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              | VIENS, Muse, seconder 
  mes pieux gémissements; je veux décrire les malheurs de cette 
  ville, que les plaines de la Beauce environnent, & qui occupe à 
  juste titre le premier rang dans la province. Je veux parler d’Étampes, 
  Stempæ, comme on l’appelle communément, ou mieux de cette Tempé 
  des Gaules, qui, par la beauté de son site, la fertilité
de   son sol & la douceur de son climat, surpasse l’antique vallée
 de Thessalienne de ce nom, aussi joyeuse de sa belle plaine que des riches
 bourgs qui l’entourent (1). 
 Ses places sont larges, ses édifices
 bien   disposés, de manière à en favoriser l’accès
 à  ceux qui se pressent dans son enceinte.
 
 De doux zéphyrs y soufflent un air
toujours    pur; une rivière aux ondes argentées la traverse
& pourvoit    à tous les besoins des habitants.
 
 Dans toutes les campagnes avoisinantes, les
 yeux   sont récréés par une riche verdure, & l’odorat
 réjoui  par les fruits dont se couvrent de nombreux vergers. Ici
s’élève    un coteau; là s’incline une riante &
délicieuse vallée,    émaillée d’un riche tapis
de fleurs. Sous vos pas sortent  de  terre des sources aux eaux glacées;
plus loin c’est la Juine qui  promène  son cours tranquille &
serpente au milieu de vertes prairies;  à  quelques pas, c’est un
ruisseau qui précipite avec fracas  ses eaux  frémissantes
sous l’ombre épaisse des arbrisseaux  qui en couvrent  les bords.
 
 On respire partout le parfum des fleurs qui
 émaillent   les gazons, & les oiseaux réjouissent l’air
 de leurs gazouillements.   C’est là que la beauté du site
&  la sérénité   de l’air procurent sans frais à
 tous les plaisirs qu’ils convoitent.
 
 Mollement assis sur le bord des eaux, l’un 
se  plaît  pêcher soit les écrevisses à la main, 
soit  à la  ligne d’autres poissons. Celui-ci prend plaisir à 
parcourir  les champs  que ses aïeux ont plantés. Un autre s’avance 
sous  l’ombrage des  bosquets aux derniers feux du soleil, & à 
l’approche  de la nuit,  en faisant vibrer sa lyre champêtre, suivi 
d’un essaim  de jeunes gens  & de jeunes filles dansant en chœur & 
mêlant  aux danses des  chants joyeux.
 
 |                               
              
                               
                   
    LA ville d’Étampes, par sa situation entre plusieurs collines &
    sa longueur démesurée, mérite une attention toute
 particulière.   Le paysage qu’offre la vallée, vu des hauteurs
 de Guinette ou de Vauroux qui se font face, peut être considéré 
 comme l’un des plus beaux de France. Plusieurs rivières ou ruisseaux, 
 tel que la Juine, le Juineteau, la Louette, la Chalouette, sur les bords 
desquels sont bâties un grand nombre d’usines à farine, arrosent 
en serpentant   cette vallée gracieuse couverte d’immenses prairies, 
entourées   d’aunes & de peupliers, où le promeneur, pendant 
l’été,   vient goûter sous leur ombrage solitaire une 
délicieuse fraîcheur.  La description louangeuse faite par Pierre Baron n’est donc pas exagérée;
     il n’a fait que reproduire, en les          amplifiant & en leur
donnant une autre tournure, les vers  charmants que Clément Marot
composa en l’honneur de la maîtresse    de François Ier, Anne
de Pisseleu, duchesse d’Étampes, qui   ont bien pu contribuer à
accréditer que l’étymologie   de cette ville, dont la riante
situation rappelle le souvenir de la belle    vallée de Thessalie
chantée si souvent par les favoris des   Muses, vient du mot grec
Tempé. Cette erreur, qui a encore de nos  jours des partisans, a été
réfutée victorieusement  par M. E. Dramard, dans sa savante
              Notice sur l’origine de la ville d’Étampes, 
  publiée en 1855:
 
