CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
René de Saint-Périer
Étampes: la Révolution et le XIXe siècle
[La grande histoire d’une petite ville, chapitre VI] 
1938-1969

Jules Lepoint-Duclos: Vestiges détruits de Sainte-Croix (gravure sur bois, 1938)    

     La personnalité et l’œuvre du Comte de Saint-Périer ont dominé l’historiographie étampoise pendant la première moitié du 20e siècle. Sa Grande histoire d’une petite ville, Étampes, parue en 1938, reste à ce jour la seule synthèse complète publiée sur l’histoire de cette ville.
B.G.

Avertissement
Chapitre I.
Chapitre II. Chapitre III. Chapitre IV. Chapitre V. Chapitre VI. Chapitre VII. Chapitre VIII. Index. Table.
 
COMTE DE POILLOÜE DE SAINT-PÉRIER
LA GRANDE HISTOIRE D’UNE PETITE VILLE, ÉTAMPES

VI. La Révolution et le XIXe siècle


 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT
VI. La Révolution et le XIXe siècle

     La grande espérance.L’assemblée des trois ordres et la rédaction des cahiers.La première rosière.La fête de la Fédération.Le District d’Étampes et l’activité révolutionnaire.Le Journal d’Étampes.L’assassinat de Simonneau et son retentissement.La Terreur à Étampes.Le 9 thermidor.L’Empire.Les Cosaques à Étampes.Passage de la duchesse de Berry.Le choléra.Le chemin de fer.Geoffroy-Saint-Hilaire.La guerre de 1870.


Jules Lepoint-Duclos: Vestiges détruits de Sainte-Croix (gravure sur bois, 1938)      Nous voici parvenus à la Révolution. Dans Étampes comme dans presque toutes les petites villes du royaume, elle n’éclata pas brutalement, au milieu des désordres et des haines, mais bien au contraire, elle était attendue comme une rénovation nécessaire et elle s’ouvrit dans une atmosphère d’espérance, de concorde et de bonne volonté pour le travail à accomplir. Un bouleversement constitutionnel n’y était même pas envisagé la monarchie restait profondément associée à l’œuvre de réforme sociale qu’on allait entreprendre.

     Les officiers municipaux d’Étampes avait été renouvelés en 1787 et dès 1788, ils se préoccupent de la manière dont seront élus les députés de notre bailliage pour la réunion projetée des Etats généraux. Ils envoient des vœux au roi, après les avoir fait approuver par les diverses corporations d’Étampes. En février 1789, il prescrivent à tous les habitants de nommer des délégués et aux corporations de présenter par écrit «leurs doléances, plaintes et remontrances», qui serviront ensuite à la rédaction du «cahier» du tiers état. Le 3 mars, en vue de cette rédaction, les délégués nomment quinze commissaires. La municipalité recommandait aux délégués [p.86] de choisir «ceux à qui ils reconnaîtront le plus de lumières pour les matières qui doivent être discutées, qu’il croiront incapables de se laisser éblouir ni par le rang, ni par des motifs d’intérêt, en état de soutenir leurs opinions avec plus de fermeté et en même temps avec le plus d’aménité, enfin ceux qui seront enclins à entretenir l’union qui doit régner entre les différents ordres de la société». Cinq jours après, le cahier est terminé. Il est divisé en huit chapitres: administration, liberté des personnes et des biens, tribunaux, clergé, noblesse, tiers état, commerce et agriculture. Enfin, le 9 mars, a lieu, dans l’église Sainte-Croix, l’assemblée générale des trois ordres, composée de tous les membres du clergé et de la noblesse et des délégués de toutes les paroisses nommés par le tiers état, celui-ci étant évidemment trop nombreux pour être convoqué en son entier. Un événement marquant de cette séance fut que deux membres de la noblesse, le seigneur de Granville, François-Louis-Joseph de Laborde, et Choiseau, seigneur de Gravelles, abandonnant leur ordre, se présentèrent comme délégués du tiers. Ils étaient donc acquis à des idées libres, comme bien d’autres gentilshommes instruits à cette époque, et guidés par une pensée généreuse et le désir de mieux travailler aux réformes nécessaires. Cependant, ils furent mal compris et M. de Laborde, en particulier, fut l’objet des jalousies et des attaques de certains délégués, mais il fut soutenu par les gens de sa paroisse qui connaissaient sa valeur et ses vrais sentiments.

     Après l’assemblée générale, qui n’avait consisté qu’à faire l’appel de tous les membres des trois ordres, de nombreuses séances furent tenues par chaque ordre pour procéder d’une part, à la nomination des députés aux États généraux qui devaient être réunis à Versailles le 5 mai et d’autre part, à l’élaboration des cahiers. Le 22 mars, les trois ordres se réunissent de nouveau en l’église Sainte-Croix, sous la présidence du grand bailli, le marquis de Valori, pour la prestation du serment des députés élus «de bien et fidèlement faire agréer au roi les remontrances, plaintes et doléances des trois états du bail liage et de se conformer entièrement à tout ce qui est porté au cahier particulier de leur ordre à eux à l’instant remis».

     Le député du clergé était l’abbé Périer. Il appartenait à une ancienne famille de commerçants d’Étampes. Né lui-même à Étampes en 1748, il était curé de l’église Saint-Pierre au moment de son élection.

     Le député de la noblesse était Jacques-Auguste de Poilloüe, marquis de Saint-Mars, seigneur du Petit-Saint-Mard, né au château du Petit-Saint-Mard en 1739. II appartenait à la vieille famille des Poilloüe, originaire de Guyenne, mais établie à Saclas dés le début du XIVe siècle. Ancien sous-aide-major aux gardes françaises, il était lieutenant-colonel d’infanterie et chevalier de Saint-Louis.

     Le tiers état avait deux députés. Le premier était François-Louis-Joseph [p.87] de Laborde, marquis de Méréville, né à Paris en 1761.

     Il était le fils du célèbre banquier, le marquis de Laborde, d’origine espagnole, célèbre par sa grande fortune, mais aussi par son inépuisable bienfaisance, qui avait acheté le château de Méréville, où il fit des travaux et des embellissements considérables. Le député était garde du trésor royal et il avait une grande compétence en matière financière. Il siègera plus tard à la Constituante.

     Le second député du tiers était Louis Gidoin, né en 1727, à Monnerville, où son père était receveur. D’abord cultivateur, puis receveur lui-même de Chalou-la-Reine, il était «bourgeois d’Étampes» au moment de son élection.

     Le cahier de doléances établi par chaque ordre avait été remis, nous l’avons vu, durant l’assemblée du 22 mars, au député de l’ordre. Le cahier du clergé avait été rédigé par des commissaires, curés de diverses paroisses d’Étampes et des environs, avec l’aide d’autres cahiers particuliers composés par les curés des paroisses du bailliage. Il n’existe pas d’exemplaire du cahier général, au greffe d’Etampes. On ne le connaît que par une copie des Archives nationales. Il demande des réformes dans les procès, le paiement des impôts par tous en raison de la fortune de chacun, la suppression des charges du peuple, l’amélioration du sort des curés pauvres par des prélèvements sur les revenus des abbayes et des bénéfices supprimés, l’établissement de maîtres d’école dans toutes les paroisses de deux cents feux et au-dessus, la destruction du gibier, des colombiers, la stricte exécution des ordonnances contre l’ivrognerie. L’ensemble est empreint de libéralisme et d’esprit de justice.

