IV. Le XVIIe siècle
Gabrielle d’Estrées,
duchesse d’Étampes.— Les
derniers possesseurs du duché. — Passages de Louis XIII à Étampes.—
La vie joyeuse.— La peste.—
Encore la guerre civile.—
Les frondeurs occupent Étampes.—
Premier siège et batailles
de rues.— Le second siège.— Ruines, épidémies et désolation.—
La plus malheureuse ville
du royaume.— Méfaits des garnisons.—
Louvois contre le maire.—
Passages de Louis XIV à
Étampes.— Nos premiers historiens.
Nous avons vu que le duché d’Étampes
avait été donné par Henri III, en 1582, à
Marguerite de Valois, la femme du futur Henri IV. Simple usufruitière,
elle ne joua aucun rôle politique dans son duché, n’y vint
sans doute jamais et n’y a pas laissé de marques quelconques de son
intérêt. Il en avait été ainsi, à des
degrés divers, pour d’autres donataires du duché, ou même
plus anciennement du comté, mais désormais ce sera la règle
pour tous ceux qui seront honorés du titre de duc ou duchesse d’Etampes.
Ils touchent les revenus du domaine, sans y résider, sous le contrôle
du Parlement et de la Chambre des comptes, mais, en raison même de
la puissance acquise par la monarchie, les pouvoirs politiques, administratifs,
militaires, judiciaires, appartiennent d’abord et tous au roi et à
ses fonctionnaires, ensuite, et seulement pour quelques-uns, aux seigneurs
laïcs et ecclésiastique du bailliage et à la municipalité.
En
1598, Marguerite de Valois, alors reine de France, céda son duché
à Gabrielle d’Estrées, marquise de Monceaux, duchesse de
Beaufort, la maîtresse d’Henri IV depuis 1590. Cette donation peut
être jugée quelque peu singulière, même si l’on
tient compte de la [p.52] liberté
des mœurs de l’époque, et du roi, en particulier. Mais elle s’explique
aisément: le ménage royal était en désaccord
complet, non pas seulement à cause des infidélités
du Béarnais trop galant; la reine, d’ailleurs elle-même fort
galante, s’était séparée de lui dés 1585 pour
prendre le parti de ses pires ennemis et vivait maintenant recluse, presque
prisonnière en raison de ses intrigues, au château d’Usson,
près d’Issoire. Henri IV était décidé depuis
l’année 1593 à faire annuler son mariage, mais il lui fallait
le consentement écrit de Marguerite de Valois: elle le lui fit chèrement
payer par des pensions, des règlements de dettes, des places, des
abbayes. Ces marchandages durèrent des années. La donation
à Gabrielle d’Estrées en est encore un, sous une forme déguisée
: par des complaisances à l’égard de la favorite, un supplément
d’avantages pouvait être obtenu du roi. Le duché d’Etampes
dut faire l’objet de quelque transaction de ce genre.
A
la mort prématurée de Gabrielle d’Estrées, en 1599,
le duché d’Étampes fut transmis à son fils aîné,
César, duc de Vendôme, qu’elle avait eu d’Henri IV en 1594.
Légitimé par le roi, il avait, en outre, été
mis en mesure de recevoir «toutes sortes de dons et, en particulier,
la succession éventuelle de sa mère, dès 1596, par des
lettres patentes. La maison de Vendôme fut usufruitière du
duché pendant plus d’un siècle Louis, duc de Mercœur, fils
de César, le reçut en dot de son père lors de son
mariage avec Laure Mancini, la nièce de Mazarin, en 1654. Mais leur
fils, Louis-Joseph, à son tour duc d’Étampes. vaillant capitaine
«qui faisait la guerre en héros, en grand homme et en honnête
homme», mourut sans enfants en 1712. Il avait épousé
la petite-fille du Grand Condé, Marie-Anne de Bourbon, fille d’Henri,
prince de Condé, qui garda le duché jusqu’à sa mort
en 1718; sa mère, Marie-Anne de Bavière, douairière
de Condé, en hérita et le laissa à son autre fille,
Louise-Elisabeth de Bourbon.
Des
Bourbon-Condé, le duché d’Étampes passa aux Bourbon-Conti
par le mariage de cette Louise-Elisabeth de Bourbon-Condé avec
son cousin Louis-Armand, prince de Conti, dont une fille, Louise-Henriette
de Bourbon-Conti est duchesse d’Étampes au milieu du XVIIIe siècle.
Elle
épousa, en 1752, le petit-fils du Régent, Louis-Philippe
d’Orléans et ainsi le duché d’Étampes entrait dans
la maison d’Orléans. Leur fils, Louis-Philippe-Joseph d’Orléans,
plus connu sous le nom de Philippe-Égalité, qu’on lui donna
après son élection comme député à la
Convention, reçut les domaines d’Étampes et de la Ferté-Alais
dans le partage, entre sa sœur et lui, de la succession de leur mère,
en 1779. Ils lui étaient attribués pour la somme assez considérable
de 480.000 livres. Philippe-Égalité fut le dernier duc d’Étampes.
Cette
sèche énumération nous amène à l’aube
de la Révolution sans que nous ayons participé à la
vie de notre cité depuis a mort d’Henri IV, parce que, nous l’avons
dit, sa vie s’écoule à l’écart
[p.53] des princes qui portent son nom, entre autres titres,
et elle ne les connaît guère que par leurs noms précisément,
qui figurent en tête de tous les actes du bailliage.
Louis
XIII, qui voyageait beaucoup, s’arrêta quelquefois à Étampes,
mais non aussi souvent qu’il a été dit. Nous retiendrons
seulement ses passages certains, attestés en particulier par le
précieux journal d’Héroard, son médecin, qui ne le
quitta guère jusqu’en 1628, séjours très courts,
d’une journée ou d’une nuit, sans apparat et sans conséquences
pour notre ville. Le premier a lieu le 6 et le 7 juillet 1614; le roi
avait treize ans, il arrive en carrosse à quatre heures, la reine
mère le rejoint le soir et il repart pour Angerville dès
le lendemain matin, après avoir assisté à la messe
à Notre-Dame. Le 9 mai 1615, allant en Touraine, il y passe toute
la journée parce que l’Ascension, et enfin, le 13 et le 14 mars 1631,
alors qu’il se rend à Orléans pour combattre son frère,
Gaston d’Orléans, toujours en rébellion. Le roi descendait
tout simplement à l’auberge, comme il le faisait dans toutes les petites
villes; le palais du Séjour n’était plus, depuis Claude de France,
à l’usage des princes et nul d’entre eux n’avait songé à
en édifier un nouveau, le temps étant loin où ils faisaient
d’Étampes leur séjour préféré.
Il s’en fallait cependant de beaucoup que ce fût
alors une ville triste et morne. Des mémoires inédits d’un
gentilhomme étampois de l’époque nous apprennent, au contraire,
qu’elle était fort vivante. Elle demeurait, en effet, un grand passage
et une étape importante; s’il y avait moins de pèlerins qu’au
XIIe siècle, il y avait plus de voyageurs; le développement
de la culture et du commerce, les nécessités ou les menaces
de la guerre, y entretenaient une activité incessante. On y comptait
plus de cinquante auberges. La garnison, qui l’occupait alors presque constamment,
était souvent renouvelée, ce qui contribuait à l’animation
de la cité et donnait lieu à de nombreuses réjouissances,
bals, festins, parties de jeu qui se tenaient dans la rue des Tripots,
aujourd’hui, la rue de la Plâtrerie. Il s’ensuivait, d’ailleurs,
beaucoup d’intrigues et de désordres, des tapages nocturnes, des
sérénades aux violons et autres instruments, qui se terminaient
quelquefois par des coups d’épée ou même des duels.
