenir l’union qui doit régner entre les
différents ordres de la société». Cinq jours après,
le cahier est terminé. Il est divisé en huit chapitres: administration,
liberté des personnes et des biens, tribunaux, clergé, noblesse,
tiers état, commerce et agriculture. Enfin, le 9 mars, a lieu,
dans l’église Sainte-Croix, l’assemblée générale
des trois ordres, composée de tous les membres du clergé
et de la noblesse et des délégués de toutes les paroisses
nommés par le tiers état, celui-ci étant évidemment
trop nombreux pour être convoqué en son entier. Un événement
marquant de cette séance fut que deux membres de la noblesse, le
seigneur de Granville, François-Louis-Joseph de Laborde, et Choiseau,
seigneur de Gravelles, abandonnant leur ordre, se présentèrent
comme délégués du tiers. Ils étaient donc acquis
à des idées libres, comme bien d’autres gentilshommes instruits
à cette époque, et guidés par une pensée généreuse
et le désir de mieux travailler aux réformes nécessaires.
Cependant, ils furent mal compris et M. de Laborde, en particulier, fut
l’objet des jalousies et des attaques de certains délégués,
mais il fut soutenu par les gens de sa paroisse qui connaissaient sa valeur
et ses vrais sentiments.
Après
l’assemblée générale, qui n’avait consisté
qu’à faire l’appel de tous les membres des trois ordres, de nombreuses
séances furent tenues par chaque ordre pour procéder d’une
part, à la nomination des députés aux États
généraux qui devaient être réunis à Versailles
le 5 mai et d’autre part, à l’élaboration des cahiers. Le
22 mars, les trois ordres se réunissent de nouveau en l’église
Sainte-Croix, sous la présidence du grand bailli, le marquis de
Valori, pour la prestation du serment des députés élus
«de bien et fidèlement faire agréer au roi les remontrances,
plaintes et doléances des trois états du bail liage et de
se conformer entièrement à tout ce qui est porté au
cahier particulier de leur ordre à eux à l’instant remis».
Le
député du clergé était l’abbé Périer.
Il appartenait à une ancienne famille de commerçants d’Étampes.
Né lui-même à Étampes en 1748, il était
curé de l’église Saint-Pierre au moment de son élection.
Le
député de la noblesse était Jacques-Auguste de Poilloüe,
marquis de Saint-Mars, seigneur du Petit-Saint-Mard, né au château
du Petit-Saint-Mard en 1739. II appartenait à la vieille famille
des Poilloüe, originaire de Guyenne, mais établie à Saclas
dés le début du XIVe siècle. Ancien sous-aide-major
aux gardes françaises, il était lieutenant-colonel d’infanterie
et chevalier de Saint-Louis.
Le
tiers état avait deux députés. Le premier était
François-Louis-Joseph [p.87] de
Laborde, marquis de Méréville, né à Paris en
1761.
Il
était le fils du célèbre banquier, le marquis de Laborde,
d’origine espagnole, célèbre par sa grande fortune, mais
aussi par son inépuisable bienfaisance, qui avait acheté
le château de Méréville, où il fit des travaux
et des embellissements considérables. Le député était
garde du trésor royal et il avait une grande compétence en
matière financière. Il siègera plus tard à
la Constituante.
Le
second député du tiers était Louis Gidoin, né
en 1727, à Monnerville, où son père était receveur.
D’abord cultivateur, puis receveur lui-même de Chalou-la-Reine, il
était «bourgeois d’Étampes» au moment de son
élection.
Le
cahier de doléances établi par chaque ordre avait été
remis, nous l’avons vu, durant l’assemblée du 22 mars, au député
de l’ordre. Le cahier du clergé avait été rédigé
par des commissaires, curés de diverses paroisses d’Étampes
et des environs, avec l’aide d’autres cahiers particuliers composés
par les curés des paroisses du bailliage. Il n’existe pas d’exemplaire
du cahier général, au greffe d’Etampes. On ne le connaît
que par une copie des Archives nationales. Il demande des réformes
dans les procès, le paiement des impôts par tous en raison
de la fortune de chacun, la suppression des charges du peuple, l’amélioration
du sort des curés pauvres par des prélèvements sur
les revenus des abbayes et des bénéfices supprimés,
l’établissement de maîtres d’école dans toutes les
paroisses de deux cents feux et au-dessus, la destruction du gibier, des
colombiers, la stricte exécution des ordonnances contre l’ivrognerie.
L’ensemble est empreint de libéralisme et d’esprit de justice.
Le
cahier de la noblesse n’existe pas non plus au greffe d’Étampes et
les Archives nationales n’en possèdent même pas de copie,
mais seulement des comptes rendus de plusieurs séances où
furent examinés les cahiers particuliers et rédigé
le cahier général. Cette disparition est infiniment regrettable
pour l’histoire de notre ville. On a cependant quelques renseignements intéressants
par ces comptes rendus de séances et surtout par le cahier particulier
d’un membre de la noblesse, cousin du député, Jean-Baptiste
de Poilloüe de Saint-Mars, bien qu’il soit malheureusement demeuré
inachevé. On sait ainsi que la noblesse réclamait la suppression
des impôts multiples et leur remplacement par un impôt unique,
réparti avec le plus d’égalité possible sur tous les
sujets du roi, sans aucune exception, ni privilège, la suppression
de toutes les barrières qui, à l’intérieur du royaume,
entravent la circulation et le commerce des denrées, la liberté
de la vente et de l’achat du sel, l’unification des coutumes, poids et
mesures dans toutes les provinces du royaume, la suppression de tous colombiers
et volières de tous ceux qui n’ont pas de droit par titre d’en avoir.
En échange de sa décision de contribuer à toutes les
impositions, la noblesse demande, comme le tiers état [p.88] lui-même, que
les États généraux seuls les votent et que d’autre
part, les prérogatives purement honorifiques dont elle jouit lui soient
conservées. Mais par ailleurs, elle est prête à tous
les sacrifices justes, comme l’y a incitée le grand bailli dans un
noble appel.
Le
cahier du tiers état nous a été heureusement conservé.