     Le cahier de la noblesse n’existe pas non plus au greffe d’Étampes et les Archives nationales n’en possèdent même pas de copie, mais seulement des comptes rendus de plusieurs séances où furent examinés les cahiers particuliers et rédigé le cahier général. Cette disparition est infiniment regrettable pour l’histoire de notre ville. On a cependant quelques renseignements intéressants par ces comptes rendus de séances et surtout par le cahier particulier d’un membre de la noblesse, cousin du député, Jean-Baptiste de Poilloüe de Saint-Mars, bien qu’il soit malheureusement demeuré inachevé. On sait ainsi que la noblesse réclamait la suppression des impôts multiples et leur remplacement par un impôt unique, réparti avec le plus d’égalité possible sur tous les sujets du roi, sans aucune exception, ni privilège, la suppression de toutes les barrières qui, à l’intérieur du royaume, entravent la circulation et le commerce des denrées, la liberté de la vente et de l’achat du sel, l’unification des coutumes, poids et mesures dans toutes les provinces du royaume, la suppression de tous colombiers et volières de tous ceux qui n’ont pas de droit par titre d’en avoir. En échange de sa décision de contribuer à toutes les impositions, la noblesse demande, comme le tiers état [p.88] lui-même, que les États généraux seuls les votent et que d’autre part, les prérogatives purement honorifiques dont elle jouit lui soient conservées. Mais par ailleurs, elle est prête à tous les sacrifices justes, comme l’y a incitée le grand bailli dans un noble appel.

     Le cahier du tiers état nous a été heureusement conservé. Il représente une synthèse de tous les cahiers particuliers des paroisses, — au nombre de quatre-vingt-douze — qui avaient été rédigés auparavant dans chaque commune, comme nous l’avons vu pour Étampes. Les rédacteurs furent rarement les habitants eux-mêmes, mais presque toujours les officiers, tels que baillis, procureurs et avocats du roi, prévôts, gens de loi instruits et avertis qui avaient pré paré la substance de ces cahiers, qu’ils soumirent ensuite à l’approbation des habitants. Beaucoup d’entre eux se ressemblent de très près, d’abord parce que les maux étaient partout les mêmes, puis, les paroisses voisines se communiquèrent évidemment l’ébauche de leur rédaction, quand elle ne fut pas l’œuvre d’un même officier. Le cahier de la ville d’Étampes est un des plus remarquables; rédigé en un style sobre et clair, il révèle l’esprit tout ensemble sage, indépendant et novateur de ses commissaires, dont s’inspire ensuite le cahier synthétique du bailliage. Les réformes suggérées y sont exposées avec beaucoup plus de cohésion que dans les cahiers des autres ordres, fondées sur des principes de gouvernement et d’administration dont la vérité demeure, tels que la séparation des pouvoirs, la réunion périodique des États généraux, le vote par tête et non par ordre, la répartition équitable et simplifiée des impôts, la fixité de toutes les dépenses, la liberté individuelle, la suppression des tribunaux d’exception et la réforme de toute la procédure, la suppression de la vénalité des charges, des loteries, de toutes les entraves apportées au commerce, l’extension des écoles, etc.

     Les cahiers des trois états de notre bailliage offrent non seulement d’étroites ressemblances, mais sont animés du même esprit. Ils ont été composés, d’ailleurs, lors des séances préparatoires, avec des visites renouvelées d’un ordre à l’autre. Les idées d’union, de nation, de patrie, d’intérêt général, de protection des travailleurs et des malheureux, sont constamment développées dans les discours des membres des trois ordres et nous n’avons pas le droit de penser que cela ne représentait que des mots. Nos quatre députés se rendirent dans cet état d’esprit aux États généraux de Versailles, où ils rencontrèrent certainement un grand nombre d’hommes de toutes les régions animés du même désir de bien faire. On sait cependant que tout travail méthodique et efficace fut rendu impossible par l’absence d’autorité, le désordre, la difficulté même de se faire entendre, les maladresses des uns, l’obstination des autres. Nos députés furent noyés dans ce flot montant. Le seul qui se distingua quelque peu fut Laborde de Méréville, mais sans résultat utile. Une vraie révolution [p.89] va suivre son cours au lieu de la sage rénovation qu’on attendait. Elle se déroulera, néanmoins, avec relativement peu de violences à Étampes pendant les deux premières années. Les changements sur venus partout dans l’administration des villes y sont naturellement introduits et nous n’en donnerons pas un fastidieux exposé. Par ailleurs, la vie privée quotidienne se poursuivra sans grandes modifications, mais la misère augmente; beaucoup d’artisans sont bientôt sans travail, la disette apparaît, en même temps que les vivres renchérissent, ce qui amène les premiers désordres sur les marchés en mai 1789. Des envois, à la Monnaie de Paris, d’argenterie et de bijoux des particuliers, d’objets précieux des églises d’Étampes et de Morigny, sont faits à plusieurs reprises dès l’année 1789 et en 1790, en exécution des décrets de l’Assemblée nationale ou par suite de dons spontanés et patriotiques. Une Société philanthropique est fondée en 1789 pour secourir les pauvres «les plus vertueux» et l’on prélève sur ses fonds une somme de 4.000 fr. pour l’établissement d’une rosière. La première fête de la rosière d’Étampes a lieu en grande pompe le lundi de la Pentecôte 1790 et montre l’union qui régnait encore entre les diverses classes sociales. La jeune fille est conduite à travers la ville par la baronne d’Escars, sœur du député Laborde de Méréville, et Picart, l’ancien maire, jusqu’à l’église Saint-Basile, où le curé célèbre une messe solennelle en présence des membres de la Société philanthropique et des gardes nationaux. La quête est faite par la comtesse de Noailles, seconde sœur de Laborde de Méréville, et par Mile de Poilloüe de Bonnevaux. Un dîner est offert à la rosière et le soir, on danse à l’hôtel de l’Arquebuse.