Si cette vie d’agitation satisfaisait la jeunesse, elle excitait parfois
les murmures «des meilleurs habitants et des personnes de qualité
passant ès-hotelleries»; elle enlevait aussi du crédit
aux plaintes formulées par la municipalité auprès
des autorités sur les misères, pourtant si réelles,
de leur ville. Aussi en vint-elle à défendre expressément
dans les rues, la nuit et même le jour, tous violons et autres instruments
à peine de quarante livres d’amende et de prison.
Le
duc d’Étampes, César de Vendôme, fils d’Henri IV et
de Gabrielle d’Estrées, ne demeura pas tout à fait un inconnu
pour notre ville puisqu’il y vint le 24 février 1615 poser la première
pierre de [p.54] l’église
des Capucins, au faubourg Évezard. Ces moines, comme nous l’avons
vu, avaient obtenu, en 1580, de succéder à la commanderie
de Saint-Jacques, dont ils avaient reçu tous les bâtiments.
Ils en ajoutèrent d’autres et leur monastère était
un important ensemble au XVIIe siècle, comme le montre une gravure
de l’époque. Ce sont eux qui, en 1621, détournèrent
la rivière et lui firent faire ainsi ce coude accentué, derrière
l’abattoir, afin d’enclore dans leur jardin un pré situé
au delà et l’ancien port de la commanderie, qui ne servait donc
plus, ayant été peu à peu supplanté par le
port communal, plus grand et mieux placé. Il reste du long séjour
de ces moines à Étampes le nom du chemin qui longe la rivière,
dit la sente des Capucins.
En
1630, un ordre enseignant de femmes, les religieuses de la Congrégation
de Notre-Dame, nouvellement fondé par un curé de la Lorraine,
Pierre Fourier, s’établit à Étampes, d’abord rue
Saint-Jacques et rue de la Plâtrerie, dans des maisons louées
ou achetées. Mais, au milieu du XVIe siècle, elles étaient
installées au carrefour qui porte encore leur nom, à l’extrémité
de la rue des Cordeliers, dans un vaste monastère qu’elles avaient
fait bâtir, après maintes acquisitions successives de terrains.
Il ne leur manquait qu’une église, pour laquelle elles obtinrent en
1663, de Louis de Vendôme, malgré l’opposition du corps de
ville, un terrain joignant la place Saint-Gilles «qui était
de temps immémorial un lieu public, de belle symétrie et grande
décoration destiné tant aux exécutions qu’aux marchés
et s’appelant de toute ancienneté le marché aux Porcs»,
ce qui justifiait la désapprobation des officiers de ville. Mais ils
durent s’incliner: l’église fut construite et dédiée
à Saint-Joseph. La congrégation était, en effet, puissante
et fort riche, possédant, outre la ferme de Guinette et des prés
à Étampes, de nombreuses terres à Étréchy,
à Bois-Herpin, à la Montagne, à Dhuilet, à Bouville;
elle avait placé «chez le roi» plus de cent mille livres
et prêtait même de l’argent aux particuliers. En 1695, elle
comprenait plus de cinquante sœurs professes, qui donnaient gratuitement
l’instruction aux jeunes filles externes, et il y avait aussi de nombreuses
pensionnaires. Après la Révolution, qui les avaient chassées
et dépossédées, elles purent racheter leur couvent
et ce qui restait du monastère des Cordeliers. On sait qu’elles y
demeurèrent jusqu’à une époque toute proche de nous.
Elles possédaient encore un graduel du XVIIe siècle, décoré
pour elles, qui est un magnifique spécimen de l’art des miniaturistes
et des calligraphes de l’époque, chef-d’œuvre de grâce et d’élégance.
Il avait conservé toute la fraîcheur de son coloris lorsqu’il
nous fut donné de le voir plus tard chez un libraire, qui nous permit
d’en publier quelques reproductions.
Encore
sous le règne de Louis XIII, un événement notable
dont nous trouvons une mention est une épidémie de peste qui
sévit sur [p.55] Étampes
et les environs, en l’automne de 1631 et durait encore, semble-t-il, au
début de 1632. Les habitants, tant ecclésiastiques qu’officiers
et autres, sont convoqués le 26 septembre, à l’Hôtel
de ville, pour aviser aux moyens d’enrayer le mal qui augmente de jour en
jour et de secourir les pauvres qui en sont affligés. Le maire était
alors Pierre Baron, seigneur de l’Humery, une des belles figures de nos
magistrats étampois. On procéda à la nomination d’un
chirurgien, d’un confesseur et d’un «enterreur» et l’on interdit de recevoir des malades, qui
étaient venus, avec des hardes, de Janville et autres lieux; ces
hardes devaient être confisquées et brûlées à
l’instant. Le 6 février 1632, une autre assemblée se réunit
pour décider de «l’achat et bâtiment d’un lieu propre
et particulier pour retirer et faire traiter les habitants qui se trouveront
atteints de la peste».
Vingt
ans plus tard, une autre calamité, déjà trop connue,
s’abat sur notre ville et cette fois lui infligera les pires ravages qu’elle
ait eu jamais à subir: c’est encore la guerre civile. On sait que
pendant la minorité de Louis XIV, la régente Anne d’Autriche
et son ministre Mazarin virent se dresser contre eux, et ainsi contre le
jeune roi lui-même, le Parlement, les Princes, avec une partie de la
noblesse et le peuple de Paris, qui s’unirent, en dépit de tout ce
qui les séparait, et engagèrent une véritable guerre,
qu’on appela la Fronde. Mazarin avait levé une petite armée
à ses frais, que commandait Turenne tandis que Condé, le vainqueur
de Rocroi, qui voulait la place de Mazarin, dirigeait l’armée des
Princes. Condé, ayant été mis en dé route par
Turenne à Bléneau, près de Montargis, en avril 1652,
voulut rapprocher ses troupes de la capitale, dont il craignait la défection.