              
                      «Ce
   plaisant  val que l’on nommoit Tempé,  «Dont
  mainte histoire est encore embellie,
 «Arrousé
  d’eaux, si doux, si attrempé,
 «Sçachez
  que plus il n’est en Thessalie:
 «Jupiter
  roy qui les cœurs gaigne & lie,
 «L’ha
  de Thessale en France remué
 «Et
  quelque peu son nom propre mué,
 «Car
  pour Tempé veut qu’Estampes s’appelle.
 «Ainsy
  luy plaist, ainsy l’a situé,
 «Pour
  y loger de France la plus belle.»
 |  
              | La ville
 ne mérite pas seule ces éloges,   mais aussi les campagnes
voisines pour lesquelles chaque année l’arbitre   souverain prolonge
la durée du printemps, tempère les ardeurs   de la canicule
& adoucit les froids rigoureux, où les moissons   n’ont jamais
à souffrir ni des étés ni des hivers, où  presque
jamais les gelées excessives ne nuisent aux raisins. — Aussi  Cérès
y répand-elle à pleines mains ses dons,  & les greniers
y cèdent-ils sous le poids  des moissons; aussi les vignes produisent-elles
assez abondamment pour qu’à la vendange,  le vigneron presse à
pleins bords le jus écumeux, & que  les celliers vides soient
remplis d’un doux nectar, & cette terre fertile  se couvre-t-elle d’une
riche récolte de toutes sortes de fruits (2). 
 Mais, hélas! quel changement!Combien
 la  cité est aujourd’hui déchue! Quelle horreur succède 
 à son ancienne beauté! Malheureuse Étampes, que sont 
 devenus les agréments de ton séjour enchanteur? Parlerai-je 
 ou garderai-je le silence?Pourquoi, ô ma patrie, des destins impies 
 te condamnent-ils, en dépit du Ciel, à une ruine imméritée? 
 Dois-je parler ou me taire? Mais quelles sont les plages, mêmes les 
 plus reculées & les plus sauvages, qui ignorent les malheurs de
 la Cour royale de France? Les grands se divisent en factions ennemies. L’un
 plus sage demeure fidèle à son roi, l’autre se révolte 
 &, couvrant sa faute du prétexte du bien public, comme il arrive 
 toujours en ces circonstances, ne reconnaît de loi que le salut du 
peuple.
 
 A ce cri, sort des demeures infernales la
 cruelle   Mégère, la tête entourée de ses serpents
 tout  gonflés de poisons; elle parcourt les villes & les bourgades
 de  l’infortuné royaume; elle excite partout les fureurs de la guerre
 civile & allume dans les esprits l’amour d’une lutte insensée.
 Bientôt la France entière retentit du bruit des armes, &,
 tournant contre elle-même le glaive homicide, ne semble occupée
 que de sa propre ruine. O dieux, à peine les premiers mouvements
ont-ils  éclaté dans l’Aquitaine, que les Angevins voient tomber
sur  eux le fléau; mais ce sont nos contrées qui ressentent
surtout  ses fureurs.
 
 C’est en l’an seize cent; la cinquante-deuxième
   année du siècle est commencée; on est dans le mois
 où  le soleil parcourt le signe du taureau, au vingt-troisième
 du mois,  l’étoile du soir avait disparu & la nuit avait achevé
 la  moitié de sa course. Tout est dans le silence & le repos,
aucune  garde ne veille sur les remparts ni aux portes de la ville sans défiance.
   Les bourgeois fatigués dorment d’un sommeil profond qui paralyse
 &  les sens & les forces. Tout à coup se précipitent
 des cavaliers  & des fantassins dont les épais bataillons entourent
  la ville;  ils envahissent le faubourg Saint-Pierre sans défense;
 ramassant tous  leurs efforts, ils assiègent la cité dépourvue
  d’armes  & de défenseurs. Une formidable artillerie menace les
  portes. Les tambours & les clairons réveillent en sursaut les
 habitants & appellent aux armes. On n’entend qu’un tonnerre de cris
&  on ne voit partout que tumulte. Chacun se lève à la
hâte,  erre tout nu, saisi d’effroi, & ne sachant d’où vient
ce bruit  terrible des armes.
 