     Le 14 juillet 1790, la prise de la Bastille est commémorée, comme à Paris et dans toute la France, par la fête de la Fédération et le serment de fidélité. Dans la matinée, les neuf compagnies de la garde nationale, la compagnie des grenadiers et celle des chasseurs, toutes deux créées depuis quelques jours seulement, allèrent prendre solennellement les officiers municipaux à l’Hôtel de ville pour se rendre en corps à Notre-Dame. Dans l’église, étaient assemblés les curés, vicaires et chanoines de la ville et les membres des diverses communautés, barnabites, cordeliers, mathurins et capucins, qui n’avaient plus que si peu de temps à demeurer à Étampes. Ils se réunirent au cortège, qui gagna la promenade du Port; où fut célébrée une grand’messe, sur un autel en plein air. A midi, au son de toutes les cloches, la messe fut suspendue: les officiers municipaux et le commandant de la maréchaussée, montant à l’autel, jurèrent «de rester unis par les liens indissolubles d’une sainte fraternité et de défendre jusqu’au dernier soupir la constitution de l’État, les décrets de l’Assemblée nationale et l’autorité légitime de nos rois». La garde nationale et tout le peuple répétèrent, «nous le jurons» puis, la messe fut achevée, sous la pluie et parmi des rafales de vent. Ensuite, le cortège revint [p.90] à Notre-Dame, où des prières furent dites pour le roi, suivies des cris de: «Vive la nation, vive le roi!» Le soir, les édifices publics furent illuminés, ainsi que les maisons particulières, qui en avaient reçu l’ordre. On voit, partout le caractère de cette fête, quel effort deconciliation était encore tenté entre le passé et l’avenir.

     En octobre 1790, Claude Dupré, huissier à Étampes, rouvre une imprimerie, sous le patronage du District d’Étampes, nouveau corps de douze membres, créé depuis le mois de juin. C’est à Dupré que sera confiée l’impression des innombrables avertissements relatifs aux divers événements qui vont se précipiter: fermeture de plusieurs églises et des couvents, ventes des biens nationaux, certificats de civisme, enrôlement des volontaires, troubles des marchés, réquisitions d’armes, de chaussures, d’habits, d’argenterie, et surtout de grains, installation d’un magasin de subsistance dans l’ancien couvent des Cordeliers, dénonciations publiques des citoyens en retard pour le paiement de leurs impôts, emprunts forcés, fondations d’ateliers de fabrication du salpêtre, d’abord aux Cordeliers, puis dans l’église Saint-Basile, réquisitions d’ouvriers pour la fabrication des armes, des souliers, etc. Ces bulletins, dont l’énumération a été consignée dans un registre spécial par Dupré, lui étaient commandés par le Directoire du District d’Étampes, dont nous suivons ainsi l’activité grandissante. D’autre part, il imprime un périodique hebdomadaire, Le Journal d’Étampes, fondé en novembre 1790, par l’abbé Ménard, desservant de l’église Saint-Pierre, en l’absence de son curé, l’abbé Périer, député à l’Assemblée nationale. Mais, dès février 1791, le journal ne paraît plus, ce qui semble indiquer une certaine indifférence de la population, en face de la fièvre du District. Cependant, un club est fondé en juin 1791 «La Société des Amis de la Constitution», mais il paraît soucieux de vivre en paix avec le corps municipal, dont plusieurs membres sont affiliés au club. Le goût des distractions subsiste également puisqu’à la foire Saint-Michel de 1791, une troupe de comédiens fait imprimer à dix reprises différentes des affiches et des billets pour ses représentations et y reste installée jusqu’au 13 octobre.

     C’est en mars 1792 que se produit le premier événement tragique à Étampes. La cherté croissante des vivres avait entraîné déjà des désordres dans les marchés depuis le début de l’année. Aussi le 21 janvier, le Directoire du District d’Étampes envoya, pour veiller à la sûreté publique, une compagnie du 18e dragons, qui fut logée à la caserne de la rue Saint-Jacques et à la maison de ville. Le 3 mars, une bande d’environ six cents hommes armés de sabres, de fusils et de bâtons, partie de Montlhéry, de la Ferté-Alais et grossie tout le long du chemin, entra dans Étampes, malgré l’opposition du corps municipal qui s’était porté à leur rencontre, en tête de la troupe, dans le faubourg Saint-Jacques. Pour éviter une collision, les officiers municipaux [p.91] se retirèrent, ce qui permit aux mutins de pénétrer en ville et de gagner le marché Saint-Gilles, où, rapidement maîtres du terrain, ils taxèrent d’autorité tous les grains. Lemaire Simonneau et le corps municipal qui étaient à l’Hôtel de ville, après avoir reçu du commandant du détachement de cavalerie l’assurance qu’ils pouvaient compter sur sa troupe, se rendirent, escortés par elle, place Saint Gilles. Ils purent s’avancer jusqu’à l’endroit où les meneurs veillaient à l’exécution de la taxe qu’ils avaient imposée. Le maire tenta de leur représenter l’illégalité de leur action, les insurgés répondirent par des menaces et voulurent le contraindre, au contraire, à proclamer lui-même cette taxe. Simonneau s’y refusa avec énergie et tout aussitôt, il fut enveloppé par une foule vociférante, qui rompit même les rangs de la troupe. Le maire se trouva porté jusqu’à l’extrémité de la place, dans la rue de l’Etape-au-Vin, aujourd’hui rue Simonneau: atteint par des coups de bâton, renversé à terre, il reçoit, d’un homme monté sur une borne, un coup de fusil presque à bout portant, un autre coup de fusil lui brise le crâne, tandis que le procureur Sédillon et un autre citoyen sont blessés. Le rôle de la troupe dans ce drame ne fut jamais bien éclairci: accusée d’infidélité, elle semble au moins avoir manqué de vigueur et s’être rapidement laissée déborder. Mais le malheureux Simonneau lui-même n’avait pas déployé assez d’énergie au début. Il fallait faire appel à la troupe au faubourg Saint-Jacques: là, une charge de cavalerie eut vite repoussé les meneurs tandis qu’elle n’était plus guère possible sur la place Saint-Gilles, bordée de rues très étroites. Le meurtre de Simonneau, victime de son devoir et de sa fidélité à la loi, eut un grand retentissement, non seulement à Paris, mais dans toute la France. L’Assemblée législative décréta «d’urgence», le 18 mars, qu’il serait élevé aux frais de la nation, place Saint-Gilles, une pyramide triangulaire, sur laquelle seraient gravés le nom de Simonneau et ses dernières paroles: «Ma vie est à vous: vous pouvez me tuer, mais je ne manquerai pas à mon devoir, la loi me le défend». Le monument ne fut jamais édifié, mais des services funèbres eurent lieu en l’honneur du maire d’Étampes dans un grand nombre de villes. A Paris, on célébra, le 3 juin 1792, une fête symbolique à sa mémoire, dite la Fête de la Loi, avec une pompe renouvelée de l’antique: un immense cortège militaire et civil traversa tout Paris, portant des bannières couvertes d’inscriptions emphatiques, le buste de Simonneau, son écharpe, le modèle de la pyramide projetée et le modèle de la Bastille, l’autel de la Loi, le livre de la Loi ouvert sur un trône d’or, la figure de la Loi assise sur un socle et appuyée sur ses tables, etc... pour se rendre au Champ de la Fédé ration, où l’on avait dressé un autel de la Patrie et derrière lui, un grand palmier de huit mètres de haut, qui «le couronnait de son large feuillage». Le buste de Simonneau fut déposé sur l’autel de la Patrie, on y plaça la couronne civique et tout le cortège défila autour [p.92] de lui. Une ode fut chantée, «dont chaque strophe était coupée par une musique grave, héroïque ou lugubre suivant le sens de la strophe», après quoi, on brûla une grande quantité d’encens sur l’autel de la Loi. Le livre de la Loi fut élevé et montré au peuple et toute la garde présenta les armes. L’assistance fut évaluée à deux cent mille citoyens et l’on jugea «que nous n’avions plus rien à envier aux fêtes triomphantes de l’ancienne Rome». Aujourd’hui, nous jugeons bien différemment: les triomphes de Rome nous paraissent toujours grands et dénués de ridicule, tandis que la pompe du malheureux Simonneau, avec ses accessoires symboliques, prête à sourire, en dépit des sentiments touchants, et pour beaucoup sincères, qui l’avaient inspirée.