Il se rendit lui-même à Paris et son armée, qui commençait
à manquer de pain, sinon de vin, puisqu’elle en avait bu toutes les
réserves à Montargis, gagna Milly, Maisse, la Ferté-Alais,
où elle se heurta à quelques éléments de l’armée
royale, qui était de l’autre côté de la ville. Ne pouvant ainsi atteindre directement Paris
par Corbeil, les lieutenants de Condé jetèrent leur dévolu
sur Étampes, pour s’abriter derrière ses murs, qui subsistaient
en partie malgré l’autorisation de démantèlement d’Henri
IV, et pour se ravitailler en blé et en fourrage. Le seigneur de la
Boulaye se fit fort d’obtenir l’ouverture des portes, déclarant qu’il
était connu «de quelques-uns d’Étampes» et qu’il
la demanderait de la part de Monsieur de Beaufort, le second fils de César
de Vendôme, duc d’Étampes. Ce qui se réalisa, en effet:
bien qu’il fût dix heures du soir, des paysans, qui en l’absence bien
malencontreuse du capitaine du corps de garde, gardaient la porte Saint Pierre,
juste à l’endroit où vient aboutir la route actuelle de la
Ferté, «aussitôt qu’ils ouïrent le sieur de la Boulaye
parler de la part de Monsieur de Beaufort», ouvrirent tout simplement
la porte. L’ennemi était dans la place. Il y eut bien une tentative
de résistance de la part des autorités et notre ville doit
être justifiée de [p.56]
l’accusation, qui fut plus tard portée
contre elle, d’avoir trahi son roi. Mais elle était fort mal informée,
tant des intrigues complexes qui se nouaient à Paris que de la composition
et des mouvements respectifs des deux armées adverses, au point que
les responsables de l’ouverture de la porte Saint-Pierre jurèrent
qu’ils croyaient que Mon sieur de Beaufort était du parti du roi et
qu’ainsi ils donnaient pas sage à des troupes royales. Cependant,
dès cette nouvelle connue, les principaux habitants s’assemblent «tumultuairement»
à l’Hôtel de ville. On leur annonce qu’il s’agit seulement
de quelques centaines d’hommes: ils décident de refuser l’entrée,
et aussitôt, sans perdre leur temps en vains discours, ils se transportent
en corps au Perray. La rumeur y était extrême. Monsieur de
la Boulaye et les commandants, le comte de Tavannes, le baron de Clinchamp,
étaient déjà dans le faubourg et toute une armée,
au lieu des six cents hommes annoncés, apparaissait sur les hauteurs,
à la lumière des torches. Les pourparlers commencèrent:
les chefs de l’armée des Princes feignirent de ne vouloir que passer
la rivière, demandèrent l’entrée pour qua rante officiers
seulement, le reste devant rester dans les faubourgs, et promirent de lever
le camp dès le lendemain, vers Paris. On hésitait encore lorsque
tous les habitants du faubourg, mêlés aux gens de guerre, accoururent
épouvantés, prétendant que les canons étaient
déjà dans la rue et qu’on allait tirer; mille hurlements
d’enfants et de femmes fuyant à demi nues retentissaient dans la
nuit. Il fallut bien céder, autant à l’affolement de la
population qu’à la force de l’ennemi; il n’y avait plus de garnison:
elle avait été appelée en Guyenne contre Condé,
et pas de nouvelles de l’armée du roi. Le lendemain matin, 24 avril,
à sept heures du matin, neuf mille hommes entraient dans la ville
en conquérants, l’épée nue à la main «et
la plupart se promettant le sac et le viol et s’installant en maîtres
dans toutes les maisons». Ils se répandirent dans les villages
voisins jusqu’à trois lieues aux alentours.
L’armée
du roi, aussitôt informée de l’occupation d’Étampes
quitta la Ferté-Alais, vint camper à Châtres (Arpajon)
pour barrer la route de Paris aux rebelles et, de là, obtenir des
renseignements sur les intentions ou les mouvements des troupes qui tenaient
Étampes. C’est ainsi que Turenne apprit que Mademoiselle de Montpensier,
la sœur de Gaston d’Orléans, frondeuse acharnée, avait quitté
Orléans pour se rendre à Paris, était arrivée
à Étampes le 2 mai et y attendait un passeport qu’elle n’avait
pas craint de demander au roi. Si singulier que cela nous paraisse, elle
l’obtint et sortit d’Étampes, le matin du 4 mai. Les lieutenants
généraux de l’armée rebelle, galants, mais fort malavisés,
avaient résolu de faire à cette amazone «une galanterie
guerrière», en mettant toute l’armée hors des murs et
sous les armes, pour lui faire honneur et l’escorter jusqu’aux Capucins,
c’est à dire jusqu’à l’abattoir actuel. Turenne, en ayant
été [p.57] instruit
à temps, fit avancer ses régiments toute la nuit précédente
par les chemins creux de Villeconin et la plaine de Boissy-le-Sec jusqu’au-dessus
du faubourg Saint-Martin. A cette nouvelle, Mademoiselle, qui était
en train «de faire distribuer quantité d’écharpes et
de rubans» à ses gracieux officiers, les congédia vivement
et le comte de Tavannes fit rentrer ses troupes en hâte dans la ville.
Mais l’armée royale descendit «comme un foudre». On se
battit affreusement, de 9 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir,
de la rue de Chauffour à la rue de Saclas et jusqu’au Petit-Saint-Mard,
autour de l’église et du cimetière Saint-Martin, dans les
maisons et les jardins, à coups de pierre quand il n’y eut plus de
munitions. Les troupes du roi étaient entièrement victorieuses.
Elles se jetèrent dans les habitations pour les piller. Dès
qu’il le sut, Turenne donna l’ordre d’en faire sortir les soldats, mais lorsqu’ils
quittèrent la ville, ils n’en emmenaient pas moins de «très
amples et riches dépouille ». Ils partaient en bon ordre et
ne furent aucunement harcelés jusqu’à Étréchy
par les rebelles, comme il a été dit à tort. L’armée
des Princes avait perdu 2.600 hommes, dont plus de 1.500 prisonniers et
plusieurs de ses chefs. Le baron de Clinchamp, qui commandait le contingent
des Allemands et des Espagnols, avait reçu un coup de mousquet, mais
dont il n’eut aucun mal, «sauvé par l’argent de sa poche contre
lequel la balle s’aplatit».
Tout
le faubourg Saint-Martin offrait des spectacles lamentables sur le pont
des moulins, des hommes, des chevaux et des chariots, amoncelés
et à demi brûlés, fumaient encore; partout l’on entendait
gémir des mourants; des femmes chargées d’enfants avaient
cherché un refuge dans la rivière, dont l’eau leur montait jusqu’au
cou.
Mais
l’armée rebelle ne voulait ni reconnaître sa défaite,
ni abandonner Étampes, qui assurait d’autant mieux son ravitaillement
que depuis le début des troubles, on y avait apporté du blé
«en grandissime et prodigieuse quantité», de toute
la Beauce, dans l’illusion qu’il y serait plus en sûreté.
Les lieutenants généraux des Princes en constituèrent
un magasin dans le couvent des Cordeliers. Ils installèrent toute
l’armée à l’intérieur de la ville, en délaissant
les faubourgs. Toutes les maisons furent envahies d’officiers, de gendarmes,
de valets et de chevaux, tandis que les soldats campaient sur les places
et dans les jardins. Beaucoup d’habitants, auxquels les vivres et le vin
étaient enlevés en même temps que le gîte, se réunirent
aux Cordeliers et dans l’église Notre-Dame, «pour y faire
feu et ménage». Le pouvoir du maire et des échevins était
entièrement aboli. Mais la ville ne suffisait point à l’avidité
de cette soldatesque tous les jours, des cavaliers armés parcouraient
la campagne jusqu’à dix lieues aux alentours, pillant les maisons,
les fermes, les châteaux et rapportant le soir des grains, de la
paille, des moutons, des volailles, des vaches, des chevaux et même
du linge, des couvertures, [p.58]
de la literie. Des paysans qui résistaient
furent massacrés, à Guillerval, en particulier. Mais parfois
les pillards aussi disparaissaient.
D’autre
part, en prévision d’un nouveau siège, que le roi, disait-on,
avait résolu d’entreprendre, des munitions furent entassées
dans l’église Sainte-Croix et divers points furent fortifiés.
On construisit des palissades le long des fossés, des bastions dans
le port, des ouvrages en demi-lune à la porte Dorée et aux
portes Saint-Jacques, Saint-Pierre et Saint-Martin. A la porte 1 on éleva
une forte barricade de tonneaux. Le roi étant venu de Saint-Germain
à Melun pour être plus près d’Étampes, on ne
douta «plus d’une prompte et rude visite» et de nouveaux préparatifs
commencèrent la dévastation que devait achever le siège.