 Les citoyens tiennent conseil; on ne sait lequel   vaut mieux ou de résister
 avec si peu de monde, ou de céder   devant la tempête. Après
 avoir entendu les avis différents,   le parti de l’honneur l’emporte,
 l’amour des lis triomphe dans ces cœurs  dévoués; mais on
ne  sait à qui obéir. Les portes  s’ouvrent & livrent passage
 à une armée nombreuse qui s’empare  de la ville effrayée;
 toutes les maisons sont envahies; nous voyons  malgré nous nos demeures
 profanées par un soldat audacieux qui nous traite en ennemis &
 foule aux pieds les lois sacrées de l’hospitalité. Tous nous
 sommes punis sans être coupables       (3).
 
 Ce n’est qu’après cinq jours
&    autant de nuits, qu’au point du jour Turenne apparaît tout
à    coup à la tête des troupes royales, qu’il attaque
l’ennemi  renfermé  dans nos murs & le provoque au  combat
avec une  armée nombreuse.  Les rebelles sortent de l’enceinte fortifiée,
 mais ils sont investis  & accablés par le nombre. On s’élance
 de part & d’autre;  la fureur anime partout les combattants. Les cohortes
 triomphent ou succombent  tour à tour. Les troupes royales enfin
s’élancent;  le soldat  étranger recule & est moissonné
par la mort.  Celui qui peut s’échapper s’empresse de fuir, de chercher
un abri sûr   & de défendre la maison où il
s’est réfugié.    Enfin Turenne lève spontanément
son camp victorieux &  abandonne  le siège. C’est alors que s’accroît
dans la ville  la jactance  & la cruauté de la soldatesque. Tavanne,
leur chef,  redouble lui-même  d’orgueil & de cruauté; il
ranime ses  forces & son courage;  il fait monter la garde, assigne à
chacun  son poste, élève  de nouvelles défenses, &
forme  le projet d’abattre une partie de la ville trop étendue. Il
fortifie  par des retranchements escarpés  les remparts ébranlés;
 il entasse les matériaux &  élève de nombreuses
redoutes. Les maisons qui élèvent  leurs faîtes trop
près des murs, ou dont la position est une  menace pour les portes
ou pour les remparts, sont jetées par terre  au gré des généraux.
 Le sol est couvert de débris  de maisons démolies, après
  avoir été saccagées  ou bien brûlées
&   détruites de fond en comble. Ainsi  fortifiées de nouveau,
 ils attendent audacieusement l’armée  royale & insultent Turenne
 de leurs sarcasmes & de leurs railleries (4).
 
 Ce vaillant capitaine, après dix-sept 
 jours,  accourt & se présente de nouveau devant nos murs. Il est
 entouré  d’une armée nombreuse, que la présence de
son  roi anime au combat. Sans perdre un moment, il intercepte toutes les
communications  de la ville avec le dehors: au signal des chefs, les bataillons
se forment  & se précipitent sur les murs. Mais défendus 
de tous côtés  par des fossés profonds & des citadelles 
élevées,  les rebelles résistent & repousse la force 
par la force. Les armées  se mêlent: on en vient aux mains corps 
à corps; les poitrines  se heurtent contre les poitrines, les épées
 contre les épées.  De part & d’autre une artillerie formidable,
 semblable à la foudre,   épouvante l’air et sème la
mort dans les rangs; les murs sont   ébranlés, & les redoutes
 frappées à coups   redoublés; les murailles sont renversées,
 tout vole en éclat   au milieu d’un nuage épais de poussière
 & de fumée.
 
