CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
René Hémard
La Guerre d’Étampes en 1652 
vers 1670
 
Etampes au XVIIe siècle (gravure de Tassin)
 Etampes vers 1636 (gravure de Tassin)

 
     Voici un texte capital pour l’histoire et la littérature étampoise: un témoin y raconte les dramatiques événements de 1652 avec une fraîcheur et une vivacité entraînantes. 
     Paul Pinson l’avait édité en 1884. François Jousset vient de le saisir à l’intention de tous pour le Corpus Étampois. Qu’il en soit remercié ici.   
   
     La saisie des textes anciens est une tâche onéreuse et méritoire. Merci de ne pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.
 
 
LA
GUERRE D’ÉTAMPES
EN 1652
 
PAR
René HEMARD

 
Relation inédite annoté et publiée
PAR
Paul PINSON

PARIS
CHAMPION, LIBRAIRE-EDITEUR
15, quai malaquai, 15
 
LA GUERRE D’ESTAMPES
EN 1652
 
Par RENÉ HÉMARD
Relation inédite, publiée et annotée par PAUL PINSON.
 

 
INTRODUCTION
[pp. 1-4]


     Le siège d’Étampes, en 1652, est sans contredit l’action la plus sanglante de la guerre civile qui désola les environs de Paris pendant la minorité de Louis XIV. Malgré l’importance de ce fait de guerre, qui fit de la ville d’Étampes, alors florissante, un monceau de ruines et un vaste hôpital, les mémoires du temps et les nombreuses mazarinades publiés au sujet de cet événement mémorable par des pamphlétaires à la solde des partis, ne contiennent que des détails laconiques et pour la plupart erronés sur les combats qui ont été livrés sous les murs ou dans l’intérieur de cette ville (1). [p.2]

 
     Toutefois, il faut excepter de ces écrivains fantaisistes et passionnés un historien étampois, le R. P. Basile Fleureau, auteur des Antiquités de la ville d’Étampes, qui a inséré dans son précieux livre une relation impartiale de ce siège, étayée sur des faits précis, laquelle n’est pas sans mérite. Malheureusement, dans son récit, le savant barnabite a omis bien des détails secondaires que les historiens de nos jours n’ont garde de négliger s’ils veulent laisser une œuvre qui fasse autorité. 


     1.
Les mémoires dont nous voulons parler sont ceux du comte de Tavannes, du maréchal de Turenne, du duc dYork, de Montglat, de Chevagnac, de Mlle de Montpensier, etc. Quant aux mazarinades, celles que nous connaissons sont au nombre de trente-sept. 

     Aussi l’histoire du siège d’Étampes, comme nous la comprenons, est encore à faire, et, lorsque nos loisirs nous le permettront, nous entreprendrons la tâche d’en écrire une relation circonstanciée, avec pièces à l’appui. 
  
     En attendant la réalisation de notre projet, nous nous contenterons pour le moment de mettre au jour un récit de ce siège, extrait des mémoires inédits laissés par René Hémard. L’auteur, témoin oculaire des faits qu’il rapporte, n’est pas suspect de mensonges; il raconte sans passion, comme aussi sans ménagement pour les personnes, ce qu’il a vu et entendu, et s’il est sobre de détails au sujet des opérations militaires auxquelles il n’entendait rien, en revanche il s’étend assez longuement sur certaines particularités peu connues qui expliquent la plupart des événements qui se sont passés sous ses yeux. 
  
     Pour éclaircir certains faits laissés dans l’ombre ou racontés trop brièvement par René Hémard, nous les avons annotés en nous servant des documents imprimés et manuscrits que nous avons recueillis depuis quinze ans avec le plus grand soin. Quant à 1’orthographe [p.3] employée par notre compatriote, nous l’avons religieusement respectée, ainsi que la ponctuation, car la moderniser c’eût été enlever à son récit entremêlé de réflexions pleines de bon sens et de justesse, mais empreintes d’une certaine rudesse naïve, cette saveur de terroir qui n’est pas sans charme. 

     Nous ne reviendrons pas ici sur la biographie de cet écrivain étampois, qui a fait imprimer, en 1653, un recueil d’épigrammes assez lestes dédié à son ami Dubin, de Montargis, intitulé: Les Restes de la guerre d’Estampes, faisant ainsi allusion à ses papiers qui avaient été brûlés en grande partie pendant le siège. En raison de la rareté de ce recueil, dont la préface est curieuse à plus d’un titre, nous en avons fait faire une réimpression, en 1880, qui est précédée d’une notice biographique à laquelle nous renvoyons le lecteur (2).
     2. Les Restes de la guerre d’Estampes, par le sieur Hémard, avec une notice sur sa vie et ses écrits. Paris, L. Wilhem, 1880, in-18.
     Cependant, pour compléter cette étude biographique, nous croyons devoir reproduire ici pour la première fois la singulière épitaphe dans laquelle il a résumé sa vie, qui termine le chapitre 1er de ses Mémoires, intitulés: Le Narcisse ridicule ou la fable et l’ironie de la vie du sieur Hémard (3). 
      [p.4] Sum natus Stampis, artes et jura docebam 
      Montargi, Biturix, Aurelia membraque ludis, 
      Post obitum patris exercent juvenilibus, Andes 
      Cætera quæ jactat centum variata per urbes 
      Gallia lustravi, Romanique orbis amantem 
      Me Maro, me Cicero latias agere per oras. 
      In patriam revocant nostræ nova vota novercæ 
      lnterea pia claustra animus suspirat ab ævo. 
      Sed et Deus impugnat toties, aut debile corpus 
      Et quinquennis amans Stampis chara otia lusi 
      Dum furit alterno Bellona domestica motu, 
      ln patriamque ruit, nobis ubi cælicus ægre 
      Fulsit Hymen, subitoque armantum in crimina munus 
      Obtulit, ense data, brevior Themis, arma sed ista 
      Horruit, atque togam alterius procomsulis uxor 
      Indicat; hæc tamdem nobis Provincia cessit. 
      Hanc ego ter denis senisque ago, proximis annis 
      Dein erepta mihi est centeno a paupere conjux; 
      Jamque minor gestis, late audio, nomine Major. 
      Quid superest? Coluisse aulas, et sacra, morique. 
      De primis dubium, sed certa heu! ultima mors est 
      Vivus præmorere, æternum ut post funera vivas.
     Disons en terminant que René Hémard, maire de la ville d’Étampes de 1667 à 1670, mourut dans cette ville le 25 janvier 1691, âgé de 70 ans, après avoir occupé pendant 36 années la charge de lieutenant particulier au bailliage.  
   
PAUL PINSON.
Nantes, 2 septembre 1883.




     3.
Le manuscrit autographe de René Hémard appartient à M. Vernot de Jeux qui a bien voulu nous le communiquer et nous en laisser prendre copie. Antérieurement, il avait appartenu à son beau-père, M. de Barville, qui le tenait de son père, Louis-Robert de Barville, marié à Marie-Claude Hémard, dame du Fresne et de Saudreville, petite-fille de René Hémard. 
       
 
CHAPITRE PREMIER
[pp. 5-12]
 
Entrée de l’armée des princes, à Estampes.

     Comme c’est icy la pierre d’achopement, ou, pour parler avec quelques-uns, le péché originel, j’aurois souhaité qu’une plume moins volontaire, et plus appliquée à la beauté du style et à la force du raisonnement, que la mienne, eust entrepris de meilleure heure la justification d’une ville innocente, et, je puis dire, zelée pour son Roy; affin de lever des impressions sinistrès et fausses, que les etourdis et les malicieus ont fondé sur les seuls événemens, et qu’ils ont transmises indignement jusqu’à la Cour, dont les benignes influences estoient si deues à nostre misère, et si nécessaire à son restablissement.