En effet, toutes les maisons voisines des murailles, au-dedans et au dehors,
furent abattues ainsi que les clôtures des cimetières, les
murs et les arbres des jardins pour assurer la liberté du passage.
On n’épargna même pas la chapelle Saint-Jacques de Bédégond,
dont les destructeurs furent d’ailleurs écrasés sous ses ruines.
Enfin, le comte de Tavannes fit mettre deux fois le feu dans tous les faubourgs.
De tels apprêts donnaient à penser que cette fois les rebelles
étaient résolus à déployer toutes les ressources
de la tactique et à demander à leurs troupes une farouche
résistance. Les événements le confirmèrent.
L’armée royale forte de 10 à 12.000 hommes apparut devant
la ville le 27 mai, sous la conduite de Turenne. Le siège devait
durer douze jours. Les assiégés exécutèrent
vingt-deux sorties, dont plusieurs réussirent à repousser
momentané ment les assaillants. La demi-lune de la porte Saint-Martin
fut prise et reprise trois fois dans la même nuit. Afin de se fortifier
encore de ce côté, les rebelles renversèrent des murailles
et des maisons pour en faire des retranchements; la cavalerie portait des
fascines, l’infanterie, de la terre et du fumier, et les habitants eux-mêmes
étaient contraints de participer à ces travaux. Turenne
somma par trois fois les assiégés de se rendre, sinon il
donnerait l’assaut et ne ferait pas de quartier: ils refusèrent
de se rendre, disant qu’ils étaient prêts à recevoir
l’assaut et qu’eux-mêmes ne feraient pas de quartier. Et une brèche
ayant été faite à la courtine, ils y mirent cinq
cents cavaliers à pied, armés de faux emmanchées
à l’envers. Le lendemain, des batteries royales, établies
au milieu de la rue du faubourg Saint-Martin tirèrent plus de deux
cents coups contre la porte, qui fut rompue. Les chaînes du pont-levis
étant brisées, le pont s’abattit, mais aussitôt les
assiégés y mirent le feu et barricadèrent la porte.
Une autre sommation de se rendre reçut la même réponse.
Le lendemain encore, bien qu’une autre brèche ait été
faite à la courtine, l’armée royale renonça à
donner l’assaut.
Le
29 mai, le roi qui était venu de Corbeil et logeait, comme Henri
IV, au château de Brières, se rendit au camp.Le sieur de Sainte [p.59] Marie, lieutenant des
Cent-Suisses, fut envoyé aux assiégés pour avertir
leurs chefs de la présence du roi afin qu’on cessât le tir,
selon l’usage qui, par respect pour les souverains, interdisait de tirer
le canon sur leur quartier. Mais le comte de Tavannes, pressentant ce dont
il s’agissait, «fit le malade» et envoya un Allemand à
Sainte-Marie: ils ne se comprirent pas et plusieurs volées de canons
furent aussitôt tirées, dont une démonta un cavalier
à cent pas derrière le roi. Cet incident scandalisa tout l’entourage
royal: «crime capital, procédé honteux, dont toute
l’armée fut touchée d’étonnement et d’horreur»
dit Jean Valuer, maître d’hôtel du roi, dans son Journal, en
rappelant que des Espagnols eux-mêmes, au siège de Perpignan,
en 1642, avaient cessé leur feu chaque fois que Louis XIII était
venu visiter son camp.
Enfin,
le 7 juin, après une nouvelle sortie des assiégés
sans grands résultats, l’on vit avec surprise le camp royal en
feu et l’armée s’éloigner en bon ordre le siège était
levé. On donna comme raison de cette brusque décision là
nécessité pour Turenne d’aller combattre le duc de Lorraine,
qui venait d’entrer en France appelé par les Princes et cherchait
à dégager Étampes. En réalité, la levée
du siège paraît avoir été la condition d’un accord
entre le duc de Lorraine et M. de Châteauneuf, pour le roi: le duc promettait
de se retirer dès que le siège d’Étampes serait levé.
Il fallut tout de même le chasser à coups de canon, mais, au
moins, notre ville fut délivrée.
Ce
douloureux siège, où tant de courage fut dépensé,
ne valut cependant de gloire à personne. Turenne se retira mécontent,
dit-on; c’était, en effet, un échec assez surprenant chez
ce grand homme de guerre. Il semble bien que, devant Étampes, il
ait manqué tantôt d’impétuosité, tantôt
de ténacité, même au premier siège dont il
n’exploita pas le succès: s’il eût fait donner vigoureusement
l’as saut dès le début, le désordre était alors
si grand dans l’armée des Princes qu’elle se serait enfuie par le
faubourg Saint-Pierre, le second siège eût été
épargné à notre malheureuse ville avec toutes ses conséquences
et bien des morts eussent été évitées de part
et d’autre. Mais peut-être faut-il penser que Turenne dirigeait à
contre-cœur ces opérations de guerre civile, où des amis, des
parents se reconnaissaient d’un camp à l’autre, où des prisonniers
se faisaient prendre pour mieux servir leur parti. Et sans doute bien des
gens de cœur, officiers de Turenne, éprouvaient-ils ce sentiment qui
suspendait leur élan et même leur fit discuter les ordres de
leur chef, puisqu’on sait que plusieurs fois Turenne avait commandé
de donner l’assaut et qu’il accepta de ne pas être obéi. Si
les assiégés montrèrent bien plus de fougue et d’acharnement,
c’est surtout à cause de l’ascendant qu’exerçait sur eux le
héros de Rocroi et de Lens. Condé, cependant, ne vint pas
à Étampes, mais il y était constamment attendu et annoncé.
Les sorties meurtrières se renouvelaient avec la même ardeur,
parce [p.60] qu’on croyait
toujours aller au-devant de lui, accouru avec des troupes fraîches
au secours des assiégés: le plus rustre des soldats voyait
déjà son impérieuse figure au delà des remparts
et s’élançait vers ce fantôme. Etonnant prestige
de la gloire. Même absent, le jeune chef victorieux «donnait
une âme guerrière à toute cette armée, qui se
portait au combat comme aux noces».
La
levée du siège par Turenne fut évidemment transformée
en un succès éclatant des Princes, comme en témoignent
les nombreuses «mazarinades», pamphlets haineux parus dès
l’époque, qui altèrent la vérité des faits.
Mais forts de la victoire complète qu’ils s’attribuaient, les rebelles
ne se hâtaient point de quitter Étampes.
Ils
y restèrent jusqu’au 23 juin. Ils laissaient dans notre malheureuse
ville un amas de ruines et un immense charnier. Des monceaux de cadavres
d’hommes et de chevaux, mêlés d’ordures et de fumier, emplissaient
les rues et s’entassaient contre les murailles. La population n’avait pas
la force de les enlever, trop affaiblie par la rareté des vivres et
les angoisses du siège. Il se forma des quantités «de
vilaines mouches de grosseur prodigieuse» qui semèrent rapidement,
sinon la peste, comme disent les contemporains, au moins diverses maladies
contagieuses parmi ces malheureux déjà épuisés.
