III. Les Guerres de Religion
Étampes magasin de vivres.— Ravages des huguenots. — Un prince
palatin duc d’Étampes. — Organisation
de la défense.
— La Ligue et ses violences. — La ville cinq fois assiégée. — Henri IV à Étampes. — L’apaisement. — Ravaillac à
Étampes.
Nous avons vu que
le duché d’Étampes fut retiré à Diane de Poitiers
en 1559, quelques semaines après la mort du roi son amant. François
II n’ayant régné qu’un an, c’est Charles IX, qui, en 1562,
renouvelle le don du duché à Jean de Brosses, le mari d’Anne
de Pisseleu, dont le dévouement aux trois rois qu’il servit ne semble
pas avoir eu de défaillances, au milieu des troubles de l’époque.
Il mourut en 1564 et les habitants d’Étampes lui firent un service
solennel en l’église de Notre-Dame.
Nous
abordons maintenant une des plus douloureuses périodes de l’histoire
de notre ville. Comme elle avait été victime de la lutte
entre les Armagnacs et les Bourguignons, elle le sera de la nouvelle guerre
civile qui va déchirer la France, pendant plus de trente ans, entre
les catholiques et les protestants, armés les uns contre les autres
non pas seulement par des querelles religieuses, mais encore par les ambitions
personnelles de leurs dirigeants. La mort brusque d’Henri II, la jeunesse
des deux rois qui lui avaient succédé, avaient éveillé,
en effet, bien des aspirations rivales à la cour, les princes du
sang, les représentants des vieilles familles, les grands chefs militaires
convoitant chacun une part du pouvoir et cherchant à prendre une
influence prépondérante auprès des enfants qu’étaient
les rois, ainsi qu’auprès de leur mère Catherine de Médicis.
A ces conflits d’intérêts [p.40]
s’ajoutaient les discordes religieuses:
les Bourbon, Antoine, roi de Navarre, père du futur Henri IV et
son frère, Louis, prince de Condé, étaient calvinistes,
les Montmorency étaient les uns catholiques, les autres protestants,
comme Coligny, les Guise étaient des catholiques intransigeants. En
face de ces basses intrigues, d’un fanatisme qui s’exaspérait à
chaque incident et aussi du goût des combats, de l’a venture, du pillage,
qui sommeille toujours dans l’homme et si particulièrement développé
à cette époque, il eût fallu l’ascendant d’une grande
figure de roi, comme Henri IV quelques années plus tard. Mais la
carence d’une autorité souveraine devait fatalement conduire à
la guerre civile.
On sait
que le premier épisode de cette guerre fut la conjuration d’Amboise,
en 1560. Leur complot ayant échoué, les conjurés protestants,
entraînés par le prince de Condé, en reformèrent
aussitôt un autre et c’est à Étampes qu’il fut déjoué.
En effet, le messager ordinaire de Condé, un Basque nommé
Jacques La Sague, traversait la ville pour porter des ordres au vidame de
Chartres. affilié au parti protestant, lorsqu’il fut reconnu et arrêté.
Mais rien ne pouvait plus mettre obstacle à la guerre. «De
la goutte de sang versé à Amboise, avait prédit Calvin,
découleraient des fleuves qui inonderaient la France». Les
tentatives d’apaisement, les appels à la tolérance que fit
Catherine de Médicis, la régente, sous l’influence du chancelier
Michel de 1’Hospital, restèrent sans effet.
Antoine
de Bourbon, bien que calviniste, était lieutenant général
de l’armée royale. L’objectif principal de chacun des partis étant
comme toujours la prise de Paris, il organisa une partie de sa défense
et le ravitaillement de ses troupes dans la ville même d’Étampes,
qui permettait de garder une des routes de Paris. En avril et mai 1562,
il y installa une nombreuse garnison et un magasin de vivres, destiné
non seulement à celle-ci, mais encore à toute l’armée
lorsqu’elle traverserait la région. C’est ainsi que des mandements
successifs ordonnent de réquisitionner tous les blés et les
vins, tant des particuliers que des marchands, avec prohibition de vente
et de sortie, d’établir la liste des vivres qui se trouvent «par
toutes maisons», de convertir les blés en farine, de construire
de nouveaux fours s’il y a lieu, de faire conduire à Guillerval,
où l’armée du roi campe au mois de juin, 5000 pains cuits,
avec avoine, foin et fourrage, de faire dresser des étapes de «pain,
vin, chairs et avoine» pour le passage de 1200 chevaux pistoliers.