     Mais si ce talent nous manque, taschons de le suppléer quoy qu’à tard par nostre fidélité, plus estendue icy qu’en l’épistre du petit livret de poësies échappé en 1653 (4).
     4. Les Restes de la guerre d’Estampes. — Paris, L. Chamhoudry, 1653 in-12.
     La plus belle éloquence sans candeur, n’est qu’un masque ridicule en fait d’histoire, ou presque tout le bien dire, consiste à dire vray. J’ai veu la plus grande partie de ce que j’escriray, rien ne m’oblige à de fausses démarches, l’amour de la patrie cede à celuy du véritable honneur; j’estois alors homme privé, et toute ma charge n’estoit qu’à garder une maîtresse (5). A present que je suis pénétré du caractère d’un mauvais politique, et sans ambition, et sans autre dessein que de rester au bas estage, ou la Providence m’a mis et me voudra mettre, je proteste au ciel [p.6] et à la terre, devant Dieu et devant les hommes, qu’en ce récit j’ai l’âme nette de toute passion, et ne suis capable au plus que de fautes de mémoire, dans quelques légères circonstances, qui s’y seroient davanture moins imprimées, que les autres de plus grande importance. j’essayeray mesme d’y remédier par les mémoires empruntés de l’un de mes confrères qui paroist homme de bien, aymant là vérité et témoin oculaire, comme moy, de ce fameus catastrophe, et publiques funérailles de notre commune patrie.  



     5. Marie Baron, sa fiancée, fille du maire d’Étampes. Elle se retira pendant quelques jours chez les dames de la congrégation de Notre-Dame.
     Dès l’hyver 1652, cette ville, qui est comme la principale galerie du royaume, et doit passage jour et nuit à tout le monde, vit aller et venir plusieurs illustres de l’un et de l’autre parti, qui s’accordèrent en ce point de compatir à nostre faiblesse, et nous assurèrent avec une apparente syncérité, que les foudres et les carreaux de Bellone iroient crever plus loing, bien qu’il en soit tout autrement par des cajolleries difficiles à croire, ces bonnes nouvelles, jointes à la route de M. de Nemours, dont l’armée estrangère traversa la Beausse, du costé de Chartres, pour s’unir à celle des Princes, firent pleuvoir et arriver la pluspart des bleds, aussy bien que les dames de la campagne à Estampes, qui devint en peu de temps un magazin fortuit, quoy qu’en veuillent dire les spéculatifs à parte post. 
  
     Chacun sçait les complimens d’Orléans qui fut assés renard, pour ne désirer estre visité qu’en singe, et qui n’a pas oüy parler de cette brèche battelière par ou Mademoiselle y entra (6). [p.7] L’escarmouche de Bleneau du 6 avril (en laquelle quatre quartiers de l’armée du Roy furent enlevés par M. le Prince, arrivé le jour d’auparavant de Guyenne, incognito, et faisant, dit-on, devant le monde, le valet de chambre du sien, par toute la route, aussy bien que l’attaque du pont de Gergeau) ont pareillement fait assés de bruit; et peut-estre que l’on se souvient encore de l’heureuse conjoncture de Montargis, qui le sauva des canons et du siége.

     
Cependant quelque arrest et exécution que le Parlement eust rendu et fait rendre au mois de mars, de deux libelles abominables, l’un intitulé le Point de l’Ovale (8), et l’autre la Franche Marguerite (7) bruslés par la main du bourreau, Paris ne cessoit [p.8] pas d’avoir toujours une gazette moins royale que princesse; il crioit à pleine teste jusqu’à nous, la cheute infaillible du mazarinisme en France, et combien l’on chaussoit rudement les esperons au ministre italien pres à repasser les Alpes. Ce sont ces bruits qui nous firent tenir ainsy sur nos gardes, et furent cause de nostre perte. 
  
     Il ne fault point dissimuler, cette rétraitte estoit souhaittée par les gens de paix, mais la Cour y trouvoit peut-estre son authorité lézée, de n’ozer pas se conserver un homme, qu’elle croyoit utile et quelques autres vraysemblablement aussy n’avoient garde de la procurer, pour ne demeurer pas sans prétexte: Pourquoy ne dire pas de la Fronde ce qu’un bon autheur a avancé de la Ligue contre nos roys Henrys? que ce n’estoit que pure singerie, une police de pyrate, et un vray jargon de narquois. Quoy qu’il en soit, il est naturel de donner créance à ses désirs innocens, et se flatter aucunement dans des interests publics et particuliers. Nostre raisonnement provincial n’avoit pas l’haleine assés forte, pour monter jusqu’au faiste d’une délicatesse politique, et n’envisageoit alors en gros que le salut d’un Royaume si prest du naufrage, en la seureté extérieure de son monarque. 
     6. Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, fille aînée de Gaston d’Orléans, dite Mademoiselle, quitta Paris le 25 mars 1652 pour se rendre à Orléans, capitale de l’apanage de son père, avec mission d’exciter le peuple à se déclarer pour le parti des Princes. Elle arriva devant cette ville le surlendemain, habillée en amazone et accompagnée de sa gouvernante, Anne Leveneur, comtesse de Fiesque, et de Madame Anne Phelipeau, comtesse de Frontenac, qu’on appelait ses maréchales de camp. Les magistrats orléanais ayant refusé de lui ouvrir les portes, à l’aide des bateliers qui l’acclamèrent lorsqu’ils l’aperçurent, elle pénétra dans l’intérieur de la ville par une brèche fort étroite, pratiquée par le peuple à une porte murée ayant accès sur le quai longeant la rivière, qu’elle passa ensuite sur un pont formé par deux bateaux. Cette singulière entrée fut célébrée par les couplets suivants: 
      Deux belles et jeunes comtesses,  
      Ses deux maréchales de camp,  
      Suivirent Sa Royale Altesse,  
      Dont on faisait un grand cancan. 

      Fiesque, cette bonne comtesse, 
      Alait baisant les bateliers, 
      Et Frontenac, quelle détresse!  
      Y perdit un de ses souliers.

     7. Voici les titres exacts de ces deux célèbres pamphlets sortis de la plume de Dubosc de Montandré. Le premier est intitulé: La Franche Marguerite faisant voir: 1° que le Roy ne peut pas rétablir le Mazarin, et que par conséquent l’armement qui se fait pour ce dessein est injuste; 2° que les loix fondamentales de l’État ne permettent pas à la Reine d’être chef du conseil de Sa Majesté, et que par conséquent tout ce qui se fait par son avis, ne doit pas être suivi, que le Roy, quelque majeur qu’il soit, doit néanmoins vivre sous la curatele, quoique tacite, de Son Altesse Royale et de ses Princes, jusqu’à l’âge prescrit par les loix de l’émancipation des enfants; 4° et que pendant cette conjoncture d’affaire, Son Altesse Royale, les Princes et Messieurs du Parlement peuvent commander le ban et l’arrière-ban, pour terminer bientôt cette guerre mazarine. S. L. N. D., in-4° de 16 p.

     8. Le second a pour titre: Le Point de l’Ovale faisant voir que pour remédier promptement aux maladies de l’Estat pendant qu’elles ont encore quelque ressource, 1° il faut renforcer un parti pour le faire triompher de haute lutte, parce que l’égalité feroit tirer la guerre en des longueurs insupportables; 2° il faut renforcer le parti le plus juste ou le seul juste; 3° le parti le plus juste ou le seul juste est celui qui appui et qui est appuyé des loix; 4° après avoir reconnu le parti le plus juste, il faut le renforcer par un soulèvement et par une émeute générale dans Paris; 5° ce soulèvement et cette émeute générale sont appuyés sur les déclarations royales et sur les arrêts des Parlements; et par conséquent on peut les résoudre avec moins de crainte et d’injustice. S. L. (1652), in-4° de 15 p. 
     Nous dormons donc, ainsy que tous les environs, sur le bord du précipice, que l’on croyait encore assés loing, pour s’en éveiller à loisir, sans aucune intelligence avec l’un ou l’autre party, qui fust connue aux maire et eschevins, ny aux officiers, si l’on excepte un de robe, et un de S. A. R., tous deux estrangers, [p.9] establis en la ville depuis quinze ans, lesquels en ont esté soupçonnés, mais non peut-estre convaincus (9). 
  