 Hélas! quel affreux désastre 
afflige   cette ville innocente! Quel funeste sort est réservé 
à   ses malheureux habitants! Les vivres amassés sont bientôt
 dissipés   par la prodigalité du soldat & une cruelle
disette  sévit   parmi les assiégés. Celui qui ne meurt
pas sous  le fer, épuisé   par la faim & par la maladie,
porte avec  peine le fardeau d’une vie qui  lui est devenue à charge.
Quel horrible  carnage! Que de morts sans  sépulture! Combien gisent
au milieu d’un  fleuve de sang! Combien défigurés  dans l’ordure
& dans  la poussière! L’air souillé d’émanations
 délétères  produit bientôt une peste cruelle
qui  sévit contre le peuple  sans qu’il puisse s’en garantir: ils
sont suivis  bientôt au cruel trépas par leurs enfants désolés:
 un cadavre est toujours accompagné d’un autre cadavre; la mort ne
marche jamais seule, elle moissonne tout sous ses coups: elle n’épargne
point les animaux eux-mêmes. Que peuvent demander de plus les destins?
Dans leur fureur contre nous, rien qu’ils n’attaquent & qu’ils n’outragent.
 
 Ce fléau ne s’arrête pas avec 
le  siège,  il se prolonge avec fureur pendant une année entière;
  la ville  est déserte, les maisons sont abandonnées; il n’y
  reste rien  que l’image du deuil & de la tristesse. Aucun village voisin
  qui n’ait  souffert de la guerre & de la maladie et qui n’offre l’aspect
  de la ruine  & de la mort. Les champs fertiles récemment retournés
  par  la charrue ont été foulés sous les pieds des
chevaux    ou durcies par les roues des chars; les moissons coupées
encore tendres   sont données comme fourrage aux bestiaux; les campagnes
si bien cultivées   ne reçoivent aucune semence; les vignes
arrachées ne donnent   point de raison: la terre reste stérile
& sans rien produire.
 
 
 Telles sont les horreurs que j’ai notées   dans le saccagement d’Étampes,
 horreurs à peine croyables que  j’ai vues de mes yeux, & dont
le souvenir épouvante mon esprit   & me navre de douleur (5).
 
 |                           
                                      
                                             
              
                                   
                   
    Au XVIIe siècle, tous les terrains situés aux alentours 
des    faubourgs Saint-Pierre & Saint-Martin, y compris le hameau du Petit-Saint-Mard
   & la butte du Rougemont, étaient plantés en vignes,
ce   qui donnait à cette étendue de pays l’aspect d’un vignoble
 d’une certaine importance. Aujourd’hui [1869]
         tout est bien changé: les céréales remplacent
  les raisins, &, si l’on rencontre encore quelques plantations de vinicoles,
   elles tendent à disparaître de jour en jour pour faire place
   à une culture moins dispendieuse & d’un plus grand  produit.                                
              
                               
                   