En quelques mois, les malheureux habitants d’Étampes fournirent près
de 1.000 quintaux de blé et 100. 000 livres de pain, sans compter
l’avoine, le vin, le lard, l’huile, la chandelle, le bois. Ces réquisitions
leur furent d’autant plus préjudiciables que les récoltes
de cette année 1562 furent atteintes par des pluies continuelles
et glaciales. Enfin, la peste qui ravagea une partie du nord de la France
«jusqu’après la Saint-Rémy
[p.41] (1 octobre) n’épargna pas notre pauvre ville.
Et toutes ces privations furent vaines, puisque le prince de Condé
s’en emparait le 13 novembre 1562. Pendant que l’armée royale était
occupée au siège de Rouen, il s’était avancé
d’Orléans vers Paris, après avoir joint à son armée
des renforts allemands: plus de 3000 reîtres, gens de cheval armés
de pistolets» et 4000 hommes de pied. Pithiviers
lui ayant ouvert ses portes, le maréchal de Saint André, acquis
aux Guise, se jeta dans Corbeil avec des troupes et crut devoir appeler
à lui la garnison d’Étampes, le matin du 13 novembre. Le jour
même, Condé était devant notre ville et la sommait de
se rendre. Sans défense, elle dut céder. Pendant six semaines,
elle fut occupée par les huguenots qui y commirent les pires excès.
Ils avaient transformé les églises en écuries pour leurs
chevaux et, s’il faut en croire une tradition fort vraisemblable, ce sont
les reîtres allemands qui décapitèrent alors les admirables
statues du grand portail de Notre-Dame. Mais le duc de Guise, ayant remporté
la victoire de Dreux sur les protestants en décembre 1562, allait
assiéger Orléans et la nouvelle de son prochain passage à
Étampes mit en fuite les envahisseurs. Peu après, l’édit
d’Amboise valut au moins quatre années de paix à la France,
mais les hostilités reprirent bien avant que notre pays eût
pu réparer le mal qui lui avait été fait. En septembre
1567, Condé et Coligny tentèrent de bloquer Paris où
Charles IX s’était retiré. Claude de la Mothe, seigneur de
Bonnelles, fut envoyé par le roi à Étampes en qualité
de gouverneur de la ville et du château. Avec le concours de la municipalité,
il créa huit corps de garde, mit tous les habitants sous les armes,
aménagea les chemins de ronde à l’intérieur des murs,
lit des réserves de vivres, de fourrages, de bois et de munitions,
réquisitionna des lits, des tables, du linge, de la vaisselle, qui
furent transportés au château. Tout cet effort demeura vain,
comme les précédents. Le 17 octobre, le comte de Montgomery,
commandant de fortes troupes qui venaient de prendre Janville-en-Beauce,
sommait encore Étampes de se rendre. Les habitants refusèrent
d’abord et s’efforcèrent à quelque résistance, mais
bien tôt la ville était prise par escalade et le château
se rendit. Les vainqueurs y installèrent une compagnie d’arquebusiers,
«pour tenir en sujétion tout le voisinage». C’est lors
de ce siège que les protestants, entre autres destructions, brûlèrent
l’église et le couvent des Cordeliers, comme nous l’avons vu. Un
nouveau monastère fut reconstruit par les Cordeliers, ainsi qu’une
église, quelques années plus tard, grâce à des
dons d’Henri III, de la noblesse et des habitants d’Étampes. Le bois
nécessaire fut pris sur des arbres de la forêt de Dourdan, avec
l’autorisation du roi.
La prise
d’Étampes fut pour les conjurés une victoire inutile. Battus
quelques semaines plus tard, à Saint-Denis, ils durent abandonner
toutes les places qu’ils tenaient dans le voisinage de Paris, et [p.42] parmi elles, Étampes.