     Sur le soir du 23e du mois d’avril 1652, il vint quelque murmure que les mareschaux des logis des deux armées s’estoient trouvés confusément à Briare-Ie-Bruslé, et à La Ferté-Aleps, à qui plutôt gagneroit Paris, dont le grand poids faisoit pencher toute la France. Cela n’estoit pas tout à fait vray, car les Royaux grossis de nouvelles troupes poursuivoient les Princes, qui taschoient à se couvrir de la couleuvrine de cette capitale; ce que nous n’avons appris que depuis, et ce qui sembloit bien mériter un mot d’advis par la Cour à nos officiers, pour prendre quelques mesures, esviter surprise, et faire avec la teste ce que nous ne pouvions pas exécuter avec les bras, en gagnant temps par assemblées de ville, et par autres addresses accoutumées en ces extrémités. 
     9. L’officier de robe dont veut parler René Hémard se nommait Gabriel de Bry, lieutenant général au bailliage; quant à l’officier du duc d’Orléans, nous n’avons pu connaître son nom. Nous ignorons si, à cette époque, ces officiers étaient vraiment coupables d’intelligences avec le parti des princes. Mais, ce qui est parfaitement établi, c’est que trois années auparavant, c’est-à-dire le 18 février 1649, des députés d’Étampes se rendirent à Paris et offrirent leur ville aux frondeurs, en disant qu’il y avait de grandes munitions. Cf. Journal des guerres civiles de Dubuisson-Aubenay, 1883, t. ler, p. 146.  
     Environ les dix heures, au retour de la promenade d’avec les dames, je me couche comme les autres, qui ne voyoient point de péril imminent en la vérité ou fausseté de cette nouvelle incertaine, et ne scay pourtant par quel hazard j’amusoy à charger mes écritoires. Mais à peine estions-nous au lit, que voilà l’armée des Princes au fauxbourg Saint-Pierre (10), la ville s’assemble assés tumultuairement, le cœur estant sur les lèvres des habitans, l’on résolut hautement de refuser l’entrée, d’autant plus qu’il y fust représenté par un officier d’artillerie, selon sa pensée ou autrement, que ce n’estoit qu’un camp volant composé [p.10] de six ou sept cens hommes. Pour cet effet l’on se transporte en corps vers ce fauxbourg, où M. de La Boulaye ne trouvant que des paysans à la première porte, s’estoit déjà fait aisément ouvrir la barrière, et à sa petite suite, sous les noms de Messieurs le Prince et de Beaufort, que ces rustres ont juré depuis avoir creu estre du costé du Roi, ainsi que le premier estoit aux mouvemens de 1649 (11). 
     10. L’armée des Princes se présenta à la barrière de la porte du faubourg Saint- Pierre, auprès de l’église, dans l’endroit même où arrive maintenant la route de La Ferté-Aleps, route qui n’existait pas à cette époque.  


     11. Le maréchal de camp, marquis de La Boulaye, était connu des habitants d’Étampes. Lors des troubles de l’année 1649, il avait été chargé par les frondeurs de différentes missions à Étampes, notamment de ramener à Paris un convoi composé de 500 à 600 bœufs, 5,000 moutons et 500 charrettes de blé et farine.
     J’estois alors au premier sommeil, et quelques bruits qui vinssent à mes oreilles, je n’en faisois pas compte, y estant accoutumé depuis cinq ou six nuits, toutes lesquelles l’on avoit fait que passer et repasser en ma chambre, par où l’on alloit à celle du prevost de la ville, dont la santé estoit presque désespérée, et à deux doigts de l’agonie. Néanmoins à la voix de ma maîtresse, qui vint crier à nos fenestres, qu’elle alloit en religion, je saute du lit et m’habille bien viste, je courus aussytost avec quelques autres à son logis, où je ne la trouvay plus; il n’y estoit resté que le vénérable vieillard son père (12), âgé d’environ 80 ans, qui nous voyant en haleine, le pistollet en main, nous dit, les larmes aux yeux: Courage, Messieurs, il s’agit du service du Roy, que ne suis-je en âge, que n’ay-je assés de force, pour aller à vostre teste, et sacrifier ce reste de vie à la deffense de ma patrie? 
     12. Ce vieillard était Pierre Baron, seigneur de l’Humery, médecin, conseiller du Roi, qui occupait alors la charge de maire pour la troisième fois. Il a laissé un charmant petit poème latin intitulé: Stemparum halosis, qui est un tableau énergique et vrai de la désolation de la ville d’Étampes après le siège, que nous avons publié sous ce titre: La prise d’Etampes, poème latin inédit de Pierre Baron, maire d’Étampes eu I652, traduit en français avec le texte en regard et des notes et précédé d’une notice biographique sur l’auteur. Paris, L. Wilhem, 1869, in-12.  
     Nous venons à l’hostel de ville, d’où chacun estoit déjà sorti, et parmi les alarmes de ceus de l’un et de l’autre sexe, nous arrivons au Perray, où les rumeurs estoient extrêmes et où [p.11] l’officier cy-dessus, assisté de quelques autres, notamment du bonhomme Septier, capitaine de la paroisse de Nostre-Dame, qui crioit plus fort que pas un, continuoist ses premiers discours. Aussytost la plus grande partie de l’armée paroissant sur les éminences de Saint-Symphorien, à la lueur des eschalas allumés (13), cette petite troupe, à laquelle je me joignis, proposa aux commandants qui estoient déjà dans les fauxbourgs, et feignoient peut-estre ne demander qu’à passer la rivière, de leur faire un pont à Morigny un quart de lieue plus bas que la ville, ce que j’appuyai fort auprès de M. Garnier l’intendant, et mesme qu’il y avoit un pont tout fait à deux lieues au-dessous au Mesnil-Cornuel (14). Mais cela ne lui plaisoit pas, ils pressoient le passage comme s’ils eussent eu l’ennemy à dos, dont nous n’avions aucune nouvelle.
     13. A cette époque les hauteurs de Saint-Symphorien étaient un vignoble assez important qui a disparu depuis pour faire place à une culture d’un plus grand rapport.



     14. Aujourd’hui Ménil-Voisin, écart de la commune de Bouray (S.-et-O.).

     Aussy cependant les deux personnes d’authorité suspecte, dont nous avons parlé, soit par prudence, ou par autre motif, après avoir envoyé et receu sourdement divers émissaires, s’accordèrent autrement que nous, scavoir que quarante officiers principaux de l’armée resteroient seulement dans la ville, et tout le surplus dans les fauxbourgs jusqu’au lendemain, qu’elle promit partir vers Paris. De vérité, ou bien pour jouer le stratagème, tous les habitants du premier fauxbourg qu’estaient la pluspart vignerons, pleins d’effroy, meslés avec les gens de guerre accoururent vers nous, criant que sans madame de Chatillon, qui s’estait jettée à genoux, aux pieds de M. le Prince (c’estoit M. de Tavannes) l’on auroit déjà tiré les canons, lesquels estaient sur le pavé de la rue, et qu’on allait décharger si ne nous retirions. A ces mots aydés de la terreur de la nuit, de mille hurlemens d’enfants et de femmes fuyants à demi-nues, et de tous les désordres qui se voyent à la prise des villes, nous fusmes dans la presse entraisnés jusque sur le pont de la porte Saint-Pierre, ou le mesme officier d’artillerie, auquel le lieutenant [p.12] général la hallebarde en main fit quelques discours, me prenant d’amitié par le bras (ce qui ne nous estoit guère arrivé depuis quatre ans), me dit, retirons-nous, il faut cedder nous sommes trahis. En effet il vint prendre son cheval, et gaigna pays, comme j’aurais peut estre fait sans ma religieuse, et si mon nom avoit esté aussy connu que le sien dans les troupes.
 
     Je voulus encore rester en cet endroit pour voir la suite, ce ne fut plus qu’un embarras d’hommes, de harnois et de bestes entrans en foule; je faillis d’y estre estouffé et fus emporté bien loin de là sans toucher à terre, ainsy que beaucoup d’autres. Enfin je retournay au logis et au cloistre m’enquérir et veiller à ce qui se pouvoit faire de mieux en un si subit et funeste rencontre, pendant le reste de la nuit. 
Le Grand Condé sculpté par Antoine Coysevox
Monsieur le Price, alias Louis II de Bourbon-Condé
aussi appelé  le  Grand Condé

     Sur les sept ou huit heures du matin, toutes les troupes qui devoient loger aux autres fauxbourgs entrèrent l’espée nue à la main comme en une ville de conqueste, à la manière allemande (15). La pluspart s’en estoient promis le sac et le viol, pour rendre, disoient-ils, ce qu’on leur avoit presté chés eux. Ils se renversèrent aux hameaux et villages voisins jusqu’à deux ou trois lieues d’alentour, du costé d’Orléans et de Chartres, ou peu de filles et de femmes qu’ils rencontrèrent purent éviter leurs brutalités. 
     15. Cette armée se composait de 9,000 hommes environ commandée par trois chefs. Jacques de Saulx, comte de Tavannes, lieutenant généraI, commandait les troupes du prince de Condé; le comte de Valon, maréchal de camp, celles du duc d’Orléans; et le baron de Clinchamp, lieutenant général, avait sous ses ordres les Allemands et les Espagnols.
           