Il représente une synthèse de tous les cahiers particuliers
des paroisses, — au nombre de quatre-vingt-douze — qui avaient été
rédigés auparavant dans chaque commune, comme nous l’avons
vu pour Étampes. Les rédacteurs furent rarement les habitants
eux-mêmes, mais presque toujours les officiers, tels que baillis,
procureurs et avocats du roi, prévôts, gens de loi instruits
et avertis qui avaient pré paré la substance de ces cahiers,
qu’ils soumirent ensuite à l’approbation des habitants. Beaucoup
d’entre eux se ressemblent de très près, d’abord parce que
les maux étaient partout les mêmes, puis, les paroisses voisines
se communiquèrent évidemment l’ébauche de leur rédaction,
quand elle ne fut pas l’œuvre d’un même officier. Le cahier de la
ville d’Étampes est un des plus remarquables; rédigé
en un style sobre et clair, il révèle l’esprit tout ensemble
sage, indépendant et novateur de ses commissaires, dont s’inspire
ensuite le cahier synthétique du bailliage. Les réformes suggérées
y sont exposées avec beaucoup plus de cohésion que dans les
cahiers des autres ordres, fondées sur des principes de gouvernement
et d’administration dont la vérité demeure, tels que la séparation
des pouvoirs, la réunion périodique des États généraux,
le vote par tête et non par ordre, la répartition équitable
et simplifiée des impôts, la fixité de toutes les
dépenses, la liberté individuelle, la suppression des tribunaux
d’exception et la réforme de toute la procédure, la suppression
de la vénalité des charges, des loteries, de toutes les
entraves apportées au commerce, l’extension des écoles,
etc.
Les
cahiers des trois états de notre bailliage offrent non seulement
d’étroites ressemblances, mais sont animés du même
esprit. Ils ont été composés, d’ailleurs, lors des
séances préparatoires, avec des visites renouvelées
d’un ordre à l’autre. Les idées d’union, de nation, de patrie,
d’intérêt général, de protection des travailleurs
et des malheureux, sont constamment développées dans les
discours des membres des trois ordres et nous n’avons pas le droit de penser
que cela ne représentait que des mots. Nos quatre députés
se rendirent dans cet état d’esprit aux États généraux
de Versailles, où ils rencontrèrent certainement un grand
nombre d’hommes de toutes les régions animés du même
désir de bien faire. On sait cependant que tout travail méthodique
et efficace fut rendu impossible par l’absence d’autorité, le désordre,
la difficulté même de se faire entendre, les maladresses des
uns, l’obstination des autres. Nos députés furent noyés
dans ce flot montant. Le seul qui se distingua quelque peu fut Laborde
de Méréville, mais sans résultat utile. Une vraie révolution [p.89] va suivre son cours au lieu
de la sage rénovation qu’on attendait. Elle se déroulera,
néanmoins, avec relativement peu de violences à Étampes
pendant les deux premières années. Les changements sur venus
partout dans l’administration des villes y sont naturellement introduits
et nous n’en donnerons pas un fastidieux exposé. Par ailleurs, la
vie privée quotidienne se poursuivra sans grandes modifications, mais
la misère augmente; beaucoup d’artisans sont bientôt sans travail,
la disette apparaît, en même temps que les vivres renchérissent,
ce qui amène les premiers désordres sur les marchés
en mai 1789. Des envois, à la Monnaie de Paris, d’argenterie et de
bijoux des particuliers, d’objets précieux des églises d’Étampes
et de Morigny, sont faits à plusieurs reprises dès l’année
1789 et en 1790, en exécution des décrets de l’Assemblée
nationale ou par suite de dons spontanés et patriotiques. Une Société philanthropique est fondée
en 1789 pour secourir les pauvres «les plus vertueux» et l’on
prélève sur ses fonds une somme de 4.000 fr. pour l’établissement
d’une rosière. La première fête de la rosière
d’Étampes a lieu en grande pompe le lundi de la Pentecôte 1790
et montre l’union qui régnait encore entre les diverses classes sociales.
La jeune fille est conduite à travers la ville par la baronne d’Escars,
sœur du député Laborde de Méréville, et Picart,
l’ancien maire, jusqu’à l’église Saint-Basile, où
le curé célèbre une messe solennelle en présence
des membres de la Société philanthropique et des gardes nationaux.
La quête est faite par la comtesse de Noailles, seconde sœur de Laborde
de Méréville, et par Mile de Poilloüe de Bonnevaux.
Un dîner est offert à la rosière et le soir, on danse
à l’hôtel de l’Arquebuse.
Le
14 juillet 1790, la prise de la Bastille est commémorée,
comme à Paris et dans toute la France, par la fête de la Fédération
et le serment de fidélité. Dans la matinée, les neuf
compagnies de la garde nationale, la compagnie des grenadiers et celle
des chasseurs, toutes deux créées depuis quelques jours seulement,
allèrent prendre solennellement les officiers municipaux à
l’Hôtel de ville pour se rendre en corps à Notre-Dame. Dans
l’église, étaient assemblés les curés, vicaires
et chanoines de la ville et les membres des diverses communautés,
barnabites, cordeliers, mathurins et capucins, qui n’avaient plus que si
peu de temps à demeurer à Étampes. Ils se réunirent
au cortège, qui gagna la promenade du Port; où fut célébrée
une grand’messe, sur un autel en plein air. A midi, au son de toutes les
cloches, la messe fut suspendue: les officiers municipaux et le commandant
de la maréchaussée, montant à l’autel, jurèrent
«de rester unis par les liens indissolubles d’une sainte fraternité
et de défendre jusqu’au dernier soupir la constitution de l’État,
les décrets de l’Assemblée nationale et l’autorité
légitime de nos rois». La garde nationale et tout le peuple
répétèrent, «nous le jurons» puis, la messe
fut achevée, sous la pluie et parmi des rafales de vent. Ensuite,
le cortège revint [p.90] à
Notre-Dame, où des prières furent dites pour le roi, suivies
des cris de: «Vive la nation, vive le roi!» Le soir, les édifices
publics furent illuminés, ainsi que les maisons particulières,
qui en avaient reçu l’ordre. On voit, partout le caractère
de cette fête, quel effort deconciliation était encore tenté
entre le passé et l’avenir.
En
octobre 1790, Claude Dupré, huissier à Étampes, rouvre
une imprimerie, sous le patronage du District d’Étampes, nouveau
corps de douze membres, créé depuis le mois de juin. C’est
à Dupré que sera confiée l’impression des innombrables
avertissements relatifs aux divers événements qui vont se
précipiter: fermeture de plusieurs églises et des couvents,
ventes des biens nationaux, certificats de civisme, enrôlement des
volontaires, troubles des marchés, réquisitions d’armes,
de chaussures, d’habits, d’argenterie, et surtout de grains, installation
d’un magasin de subsistance dans l’ancien couvent des Cordeliers, dénonciations
publiques des citoyens en retard pour le paiement de leurs impôts,
emprunts forcés, fondations d’ateliers de fabrication du salpêtre,
d’abord aux Cordeliers, puis dans l’église Saint-Basile, réquisitions
d’ouvriers pour la fabrication des armes, des souliers, etc. Ces bulletins,
dont l’énumération a été consignée dans
un registre spécial par Dupré, lui étaient commandés
par le Directoire du District d’Étampes, dont nous suivons ainsi
l’activité grandissante. D’autre part, il imprime
un périodique hebdomadaire, Le Journal d’Étampes, fondé
en novembre 1790, par l’abbé Ménard, desservant de l’église
Saint-Pierre, en l’absence de son curé, l’abbé Périer,
député à l’Assemblée nationale. Mais, dès
février 1791, le journal ne paraît plus, ce qui semble indiquer
une certaine indifférence de la population, en face de la fièvre
du District. Cependant, un club est fondé en juin 1791 «La
Société des Amis de la Constitution», mais il paraît
soucieux de vivre en paix avec le corps municipal, dont plusieurs membres
sont affiliés au club. Le goût des distractions subsiste également
puisqu’à la foire Saint-Michel de 1791, une troupe de comédiens
fait imprimer à dix reprises différentes des affiches et des
billets pour ses représentations et y reste installée jusqu’au
13 octobre.