Mais les hostilités continuaient. Le roi et le duc d’Anjou, son
frère, le futur Henri III, qui était lieutenant général
du royaume, se préoccupèrent de renforcer la défense
d’Étampes. Il y établirent de nouvelles garnisons, sous le
commandement d’officiers éprouvés. Le bailli, Nicolas Petau,
fut chargé d’organiser encore des réserves de grains, de
rechercher les vivres cachés dans les maisons ou abandonnés
par les ennemis. Le blé était déposé dans les
greniers de l’hôtel Mesnil-Girault, rue de la Tannerie, ainsi appelé
parce qu’il appartenait au chapitre de Sainte-Croix d’Orléans, possesseur
de la châtellenie de Mesnil-Girault, au sud d’Étampes, dont
il nous reste un beau vestige. Deux bourgeois furent élus par l’assemblée
municipale pour y recevoir les blés, que tous les cultivateurs du
bailliage apportèrent, mais dont ils ne furent payés qu’entre
1573 et 1579. L’armée royale vint camper quelque temps aux alentours,
cherchant les moyens de dégager Chartres, que Condé assiégeait
avec près de 30.000 hommes. La situation était grave pour
le roi et Catherine de Médicis, suivant les conseils avisés
de Michel de l’Hospital, offrit la paix, qui fut laborieusement conclue
à Longjumeau en mars 1568. Petite paix, en vérité,
ou paix fourrée, selon les noms significatifs qu’elle reçut,
car, six mois après, la guerre était rouverte. Au moins,
notre malheureuse région fut épargnée par ces nouvelles
luttes qui se déroulèrent au sud de la Loire. Elle semble
également avoir échappé aux horreurs de la Saint-Barthélemy,
aucun document n’en faisant mention.
On sait
que Charles IX mourut peu après en 1574. Sous son règne,
en 1566, une ordonnance importante, qui intéressait notre duché
d’Étampes, avait été rendue à l’instigation
du sage Michel de l’Hospital, pour régler les conditions des apanages:
le domaine de la couronne était déclaré inaliénable
et ainsi, les apanages ne devaient Jamais être regardés que
comme un usufruit, la propriété en demeurant toujours à
la couronne. Ils ne pouvaient être donnés aux femmes, mais
devaient être réservés aux puînés mâles
de la maison de France et revenaient au domaine par la mort du prince apanagiste
sans postérité masculine, par son avènement au trône
ou par confiscation pour forfaiture. Une seule dérogation était
prévue: en cas de guerre, l’apanage pouvait être cédé
contre la remise d’une somme d’argent nécessitée par les
circonstances, mais avec faculté perpétuelle de rachat parla
couronne. Cette prudente mesure permit au Parlement de s’opposer à
la concession du duché d’Étampes faite d’abord par Charles
IX, au mépris de sa propre ordonnance, en faveur de Sébastien
de Luxembourg, vicomte de Martigues. Malgré les lettres de jussion
adressées par le roi au Parlement, celui-ci maintint son opposition.
Une autre donation irrégulière du duché d’Étampes
demeura également fictive, celle que fit Henri III, en 1576, à
Diane de France, fille naturelle d’Henri II, femme de François de
Montmorency. [p.43]
Mais
sous Henri III, l’anarchie gagna tout le royaume. Les protestants groupés
dans l’Union calviniste, réunissaient des assemblées,
levaient des impôts, commençaient de former un État
dans l’État. Les catholiques modérés, révoltés
devant les massacres et les ruines et s’inspirant de la tolérance
de Michel de l’Hospital, avaient constitué, contre les catholiques
intransigeants, le parti des Politiques ou des Malcontents, sous la direction
du dernier frère d’Henri III, le duc d’Alençon. En face de
ces divisions, le roi, sans autorité personnelle, ne savait quel
parti prendre. Les calvinistes s’étant unis au duc d’Alençon,
firent appel avec lui au comte Palatin, dont ils reçurent 20.000
hommes, sous la conduite de son fils Jean Casimir, qui pillèrent
une partie de la France jusqu’au Bourbonnais, et ils marchèrent de
concert sur Paris. Le roi, effrayé d’une telle menace et hors d’état
de résister, signa en 1576, près de Sens, un traité
dit la paix de Monsieur qui accordait de nombreux avantages aux
protestants, augmentait l’apanage de Monsieur, duc d’Alençon, et
abandonnait à Jean Casimir Palatin le duché d’Étampes.
