CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
René de Saint-Périer
Étampes: les origines et le moyen âge
[La grande histoire d’une petite ville, chapitre I] 
éditions de 1938 et de 1964

Jules Lepoint-Duclos: Tour de Guinette (gravure sur bois, 1938)    

     La personnalité et l’œuvre du Comte de Saint-Périer ont dominé l’historiographie étampoise pendant la première moitié du 20e siècle. Sa Grande histoire d’une petite ville, Étampes, parue en 1938, reste à ce jour la seule synthèse complète publiée sur l’histoire de cette ville; elle a vieilli sans doute, comme on a pu le constater en lisant le premier volume du Pays d’Étampes, paru en 2004, mais on la relira avec plaisir, en attendant la parution des prochains volumes du Pays d’Étampes, et ne serait-ce que pour mesurer le chemin parcouru. Nous donnons en deuxième partie lédition posthume remaniée publiée en 1964 par la Comtesse de Saint-Périer, en regard de la première.
B.G.

Avertissement
Chapitre I.
Chapitre II. Chapitre III. Chapitre IV. Chapitre V. Chapitre VI. Chapitre VII. Chapitre VIII. Index. Table.
 
COMTE DE POILLOÜE DE SAINT-PÉRIER
LA GRANDE HISTOIRE D’UNE PETITE VILLE, ÉTAMPES

I. Les origines et le Moyen Age


 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT
I. Les origines et le Moyen Age
(édition de 1938)


     Situation favorable et fertilité du sol.Stampae.Campements préhistoriques et stations gallo-romaines.La ville mérovingienne.Première bataille à Étampes.Premières destructions.Relèvement et fondations nouvelles.Vieille ville, ville forte et ville-marché. La malheureuse Ingeburge.Étampes apanage et comté.Les ravages de la Guerre de Cent ans.Un fastueux comte d’Étampes, Jean de Berry.La guerre civile.


Jules Lepoint-Duclos: Tour de Guinette (gravure sur bois, 1938)      A mi-chemin entre Paris et Orléans, la ville d’Étampes s’étend sur la grande route qui relie ces deux villes et qui fut la route des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, autour de trois rivières, divisées elles-mêmes en de nombreux bras, au pied du grand plateau de Beauce. Son territoire confine aux anciens pays de Chartres, d’Orléans, du Hurepoix et du Gâtinais, de longtemps riches et peuplés. Le sol en est très fertile, on y a cultivé dès une haute époque le blé dans la plaine, la vigne sur les pentes des collines et plus tard, les plantes maraîchères dans la vallée. La rivière de Juine, alors navigable, offrait ainsi une communication directe avec Paris par l’Essonne et la Seine. Ces diverses conditions particulièrement favorables à la vie sociale ont déterminé sans doute la fondation en ce lieu de la première bourgade, entraîné son développement dès ses débuts et lui valurent peut-être son nom. L’étymologie du nom d’Étampes, que portent quatre localités françaises, demeure, en effet, incertaine; mais, entre les diverses hypothèses dont elle a fait l’objet, l’une des plus satisfaisantes la rattache au bas latin stapula, dérivé du mot germanique stapel, amas, d’où entrepôt, place publique, que l’on retrouve modifié sous la forme [p.10] Stampae, dans les plus anciens textes. Lieu de réunion sur un pas sage fréquenté, où l’on assemble les marchandises venues par route et par eau, telle est l’origine vraisemblable de notre ville; mais nous n’avons aucune preuve de son existence, en tant que cité, avant le VIe siècle de notre ère. Aux âges préhistoriques, son emplacement n’a pas été occupé par des groupements humains. Non loin d’Étampes, nous avons bien relevé la trace de campements remontant à l’époque paléolithique, mais ces témoins sont fort peu nombreux et n’indiquent pas une occupation de quelque importance. II en est de même pour l’âge de la pierre polie, pour les âges du bronze et du fer. On connaît des stations de ces époques aux environs d’Étampes, mais leur dispersion et leur faible densité ne permettent pas de les considérer comme un ancien centre d’habitation.

     A l’époque gallo-romaine, notre région, comprise dans le pays des Senones, près de la frontière des Carnutes, était traversée par des voies importantes, notamment celle de Lutetia à Genabum, c’est-à-dire de Paris à Gien, Orléans ou Châteauneuf-sur-Loire, car la position de Genabum donne encore lieu à de nombreuses controverses. Dans l’itinéraire d’Antonin, cette voie passe à Salioclita, que l’on a voulu à tort identifier avec Étampes et qui doit être Saclas, à 10 kilomètres au sud, ou l’on reconnaît encore le dallage de la voie antique. Mais cette route ne semble pas avoir traversé l’emplacement actuel d’Étampes; elle passait au nord de la ville, au lieu dit Brunehaut, où l’on a retrouvé des monnaies, une statuette de Mercure en bronze, des substructions et un Priape en pierre, qui témoignent d’établissements romains en ce point; quelques autres découvertes isolées dans les environs d’Étampes prouvent que la région était fréquentée, mais sans qu’une ville fût encore établie aux bords de la Juine.

     Ce sont les divisions entre les rois mérovingiens, successeurs de Clovis, et les guerres si fréquentes entre ces chefs de bandes encore à demi barbares, qui nous apportent la première mention historique de l’existence d’Étampes à cette époque. Grégoire de Tours nous dit, en effet, dans sa précieuse Historia, qu’en 587, une transaction passée entre Childebert, roi d’Austrasie, et son oncle Gontran, roi de Bourgogne, attribuait à Gontran une partie de Paris, Châteaudun, Vendôme et le territoire d’Étampes Pagus Stampensis. Peu après, suivant le même chroniqueur, Étampes était ravagée par les troupes du roi Childebert, puis, en 612, Clotaire, roi de Neustrie, et Thierry, roi d’Austrasie, se livrent une sanglante bataille sous les murs mêmes d’Étampes. Un récit de Frédégaire précise que la lutte eut lieu à Stampas per fluvium Loa, ce qui correspond au débouché de la vallée de la Louette. Plusieurs noms de lieux dits aux alentours de cet emplacement, la Croix de Vaux-Mille-Cent ou Vomit-le-Sang, [p.11] le Meurger de la Bataille, le Champ des Morts, montrent que le souvenir et le lieu même de ce combat n’ont pas été oubliés. Il est vrai qu’aucune découverte d’armes n’est venue confirmer cette tradition, mais l’emplacement des anciennes batailles, si singulier que cela puisse paraître, est le plus souvent très difficile à déterminer. En effet, les corps n’étaient inhumés qu’après avoir été entièrement dépouillés de leurs armes et les squelettes que l’on pourrait découvrir, n’étant accompagnés d’aucun mobilier funéraire, ne peuvent être datés.

     Ces mentions d’Étampes, si modestes qu’elles soient, nous font connaître, outre son existence certaine au VIe siècle, l’emplacement de la première bourgade qui porta ce nom c’est celui du quartier Saint-Martin actuel. La tradition attribue la fondation de l’église Saint-Martin au roi Clovis: aucun texte ne le confirme, mais ce vocable indique, en général, une origine ancienne et il fut sans doute appliqué à la première église d’Étampes.

     Une autre tradition rapporte que des religieux bénédictins seraient venus de l’abbaye de Fleury-sur-Loire, vers le milieu du VIIIe siècle, bâtir, en dehors de la ville, une église et un monastère dédiés à Saint-Pierre. Quelques restes de murs qui présentent le vieux mode de construction dit opus spicatum confirment l’origine mérovingienne de ces édifices, dont notre faubourg actuel conserve encore le nom.

     Si les documents nous manquent au sujet de ces fondations, comme les traces matérielles de la bataille d’Étampes en 612, nous ignorons également si la reine Brunehaut, comme le veut une autre tradition locale, vécut à Étampes et si elle subit, près de la ville, dans la vallée de Brières, l’affreux supplice qui lui fut infligé par le fils de sa rivale Frédégonde. Son mari Sigebert eut bien Étampes dans son domaine, mais rien ne prouve que sa veuve y fit sa résidence. Le nom de Brunehaut ayant été conservé dans tout le nord de la France, sous la forme de «chaussée ou chemin Brunehaut» pour désigner d’anciennes voies romaines qui furent réparées et améliorées sur les ordres de cette reine d’Austrasie, il serait imprudent d’affirmer que Brunehaut elle-même vécut au lieu qui porte encore son nom près d’Étampes. Nous avons dit déjà que les vestiges antiques trouvés en ce point sont gallo-romains et non pas mérovingiens.

     Des rapports de ces rois de la première race avec Étampes, il nous reste donc peu de chose. Les Carolingiens n’ont pas laissé non plus d’actes importants de leur règne où figure notre ville. Nous savons seulement que, dans le partage qui suivit la mort de Charlemagne, Étampes fut attribué à Louis le Débonnaire, puis à son fils, Charles le Chauve, et que l’un et l’autre de ces princes donnèrent à des monastères, en particulier à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, [p.12] à Paris, et à un «fidèle sujet», des terres aux environs d’Étampes.

     Mais après ces règnes pendant lesquels le calme régnait sans doute à Étampes, puisque les monastères y pouvaient recevoir des donations, les invasions normandes vinrent apporter de nouveaux désordres. Rollon lui-même, au dire du chroniqueur Guillaume de Jumièges, entra dans Étampes, détruisit la ville, emmena comme prisonniers un grand nombre de ses habitants. Il est probable, bien que nous n’ayons pas d’autres détails sur ces événements, que les monuments d’Étampes furent alors démolis, puisque nous n’avons malheureusement aucun fragment d’architecture de cette haute époque, car rien ne demeurait derrière le passage des Normands. Et, pendant près de cent ans, les chroniques ne parlent plus d’Étampes.

     Mais les premiers rois capétiens devaient relever notre ville et lui donner une importance et même un lustre qu’elle n’avait jamais encore connus et qu’elle ne retrouvera plus aux époques modernes. Issus des ducs d’entre Seine et Loire, vassaux révoltés contre l’autorité défaillante des derniers Carolingiens, ces rois ne possédaient lors de leur ascension à la dignité royale qu’un bien petit domaine. Rois d’Ile de France, plutôt que de France, ils s’appuyaient sur Dourdan et sur Étampes pour lutter contre leurs puissants voisins et affermir leur domination. Étampes leur demeura toujours fidèle et ne cessa pas de faire partie du domaine royal. Dans le cours des siècles, lorsque les descendants de Hugues le Grand, père de Hugues Capet, qui possédait déjà Étampes au Xe siècle, eurent agrandi leur domaine et constitué la France de nos jours, notre ville devint un apanage accordé tantôt à des princes du sang, tantôt à de fidèles vassaux ou à des favorites du roi, mais revenant toujours à la couronne, dont elle était un des plus beaux fleurons.

     Dès le règne de Robert le Pieux (970-1031), les chroniques citent Étampes comme l’un des séjours fréquents et préférés de ce prince. C’est lui qui aurait fait édifier, sur le bord septentrional du plateau, une forteresse dont la tour de Guinette marque l’emplacement, mais non pas un vestige de cette haute époque, puisque sa construction ne peut être datée que du milieu du XIIe siècle. En outre, la troisième femme du roi Robert, Constance, fit construire, pour leur résidence, un palais dit du Séjour ou des Quatre-Tours, à cause des tourelles d’angle, qui subsistaient encore au XVIIe siècle. Il comprenait de nombreux bâtiments, des écuries, un oratoire, et des jardins, qui occupaient le lieu actuel du tribunal et le terrain compris entre la rue de la Juiverie et la rue de la Roche-Plate. Autour du château fort et du palais, une nouvelle ville se constitua, que les documents du xIe siècle désignent sous le nom de Stampae castrum ou Stampae novae: Étampes-le-Châtel ou Étampes-les-Nouvelles. Cette dernière appellation confirme que la plus ancienne ville, Étampes-les-Vieilles, [p.13] fondée vers le VIe siècle, ne s’étendait pas là. Nous avons vu qu’elle s’était établie plus au sud et que sans doute la première église de cette petite cité mérovingienne avait été dédiée à Saint-Martin. Mais la nouvelle ville en était trop éloignée pour que le roi qui avait assuré sa défense par des fortifications et pourvu à lagrément de sa propre résidence ne songeât pas à y fonder des églises. Ailleurs déjà, Robert le Pieux avait encouragé le grand élan religieux suscité à la fois par les approches de l’an 1000, qui, dans l’esprit des peuples devait amener la fin du monde, et par la coïncidence des calamités, famines, épidémies, brigandages, qui marquèrent les dernières années du Xe siècle. Selon le joli mot de l’humble moine chroniqueur, le monde se parait alors «d’une blanche robe d’églises neuves». Dans le nouvel Étampes, le roi fit édifier Notre-Dame, sur les ruines d’une chapelle, et Saint-Basile au pied de la forteresse. Pour donner plus de lustre à l’une de ses nouvelles églises, il fit apporter à Notre-Dame des reliques qu’il avait obtenues du pape Benoit VIII, sans doute lors de son voyage en Italie en 1020. C’est ainsi que les trois martyrs, Can, Cantien et Cantienne, deux frères et leur sœur, morts pour leur foi, à Aquilée, en Vénétie, au 11 siècle, devinrent les patrons d’Étampes. Ces reliques furent l’objet pendant des siècles d’une grande vénération; elles attirèrent à Étampes, pour la fête des «corps saints», le 31 mai, pour les processions dans la ville, à Pâques et à la Pentecôte, et lors des grandes sécheresses ou des disettes, une foule de fidèles et de curieux qui contribuèrent jadis à sa prospérité. Le cimetière commun aux deux paroisses de Notre-Dame et de Saint-Basile, dit le Grand Cimetière, fut établi hors des murs, dans le hameau de Bédégond, qui s’étendait entre le faubourg Saint-Jacques et le faubourg Évezard. Le roi Philippe Ier fit don de ce hameau aux chanoines de Notre-Dame pour qu’ils élèvent une chapelle dans le cimetière. Elle fut construite le long de la rue actuelle qui a pris son nom Saint-Jacques-de-Bédégond. Le petit bâtiment, orné d’une jolie porte du XVe siècle, qui est aujourd’hui non loin de là, du côté du Port, ne représente pas un reste de cette chapelle du XIIe siècle, puisqu’elle fut détruite au moment de la Fronde.

Fig. 2. Eglise-Saint-Basile. Photo Lepoint-Duclos, Etampes
 
     C’est encore sous le règne des premiers rois capétiens, sans doute dès Robert le Pieux, que les eaux de la Louette et de la Chalouette, qui serpentaient auparavant dans la partie la plus déclive de la vallée, furent canalisées dans la ville en formation. Ce canal, qui passe toujours derrière les maisons des rues basses, devait servir non seulement aux usages ordinaires, mais permettre l’établissement des moulins à farine et favoriser l’industrie des foulons.