C’est
en mars 1792 que se produit le premier événement tragique
à Étampes. La cherté croissante des vivres avait entraîné
déjà des désordres dans les marchés depuis le
début de l’année. Aussi le 21 janvier, le Directoire du District
d’Étampes envoya, pour veiller à la sûreté publique,
une compagnie du 18e dragons, qui fut logée à la caserne de
la rue Saint-Jacques et à la maison de ville. Le 3 mars, une bande
d’environ six cents hommes armés de sabres, de fusils et de bâtons,
partie de Montlhéry, de la Ferté-Alais et grossie tout le long
du chemin, entra dans Étampes, malgré l’opposition du corps
municipal qui s’était porté à leur rencontre, en tête
de la troupe, dans le faubourg Saint-Jacques. Pour éviter une collision,
les officiers municipaux [p.91]
se retirèrent, ce qui permit aux mutins
de pénétrer en ville et de gagner le marché Saint-Gilles,
où, rapidement maîtres du terrain, ils taxèrent d’autorité
tous les grains. Lemaire Simonneau et le corps municipal qui étaient
à l’Hôtel de ville, après avoir reçu du commandant
du détachement de cavalerie l’assurance qu’ils pouvaient compter
sur sa troupe, se rendirent, escortés par elle, place Saint Gilles.
Ils purent s’avancer jusqu’à l’endroit où les meneurs veillaient
à l’exécution de la taxe qu’ils avaient imposée.
Le maire tenta de leur représenter l’illégalité de
leur action, les insurgés répondirent par des menaces et
voulurent le contraindre, au contraire, à proclamer lui-même
cette taxe. Simonneau s’y refusa avec énergie et tout aussitôt,
il fut enveloppé par une foule vociférante, qui rompit même
les rangs de la troupe. Le maire se trouva porté jusqu’à
l’extrémité de la place, dans la rue de l’Etape-au-Vin, aujourd’hui
rue Simonneau: atteint par des coups de bâton, renversé à
terre, il reçoit, d’un homme monté sur une borne, un coup
de fusil presque à bout portant, un autre coup de fusil lui brise
le crâne, tandis que le procureur Sédillon et un autre citoyen
sont blessés. Le rôle de la troupe dans ce drame ne fut jamais
bien éclairci: accusée d’infidélité, elle semble
au moins avoir manqué de vigueur et s’être rapidement laissée
déborder. Mais le malheureux Simonneau lui-même n’avait pas
déployé assez d’énergie au début. Il fallait
faire appel à la troupe au faubourg Saint-Jacques: là, une
charge de cavalerie eut vite repoussé les meneurs tandis qu’elle n’était
plus guère possible sur la place Saint-Gilles, bordée de rues
très étroites. Le meurtre de Simonneau, victime de son devoir
et de sa fidélité à la loi, eut un grand retentissement,
non seulement à Paris, mais dans toute la France. L’Assemblée
législative décréta «d’urgence», le 18 mars,
qu’il serait élevé aux frais de la nation, place Saint-Gilles,
une pyramide triangulaire, sur laquelle seraient gravés le nom de
Simonneau et ses dernières paroles: «Ma vie est à vous:
vous pouvez me tuer, mais je ne manquerai pas à mon devoir, la loi
me le défend». Le monument ne fut jamais édifié,
mais des services funèbres eurent lieu en l’honneur du maire d’Étampes
dans un grand nombre de villes. A Paris, on célébra, le 3
juin 1792, une fête symbolique à sa mémoire, dite la
Fête de la Loi, avec une pompe renouvelée de l’antique: un
immense cortège militaire et civil traversa tout Paris, portant des
bannières couvertes d’inscriptions emphatiques, le buste de Simonneau,
son écharpe, le modèle de la pyramide projetée et le
modèle de la Bastille, l’autel de la Loi, le livre de la Loi ouvert
sur un trône d’or, la figure de la Loi assise sur un socle et appuyée
sur ses tables, etc... pour se rendre au Champ de la Fédé ration,
où l’on avait dressé un autel de la Patrie et derrière
lui, un grand palmier de huit mètres de haut, qui «le couronnait
de son large feuillage». Le buste de Simonneau fut déposé
sur l’autel de la Patrie, on y plaça la couronne civique et tout
le cortège défila autour [p.92]
de lui. Une ode fut chantée, «dont chaque
strophe était coupée par une musique grave, héroïque
ou lugubre suivant le sens de la strophe», après quoi, on
brûla une grande quantité d’encens sur l’autel de la Loi.
Le livre de la Loi fut élevé et montré au peuple
et toute la garde présenta les armes. L’assistance fut évaluée
à deux cent mille citoyens et l’on jugea «que nous n’avions
plus rien à envier aux fêtes triomphantes de l’ancienne Rome».
Aujourd’hui, nous jugeons bien différemment: les triomphes de Rome
nous paraissent toujours grands et dénués de ridicule, tandis
que la pompe du malheureux Simonneau, avec ses accessoires symboliques,
prête à sourire, en dépit des sentiments touchants,
et pour beaucoup sincères, qui l’avaient inspirée.
Les
assassins de Simonneau furent recherchés. Vingt et un accusés
parurent devant le tribunal criminel du département qui en condamna
huit à la prison et deux, citoyens d’Étampes, à la
peine capitale. Ceux-ci devaient être exécutés à
Étampes, sur la place Saint-Gilles, mais ils échappèrent
au châtiment. Incarcérés à Étampes
avec les autres condamnés pour le meurtre de Simonneau, ils furent
élargis par un nommé Fournier, qui passait, le 8 septembre
1792, en conduisant d’Orléans à Paris un convoi de prisonniers
que l’on massacra à Versailles. Emmenés à Paris,
les assassins de notre malheureux maire furent reçus par Robespierre,
les Jacobins, la commune de Paris et même l’Assemblée législative.
On voit quelle évolution s’était faite dans les esprits
en quelques mois. Notre ville ne tardera pas à en sentir les redoutables
effets.