Au milieu de pareils désordres, le Parlement ne s’opposa pas à
cette donation, pourtant moins acceptable qu’aucune autre. Mais dès
1577, Jean Casimir, mécontent de n’avoir pas touché les paiements
convenus, fit remettre au roi tous les dons qu’il avait reçus de lui
et ainsi le duché revint à la couronne. Deux ans plus tard,
le roi se conformait cette fois à la fameuse ordonnance de Charles
IX relative aux apanages: le «cas de guerre» ne cessait pas d’exister
malheureusement et permit d’engager le duché d’Étampes, avec
faculté de rachat, à la duchesse de Montpensier, fille de François
de Guise, contre un prêt au roi de 100.000 livres, dont elle devait
toucher l’intérêt au denier douze, c’est-à-dire à
8,33%, sur les revenus du duché. Henri III dut être en état
de racheter bientôt le duché d’Étampes, puisqu’il le
donna dès 1582 à sa sœur Marguerite de Valois, pour compléter
la dot qui lui avait été promise au moment de son mariage
avec Henri de Bourbon, roi de Navarre, le futur fleuri IV.
La paix
de Monsieur, par sa tolérance à l’égard des protestants,
avait violemment mécontenté les catholiques qui formèrent
à leur tour une ligue composée d’associations locales, répandues
peu à peu dans une grande partie de la France; celle d’Étampes
ne fut constituée qu’en 1587. Mais Henri III s’était proclamé
le chef de la Ligue dès 1577 et les calvinistes avaient aussitôt
repris les armes. Jusqu’en 1580, la guerre fut presque constante; cependant
elle épargna notre région.
En 1584,
la mort du duc d’Alençon ralluma les passions, le chef des calvinistes,
Henri de Bourbon, devenant ainsi l’héritier de la couronne et les
catholiques refusant d’admettre qu’un protestant pût être un
jour le roi. Henri de Guise surexcita l’ardeur des catholiques, [p.44] qui servait son ambition d’accéder
au trône à la mort d’Henri III: il donna une nouvelle impulsion
à la Ligue, s’allia avec le roi d’Espagne Philippe II, leva des
troupes dans tout le royaume et obtint du roi la révocation de tous
les édits de tolérance en faveur des calvinistes. Une nouvelle
guerre devenait inévitable. Henri III ordonna de s’y préparer
aux villes qui lui étaient restées fidèles. Étampes
était encore de celles-là. En mars 1585, Philippe Hurault,
comte de Cheverny, gouverneur d’Orléans et de Beauce, avertit les
habitants d’Étampes qu’ils devaient veiller à la sûreté
de leur ville. On décida de fermer cinq portes, en les murant, et
d’en laisser seulement trois ouvertes, celles de Saint-Martin, de Saint-Jacques
et de Saint-Pierre. Le château était gardé jour et
nuit par des habitants, choisis chaque jour par le maire et les échevins
et commandés par le sieur de Blaville, capitaine. Le roi leur mande
le 21 avril: «qu’il juge leur ville très importante pour le
bien de son service et qu’ils ne doivent permettre à aucune troupe
d’y entrer sans son exprès commandement signifié par lettres
signées de sa main». Peu de temps après, le comte de
Cheverny informe les habitants, de la part du roi, qu’ils doivent lui désigner
un nouveau gouverneur pour leur ville, soit que le sieur de Blaville ait
été inférieur à sa tâche, soit qu’on
ne voulût pas laisser le même homme longtemps dans sa charge
par crainte des défaillances ou même des trahisons. Les habitants
proposèrent au roi le seigneur de la Mothe-Bonnelle, qui avait déjà
préparé la défense en 1567. Il fut agréé
et la municipalité lui remit le soin d’organiser la garde du château,
qu’elle assumait jusqu’alors au moyen des dizaines: dix hommes étaient
placés en sentinelles et remplacés par dix autres, toutes
les quatre heures, nuit et jour. Les habitants, comme le maire et les échevins
eux-mêmes, firent preuve de la plus grande discipline, qui trouva
sa récompense dans le fait que les hasards de la guerre laissèrent
leur ville à l’abri des combats pendant quatre ans. Elle n’eut à
subir que des passages de troupes ou des alertes, lorsque les Allemands
et les Suisses, appelés par les calvinistes, s’étendirent
à travers toute la Beauce. Étampes avait gardé du
précédent passage des reîtres de cuisants souvenirs,
aussi les habitants étaient-ils résolus à tenir bon.