  
CHAPITRE II
[pp. 13-23]
 
Guerre et siège.
  
     Nostre lieutenant général homme de peu de lettres, mais du pays des fins, et assés versé dans le monde ne manqua pas dès le lendemain de faire valoir ce qu’il vouloit que je lui deusse; il me dit qu’on venoit de luy demander les deux grands garsons, qu’il entendoit de l’officier évadé et de moy; je luy respondis selon ma pensée, qu’on ne songeait pas apparemment à moy, qui n’avois paru qu’assés tard, et n’avoit point comme l’autre, le poids d’un homme de guerre.
  
     L’on n’a pas bien sceu si l’armée avoit dessein en entrant de rester à Estampes; les résolutions militaires, comme les plus éclatantes parmy les humaines, se forment et se changent suivant les occasions. Elle y trouva la pluspart des bleds de la Beausse, pour la raison cy devant touchée, mais Paris dont le feu n’estoit que de paille (qui estoit le symbole de la Fronde), commençoit à parler de mieux en mieux le langage du Louvre. Pour essayer de faire perdre cet accent, qu’on appelloit Mazarin, M. le Prince et MM. de Beaufort et de Nemours y accoururent de Montargis, avec dessein d’y faire approcher leurs troupes, ce qu’ils ne peurent exécuter: car les Royaux bien avisés le lendemain de l’entrée en nostre ville, campèrent proche Chastres (16), et ainsi firent barre entre deux. C’estoit la monnaye dont nos hostes nous payoient contre leur promesse de desloger. [p.14] D’ailleurs le Parlement se plaignoit déjà des désordres des autres troupes, qu’on voulut éloigner, au moins à dix lieues de la capitale, bien loin de réclamer ni souffrir, s’il eust pu, l’approche de cette nouvelIe armée. Aussi MademoiselIe voyant tout fondre vers Paris, qui estoit le gros clocher, et qu’elIe n’estoit plus guère nécessaire à Orléans, repassa par Estampes, ou elle séjourna deux jours, en attendant le passeport de la Cour (17).
François, duc de Beaufort
François de Beaufort, dit le roi des Halles


     16.
Aujourd’hui Arpajon. Cette petite ville fut érigée en marquisat au mois d’octobre 1720, en faveur de Louis de Séverac, marquis d’Arpajon, lieutenant général des armées du Roi.
 

     17. Cette princesse arriva à Estampes le 2 mai. 
     Les lieutenants généraux de l’armée, dix jours après leur arrivée en nostre ville (18), voulurent faire à cette amazone une galanterie guerrière, et le matin qu’elle partit, firent mettre hors des murs proche le lieu éminent de Guinette, toute l’armée sous les armes. 
     18. Le samedi 4 mai.
     M. de Turenne et M. d’Hoquincourt (auquel on avait naguère enlevé l’équipage en la rencontre de Bleneau), en ayant eu advis le jour précédent, pour estre de cette belle partie, et joindre leur harmonie à celle de MM. de Tavannes et de Clinchamp, firent rouler leurs canons et marcher leurs régimens toute la nuit, par les chemins creus et égarés de Villeconin, et remonter au deçà de Boissy-le-Sec. Quelques escadrons de l’armée royale commencèrent d’y paroistre, et furent, dit-on, les premiers découverts au milieu de ce bal militaire par cette illustre héroïne qui congédia aussytost les galans et les renvoya bien viste en leurs quartiers assez mal retranchés (19). 
  
     Mais M. d’Hoquincourt, auquel cette journée appartenait, à cause du commandement alternatif qui estoit entre les deux mareschaux de France, hastant le pas, et pointant ses pièces de campagne sur les hauteurs vers le fauxbourg Saint-Martin, y descendit à sa manière comme un foudre, à l’endroit qu’on appelle la rue de Chauffour, pendant que M. de Turenne coupa [p.15] en deça proche celle de Saclas qui joint le Haut-Pavé près la ville. 





     19.
Les régiments de Condé, de Conti et de Bourgogne, avec six autres allemands d’infanterie, occupaient le faubourg Saint-Martin qui était leur quartier, et les régiments de Brouc et de Vitemberg, de cavalerie d’environ 500 chevaux, étaient placés dans la plaine du petit Saint-Mars. 
 


     Cette action fut des plus belles, en plein jour, depuis neuf à dix heures du matin jusqu’à une heure après midy, que dura la chaleur du choc. Le premier fit différents combats au sujet des maisons et enclos, ou les ennemys se retranchoient de temps à autre, mais le principal fut aux environs du cimetière et de l’église Saint-Martin, qui estoit le dernier asyle de l’infanterie. Là après de grandes résistances et beaucoup de courage, il en fut fait plus de six cens prisonniers, malgré le soutien de la cavalerie postée dans une petite plaine assés proche du costé du Petit-Saint-Mars, laquelle enfin ploya aussi et eust grand peine à se rallier pour se retirer plus loing. Elle passa difficilement par la ville, et gagna avec le surplus, une éminence de l’autre costé, sur le bord du chemin de Pythiviers vers les Belles-Croix, jusqu’où ce vainqueur en haleine, ne pouvant les suivre, n’y traverser la prairie entrecoupée de deux rivières, et alors toute noyée, demandoit pourtant des guides pour aller encore attaquer et desfaire.
  
     M. de Turenne ce général à teste et à bras, n’eust pas tant de champ ny de part dans cette escarmouche, mais tout dépendoit presque de la seureté de son poste, en y faisant ferme et empeschant le secours de la ville, ce qui lui réussit, car d’abord il se rend maistre du petit terrain, qui est entre les moulins et la porte du Haut-Pavé, la force mesme et y entre assés avant jusqu’à ce que le régiment de Languedoc et d’autres troupes toutes fraisches sortans de la ville, obligèrent son régiment de reculer hors de cet autre fauxbourg, et d’abandonner quelques autres maisons, qu’il lui estoient aussy nécessaire de garder, que d’arrester les communications avec le reste de l’armée des Princes logée en ce fauxbourg. En effet, elle fut presque toute défaite ou prisonnière, entre autres les régimens français de Bourgogne et de Condé, et plusieurs de ses trangers. A cette deffense le colonel Brouc fut tué et regretté comme le premier homme de leurs troupes, après avoir fait merveilles, aussi bien que le lieutenant général Clinchamp, qu’on prétendoit avoir esté sauvé par l’argent de sa poche, sur lequel une baIe s’applatit, le jeune comte [p.16] de Quincé, de Broglio et tant d’autres braves officiers, seigneurs, volontaires et soldats de part et d’autre, y furent pareillement tués ou blessés (20).
Turenne par Philippe de Champaigne
Turenne





     20.
Dans ce combat, l’armée des Princes perdit 2,600 hommes environ, dont 900 tués ou blessés et 1,700 faits prisonniers. Le colonel Brouc, liégeois, fut tué d’un coup de mousquet au front, ainsi que le comte de Furstemberg et Le Fèvre, capitaine du régiment de Condé, fils du prevôt des marchands de Paris. Du côté de l’armée royale, le prince de Quincé et le comte de Broglie furent blessés grièvement.

     Mais ne trouveray-je point aussy quelque recoin icy pour raconter mes faits héroïques à la Parthe, ou à la Maure, et quelques minuties à dédaigner par les historiographes ordinaires? Au premier bruit de cette rude camisade ou bien pour  continuer le stile, de ce mauvais pas de balet, une telle harmonie nous écorchoit les oreilles, ce qui conseilla deux ou trois que nous estions, de monter aux clochers ou autres édifices élevés, Buon Pagnote, pour en avoir mieux le spectacle. Mais à peine vismes nous quelques régimens de la ville filer le long des murailles, au secours du Haut-Pavé, et ces nuées terrestres de coups de canon, qui couvroient le ravage de M. d’Hoquincourt. Cependant l’alarme estoit si grande au dedans de la ville, nullement encore fortifiée, que les plus intrépides, aussy bien que prudens chefs avoient déjà fait charger leur bagage, et je doute si l’on se fust appliqué d’abord ou peu après à l’assault, que l’armée en désordre ne se fust retirée par le costé libre du faux-bourg Saint-Pierre (21), Cette terreur nous surprit, et pour connoître le mal de plus près, je fus assez étourdi pour m’engager seul, bien armé, l’espée au costé et la baguette en main, environ les deux heures de relevée dans le Haut-Pavé, ou les balles de mousquetades siffloient vilainement et tombaient assez drue, principalement à main gauche, du costé de la prairie. La pluspart des maisons [p.17] presque attenantes à cet enclos estaient partagées entre les assaillants et les assaillis, et percées, d’où ceux de dedans faisaient feu nécessairement les uns contre les autres.