     Les assassins de Simonneau furent recherchés. Vingt et un accusés parurent devant le tribunal criminel du département qui en condamna huit à la prison et deux, citoyens d’Étampes, à la peine capitale. Ceux-ci devaient être exécutés à Étampes, sur la place Saint-Gilles, mais ils échappèrent au châtiment. Incarcérés à Étampes avec les autres condamnés pour le meurtre de Simonneau, ils furent élargis par un nommé Fournier, qui passait, le 8 septembre 1792, en conduisant d’Orléans à Paris un convoi de prisonniers que l’on massacra à Versailles. Emmenés à Paris, les assassins de notre malheureux maire furent reçus par Robespierre, les Jacobins, la commune de Paris et même l’Assemblée législative. On voit quelle évolution s’était faite dans les esprits en quelques mois. Notre ville ne tardera pas à en sentir les redoutables effets.

     Avant cela, le District et la municipalité se préoccupent du maintien de l’ordre. La garde nationale est reconstituée et de nouveaux drapeaux lui sont remis solennellement dans une cérémonie où le curé de Saint-Martin prononce un discours patriotique, où s’expriment encore la fidélité au roi et à la loi et la réprobation des violences: Claude Dupré est chargé de l’imprimer à 700 exemplaires.

     Un assez grand nombre de prêtres à Étampes et dans les paroisses des environs avaient cependant adopté les idées révolutionnaires et prêté le serment constitutionnel, quelques-uns même avec une farouche ardeur. Plusieurs d’entre eux s’étaient mariés. Les autres deviennent l’objet de graves mesures de rigueur lorsque la Convention succède à la Législative, le 22 septembre 1792: un vicaire de Notre-Dame, entre autres, est emprisonné «pour propos incendiaires et manque de respect aux autorités». On saisit de l’argenterie et des objets précieux dans les églises et les monastères.

     En octobre, la Terreur s’installe dans notre ville avec l’arrivée du citoyen Couturier, député de la Moselle à la Convention, qui a reçu la mission de «régénérer révolutionnairement les autorités». Il prononce, en effet, la destitution de tous les membres des corps constitués et les remplace par des hommes sûrs, qui tiennent séance [p.93] dans l’ancienne église des Barnabites. Il fait arrêter, le jour même de son arrivée, le curé de Saint-Basile, le curé de Saint-Pierre et ancien député, Périer, l’aumônier de l’Hôtel-Dieu, celui des Mathurins, des chanoines, d’autres prêtres encore, dont les églises, aux environs, ont été fermées, et les fait interner aux Récollets de Versailles. Il délègue des commissaires dans toutes les communes du district pour achever le pillage des églises et des biens des émigrés. Presque toutes les cloches sont emportées à Paris afin de servir à la fonte des canons notre belle cloche du duc de Berry, vieille de quatre siècles, nous fut cependant laissée, à Notre-Dame, sans doute en raison des difficultés que soulevait sa descente. Tous les objets de métal sont saisis et dirigés sur Paris, pour le même but: Boulence, officier municipal à Étampes, annonce à la Convention, le 12 décembre, l’envoi de quatre-vingts voitures de fer «provenant des ci-devant domiciles de la superstition».

     C’est alors que commence la démolition de la belle église Sainte Croix, vendue comme bien national à un chaudronnier d’Étampes. Notre-Dame est transformée en «temple de la Raison triomphante», Saint-Basile, en salpêtrière et Saint-Gilles sert à la fois de halle au blé et de prison. L’Hôtel-Dieu et le couvent de la Congrégation sont également utilisés comme maisons d’arrêt, le nombre des prisonniers ne faisant que s’accroître. Beaucoup de gentilshommes jeunes et valides avaient émigré, mais leurs femmes, leurs enfants, leurs parents âgés étaient restés Couturier décrète leur arrestation comme suspects et les fait interner ou maintenir reclus dans leur propres maisons. Nous relèverons parmi eux, Michel de Bouraine, l’ancien receveur des finances et sa femme, Picart de Noir-Epinay, l’ancien lieutenant général du bailliage et sa femme, Marie-Geneviève de Bouraine, femme de César-Joachim de Poilloüe de Saint-Périer, émigré, et ses trois enfants, cinq demoiselles de Poilloüe, Jean-Baptiste de Poilloüe de Bierville, sa femme et leurs trois enfants, Claude de La Bigne et sa femme, etc. Les bourgeois n’échappent pas aux rigueurs. Les prêtres, moins encore: Couturier s’acharne particulièrement contre eux. Installé au château de Segrez, près de Souzy-la-Briche, il entreprend à Étampes et dans tout le district une campagne d’intimidation contre les curés restés encore fidèles à leurs devoirs et les malheureux, cédant à l’épouvante, «se déprêtrisent» , suivant le beau style de l’époque; c’est-à-dire qu’ils remettent entre ses mains leurs lettres de prêtrise, qu’il brûle aussitôt dans des «feux de joie», ou bien, ils se font marier par lui. A Méréville, à Ormoy, à Saint-Cyr-la-Rivière, à Bouville, à Puiselet-le-Marais, à Saint-Sulpice-de-Favières, ailleurs encore, ces mariages sont célébrés sur la place publique, devant l’arbre de la Liberté. A Étampes, c’est le curé de Champigny, âgé de cinquante-six ans, que Couturier déclare uni en mariage à Anne Chaté, le 29 octobre 1793, sur la place de la Régénération [p.94] — nouveau nom de la place Saint-Gilles —, au milieu d’une grande affluence; en même temps, il leur donne acte de leurs conventions matrimoniales, usurpant ainsi les fonctions de notaire comme celles d’officier d’état-civil. Il se targue ensuite, dans ses bulletins de victoire envoyés à la Convention, d’avoir anéanti «le préjugé ridicule qui avait privé jusqu’ici les ministres catholiques de l’exercice plein et entier du plus doux des devoirs». On possède de nombreuses protestations écrites des habitants et des demandes de rétablissement du culte, qui s’exerçait de moins en moins, mais loin d’y accéder, Couturier décrète la fermeture de toutes les églises du district le 29 novembre 1793. Sa fureur prend aussi des formes mesquines et risibles c’est ainsi qu’il change les noms de trente-trois rues d’Étampes, que Chalô-Saint-Mars devra s’appeler Chalô-la-Raison, Saint-Sulpice-de Favières, Favières-Défanatisée, que les hommes eux-mêmes portant le prénom de Louis seront nommés Sincère.