     Ainsi, vers le milieu du XIe siècle, Étampes se composait de deux villes, l’une, ouverte, ancienne et de quelque importance puisque des actes de Philippe Ier (1060-1108) nous apprennent qu’elle ne comprenait pas moins de trois églises, Saint-Martin, Saint-Alban [p.14] et Saint-Mard, l’autre, véritable place forte, comme nous le confirme la légende d’une monnaie de Philippe Ier frappée à Étampes, Castellum Stampis, à la fois ville militaire et résidence royale, qui avait pris, de ce fait, un rapide développement. Entre les deux agglomérations, s’étendait un vaste espace inhabité, qui le demeura seulement jusqu’au jour où le roi Louis VI eut l’idée d’y établir un marché, en 1123. Il accordait en même temps des privilèges aux marchands pour assurer leur sécurité et faciliter le transport et la vente de leurs marchandises. En outre, il cherche à donner une rapide activité à ce nouveau marché en peuplant ses abords. Pour cela, il y attire des hôtes, c’est-à-dire des sujets presque entièrement affranchis du servage, auxquels il concède une maison et quelques arpents de terre, avec l’exemption de l’impôt de la taille et du service de guerre pour dix ans et la réduction du taux des amendes et du droit de mesurage des grains, le minage, qui était dû au roi. Cette politique, qui accentuait celle de ses prédécesseurs, intéressée, sans doute, les rois ayant besoin des ressources et de l’appui que leur offrait Étampes, mais évidemment favorable à son développement, donna des résultats rapides. Une vraie ville ne tarda pas à se constituer comme un trait d’union entre les deux autres, autour du marché et d’une nouvelle église, bientôt édifiée, Saint-Gilles. D’autre part, Louis VI prend Étampes comme base stratégique dans sa lutte contre ses redoutables vassaux, Hugues du Puiset, le sire de Montlhéry, les comtes de Corbeil, de la Ferté-Alais, de Rochefort. Plusieurs conciles s’y tiennent et celui de 1130, qui réunit à Étampes tous les prélats du royaume, y confirme l’élection d’un pape, Innocent II. Les fondations se multiplient et les monuments s’élèvent ou s’agrandissent: la maladrerie de Saint-Lazare, l’hospice de Saint-Jean, l’Hôtel-Dieu, le couvent des Mathurins.

     Le roi Louis VII, dès son avènement, s’engage à ne pas altérer durant tout son règne la monnaie frappée à Étampes; il encourage par plusieurs ordonnances les divers métiers, le commerce du vin et de la boucherie; il s’efforce d’enrayer les abus des duels judiciaires, d’adoucir le sort des vilains en les autorisant à acheter des terres. En 1147, il institue la foire de la Saint-Michel en abandonnant ses droits de marché à la léproserie de Saint-Lazare, près de laquelle la foire devait se tenir. Comme son père, il apporte aussi tous ses soins au remaniement et à l’extension de la forteresse dont le donjon — notre tour de Guinette — dut être achevé vers 1150. Ces diverses mesures nous apportent de précieuses indications sur le développement qu’avait pris notre ville. Nous savons ainsi qu’il y avait à Étampes, en 1179, de nombreux moulins, des bouchers, des mégissiers, des ciriers, des vendeurs d’arc; le défrichement des terres et la production agricole ne cessaient de croître, avec le nombre des habitants. A la fin du XIIe siècle, Étampes avait pris à peu près son étendue [p.15] actuelle, ajoutant la prospérité commerciale à l’importance de ses ouvrages militaires.

     Philippe-Auguste, qui l’appelle «une de ses meilleures villes», fonde une nouvelle et grande église, Sainte-Croix, dotée d’un chapitre, à l’emplacement de la synagogue — rue de la Juiverie — dont l’expulsion des Juifs hors du royaume, en 1182, avait entraîné la destruction. Ce roi montre encore l’intérêt qu’il porte aux habitants d’Étampes en octroyant aux foulons ou tisserands d’importants privilèges, qui favorisent en même temps les producteurs de laine de la région, puis, en faisant construire place Dauphine un grand bâtiment, qui comprenait au rez-de-chaussée une halle pour les bouchers, avec de nouveaux étaux, et peut-être aussi une dépendance, de l’autre côté de la rue sur la rivière, des règlements rédigés bien plus tard, mais qui peuvent avoir été imposés dès lors, obligeant à tuer les animaux «sur les rivières et non en les maisons». De ce fait, d’ailleurs, le roi touchait directement des droits, ce qui n’était pas négligeable; en même temps son autorité en était assurée et la ville y gagnait quelque avantage. Au-dessus de la halle, une vaste salle fut aménagée pour les «plaids», c’est-à-dire le tribunal civil, dont les audiences se tinrent là jusqu’au début du XVIe siècle.

Fig. 2. Hôtel de Ville. Photo Lepoint-Duclos, Etampes

     Une question qui demeure obscure à cette époque est celle de l’administration municipale. Le droit de commune, accordé par Louis VI à bien d’autres villes, n’est l’objet d’aucune des chartes qui subsistent en faveur de la nôtre. Elle dut cependant l’obtenir puisqu’un acte de 1188, qui fut d’ailleurs ignoré des premiers historiens d’Étampes, nous apprend qu’elle avait un maire. Mais, dès 1199, les franchises communales lui sont enlevées, par Philippe-Auguste, en raison des abus commis au détriment des intérêts de l’Église et des seigneurs, que le roi avait à ménager. Elles lui seront restituées au XIIIe siècle et la ville, au surplus, ne semble pas y avoir perdu ses avantages, qu’elle tenait avant tout du roi.

     La vie privée de Philippe-Auguste le rattache au moins autant à Étampes que ses actes publics. Il avait épousé en secondes noces une princesse venue d’un pays lointain, comme son aïeul Henri Ier qui avait pris alliance dans la maison des ducs de Kiev, en Russie. Philippe-Auguste avait demandé et obtenu la main d’Ingeburge, fille de Waldemar, roi de Danemark, et la jeune fille avait reçu en France un accueil triomphal que justifiaient sa beauté et sa bonne grâce, encore qu’elle ignorât notre langue. Le mariage fut célébré à Amiens, la veille de l’Assomption, en l’an 1193. Que se passa-t-il entre les époux ? Nul ne le saura jamais. Toujours est-il que le lendemain des noces, le roi, saisi d’une étrange aversion pour sa femme, déclara qu’il la répudierait. Aussitôt, en effet, il commença des démarches pour obtenir l’annulation de son mariage, invoquant une parenté d’Ingeburge tantôt avec sa première femme, Isabeau de [p.16] Hainaut, tantôt avec sa trisaïeule, Anne de Russie. Ces parentés, qui constituaient alors des obstacles au mariage, étaient établies sur de faux actes généalogiques, mais sous la pression du roi, une assemblée des évêques de France prononça le divorce. La malheureuse reine refusa cependant de quitter la France et chercha d’abord asile en divers monastères, réduite même, dit-on, à demander l’aumône, tandis que Philippe-Auguste se hâtait d’épouser une autre princesse étrangère, Agnès de Méranie. Mais le pape ayant d’abord cassé la sentence du divorce et ce nouveau mariage, puis, jeté l’interdit sur tout le royaume, le roi fit enfermer Ingeburge dans le donjon d’Étampes, où elle devait demeurer des années prisonnière. Elle ne recouvra véritablement sa liberté et ses prérogatives d’épouse et de reine qu’en 1213, après maintes vicissitudes, des retours du roi vers elle sans lendemain et suivis de nouvelles périodes de captivité. Mais les durs effets de l’excommunication, qui menaçait de ruine à cette époque un pays tout entier, la réprobation de plus en plus vive du clergé et du peuple, sans doute aussi la mort d’Agnès de Méranie, amenèrent enfin le roi à se soumettre définitivement. Bien des points de cette lutte singulière demeurent obscurs d’ailleurs, les textes étant souvent en désaccord sur ce sujet. Nous citerons cependant une mention manuscrite peu connue, retrouvée sur le psautier d’Ingeburge, qui met comme un terme à cette dramatique histoire, en donnant à penser que la malheureuse reine avait pardonné au roi sa longue injure et conservé du dévouement pour ses intérêts et ceux de la France. Elle a fait écrire, en effet, sur le calendrier de son psautier à la date de la victoire de Bouvines, le 27 juillet 1214, cette courte note: Sexto kalendas augusti, anno Domini M° CC° quarto decimo, veinqui Phelippe, li rois de France, en bataille, le roi Othon et le conte de Flandres et le conte de Boloigrie et plusors autres barons.

     C’est le petit-fils de Philippe-Auguste, Saint Louis, qui le premier détacha provisoirement du domaine royal Étampes et son territoire pour le donner à sa mère Blanche de Castille en échange de son douaire en Berry qu’elle avait abandonné à son troisième fils, Robert d’Artois, pour faciliter son mariage. La régence de Blanche de Castille avait été traversée de nouvelles luttes contre les vassaux de la couronne, rebelles à l’autorité d’une femme. Mais on sait que celle-ci était d’une vertu peu commune. Son courage eut raison de tous les ennemis du jeune roi, auxquels, s’il faut en croire Joinville, ne s’étaient pas joints les seigneurs du pays d’Étampes: ayant, au contraire, averti leur souverain, ils lui permirent ainsi de triompher à Montlhéry et de rentrer à Paris. La paix revenue, Blanche de Castille fit construire à Étampes un monastère et une église pour des Pères cordeliers. Les huguenots devaient incendier ces bâtiments en 1567, ainsi que les archives de la communauté, ce qui fit disparaître toutes les chartes de cette fondation. Elle fut rétablie par Henri III [p.17] et détruite encore à la Révolution, mais le souvenir du moins en subsiste dans le nom actuel de la rue, où s’élevait sans doute le couvent du XIIIe siècle.

     Par la mort de la reine Blanche, la seigneurie d’Étampes avait fait retour à la couronne comme il se devait et elle fut donnée en 1272 à la veuve de Saint Louis, Marguerite de Provence, également en échange de son douaire, au comté du Mans, qui lui avait été repris pour accroître l’apanage de Charles d’Anjou, le frère de Louis IX. Cette donation n’était faite qu’à la reine et s’éteignit avec elle. Celle que le roi Philippe le Bel accorde en 1307 à son frère Louis d’Evreux est plus large elle ne représente pas un simple échange et il reçoit la châtellenie d’Étampes pour lui et ses enfants mâles et légitimes, ce qui en fait un apanage. Une curieuse peinture murale, malheureusement très altérée, dont on voit encore les vestiges dans un grenier du palais de justice, l’ancien palais du Séjour, parait bien représenter la cérémonie de cette donation du roi Philippe IV à son frère, au dé but du XIVe siècle. Le nouveau seigneur d’Étampes se signala par la vente qu’il consentit en 1309 aux habitants d’Étampes et de Brières, moyennant 2.000 livres tournois, d’une «belle garenne» qui s’étendait alors sur toute la plaine des Sablons, jusque près de la ville et du château. Le gibier abondait dans cette chasse gardée, cette «garenne jurée» comme on disait alors, et causait de si grands dégâts aux cultures voisines que Louis d’Évreux céda aux plaintes de ses sujets. C’est donc à cette époque que dut commencer le défrichement des bois de la vallée d’Étampes.

     A la mort de Louis, son fils aîné recevant le comté d’Évreux, Étampes fut attribué au cadet, Charles, de par la volonté de son père. C’est pour lui que le roi Charles IV le Bel, son cousin, érigea en 1327 la baronnie d’Étampes en comté, «nom plus élégant», dit le titre d’érection, conservé aux Archives nationales, «et que justifient le charme du lieu, l’abondance et la richesse de ses fruits». En dépit de ces agréments reconnus à notre ville, les premiers comtes d’Étampes, Charles et son fils Louis II, n’y ont pas laissé de grands souvenirs de leur passage. Ils semblent lui avoir préféré le séjour de Dourdan, si l’on s’en réfère du moins au témoignage, peut-être partial, du vieil historien de Dourdan, Delescornay. En tout cas, aucun monument ne fut élevé par leurs soins, mais la guerre apportait alors ses ravages qu’il fallait d’abord réparer. En 1367, des troupes anglaises parties de Troyes, sous la conduite du prince de Galles, étaient venues jusqu’à Étampes et Étréchy, dévastant tout sur leur passage. D’autres, en 1370, refoulées des abords de Paris, prirent Étampes, la saccagèrent, et poursuivirent leurs destructions à travers toute la Beauce et jusqu’en Anjou. L’église Sainte-Croix avait été pillée, un grand nombre des habitants ruinés, la collégiale de Notre-Dame, qui possédait de nombreux biens dans les pays d’alentour, si appauvrie, [p.18] qu’une partie de ses chanoines et de ses clercs étaient réduits à la mendicité. Pour compenser ces ruines, Louis II, comte d’Étampes fit une importante donation de fiefs et de rentes à l’église Notre- Dame, à condition «qu’il sera chanté tous les jours à perpétuité, avant le soleil levé ou environ, une messe à notes et plainchant», qui fut appelée la Messe au Comte. D’autre part, il fit remise aux habitants de la paroisse Saint-Gilles, contre une rente annuelle de dix livres parisis, d’une charge singulière et fort onéreuse qu’ils supportaient depuis plus de deux siècles, celle de fournir aux rois, puis, aux comtes d’Etampes, lorsqu’ils séjournaient dans la ville, tout le linge, «tant pour lits comme pour table», et toute la vaisselle nécessaires pour eux et leur suite.

     Le troisième comte d’Étampes fut Jean, duc de Berry et d’Auvergne, le frère de Charles V, qui dut ce titre à une grâce spéciale du roi, car Louis II n’ayant pas d’enfants mâles, le comté d’Étampes eût dû revenir à la couronne, suivant les stipulations ordinaires des apanages. Déjà Louis II l’avait irrégulièrement cédé, avec réserve de jouissance sa vie durant, à Louis d’Anjou, le second fils du roi Jean, mais Louis d’Anjou étant mort avant son donateur, ses enfants transportèrent la donation du comté d’Étampes à leur oncle, Jean de Berry, qui sut obtenir l’assentiment du roi Charles VI, en 1384. Si le duc Jean était un homme habile, il fut aussi une puissante personnalité et un prince magnifique. Comme son frère Charles V, qui le premier des rois de France ne combattait pas lui-même à la tête de ses armées, il n’aimait pas la guerre, en un temps où ses pairs ne concevaient guère d’autre idéal de leur activité. Instruit, curieux de tout, collectionneur passionné de beaux manuscrits à peintures, d’objets d’art et d’orfèvrerie, de bijoux, de curiosités de toutes sortes, ce dilettante préférait à la politique et aux chocs des armes les loisirs qu’il goûtait dans ses douze châteaux, en compagnie des artistes et des lettrés. Il lui fallut cependant choisir entre les factions qui déchiraient la France. Armagnacs et Bourguignons se disputaient sa faveur et il inclinait tantôt pour les uns, tantôt pour les autres. Le résultat inévitable de cette sceptique modération fut de le rendre suspect à tous et de le faire rejeter des deux camps. Appauvri par ses libéralités et ses dépenses de collectionneur, malgré les sommes énormes qu’il extorquait de ses provinces, il mourut endetté et maudit d’une partie de ses sujets. Mais sa mémoire est chère à bien des amateurs d’art pour ce qui demeure encore de tout ce que ses goûts raffinés ont suscité, dans les ordres les plus divers. Si ses innombrables bijoux et ses précieuses vaisselles ont disparu, il nous reste les beaux monuments de Bourges et d’Auvergne, dus aux grands architectes qu’il protégeait, les somptueux manuscrits à peintures, comme son Livre d’Heures, et d’autres œuvres moins connues: la Vierge charmante, en pierre blanche du [p.19] Berry, qui sourit au seuil de la sombre église de Riom; dans notre région, une autre statue de Vierge, donnée par lui aux célestins de Marcoussis, d’un admirable réalisme, qui en fait un des plus intéressants spécimens de la sculpture française du XIVe siècle. Et nul Étampois ne devrait ignorer le nom de Jean duc de Berry, puisque c’est à lui que nous devons la grosse cloche de Notre-Dame, dont la voix si grave et si pure résonne, bien au-delà de la ville, chaque jour, depuis l’an 1401.