Avant
cela, le District et la municipalité se préoccupent du maintien
de l’ordre. La garde nationale est reconstituée et de nouveaux drapeaux
lui sont remis solennellement dans une cérémonie où
le curé de Saint-Martin prononce un discours patriotique, où
s’expriment encore la fidélité au roi et à la loi
et la réprobation des violences: Claude Dupré est chargé
de l’imprimer à 700 exemplaires.
Un
assez grand nombre de prêtres à Étampes et dans les
paroisses des environs avaient cependant adopté les idées
révolutionnaires et prêté le serment constitutionnel,
quelques-uns même avec une farouche ardeur. Plusieurs d’entre eux
s’étaient mariés. Les autres deviennent l’objet de graves
mesures de rigueur lorsque la Convention succède à la Législative,
le 22 septembre 1792: un vicaire de Notre-Dame, entre autres, est emprisonné
«pour propos incendiaires et manque de respect aux autorités».
On saisit de l’argenterie et des objets précieux dans les églises
et les monastères.
En
octobre, la Terreur s’installe dans notre ville avec l’arrivée du
citoyen Couturier, député de la Moselle à la Convention,
qui a reçu la mission de «régénérer révolutionnairement
les autorités». Il prononce, en effet, la destitution de tous
les membres des corps constitués et les remplace par des hommes
sûrs, qui tiennent séance [p.93]
dans l’ancienne église des
Barnabites. Il fait arrêter, le jour même de son arrivée,
le curé de Saint-Basile, le curé de Saint-Pierre et ancien
député, Périer, l’aumônier de l’Hôtel-Dieu,
celui des Mathurins, des chanoines, d’autres prêtres encore, dont
les églises, aux environs, ont été fermées,
et les fait interner aux Récollets de Versailles. Il délègue
des commissaires dans toutes les communes du district pour achever le
pillage des églises et des biens des émigrés. Presque
toutes les cloches sont emportées à Paris afin de servir
à la fonte des canons notre belle cloche du duc de Berry, vieille
de quatre siècles, nous fut cependant laissée, à Notre-Dame,
sans doute en raison des difficultés que soulevait sa descente. Tous
les objets de métal sont saisis et dirigés sur Paris, pour
le même but: Boulence, officier municipal à Étampes,
annonce à la Convention, le 12 décembre, l’envoi de quatre-vingts
voitures de fer «provenant des ci-devant domiciles de la superstition».
C’est
alors que commence la démolition de la belle église Sainte
Croix, vendue comme bien national à un chaudronnier d’Étampes.
Notre-Dame est transformée en «temple de la Raison triomphante»,
Saint-Basile, en salpêtrière et Saint-Gilles sert à
la fois de halle au blé et de prison. L’Hôtel-Dieu et le couvent
de la Congrégation sont également utilisés comme
maisons d’arrêt, le nombre des prisonniers ne faisant que s’accroître.
Beaucoup de gentilshommes jeunes et valides avaient émigré,
mais leurs femmes, leurs enfants, leurs parents âgés étaient
restés Couturier décrète leur arrestation comme suspects
et les fait interner ou maintenir reclus dans leur propres maisons. Nous
relèverons parmi eux, Michel de Bouraine, l’ancien receveur des
finances et sa femme, Picart de Noir-Epinay, l’ancien lieutenant général
du bailliage et sa femme, Marie-Geneviève de Bouraine, femme de
César-Joachim de Poilloüe de Saint-Périer, émigré,
et ses trois enfants, cinq demoiselles de Poilloüe, Jean-Baptiste
de Poilloüe de Bierville, sa femme et leurs trois enfants, Claude
de La Bigne et sa femme, etc. Les bourgeois n’échappent pas aux
rigueurs. Les prêtres, moins encore: Couturier s’acharne particulièrement
contre eux. Installé au château de Segrez, près de
Souzy-la-Briche, il entreprend à Étampes et dans tout le district
une campagne d’intimidation contre les curés restés encore
fidèles à leurs devoirs et les malheureux, cédant à
l’épouvante, «se déprêtrisent» , suivant
le beau style de l’époque; c’est-à-dire qu’ils remettent entre
ses mains leurs lettres de prêtrise, qu’il brûle aussitôt
dans des «feux de joie», ou bien, ils se font marier par lui.
A Méréville, à Ormoy, à Saint-Cyr-la-Rivière,
à Bouville, à Puiselet-le-Marais, à Saint-Sulpice-de-Favières,
ailleurs encore, ces mariages sont célébrés sur la
place publique, devant l’arbre de la Liberté. A Étampes, c’est
le curé de Champigny, âgé de cinquante-six ans, que Couturier
déclare uni en mariage à Anne Chaté, le 29 octobre
1793, sur la place de la Régénération [p.94] — nouveau nom de la place
Saint-Gilles —, au milieu d’une grande affluence; en même temps, il
leur donne acte de leurs conventions matrimoniales, usurpant ainsi les fonctions
de notaire comme celles d’officier d’état-civil. Il se targue ensuite,
dans ses bulletins de victoire envoyés à la Convention, d’avoir
anéanti «le préjugé ridicule qui avait privé
jusqu’ici les ministres catholiques de l’exercice plein et entier du plus
doux des devoirs». On possède de nombreuses protestations écrites
des habitants et des demandes de rétablissement du culte, qui s’exerçait
de moins en moins, mais loin d’y accéder, Couturier décrète
la fermeture de toutes les églises du district le 29 novembre 1793.
Sa fureur prend aussi des formes mesquines et risibles c’est ainsi qu’il
change les noms de trente-trois rues d’Étampes, que Chalô-Saint-Mars
devra s’appeler Chalô-la-Raison, Saint-Sulpice-de Favières,
Favières-Défanatisée, que les hommes eux-mêmes
portant le prénom de Louis seront nommés Sincère.
Enfin, le 28 décembre 1793, Couturier, satisfait de son œuvre, adresse
un rapport à la Convention sur les «régénérations»
qu’il a opérées dans le district d’Étampes. Deux autres
députés de la Convention, Crassous et Roux, remplirent après
lui des missions à Étampes, mais avec moins d’éclat.
Le 9 thermidor seulement devait amener la cessation des violences; cependant,
les administrateurs terroristes d’Etampes ne semblent pas avoir compris tout
de suite le caractère de la réaction thermidorienne. Ils
n’en saisirent guère la portée avant d’avoir subi à
leur tour, à la fin de l’année 1794, la destitution que Couturier
avait infligée à leurs prédécesseurs. La Convention
assagie envoya à Étampes d’autres représentants du
peuple pour accomplir cet acte d’autorité, rendu nécessaire
par des menaces de désordres. En effet, les lois nouvelles avaient
libéré les prisonniers en les autorisant à rechercher
leurs dénonciateurs et demandaient des comptes aux administrateurs
sur les réquisitions opérées partout. Mais les principaux
responsables s’étaient enfuis et leurs complices restés sur
place, épouvantés à leur tour, avaient perdu toute
autorité.