    Nous empruntons au journal inédit du siège, laissé 
  par  René Hémard, les naïfs & curieux détails 
  qui  suivent sur l’entrée de l’armée des Princes dans la ville
  d’Étampes: 
              Ce fait de destruction est ainsi rapporté par le barnabite Basile 
   Fleureau, témoin oculaire, dans son livre des Antiquitez de la
  ville d’Estampes, Paris, 1683, in-4.«Sur le soir du 23e du mois d’avril 1652, il vint quelque murmure 
  que  les maréchaux des logis des deux armées s’estoient trouvés 
    confusément à Briare-le-Bruslé, & à la 
 Ferté-Aleps,   à qui plutôt gagneroit Paris, dont le 
grand poids faisoit pencher  touste la France. Cela nestoit pas tout à 
fait vray, car les Royaux  grossis de nouvelles troupes poursuivoient les 
Princes, qui taschoient à  se couvrir de la coulevrine de la capitale; 
ce que nous n’avons appris que  depuy, & ce qui sembloit bien mériter 
 un mot d’advis par la cour  à nos officiers, pour prendre quelques 
 mesures, éviter surprises,  & faire avec la teste ce que nous 
ne pouvions pas exécuter avec  les bras, en gagnant temps par assemblées 
 de ville, & par autres  addresses accoutumées en ces extrémités.
 «Environ les dix heures, au retour de la promenade avec les dames, 
   je me couche comme les autres, qui ne voyaoient point de péril imminent
    en la vérité ou fausseté de cette nouvelle  incertaine,
&  ne sçay pourtant par quel hazard j’amusay à  charger
mes écritoires.  Mais à estions-nous au lit, que voilà
  l’armée des Princes  au faubourg Saint-Pierre, la ville s’assembla
  assés tumultuairement;  le coeur estant sur les lèvres des
 habitans, l’on résolut hautement  de refuser l’entrée, d’autant
 plus qu’il fut représenté  par un officier d’artillerie, selon
 sa pensée ou autrement, que ce  n’estoit qu’un camp volant composé
   de six ou sept cents hommes. Pour  cet effet l’on se transporte en corps
  vers ce faubourg, où M. de la  Boulaye, ne trouvant que des paysans
  à la première porte, s’estoit  déjà  fait
  aisément ouvrir la barrière, & à sa suite, sous
 les noms de MM. le Prince & de Beaufort, que ces rustres ont juré
 depuis avoir creu estre du costé du roy, ainsy que le premier estoit
 aux mouvemens de 1649. J’estois alors au premier sommeil, & quelques
bruits qui vinssent à mes oreilles, je n’en faisois pas compte. Néanmoins
  je m’éveille, saute du lit & m’habille bien viste. Nous venons
  à l’hostel de ville, d’où  chacun estoit déjà
  sorti, & parmi les alarmes de ceux de  l’un ou de l’autre sexe, nous
 arrivons au Perray, ou les rumeurs estoient  extresmes, & où
l’officier   cy-dessus, assisté de quelques  autres, notamment du
bonhomme Septier,   capitaine de la paroisse Notre-Dame,  qui crioit plus
fort que pas un, continuoit   ses premiers discours. Aussy-tost   la plus
grande partie de l’armée   paroissant sur les éminences   de
Saint-Symphorien, à la lueur   des eschalas allumés, cette
  petite troupe à laquelle je me  joignis proposa aux commandans   qui  estoient déjà
dans les faubourgs, & feignoient peut-estre    ne demander qu’à
passer la rivière, de leurfaire un pont à   Morigny un quart
de lieue plus bas que la ville, ce que j’appuyay fort auprès   de
M. Garnier l’Intendant, & mesme qu’il y avoit un pont tout fait deux
  lieues au-dessous, au Mesnil-Cornuel. Mais cela ne leur plaisoit pas, il
 pressoient le passage comme s’ils eussent eu l’ennemy à dos, dont
nous n’avions aucune nouvelle.
 «Aussy cependant, les deux personnes d’authorité suspecte, 
  soit  par prudence, ou par autre motif, après avoir envoyé 
 & receu sourdement divers émissaires, s’accordèrent autrement 
   que nous, sçavoir que quarante officiers principaux de l’armée 
   resteroient seulement dans la ville, & tout le surplus dans les faubourgs 
   jusqu’au lendemain qu’elle promit partir vers Paris. De vérité 
   ou bien pour jour le stratagème, tous les habitans du premier faubourg 
   qui estoient la plupart vignerons, pleins d’effroy, meslés avec 
les   gens de guerre accoururent vers nous, criant que sans Madame de Chastillon, 
   qui s’estoient jettée à genoux, aux pieds de M. le Prince 
 (c’estoit   M. de Tavannes), l’on auroit déjà tiré les
 canons, lesquels  estoient sur lepavé de la rue, & qu’on alloit
 décharger   si nous ne nous retirions. A ces mots aydés de
la terreur de la nuit,  de mille hurlemens d’enfans & de femmes fuyans 
à demi-nus, &  de tous les désordres qui se voyent à 
la prise des villes,  nous fusmes dans la presse entraisnés jusque 
sur le pont de la porte  Saint-Pierre, où le mesme officier d’artillerie, 
auquel le lieutenant-général,   la hallebarde en main, fit quelques
discours, me prenant d’amitié  par le bras, me dit: Retirons-nous,
 il faut cedder, nous sommes trahis. En  effet il vint prendre son cheval,
 & gaigna pays, comme j’aurois peut-estre  fait si mon nom avoit été
 aussy connu que le sien dans les troupes.
 «Je voulus encore rester en cet endroit pour voir la suite, ce ne
  fut  plus qu’embarras d’hommes, de harnois & de bestes entrant en foule;
  je  faillis d’y estre estouffé & fus emporté bien loin
 de là  sans toucher à terre, ainsy que beaucoup d’autres. Sur
 les sept ou  huit heures du matin, toutes les troupes qui devoient loger 
aux autres faubourgs  entrèrent l’espée nue à lamain, 
comme en une ville de  conqueste, à la manière allemande. La 
plupart s’en estoient  promis le sac & le viol, pour rendre, disoient-ils, 
ce qu’on leur avoit  presté chés eux. Ils se renversèrent 
   aux hameaux &  villages voisins jusqu’à deux ou trois lieues 
 d’alentour,  du costé  d’Orléans & de Chartres, où 
 peu de fille  & de femmes  qu’ils rencontrèrent purent éviter 
 leurs brutalités.»
 «Tous
 les édifices tant dedans que dehors la ville proche des   murailles
 furent razez, même les murailles des clôtures des cimetières,
  quoy qu’elles fussent fort basses. Ceux qui entreprirent  d’abattre la
chapelle   de Saint-Jacques de Bedegond, qui est au bout du cimetiere,  du
côté   de Paris, furent, par un effet visible de la divine 
justice, écrasez   sous les ruines. Le Comte de Tavannes fit mettre
 le feu dans les faubourgs,   au premier avis qu’il reçut que l’armée
 du roi venoit assiéger   Estampes. Et le dimanche 26 may, qu’elle
s’approcha  jusques à Estrechy,   il fit derechef mettre le feu dans
ce que la première incendie avoit   épargné.»
 