     On aurait cependant une idée incomplète de notre comte d’Étampes si l’on ne voyait en lui que cette captivante figure de mécène pacifique. Il offrait d’étranges contrastes: despote et cupide au tant que libéral et généreux, il était dénué de tout scrupule pour satisfaire ses désirs ou même des fantaisies parfois bizarres. C’est ainsi qu’il utilisa le donjon d’Étampes pour y séquestrer une fillette de huit ans, Gillette la Mercière, qu’il avait résolu de marier, malgré son jeune âge et l’opposition légitime de ses parents, à un peintre allemand qui «besoignait» pour lui. Furieux de la résistance qu’il rencontrait, il fit enlever la malheureuse enfant et la retint prisonnière pendant près d’un an. Le Parlement et le Conseil du Roi furent saisis et le duc ne céda qu’après maintes interventions.

     Le comté d’Étampes devait revenir à la couronne, si Jean de Berry mourait sans enfants mâles, selon l’engagement qu’il avait pris et qu’il avait fait largement payer, d’ailleurs, au roi, par des dons à ses filles. Mais abusant de la faiblesse de Charles VI, le duc, n’ayant pas de fils, obtint encore la grâce de disposer de son comté, ce qu’il fit dès 1387, en faveur de son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Cette nouvelle dérogation aux prudentes règles des apanages eut, contrairement à la précédente, de funestes conséquences elle allait faire le malheur de notre région pendant près d’un siècle. Entre les mains des ducs de Bourgogne, elle devait, en effet, être entraînée dans la guerre sans merci que ces princes puissants, ambitieux et âpres menèrent alors contre la couronne. Bien plus, elle eut le triste privilège d’être un enjeu de ces luttes ni les rois, ni les ducs ne voulaient y renoncer, marquant ainsi l’importance qu’ils attachaient à sa possession. Mais déjà ravagée par la guerre de Cent ans, elle sortira ruinée des guerres civiles. Philippe de Bourgogne mourut avant son donateur, Jean de Berry. Si l’usufruit du comté d’Étampes demeurait à ce dernier, la nue propriété passait au fils aîné de Philippe, Jean, dit Jean sans Peur. A ce moment, la démence du roi Charles VI laissait libre cours à toutes les rivalités qui s’agitaient autour de lui. Jean sans Peur, pris de haine contre le duc d’Orléans, frère du roi, le fit assassiner dans la rue Barbette, à Paris. Indigné de ce crime, le duc de Berry révoqua sa donation du comté d’Étampes, et prit enfin le parti des Armagnacs, formé autour de Charles d’Orléans, le charmant poète, fils de la victime de Jean sans Peur, qui [p.20] avait épousé la fille du comte d’Armagnac. Une véritable guerre commença. Les Armagnacs ayant rassemblé dans Étampes et la région des troupes qui s’avançaient jusqu’à Paris et désolaient le pays, Jean sans Peur, que soutenait le pauvre roi, vint mettre le siège devant Étampes en 1411, avec le dauphin Louis, duc de Guyenne. Dès la première sommation, les Étampois, peu belliqueux, ouvrirent les portes et implorèrent la clémence du dauphin et de ses alliés pour éviter le pillage, qui d’ailleurs n’en eut pas moins lieu. La garnison d’Étampes était commandée par un gentilhomme d’Auvergne, fidèle serviteur du duc de Berry, Louis de Bosredon. Plus vaillant que les habitants de la ville, il s’enferma dans le château avec ses troupes, s’y fortifia et soutint une résistance désespérée, comme il l’avait promis à son prince. Les entrées du château ayant été forcées, une tour écroulée par le choc d’énormes pierres que lançaient les assaillants, il dut se retirer dans le donjon — la tour de Guinette — où il tint encore plusieurs jours. Les historiens de l’époque rapportent que les dames de la ville s’y étaient réfugiées et, du haut des murs, pour narguer les assiégeants, tendaient leurs tabliers vers les pierres projetées par les machines, qui ne réussissaient pas à les atteindre. Bosredon ne capitula que sous la menace de la sape et de l’incendie. Sa bravoure lui valut au moins la grâce du dauphin: il fut emmené prisonnier à Paris, avec quelques chefs de la ligue des Armagnacs, tandis que d’autres étaient mis à mort. L’héroïque défenseur du château d’Étampes n’en eut pas moins une fin lamentable. Après la mort de Jean de Berry, il changea de camp, puisqu’on le retrouve en 1416 dans l’entourage de la reine Isabeau de Bavière, commandant la 4e compagnie de ses gardes du corps. Il fut accusé d’être son amant, sans doute à tort, la reine étant alors si atteinte par l’âge, l’obésité et la goutte qu’elle ne se déplaçait plus qu’en chaise roulante. Mais il n’en était pas de même de ses dames d’honneur, dont les mœurs étaient fort dissolues. Toujours est-il que les Armagnacs et le nouveau dauphin Charles, acquis à leur parti, voulaient faire exiler la reine favorable aux Bourguignons et pour cela faire disparaître d’abord son vigilant défenseur Bosredon. Ils dénoncèrent au roi ses mœurs scandaleuses, en l’accusant d’être l’amant de la reine. Bosredon fut arrêté, mis à la torture, enfermé à Montlhéry et finalement jeté dans la Seine, pendant la nuit, en un sac de cuir sur lequel on avait écrit: «Laissez passer la justice du roi». Nous avons du siège de 1411 un très modeste, mais curieux témoignage, au musée d’Étampes. Il s’agit d’une vervelle, petit écus son de bronze qu’on fixait au collier des chiens pour indiquer leur maître: elle porte les armes des Mailly: d’or à trois maillets de gueules, avec une brisure de la branche des Mailly-l’Orsignol, et fut découverte au pied de la tour de Guinette en 1897. Or un membre de cette famille, Robert de Mailly, seigneur de l’Orsignol, était précisément [p.21] chambellan de Jean sans Peur à l’époque du siège d’Étampes. Il est donc probable qu’il y prit part et c’est ainsi qu’un de ses chiens dut perdre sa vervelle sous les murs de la forteresse.

     Le duc Jean de Berry mourut en 1415 et son comté d’Étampes, bien qu’il en eût révoqué la donation à son neveu Jean sans Peur, fut revendiqué par ce prince. Mais il n’avait plus pour lui l’appui du dauphin Louis, son gendre, mort dès l’année 1415, et le nouveau dauphin, le futur Charles VII, appartenait, nous l’avons vu, au parti des Armagnacs. Le résultat de ces funestes guerres intérieures qui renaissaient constamment, malgré des conventions que nul ne respectait, fut que notre malheureuse ville fut encore assiégée et prise en 1417. Ainsi, en moins de six ans, elle avait subi deux sièges et pour comble de désordre, le premier avait été soutenu contre le fils aîné du roi et le second, au contraire, en faveur d’un autre fils du roi. Et ce ne fut pas la fin des vicissitudes du comté d’Étampes: pendant plus de cinquante ans, les ducs de Bourgogne le revendiqueront obstinément, tantôt par les armes, tantôt au cours de conférences qui exaspéraient le différend, tantôt, enfin, devant le Parlement. Le roi, bien faible en face de ces puissants adversaires, essayait de maintenir les droits de la couronne en donnant le comté d’Étampes à des vassaux fidèles, comme Richard de Bretagne, qui avait sauvé la dauphine à l’entrée des Anglais à Paris en 1421, en confirmant ensuite à sa veuve, puis à son fils, cette donation qui demeurait fictive, puisque les donataires mouraient sans avoir pu prendre possession de son objet. Enfin, dans les dernières années du règne de Louis XI, en 1478, un arrêt du Parlement rendait le comté à la couronne, comme il était juste et comme il aurait dû en être dès 1400 à la mort de Louis II, qui était sans enfants. François de Bretagne et même le duc de Bourgogne, Jean, comte de Nevers, s’inclinèrent: Charles le Téméraire était mort et Louis XI était puissant.

     Le fait le plus mémorable de cette longue période de troubles fut le séjour que fit à Étampes, en 1465, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, et ses alliés, après avoir livré contre Louis XI la bataille de Montlhéry. Ils venaient y rafraîchir leurs troupes, qui comptaient un grand nombre de blessés et de malades. Malgré ces circonstances favorables, le défenseur de la ville, Robinet du Ruth ne s’inspira pas de l’héroïque exemple de Bosredon en 1411: il rendit le château sans coup férir. Il est vrai qu’il n’avait avec lui qu’une faible garnison. Il fut cependant châtié de sa lâcheté et emprisonné à Bourges. Mais il obtint sa liberté dès 1467 «étant chargé de femme et de plusieurs petits enfants et n’ayant jamais été convaincu d’aucun autre vilain cas», par une lettre de rémission de Louis XI, petite preuve de la justice d’un roi fort calomnié.

     Les habitants d’Étampes et des villages voisins subirent la charge d’héberger et de soigner les soldats des ennemis du roi. Beaucoup [p.22] moururent, qui appartenaient à l’armée du duc de Bretagne, que les intrigues de Charles le Téméraire avaient réussi à détacher du parti royal. On les enterra au delà de l’église Saint-Pierre en un lieu qui prit le nom de cimetière des Bretons, d’où vint celui de Bretagne au hameau environnant.

     Une légende attribue à un Breton de cette armée, pendant son séjour à Étampes, l’invention des fusées, parce qu’il en avait jeté, par mégarde, quelques-unes contre le meneau d’une fenêtre où se tenaient appuyés le duc de Berry et Charles le Téméraire. II est impossible de faire d’Étampes le berceau de cette découverte, attendu que les fusées, connues de temps immémorial en Chine, avaient depuis longtemps pénétré en Europe. [p.23]

 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT

I. Les origines et le Moyen Age
(éditions comparées de 1938 et de 1964)

1938


1964

     A mi-chemin entre Paris et Orléans, la ville d’Étampes s’étend sur la grande route qui relie ces deux villes et qui fut la route des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, autour de trois rivières, divisées elles-mêmes en de nombreux bras, au pied du grand plateau de Beauce. Son territoire confine aux anciens pays de Chartres, d’Orléans, du Hurepoix et du Gâtinais, de longtemps riches et peuplés. Le sol en est très fertile, on y a cultivé dès une haute époque le blé dans la plaine, la vigne sur les pentes des collines et plus tard, les plantes maraîchères dans la vallée. La rivière de Juine, alors navigable, offrait ainsi une communication directe avec Paris par l’Essonne et la Seine. Ces diverses conditions particulièrement favorables à la vie sociale ont déterminé sans doute la fondation en ce lieu de la première bourgade, entraîné son développement dès ses débuts et lui valurent peut-être son nom. L’étymologie du nom d’Étampes, que portent quatre localités françaises, demeure, en effet, incertaine; mais, entre les diverses hypothèses dont elle a fait l’objet, l’une des plus satisfaisantes la rattache au bas latin stapula, dérivé du mot germanique stapel, amas, d’où entrepôt, place publique, que l’on retrouve modifié sous la forme [p.10] Stampae, dans les plus anciens textes. Lieu de réunion sur un pas sage fréquenté, où l’on assemble les marchandises venues par route et par eau, telle est l’origine vraisemblable de notre ville; mais nous n’avons aucune preuve de son existence, en tant que cité, avant le VIe siècle de notre ère.

     A mi-chemin entre Paris et Orléans, sur la route même qui les relie, la ville d’Etampes s’allonge dans une vallée étroite, que domine de part et d’autre le majestueux plateau de la Beauce. Cinq modestes rivières, qui tantôt se divisent, tantôt s’unissent, forment tout un jeu de méandres à travers la ville. Son territoire confine aux anciens pays de Chartres, d’Orléans, du Hurepoix et du Gâtinais, de longtemps riches et peuples. Le sol en est très fertile, on y a cultivé dès une haute époque le blé dans la plaine, la vigne sur les pentes dus collines et plus tard, les plantes maraîchères dans la vallée. La rivière principale, la Juine, jadis navigable, offrait ainsi une communication directe avec Paris par l’Essonne et la Seine. Ces diverses conditions particulièrement favorables à la vie sociale ont déterminé sans doute la fondation en ce lieu de la première bourgade, entraîné son développement dès ses débuts et lui valurent peut-être son nom. L’étymologie du nom d’Etampes, que portent quatre localités françaises, demeure, en effet, incertaine mais, entre les diverses hypothèses dont elle a fait l’objet, l’une des plus satisfaisantes la rattache au bas latin stapula, dérivé du mot germanique stapel, amas, d’où entrepôt, place publique, que l’on retrouve modifié sous la forme Stampae, dans les plus anciens textes. Lieu de réunion sur un passage fréquenté, où l’on assemble les marchandises venues par route et par eau, telle est l’origine vraisemblable de notre ville mais nous n’avons aucune preuve de son existence, en tant que cité, avant le VIe siècle de notre ère.

     Aux âges préhistoriques, son emplacement n’a pas été occupé par des groupements humains. Non loin d’Étampes, nous avons bien relevé la trace de campements remontant à l’époque paléolithique, mais ces témoins sont fort peu nombreux et n’indiquent pas une occupation de quelque importance. II en est de même pour l’âge de la pierre polie, pour les âges du bronze et du fer. On connaît des stations de ces époques aux environs d’Étampes, mais leur dispersion et leur faible densité ne permettent pas de les considérer comme un ancien centre d’habitation.



     En revanche, la région environnant son emplacement actuel fut habitée ça et là dès les premiers âges de l’humanité en raison des avantages naturels qu’elle offrait à l’homme, encore incapable de construire un gîte durable et de cultiver son sol les eaux et les poissons de ses rivières, l’abri, le matériau et le gibier de ses bois. En effet, des vestiges indiscutables de la présence et de l’ingéniosité humaines ont été retrouvés, sous forme d’outils de pierre, tantôt dans les alluvions de la Juine, tantôt dans les éboulis des pentes, vestiges qui remontent à des millénaires de 500.000 à 30.000 ans.

     Aux temps moins lointains du Paléolithique supérieur, les hommes ont établi des campements sur les crêtes ou les versants de nos vallées, utilisant, faute des grottes plus hospitalières du Sud-Ouest de la France, nos innombrables roches de grès, qui constituaient au moins des abris faciles à clôturer par des faisceaux de branchages. Des découvertes récentes en ont donné la preuve et montré que c’était une erreur de supposer, comme on l’a fait longtemps, que le bassin de Paris était resté inhabité durant cette longue période parce qu’il n’offrait pas l’abri des belles grottes méridionales.

     Mais la grande époque de l’installation humaine dans notre région est le Néolithique, qui apporte une évolution profonde dans la vie des hommes par la connaissance de la culture, de la domestication des animaux, du polissage des instruments de pierre, de la poterie, et bientôt après du métal. Une immense forêt couvrait alors notre pays, depuis Orléans jusqu’au-delà de l’Yveline et de Fontainebleau. Ces hommes en commencent le défrichement, qui est toujours lié à la marche de la civilisation, et ils découvrent la fertilité de la terre de Beauce. Ils nous ont laissé des marques de leur activité sur tout le plateau, dans toutes les vallées, soit en des «ateliers» (deux tout proches d’Etampes), soit en des «cachettes» souterraines, sous forme d’outils divers, haches, pics, poignards (dont notre musée possède d’admirables spécimens) ou de polissoirs ou de monuments mégalithiques ou enfin d’innombrables gravures sur nos roches de grès, qui sont une des caractéristiques les plus attachantes de notre région étampoise. Elles représentent, non des signes alphabétiques, mais une des premières expressions graphiques d’une pensée dont le sens demeure mystérieux, très différentes des gravures du Paléolithique qui sont, au contraire, tout imprégnées de naturalisme. L’âge du bronze, au second millénaire avant notre ère, et le premier âge du fer ont laissé des traces moins abondantes que le Néolithique au tour d’Etampes, peut être parce qu’elles ont été détruites par l’ampleur des cultures, cependant des épées, des haches, des bracelets, des poteries attestent la continuité de l’habitat.