Et presque tous les malades demeuraient sans soins, tandis que les morts
étaient portés en brouette et sans bière, aux cimetières,
où «croassaient des oiseaux sinistres et carnassiers, inconnus
jusqu’alors au pays». Cette tragique situation amena dans notre ville
Vincent de Paul, qui multipliait ses bienfaits dans toute la région
ravagée par la guerre. Il fit venir d’abord, pour procéder
aux travaux de nettoyage et d’assainissement, des hommes robustes, qu’on
appelait des «aéreux», tandis que lui-même, bien
qu’il eût plus de soixante-dix ans, soignait les malades, recueillait
les orphelins et nourrissait les pauvres. Il avait appelé auprès
de lui quelques membres des congrégations qu’il avait fondées,
les Pères de la Mission et les Sœurs de la Charité, dont
plusieurs moururent à la tâche. Leur dévouement hâta
sans doute l’extinction de l’épidémie; elle dura des mois
cependant et fut terrible ment meurtrière. Il n’y eut guère
qu’une vingtaine de maisons où la mort ne passa point et des familles
entières disparurent. Le lieutenant particulier du bailliage, Bouttevillain,
seigneur de la Coudraye, fut emporté, avec sa femme et ses six
enfants, ainsi que le lieutenant de la prévôté, le
procureur du roi et son substitut, six avocats du roi; il ne restait plus
de greffiers pour délivrer les actes. Et cependant, parmi ces fonctionnaires,
comme parmi les nobles et les bourgeois, ceux qui étaient en mesure
de fuir «le mauvais air d’Étampes» avaient cherché
refuge ailleurs, à Dourdan, à Boissy-sous-Saint-Yon, ou
dans la campagne, et la mort faucha davantage encore dans les rangs des
artisans et des pauvres. En peu de temps, la ville fut toute changée
«de nouveaux ecclésiastiques dans les bénéfices,
de nouveaux [p.61] officiers
dans les charges, nouveaux marchands, nouveaux artisans, quantité
de successions remplies ou vacantes, quantité de scellés,
tutelles, émancipation de jeunes gens et jamais tant de nouveaux
mariages». Les registres paroissiaux confirment ce tableau d’un témoin.
La
détresse de notre malheureuse ville suscita les plus grands dévouements
chez les officiers de ville qui avaient la lourde charge de travailler
à son relèvement. Au moment du siège, le maire était
encore Pierre Baron, qui l’était déjà lors de la peste
de 1631. Il avait près de quatre-vingts ans, mais il avait conservé
une étonnante vigueur, dont nous avons une preuve sous la forme
d’un poème latin qui lui fut inspiré par les horreurs du
siège et la désolation qui les suivit. Il les évoque
avec autant d’émotion que d’exactitude, après avoir décrit,
par antithèse, tous les charmes de notre petite cité. Il
y témoigne en même temps une vaste culture, qui ne lui était
pas particulière, d’ailleurs. Presque tous les officiers municipaux
ou royaux de cette époque en possédaient une semblable,
qui donne à leurs discours, que nous lisons encore avec intérêt,
une force peu commune et qui contribuait certainement à la sagesse
de leur administration, à la haute idée qu’ils se faisaient
de leur tâche et à l’autorité qu’ils exerçaient
autour d’eux.
Cependant,
l’ordre et la paix renaissaient dans le royaume, sinon la prospérité,
et la guerre étrangère se terminait par le traité
des Pyrénées, qui agrandissait la France. Notre ville, se
détournant de ses propres misères, participa à la
joie générale. Le 7 mars 1660, un Te Deum fut
chanté à Notre-Dame, en présence du maire, des échevins,
de tous les officiers du bailliage et de tous les notables. Puis, des
feux de joie furent allumés, avec des flambeaux tenus par le maire
et le lieutenant du bailliage, sur un bâcher dressé devant
l’Hôtel de ville. Le surlendemain 9 mars, Turenne traversait Étampes
pour aller à Paris assister au mariage du roi. Le maire et les
échevins allèrent le saluer et lui offrir le présent
de la ville. Cependant, toutes les souffrances que rappelaient le nom et
la personne de Turenne étaient bien loin d’être effacées.
La misère, les ruines dans les rues, la dévastation des champs
d’alentour, subsistèrent pendant des années et même,
certaines traces de cette terrible épreuve ne disparurent jamais.
Un intéressant témoignage sur l’aspect qu’offrait notre ville
en 1663, nous est fourni par La Fontaine, le fabuliste, qui la traversa au
mois d’août, allant en Limousin par «le carrosse de Poitiers».
Il écrivait à sa femme ses impressions de voyage et lui dit
à propos d’Étampes: «Nous remarquâmes en entrant
quelques monuments de nos guerres: ce ne sont pas les plus riches que
j’aie vus, aussi est-ce l’ouvrage de Mars, méchant maçon
s’il en fut jamais. Enfin, nous regardâmes avec pitié les faubourgs
d’Étampes. Imaginez-vous une suite de maisons sans toits, sans fenêtres,
percées [p.62]
de tous les cités; il n’y a rien de plus laid et
de plus hideux. Cela me remet en mémoire les ruines de Troie-la-grande».
Ainsi, onze ans après le siège, loin d’avoir été
reconstruites, les maisons étaient encore en l’état où
les avait mises l’effroyable tourmente. A cette époque, la misère
avait même augmenté par suite de récoltes si insuffisantes
en 1661 et 1662 que la famine régnait à Étampes et
dans les environs. Les pauvres s’étaient multipliés au point
que des femmes charitables étaient venues de Paris aider celles d’Étampes
à organiser des «soupes et des secours». Un peu plus
tard, en 1668, le maire, René Hémard, écrit dans
ses Mémoires «Etampes est la plus malheureuse ville du royaume.
Les trafics de blé et de laine, autrefois si célèbres,
aussi bien que les transports de vin d’Orléans sur la rivière,
y demeurent entièrement rompus, tant par le nouvel établissement
du canal de Briare et les fréquents logements des troupes que par
la hauteur des tailles, lesquelles ont chassé la moitié du
peuple que les maladies d’armée y avaient laissé de reste
en 1652.» Il nous dit aussi que la grande enceinte est encore semée
de trous où se réfugient des mendiants et de chétifs
manœuvres, que de vastes logis sont quasi vides ou sans autres locataires
que des jardiniers misérables.
Et
plus tard encore, en 1677, le corps de ville sera réduit à
deux échevins, en raison du petit nombre d’habitants de la ville.
L’appauvrissement
universel, le ralentissement du commerce, la diminution de la population
étaient des conséquences directes du siège. Mais
la situation générale du royaume, l’état toujours
lamentable des finances et la fréquence toujours renouvelée
des guerres aggravaient encore ces funestes effets, empêchaient qu’ils
s’effacent et, par surcroît, en ajoutaient d’autres, comme l’augmentation
des impôts et les passages de troupes. Même en temps de paix,
ces passages si redoutés des habitants devenaient des séjours:
un régiment s’installait en garnison pour des mois: «On n’a
guère vu, dans les autres siècles, de paix qui fût plus
guerrière», dit René Hémard. En 1664, c’est la
compagnie des chevau-légers du dauphin, dont le lieutenant général
du bailliage et le fils de l’ancien maire Baron obtiennent à grand’peine
le départ, mais peu après, elle est remplacée par les
gendarmes écossais, qui restent tout l’hiver de 1665; en 1667, les
chevau-légers, étant revenus, partent pour la guerre des Flandres
sans payer leurs dettes. Tout l’automne de 1667 et les premiers mois de
1668 «fourmillent de passages de gens de guerre», qui surexcitent
l’esprit des habitants, non seulement par la gêne et la dépense
qu’ils occasionnent, mais aussi par leurs brutalités. Les officiers
eux-mêmes donnent le mauvais exemple par l’arrogance de leur attitude
à l’égard des autorités civiles, s’imaginant que «qui
n’a point d’épée au côté n’a pas de cœur»,
et par le dérèglement de leur conduite. Un capitaine pris
de boisson se fait dire avec justice par le maire «qu’il est [p.63] moins en état de
commander que le dernier de ses goujats». Ainsi, les plaintes se
multiplient et des désordres éclatent: un habitant ayant été
blessé d’un coup de hallebarde, on sonne le tocsin sans l’avis
du maire, la foule s’amasse, court à travers les rues répandant
le bruit que c’est un échevin qui a été tué
par un officier d’un coup de pistolet.