Ils firent enlever toutes les échelles des faubourgs pour interdire
l’escalade des murailles et ils reçurent des renforts de l’armée
royale, commandés par le seigneur de Sainte-Marie. Mais la bataille
se livra dans Auneau, où le duc de Guise infligea une sanglante défaite
aux Allemands et aux Suisses, le 24 novembre 1587, puis, il se retira dans
Étampes où il fit rendre des actions de grâce. La victoire
d’Auneau permit au roi d’obtenir de ces troupes étrangères
le serment de rentrer dans leur pays, ce qui serait exécuté
sous son autorité «sans aucun déplaisir pour elles».
Ce serment fut reçu par le seigneur d’ Inteville, au-dessus de Chalo-Saint-Mard,
et dans la plaine du grand Chicheny, où les
[p.45] Suisses s’étaient rangés en bataille.
Ils s’engagèrent «par acclamation militaire et lévement
de mains» et leurs colonels signèrent l’acte dressé
à cet effet par deux notaires royaux d’Étampes, le 2 décembre
1587.
Quelques
autres succès remportés ailleurs par Henri de Guise, et présentés
comme d’éclatantes victoires, enflammèrent les Ligueurs.
Ils fomentèrent des émeutes à Paris contre le roi.
Pour les apaiser, Henri III dut recourir au duc de Guise et bientôt
après, il signait sous la contrainte, à Chartres, en juillet
1588, un traité avec les chefs de la Ligue, qui leur accordait de
nouvelles concessions et ordonnait l’entière extirpation de l’hérésie.
Le traité fut publié en forme d’édit, juré solennellement
dans la cathédrale de Rouen et envoyé dans tous les bailliages
pour être aussi solennellement juré par les habitants. Ceux
d’Étampes adhérèrent ainsi à la Ligue le 19 août
1588: les ecclésiastiques, le tiers état et le bailli, Michel
de Veillard, sans aucune protestation, mais les autres gentilshommes, avec
des restrictions sur «l’obligation de leurs biens, qu’ils n’entendaient
pas être compris par leurs signatures». On fit même jurer
des enfants, Urban de Poilloüe et son frère Abel, âgés
de dix-sept et treize ans, signèrent à la place de leur père,
mort en 1582.
Le roi
avait perdu toute autorité: aux États généraux,
qu’il convoqua à Blois en octobre 1588, Henri de Guise apparut comme
le vrai souverain. Ainsi s’explique la criminelle décision d’Henri
III: la mort de son rival lui sembla la seule délivrance possible
de l’étau dans lequel il s’était laissé prendre. Les
deux Guise assassinés, les États généraux saisis
d’épouvante et bientôt congédiés, il put dire:
«A présent je suis roi», mais roi d’un malheureux royaume,
soulevé de révolte, déchiré de fanatisme, ivre
de violences et de meurtres. Notre ville, pacifique et soucieuse de justice,
fut victime de ces fureurs. Les Ligueurs, à la suite de l’assassinat
de leurs chefs, avaient déchaîné à Paris une
véritable insurrection contre le roi et aussitôt organisé
un gouvernement révolutionnaire, le Conseil des Seize, composé
de représentants élus des seize quartiers de Paris. Voulant
s’assurer de la ville d’Étampes, grenier de la Beauce toujours convoité,
qui leur facilitait, en outre, la communication avec Orléans, ils
y installèrent une garnison, sous le commandement d’un de leurs partisans
exaltés des environs, François d’Izy, seigneur de la Montagne.