     


     Mais bientôt, les Gaulois se répandent dans tout notre pays, amenant avec eux des progrès considérables dans la métallurgie, la construction, le développement du commerce, de l’usage de la monnaie, enfin de la vie intellectuelle, artistique, religieuse. Des vestiges de cette civilisation grandissante, dans tous les domaines, ont été recueillis en Beauce et à Maisse, à Auvers, à Bouray (notre Musée en conserve plusieurs) tandis que le site même de la ville semble encore inhabité, comme à la grande époque qui suit la conquête romaine, conquête qui s’achève par une admirable pacification dont les signes sont multiples: très peu d’armes en sont demeurées, mais des quantités innombrables de substructions, toiles, verreries, poteries, marbres, bijoux, fibules, monnaies, objets d’art. Il est impossible de citer tous les lieux de trouvailles, mais il en existe un relevé aux Archives de Seine-et-Oise, qui donne une [p.24] idée précise de la prospérité de notre région, en particulier, a cette époque. Nous mentionnerons seulement deux grands centres, parce qu’ils s’étendaient sur plusieurs hectares et qu’ils ont fait l’objet de fouilles méthodiques qui ont abouti à des résultats importants: exposés au Musée d’Etampes, Souzy-la-Briche, tout près d’Etampes et Blandy, en Beauce. En cette période heureuse caractérisée par une paix — la Pax Romana — qui dura près d’un siècle (le IIe après Jésus-Christ), les Romains accomplissent de grands travaux en étroite union avec les Gaulois qui s’affinent et développent leurs propres qualités au contact de leurs vainqueurs.
   
     A l’époque gallo-romaine, notre région, comprise dans le pays des Senones, près de la frontière des Carnutes, était traversée par des voies importantes, notamment celle de Lutetia à Genabum, c’est-à-dire de Paris à Gien, Orléans ou Châteauneuf-sur-Loire, car la position de Genabum donne encore lieu à de nombreuses controverses. Dans l’itinéraire d’Antonin, cette voie passe à Salioclita, que l’on a voulu à tort identifier avec Étampes et qui doit être Saclas, à 10 kilomètres au sud, ou l’on reconnaît encore le dallage de la voie antique. Mais cette route ne semble pas avoir traversé l’emplacement actuel d’Étampes; elle passait au nord de la ville, au lieu dit Brunehaut, où l’on a retrouvé des monnaies, une statuette de Mercure en bronze, des substructions et un Priape en pierre, qui témoignent d’établissements romains en ce point; quelques autres découvertes isolées dans les environs d’Étampes prouvent que la région était fréquentée, mais sans qu’une ville fût encore établie aux bords de la Juine.

      Des routes sont construites partout, dont quelques-unes nous touchent de près, de Paris à Gien, de Sens à Orléans, à Chartres. Tout au long de ces voies, s’élèvent des groupes de maisons dont nos villages seront les lointains successeurs. La route de Gien ne passait pas à Etampes, ce qui confirme l’absence d’une agglomération à cette époque: elle déviait à Brunehaut (où l’on a trouvé de nombreux objets romains, encore en 1942) pour se diriger vers Saclas, qui avait conservé une partie de ce dallage antique il y a seulement quelques années.





     Au milieu du IIIe siècle de notre ère, les hordes barbares venues de l’Est commencent à déferler sur l’empire romain, dont elles anéantiront toute la civilisation pour des siècles. Elles ne parviennent qu’au début du Ve siècle dans nos pays, où ils s’établissent en maîtres.
 
     Ce sont les divisions entre les rois mérovingiens, successeurs de Clovis, et les guerres si fréquentes entre ces chefs de bandes encore à demi barbares, qui nous apportent la première mention historique de l’existence d’Étampes à cette époque. Grégoire de Tours nous dit, en effet, dans sa précieuse Historia, qu’en 587, une transaction passée entre Childebert, roi d’Austrasie, et son oncle Gontran, roi de Bourgogne, attribuait à Gontran une partie de Paris, Châteaudun, Vendôme et le territoire d’Étampes Pagus Stampensis. Peu après, suivant le même chroniqueur, Étampes était ravagée par les troupes du roi Childebert, puis, en 612, Clotaire, roi de Neustrie, et Thierry, roi d’Austrasie, se livrent une sanglante bataille sous les murs mêmes d’Étampes. Un récit de Frédégaire précise que la lutte eut lieu à Stampas per fluvium Loa, ce qui correspond au débouché de la vallée de la Louette. Plusieurs noms de lieux dits aux alentours de cet emplacement, la Croix de Vaux-Mille-Cent ou Vomit-le-Sang, [p.11] le Meurger de la Bataille, le Champ des Morts, montrent que le souvenir et le lieu même de ce combat n’ont pas été oubliés. Il est vrai qu’aucune découverte d’armes n’est venue confirmer cette tradition, mais l’emplacement des anciennes batailles, si singulier que cela puisse paraître, est le plus souvent très difficile à déterminer. En effet, les corps n’étaient inhumés qu’après avoir été entièrement dépouillés de leurs armes et les squelettes que l’on pourrait découvrir, n’étant accompagnés d’aucun mobilier funéraire, ne peuvent être datés.

     Ce sont les divisions entre les premiers rois mérovingiens, et les guerres si fréquentes entre ces chefs de bandes encore à demi-barbares, qui nous apportent la première mention historique de l’existence d’Etampes. Grégoire de Tours nous dit, en effet, dans sa précieuse Historia, qu’en 587, une transaction passée entre Childebert II, roi d’Austrasie, et son oncle Gontran, roi de Bourgogne, attribuait à Gontran une partie de Paris, Châteaudun, Vendôme et le territoire d’Etampes: Pagus Stampensis. Peu après, suivant le même chroniqueur, Etampes était ravagée par les troupes du roi Childebert, puis, en 604. Clotaire II, roi de Neustrie, et Théodoric, roi d’Austrasie, se livrent une sanglante bataille dans ses murs: c’est le symbole de la destinée qui est réservée dans l’avenir à notre ville. Un récit de Frédégaire précise que la lutte eut lieu à Stampas per fluvium Loa, ce qui correspond au débouché de la vallée de la Louette. Plusieurs noms de lieux dits aux alentours de cet emplacement, la Croix de Vaux-Mille-Cent ou Vomit-le- Sang, le Meurger de la Bataille, le Champ des Morts, montrent que le souvenir et le lieu même de ce combat n’ont pas été oubliés. Il est vrai qu’aucune découverte d’armes n’est venue confirmer cette tradition, mais l’emplacement des anciennes batailles, si singulier que cela puisse paraître, est le plus souvent très difficile à déterminer. En effet, les corps n’étaient inhumés qu’après avoir été entièrement dépouillés de leurs armes et les squelettes que l’on pourrait découvrir, n’étant accompagnés d’aucun mobilier funéraire, ne peuvent être datés.

     Ces mentions d’Étampes, si modestes qu’elles soient, nous font connaître, outre son existence certaine au VIe siècle, l’emplacement de la première bourgade qui porta ce nom c’est celui du quartier Saint-Martin actuel. La tradition attribue la fondation de l’église Saint-Martin au roi Clovis: aucun texte ne le confirme, mais ce vocable indique, en général, une origine ancienne et il fut sans doute appliqué à la première église d’Étampes.

     Ces mentions d’Etampes, si modestes qu’elles soient, nous font connaître, outre son existence certaine au VIe siècle, l’emplacement de la première bourgade qui porta ce nom c’est celui du quartier Saint-Martin actuel. La tradition attribue la fondation de l’église Saint-Martin au roi Clovis aucun texte ne le confirme, mais ce vocable indique, en général, une origine ancienne et il fut sans doute appliqué à la première église d’Etampes.

     Une autre tradition rapporte que des religieux bénédictins seraient venus de l’abbaye de Fleury-sur-Loire, vers le milieu du VIIIe siècle, bâtir, en dehors de la ville, une église et un monastère dédiés à Saint-Pierre. Quelques restes de murs qui présentent le vieux mode de construction dit opus spicatum confirment l’origine mérovingienne de ces édifices, dont notre faubourg actuel conserve encore le nom.


     Une tradition plus sûre rapporte que des religieux bénédictins seraient venus de l’abbaye de Fleury-sur-Loire, vers le milieu du VIIIe siècle, bâtir, en dehors de la ville, une église et un monastère dédiés à Saint-Pierre. Quelques restes de murs qui présentent le vieux mode de construction dit opus spicatum confirment l’origine mérovingienne de ces édifices, dont notre faubourg actuel conserve encore le nom.
     Si les documents nous manquent au sujet de ces fondations, comme les traces matérielles de la bataille d’Étampes en 612, nous ignorons également si la reine Brunehaut, comme le veut une autre tradition locale, vécut à Étampes et si elle subit, près de la ville, dans la vallée de Brières, l’affreux supplice qui lui fut infligé par le fils de sa rivale Frédégonde. Son mari Sigebert eut bien Étampes dans son domaine, mais rien ne prouve que sa veuve y fit sa résidence. Le nom de Brunehaut ayant été conservé dans tout le nord de la France, sous la forme de «chaussée ou chemin Brunehaut» pour désigner d’anciennes voies romaines qui furent réparées et améliorées sur les ordres de cette reine d’Austrasie, il serait imprudent d’affirmer que Brunehaut elle-même vécut au lieu qui porte encore son nom près d’Étampes. Nous avons dit déjà que les vestiges antiques trouvés en ce point sont gallo-romains et non pas mérovingiens.


     Si les documents nous manquent au sujet de ces fondations, comme les traces matérielles de la bataille d’Etampes en 604, nous ignorons également si la reine Brunehaut, comme le veut une autre tradition locale, vécut à Etampes et si elle subit, près de la ville, dans la vallée de Brières, l’affreux supplice qui lui fut infligé par le fils de sa rivale Frédégonde. Son mari Sigebert eut bien Etampes dans son domaine, mais rien ne prouve que sa veuve y fit sa résidence, Le nom de Brunehaut ayant été conservé, dans tout le nord de la France, sous la forme de «chaussée ou chemin Brunehaut» pour désigner d’anciennes voies romaines qui furent réparées et améliorées sur les ordres de cette reine d’Austrasie, il serait imprudent d’affirmer que Brunehaut elle-même vécut au lieu qui porte encore son nom près d’Etampes.


     Des rapports de ces rois de la première race avec Étampes, il nous reste donc peu de chose. Les Carolingiens n’ont pas laissé non plus d’actes importants de leur règne où figure notre ville. Nous savons seulement que, dans le partage qui suivit la mort de Charlemagne, Étampes fut attribué à Louis le Débonnaire, puis à son fils, Charles le Chauve, et que l’un et l’autre de ces princes donnèrent à des monastères, en particulier à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, [p.12] à Paris, et à un «fidèle sujet», des terres aux environs d’Étampes.


     Des rapports de ces rois de la première race avec Etampes, il nous reste donc peu de chose. Les Carolingiens n’ont pas laissé non plus d’actes importants où figure notre ville. Nous savons seulement que, dans le partage qui suivit la mort de Charlemagne, Etampes fut attribué à Louis le Débonnaire, puis à son fils, Charles le Chauve, et que l’un et l’autre de ces princes donnèrent à des monastères, en particulier à l’abbaye de Saint-Germain-des-prés, à Paris, et à un «fidèle sujet», des terres aux environs d’Etampes.

     Mais après ces règnes pendant lesquels le calme régnait sans doute à Étampes, puisque les monastères y pouvaient recevoir des donations, les invasions normandes vinrent apporter de nouveaux désordres. Rollon lui-même, au dire du chroniqueur Guillaume de Jumièges, entra dans Étampes, détruisit la ville, emmena comme prisonniers un grand nombre de ses habitants. Il est probable, bien que nous n’ayons pas d’autres détails sur ces événements, que les monuments d’Étampes furent alors démolis, puisque nous n’avons malheureusement aucun fragment d’architecture de cette haute époque, car rien ne demeurait derrière le passage des Normands. Et, pendant près de cent ans, les chroniques ne parlent plus d’Étampes.
 

     Mais après ces règnes pendant lesquels le calme régnait sans doute à Etampes, puisque les monastères y pouvaient recevoir des donations, les invasions normandes vinrent apporter de nouveaux désordres. Rollon lui-même, au dire du chroniqueur Guillaume de Jumièges, entra dans Etampes, détruisit la ville, emmena comme prisonniers un grand nombre de ses habitants. Il est probable, bien que nous n’ayons pas d’autres détails sur ces événements, que les monuments d’Etampes furent alors démolis, puisque nous n’avons malheureusement aucun fragment d’architecture de cette haute époque et que rien ne demeurait derrière le passage des Normands. Pendant près de cent ans, les chroniques ne parlent plus d’Etampes.
 
     Mais les premiers rois capétiens devaient relever notre ville et lui donner une importance et même un lustre qu’elle n’avait jamais encore connus et qu’elle ne retrouvera plus aux époques modernes. Issus des ducs d’entre Seine et Loire, vassaux révoltés contre l’autorité défaillante des derniers Carolingiens, ces rois ne possédaient lors de leur ascension à la dignité royale qu’un bien petit domaine. Rois d’Ile de France, plutôt que de France, ils s’appuyaient sur Dourdan et sur Étampes pour lutter contre leurs puissants voisins et affermir leur domination. Étampes leur demeura toujours fidèle et ne cessa pas de faire partie du domaine royal. Dans le cours des siècles, lorsque les descendants de Hugues le Grand, père de Hugues Capet, qui possédait déjà Étampes au Xe siècle, eurent agrandi leur domaine et constitué la France de nos jours, notre ville devint un apanage accordé tantôt à des princes du sang, tantôt à de fidèles vassaux ou à des favorites du roi, mais revenant toujours à la couronne, dont elle était un des plus beaux fleurons.
 