     Enfin, le 28 décembre 1793, Couturier, satisfait de son œuvre, adresse un rapport à la Convention sur les «régénérations» qu’il a opérées dans le district d’Étampes. Deux autres députés de la Convention, Crassous et Roux, remplirent après lui des missions à Étampes, mais avec moins d’éclat. Le 9 thermidor seulement devait amener la cessation des violences; cependant, les administrateurs terroristes d’Etampes ne semblent pas avoir compris tout de suite le caractère de la réaction thermidorienne. Ils n’en saisirent guère la portée avant d’avoir subi à leur tour, à la fin de l’année 1794, la destitution que Couturier avait infligée à leurs prédécesseurs. La Convention assagie envoya à Étampes d’autres représentants du peuple pour accomplir cet acte d’autorité, rendu nécessaire par des menaces de désordres. En effet, les lois nouvelles avaient libéré les prisonniers en les autorisant à rechercher leurs dénonciateurs et demandaient des comptes aux administrateurs sur les réquisitions opérées partout. Mais les principaux responsables s’étaient enfuis et leurs complices restés sur place, épouvantés à leur tour, avaient perdu toute autorité.

     La suppression du District et le renouvellement de l’administration municipale ramenèrent progressivement le calme, auquel tout le monde aspirait. Mais dans les campagnes et jusqu’aux portes d’Étampes, sévissaient de redoutables brigands, surnommés les Chauffeurs et formant une bande organisée, la fameuse bande d’Orgères ils assassinent, en 1797, la fermière de la Grange-Saint-Père, au-dessus de Gérofosse.

     Les églises furent rouvertes et les prêtres, même ceux qui s’étaient mariés, revinrent exercer le culte. Le retour aux anciens usages, plus solides que ne l’avaient cru les terroristes, se faisait assez rapidement. Il faut parvenir, cependant, jusqu’à l’Empire pour trouver rétablies certaines institutions, comme le [p.95] collège, qui ne rouvre qu’en 1807 et le couvent des religieuses de la Congrégation, en Mais les autres monastères, Cordeliers, Mathurins, Capucins, la maladrerie de Saint-Lazare et l’église Sainte- Croix sont à jamais détruits; l’église Saint-Pierre est démolie en 1804 et le Bourgneuf gardera le triste aspect d’un chantier durant près d’un siècle. La tour de Guinette et ses dépendances avaient été vendues pour 525 fr., en 1793, comme bien national à un maçon d’Étampes, et pendant plus de cinquante ans, notre vieille forteresse fut exploitée comme une carrière. Le donjon fut seul respecté parce qu’un de ses possesseurs, M. de Grandmaison, en comprit l’intérêt.
 
Tour de Guinette
 

     Notre ville reprend une vie régulière sous l’Empire. En 1809, à l’apogée de la gloire napoléonienne, le maire, le général de Romanet, et la municipalité décident, pour célébrer les victoires d’Espagne, de placer une aigle impériale au sommet du clocher de Notre-Dame et d’orner du même emblème les étendards de la garde nationale. Une cérémonie solennelle, à Notre-Dame, comprend la bénédiction des aigles, un Te Deum et la célébration du mariage «d’une fille sage, dotée par l’Empereur, avec un homme ayant fait la guerre».

     La campagne de France n’atteignit pas notre ville, mais ses conséquences amenèrent des Cosaques jusque dans nos murs. Paris avait été pris par les troupes alliées le 31 mars 1814 et aussitôt après, 12.000 hommes, Cosaques, Tartares et Baskirs, vinrent camper à Gérofosse, au-dessous de Guinette, et même place Saint-Basile. Ils commirent des pillages dans toute la région, à Cerny, à Guigneville et surtout à Bois-Herpin, dont ils dévalisèrent le château de fond en comble, en menaçant de mort le malheureux propriétaire, M. de Pillot, sa femme et ses cinq enfants. A Étampes, ils causèrent le plus grand effroi en raison de leur aspect sauvage: «Ils n’ont pas figure humaine, nous dit une lettre de l’époque, une barbe longue de six pouces leur couvre toute la figure et ils sont vêtus de peaux d’ours et de moutons noirs». Nous avons encore connu un témoin de ce campement, notre propre grand-père, qui, étant alors tout enfant, en avait gardé un souvenir d’épouvante. Dans la ville, où logeait le général russe, Stznichef, les Cosaques ne semblent pas, cependant, avoir commis de violences.

     Le retour des Bourbons fut accueilli avec enthousiasme par bien des familles d’Étampes, puisque la lettre qui nous donne quelques détails sur le campement des Cosaques nous apprend que «plusieurs jeunes gens d’ici sont déjà partis pour Paris se présenter, mais cela se dit à l’oreille». Il s’agissait de la formation de la garde du futur roi, pour laquelle des listes d’inscriptions avaient été ouvertes à Paris dès l’abdication de l’empereur. Cette garde fut constituée en moins d’une semaine.

     Pendant les Cent-Jours, le sous-préfet d’Étampes invita ces mêmes «jeunes gens», revenus dans leurs familles, à s’éloigner jusqu’à [p.96] trente lieues de Paris, sauf s’ils acceptaient de prêter serment l’Empereur.

     Les événements ultérieurs troublèrent peu notre ville. Nous savons qu’en 1817 «la plus grande tranquillité règne dans l’arrondissement» et qu’ainsi un détachement de grenadiers à cheval de la garde royale, qui avait stationné à Étampes, à Milly et à Angerville, est rappelé par le ministre de la Guerre.

     En 1828, la duchesse de Berry traverse Étampes au retour d’un voyage dans les provinces de l’Ouest. Elle est reçue à la sous-préfecture, où un déjeuner lui est offert, après lequel toutes les notabilités lui sont présentées. Réception banale, qui nous vaut seulement un portrait de la duchesse assez piquant, tracé par un témoin oculaire: «Sa toilette est bien négligée, ses cheveux sont d’un blond hasardé, en bandeaux, un teint pâle et jaune, beaucoup de blanc dans des yeux bien clairs et un peu de travers.»

     La révolution de 1830 n’amena pas de troubles dans Étampes. La garde nationale partit bien pour Rambouillet, où se trouvait Charles X au moment de son abdication, mais elle ne dépassa pas Saint-Arnoult.