    Cette peinture navrante de la désolation de la ville d’Étampes 
    après le siège est de la plus grande exactitude. Au témoignage
     de l’auteur, nous joignons celui de son gendre, qui lui aussi a été
     témoin des faits qu’il rapporte. Dans l’épître
 dédicatoire à son ami Dubin, qui    précède
son  recueil d’épigrammes intitulé:       Les   Restes de
la guerre d’Estampes, imprimé à  Paris en 1653,   nous
lisons le passage suivant:
 «Tu
 as sceu que cette jadis ville est devenue depuis, un moyen village,    un
 cimetière. Jamais la Parque ne fit une si belle moisson, elle  a
 fauché de tous les biais, & les lancettes y ont été
    aussi mortelles que les espées: quelques privilèges que
le   roy accorde à ce païs, il pourra bien l’empêcher de
mourir,    mais non pas de languir un long temps.»
 Nous trouvons
 également dans son journal cité plus haut ces   curieux détails,
 qui peuvent servir de commentaires aux vers de son  beau-père.
 «Les
 armées ne furent pas plutôt retirées, que   les fumiers,
 les haillons, les cadavres & les autres puanteurs infectant   l’air,
reduisirent presque la ville & ses environs en un hospital. Il   se forma
de vilaines mouches de grosseur prodigieuse, qui estoient inséparables
    des tables & des lits; le plus charitable amy & le meilleut parent,
    estant malade luy mesme, n’avoit que le cœur de reste pour soulager les
   siens. C’estoit une grande pompe funèbre d’estre traîné
   sur une brouette au cimetiere, sans bière ny prestres, au lieu
desquels      l’on entendoit que                 [sic]        croassement en l’air d’oyseaux   sinistres
 & carnassiers, inconnus  jusqu’alors au pays, qui se rabattoient   à
 tous momens dans nos prés,  nos terres & nos jardins,   pour
y  faire curée de charongnes des  hommes & des bestes.»
 Dix-huit
 années après le siège, & comme l’avait   pressenti
 René Hémard, la ville d’Étampes n’était   point
 encore remise de la terrible secousse qu’elle avait éprouvée
     en 1652. voici le tableau qui en a été fait en 1670 par
 le   même auteur:
 «Estampes
 est la plus malheureuse ville du royaume; sa grande enceinte,    dont le
milieu n’est plein que de trous à retirer des mendiants ou   des chétifs
 manœuvres, & dont les faubourgs qui en font la moitié,   ne sont
 propres qu’à des cancres de vignerons & à des laboureurs
  en fable, ne laisse pas de passer por une communauté importante.
 Le surplus consiste  presque ne quelques hostelleries barbouillées
 & en maisons refaites  par des Parisiens, originaires sablonniers, lesquels
 n’y ont souvent qu’une  pauvre femme pour garde. Ou bien ce sont de vastes
 logis de deux ou trois  arpens quasi vuides, & sans autres locataires
 que de quelques jardiniers,  dont les chambres ne sont tapissées
que  d’oignons, de poireaux, de  chicorée,  & de pareilles menues
verdures.  Les traffics de bleds  & de laine autrefois si celèbres
y demeurent  entièrement  rompus, tant par le nouvel établissement
du canal  de Briare & les fréquens logemens des troupes, que par
la hauteur  des tailles, lesquelles ont chassé    la moitié
du peuple, que les maladies d’armée y avoient laissé    de
reste en 1652.»
 