     Mais les premiers rois capétiens devaient relever notre ville et lui donner une importance et même un lustre qu’elle n’avait jamais encore connus et qu’elle ne retrouvera plus aux époques modernes. Issus des ducs d’entre Seine et Loire, vassaux révoltés contre l’autorité défaillante des derniers Carolingiens, ces rois ne possédaient lors de leur ascension à la dignité royale qu’un bien petit domaine. Rois d’Île de France. plutôt que de France, ils s’appuyaient sur Dourdan et sur Etampes pour lutter contre leurs puissants voisins et affermir leur domination. Etampes leur demeura toujours fidèle et ne cessa pas de faire partie du domaine royal. Dans le cours des siècles, lorsque les descendants de Hugues le Grand, père de Hugues Capet, qui possédait déjà Etampes au Xe siècle, eurent agrandi leur domaine et constitué la France de nos jours, notre ville devint un apanage accordé tantôt à des princes du sang, tantôt à de fidèles vassaux ou à des favorites du roi, mais revenant toujours à la couronne, dont elle était un des plus beaux fleurons.
     Dès le règne de Robert le Pieux (970-1031), les chroniques citent Étampes comme l’un des séjours fréquents et préférés de ce prince. C’est lui qui aurait fait édifier, sur le bord septentrional du plateau, une forteresse dont la tour de Guinette marque l’emplacement, mais non pas un vestige de cette haute époque, puisque sa construction ne peut être datée que du milieu du XIIe siècle. En outre, la troisième femme du roi Robert, Constance, fit construire, pour leur résidence, un palais dit du Séjour ou des Quatre-Tours, à cause des tourelles d’angle, qui subsistaient encore au XVIIe siècle. Il comprenait de nombreux bâtiments, des écuries, un oratoire, et des jardins, qui occupaient le lieu actuel du tribunal et le terrain compris entre la rue de la Juiverie et la rue de la Roche-Plate. Autour du château fort et du palais, une nouvelle ville se constitua, que les documents du xIe siècle désignent sous le nom de Stampae castrum ou Stampae novae: Étampes-le-Châtel ou Étampes-les-Nouvelles. Cette dernière appellation confirme que la plus ancienne ville, Étampes-les-Vieilles, [p.13] fondée vers le VIe siècle, ne s’étendait pas là. Nous avons vu qu’elle s’était établie plus au sud et que sans doute la première église de cette petite cité mérovingienne avait été dédiée à Saint-Martin. Mais la nouvelle ville en était trop éloignée pour que le roi qui avait assuré sa défense par des fortifications et pourvu à l de sa propre résidence ne songeât pas à y fonder des églises. Ailleurs déjà, Robert le Pieux avait encouragé le grand élan religieux suscité à la fois par les approches de l’an 1000, qui, dans l’esprit des peuples devait amener la fin du monde, et par la coïncidence des calamités, famines, épidémies, brigandages, qui marquèrent les dernières années du Xe siècle. Selon le joli mot de l’humble moine chroniqueur, le monde se parait alors «d’une blanche robe d’églises neuves». Dans le nouvel Étampes, le roi fit édifier Notre-Dame, sur les ruines d’une chapelle, et Saint-Basile au pied de la forteresse. Pour donner plus de lustre à l’une de ses nouvelles églises, il fit apporter à Notre-Dame des reliques qu’il avait obtenues du pape Benoit VIII, sans doute lors de son voyage en Italie en 1020. C’est ainsi que les trois martyrs, Can, Cantien et Cantienne, deux frères et leur sœur, morts pour leur foi, à Aquilée, en Vénétie, au 11 siècle, devinrent les patrons d’Étampes. Ces reliques furent l’objet pendant des siècles d’une grande vénération; elles attirèrent à Étampes, pour la fête des «corps saints», le 31 mai, pour les processions dans la ville, à Pâques et à la Pentecôte, et lors des grandes sécheresses ou des disettes, une foule de fidèles et de curieux qui contribuèrent jadis à sa prospérité. Le cimetière commun aux deux paroisses de Notre-Dame et de Saint-Basile, dit le Grand Cimetière, fut établi hors des murs, dans le hameau de Bédégond, qui s’étendait entre le faubourg Saint-Jacques et le faubourg Évezard. Le roi Philippe Ier fit don de ce hameau aux chanoines de Notre-Dame pour qu’ils élèvent une chapelle dans le cimetière. Elle fut construite le long de la rue actuelle qui a pris son nom Saint-Jacques-de-Bédégond. Le petit bâtiment, orné d’une jolie porte du XVe siècle, qui est aujourd’hui non loin de là, du côté du Port, ne représente pas un reste de cette chapelle du XIIe siècle, puisqu’elle fut détruite au moment de la Fronde.


     Dès le règne de Robert le Pieux (970-1031), les chroniques citent Etampes comme l’un des séjours fréquents et préférés de ce prince. C’est lui qui aurait fait édifier, sur le bord septentrional du plateau, une forteresse dont la tour de Guinette marque l’emplacement, mais non pas un vestige de cette époque, sa construction ne pouvant être datée que du milieu du XIIe siècle. En outre, la troisième femme du roi Robert, Constance, fit construire, pour leur résidence, un palais dit du Séjour ou des Quatre-Tours, à cause des tourelles d’angle, qui subsistaient encore au XVIIe siècle. Il comprenait de nombreux bâtiments, des écuries, un oratoire, et des jardins, qui occupaient le lieu actuel du tribunal et le terrain compris entre la rue de la Juiverie et la rue de la Roche-Plate. Autour du château fort et du palais, une nouvelle ville se constitua, que les documents du XIe siècle désignent sous le nom de Stampae castrum ou Stampae novae: Etampes-le-Châtel ou Etampes-les-Nouvelles. Cette dernière appellation confirme que la plus ancienne ville, Etampes-les-Vieilles, fondée vers le VIe siècle, ne s’étendait pas là. Nous avons vu qu’elle s’était établie plus au sud et que sans doute la première église de cette petite cité mérovingienne avait été dédiée à saint Martin. Mais la nouvelle ville en était trop éloignée pour que le roi qui avait assuré sa défense par des fortifications et pourvu à l’agrément de sa propre résidence ne songeât pas à y fonder des églises. Ailleurs déjà, Robert le Pieux avait encouragé le grand élan religieux suscité à la fois par les approches de l’an 1000, qui, dans l’esprit des peuples devait amener la fin du monde, et par la coïncidence des calamités, famines, épidémies, brigandages, qui marquèrent les dernières années du Xe siècle. Selon le joli mot de l’humble moine chroniqueur, le monde se parait alors «d’une blanche robe d’églises neuves». Dans le nouvel Etampes, le roi fit édifier Notre-Dame, sur les ruines d’une chapelle, et Saint-Basile au pied de la forteresse. Pour donner plus de lustre à l’une de ses églises, il fit apporter à Notre-Dame des reliques qu’il avait obtenues du Pape Benoit VIII, sans doute lors de son voyage en Italie en 1020. C’est ainsi que les trois martyrs, Can, Cantien et Cantienne, deux frères et leur sœur, morts pour leur foi, à Aquilée, en Vénétie, au IIIe siècle, devinrent les patrons d’Etampes. Ces reliques furent l’objet pendant des siècles d’une grande vénération elles attirèrent à Etampes, pour la fête des «corps saints», le 31 mai, pour les processions dans la ville, à Pâques et à la Pentecôte, et lors des grandes sécheresses ou des disettes, une foule de fidèles et de curieux qui contribuèrent jadis à sa prospérité. Le cimetière commun aux deux paroisses de Notre-Dame et de Saint-Basile, dit le Grand Cimetière, fut établi hors des murs, dans le hameau de Bédégond, qui s’étendait entre le faubourg Saint-Jacques et le faubourg Evezard. Le roi Philippe Ier (1060-1108) fit don de ce hameau aux chanoines de Notre-Dame pour qu’ils élèvent une chapelle dans le cimetière, Elle fut construite le long de la rue actuelle qui a pris sou nom: Saint-Jacques-de-Bédégond. Le petit bâtiment, orné d’une jolie porte du XVe siècle, qui est aujourd’hui non loin de là, du côté du Port, ne représente pas un reste de cette chapelle du XIIe siècle, puisqu’elle fut détruite au moment de la Fronde.

     C’est encore sous le règne des premiers rois capétiens, sans doute dès Robert le Pieux, que les eaux de la Louette et de la Chalouette, qui serpentaient auparavant dans la partie la plus déclive de la vallée, furent canalisées dans la ville en formation. Ce canal, qui passe toujours derrière les maisons des rues basses, devait servir non seulement aux usages ordinaires, mais permettre l’établissement des moulins à farine et favoriser l’industrie des foulons.
 

     C’est encore sous le règne des premiers rois capétiens, sans doute dès Robert le Pieux, que les eaux de la Louette et de la Chalouette, qui serpentaient auparavant dans la partie la plus déclive de la vallée, furent canalisées dans la ville en formation. Ce canal, qui passe toujours derrière les maisons des rues basses, devait servir non seulement aux usages ordinaires, mais permettre l’établissement des moulins à farine et favoriser l’industrie des foulons (tisserands). [p.25]
 
     Ainsi, vers le milieu du XIe siècle, Étampes se composait de deux villes, l’une, ouverte, ancienne et de quelque importance puisque des actes de Philippe Ier (1060-1108) nous apprennent qu’elle ne comprenait pas moins de trois églises, Saint-Martin, Saint-Alban [p.14] et Saint-Mard, l’autre, véritable place forte, comme nous le confirme la légende d’une monnaie de Philippe Ier frappée à Étampes, Castellum Stampis, à la fois ville militaire et résidence royale, qui avait pris, de ce fait, un rapide développement. Entre les deux agglomérations, s’étendait un vaste espace inhabité, qui le demeura seulement jusqu’au jour où le roi Louis VI eut l’idée d’y établir un marché, en 1123. Il accordait en même temps des privilèges aux marchands pour assurer leur sécurité et faciliter le transport et la vente de leurs marchandises. En outre, il cherche à donner une rapide activité à ce nouveau marché en peuplant ses abords. Pour cela, il y attire des hôtes, c’est-à-dire des sujets presque entièrement affranchis du servage, auxquels il concède une maison et quelques arpents de terre, avec l’exemption de l’impôt de la taille et du service de guerre pour dix ans et la réduction du taux des amendes et du droit de mesurage des grains, le minage, qui était dû au roi. Cette politique, qui accentuait celle de ses prédécesseurs, intéressée, sans doute, les rois ayant besoin des ressources et de l’appui que leur offrait Étampes, mais évidemment favorable à son développement, donna des résultats rapides. Une vraie ville ne tarda pas à se constituer comme un trait d’union entre les deux autres, autour du marché et d’une nouvelle église, bientôt édifiée, Saint-Gilles. D’autre part, Louis VI prend Étampes comme base stratégique dans sa lutte contre ses redoutables vassaux, Hugues du Puiset, le sire de Montlhéry, les comtes de Corbeil, de la Ferté-Alais, de Rochefort. Plusieurs conciles s’y tiennent et celui de 1130, qui réunit à Étampes tous les prélats du royaume, y confirme l’élection d’un pape, Innocent II. Les fondations se multiplient et les monuments s’élèvent ou s’agrandissent: la maladrerie de Saint-Lazare, l’hospice de Saint-Jean, l’Hôtel-Dieu, le couvent des Mathurins.
 

    Ainsi, vers le milieu du XIe siècle, Etampes se composait de deux villes, l’une, ouverte, ancienne et de quelque importance puisque des actes de Philippe Ier nous apprennent qu’elle ne comprenait pas moins de trois églises, Saint-Martin, Saint Alban et Saint-Mard, l’autre, véritable place forte, comme nous le confirme la légende d’une monnaie de Philippe Ier frappée à Etampes Castellum Stampis, à la fois ville militaire et résidence royale, qui avait pris, de ce fait, un rapide développement. Entre les deux agglomérations, s’étendait un vaste espace inhabité, qui le demeura seulement jusqu’au jour ou le roi Louis VI (1108-1137), eut l’idée d’y établir un marché, en 1123. Il accordait en même temps des privilèges aux marchands pour assurer leur sécurité et faciliter le transport et la vente de leurs marchandises. En outre, il cherche à donner une rapide activité à ce nouveau marché en peuplant ses abords. Pour cela, il y attire des hôtes, c’est-à-dire des sujets presque entièrement affranchis du servage, auxquels il concède une maison et quelques arpents de terre, avec l’exemption de l’impôt de la taille et du service de guerre pour dix ans et la réduction du taux des amendes et du droit de mesurage des grains, le minage, qui était dû au roi. Cette politique, qui accentuait celle de ses prédécesseurs, intéressée, sans doute, les rois ayant besoin des ressources et de l’appui que leur offrait Etampes, mais évidemment favorable à son développement, donna des résultats rapides. Une vraie ville ne tarda pas à se constituer comme un trait d’union entre les deux autres, autour du marché et d’une nouvelle église, bientôt édifiée, Saint-Gilles. D’autre part, Louis VI prend Etampes comme base stratégique dans sa lutte contre ses redoutables vassaux, Hugues du Puiset, le sire de Montlhéry, les comtes de Corbeil et de la Ferté-Alais, de Rochefort. Plusieurs conciles s’y tiennent et celui de 1130, qui réunit à Etampes tous les prélats du royaume, y confirme l’élection d’un pape, Innocent II. Les fondations se multiplient et les monuments s’élèvent ou s’agrandissent la maladrerie de Saint-Lazare, l’hospice de Saint-Jean, l’Hôtel-Dieu, le couvent des Mathurins.
 
     Le roi Louis VII, dès son avènement, s’engage à ne pas altérer durant tout son règne la monnaie frappée à Étampes; il encourage par plusieurs ordonnances les divers métiers, le commerce du vin et de la boucherie; il s’efforce d’enrayer les abus des duels judiciaires, d’adoucir le sort des vilains en les autorisant à acheter des terres. En 1147, il institue la foire de la Saint-Michel en abandonnant ses droits de marché à la léproserie de Saint-Lazare, près de laquelle la foire devait se tenir. Comme son père, il apporte aussi tous ses soins au remaniement et à l’extension de la forteresse dont le donjon — notre tour de Guinette — dut être achevé vers 1150. Ces diverses mesures nous apportent de précieuses indications sur le développement qu’avait pris notre ville. Nous savons ainsi qu’il y avait à Étampes, en 1179, de nombreux moulins, des bouchers, des mégissiers, des ciriers, des vendeurs d’arc; le défrichement des terres et la production agricole ne cessaient de croître, avec le nombre des habitants. A la fin du XIIe siècle, Étampes avait pris à peu près son étendue [p.15] actuelle, ajoutant la prospérité commerciale à l’importance de ses ouvrages militaires.
   

     Le roi Louis VII (1157-1180), dès son avènement, s’engage à ne pas altérer durant tout son règne la monnaie frappée à Etampes il encourage par plusieurs ordonnances les divers métiers, le commerce du vin et de la boucherie il s’efforce d’enrayer les abus des duels judiciaires, d’adoucir le sort des vilains en les autorisant à acheter des terres. En 1147, il institue la foire de la Saint en abandonnant ses droits de marché à la léproserie de Saint-Lazare, près de laquelle la foire devait se tenir. Comme son père, il apporte aussi tous ses soins au remaniement et à l’extension do la forteresse dont le donjon — notre tour de Guinette — dut être achevé vers 1150. Ces diverses mesures nous apportent de précieuses indications sur le développement qu’avait pris notre ville, Nous savons ainsi qu’il y avait à Etampes, en 1179, de nombreux moulins, des bouchers, des mégissiers, des ciriers, des vendeurs d’arc; le défrichement des terres et la production agricole ne cessaient de croître, avec le nombre des habitants. A la fin du XIIe siècle, Etampes avait pris à peu près son étendue actuelle, ajoutant la prospérité commerciale à l’importance de ses ouvrages militaires.
 
     Philippe-Auguste, qui l’appelle «une de ses meilleures villes», fonde une nouvelle et grande église, Sainte-Croix, dotée d’un chapitre, à l’emplacement de la synagogue — rue de la Juiverie — dont l’expulsion des Juifs hors du royaume, en 1182, avait entraîné la destruction. Ce roi montre encore l’intérêt qu’il porte aux habitants d’Étampes en octroyant aux foulons ou tisserands d’importants privilèges, qui favorisent en même temps les producteurs de laine de la région, puis, en faisant construire place Dauphine un grand bâtiment, qui comprenait au rez-de-chaussée une halle pour les bouchers, avec de nouveaux étaux, et peut-être aussi une dépendance, de l’autre côté de la rue sur la rivière, des règlements rédigés bien plus tard, mais qui peuvent avoir été imposés dès lors, obligeant à tuer les animaux «sur les rivières et non en les maisons». De ce fait, d’ailleurs, le roi touchait directement des droits, ce qui n’était pas négligeable; en même temps son autorité en était assurée et la ville y gagnait quelque avantage. Au-dessus de la halle, une vaste salle fut aménagée pour les «plaids», c’est-à-dire le tribunal civil, dont les audiences se tinrent là jusqu’au début du XVIe siècle.
 