Le maire
était alors René Hémard, le gendre de l’ancien maire,
Pierre Baron. C’était un homme de valeur et de devoir, d’une intégrité
absolue et pitoyable à toutes les misères qui l’environnaient.
par ailleurs, un esprit puissant, nourri de lettres et de philosophie. Il
publia en 1653, à Paris, un recueil d’épigrammes qu’il intitula
Les Restes de la Guerre d’Étampes, bien
qu’elles n’aient pas de rapport avec le siège, mais il explique dans
son épitre liminaire que «ces pièces démanchées,
ces lambeaux fantastiques» étaient bien tout ce qui pouvait
naître de «l’état présent de la ville où
il ne reste qu’infection» . Il est bien vrai que ces épigrammes
sont dénuées de valeur. Mais René Hémard, les
jugeant lui-même avec sévérité, montre qu’il
était supérieur à cette œuvre médiocre de jeunesse.
Sa vraie personnalité apparaît dans ses Mémoires, en
grande partie inédits et dans une peinture, elle entièrement
inédite, des vices et des abus de son temps, Le Carème
prenant moral. Son style est lourd, parfois obscur, encombré
d’érudition: c’est de son époque; mais il est aussi vigoureux,
imagé, incisif. Une haute et généreuse pensée,
souvent hardie pour son temps, l’anime constamment et sa connaissance des
hommes est profonde. En outre, ses Mémoires constituent, pour nous
Étampois, un document historique aussi précieux qu’émouvant.
Dans sa charge municipale, il eut à se débattre au milieu
de difficultés sans nombre. Il se rendit lui-même maintes fois
à Paris pour «crier au Louvre» au sujet des affaires
de la ville, presque toujours en vain, et à son retour, il se trouvait
en butte aux reproches de ses concitoyens, mal informés de ses efforts
et de l’indifférence que rencontraient en haut lieu les plus justes
des causes. Il valait mieux faire appel à la justice du roi «qui
ne la refusait à personne», mais la difficulté était
d’atteindre le roi, à travers la haie serrée des courtisans
et des ministres, qui le séparait du meilleur de son peuple. Le
pauvre Hémard l’apprit à ses dépens. En février
1669, le bruit courut qu’Étampes était menacée de recevoir
encore des chevau-légers du dauphin, de si fâcheuse mémoire.
Il retourne aussitôt à Paris: la nouvelle est bien vraie et
il s’efforce, en vain, d’obtenir le changement de garnison. Il laisse un
placet pour le roi, n’ayant pas réussi à le lui remettre
lui-même, quand il est rappelé par les échevins d’Étampes.
En effet, les chevau-légers y sont déjà installés
et déjà les plaintes abondent, non seulement des habitants,
mais encore des chevau-légers: ils se répandent en menaces
et en blasphèmes et prétendent ne payer que le prix dérisoire
de huit sols par jour pour [p.64] le
logement et la nourriture d’un cavalier, de son valet et de deux chevaux.
La réponse du roi au placet du maire arrive pourtant et c’est la
promesse du prochain délogement. Mais elle ne reçoit pas
d’exécution. Alors excédé, après de longs et
vains pourparlers avec le duc de la Vallière, le commandant de la
compagnie, René Hémard repart pour Paris, avec un nouveau
placet pour le roi. Mais il ne peut encore le lui remettre; il tente de
l’approcher lors d’une rencontre fortuite dans l’escalier que le roi descend
pour aller à la messe: il veut se jeter à ses genoux et le
supplier d’avoir égard à «sa ville désolée»,
mais la presse est si grande qu’il n’y parvient pas. Il ne se décourage
pas encore: il revoit La Vallière qui l’amène à Louvois,
le ministre de la Guerre. Mais là, son affaire se gâte de
plus en plus: Louvois, avec sa violence habituelle, l’apostrophe brutalement,
prétend que c’est lui, les échevins, les habitants qui ont
une conduite blâmable envers la compagnie du dauphin. Il se défend
avec un beau courage, assurant qu’il n’a fait et ne fera jamais que son
devoir. Mais sur un ordre de Louvois, des suisses de service, la hallebarde
en main, l’obligent à s’éloigner. Cette lutte vraiment pathétique
n’est pas terminée. On lui conseille de voir Le Tellier, le père
de Louvois, dont les manières passent pour être plus courtoises.
Mais Louvois l’avait prévenu contre le malheureux Hémard
et c’est une nouvelle insulte qu’il reçoit; Le Tellier déchire
le placet qu’il venait de lui remettre sans même le lire. Cette fois,
il est vaincu. Sa résistance aura du moins valu à sa pauvre
ville une légère augmentation sur l’indemnité de huit
sols offerte primitivement: d’abord fixée à quatorze sols,
elle sera réduite à douze, par une dernière chicane
des chevau-légers au moment de leur départ, le 9 décembre
1669.
Ce
violent conflit n’était pas un cas isolé. Le bailli de la
Ferté, celui d’Arpajon, le lieutenant de la prévôté
de Melun, avaient été l’objet d’injures semblables dans la
défense d’une cause aussi juste. Le vrai service du roi, «qui
n’avait pas moins d’intérêt à la conservation de ses
villes qu’à celui de ses troupes», était constamment
méconnu. Mais l’organisation même des régiments leur
assurait alors des libertés et des privilèges qui, s’ajoutant
pour certains à la gloire des combats, entraînaient fatalement
tous ceux qui portaient l’épée à s’arroger des droits
partout. Si l’on saisissait le ministre de la guerre, il prenait évidemment
presque toujours le parti de ses officiers. C’est donc une erreur de voir
dans l’injuste et brutale attitude de Louvois à l’égard du
maire d’Étampes, comme l’a fait un historien moderne de notre ville,
un effet lointain des coups de canon tirés au siège d’Étampes,
dans la direction du roi, qui aurait fait épouser cette vieille rancune
à son ministre. D’abord Louvois a montré en bien d’autres circonstances
l’emportement de son caractère, son mépris de toute justice,
même son inhumanité. Et si Louis XIV a certes donné
des marques de la ténacité de ses ressentiments, [p.65] il n’en a jamais manifesté
aucun envers notre ville, ayant sans doute compris qu’elle était bien
étrangère à l’incorrection du comte de Tavannes. Nous
en avons une preuve dans la manière dont il reçut l’accueil
de la municipalité et des habitants lors de ses passages à
Étampes.
Le
premier eut lieu le 21 septembre 1668. Louis XIV et la reine se rendaient
à Chambord avec une cour pompeuse et un tel déploiement de
troupes, «qu’on eût cru plutôt à une marche d’armée
qu’à un voyage». Le maître des cérémonies
avait dit à l’émissaire envoyé par notre ville au
devant du roi, à Châtres, pour s’informer du caractère
qu’il fallait donner à la réception, «qu’il n’y aurait
à faire ni harangue, ni présent, en tout le voyage».