Il fit emprisonner Nicolas Petau, l’ancien bailli, avec ses enfants, comme
mauvais catholique, puis, le prévôt, Jean Audren, sous le même
prétexte. Mais les habitants d’Étampes donnèrent un
bel exemple de courage par leur protestation: ils témoignèrent
que Nicolas Petau s’était dévoué à la chose
publique pendant trente-six ans et qu’il était bon catholique, de
même qu’Audren. Puis, il convoquèrent une assemblée
spéciale, le 18 février 1589, pour refuser un successeur d’Audren,
Simon de Lorme, avocat au Parlement qui avait été [p.46] envoyé d’office comme
nouveau prévôt par le Conseil des Seize. Henri III, pour reconquérir
son royaume, s’était réconcilié avec Henri de Navarre,
en avril 1589, et tous deux s’avancèrent sur Paris avec une armée
de 35.000 hommes de pied et 5.000 cavaliers. Lorsque cette nouvelle parvint
à Paris, le duc de Mayenne, dernier des Guise, qui avait été
fait lieutenant général du royaume par le gouvernement révolutionnaire,
renforça la garnison d’Étampes et la mit sous le commandement
d’un autre ligueur, le seigneur de Pussay, le château devant être
défendu par le capitaine de Saint-Germain. Mais ces troupes étaient
bien trop insuffisantes pour résister à la forte armée
qui mit le siège devant Étampes le 23 juin 1589. Deux batteries
furent installées, l’une à l’extrémité de la
ville, du côté d’Orléans, l’autre sur la colline en face
du château pour abattre la courtine qui le couvrait. La première
ayant bientôt ouvert une brèche, l’assaut fut donné
et la place fut prise, malgré quelque résistance des défenseurs,
qui furent faits prisonniers, puis, le château se rendit. La ville
fut livrée au pillage pendant trois jours; les officiers royaux qui
se trouvèrent convaincus de rébellion furent punis et le seigneur
de Saint-Germain, capitaine du château, qui avait été
page d’Henri III, eût été pendu, quoiqu’il fût
gentilhomme, si le duc d’Épernon, son ami, ne lui eût obtenu
la grâce du roi. Enfin, nous dit le bon Fleureau, «le viol ne
fut pas permis, néanmoins, il y eut quelques femmes qui ne l’évitèrent
point».
Pendant
le court séjour que fit Henri III à Étampes, il y
reçut la nouvelle qu’il était menacé d’excommunication
s’il ne consentait à une pénitence pour le meurtre du cardinal
de Guise et s’il ne libérait pas les prélats emprisonnés
par lui. Il en fut si affecté qu’il refusa de manger durant vingt-quatre
heures. A quoi, le roi de Navarre, qui connaissait les hommes, lui dit:
«Sire, le plus sûr remède est de vaincre, ainsi, nous
serons absous. Mais si nous sommes vaincus, nous demeurerons excommuniés,
voire même aggravés». Après s’être emparés
de Châtres (aujourd’hui Arpajon), de Pontoise, 1’Isle-Adam, Creil,
Poissy, ils mirent le siège devant Paris, mais c’est alors qu’Henri
III fut assassiné, le 1er août, par le moine Jacques Clément.
On sait qu’Henri IV devait mettre près de cinq ans à conquérir
son royaume.
En juillet
1589, un nouveau gouverneur avait été envoyé à
Étampes, le seigneur Paul Touzin, pour y tenir garnison avec trois
compagnies. Tous les habitants avaient prêté serment de fidélité
au roi Henri III et ils se mirent en demeure de réparer la brèche
faite par lui à leurs murs. Touzin avait été remplacé
par le capitaine Rigault, dans le commandement de la place, lorsqu’elle
fut encore assiégée le 20 octobre 1589, mais par les Ligueurs
cette fois. En effet, le duc de Mayenne, à la mort d’Henri III, avait
vu son armée s’accroître de tous ceux qui abandonnaient Henri
IV, puisque la fortune semblait [p.47] lui
devenir hostile. En outre, la tolérance et le désir d’union
du roi de Navarre ne pouvaient être compris que d’une faible élite
et les innombrables fanatiques des deux partis se dressèrent contre
lui. En quelques jours, son armée fut réduite de moitié.
Il dut lever le siège de Paris, mais il demeura en Normandie, au
lieu de se retirer dans le Midi où se trouvaient les vieilles troupes
calvinistes, comprenant bien que la conquête de Paris devait être
son objectif essentiel. Le duc de Mayenne, resté maître de
la capitale, étendit ses forces au tour d’elle et, comme il fallait
des vivres, Étampes fut une des premières villes attaquées.