     En 1832, l’épidémie de choléra, qui avait éclaté à Paris au mois de mars, atteignit Étampes en avril. Elle dura cinq mois et s’étendit à plus de trente communes aux environs; dans notre ville seule, elle frappa 785 personnes et causa près de 300 morts. Une seconde épidémie semblable réapparut en 1849, à la même époque de l’année, et dura également jusqu’en septembre. Elle fit moins de malades, sans doute parce que la première épidémie avait déterminé, chez un assez grand nombre d’individus restés indemnes, un état de défense qui les mit à l’abri de la seconde. Mais le choléra avait acquis plus de virulence, comme il arrive souvent, et le nombre des morts fut plus élevé. On brûla dans toutes les rues des genévriers, parce qu’on croyait alors à l’efficacité de ces fumées aromatiques elles n’avaient aucun effet prophylactique, mais l’inquiétude qui étreignait toute la population en était un peu apaisée.

     Cette double invasion de choléra et l’ignorance où la médecine était encore de ses vraies causes et des moyens de s’en préserver rattachent cette époque à un lointain passé tandis que, par ailleurs, les progrès sont considérables et l’esprit humain fait d’immenses conquêtes.

     Notre ville retrouve une prospérité qu’elle ne connaissait plus depuis des siècles. L’industrie des moulins, dont le nombre s’est beaucoup accru, est rénovée; le commerce des grains, des bestiaux, des laines, du sable, des produits maraîchers, prend une extension nouvelle. C’est ainsi que, dès 1838, peut être créée la Caisse d’Épargne d’Étampes, fondation qui a puissamment contribué au [p.97] développement de la prospérité et dont le succès montre la sagesse de nos populations beauceronnes.

     En 1843, a lieu l’inauguration du chemin de fer de Paris à Orléans qui donnera un nouvel essor à notre ville, de même que sa situation sur la grande route avait jadis déterminé sa fondation et plus tard, sa grande importance. Des travaux considérables, comme le détournement de la Louette, l’établissement de la grande rampe, avaient été effectués pour la construction de la ligne. On sait que les premiers chemins de fer furent l’objet de bien des scepticismes et des railleries, ainsi qu’il en est trop souvent en France de toutes les inventions, mais les hommes clairvoyants en pressentaient déjà le succès. «Mystérieux comme tout ce qui est grand, disait le duc de Nemours à l’inauguration, l’avenir des chemins de fer réalisera, n’en doutons pas, les magnifiques espérances de gloire, de richesse et de civilisation qu’il a fait naître».

     En 1844, s’éteignait une des plus belles figures de la science française, qui était un enfant d’Étampes, Geoffroy-Saint-Hilaire. Né en 1772, il appartenait à une vieille famille étampoise. Après avoir fait ses études au collège de Navarre, à Paris, il suivit les leçons de Daubenton et de l’abbé Hauy, qu’il sauva lors des massacres de septembre par ses démarches et son dévouement. Presque aussitôt, en 1792, Hauy le fit entrer comme démonstrateur au Jardin des Plantes, où l’année suivante, un décret de la Convention instituait douze chaires d’enseignement. Celle de «l’histoire des animaux vertébrés» fut offerte à Geofîroy-Saint-Hilaire, qui d’abord refusa modestement, parce que ses travaux jusqu’alors avaient porté davantage sur la minéralogie. Mais Daubenton leva ses scrupules: «Osez entreprendre, lui dit-il. La zoologie n’a jamais été professée à Paris; faites que dans vingt ans, on puisse dire: la zoologie est une science et une science française». Geoffroy-Saint-Hilaire ne devait pas décevoir les espérances de son maître: grâce à lui, la Ménagerie fut créée, les collections renouvelées et complétées, tandis qu’il publiait, dès 1795, des études importantes sur les Mammifères et les Orangs. Bonaparte l’emmène en Egypte en 1798; il reprend, au retour, son enseignement et ses travaux au Muséum, puis, il est nommé, en 1807, à trente-cinq ans, membre de l’Institut, en 1809, professeur de zoologie à la Faculté des Sciences, chaire qu’il occupa concurremment avec celle du Muséum jusqu’en 1840: répondant au vœu de Daubenton, il avait fait de la zoologie une science française. Nous ne citerons pas ses nombreux travaux, tant en zoologie qu’en embryologie et en tératologie, sciences qui, elles aussi, existaient à peine avant lui. Le titre de son ouvrage capital Principes de philosophie zoologique donne le caractère même de son esprit et de son œuvre; il porte, le premier, une vue d’en semble et vraiment philosophique sur l’anatomie des animaux. Un de ses plus beaux titres de gloire est aussi d’avoir reconnu et courageusement [p.98] proclamé la valeur des idées de Lamarck sur la variabilité des espèces, contre Cuvier qui croyait à leur fixité. La lutte entre les deux savants, qui étaient liés d’une amitié bien ancienne, puisque Geoffroy-Saint-Hilaire avait fait venir Cuvier à Paris dès 1795, passionna l’Europe savante. Le vieux Goethe, qui en suivait les péripéties dans les discussions de l’Académie des Sciences, demandait à un visiteur qui arrivait de Paris: «Que se passe-t-il à Paris?» — «Le roi, répondit son interlocuteur, vient de...» — «Que m’importe la politique, dit Goethe. Je vous demande où en est la discussion entre Geoffroy-Saint-Hilaire et Cuvier».

     Geoffroy-Saint-Hilaire avait été nommé, en 1815, député d’Étampes, mais il abandonna bientôt un mandat qui le détournait de ses études. Une statue lui fut élevée par souscription, en 1857, devant le théâtre. Le jour de l’inauguration, le 11 octobre, toute sa ville natale, justement fière de lui, fut décorée et illuminée.

     Nous ne pouvons énumérer ici toutes les personnalités notables de notre région au XIXe siècle: nous citerons, cependant, Narcisse Berchère, né à Étampes en 1819, parce qu’il fut un grand artiste, dont nous avons heureusement quelques œuvres dans notre Musée. Ayant longtemps voyagé en Espagne, en Egypte, en Syrie, il a su rendre la grandeur lumineuse et la poésie de ces paysages d’Orient.

     La révolution de 1848 se déroula sans violences dans notre sage petite ville. On planta sur la place Saint-Gilles un arbre de la Liberté, devant lequel fut prêté le serment à la Constitution.

     Mais après une période prospère et brillante, la guerre réapparut, avec tout son cortège de tristesses et de misères. Le l7 septembre 1870, notre ville voyait arriver les premiers Prussiens dans ses murs, tandis qu’elle était totalement isolée de Paris, dont l’investissement s’achevait. Étampes allait être occupée pendant cinq longs mois. Au début, les troupes prussiennes paraissaient prêtes à toutes les violences, mais l’attitude ferme et courageuse du maire Brunard leur en imposa et l’occupation s’écoula sans graves désordres. Elle entraîna, bien entendu, les réquisitions de toute nature: armes, grains, bestiaux, pain et vin. En octobre, une lourde amende de 20.000 fr. fut exigée de la ville parce que le télégraphe prussien avait été coupé aux environs. Le 8 octobre, eut lieu tout près d’Étampes, à la ferme de Courpain, un combat héroïque où quelques francs-tireurs tinrent tête à plusieurs régiments prussiens: petite victoire isolée et sans lendemain. A plusieurs reprises, passèrent des convois de prisonniers français qui devaient gagner la Prusse. Ils furent logés au grenier d’abondance et dans les églises Notre-Dame, Saint-Basile et Saint Gilles. Près de cinq cents d’entre eux purent s’évader, grâce au concours de courageux habitants, car les représailles de l’ennemi pouvaient être terribles.