     Philippe-Auguste (1180-1223), qui l’appelle «une de ses meilleures villes» fonde une nouvelle et grande église, Sainte-Croix, dotée d’un chapitre, à l’emplacement de la synagogue — rue de la Juiverie — dont l’expulsion des Juifs hors du royaume, en 1182, avait entraîné la destruction. Ce roi montre encore l’intérêt qu’il porte aux habitants d’Etampes en octroyant aux foulons d’importants privilèges, qui favorisent en même temps les producteurs de laine de la région, puis, en faisant construire place Dauphine, tout près de l’hôtel Saint-Yon actuel, un grand bâtiment, qui comprenait au rez-de-chaussée une halle pour les bouchers, avec de nouveaux étaux, et peut-être aussi une dépendance, de l’autre côté de la rue sur la rivière, des règlements rédigés bien plus tard, mais qui peuvent avoir été imposés dès lors, obligeant à tuer les animaux «sur les rivières et non en les maisons». De ce fait, d’ailleurs, le roi touchait directement des droits, ce qui n’était pas négligeable en môme temps son autorité en était assurée et la ville y gagnait quelque avantage. Au-dessus de la halle, une vaste salle fut aménagée pour les «plaids», c’est-à-dire le tribunal civil, dont les audiences se tinrent là jusqu’au début du XVIe siècle.
 
     Une question qui demeure obscure à cette époque est celle de l’administration municipale. Le droit de commune, accordé par Louis VI à bien d’autres villes, n’est l’objet d’aucune des chartes qui subsistent en faveur de la nôtre. Elle dut cependant l’obtenir puisqu’un acte de 1188, qui fut d’ailleurs ignoré des premiers historiens d’Étampes, nous apprend qu’elle avait un maire. Mais, dès 1199, les franchises communales lui sont enlevées, par Philippe-Auguste, en raison des abus commis au détriment des intérêts de l’Église et des seigneurs, que le roi avait à ménager. Elles lui seront restituées au XIIIe siècle et la ville, au surplus, ne semble pas y avoir perdu ses avantages, qu’elle tenait avant tout du roi.
 

     Une question qui demeure obscure à cette époque est celle de l’administration municipale. Le droit de commune, accordé par Louis VI à bien d’autres villes, n’est l’objet d’aucune des chartes qui subsistent en faveur de la nôtre. Elle dut cependant l’obtenir puisqu’un acte de 1188, qui fut d’ailleurs ignoré des premiers historiens d’Etampes, nous apprend qu’elle avait un maire. Mais, dès 1199, les franchises communales lui sont enlevées, par Philippe-Auguste, en raison des abus commis au détriment des intérêts de 1’Eglise et des seigneurs, que le roi avait à ménager. Elles lui seront restitué au XIIIe siècle et la ville, au surplus, ne semble pas y avoir perdu ses avantages, qu’elle tenait avant tout du roi.
 
     La vie privée de Philippe-Auguste le rattache au moins autant à Étampes que ses actes publics. Il avait épousé en secondes noces une princesse venue d’un pays lointain, comme son aïeul Henri Ier qui avait pris alliance dans la maison des ducs de Kiev, en Russie. Philippe-Auguste avait demandé et obtenu la main d’Ingeburge, fille de Waldemar, roi de Danemark, et la jeune fille avait reçu en France un accueil triomphal que justifiaient sa beauté et sa bonne grâce, encore qu’elle ignorât notre langue. Le mariage fut célébré à Amiens, la veille de l’Assomption, en l’an 1193. Que se passa-t-il entre les époux ? Nul ne le saura jamais. Toujours est-il que le lendemain des noces, le roi, saisi d’une étrange aversion pour sa femme, déclara qu’il la répudierait. Aussitôt, en effet, il commença des démarches pour obtenir l’annulation de son mariage, invoquant une parenté d’Ingeburge tantôt avec sa première femme, Isabeau de [p.16] Hainaut, tantôt avec sa trisaïeule, Anne de Russie. Ces parentés, qui constituaient alors des obstacles au mariage, étaient établies sur de faux actes généalogiques, mais sous la pression du roi, une assemblée des évêques de France prononça le divorce. La malheureuse reine refusa cependant de quitter la France et chercha d’abord asile en divers monastères, réduite même, dit-on, à demander l’aumône, tandis que Philippe-Auguste se hâtait d’épouser une autre princesse étrangère, Agnès de Méranie. Mais le pape ayant d’abord cassé la sentence du divorce et ce nouveau mariage, puis, jeté l’interdit sur tout le royaume, le roi fit enfermer Ingeburge dans le donjon d’Étampes, où elle devait demeurer des années prisonnière. Elle ne recouvra véritablement sa liberté et ses prérogatives d’épouse et de reine qu’en 1213, après maintes vicissitudes, des retours du roi vers elle sans lendemain et suivis de nouvelles périodes de captivité. Mais les durs effets de l’excommunication, qui menaçait de ruine à cette époque un pays tout entier, la réprobation de plus en plus vive du clergé et du peuple, sans doute aussi la mort d’Agnès de Méranie, amenèrent enfin le roi à se soumettre définitivement. Bien des points de cette lutte singulière demeurent obscurs d’ailleurs, les textes étant souvent en désaccord sur ce sujet. Nous citerons cependant une mention manuscrite peu connue, retrouvée sur le psautier d’Ingeburge, qui met comme un terme à cette dramatique histoire, en donnant à penser que la malheureuse reine avait pardonné au roi sa longue injure et conservé du dévouement pour ses intérêts et ceux de la France. Elle a fait écrire, en effet, sur le calendrier de son psautier à la date de la victoire de Bouvines, le 27 juillet 1214, cette courte note: Sexto kalendas augusti, anno Domini M° CC° quarto decimo, veinqui Phelippe, li rois de France, en bataille, le roi Othon et le conte de Flandres et le conte de Boloigrie et plusors autres barons.
 

     La vie privée de Philippc-Auguste le rattache au moins au tant à Etampes que ses actes publics. Il avait épousé en secondes noces une princesse venue d’un pays lointain, comme son aïeul Henri Ier qui avait pris alliance dans la maison des ducs de Kiev, en Russie. Philippe-Auguste avait demandé et obtenu la main d’Ingeburge, fille de Waldemar, roi de Danemark, et la jeune fille avait reçu en France un accueil triomphal que justifiaient sa beauté et sa bonne grâce, encore qu’elle ignore notre langue. Le mariage fut célébré à Amiens, la veille de l’Assomption, en l’an 1193. Que se passa-t-il entre les époux? Nul ne le saura jamais. Toujours est-il que le lendemain dos noces, le roi, saisi d’une étrange aversion pour sa femme, déclara qu’il la répudierait. Aussitôt, en effet, il commença des démarches pour obtenir l’annulation de son mariage, invoquant une parenté d’Ingeburge avec sa première femme, Isabeau de Hainaut, tantôt avec sa trisaïeule, Anne de Russie. Ces parentés, qui constituaient alors des obstacles au mariage, furent établies sur de faux actes généalogiques, mais sous la pression du roi, une assemblée des évêques de France prononça le divorce. La malheureuse reine refusa cependant de quitter la France et chercha d’abord asile en divers monastères, réduite même, dit-on, à demander l’aumône, tandis que Philippe Auguste se hâtait d’épouser une autre princesse étrangère, Agnès de Méranie. Mais le pape ayant d’abord cassé la sentence du divorce et ce nouveau mariage, puis, jeté l’interdit sur tout le royaume, le roi fit enfermer Ingeburge dans le donjon d’Etampes, où elle devait demeurer des années prisonnière. Elle ne recouvra véritablement sa liberté et ses prérogatives d’épouse et de reine qu’en 1213, après maintes vicissitudes, des retours du roi vers elle sans lendemain et suivis de nouvelles périodes de captivité. Mais les durs effets de l’excommunication, qui menaçait de ruine à cette époque un pays tout entier, la réprobation de plus en plus vive du clergé et du peuple, sans doute aussi la mort d’Agnès de Méranie, amenèrent enfin le roi à se soumettre définitivement. Bien des points de cette lutte singulière demeurent obscurs d’ailleurs, les textes étant en désaccord sur ce sujet. Nous citerons ce pendant une mention manuscrite peu connue, retrouvée sur le psautier d’Ingeburge, qui met comme un terme à cette dramatique histoire, en donnant à penser que la malheureuse reine avait pardonné au roi sa longue injure et conservé du dévouement pour ses intérêts et ceux de la France. Elle a fait écrire, en effet, sur le calendrier de son psautier à la date de la victoire de Bouvines, le 27 juillet 1214, cette courte note: Sexto kalendas augusti, anno Domini M° CC° quarto decimo, veinqui Phelippe rois de France, en bataille, le roi Othon et le conte de Flandres et le conte de Boloigne et plusors autres barons.
     C’est le petit-fils de Philippe-Auguste, Saint Louis, qui le premier détacha provisoirement du domaine royal Étampes et son territoire pour le donner à sa mère Blanche de Castille en échange de son douaire en Berry qu’elle avait abandonné à son troisième fils, Robert d’Artois, pour faciliter son mariage. La régence de Blanche de Castille avait été traversée de nouvelles luttes contre les vassaux de la couronne, rebelles à l’autorité d’une femme. Mais on sait que celle-ci était d’une vertu peu commune. Son courage eut raison de tous les ennemis du jeune roi, auxquels, s’il faut en croire Joinville, ne s’étaient pas joints les seigneurs du pays d’Étampes: ayant, au contraire, averti leur souverain, ils lui permirent ainsi de triompher à Montlhéry et de rentrer à Paris. La paix revenue, Blanche de Castille fit construire à Étampes un monastère et une église pour des Pères cordeliers. Les huguenots devaient incendier ces bâtiments en 1567, ainsi que les archives de la communauté, ce qui fit disparaître toutes les chartes de cette fondation. Elle fut rétablie par Henri III [p.17] et détruite encore à la Révolution, mais le souvenir du moins en subsiste dans le nom actuel de la rue, où s’élevait sans doute le couvent du XIIIe siècle.
 

     C’est le petit-fils de Philippe-Auguste, saint Louis (1226-l270), qui le premier détacha provisoirement du domaine royal Etampes et son territoire pour le donner à sa mère Blanche de Castille en échange de son douaire en Berry qu’elle avait abandonné à son troisième fils, Robert d’Artois, pour faciliter son mariage. La régence de Blanche de Castille avait été traversé de nouvelles luttes contre les vassaux de la couronne, rebelles à l’autorité d’une femme. Mais on sait que celle-ci était d’une vertu peu commune. Son courage eut raison de tous les ennemis du jeune roi, auxquels, s’il faut en croire Joinville, ne s’étaient pas joints les seigneurs du pays d’Etampes: ayant, au contraire, averti leur souverain, ils lui permirent ainsi de triompher à Montlhéry et de rentrer à Paris. La paix revenue, Blanche de Castille fit construire à Etampes un monastère et une église pour des Pères cordeliers. Les huguenots devaient incendier ces bâtiments en 1567, ainsi que les archives de la communauté, ce qui fit disparaître toutes les chartes de cette fondation. Elle fut rétablie par Henri III et détruite encore à la Révolution, mais le souvenir du moins en subsiste dans le nom actuel de la rue, où s’élevait sans doute le couvent du XIIIe siècle.
 
     Par la mort de la reine Blanche, la seigneurie d’Étampes avait fait retour à la couronne comme il se devait et elle fut donnée en 1272 à la veuve de Saint Louis, Marguerite de Provence, également en échange de son douaire, au comté du Mans, qui lui avait été repris pour accroître l’apanage de Charles d’Anjou, le frère de Louis IX. Cette donation n’était faite qu’à la reine et s’éteignit avec elle. Celle que le roi Philippe le Bel accorde en 1307 à son frère Louis d’Evreux est plus large elle ne représente pas un simple échange et il reçoit la châtellenie d’Étampes pour lui et ses enfants mâles et légitimes, ce qui en fait un apanage. Une curieuse peinture murale, malheureusement très altérée, dont on voit encore les vestiges dans un grenier du palais de justice, l’ancien palais du Séjour, parait bien représenter la cérémonie de cette donation du roi Philippe IV à son frère, au dé but du XIVe siècle. Le nouveau seigneur d’Étampes se signala par la vente qu’il consentit en 1309 aux habitants d’Étampes et de Brières, moyennant 2.000 livres tournois, d’une «belle garenne» qui s’étendait alors sur toute la plaine des Sablons, jusque près de la ville et du château. Le gibier abondait dans cette chasse gardée, cette «garenne jurée» comme on disait alors, et causait de si grands dégâts aux cultures voisines que Louis d’Évreux céda aux plaintes de ses sujets. C’est donc à cette époque que dut commencer le défrichement des bois de la vallée d’Étampes.
 

     Par la mort de la reine Blanche, la seigneurie d’Etampes avait tait retour à la couronne comme il se devait et elle fut donnée en 1272 à la veuve de saint Louis, Marguerite de Provence, également en échange de son douaire, au conté du Mans, qui lui avait été repris pour accroître l’apanage de Charles d’Anjou, le frère de Louis IX. Cette donation n’était faite qu’à la reine et s’éteignit avec elle. Celle que le roi Philippe le Bel accorde en 1307 à son frère Louis d’Evreux est plus large: elle ne représente pas un simple échange et il reçoit la châtellenie d’Etampes pour lui et ses enfants mâles et légitimes, ce qui en fait un apanage. Une curieuse peinture murale, malheureusement très altérée, dont on voit encore les vestiges dans un grenier du palais de justice, l’ancien palais du Séjour, paraît bien représenter la cérémonie de cette donation du roi Philippe IV à son frère, au début du XIVe siècle. Le nouveau seigneur d’Etampes se signala par la vente qu’il consentit en 1309 aux habitants d’Etampes et de Brières, moyennant 2.000 livres tournois, d’une «belle garenne» qui s’étendait alors sur toute la plaine des Sablons, jusque près de la ville et du château. Le gibier abondait dans cette chasse gardée, cette «garenne jurée» comme on disait alors, et causait de si grands dégâts aux cultures voisines que Louis d’Evreux céda aux plaintes de ses sujets. C’est donc à cette époque que dut commencer le défrichement des bois de la vallée d’Etampes.
     A la mort de Louis, son fils aîné recevant le comté d’Évreux, Étampes fut attribué au cadet, Charles, de par la volonté de son père. C’est pour lui que le roi Charles IV le Bel, son cousin, érigea en 1327 la baronnie d’Étampes en comté, «nom plus élégant», dit le titre d’érection, conservé aux Archives nationales, «et que justifient le charme du lieu, l’abondance et la richesse de ses fruits». En dépit de ces agréments reconnus à notre ville, les premiers comtes d’Étampes, Charles et son fils Louis II, n’y ont pas laissé de grands souvenirs de leur passage. Ils semblent lui avoir préféré le séjour de Dourdan, si l’on s’en réfère du moins au témoignage, peut-être partial, du vieil historien de Dourdan, Delescornay. En tout cas, aucun monument ne fut élevé par leurs soins, mais la guerre apportait alors ses ravages qu’il fallait d’abord réparer. En 1367, des troupes anglaises parties de Troyes, sous la conduite du prince de Galles, étaient venues jusqu’à Étampes et Étréchy, dévastant tout sur leur passage. D’autres, en 1370, refoulées des abords de Paris, prirent Étampes, la saccagèrent, et poursuivirent leurs destructions à travers toute la Beauce et jusqu’en Anjou. L’église Sainte-Croix avait été pillée, un grand nombre des habitants ruinés, la collégiale de Notre-Dame, qui possédait de nombreux biens dans les pays d’alentour, si appauvrie, [p.18] qu’une partie de ses chanoines et de ses clercs étaient réduits à la mendicité. Pour compenser ces ruines, Louis II, comte d’Étampes fit une importante donation de fiefs et de rentes à l’église Notre- Dame, à condition «qu’il sera chanté tous les jours à perpétuité, avant le soleil levé ou environ, une messe à notes et plainchant», qui fut appelée la Messe au Comte. D’autre part, il fit remise aux habitants de la paroisse Saint-Gilles, contre une rente annuelle de dix livres parisis, d’une charge singulière et fort onéreuse qu’ils supportaient depuis plus de deux siècles, celle de fournir aux rois, puis, aux comtes d’Etampes, lorsqu’ils séjournaient dans la ville, tout le linge, «tant pour lits comme pour table», et toute la vaisselle nécessaires pour eux et leur suite.
 