La
suppression du District et le renouvellement de l’administration municipale
ramenèrent progressivement le calme, auquel tout le monde aspirait.
Mais dans les campagnes et jusqu’aux portes d’Étampes, sévissaient
de redoutables brigands, surnommés les Chauffeurs et formant
une bande organisée, la fameuse bande d’Orgères ils assassinent,
en 1797, la fermière de la Grange-Saint-Père, au-dessus de
Gérofosse.
Les
églises furent rouvertes et les prêtres, même ceux qui
s’étaient mariés, revinrent exercer le culte. Le retour aux
anciens usages, plus solides que ne l’avaient cru les terroristes, se faisait
assez rapidement. Il faut parvenir, cependant, jusqu’à l’Empire
pour trouver rétablies certaines institutions, comme le [p.95] collège, qui ne rouvre
qu’en 1807 et le couvent des religieuses de la Congrégation, en
Mais les autres monastères, Cordeliers, Mathurins, Capucins, la
maladrerie de Saint-Lazare et l’église Sainte- Croix sont à
jamais détruits; l’église Saint-Pierre est démolie
en 1804 et le Bourgneuf gardera le triste aspect d’un chantier durant près
d’un siècle. La tour de Guinette et ses dépendances avaient
été vendues pour 525 fr., en 1793, comme bien national à
un maçon d’Étampes, et pendant plus de cinquante ans, notre
vieille forteresse fut exploitée comme une carrière. Le
donjon fut seul respecté parce qu’un de ses possesseurs, M. de
Grandmaison, en comprit l’intérêt.
Notre ville reprend une vie régulière sous l’Empire. En 1809,
à l’apogée de la gloire napoléonienne, le maire, le
général de Romanet, et la municipalité décident,
pour célébrer les victoires d’Espagne, de placer une aigle
impériale au sommet du clocher de Notre-Dame et d’orner du même
emblème les étendards de la garde nationale. Une cérémonie
solennelle, à Notre-Dame, comprend la bénédiction des
aigles, un Te Deum et la célébration du mariage «d’une
fille sage, dotée par l’Empereur, avec un homme ayant fait la guerre».
La
campagne de France n’atteignit pas notre ville, mais ses conséquences
amenèrent des Cosaques jusque dans nos murs. Paris avait été
pris par les troupes alliées le 31 mars 1814 et aussitôt après,
12.000 hommes, Cosaques, Tartares et Baskirs, vinrent camper à Gérofosse,
au-dessous de Guinette, et même place Saint-Basile. Ils commirent
des pillages dans toute la région, à Cerny, à Guigneville
et surtout à Bois-Herpin, dont ils dévalisèrent le
château de fond en comble, en menaçant de mort le malheureux
propriétaire, M. de Pillot, sa femme et ses cinq enfants. A Étampes,
ils causèrent le plus grand effroi en raison de leur aspect sauvage:
«Ils n’ont pas figure humaine, nous dit une lettre de l’époque,
une barbe longue de six pouces leur couvre toute la figure et ils sont vêtus
de peaux d’ours et de moutons noirs». Nous avons encore connu un
témoin de ce campement, notre propre grand-père, qui, étant
alors tout enfant, en avait gardé un souvenir d’épouvante.
Dans la ville, où logeait le général russe, Stznichef,
les Cosaques ne semblent pas, cependant, avoir commis de violences.
Le retour
des Bourbons fut accueilli avec enthousiasme par bien des familles d’Étampes,
puisque la lettre qui nous donne quelques détails sur le campement
des Cosaques nous apprend que «plusieurs jeunes gens d’ici sont déjà
partis pour Paris se présenter, mais cela se dit à l’oreille».
Il s’agissait de la formation de la garde du futur roi, pour laquelle des
listes d’inscriptions avaient été ouvertes à Paris
dès l’abdication de l’empereur. Cette garde fut constituée
en moins d’une semaine.
Pendant
les Cent-Jours, le sous-préfet d’Étampes invita ces mêmes
«jeunes gens», revenus dans leurs familles, à s’éloigner
jusqu’à [p.96] trente
lieues de Paris, sauf s’ils acceptaient de prêter serment l’Empereur.
Les
événements ultérieurs troublèrent peu notre
ville. Nous savons qu’en 1817 «la plus grande tranquillité
règne dans l’arrondissement» et qu’ainsi un détachement
de grenadiers à cheval de la garde royale, qui avait stationné
à Étampes, à Milly et à Angerville, est rappelé
par le ministre de la Guerre.
En
1828, la duchesse de Berry traverse Étampes au retour d’un voyage
dans les provinces de l’Ouest. Elle est reçue à la sous-préfecture,
où un déjeuner lui est offert, après lequel toutes
les notabilités lui sont présentées. Réception
banale, qui nous vaut seulement un portrait de la duchesse assez piquant,
tracé par un témoin oculaire: «Sa toilette est bien
négligée, ses cheveux sont d’un blond hasardé, en
bandeaux, un teint pâle et jaune, beaucoup de blanc dans des yeux
bien clairs et un peu de travers.»
La
révolution de 1830 n’amena pas de troubles dans Étampes.
La garde nationale partit bien pour Rambouillet, où se trouvait
Charles X au moment de son abdication, mais elle ne dépassa pas Saint-Arnoult.
En
1832, l’épidémie de choléra, qui avait éclaté
à Paris au mois de mars, atteignit Étampes en avril. Elle
dura cinq mois et s’étendit à plus de trente communes aux
environs; dans notre ville seule, elle frappa 785 personnes et causa près
de 300 morts. Une seconde épidémie semblable réapparut
en 1849, à la même époque de l’année, et dura
également jusqu’en septembre. Elle fit moins de malades, sans doute
parce que la première épidémie avait déterminé,
chez un assez grand nombre d’individus restés indemnes, un état
de défense qui les mit à l’abri de la seconde. Mais le choléra
avait acquis plus de virulence, comme il arrive souvent, et le nombre des
morts fut plus élevé. On brûla dans toutes les rues des
genévriers, parce qu’on croyait alors à l’efficacité
de ces fumées aromatiques elles n’avaient aucun effet prophylactique,
mais l’inquiétude qui étreignait toute la population en était
un peu apaisée.
Cette double
invasion de choléra et l’ignorance où la médecine
était encore de ses vraies causes et des moyens de s’en préserver
rattachent cette époque à un lointain passé tandis
que, par ailleurs, les progrès sont considérables et l’esprit
humain fait d’immenses conquêtes.