     21.
Cette remarque de René Hemard est exacte. L’alarme avait été si vive dans l’armée des Princes que les généraux qui la commandaient, dans un conseil de guerre, avaient résolu de ne laisser que l’infanterie dans Étampes, sous les ordres de Chavagnac, et de faire filer la nuit la cavalerie à Paris pour revenir avec les troupes du duc de Lorraine, qui étaient attendues.

     Après avoir écouté cette mélodie presque une heure, fait rencontre d’un jeune capitaine de Condé de ma connaissance, lequel tirant de sa poche une partie de l’estendard, me dit que c’estoit presque le reste du régiment, et après avoir reconnu près de la porte d’en bas assez bien garnie de fuselliers tirant sans relasche, où l’on estait plus à couvert, ceux qui visaient le mieux, j’entray dans l’hospital Saint-Jean, et sortis par une petite brèche jusque sur le derrière de la maison du mareschal, qu’estait hors la cloture. Il y avait là un petit corps de garde avancé, d’où l’on voyait à plein le gros de M. de Turenne, vis-à-vis, sur la colline, à quelques trois cens pas, enseignes déployées, avec cette fierté naturelle aux vainqueurs et à ceux qui désiraient vaincre encore davantage. Je m’entretins assés longtemps avec celuy qui commandait, lequel me presta mesme un tambour, pour envoyer demander la grace de parler à mon frère puisné, cornette en l’armée attaquante (22). Mais il n’estait pas à vingt pas, que ces escadrons se détachent et viennent à toute bride sur nous, qui nous retirasmes au plutôt par le mesme endroit; et je crois que de ma vie je ne courus si vite, au moins en si nombreuse campanie; tout ce qui estait dans les rues à pied et à cheval se creva presque à force de fuir, jusqu’à ce qu’on fust bien avant dans la ville. 








     22.
Claude Hémard, seigneur du Petit-Saint-Mars.

       L’on douta alors du dessein de cette noble furie, et s’ils ne voulaient point tenter le reste de la défaite, l’yssue apprit que c’estoit seulement pour dégager leurs hommes, qui estaient à escarmoucher dans les maisons, et pour se retirer, comme ils firent sur les quatre à cinq heures en bel ordre. Ils emmenèrent plus de mille prisonniers, outre pareil nombre mis à mort, ou hors d’estat de servir, sans que les Princes fissent mine de les harceler, ainsi que les relations arrivées deux ou trois jours [p.18] après de Paris exagéraient par une poursuite jusqu’à Etrechy (23).
  
     La réputation des armes, des royaumes, et des particuliers ne laisse pas de se fonder le plus souvent sur ces vausdevilles, qui s’impriment imprudemment et s’envoyent à Londres, à Vienne, à Madrid, à Rome, à Constantinople, et jusqu’au Nouveau-Monde; et quoy qu’ils soient ridicules en leur naissance, par la vérité vive qui les combat un temps, ils acquièrent peu à peu quelque maturité, parmy les cabinets éloignés et font foy dans les siècles à venir, qui ne sçavent presque ou avoir recours ailleurs.
     23. Malgré cette défaite éclatante, les Frondeurs ont eu l’audace de publier quatre relations dans lesquelles ils s’attribuent la victoire.
     Aussytost que l’armée fut partie, nous allasmes partout ce misérable fauxbourg: les charriots, les chevaux et les hommes à demy bruslés fumaient encore sur le pont qui sépare les deux moulins et ailleurs. Ce n’estait plus que gémissemens de personnes mourantes qui regretoient ceux qu’ils venaient de perdre; il estait peu aisé de distinguer quelle douleur estait plus grande des veufves de ces estrangers, ou de nos pauvres habitans, dont quelques femmes chargées de trois ou quatre petits enfants, avoient cherché leur refuge, ou les désespérés ont coustume de rencontrer la mort, c’est-à-dire au milieu de l’eau, qu’elles avaient jusqu’au col.
 
     Dès le lendemain tout changea de face, il ne s’agit plus, disent les généraux, de conserver une ville, mais de sauver le reste d’une armée que nostre complaisance a si fort mise au hazard et presque ruinée. L’on se moqua de régler les logemens dans l’hostel de ville, avec ses officiers, tout cantonne au dedans, les estrangers principalement maltraités en cette rencontre, se rangent au plus grand abry vers la prairie inondée, et les Français dans les lieux hauts plus exposés et moins deffendus. Il y eut quinze jours ou trois sepmaines de faux calme, ou se forment ordinairement les tempestes en mer, et les carreaux dans les airs. Il ne se faisait que quelques petits partis à piller les villages de la grande et petite Beausse vers Chartres et [p.19] Pythiviers, d’où les coureurs venoient la pluspart chargés sur de simples bidets cravates, d’une manière qui ne se pouvoit croire si l’on ne l’eust veue d’heure à autre. Et j’avoue que ma résistance naturelle à l’opinion des caractères, se relascha beaucoup à l’impression de ces petites bestes qu’on voyoit presque toutes couvertes d’un grand sac de bled et d’avoine, l’homme dessus armé de mousqueton et d’espée, avec deux gros paquets de volailles, en forme de fourreau de pistollets, et le plus souvent deux moutons attachés de la teste à la queue, ou quelque jeune taure, arriver de sept ou huit grandes lieues assés gayement.

     Paris estoit alors occupé dans les pourparlers et les députations à Saint-Germain, pour le bien de la paix souhaitée de tous les gens de bien. M. le prince qui vouloit peut-estre voir à fond le cœur de la populace, fit courir le bruit, dit-on, le II may, que le Mazarin battoit et vouloit se saisir de Saint-Cloud, et montant à cheval cria qu’il alloit le deffendre, et comme un autre Cyrus qui m’aime me suive. Plusieurs bourgeois armés l’accompagnèrent jusqu’au bois de Boulongne, qui estoit le rendés vous, mais la nuit venue il les fit marcher à Saint-Denis, qu’il prit sur les Suisses, et fut repris dès le lendemain par le marquis de Saint-Megrin. Ce qui rebrouilla plus que devant les affaires.

Portrait de Mazarin par Mignard
Portrait du cardinal Mazarin par Pierre Mignard.
     La Cour avoit quelque honte, de voir ces lions et ces aigles si près de soy, et l’Espagne avoit aussy de la crainte pour ses meilleures troupes déjà si fort écornées. La première résolut le siège d’Estampes, et l’autre suffira au secours par les bandes venales du duc de Lorraine. A cette nouvelle d’abord incertaine (dont j’eus advis particulier par mon aisné (24) alors en quartier chés le Roy, qui me conseillait de sortir), et laquelle on rendoit effroyable par le nombre de bombes, dont l’esclat frapoit déja l’imagination, chaque régiment commença de fortifier son poste de sa manière et selon la disposition du lieu. Mais quoy que les portes Saint-Jacques, Saint-Pierre et Saint-Martin [p.20] eussent bientôt leur demy-lunes, celles de la Couronne et du Chasteau estant bouchées, et deffendues par des canons et des couleuvrines qu’on avoit mis dessus, Touttefois le plus bel ouvrage fust élevé à la porte Dorée, comme à la plus faible, par le régiment de Vallois qui la gardoit, bien que la demy-lune à la porte de Languedoc dressée à l’angle qui respond à celuy des murs près la porte Saint-Martin, soit devenue plus fameuse par ses prises et reprises.





     24.
Pierre Hémard, seigneur de Gommerville.

     Le passage du Roy, de Saint-Germain à Melun, et le décampement de son armée ne nous laissèrent plus en doute, d’une prompte et rude vizite. L’on fit aussytost abbattre les maisons trop voisines des portes au dedans et au dehors, et mettre par deux fois le feu generalement dans tous les faubourgs, qu’on scait valloir la moitié de la ville, sans epargner ny cimetière ny chapelles, dont quelques destructeurs à plaizir furent accablés sous les ruines.