     Enfin, le 16 février 1871, notre ville était libérée, mais encore [p.99] appauvrie par le versement d’une lourde contribution de guerre que les autorités prussiennes exigèrent sous des menaces, avant leur départ.

     Nous arrêterons ici l’histoire d’Étampes. Depuis 1870, elle s’est déroulée sans heurts et sans fastes jusqu’à la Grande Guerre et celle-ci nous paraît trop récente et trop douloureuse encore à beaucoup pour qu’on en puisse retracer le détail avec la sérénité nécessaire. Depuis, c’est une époque nouvelle qui s’est ouverte et, selon le mot du sage Montaigne, il est plus facile de juger et de décrire le temps passé que le présent. Si le culte du souvenir garde encore dans l’avenir quelques fidèles, ceux-là qui nous suivront auront la tâche d’écrire notre histoire. [p.100]

 
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BIBLIOGRAPHIE

Éditions

Le Comte de Saint-Périer (Emile Bouneau, 1951) Couverture de l'édition séparée de La grande histoire d'une petite ville par le Comte de Saint-Périer (1938)     Édition princeps: René de SAINT-PÉRIER, La grande histoire d’une petite ville: Étampes [in-4° (16 cm sur 25); 143 p.; 8 gravures sur bois originales in-texto de Jules Lepoint-Duclos; 16 planches hors-texte dont deux croquis et 14 photographies originales de Jules Lepoint-Duclos; ouvrage couronne par l’Institut], Étampes, Édition du Centenaire de la Caisse d’Épargne (1838-1938), 1938 [AME, ADE]. Dont une réédition remaniée posthume à partir de 1964 dans le Bulletin Municipal d’Étampes.

     Réédition partielle corrigée et augmentée: Raymonde-Suzanne de SAINT-PÉRIER [éd.] & René de SAINT-PÉRIER [†1950], «La grande histoire d’une petite ville: Étampes» [réédition mise à jour publiée en feuilleton], in Étampes. Bulletin Official Minicipal 2 (janvier 1964), pp. 20-30; 3 (2e semestre 1964), pp. 24-29; 4 (hiver 1964-1965), pp. 25-31; 5 (janvier 1966), pp. 13-16; 6 (septembre 1967), pp. 13-15; 7 [et non 6 comme indiqué aux AME] (2e semestre 1967), pp. 9-11; 10 [et non 9 comme indiqué aux AME] (1er semestre 1969), pp. 17-19 [AME, ADE].


    
Réédition en fac-similé du texte de 1938: René de SAINT-PÉRIER, La grande histoire d’une petite ville: Étampes [20 cm; 140 p.; illustrations; reproduction en fac-similé de l’édition de 1938], Paris, Le Livre d’Histoire [«Monographies des villes et villages de France»], 2004 [Cette réédition ne tient pas compte des remaniements posthumes et sa notice introductive est un plagiat de notre page bibliographique.]

     Édition électronique des seules gravures sur bois de Jules Lepoint-Duclos: Bernard GINESTE [éd.], «Jules Lepoint-Duclos: Monuments étampois (gravures sur bois, 1938)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-20-lepointduclos1938huitgravures.html, 2004.

     Édition électronique des seules photographies de Jules Lepoint-Duclos: Bernard GINESTE [éd.], «Jules Lepoint-Duclos: Monuments étampois (photographies, 1938)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-20-lepointduclos1938photographies.html, 2004.

    
Édition électronique intégrale: Bernard GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer: Grande histoire d’une petite ville, Étampes (1957-1969)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-saintperier1938grandehistoire.html (9 pages web), 2005.

     Ce chapitre: Bernard GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer: Étampes, la Révolution et le XIXe siècle (1957-1969)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-saintperier1938grandehistoire06.html, 2005.

Sur le Comte de Saint-Périer

     Adrien GAIGNON, «Le Comte de Poilloüe de Saint-Périer» [notice nécrologique], in Bulletin de l’Association Les Amis d’Étampes et de sa région 7 (janvier 1951), pp. 117-119 [AME, ADE].
     Réédition partielle: BILLARD 1984, pp. 115-118.
     Réédition
numérique intégrale: Bernard GINESTE [éd.], «Adrien Gaignon: Le Comte de Poilloüe de Saint-Périer (nécrologie, 1951)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cpe-20-saintperier-gaignon1.html, 2004].

     Émile BOUNEAU, «Dernier portrait du comte de Saint-Périer (juillet
1950)», in Bulletin de l’Association Les Amis d’Étampes et de sa région 7 (1951), p. 120 [dont l’image au début de la présente page].

     Pour une bibliographie plus complète et évolutive: Bernard GINESTE [éd.], «Le Comte de Saint-Périer et son épouse: une bibliographie», in Corpus Étampois,http://www.corpusetampois.com/cbe-saint-perier.html, 2003.