Notre ville
retrouve une prospérité qu’elle ne connaissait plus depuis
des siècles. L’industrie des moulins, dont le nombre s’est beaucoup
accru, est rénovée; le commerce des grains, des bestiaux, des
laines, du sable, des produits maraîchers, prend une extension nouvelle.
C’est ainsi que, dès 1838, peut être créée la
Caisse d’Épargne d’Étampes, fondation qui a puissamment contribué
au [p.97] développement
de la prospérité et dont le succès montre la sagesse
de nos populations beauceronnes.
En 1843,
a lieu l’inauguration du chemin de fer de Paris à Orléans
qui donnera un nouvel essor à notre ville, de même que sa situation
sur la grande route avait jadis déterminé sa fondation et
plus tard, sa grande importance. Des travaux considérables, comme
le détournement de la Louette, l’établissement de la grande
rampe, avaient été effectués pour la construction de
la ligne. On sait que les premiers chemins de fer furent l’objet de bien
des scepticismes et des railleries, ainsi qu’il en est trop souvent en France
de toutes les inventions, mais les hommes clairvoyants en pressentaient déjà
le succès. «Mystérieux comme tout ce qui est grand, disait
le duc de Nemours à l’inauguration, l’avenir des chemins de fer réalisera,
n’en doutons pas, les magnifiques espérances de gloire, de richesse
et de civilisation qu’il a fait naître».
En
1844, s’éteignait une des plus belles figures de la science française,
qui était un enfant d’Étampes, Geoffroy-Saint-Hilaire. Né
en 1772, il appartenait à une vieille famille étampoise. Après
avoir fait ses études au collège de Navarre, à Paris,
il suivit les leçons de Daubenton et de l’abbé Hauy, qu’il
sauva lors des massacres de septembre par ses démarches et son dévouement.
Presque aussitôt, en 1792, Hauy le fit entrer comme démonstrateur
au Jardin des Plantes, où l’année suivante, un décret
de la Convention instituait douze chaires d’enseignement. Celle de «l’histoire
des animaux vertébrés» fut offerte à Geofîroy-Saint-Hilaire,
qui d’abord refusa modestement, parce que ses travaux jusqu’alors avaient
porté davantage sur la minéralogie. Mais Daubenton leva
ses scrupules: «Osez entreprendre, lui dit-il. La zoologie n’a jamais
été professée à Paris; faites que dans vingt
ans, on puisse dire: la zoologie est une science et une science française».
Geoffroy-Saint-Hilaire ne devait pas décevoir les espérances
de son maître: grâce à lui, la Ménagerie fut créée,
les collections renouvelées et complétées, tandis qu’il
publiait, dès 1795, des études importantes sur les Mammifères
et les Orangs. Bonaparte l’emmène en Egypte en 1798; il reprend,
au retour, son enseignement et ses travaux au Muséum, puis, il
est nommé, en 1807, à trente-cinq ans, membre de l’Institut,
en 1809, professeur de zoologie à la Faculté des Sciences,
chaire qu’il occupa concurremment avec celle du Muséum jusqu’en
1840: répondant au vœu de Daubenton, il avait fait de la zoologie
une science française. Nous ne citerons pas ses nombreux travaux,
tant en zoologie qu’en embryologie et en tératologie, sciences
qui, elles aussi, existaient à peine avant lui. Le titre de son
ouvrage capital Principes de philosophie zoologique donne le caractère
même de son esprit et de son œuvre; il porte, le premier, une vue
d’en semble et vraiment philosophique sur l’anatomie des animaux. Un de
ses plus beaux titres de gloire est aussi d’avoir reconnu et courageusement [p.98] proclamé la valeur
des idées de Lamarck sur la variabilité des espèces,
contre Cuvier qui croyait à leur fixité. La lutte entre les
deux savants, qui étaient liés d’une amitié bien ancienne,
puisque Geoffroy-Saint-Hilaire avait fait venir Cuvier à Paris
dès 1795, passionna l’Europe savante. Le vieux Goethe, qui en suivait
les péripéties dans les discussions de l’Académie
des Sciences, demandait à un visiteur qui arrivait de Paris: «Que
se passe-t-il à Paris?» — «Le roi, répondit
son interlocuteur, vient de...» — «Que m’importe la politique,
dit Goethe. Je vous demande où en est la discussion entre Geoffroy-Saint-Hilaire
et Cuvier».
Geoffroy-Saint-Hilaire
avait été nommé, en 1815, député d’Étampes,
mais il abandonna bientôt un mandat qui le détournait de ses
études. Une statue lui fut élevée par souscription,
en 1857, devant le théâtre. Le jour de l’inauguration, le 11
octobre, toute sa ville natale, justement fière de lui, fut décorée
et illuminée.
Nous
ne pouvons énumérer ici toutes les personnalités notables
de notre région au XIXe siècle: nous citerons, cependant,
Narcisse Berchère, né à Étampes en 1819, parce
qu’il fut un grand artiste, dont nous avons heureusement quelques œuvres
dans notre Musée. Ayant longtemps voyagé en Espagne, en Egypte,
en Syrie, il a su rendre la grandeur lumineuse et la poésie de ces
paysages d’Orient.
La
révolution de 1848 se déroula sans violences dans notre sage
petite ville. On planta sur la place Saint-Gilles un arbre de la Liberté,
devant lequel fut prêté le serment à la Constitution.
Mais
après une période prospère et brillante, la guerre
réapparut, avec tout son cortège de tristesses et de misères.
Le l7 septembre 1870, notre ville voyait arriver les premiers Prussiens
dans ses murs, tandis qu’elle était totalement isolée de
Paris, dont l’investissement s’achevait. Étampes allait être
occupée pendant cinq longs mois. Au début, les troupes prussiennes
paraissaient prêtes à toutes les violences, mais l’attitude
ferme et courageuse du maire Brunard leur en imposa et l’occupation s’écoula
sans graves désordres. Elle entraîna, bien entendu, les réquisitions
de toute nature: armes, grains, bestiaux, pain et vin. En octobre, une lourde
amende de 20.000 fr. fut exigée de la ville parce que le télégraphe
prussien avait été coupé aux environs. Le 8 octobre,
eut lieu tout près d’Étampes, à la ferme de Courpain,
un combat héroïque où quelques francs-tireurs tinrent
tête à plusieurs régiments prussiens: petite victoire
isolée et sans lendemain. A plusieurs reprises, passèrent
des convois de prisonniers français qui devaient gagner la Prusse.
Ils furent logés au grenier d’abondance et dans les églises
Notre-Dame, Saint-Basile et Saint Gilles. Près de cinq cents d’entre
eux purent s’évader, grâce au concours de courageux habitants,
car les représailles de l’ennemi pouvaient être terribles.