     En effet, le 27 may matin les troupes royales parurent sous la conduite de M. de Turenne seul, et commença l’ouverture des tranchées depuis le chemin de Paris, vis-à-vis les Capucins par en bas, jusqu’à l’endroit, où il estait venu naguères donner ce brave coup de poing, malgré les grandes resistances des assiégés qui taschèrent d’interrompre les travaux, de jour et de nuit (25).
     25. Cette tranchée partait des Capucins jusqu’à la ruelle au Loup qui aboutissait alors au Haut-Pavé devant l’Ecce homo.
     Le Lieutenant general du bailliage, un gentilhomme et moy estions au dessus de la porte du chasteau, quand l’armée arriva sur les hauteurs: on envoya d’abord contre nous, ou plutôt contre la tour, deux vollées de canon qui ne firent que blanchir, et dont nous vismes à l’ordinaire bien plutôt le feu et la fumée que nous n’entendismes les coups. Ce salut inopiné gasta nostre fière contenance, et nous renversant les uns sur les autres, faillit à nous faire rompre le col le long de la montée. Après tant de bravoures, et celles à suivre, voyés traittans de noblesse [p.21], si vos persecutions ont esté justes et si la qualité d’escuyer me pouvoit depuis estre contestée (26)? 
     26. René Hémard fait ici allusion au procès qui lui fut intenté en 1664, pour avoir pris, en 1651, la qualité d’écuyer à laquelle il n’avait pas droit, procès qui lui valut le 30 mars 1666 une condamnation à 660 livres d’amende.
     Il serait long et peut-estre pas nouveau de faire le détail de ce siège reglé: peu de jours et moins de nuits se passerent que les assiegés ne fissent des sorties. Le bombier du Roy fust pris (27) le deux ou troisième jour en une escarmouche, cela remit un peu nos esprits, qui s’en estoient figuré quelque chose de plus terrible que le diable. Les canons des assiegeans s’essayerent encore quelque temps en vain du costé du chasteau, et ensuite furent conduits et pointés à droite de l’église Saint-Gilles. Cete batterie fust beaucoup traversée par le régiment de Vallois, qui tenoit le dessous de ce poste, et par d’autres détachemens, aussy bien que celle auparavant dressée proche Guinette, dont les pièces se virent deux ou trois fois prestes d’estre roulées en bas, ou d’estre enclouées; elle ne laissa pas enfin de s’y bien establir, et l’on y voit encore les vestiges de cinq grandes embraseures, mais comme l’on tiroit de haut en bas, eIle ne fit pas grand effet. 


     27.
Il se nommait Cornélius.

Turenne      Entre toutes les sorties, il n’y en eut point de plus éclairée, generale, et funeste aux princes, que celle, ce me semble, du jour de la Feste-Dieu (28) qui fust faite par la porte Dorée. M. de Turenne adverti de cette nouvelle procession à laquelle il estoit alors plus devot qu’aux ordinaires de ce saint jour, mit presque toute l’armée en bataille. Il me souvient d’un beau stratageme que j’y vis, du haut d’une lucarne où je croyois estre à couvert et où une volée de canon égarée qui passa trop près m’estourdit au point de tomber à la renverse. Ses escadrons couvroient l’infanterie qui estoit derriere sur le ventre, et venoient pas à pas le pistollet au poing, comme pour choquer ceux des princes qui alloient à eux de mesme marche et posture; mais tout à coup, ils s’ouvrirent à droite et à gauche, firent jour à [p.22] l’infanterie et à l’artillerie, qui fit une decharge furieuse sur les ennemis, et en tuerent ou blesserent près de trois cens. Le marquis de La Londe en estoit (29), sa perte fut regrettée, et l’on en apporta en nostre logis cinq ou six tous fracassés, qui moururent peu à près sans aucun pansement. 
     28. Jeudi 30 mai.










     29.
Gaston de Bonnechose de La Londe, sieur de Taunay, lieutenant général des gendarmes du duc d’Orléans. Cet officier fâché de ce qu’à la première sortie plusieurs de ses gendarmes ne l’avaient pas suivi, leur fit essuyer par trois fois le feu de la mousqueterie des ennemis, mais étant à la tête de l’escadron, et obligeant ses hommes à leur devoir par son exemple, il fut blessé d’un coup de mousquet dans l’aine dont il mourut 24 heures après. S
on corps fut transporté à Paris et inhumé dans l’église des Carmes déchaussés.
     La commodité des rivieres, dont le faubourg Saint-Martin est arrosé, y attira et y fit estendre la pluspart du camp des attaquans; l’on creu pareillement que l’artillerie descendue dans le Haut-Pavé et aux environs auroit plus d’effet, comme il reussit à toutes les deux batteries. La premiere rompit la porte Saint-Martin, et par un hasard imprevu, brizant les chaisnes du pont-levis, le fit tomber, donnoit beau passage s’il y eut eu du monde prest, avant que les assiégés eussent eu le temps de brusler le pont, comme ils firent aussytost. La seconde frappant à plomb raza toute la courtine jusqu’à l’angle, ce qui parut d’abord une bresche raizonnable, et devoit estonner les assiégés, d’autant plus que la demy-lune de Languedoc qui fust prise et reprise un peu devant jusqu’à trois et quatre fois, en moins de dix heures, où s’estoient trouvés le duc d’Yorck, frere du roy d’Angleterre, le marquis de Vardes, Manciny neveu du cardinal Mazarin, et tant d’autres seigneurs, avoit enfin esté abandonnée du costé de la ville, et que le fossé de l’autre costé estoit gardé par les attaquans. Aussy M. de Turenne les envoya sommer trois fois de se rendre, sinon les menaça de l’assault, dans quatre heures, sans quartier. Mais eux voyant leurs forces, et le fossé encore assés roide, escarpé au dehors, avec de grands retranchemens faits au dedans, encherirent sur ces menaces. Ils disposèrent la cavalerie dont ils avaient mis six cens des plus braves à pied avec des faus emmanchées à l’envers, et l’infanterie [p.23] armée suivant l’occasion, à se bien deffendre, et mesme attaquer. Pendant que tout l’air et les bastimens fremissent de l’horrible mugissement d’infinis coups de canon tirés sans discontinuation, avec des redoublemens inconnus aux oreilles les plus guerrieres. Parmy ce tonnerre terrestre ou peu à près, ces assiegés à leur tour ne laisserent pas de faire une sortie avec quelque succès; et en cas qu’ils fussent forcés, méditoient de tirer un grand retranchement le long de l’estape, pour disputer ensuite le terrain pied à pied.
Turenne
Turenne

     Mais au milieu de ces agonies, le 7 juin l’on fust surpris en la ville, de voir tout le camp des royaux en feu, et eux partir en bel ordre; quelques troupes plutôt par forme qu’autrement, furent envoyées après et ne trouverent pas jour à de grandes entreprises (30). 
  
     Les armées ne furent pas plutost retirées, que les fumiers, les haillons, les cadavres et les autres puanteurs infectant l’air, reduisirent presque la ville et les environs en un hospital. Il se forma de vilaines mouches de grosseur prodigieuse, qui estoient inséparables des tables et des lits; le plus charitable amy et le meilleur parent, estant malade luy mesme, n’avoit que le cœur de reste pour soulager les siens. C’estoit une grande pompe funebre d’estre traisné sur une brouette au cimetiere, sans biere ny prestres, au lieu desquels l’on entendit que les croassemens en l’air d’oyseaux sinistres et carnaciers, inconnus jusqu’alors au pays, qui se rabatoient à tous momens, dans nos prés, nos terres et nos jardins, pour y faire curée de charongnes meslées des hommes et des bestes. 



     30.
L’armée royale leva le siège le 7 juin; mais l’armée des princes ne décampa d’Etampes que le 23 juin et se dirigea sur Saint-Cloud.
 
 
 
  
CHAPITRE III
[pp. 24-31]
 
Remarques durant le siège.
 
        Le Roy durant le siege, vint de Melun faire un tour au camp, et logea au chasteau de Brieres (31) à une demy lieue de la ville. L’on dit que l’artillerie des princes, qui estoit sur la plate-forme du chasteau, informée à tard de la présence de Sa Majesté, tira un coup de ce costé là qui est couvert par la montagne, assés près de sa suite. Cet attentat tout innocent qu’il peust estre, fit frémir ceux qui avoient l’amour du Prince et l’interest de la France bien imprimé au cœur (32).