Elle capitula, bien que le capitaine Rigault fût un brave, mais il
avait une garnison trop réduite et il se rendit, au moins avec composition,
au lieutenant du duc de Mayenne, Chrétien de Savigny, seigneur de
Rosne. Néanmoins, d’abominables exécutions furent commises:
le bailli Nicolas Petau fut tué et le prévôt Jean Audren,
nous dit un témoin, «encore plus maltraité», poursuivis
par la rancune des Ligueurs, qui déjà les avaient fait emprisonner
l’année précédente, comme mauvais catholiques. L’on
sait, par ailleurs, que Jean Audren fut pendu par les soldats le 23 octobre.
C’est donc à tort que ces deux meurtres furent imputés aux
protestants de l’armée d’Henri de Navarre, comme l’a fait un historien
moderne.
Cependant,
Henri IV commençait à donner la mesure de sa vaillance, de
son esprit organisateur et de sa valeur militaire. Il avait battu le duc
de Mayenne dans une série de combats à Arques, à la
fin de septembre 1589. Mayenne s’étant retiré en Picardie,
le roi ordonna de rompre les ponts de l’Oise pour couper la route de Paris
au vaincu et il vint assiéger Paris, le 31 octobre. Mais un pont n’avait
été détruit qu’à moitié: en quelques heures
il fut rétabli, Mayenne passa avec son armée et pénétra
dans Paris. Malgré quelques succès dans les faubourgs, le roi
jugea plus sage de se replier, dès le 3 novembre, sur Linas et le
5, il campait sous les murs d’Étampes. Alexandre de Castelnau, comte
de Clermont-Lodève, occupait la place pour la Ligue avec cinquante
gentilshommes et quelques gens de guerre. Il dut renoncer à toute résistance,
les habitants «ayant abandonné la garde pour ne pas tenir contre
leur roi», et se rendit à la première sommation. Cette
fois, il n’y eut ni sang versé, ni pillage, quoique les troupes «du
roi sans couronne et général sans argent» n’eussent pas
de solde. Henri IV demeura sept jours à Étampes. La tradition
veut qu’il ait séjourné à Brières-les-Scellés,
dans le petit château, dont une partie, devenue une ferme, subsiste
encore, en particulier une belle salle du XVIe siècle, qui entendit
sans doute les joyeux propos du Béarnais. Les habitants d’Étampes
profitèrent du séjour du roi pour lui demander l’autorisation
de détruire leur château, qui, faisant d’Étampes une
ville dite «forte», avait entraîné pour elle tant
de combats, de ruines et de misères. Henri IV, non seulement consentit
à la démolition du château, mais fit entreprendre [p.48] la destruction de ce qui restait
des murailles. II acheva de donner la preuve de son libéralisme en
permettant aux habitants de rester neutres dans la lutte qu’il poursuivait.
Un conseil
du roi fut tenu à Étampes à ce moment, réunissant
des princes du sang, les maréchaux de France, des officiers et des
gentilshommes du royaume. Un envoyé de la reine Louise de Lorraine,
la veuve d’Henri III, y vint de sa part réclamer justice de l’assassinat
de son mari, en priant que fussent recherchés les complices éventuels
de l’assassin, Jacques Clément, qui avait été massacré
sur place et ainsi, n’avait pu être interrogé. A la lecture
de ce message, le hardi Béarnais se demanda-t-il si le sort d’Henri
III ne lui était pas réservé? C’est possible, en ce
temps où le péril de mort était partout, mais il n’était
pas homme à s’y arrêter, lui qui répondait aux reproches
de Sully sur sa témérité: «C’est pour ma gloire
et pour ma couronne que je combats ma vie ne me doit être rien à
ce prix». Mais comment cette requête de la reine Louise, adressée
à Henri IV et reçue à Étampes précisément,
ne nous ferait-elle pas songer au même destin tragique qui devait atteindre
vingt ans plus tard le malheureux roi? Son assassin eût été,
lui aussi, massacré dans la rue de la Ferronnerie, si d’Épernon,
comme saisi d’un souvenir, n’avait crié qu’on se gardât bien
de tuer le régicide, ce régicide qui avait pris sa fatale
décision dans notre ville même.