Enfin,
le 16 février 1871, notre ville était libérée,
mais encore [p.99] appauvrie
par le versement d’une lourde contribution de guerre que les autorités
prussiennes exigèrent sous des menaces, avant leur départ.
Nous
arrêterons ici l’histoire d’Étampes. Depuis 1870, elle s’est
déroulée sans heurts et sans fastes jusqu’à la Grande
Guerre et celle-ci nous paraît trop récente et trop douloureuse
encore à beaucoup pour qu’on en puisse retracer le détail
avec la sérénité nécessaire. Depuis, c’est
une époque nouvelle qui s’est ouverte et, selon le mot du sage Montaigne,
il est plus facile de juger et de décrire le temps passé que
le présent. Si le culte du souvenir garde encore dans l’avenir quelques
fidèles, ceux-là qui nous suivront auront la tâche d’écrire
notre histoire. [p.100]
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BIBLIOGRAPHIE
Éditions
Édition
princeps: René de
SAINT-PÉRIER, La grande histoire d’une petite
ville: Étampes [in-4° (16 cm sur 25); 143 p.; 8
gravures sur bois originales
in-texto de Jules Lepoint-Duclos;
16 planches hors-texte dont deux croquis et 14 photographies originales
de Jules Lepoint-Duclos; ouvrage couronne par l’Institut], Étampes, Édition du Centenaire
de la Caisse d’Épargne (1838-1938), 1938 [AME, ADE]. Dont une réédition remaniée
posthume à partir de 1964 dans le Bulletin Municipal d’Étampes.
Réédition partielle
corrigée et augmentée: Raymonde-Suzanne de SAINT-PÉRIER
[éd.] & René de SAINT-PÉRIER [†1950],
«La grande
histoire d’une petite ville: Étampes» [réédition
mise à jour publiée en feuilleton], in Étampes.
Bulletin Official Minicipal 2 (janvier 1964), pp. 20-30;
3 (2e semestre 1964), pp. 24-29; 4 (hiver 1964-1965), pp.
25-31; 5 (janvier 1966), pp. 13-16; 6 (septembre 1967), pp. 13-15;
7 [et non 6 comme indiqué aux AME] (2e semestre 1967),
pp. 9-11; 10 [et non 9 comme indiqué aux AME] (1er semestre
1969), pp. 17-19 [AME, ADE].
Réédition
en fac-similé du texte de 1938: René
de SAINT-PÉRIER, La grande histoire d’une petite
ville: Étampes [20 cm; 140 p.; illustrations; reproduction
en fac-similé de l’édition de 1938], Paris, Le Livre
d’Histoire [«Monographies
des villes et villages de France»], 2004
[Cette réédition ne tient pas compte des remaniements
posthumes et sa notice introductive
est un plagiat de notre page bibliographique.]
Édition
électronique des seules gravures sur bois de Jules Lepoint-Duclos: Bernard
GINESTE [éd.], «Jules Lepoint-Duclos: Monuments étampois
(gravures sur bois, 1938)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cae-20-lepointduclos1938huitgravures.html, 2004.
Édition
électronique des seules photographies de Jules Lepoint-Duclos: Bernard
GINESTE [éd.], «Jules Lepoint-Duclos: Monuments étampois
(photographies, 1938)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cae-20-lepointduclos1938photographies.html, 2004.
Édition électronique
intégrale: Bernard GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer:
Grande histoire d’une petite ville, Étampes (1957-1969)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-saintperier1938grandehistoire.html
(9 pages web), 2005.
Ce
chapitre: Bernard
GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer:
Étampes, la Révolution et le XIXe siècle
(1957-1969)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-saintperier1938grandehistoire06.html,
2005.
Sur le Comte de Saint-Périer
Adrien GAIGNON, «Le Comte de Poilloüe de Saint-Périer»
[notice nécrologique], in Bulletin de l’Association
Les Amis d’Étampes et de sa région 7
(janvier 1951), pp. 117-119 [AME, ADE].
Réédition
partielle: BILLARD 1984, pp. 115-118.
Réédition
numérique intégrale:
Bernard GINESTE [éd.], «Adrien Gaignon:
Le Comte de Poilloüe de Saint-Périer
(nécrologie, 1951)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cpe-20-saintperier-gaignon1.html,
2004].
Émile BOUNEAU, «Dernier
portrait du comte de Saint-Périer (juillet 1950)»,
in Bulletin de l’Association Les Amis d’Étampes
et de sa région 7 (1951), p. 120 [dont l’image
au début de la présente page].
Pour une bibliographie plus complète
et évolutive: Bernard GINESTE [éd.],
«Le Comte de Saint-Périer et son épouse:
une bibliographie», in Corpus Étampois,http://www.corpusetampois.com/cbe-saint-perier.html, 2003.
Étampes en Révolution,
1789-1799
ASSOCIATION ÉTAMPES-HISTOIRE
[Frédéric BEAUDOIN, Christian CARENTON, Jocelyne
DOUCHIN, Jean-Pierre DURAND, Romuald FÉRET, Georges GAILLARD,
Jacques GÉLIS, Laurent GOUX, François HÉBERT-ROUX,
Marie-Thérèse LARROQUE, Marie-José MARGOT,
Michel MARTIN, Claude ROBINOT, Laurent SLOMOVICI, Bernard VILFRITE],
Étampes en Révolution.
1789-1799 [248 p.; 78 documents figurés; sources et bibliographie
à la fin de chaque chapitre; cartes de Claude Robinot; aquarelle
de Philippe Legendre-Kvater en 1ère de couverture], Éditions
Amattéis [Comité pour la commémoration du Bicentenaire
de la Révolution Française dans l’Essonne, «La Révolution
en Essonne» (collection de 9 ouvrages)], Le Mée-sur-Seine,
1989. [ISBN 2 86849-074-3. Ouvrage épuisé
en 2003]
«Avant-propos», pp. 5-6.
«1. Étampes et sa région à la fin du
XVIIIe siècle», pp. 8-29.
Au sud et à l’est, «la
belle et féconde Beauce». A l’est et au nord, la diversité
des paysages et des activités. A Étampes,
le commerce et le pouvoir. Une ville qui s’ouvre. Une ville de
l’eau. Étampes et ses quartiers. Une société
contrastée. Les attitudes devant la vie. Sources. bibliographie.
«2. Les derniers beaux jours de l’Ancien Régime
(janvier 1787-mars 1789», pp. 30-50.
Avant la Révolution, la réorganisation
du pouvoir municipal. Le temps des projets (janvier 1787-juillet
1788). Un événement lourd de conséquences:
la grèle du 13 juillet 1788. Des élites philanthropes?La
préparation des États généraux mobilise
les énergies (décembre 1788-mars 1789). Les paysans
du plat-pays d’’Etampes n’ont-ils rien à dire? Le Tiers État
d’Étampes exprime un désir de réformes. Les
ordres privilégiés en proie à des sentiments
contradictoires. La préparation des États Généraux
s’achève à Étampes. Sources. bibliographie.