     A la mort de Louis, son fils aîné recevant le comté d’Evreux, [p.26] Etampes fut attribué au cadet, Charles, de par la volonté de sou père. C’est pour lui que le roi Charles IV le Bel, son cousin, érigea en 1327 la baronnie d’Etampes en comté, «nom plus élégant», dit le titre d’érection, conserve aux Archives nationales, «et que justifient le charme du lieu, l’abondance et la richesse de ses fruits». En dépit de ces agréments reconnus à notre ville, les premiers comtes d’Etampes, Charles et son fils Louis II, n’y ont pas laissé de grands souvenirs de leur passage. Ils semblent lui avoir préféré le séjour de Dourdan, si l’on s’en réfère du moins au témoignage, peut-être partial, du vieil historien de Dourdan, Delescornay. En tout cas, aucun monument ne fut élevé par leurs soins, mais la guerre apportait alors ses ravages qu’il fallait d’abord réparer. En 1367, des troupes anglaises parties de Troyes, sous la conduite du prince de Galles, étaient venues jusqu’à Etampes et Etréchy, dévastant tout sur leur passage. D’autres, en 1370, refoulées des abords de Paris, prirent Etampes, la saccagèrent, et pour suivirent leurs destructions à travers toute la Beauce et jus qu’en Anjou. L’église Sainte-Croix avait été pillée, un grand nombre des habitants ruinés, la collégiale de Notre-Dame, qui possédait de nombreux biens dans les pays d’alentour, si appauvrie, qu’une partie de ses chanoines et de ses clercs étaient réduits à la mendicité. Pour compenser ces ruines, Louis II, comte d’Etampes, fit une importante donation de fiefs et de rentes à l’église Notre-Dame, à condition «qu’il sera chanté tous les jours à perpétuité, avant le soleil levé ou environ, une messe à notes et plainchant», qui fut appelée la Messe au Comte. D’autre part, il fit remise aux habitants de la paroisse Saint-Gilles, contre une rente annuelle de dix livres parisis, d’une charge singulière et fort onéreuse qu’ils supportaient depuis plus de deux siècles, celle de fournir aux rois, puis aux comtes d’Etampes, lorsqu’ils séjournaient dans la ville, tout le linge, «tant pour lits comme pour table», et toute la vaisselle nécessaires pour eux et leur suite.
 
     Le troisième comte d’Étampes fut Jean, duc de Berry et d’Auvergne, le frère de Charles V, qui dut ce titre à une grâce spéciale du roi, car Louis II n’ayant pas d’enfants mâles, le comté d’Étampes eût dû revenir à la couronne, suivant les stipulations ordinaires des apanages. Déjà Louis II l’avait irrégulièrement cédé, avec réserve de jouissance sa vie durant, à Louis d’Anjou, le second fils du roi Jean, mais Louis d’Anjou étant mort avant son donateur, ses enfants transportèrent la donation du comté d’Étampes à leur oncle, Jean de Berry, qui sut obtenir l’assentiment du roi Charles VI, en 1384.

     Le troisième comte d’Etampes fut Jean, duc de Berry et d’Auvergne, le frère de Charles V. qui dut ce titre à une grâce spéciale du roi, car Louis II n’ayant pas d’enfants mâles, le comté d’Etampes eût dû revenir à la couronne, suivant les stipulations ordinaires des apanages.



     Si le duc Jean était un homme habile, il fut aussi une puissante personnalité et un prince magnifique. Comme son frère Charles V, qui le premier des rois de France ne combattait pas lui-même à la tête de ses armées, il n’aimait pas la guerre, en un temps où ses pairs ne concevaient guère d’autre idéal de leur activité. Instruit, curieux de tout, collectionneur passionné de beaux manuscrits à peintures, d’objets d’art et d’orfèvrerie, de bijoux, de curiosités de toutes sortes, ce dilettante préférait à la politique et aux chocs des armes les loisirs qu’il goûtait dans ses douze châteaux, en compagnie des artistes et des lettrés. Il lui fallut cependant choisir entre les factions qui déchiraient la France. Armagnacs et Bourguignons se disputaient sa faveur et il inclinait tantôt pour les uns, tantôt pour les autres. Le résultat inévitable de cette sceptique modération fut de le rendre suspect à tous et de le faire rejeter des deux camps.

     Si le duc Jean était un homme habile, il fut aussi une puissante personnalité et un prince magnifique. Comme son frère Charles V, qui le premier des rois de France ne combattait pas lui-même à la tête de ses armées, il n’aimait pas la guerre, en un temps où ses pairs ne concevaient guère d’autre idéal pour leur activité. Instruit, curieux de tout, collectionneur passionné de beaux manuscrits à peintures, d’objets d’art et d’orfèvrerie, de bijoux, de curiosités de toutes sortes, ce dilettante préférait à la politique et aux chocs des armes les loisirs qu’il goûtait dans ses douze châteaux, en compagnie des artistes et des lettrés. Il lui fallut cependant choisir entre les factions qui déchiraient la France. Armagnacs et Bourguignons se disputaient sa faveur et il inclinait tantôt pour les uns, tantôt pour les autres. Le résultat inévitable de cette sceptique modération fut de le rendre suspect à tous et de le faire rejeter des deux camps.
     Appauvri par ses libéralités et ses dépenses de collectionneur, malgré les sommes énormes qu’il extorquait de ses provinces, il mourut endetté et maudit d’une partie de ses sujets. Mais sa mémoire est chère à bien des amateurs d’art pour ce qui demeure encore de tout ce que ses goûts raffinés ont suscité, dans les ordres les plus divers. Si ses innombrables bijoux et ses précieuses vaisselles ont disparu, il nous reste les beaux monuments de Bourges et d’Auvergne, dus aux grands architectes qu’il protégeait, les somptueux manuscrits à peintures, comme son Livre d’Heures, et d’autres œuvres moins connues: la Vierge charmante, en pierre blanche du [p.19] Berry, qui sourit au seuil de la sombre église de Riom; dans notre région, une autre statue de Vierge, donnée par lui aux célestins de Marcoussis, d’un admirable réalisme, qui en fait un des plus intéressants spécimens de la sculpture française du XIVe siècle. Et nul Étampois ne devrait ignorer le nom de Jean duc de Berry, puisque c’est à lui que nous devons la grosse cloche de Notre-Dame, dont la voix si grave et si pure résonne, bien au-delà de la ville, chaque jour, depuis l’an 1401.
 

     Appauvri par ses libéralités et ses dépenses de collectionneur, malgré les sommes énormes qu’il extorquait de ses provinces, il mourut endetté et maudit d’une partie de ses sujets. Mais sa mémoire est chère à bien des amateurs d’art pour ce qui demeure encore de tout ce que ses goûts raffinés ont suscité, dans les ordres les plus divers. Si ses innombrables bijoux et ses précieuses vaisselles ont disparu, il nous reste les beaux monuments de Bourges et d’Auvergne, dus aux grands architectes qu’il protégeait, les somptueux manuscrits à peintures, comme son Livre d’Heures, et d’autres œuvres moins connues la Vierge charmante, en pierre blanche du Berry, qui sourit au seuil de la sombre église de Riom dans noire région, une autre statue de Vierge, donnée par lui aux célestins de Marcoussis, d’un admirable réalisme, qui en fait un des plus intéressants spécimens de la sculpture française du XIV siècle. Et nul Etampois ne devrait ignorer le nom de Jean duc de Berry, puisque c’est à lui que nous devons la grosse cloche de Notre-Dame, dont la voix si grave et si pure résonne, bien au-delà de la ville, chaque jour, depuis l’an 1401.
     On aurait cependant une idée incomplète de notre comte d’Étampes si l’on ne voyait en lui que cette captivante figure de mécène pacifique. Il offrait d’étranges contrastes: despote et cupide au tant que libéral et généreux, il était dénué de tout scrupule pour satisfaire ses désirs ou même des fantaisies parfois bizarres. C’est ainsi qu’il utilisa le donjon d’Étampes pour y séquestrer une fillette de huit ans, Gillette la Mercière, qu’il avait résolu de marier, malgré son jeune âge et l’opposition légitime de ses parents, à un peintre allemand qui «besoignait» pour lui. Furieux de la résistance qu’il rencontrait, il fit enlever la malheureuse enfant et la retint prisonnière pendant près d’un an. Le Parlement et le Conseil du Roi furent saisis et le duc ne céda qu’après maintes interventions.
 


     Le comté d’Étampes devait revenir à la couronne, si Jean de Berry mourait sans enfants mâles, selon l’engagement qu’il avait pris et qu’il avait fait largement payer, d’ailleurs, au roi, par des dons à ses filles. Mais abusant de la faiblesse de Charles VI, le duc, n’ayant pas de fils, obtint encore la grâce de disposer de son comté, ce qu’il fit dès 1387, en faveur de son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Cette nouvelle dérogation aux prudentes règles des apanages eut, contrairement à la précédente, de funestes conséquences elle allait faire le malheur de notre région pendant près d’un siècle. Entre les mains des ducs de Bourgogne, elle devait, en effet, être entraînée dans la guerre sans merci que ces princes puissants, ambitieux et âpres menèrent alors contre la couronne. Bien plus, elle eut le triste privilège d’être un enjeu de ces luttes ni les rois, ni les ducs ne voulaient y renoncer, marquant ainsi l’importance qu’ils attachaient à sa possession. Mais déjà ravagée par la guerre de Cent ans, elle sortira ruinée des guerres civiles. Philippe de Bourgogne mourut avant son donateur, Jean de Berry. Si l’usufruit du comté d’Étampes demeurait à ce dernier, la nue propriété passait au fils aîné de Philippe, Jean, dit Jean sans Peur. A ce moment, la démence du roi Charles VI laissait libre cours à toutes les rivalités qui s’agitaient autour de lui. Jean sans Peur, pris de haine contre le duc d’Orléans, frère du roi, le fit assassiner dans la rue Barbette, à Paris. Indigné de ce crime, le duc de Berry révoqua sa donation du comté d’Étampes, et prit enfin le parti des Armagnacs, formé autour de Charles d’Orléans, le charmant poète, fils de la victime de Jean sans Peur, qui [p.20] avait épousé la fille du comte d’Armagnac. Une véritable guerre commença. Les Armagnacs ayant rassemblé dans Étampes et la région des troupes qui s’avançaient jusqu’à Paris et désolaient le pays, Jean sans Peur, que soutenait le pauvre roi, vint mettre le siège devant Étampes en 1411, avec le dauphin Louis, duc de Guyenne. Dès la première sommation, les Étampois, peu belliqueux, ouvrirent les portes et implorèrent la clémence du dauphin et de ses alliés pour éviter le pillage, qui d’ailleurs n’en eut pas moins lieu. La garnison d’Étampes était commandée par un gentilhomme d’Auvergne, fidèle serviteur du duc de Berry, Louis de Bosredon. Plus vaillant que les habitants de la ville, il s’enferma dans le château avec ses troupes, s’y fortifia et soutint une résistance désespérée, comme il l’avait promis à son prince. Les entrées du château ayant été forcées, une tour écroulée par le choc d’énormes pierres que lançaient les assaillants, il dut se retirer dans le donjon — la tour de Guinette — où il tint encore plusieurs jours. Les historiens de l’époque rapportent que les dames de la ville s’y étaient réfugiées et, du haut des murs, pour narguer les assiégeants, tendaient leurs tabliers vers les pierres projetées par les machines, qui ne réussissaient pas à les atteindre. Bosredon ne capitula que sous la menace de la sape et de l’incendie. Sa bravoure lui valut au moins la grâce du dauphin: il fut emmené prisonnier à Paris, avec quelques chefs de la ligue des Armagnacs, tandis que d’autres étaient mis à mort. L’héroïque défenseur du château d’Étampes n’en eut pas moins une fin lamentable. Après la mort de Jean de Berry, il changea de camp, puisqu’on le retrouve en 1416 dans l’entourage de la reine Isabeau de Bavière, commandant la 4e compagnie de ses gardes du corps. Il fut accusé d’être son amant, sans doute à tort, la reine étant alors si atteinte par l’âge, l’obésité et la goutte qu’elle ne se déplaçait plus qu’en chaise roulante. Mais il n’en était pas de même de ses dames d’honneur, dont les mœurs étaient fort dissolues. Toujours est-il que les Armagnacs et le nouveau dauphin Charles, acquis à leur parti, voulaient faire exiler la reine favorable aux Bourguignons et pour cela faire disparaître d’abord son vigilant défenseur Bosredon. Ils dénoncèrent au roi ses mœurs scandaleuses, en l’accusant d’être l’amant de la reine. Bosredon fut arrêté, mis à la torture, enfermé à Montlhéry et finalement jeté dans la Seine, pendant la nuit, en un sac de cuir sur lequel on avait écrit: «Laissez passer la justice du roi».
 