 
     
   |  | 
                                 
              | BIBLIOGRAPHIE
 
 Éditions
      Paul PINSON [éd.], La
    prise d’Etampes, poëme latin inédit de Pierre Baron, maire
 de   la ville en 1652, traduit en français avec le texte en regard
 et des  notes, et précédé d’une notice biographique
sur l’auteur  par Paul Pinson [in-18; 45 p.], Paris : L. Willem, 1869.  
             Bernard GINESTE [éd.],
          «Petrus Baron: Stemparum Halosis
    (texte latin de 1654)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis.html, janvier  2003.Bernard
GINESTE [éd.],          «Pierre Baron:
      La Prise d’Étampes    (traduction Pinson seule)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-baron1654prisedetampes.html, janvier  2003.
 
 Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (édition
    bilingue annotée de Pinson, 1869)», in Corpus Étampois, 
          http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis-bilingue.html, janvier  2003.
 
 
                                                
         
      1652 dans le Corpus Étampois      Bernard GINESTE,
    «Marie Angélique Arnauld: Sur des religieuses fuyant
le  siège d’Étampes (fin mai 1652)»,
      in Corpus Étampois,       http://www.corpusetampois.com/che-17-16520525arnauld.html,    2008.Bernard GINESTE,     «Marie
Angélique Arnauld: Deux lettres à la reine  de Pologne (misère de Paris et d’Étampes,  mai-juin 1652)»,
     in Corpus Étampois,       http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html,    2008.      Bernard GINESTE [éd.], 
                     «Petrus Baron: Stemparum 
   Halosis            (texte latin de 1654)», in Corpus Étampois, 
           http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis.html, janvier              2003.
      Bernard GINESTE [éd.], 
                     «Pierre Baron: La Prise 
  d’Étampes             (édition bilingue annotée 
 de Pinson, 1869)»,    in         Corpus      Étampois, 
       http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis-bilingue.html, janvier              2004. 
      Bernard GINESTE [éd.],
                       «Pierre Baron: La Prise
    d’Étampes             (traduction Pinson seule)», in
      Corpus    Étampois,             http://www.corpusetampois.com/cle-17-baron1654prisedetampes.html, janvier                2004. 
      François JOUSSET &
Bernard GINESTE [éd.], «René Hémard:
      La Guerre d’Estampes en 1652 (édition 1884 de Pinson)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-renehemard-guerre.html,
                janvier 2003.   
 Bernard GINESTE [éd.],
                «Basile Fleureau: Recit veritable de ce
qui s’est passé au siege de la Ville d’Estampes en l’année
1652 (édition   de   1681)», in Corpus
  Étampois,            http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b44.html, janvier 
               2003. 2e édition illustrée et annotée: 
 mai 2007.
 
      André BELLON, «Antoine 
               Pecaudy», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-1652pecaudy-bellon.html,
                    2003.Bernard GINESTE [éd.], 
 «Turenne: Lettres relatives au siège d’Étampes
  (avril-mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-turenne1652lettres.html,  2007.
  
                                                
         
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