«3. Étampes entre en révolution
(avril 1789-juillet 1790)», pp. 51-79.
Les troubles du marché Saint-Gilles.
Le maintien de l’ordre: prévention et répression.
Quand Paris entre en scène… Les premiers symptômes d’une
crise politique à Étampes.
Malgré la moisson, la crise s’aggrave. La «révolution
municipale» à Étampes? Étampois et Parisiens:
des rapports toujours difficiles. Des élections municipales
laborieuses (26 janvier-1er février 1790). Le contentieux entre
l’ancienne et la nouvelle municipalité. Étampes dans
la bataille administrative. Le district et la commune. La fête
de la Fédération à Étampes. Sources. bibliographie.
«4. Lassitude des élites et craintes
populaires (août 1790-novembre 1791)», pp. 80-102.
L’édifice religieux se fissure.Grandeur
et servitude de la Garde nationale. La désaffection pour
les charges électives. La gestion du quotidien. La justice
locale. La contribution financière. Le choc de Varennes.
Les «journées» des 10 et 16 septembre. Sources. bibliographie.
«5. L’affaire Simonneau», pp. 103-127.
Changement de ton, changement de
rythme. Objectif: le marché d’Étampes! L’échec
d’une stratégie. L’émeute tourne à la tragédie.
L’instruction de l’affaire et le procès. Simonneau, l’homme
de la situation? Un complot? Quel complot? Aux origines d’une émotion
populaire. Simonneau, martyr de la Loi. Sources. bibliographie.
«6. Dans l’ombre de Paris», pp. 128-147.
En toile de fond la guerre et les
subsistances. Le renversement du trône: le 10 août 1792.
Et toujours la guerre! Le calme revient… retour à la gestion
quotidienne. Comment faire payer les contributions? Encore les subsistances!
Les problèmes internes du conseil de commune. Le clergé
et ses biens. Les émigrés et les autres suspects. Sources. bibliographie.
«7. La crise de l’an II: la guerre et le gouvernement
révolutionnaire», pp. 148-185.
Sauver la République: l’effort
de guerre. Les mesures révolutionnaires et la «mission
Couturier». La guerre aux paysans. Prêtres abdicataires
et déchristianisation. Les résistances à la
Révolution. Le bataillon d’Étampes. Prisonniers de
guerre: «Vendéens» et Autrichiens. Subsistance
et Maximum. Maximum des salaires et «coalitions» de salariés.
Restrictions et marché noir. La disette et la fête.
Temps nouveaux, espaces nouveaux. Sources. bibliographie.
«8. De Robespierre à Bonaparte»,
pp. 186-213.
La disette de l’an II. Étampes
en Thermidor. Le pouvoir de quelques-uns. Le patriotisme et la
fête. La guerre, toujours la guerre… Prison et prisonniers.
Timide réapparition de la Garde nationale. Les contributions
et les percepteurs. La police des marchés, des rues et des
campagnes. La crise monétaire de 1795-1796. Les moulins. La
vie intellectuelle et l’instruction publique. Quel bilan, quelles
interprétations?
«Pour conclure», pp. 215-217.
«Biographies», pp. 219-227.
Boullemier Claude-Julien, Brou Jean-Baptiste,
Clartan Armand, Constance Boyard Sulpice-Charles, Couturier Jean-Pierre,
Dolivier Pierre, Dupré Claude, Duverger Théodore-Adrien,
Nasson Pierre, Pailhèse Jean-Baptiste, la famille Périer,
Robert Georges-François Rousseau Jean-Henri, Simonneau Jacques-Guillaume.
«Glossaire», pp. 229-237.
Abbé commendataire, administration
municipale, agent national, appréciateurs, ateliers de charité,
aulnage, bailliage, banalité, bénéfice ecclésiastique,
blutage, capitation, champart, chanoine, chapitre, châtellenie,
citoyen actif, colombier (privilège de), comité de surveillance,
commissaire du directoire exécutif, compagnie de l’arquebuse,
conseil général de la commune, contribution patriotique,
corde, dîme, district, directoire, droits casuels, échevin,
élection, enchères, états provinciaux, fabrique,
fermiers généraux, finage, fouille, gabelle, gardes françaises,
garde nationale, généralité, grenier à
sel, gros, hausse, intendant, laboureur, lieutenant général,
logement des gens de guerre, marché, mégissier, mesures
agraires, mesures anciennes de la région d’Étampes, mesures
de longueur, mesure de masse, mesureur, méteil, milice bourgeoise,
minage (droit de), monnaie, octroi, officiers de judicature, péage,
physiocrate, prévôté, procureur, procureur de la
commune, procureur du roi, procureur syndic, règlement municipal
de 1786, regrattier, représentant en mission, roulier, section,
six-corps, subdélégué, suffrage censitaire, suffrage
universel, taille, tarif, terrier.
«Bibliographie» [36 titres], pp. 239-241.
«[Table des] Tableaux, cartes et graphiques»,
p.243.
«Table des matières», pp. 245-247.
Le
pays d’Étampes au XIXe siècle
ASSOCIATION ÉTAMPES-HISTOIRE, Le pays
d’Étampes au XIXe siècle [288 p.; ouvrage publié avec le concours de la
ville d’Étampes], Éditions
Amattéis, Le Mée-sur-Seine, 1991. [Ouvrage épuisé en 2003]
Françoise HÉBERT-ROUX , «...Et le train
arriva à Étampes!», pp. 11-43.
Christian CARENTON & Jocelyne DOUCHIN, «Sociétés
d’agriculture et modernisation des campagnes», pp. 45-66.
Romuald FÉRET, «Le théâtre
à Étampes au XIXe siècle», pp. 67-87.
Laurent GOUX, «Révolutions et coups
d’État: un écho provincial», pp. 90-105.
Claude ROBINOT, «1870-1871: L’année
terrible vue d’Étampes», pp. 107-127.
Marie-Thérèse LARROQUE, «Une
saignée démographique à Étampes,
le choléra de 1832», pp. 128-165.
Jacques GÉLIS , «Les ‘Corps-saints’
d’Étampes: la fin d’un culte populaire», pp. 169-195.
Jean-Pierre DURAND, «Presse locale et esprit
public à Étampes (1893-1906)», pp. 197-217.
Marie-José MAGOT, «Étampes
à la ‘Belle Époque’», pp. 219-238.
Bernard VILFRITE, «Les centenaires de 1789
et 1792 à Étampes», pp. 243-255.
Toute critique, correction ou contribution
sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
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