     C’estoit aux environs de cette plate-forme, ou nous allions assés souvent voir comme d’un amphiteatre, plusieurs petits jeux militaires, assés agreables, pour dire vray, à des jeunes hommes, si c’eust esté ailleurs. Il n’y avoit peu d’heures qui n’eussent leur incident, et les sentinelles perpetuelles qui estoient au haut de la tour avec des arquebuses à croc, egratignoient toujours quelqu’un; il fault demeurer d’accord de la riposte, qu’il venoit aussy parfois mourir quelque plomb à nos [p.25] pieds, et que de deux ou trois curieux y furent blessés legerement, mais qu’estois-ce au prix du plaizir qu’il y avoit à voir ce qui se passoit tous les jours, à yssue du disner, au haut du Masche fer? (33) Il y avoit au pied de ce poste, un corps de garde avancé, et comme Bacchus a esté l’un des plus grands conquerants du monde, qu’Alexandre n’a fait que suivre, et n’a pu egaler, la pluspart des braves assiegés, enflammés de ce dieu au sortir du festin y accouroient, et se detachant sept ou huit provoquoient à cent pas de là, ceux de l’autre parti, de venir faire un coup de pistollet. Ils ne manquoient pas de s’y rendre au galop, et tout en jouant se faisaient sauter la cervelle. L’un retournoit le bras rompu, l’autre la jambe fracassée, celuy-cy à pied tiroit sur son cheval estropié, et celuy-la la machoire en sang; pendant que de vieux routiers fantassins à l’ombre d’un rideau, se traisnans sur le ventre, deregloient ces carrousels, et abbatoient sans hazard à loisir, les mieux emplumés de l’escadre, qui ne songeoient rien moins qu’à ces insectes rampans. Il arriva qu’un jour l’infanterie jalouze de ces deffis, en voulut estre à decouvert, aussy sans ordre, dans le mesme petit nombre d’abord: ils se couchoient dejà en joue, quand ils vinrent à se reconnoitre, est-ce toy La Ramée? comment te portes-tu Champagne? quoy c’est vous mon frere? ah! neveu je te croyois mort? quand boirons-nous ensemble camarade? et mettant tous les armes bas s’assemblerent plus de deux cens en un tourne main, à s’embrasser l’un l’autre; puis se quittant, lorsqu’ils furent à un juste eloignement ils s’entre saluerent de mousquetades, dont quinze ou vingt, eurent la teste cassée. Les chefs advertis de ces rudes reconciliations, et craignant avec raison quelque desertion, en empescherent la suite. D’ailleurs nos officiers de justice et de ville ne pouvant davantage cacher leurs sentimens françois, ny voir leur Roy à la porte sans le reconnoitre, hazarderent un billet de pur respect, que leur impuissance desarmée sauvoit de toute suspicion envers l’armée des princes. Toutefois l’emissaire ayant esté pris, [p.26] et trouvé saisi de ce simple acte de foy et hommage, l’on en fit grand bruit.
 

     31.
Le château de Brières-Ies-Scellés n’existe plus depuis longtemps, les bâtiments qui restent de cette habitation seigneuriale sont convertis en grange. 
 
 
     32. Le roi arriva au camp le 29 mai, et s’il faut en croire de Monglat dans ses Mémoires, il dépêcha au comte de Tavannes, Sainte-Marie, lieutenant de ses Suisses, avec un trompette, pour le prier de ne point faire tirer le canon pendant son passage. Mais Tavannes fit le malade, et envoya un allemand qui n’entendait point le français à Sainte-Marie. N’ayant pu se comprendre ils se séparèrent sans s’entendre, en sorte que, lorsque le roi passa, il fut salué de plusieurs volées de canon dont il y en eut une qui approcha assez près de sa personne. D’un autre côté, Tavannes, dans ses Mémoires, affirme que ce fut sans son ordre, et qu’il était à la porte d’Orléans, fort éloignée de la porte du château, pendant que l’on tirait à celle-ci. Quoi qu’il en soit, Louis XIV lui garda rancune et il le tint à l’écart.   [Nous joignons ici une critique d’Eugène THOISON, Les séjours des rois de France dans le Gâtinais, 1888, p. 31 (dont une saisie par le Corpus Etampois): Il n’est pas très exact de dire que Louis XIV vint à Étampes ce jour-là; le Roi vint seulement visiter les travaux du siège; Etampes, on le sait, était occupée par l’armée des Frondeurs. Rectifions à ce propos une petite erreur de R. Hémard. Celui-ci (La guerre d’Etampes en 1652) dit: «Le Roy, durant le siège, vint de Melun faire un tour au camp et logea au château de Brières.» M. Pinson, qui a publié ce récit dans les Annales de la Société historique du Gâtinais (t. Ier, 1883, p. 219; t. II, 1884, p. 11), met en note: «Le roi vint le 29 mai,»sans remarquer que le roi était alors à CORBEIL et non à MELUN.) Cette date du 29 mai est d’ailleurs exacte; nous lisons dans Dubuisson (Journal des guerres civiles, t. II, p. 230): «Mardi 28, avis de Corbeil que le roi en est parti avant jour... pour aller voir son armée.» Enfin les mémoires de Delaporte, valet de chambre de Louis XIV, disent expressément, p. 284, que le Roi partit de Corbeil. (B.G.)]

     33. La colline du Masche-Fer est située entre l’ancien et le nouveau cimetière des paroisses Saint-Basile et Notre-Dame.
     Le commandant du regiment de Conty-Cavalerie (34), logé en la maison ou j’estois pensionnaire, dont la rencontre de Bleneau avoit augmenté le crédit, et fort relevé l’équipage, de celuy du comte de Quincé, qu’il y avoit gagné, scavoit les fortes attaches que j’avois à l’aisné du maire de la ville; il m’en fit la guerre en pleine table, qu’il tenoit ouverte aux despens de son hoste, selon la magnificence du siecle et du mestier, et dit hautement, que s’il estait M. de Tavannes, devant qu’il fust nuit, mon prétendu beau-pere et les autres traistres de la cabale seraient branchés haut et court. Je luy respondis qu’il estait apparemment peu instruit des termes du chiffon intercepté, et que les officiers d’une foible place estaient bien empeschés en pareille occasion. Mais comme ce gentilhomme estait aussy violent que vaillant, et que je faisois peu de figure, il repliqua que l’écrit tel qu’il fust, meritoit la corde, dont il garderoit une partie pour ceux qui ozeroient le deffendre. Ce qui m’obligea de repartir un peu trop brusquement, que nous estions donc bien aise de ce qu’il n’estait pas encore général, et qu’on estait bien mechant quand on avoit huit ou neuf mille hommes avec soy; il se leva, et reprit qu’il me feroit jetter par les fenestres. Je n’en fis que rire; aussy cela ne fust pas executé, ou parceque j’avais les jambes un peu trop longues pour la croisée, ou parceque ma cheute aurait peut estre incommodé quelqu’un des passans par la rue.
     34. Ce commandant du régiment de Conty-Cavalerie était Henry de Hautfay, marquis de ]auvelle. Il mourut le 1er juin 1692, lieutenant-général des armées du roi, et capitaine de la 2" compagnie des mousquetaires, gouverneur du Maine. 
     Cela n’en mit guere à venir aux oreilles de l’amante, laquelle m’avait toujours sagement à son ordinaire recommandé la bonne intelligence avec ce capitaine, dont j’estais devenu le commensal. Le bruit de ces beaux exploits journaliers me força presque à l’accompagner plusieurs fois en ses sorties, pour en estre le plus proche temoin, si j’avais pu desobeir à celle à qui [p.27] je devois plus que la vie, que j’y pouvois perdre, et laquelle ne m’estoit guere précieuse qu’à ce seul titre. Les armes contraires me parurent aussy toujours plus justes, malgré tout le décri du mazarinisme. Depuis ce temps nostre petite paix se fit aisément, nous nous vismes encore à Paris, peu apres la retraite des troupes, et j’ay appris depuis cinq ou six ans avec joye, que le Roy qui l’avoit mis cornette et ensuite lieutenant-capitaine de ses mousquetaires, en faisoit une estime particuliere deue à sa vigueur et à ses acquis.  
  