Malgré cela, René Hémard prépara un petit compliment
où il célèbre la gloire du jeune roi, qui n’avait alors
connu que des victoires. Il le prononça entouré des échevins,
sur la route, à la hauteur du couvent des Capucins, devant le carrosse
royal, que le roi avait fait arrêter: c’est là, précisément,
qu’il eût pu manifester la rancune qui lui a été attribuée,
et d’autant plus aisément que les harangues avaient été
en quelque sorte interdites. Mais il écouta Hémard jusqu’au
bout et dit «avec un visage ouvert et satisfait», lorsque
le maire lui présenta les clefs dorées de la ville dans une
corbeille de gaze d’argent: «Gardez-les: je vous les rends, elles
sont en bonnes mains», ce qui, dit Hémard, «acheva de
nous charmer». Les Pères capucins offrirent quelque chose
de plus substantiel: de beaux et bons fruits de leur jardin. Puis, après
une autre harangue des officiers royaux, le roi et la reine entrèrent
en ville par la porte Saint-Jacques, décorée de tapis et
d’armoiries, au son de toutes les cloches. Ils logèrent à
l’hôtel des Trois Rois, rue Saint-Jacques, et partirent le lendemain,
après avoir entendu la messe chez les Cordeliers. On renonça
vite à leur offrir des présents, le maître des cérémonies
en ayant dissuadé les échevins, parce que, dit-on, le roi
s’était moqué de la façon dont il avait su faire observer
la défense des harangues. Les cadeaux avaient plus d’inconvénients
au milieu de la détresse financière de tout le pays. Le temps
n’était plus des présents magnifiques offerts par notre ville
à Gaston de Foix ou au grand maître de France. Mais le bon
Hémard avait espéré que ce serait peut-être
une occasion d’attendrir la reine sur les misères d’Étampes,
vraiment plus cruelles encore qu’ailleurs, et ainsi d’en recevoir quelque
secours: il fallut y renoncer aussi.
Turenne
accompagnait le roi et dès son arrivée, il était
monté à cheval pour aller revoir les restes des demi-lunes
de 1652 et les brèches de l’enceinte: curiosité de stratège
sans doute, mais aussi manque de tact, qui rouvrit des plaies mal fermées.
Ce petit trait montre à lui seul quels sentiments différents
et vite hostiles, à cette époque plus peut-être qu’à
aucune autre, animaient d’une part les gens de guerre et d’autre part, tout
le reste de la population. [p.66]
Le
second passage du roi eut lieu le 19 octobre, à son retour de Chambord.
Il fut reçu plus simplement et sans harangue, cette fois; le corps
de ville l’accueillit aux dernières maisons du faubourg Saint-Martin
et, comme le maire lui présentait à nouveau les clefs d’or,
le roi lui dit en riant, avec un petit signe de la main: «Elles
sont bien, je vous l’ai déjà dit».
Ces
passages du roi eussent été un divertissement salutaire
pour la malheureuse population clairsemée de notre ville s’ils
n’avaient été fatalement accompagnés d’un millier
de soldats, qui, en une seule nuit, causaient tant de désordres,
à réparer ensuite, «que les pauvres habitants n’ont
plus de goût pour les véritables joies», nous dit Hémard,
dans sa juste compréhension des choses.
La
vie d’Étampes est désormais très ralentie, nous l’avons
vu. L’état de ses finances s’améliora quelque peu par des
remboursements de ses débiteurs ou par la condamnation de ses créanciers
malhonnêtes qu’obtint à grand’peine le maire René
Hémard. Malgré son dévouement, il fut l’objet d’une
telle ingratitude de la part de ses concitoyens, après les difficultés
causées par les chevau-légers, qu’il refusa de rester maire
à l’expiration de son mandat en 1670. Les malheurs avaient aigri
les esprits, faussé les jugements et partout, note un autre témoin
de la même époque, la discorde éclate, entre les habitants
et la municipalité, entre le clergé et les curés, entre
les marguilliers et les officiers de ville ou du roi, qui sont même
chassés de l’église. Les victoires des armées de
Louis XIV et la paix qui les suit sont célébrées
à Étampes par des Te Deum et des feux de joie en 1678,
en 1679, mais elles sont trop chèrement achetées et la paix,
si désirée, qu’on espère chaque fois définitive,
est toujours rompue par une nouvelle guerre.
Un
spectacle plus réconfortant nous est donné à cette
même époque par ceux qui ont patiemment réuni tous
les documents, les informations et les souvenirs qu’ils possédaient
alors sur l’histoire de notre petite ville. C’est grâce à
leur effort que nous connaissons son passé. Outre les Mémoires
de René Hémard, nous avons un précieux ensemble de
pièces disparates, relatives à l’administration de la ville,
et de réflexions personnelles sur les événements de
l’époque, assemblées sous le titre aussi exact que pittoresque
de Rapsodie, par un avocat du roi à Étampes au XVIIe
siècle, Pierre Plisson, issu d’une famille étampoise. Elle
est contenue dans un gros volume manuscrit à la suite de quelques
délibérations du corps de ville. Ce volume était resté
soit à l’Hôtel de ville, soit dans la famille de Plisson, à
sa mort, mais il se trouva, par une destinée inexpliquée,
dans la bibliothèque de la famille Geoffroy-Saint-Hilaire à
la fin du XVIII siècle. Le neveu du grand naturaliste, Louis Geoffroy-Château,
eut la généreuse pensée, en 1855, de le remettre aux
Archives municipales où il est heureusement maintenant. Cette Rapsodie
a été publiée par Forteau,
[p.67] en 1909. En outre, Pierre Plisson avait écrit
un autre ouvrage, qu’il avait déposé lui-même «au
coffre de la ville». L’original a disparu: il en existe à l’Hôtel
de ville une copie du XVIIIe siècle intitulée: «Registres
de notes et remarques». Il contient encore de précieux détails
sur des évènements historiques, mais aussi le Règlement
des droits du bourreau d’Étampes et enfin, un important exposé
de l’état de l’Hôtel-Dieu après le siège de
1652, avec l’inventaire de ses biens et des actes établis en sa
faveur. Plisson fut aidé dans la recherche des titres dispersés
et leur classement par l’ancien curé de Blandy, Michel Heurtault,
qui, chassé de sa paroisse par la guerre civile, était venu
chercher refuge à l’Hôtel-Dieu d’Étampes et y resta
jusqu’à sa mort en 1689: il avait, en effet, passé un contrat
en 1653 avec les officiers du roi et de la ville, administrateurs temporels
de l’Hospice, par lequel il s’engageait à laisser à l’Hôtel-Dieu
une rente annuelle de 200 livres à la condition qu’il y fût
logé, nourri et entretenu sa vie durant. C’est aussi grâce
à un don de Michel Heurtault, de 1.800 livres, que le moulin de
l’Hospice, qui avait été détruit par les gens de guerre
en 1652, put être réédifié, rue de Saclas,
où il en reste encore quelques vestiges. Si le travail de Plisson
offre pour nous un réel intérêt historique, il a été
un exemple pour ses contemporains et une œuvre charitable pour les pauvres
de son temps et de l’avenir, en rétablissant l’ordre dans la plus
extrême confusion et en permettant à l’Hôtel-Dieu de
réparer au moins une partie des atteintes portées à
son fonds et à ses revenus. Que d’efforts auront été
ainsi déployés par de modestes magistrats de notre ville
pour reconstruire ce qu’avaient anéanti l’avidité et la fureur
des autres hommes! Pierre Plisson mourut en 1695 et fut inhumé dans
l’église Saint-Gilles, comme l’avaient été son père
et sa mère, tous deux morts durant l’épidémie de 1652,
et dont la pierre tombale existe encore.