Henri
IV poursuivit sa route vers Orléans. Nous ne le suivrons pas dans
sa difficile et glorieuse conquête. Mais nous signalerons qu’au moment
où parvint à Étampes la nouvelle de l’intervention
de plus en plus active du roi d’Espagne dans les affaires de France, de
l’installation d’une de ses garnisons dans Paris pour aider les Ligueurs,
enfin, de ses visées sur le trône même de France pour
sa fille, les habitants furent si émus qu’ils se réunirent
en une assemblée générale. Ils jurèrent d’une
commune voix de vivre et mourir en bonne union et concorde et de se maintenir
sous l’autorité de la seule couronne de France.
En 1590,
le duc de Mayenne leur demanda de constituer un magasin de vivres pour
son armée et de lever une contribution: ils purent refuser l’un et
l’autre en alléguant leur misère, qui n’était que trop
réelle. Mais il furent obligés d’accueillir une garnison pour
assurer la liberté de la route de Paris à Orléans et
la subsistance de l’armée espagnole voisine sur le pays d’alentour.
On sait
que Paris se rendit enfin à Henri IV le 22 mars 1594. Mais il restait
des Ligueurs impénitents: nous en citerons un exemple caractéristique
qui intéresse quelque peu notre ville. C’est celui de Marie Baron,
femme du jurisconsulte René Choppin, seigneur d’Arnouville-en-Beauce,
qui furent enterrés tous deux d’abord à Paris, mais dont
la pierre tombale est conservée maintenant au musée [p.49] d’Étampes. Marie Baron
était une ligueuse si passionnée qu’à l’entrée
d’Henri IV à Paris, elle se jeta par la fenêtre.
Cependant,
sous l’autorité du roi, si heureusement tempérée de
bonhomie souriante, grâce à sa compréhension des hommes
et au dévouement qu’il ne cessa d’apporter à son œuvre immense
de reconstruction, après tant de ruines, l’apaisement se fit dans
les esprits, l’ordre fut restauré et le relèvement s’accomplit
peu à peu. Notre région nous offre une image de cette pacification,
au moins sous une forme indirecte, puisque, comme les peuples heureux,
elle n’a plus d’histoire jusqu’à l’aurore du règne de Louis
XIV. Nous citerons, pourtant, un exemple local de l’entente survenue entre
les partis, armés naguère dans une lutte sans merci. François
de Prunelé, seigneur de Guillerval, blessé à Cérisoles
en 1544, protestant convaincu, avait été tué en Beauce
par les Ligueurs, en 1587, et sa propre fille Anne, épousa en 1596,
Abel de Poilloüe, qui avait été cependant un des signataires
de la Ligue à Étampes.
Nous
ne pouvons omettre non plus le passage de Ravaillac dans notre ville et
notre région, qui n’est point une légende. On sait que l’assassin
conçut longuement son projet. Après un premier séjour
à Paris, en janvier et février 1610, où il n’avait
pu approcher le roi, il rentra chez lui à Angoulême, puis
en repartit le 11 avril, pour arriver à Paris vers le 25. De son
aveu même, il ne tente plus alors de voir le roi; il s’installe dans
une auberge du faubourg Saint-Jacques et, presque aussitôt son arrivée,
dérobe dans une hôtellerie un couteau, dont il fait remplacer
le manche de baleine par un manche en corne de cerf. Puis, brusquement,
il semble abandonner sa criminelle intention et quitte Paris, au début
de mai, pour rentrer à Angoulême. Il passe par Auvers-Saint-Georges
et s’arrête au hameau de Chanteloup, où il brise la pointe
de son couteau en l’introduisant dans l’essieu d’une voiture, comme pour
s’interdire l’usage qu’il avait médité d’en faire. Il reprend
sa route, traverse Étampes, mais arrivé au faubourg Saint-Martin,
devant la statue de l’Ecce homo, en un petit carrefour qui occupait l’angle
actuel de la rue de Saclas, il a, dira-t-il lui-même, une vision,
qui le pousse brusquement à aiguiser son couteau sur une pierre.
Alors, il reprend le chemin de Paris et son forfait s’accomplira le 14 mai.
On sait
que la tête de cette statue de l’Ecce homo, de si tragique
mémoire, a été conservée et qu’elle est aujourd’hui
au musée d’Étampes. [p.50]
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