     Le comté d’Etampes devait revenir à la couronne, si Jean de Berry mourait sans enfants mâles, selon l’engagement qu’il avait pris et qu’il avait fait largement payer, d’ailleurs, au roi, par des dons à ses filles. Mais abusant de la faiblesse de Charles VI, le duc, n’ayant pas de fils, obtint encore la grâce de disposer de son comté, ce qu’il fit dés 1387, en faveur de son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Cette nouvelle dérogation aux prudentes règles des apanages eut, contrairement à la précédente, de funestes conséquences: elle allait faire le malheur de noire région pendant près d’un siècle. Entre les mains des ducs de Bourgogne, elle devait, en effet, être entraînée dans la guerre sans merci que ces princes puissants, ambitieux et âpres menèrent alors contre la couronne. Bien plus, elle eut le triste privilège d’être un enjeu de ces luttes ni les rois, ni les ducs ne voulaient y renoncer, marquant ainsi l’importance qu’ils attachaient à sa possession. Mais déjà ravagée par la guerre de Cent ans, elle sortira ruinée des guerres civiles. Philippe de Bourgogne mourut avant son donateur, Jean de Berry. Si l’usufruit du comté d’Etampes demeurait à ce dernier, la nue propriété passait au fils aîné de Philippe, Jean dit Jean sans Peur. A ce moment, la démence du roi Charles VI laissait libre cours à toutes les rivalités qui s’agitaient autour de lui. Jean sans Peur, pris de haine contre le duc d’Orléans, frère du roi, le fit assassiner dans la rue Barbette, à Paris. Indigné de ce crime, le duc de Berry révoqua sa donation du comté d’Etampes, et prit enfin le parti des Armagnacs, formé autour de Charles d’Orleans, le charmant poète, fils de la victime de Jean sans Peur, qui avait épousé la fille du comte d’Armagnac. Une véritable guerre commença. Les Armagnacs ayant rassemblé dans Etampes, et la région des troupes qui s’avançaient jusqu’à Paris et désolaient le pays, Jean sans Peur, que soutenait le pauvre roi, vint mettre le siège devant Etampes en 1411, avec le dauphin Louis, duc de Guyenne. Dès la première sommation, les Etampois, peu belliqueux, ouvrirent les portes et implorèrent la clémence du dauphin et de ses alliés nous éviter le pillage, oui d’ailleurs n’en eut pas moins lieu, La garnison d’Etampes était commandée par un gentilhomme d’Auvergne, fidèle serviteur du duc de Berry, Louis de Bosredon. Plus vaillant que les habitants de la ville, il s’enferma dans le château avec ses troupes, s’y fortifia et soutint une résistance désespérée, comme il l’avait promis à son prince. Les entrées du château ayant été forcées, une tour écroulée par le choc d’énormes pierres que lançaient les assaillants, il dut se retirer dans le donjon — la tour de Guinette — où il tint encore plusieurs jours. Les historiens de l’époque rapportent que les dames de la ville s’y étaient réfugiées et, du haut des murs, pour narguer les assiégeants, tendaient leurs tabliers vers les pierres projetées par les machines, qui ne réussissaient pas à les atteindre. Bosredon ne capitula que sous la menace de la sape et de l’incendie. Sa bravoure lui valut au moins la grâce du dauphin il fui emmené prisonnier à Paris, avec quelques chefs de la ligue des Armagnacs, tandis que d’autres étaient mis à mort. L’héroïque défenseur du château d’Etampes n’en eut pas moins une fin lamentable. Après la mort de Jean de Berry, il changea de camp, puisqu’on le retrouve en 1416 dans l’entourage de la reine Isabeau de Bavière, commandant la 4e compagnie de ses gardes du corps. Il fut accusé d’être son amant, sans doute à tort, la reine étant alors si atteinte par l’âge, l’obésité et la goutte qu’elle ne se déplaçait plus qu’en chaise roulante. Mais il n’en était pas de même de ses dames d’honneur, dont les mœurs étaient fort dissolues. Toujours est-il que les Armagnacs et le nouveau dauphin Charles, acquis à leur parti, voulaient faire exiler la reine favorable aux Bourguignons et pour cela faire disparaître d’abord son vigilant défenseur Bosredon. Ils dénoncèrent au roi ses mœurs scandaleuses, en l’accusant d’être l’amant de la reine. Bosredon fut arrêteé mis à la torture, enfermé à Montlhéry et finalement jeté dans la Seine, pendant la nuit, en un sac de cuir sur lequel on avait écrit: «Laissez passer la justice du roi».
 
     Nous avons du siège de 1411 un très modeste, mais curieux témoignage, au musée d’Étampes. Il s’agit d’une vervelle, petit écus son de bronze qu’on fixait au collier des chiens pour indiquer leur maître: elle porte les armes des Mailly: d’or à trois maillets de gueules, avec une brisure de la branche des Mailly-l’Orsignol, et fut découverte au pied de la tour de Guinette en 1897. Or un membre de cette famille, Robert de Mailly, seigneur de l’Orsignol, était précisément [p.21] chambellan de Jean sans Peur à l’époque du siège d’Étampes. Il est donc probable qu’il y prit part et c’est ainsi qu’un de ses chiens dut perdre sa vervelle sous les murs de la forteresse.
 

     Nous avons du siège de 1411 un très modeste, mais curieux témoignage, au musée d’Etampes. Il s’agit d’une vervelle, petit écusson de bronze qu’on fixait au collier des chiens pour indiquer leur maure elle porte les armes des Mailly: d’or à trois maillets de gueules, avec une brisure de la branche des Mailly-l’Orsignol, et fut découverte au pied de la tour de Guinette en 1897. Or un membre de cette famille, Robert de Mailly, seigneur de l’Orsignol, était précisément chambellan de Jean sans Peur à l’époque du siège d’Etampes. Il est donc probable qu’il y prit part et c’est ainsi qu’un de ses chiens dut perdre sa vervelle sous les murs de la forteresse.
 
     Le duc Jean de Berry mourut en 1415 et son comté d’Étampes, bien qu’il en eût révoqué la donation à son neveu Jean sans Peur, fut revendiqué par ce prince. Mais il n’avait plus pour lui l’appui du dauphin Louis, son gendre, mort dès l’année 1415, et le nouveau dauphin, le futur Charles VII, appartenait, nous l’avons vu, au parti des Armagnacs. Le résultat de ces funestes guerres intérieures qui renaissaient constamment, malgré des conventions que nul ne respectait, fut que notre malheureuse ville fut encore assiégée et prise en 1417. Ainsi, en moins de six ans, elle avait subi deux sièges et pour comble de désordre, le premier avait été soutenu contre le fils aîné du roi et le second, au contraire, en faveur d’un autre fils du roi. Et ce ne fut pas la fin des vicissitudes du comté d’Étampes: pendant plus de cinquante ans, les ducs de Bourgogne le revendiqueront obstinément, tantôt par les armes, tantôt au cours de conférences qui exaspéraient le différend, tantôt, enfin, devant le Parlement. Le roi, bien faible en face de ces puissants adversaires, essayait de maintenir les droits de la couronne en donnant le comté d’Étampes à des vassaux fidèles, comme Richard de Bretagne, qui avait sauvé la dauphine à l’entrée des Anglais à Paris en 1421, en confirmant ensuite à sa veuve, puis à son fils, cette donation qui demeurait fictive, puisque les donataires mouraient sans avoir pu prendre possession de son objet.
  

     Le duc Jean de Berry mourut en 1415 et son comté d’Etampes, bien qu’il en eût révoqué la donation à son neveu Jean sans Peur, fut revendiqué par ce prince. Mais il n’avait plus pour lui l’appui du dauphin Louis, son gendre, mort dès l’année 1415, et le nouveau dauphin, le futur Charles VII, appartenait, nous l’avons vu, au parti des Armagnacs. Le résultat de ces funestes guerres intérieures qui renaissaient constamment, malgré des conventions que nul ne respectait, fut que notre malheureuse ville fut encore assiégée et prise en 1417. Ainsi, en moins de six ans, elle avait subi deux sièges et pour comble de désordre, le premier avait été soutenu contre le fils aîné du roi et le second, au contraire, en faveur d’un autre fils du roi. Et ce ne fut pas la fin des vicissitudes du comté d’Etampes: pendant plus de cinquante ans, les ducs de Bourgogne le revendiqueront obstinément, tantôt par les armes, tantôt au cours de conférences qui exaspéraient le différend, tantôt, enfin, devant le Parlement.


     Enfin, dans les dernières années du règne de Louis XI, en 1478, un arrêt du Parlement rendait le comté à la couronne, comme il était juste et comme il aurait dû en être dès 1400 à la mort de Louis II, qui était sans enfants. François de Bretagne et même le duc de Bourgogne, Jean, comte de Nevers, s’inclinèrent: Charles le Téméraire était mort et Louis XI était puissant.


     Enfin, dans les dernières années du règne de Louis XI, en 1478, un arrêt du Parlement rendait le comté à la couronne, comme il était juste et comme il aurait dû en être dès 1400 à la mort de Louis II, qui était sans enfants. Français de Bretagne et même le duc de Bourgogne, Jean, comte de Nevers, s’inclinèrent: Charles le Téméraire était mort et Louis XI était puissant.

     Le fait le plus mémorable de cette longue période de troubles fut le séjour que fit à Étampes, en 1465, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, et ses alliés, après avoir livré contre Louis XI la bataille de Montlhéry. Ils venaient y rafraîchir leurs troupes, qui comptaient un grand nombre de blessés et de malades. Malgré ces circonstances favorables, le défenseur de la ville, Robinet du Ruth ne s’inspira pas de l’héroïque exemple de Bosredon en 1411: il rendit le château sans coup férir. Il est vrai qu’il n’avait avec lui qu’une faible garnison. Il fut cependant châtié de sa lâcheté et emprisonné à Bourges. Mais il obtint sa liberté dès 1467 «étant chargé de femme et de plusieurs petits enfants et n’ayant jamais été convaincu d’aucun autre vilain cas», par une lettre de rémission de Louis XI, petite preuve de la justice d’un roi fort calomnié.
 

     Le fait le plus mémorable de cette langue période de troubles fut le séjour que fit à Etampes, en 1465, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, et ses alliés, après avoir livré contre Louis XI la bataille de Montlhéry. Ils venaient y rafraîchir leurs troupes, qui comptaient un grand nombre de blessés et de malades. Malgré ces circonstances favorables, le défenseur de la ville, Robinet du Ruth ne s’inspira pas de [p.27] l’héroïque exemple de Bosredon en 1411: il rendit le château sans coup férir. Il est vrai qu’il n’avait avec lui qu’une faible garnison. Il fut cependant châtié de sa lâcheté et emprisonné à Bourges. Mais il obtint sa liberté dés 1467 «étant chargé de femme et de plusieurs petits enfants et n’ayant jamais été convaincu d’aucun autre vilain cas», par une lettre de rémission de Louis XI, petite preuve de la justice d’un roi fort calomnié.
 
     Les habitants d’Étampes et des villages voisins subirent la charge d’héberger et de soigner les soldats des ennemis du roi. Beaucoup [p.22] moururent, qui appartenaient à l’armée du duc de Bretagne, que les intrigues de Charles le Téméraire avaient réussi à détacher du parti royal. On les enterra au delà de l’église Saint-Pierre en un lieu qui prit le nom de cimetière des Bretons, d’où vint celui de Bretagne au hameau environnant.
 

     Les habitants d’Etampes et des villages voisins subirent la charge d’héberger et de soigner les soldats des ennemis du roi, Beaucoup moururent, qui appartenaient à l’armée du duc de Bretagne, que les intrigues de Charles le Téméraire avaient réussi à détacher du parti royal. On les enterra au-delà de l’église Saint-Pierre en un lieu qui prit le nom de cimetière des Bretons, d’où vint celui de Bretagne au hameau environnant.
 
     Une légende attribue à un Breton de cette armée, pendant son séjour à Étampes, l’invention des fusées, parce qu’il en avait jeté, par mégarde, quelques-unes contre le meneau d’une fenêtre où se tenaient appuyés le duc de Berry et Charles le Téméraire. II est impossible de faire d’Étampes le berceau de cette découverte, attendu que les fusées, connues de temps immémorial en Chine, avaient depuis longtemps pénétré en Europe.

 

     Une légende attribue à un Breton de cette armée, pendant son séjour à Etampes, l’invention des fusées, parce qu’il en avait jeté, par mégarde, quelques-unes contre le meneau d’une fenêtre où se tenaient appuyés le duc de Berry et Charles le Téméraire. Il est impossible de faire d’Etampes le berceau de cette découverte, attendu que les fusées, connues de temps immémorial en Chine, avaient depuis longtemps pénétré en Europe.
 
Édition de 1938, pp. 9-22

Édition de 1964, pp. 23-27

BIBLIOGRAPHIE

Éditions

Le Comte de Saint-Périer (Emile Bouneau, 1951) Couverture de l'édition séparée de La grande histoire d'une petite ville par le Comte de Saint-Périer (1938)     Édition princeps: René de SAINT-PÉRIER, La grande histoire d’une petite ville: Étampes [in-4° (16 cm sur 25); 143 p.; 8 gravures sur bois originales in-texto de Jules Lepoint-Duclos; 16 planches hors-texte dont deux croquis et 14 photographies originales de Jules Lepoint-Duclos; ouvrage couronne par l’Institut], Étampes, Édition du Centenaire de la Caisse d’Épargne (1838-1938), 1938 [AME, ADE]. Dont une réédition remaniée posthume à partir de 1964 dans le Bulletin Municipal d’Étampes.

     Réédition partielle corrigée et augmentée: Raymonde-Suzanne de SAINT-PÉRIER [éd.] & René de SAINT-PÉRIER [†1950], «La grande histoire d’une petite ville: Étampes» [réédition mise à jour publiée en feuilleton], in Étampes. Bulletin Officiel Municipal 2 (janvier 1964), pp. 20-30; 3 (2e semestre 1964), pp. 24-29; 4 (hiver 1964-1965), pp. 25-31; 5 (janvier 1966), pp. 13-16; 6 (septembre 1967), pp. 13-15; 7 (2e semestre 1967), pp. 9-11; 10 (1er semestre 1969), pp. 17-19 [AME, ADE].


    
Réédition en fac-similé du texte de 1938: René de SAINT-PÉRIER, La grande histoire d’une petite ville: Étampes [20 cm; 140 p.; illustrations; reproduction en fac-similé de l’édition de 1938], Paris Le Livre d’Histoire [«Monographies des villes et villages de France»], 2004 [Cette réédition ne tient pas compte des remaniements posthumes et sa notice introductive est un plagiat de notre page bibliographique.]

     Édition électronique des seules gravures sur bois de Jules Lepoint-Duclos: Bernard GINESTE [éd.], «Jules Lepoint-Duclos: Monuments étampois (gravures sur bois, 1938)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-20-lepointduclos1938huitgravures.html, 2004.

     Édition électronique des seules photographies de Jules Lepoint-Duclos: Bernard GINESTE [éd.], «Jules Lepoint-Duclos: Monuments étampois (photographies, 1938)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-20-lepointduclos1938photographies.html, 2004.

    
Édition électronique intégrale: Bernard GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer: Grande histoire d’une petite ville, Étampes (1957-1969)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-saintperier1938grandehistoire.html (9 pages web), 2005.

     Ce chapitre: Bernard GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer: Étampes, les origines et le moyen âge (1957-1969)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-saintperier1938grandehistoire01.html, 2005.

Sur le Comte de Saint-Périer

     Adrien GAIGNON, «Le Comte de Poilloüe de Saint-Périer» [notice nécrologique], in Bulletin de l’Association Les Amis d’Étampes et de sa région 7 (janvier 1951), pp. 117-119 [AME, ADE].
     Réédition partielle: BILLARD 1984, pp. 115-118.
     Réédition
numérique intégrale: Bernard GINESTE [éd.], «Adrien Gaignon: Le Comte de Poilloüe de Saint-Périer (nécrologie, 1951)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cpe-20-saintperier-gaignon1.html, 2004].

     Émile BOUNEAU, «Dernier portrait du comte de Saint-Périer (juillet
1950)», in Bulletin de l’Association Les Amis d’Étampes et de sa région 7 (1951), p. 120 [dont l’image au début de la présente page].

     Pour une bibliographie plus complète et évolutive: Bernard GINESTE [éd.], «Le Comte de Saint-Périer et son épouse: une bibliographie», in Corpus Étampois,http://www.corpusetampois.com/cbe-saint-perier.html, 2003.

Pour une synthèse plus récente

      Jacques [alias Jacky] GÉLIS [professeur émérite d’histoire moderne à Paris VIII, directeur de la collection], Michel MARTIN & Frédéric BEAUDOIN [directeurs du premier tome], Le pays d’Étampes. Regards sur un passé. Tome 1: Des origines à la ville royale [17 cm sur 24; 215 p.; 123 photographies, 18 gravures, 36 plans, 16 tableaux; ouvrage publié avec le concours du Conseil général de l’Essonne et de la Ville d’Étampes], Étampes, Étampes-Histoire, 2003 [ISBN 2-9508-988-07; 27,50 €].

Documents mis en ligne par le Corpus Étampois relatifs à cette période

     Corpus Médiéval Étampois (liste des documents et études mis en ligne sur le moyen âge étampois sur le site du Corpus Étampois), http://www.corpusetampois.com/index-cme.html, depuis 2009.
 

Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source: L’édition de 1938 et ses remaniements posthumes édités par la Comtesse. Saisie et mise en page de Bernard Gineste, 2005.
    
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