La
figure du Père barnabite Dom Basile Fleureau est plus familière
aux Étampois, sans doute parce qu’il a écrit une œuvre considérable
et qu’elle a été publiée quelques années
seulement après sa mort, dès 1683. On sait qu’il naquit
à Étampes dans la paroisse Saint-Basile, en 1612, d’une famille
de magistrats, son père et son grand’père paternel ayant
été procureurs au bailliage d’Étampes et son grand’père
maternel, Alexandre Duquesnel, procureur à la Ferté-Alais.
Il commença ses études à Étampes et les acheva
à Paris, où il entra dans la congrégation des barnabites
à 19 ans, en 1631. Il enseigna d’abord la philosophie au collège
de Montargis, visita en suite l’Italie, puis fut appelé à
la direction du collège d’Étampes en 1662, qu’il conserva
jusqu’en 1668 et mourut à Étampes en avril 1674. Il fut inhumé
dans la chapelle du collège. Son œuvre, Les Antiquités
de la ville et du duché d’Étampes, fut sans doute écrite
tout entière à Étampes. Les innombrables pièces
justificatives qu’il y a introduites [p.68]
montrent quel soin il apportait à sa documentation.
On sait que la municipalité lui communiqua tous les titres dont
il avait besoin; une délibération écrite par le maire,
René Hémard, le 6 août 1670, signale que le trésorier
de France ayant demandé les titres du barrage, «la plupart
se sont trouvés perdus, enlevés par des particuliers, et
qu’on n’a retrouvé qu’une petite liasse apostillée en 1664
ou 1665 par le Père Fleureau, auquel ces titres avaient été
communiqués pour servir à l’histoire composée par lui»,
ce qui prouve au moins l’honnêteté du bon Père barnabite.
Sa connaissance profonde de tout ce qui concernait l’histoire de la ville,
jointe aux informations orales et aux souvenirs qu’il était encore
en mesure de recueillir, ont pu suppléer à l’absence déjà
constatée de certaines pièces. Après lui, la Révolution
ajouta son œuvre destructive à celle des troubles du XVIe et du XVIIe
siècles et beaucoup de documents ont été ainsi sauvés
par lui. Sa recherche a dépassé le cadre d’Étampes: il
a consulté le Trésor des Chartes, les actes du Parlement et
des Chambres, les cartulaires, les Historiens français. On sait aussi
par des lettres de lui, retrouvées à la bibliothèque
de l’Institut, qu’il demandait des éclaircissements au célèbre
géographe Adrien de Valois sur des points qui lui semblaient obscurs
dans les titres anciens. Il y ajoute qu’il se fait une grande joie de voir,
à son premier voyage à Paris, de la monnaie battue à
Étampes, montrant ainsi son amour pour sa petite patrie et son ardente
curiosité de tout ce qui se rattachait à elle, double sentiment
qui détermina la composition de son ouvrage et beaucoup de ses qualités.
Ces diverses raisons font de son œuvre, pour nous Étampois, un monument
auquel on ne saurait rendre assez hommage. Elle embrasse aussi bien l’histoire
de la ville que celle des seigneuries et des fondations ecclésiastiques
et dans ce vaste ensemble, le souci du détail exact ne l’abandonne
jamais. Sa méthode est véritablement scientifique et digne
d’un historien moderne. C’est être trompé par sa langue archaïque
que prétendre le contraire. On lui a reproché son absence
de sens critique et ses lacunes: cela ne nous paraît pas juste. Il
a tout le sens critique qu’il pouvait avoir à son époque
et dans son état de religieux; son jugement, en certaines circonstances,
est loin, au contraire, de manquer d’indépendance.
Ses lacunes
proviennent des mêmes causes: il passe sous silence la Saint-Barthélemy,
le meurtre de Petau et d’Audren par les Ligueurs et même saint Vincent
de Paul, parce qu’il est barnabite. Il n’étudie pas toutes les institutions
communales, sans doute parce qu’il croyait à l’immutabilité
du régime sous lequel il vivait et qu’il s’adressait à des
lecteurs qui en connaissaient comme lui tout le détail. Il ne perçoit
pas les abus, les réformes à accomplir, l’évolution
qui commence à se faire jour dans certains esprits parce qu’il vit
un peu à l’écart du monde extérieur, de même
qu’il n’expose pas toutes les conséquences des guerres et des troubles
de son époque il en a été
[p.69] le témoin quelque peu abrité et non
la victime, aussi n’éveillent-elles pas chez lui le même
écho que chez Plisson ou René Hémard. Il ne pouvait
ni juger, ni sentir autrement. S’il a des lacunes inévitables,
il demeure une source incomparable de renseignements, où l’on peut
puiser avec confiance, à cause de sa méthode et de sa conscience.
Il ne faut pas s’étonner non plus qu’il manque de sens archéologique,
personne n’en ayant à son époque, si ce n’est de très
rares érudits, comme Gaignières ou Montfaucon. Mais on
peut regretter amèrement qu’ainsi, il n’ait pas songé à
nous donner une description de tant de monuments, qu’il a connus et qui
ont disparu: le château, les monastères, les églises,
en particulier Sainte-Croix, dont la seule date de construction, 1183,
et les rares vestiges que nous avons encore connus permettent de penser
qu’elle était un des joyaux de notre ville. Enfin, on lui a reproché
sa langue: elle est incontestablement ancienne et retarde même sur
son époque; on y sent une longue familiarité du latin, ce
qui l’alourdit, mais pour peu que l’on s’y applique, elle cesse vite d’être
obscure, elle est extrêmement précise, montre un souci constant
du terme exact, ce qui est capital dans un ouvrage de ce genre, et que
de fois elle est, au contraire, pleine de saveur ou de naïveté
charmante!
Fleureau
écrit dans les dernières pages de son manuscrit, à
propos du bourg de Sermaises, «en cette présente année
1668». Il n’y a donc rien ajouté jusqu’à sa mort,
en 1674. Comme nous savons par une note de sa main qu’il termina dans l’intervalle,
en 1669, une «brève histoire de l’abbaye de Villiers, proche
de la Ferté-Alais» il y a lieu de penser qu’il considérait
comme achevé son ouvrage sur Étampes. Il mourut cependant
sans en avoir commencé la publication, peut-être faute des
ressources nécessaires. Mais après sa mort, les magistrats
d’Étampes, donnant une nouvelle preuve de leur souci des choses de
l’esprit, chargèrent un autre barnabite, Dom Rémy de Montmeslier,
de revoir son manuscrit en vue de la publication; les frais en furent assumés
par sa sœur Elisabeth Fleureau, qui avait épousé Noél
Joly, élu en l’élection d’Étampes, officier du duc
d’Orléans, et qui mourut à Étampes seulement en 1704.
Ainsi Les Antiquités de la ville et du duché d’Étampes
parurent chez Jean-Baptiste Coignard en 1683, en un volume in-4° de
640 pages. On sait qu’il n’a jamais été réédité;
plusieurs tentatives, dont la première en 1870, ne purent aboutir,
ce qui n’est pas à la louange de notre époque. Les exemplaires
de 1683 sont devenus fort rares nous n’en connaissons qu’une douzaine et
le prix de ceux qui passent à intervalles éloignés,
chez les libraires ou dans les ventes, est fort élevé, lointain
hommage rendu au grand labeur de notre barnabite.
[p.70]
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