Étampes en Révolution, 1789-1799

Etampes en Révolution      ASSOCIATION ÉTAMPES-HISTOIRE [Frédéric BEAUDOIN, Christian CARENTON, Jocelyne DOUCHIN, Jean-Pierre DURAND, Romuald FÉRET, Georges GAILLARD, Jacques GÉLIS, Laurent GOUX, François HÉBERT-ROUX, Marie-Thérèse LARROQUE, Marie-José MARGOT, Michel MARTIN, Claude ROBINOT, Laurent SLOMOVICI, Bernard VILFRITE], Étampes en Révolution. 1789-1799 [248 p.; 78 documents figurés; sources et bibliographie à la fin de chaque chapitre; cartes de Claude Robinot; aquarelle de Philippe Legendre-Kvater en 1ère de couverture], Éditions Amattéis [Comité pour la commémoration du Bicentenaire de la Révolution Française dans l’Essonne, «La Révolution en Essonne» (collection de 9 ouvrages)], Le Mée-sur-Seine, 1989. [ISBN 2 86849-074-3. Ouvrage épuisé en 2003]
«Avant-propos», pp. 5-6.
«1. Étampes et sa région à la fin du XVIIIe siècle», pp. 8-29.
     Au sud et à l’est, «la belle et féconde Beauce». A l’est et au nord, la diversité des paysages et des activités. A Étampes, le commerce et le pouvoir. Une ville qui s’ouvre. Une ville de l’eau. Étampes et ses quartiers. Une société contrastée. Les attitudes devant la vi
e. Sources. bibliographie.
«2. Les derniers beaux jours de l’Ancien Régime (janvier 1787-mars 1789», pp. 30-50.
     Avant la Révolution, la réorganisation du pouvoir municipal. Le temps des projets (janvier 1787-juillet 1788). Un événement lourd de conséquences: la grèle du 13 juillet 1788. Des élites philanthropes?La préparation des États généraux mobilise les énergies (décembre 1788-mars 1789). Les paysans du plat-pays d’’Etampes n’ont-ils rien à dire? Le Tiers État d’Étampes exprime un désir de réformes. Les ordres privilégiés en proie à des sentiments contradictoires. La préparation des États Généraux s’achève à Étampes.
Sources. bibliographie.
«3. Étampes entre en révolution (avril 1789-juillet 1790)», pp. 51-79.
     Les troubles du marché Saint-Gilles. Le maintien de l’ordre: prévention et répression. Quand Paris entre en scène… Les premiers symptômes d’une crise politique à Étampes. Malgré la moisson, la crise s’aggrave. La «révolution municipale» à Étampes? Étampois et Parisiens: des rapports toujours difficiles. Des élections municipales laborieuses (26 janvier-1er février 1790). Le contentieux entre l’ancienne et la nouvelle municipalité. Étampes dans la bataille administrative. Le district et la commune. La fête de la Fédération à Étampes.
Sources. bibliographie.
«4. Lassitude des élites et craintes populaires (août 1790-novembre 1791)», pp. 80-102.
     L’édifice religieux se fissure.Grandeur et servitude de la Garde nationale. La désaffection pour les charges électives. La gestion du quotidien. La justice locale. La contribution financière. Le choc de Varennes. Les «journées» des 10 et 16 septembre.
Sources. bibliographie.
«5. L’affaire Simonneau», pp. 103-127.
     Changement de ton, changement de rythme. Objectif: le marché d’Étampes! L’échec d’une stratégie. L’émeute tourne à la tragédie. L’instruction de l’affaire et le procès. Simonneau, l’homme de la situation? Un complot? Quel complot? Aux origines d’une émotion populaire. Simonneau, martyr de la Loi.
Sources. bibliographie.
«6. Dans l’ombre de Paris», pp. 128-147.
     En toile de fond la guerre et les subsistances. Le renversement du trône: le 10 août 1792. Et toujours la guerre! Le calme revient… retour à la gestion quotidienne. Comment faire payer les contributions? Encore les subsistances! Les problèmes internes du conseil de commune. Le clergé et ses biens. Les émigrés et les autres suspects.
Sources. bibliographie.
«7. La crise de l’an II: la guerre et le gouvernement révolutionnaire», pp. 148-185.
     Sauver la République: l’effort de guerre. Les mesures révolutionnaires et la «mission Couturier». La guerre aux paysans. Prêtres abdicataires et déchristianisation. Les résistances à la Révolution. Le bataillon d’Étampes. Prisonniers de guerre: «Vendéens» et Autrichiens. Subsistance et Maximum. Maximum des salaires et «coalitions» de salariés. Restrictions et marché noir. La disette et la fête. Temps nouveaux, espaces nouveaux.
Sources. bibliographie.
«8. De Robespierre à Bonaparte», pp. 186-213.
     La disette de l’an II. Étampes en Thermidor. Le pouvoir de quelques-uns. Le patriotisme et la fête. La guerre, toujours la guerre… Prison et prisonniers. Timide réapparition de la Garde nationale. Les contributions et les percepteurs. La police des marchés, des rues et des campagnes. La crise monétaire de 1795-1796. Les moulins. La vie intellectuelle et l’instruction publique. Quel bilan, quelles interprétations?
«Pour conclure», pp. 215-217.
«Biographies», pp. 219-227.
     Boullemier Claude-Julien, Brou Jean-Baptiste, Clartan Armand, Constance Boyard Sulpice-Charles, Couturier Jean-Pierre, Dolivier Pierre, Dupré Claude, Duverger Théodore-Adrien, Nasson Pierre, Pailhèse Jean-Baptiste, la famille Périer, Robert Georges-François Rousseau Jean-Henri, Simonneau Jacques-Guillaume.
«Glossaire», pp. 229-237.
     Abbé commendataire, administration municipale, agent national, appréciateurs, ateliers de charité, aulnage, bailliage, banalité, bénéfice ecclésiastique, blutage, capitation, champart, chanoine, chapitre, châtellenie, citoyen actif, colombier (privilège de), comité de surveillance, commissaire du directoire exécutif, compagnie de l’arquebuse, conseil général de la commune, contribution patriotique, corde, dîme, district, directoire, droits casuels, échevin, élection, enchères, états provinciaux, fabrique, fermiers généraux, finage, fouille, gabelle, gardes françaises, garde nationale, généralité, grenier à sel, gros, hausse, intendant, laboureur, lieutenant général, logement des gens de guerre, marché, mégissier, mesures agraires, mesures anciennes de la région d’Étampes, mesures de longueur, mesure de masse, mesureur, méteil, milice bourgeoise, minage (droit de), monnaie, octroi, officiers de judicature, péage, physiocrate, prévôté, procureur, procureur de la commune, procureur du roi, procureur syndic, règlement municipal de 1786, regrattier, représentant en mission, roulier, section, six-corps, subdélégué, suffrage censitaire, suffrage universel, taille, tarif, terrier.
«Bibliographie» [36 titres], pp. 239-241.
«[Table des] Tableaux, cartes et graphiques», p.243.
«Table des matières», pp. 245-247.


Le pays d’Étampes au XIXe siècle

Le Pays d'Etampes au XIXe siècle      ASSOCIATION ÉTAMPES-HISTOIRE, Le pays d’Étampes au XIXe siècle [288 p.; ouvrage publié avec le concours de la ville d’Étampes], Éditions Amattéis, Le Mée-sur-Seine, 1991. [Ouvrage épuisé en 2003]
Françoise HÉBERT-ROUX , «...Et le train arriva à Étampes!», pp. 11-43.
Christian CARENTON & Jocelyne DOUCHIN, «Sociétés d’agriculture et modernisation des campagnes», pp. 45-66.
Romuald FÉRET, «Le théâtre à Étampes au XIXe siècle», pp. 67-87.
Laurent GOUX, «Révolutions et coups d’État: un écho provincial», pp. 90-105.
Claude ROBINOT, «1870-1871: L’année terrible vue d’Étampes», pp. 107-127.
Marie-Thérèse LARROQUE, «Une saignée démographique à Étampes, le choléra de 1832», pp. 128-165.
Jacques GÉLIS , «Les ‘Corps-saints’ d’Étampes: la fin d’un culte populaire», pp. 169-195.
Jean-Pierre DURAND, «Presse locale et esprit public à Étampes (1893-1906)», pp. 197-217.
Marie-José MAGOT, «Étampes à la ‘Belle Époque’», pp. 219-238.
Bernard VILFRITE, «Les centenaires de 1789 et 1792 à Étampes», pp. 243-255.



Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source: L’édition de 1938 et ses remaniements posthumes édités par la Comtesse. Saisie et mise en page de Bernard Gineste, 2005.
    
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