     Il y eut durant le siège plusieurs prisonniers faits de part et d’autre, et j’estime mesme que beaucoup de gens d’esprit se laissoient prendre exprès pour mieux servir leur parti. Au moins le capitaine des gardes de M. de Mercœur et quelques autres retenus en ville, dont j’eus l’entretien avançoient dans la rencontre comme par hazard et sans dessein des discours, qui estoient capables de former de grands ombrages, et ensuite des divisions dangereuses parmy l’armée des princes; car parlant aux François, ils disoient agréablement que le feu s’en alloit bientost esteint; que le peuple ouvroit les yeux, et les troupes estrangères en pourparlers prestes à se retirer et sauver leurs restès. Quand ils conferoient avec les estrangers, ils les cajolloient sur leur fidélité envers le roy d’Espagne et envers l’archiduc, et qu’à leur exemple, chacun alloit retourner à son monarque, comme les branches au tronc, pour se joindre ensemble contre les anciens ennemys de l’Estat. Ce qui estoit fort politique, et donnoit d’estranges deffiances aux uns contre les autres. Il y avoit de la contre batterie, mais inegale, elle ne repondoit que faiblement à des reflexions si justes et si vraysemblables. 
  
     Toutefois que ne peut point la reputation d’un grand homme? L’on faisoit peu de sorties qu’on animast de la presence pretendue de M. le Prince, accouru, disoit-on, toute nuit, qui les attendoit avec quelque gros, hors des portes. Vous voyés au seul nom de ce heros, qui n’y vint jamais, ou, si l’on veut, à sa simple figure dont se rehaussoit l’imagination, que le plus malotru soldat devenoit un petit Mars. Il sembloit emaner de l’ombre de ce chef absent sur tous les membres de l’armée je [p.28] ne scay quelle ame nouvelle, generale et guerriere, qui les portait aux combats comme aux nopces. 
  
     Ils usaient encore d’une autre addresse, au moins parmy la soldatesque, que le feu de l’honneur et du devoir n’allume pas toujours à suffire; principalement envers le regiment de Languedoc, lequel estait plus exposé que les autres à cause de sa demy-lune bien plus avancée et moins travaillée que celle de Vallois, de sorte qu’ils n’allaient presque lever la garde que reliés sur le plein, et rechauffés jusqu’à l’excès de la liqueur belliqueuse; ce qui faisoit un si bel effet (du moins tant que les fumées duroient) qu’à la Lacedemonienne on les oyoit par les rues le capitaine en teste battant la mesure, tous chantans en leur marche, avec un air gay et tout preoccupé de la victoire. Harmoniam peperit marti Cytherea decoram.
Louis d'or dit à la mèche longue (Rouen, 1652)
Louis XIV sur un louis de 1652




Le Grand Condé sculpté par Antoine Coysevox
Monsieur le Price, alias Louis II de Bourbon-Condé
aussi appelé  le  Grand Condé

     Mais à propos de Cytherée ne dirons nous rien de nos martyrs amoureux, durant ces menaces reiterées d’assaults prets à livrer, et mesme, disait-on, ordonnés par M. de Turenne? Cinq ou six capitaines de Picardie et d’autres regimens qui estaient parens ou alliés de nos demoiselles (35), les envoyerent asseurer de ne rien craindre, que les gagnants des premiers la bresche, ils viendroient droit à leur logis avec leurs companies, les deffendre et les mettre à couvert. Ce mot me parut gaillard et un peu equivoque, outre que je les voyois presque resolues de se refugier avec d’autres, aux pieds des autels en l’église Nostre-Dame, ainsy qu’elles avoient déjà fait lors du balet de Guinette dansé au faubourg Saint-Martin. Leur pieté ne pouvoit pas s’imaginer que la milice osast porter ses insolences jusque-là. J’avoue qu’alors mon travail d’esprit fust extrême, et incapable de former aucune resolution, si ce n’estoit en cas d’extremité de les deffendre, et perir à leur veue. Mais j’estois un beau vent pour arrester tant de vaisseaux en une mer si orageuse qu’est la prise d’une ville par force. J’allay souvent vers la bresche, principalement la nuit, que les rues estoient presque aussy eclairées d’incendies et de feus, que le jour l’est [p.29] de lumiere, et je faillis plus d’une fois d’y estre arresté; mais c’estoit la moindre de mes craintes, sinon parceque je venais de temps à autre instruire ces cheres victimes, de l’estat des choses, et tascher de les consoler.



     35. Marie et Claude Baron, filles du maire.
     L’on commençoit bien à souffrir dans la ville par les vivres, le vin s’y vendoit trois ou quatre livres la pinte, et la cavalerie estoit presque reduite à nourrir les chevaux de bourgeons de vigne; de maniere que si la force du dehors n’en eust pas pu venir à bout dans huitaine, la faim et le deffault de fourrage auroient quelques jours après obligé les assiegés, ou la plus grande partie, qui ne cherchoit que des pretextes, de se retirer, par la porte Saint-Pierre. On l’avoit laissé toujours libre, soit faute de troupes, soit à dessein de favoriser le divorce important de la cavalerie d’avec l’infanterie. Il est vray que je me suis souvent estonné, comme la famine n’alla pas plus loing, et de ce que les assiegeans, si c’estoit tout de bon, ne jetterent point nostre riviere, laquelle est forcée dans la prairie, comme en son lit naturel, pour aneantir les moulins, et nous reduire sans farine.

     
Les affaires de la Cour, et les intrigues, qui sont comme attachées à la suite du duc de Lorraine, produisirent le subit changement de nostre delivrance. Le bruit ordinaire fut que M. de Turenne avoit levé le siege pour l’aller combattre et pour empescher l’union des armées. 
  
     L’extraordinaire a prevalu, que le decampement estoit une execution du traité fait entre M. de Chasteau-Neuf pour le Roy, et le duc de Lorraine par l’addresse de madame de Chevreuse sa parente, laquelle se servit efficacement de l’ancienne jalouzie qui est entre les maisons de Bourbon et de Lorraine. Mais ce duc dont la parolle n’a pas toujours esté inviolable, pressé par les princes de surseoir au retour de son armée composée de neuf mille hommes, jusqu’à ce que celle d’Estampes fust à couvert, ne repondit pas exactement à la bonne foy de la Cour. Il luy avoit promis de se retirer aussytost que le siege serait levé, mais ses longs delais firent resoudre le conseil de Sa Majesté, de le chasser à coups de canon.  
  
     M. de Turenne partit le lendemain 22 juin du camp d’Itteville [p.30] à cet effet, selon le souhait des princes, lesquels firent scavoir leur armée de sortir d’Estampes, et se rendre aux environs de Paris, sitost que le general auroit levé le piquet. Cela fust executé, et sur la nouvelle certaine confirmée par un exprès, que les troupes royales estoient decampées pour aller viziter les lorrains à Villeneuve-Saint-Georges, qui furent enfin obligés de sortir l’espée dans les reins et de prendre la route de Brie-Comte-Robert. Le tambour sortit aussytost pour le delogement, la cavalerie partit seule le 23 juin sur les huit heures du matin, et l’infanterie avec les bagages environ les quatre à cinq heures du soir du mesme jour. 
  
     J’eus le plaizir de voir en bonne compagnie, cette heureuse sortie et évacuation, d’une chambre haute du lieutenant géneral, qui logeoit alors en la grande rue, par ou tout devoit passer; mais à la queue, et comme nous ne songions plus qu’a benir Dieu de la grace de tant de perils echappés depuis deux mois que cette armée estoit entrée à Estampes, j’apperceus la fille de chambre de nos cheres demoiselles près la porte Saint-Jacques qui fuyoit parmi l’armée. Cela m’obligea de descendre au plus viste et courir après; je l’appellay, elle tourna teste, mais au lieu d’arrester elle doubla le pas. 
Charles IV de Lorraine
Charles IV de Lorraine



Marie de Rohan duchesse de Chevreuse, peinte par Claude Deuet en Diane chasseresse
Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse

     Je trouvay proche le couvent des capucins, le sieur de Gratelou, capitaine de l’altesse depuis mort dans les Indes, que le sieur de Bouville (36) gouverneur de Pithiviers, lieutenant des gensd’armes de son altesse royale, et allié de nos maistresses, avoit introduit chés elles. C’estoit un homme qui avoit l’esprit du monde, et qui tiroit gloire de pareilles pieces; il fit l’estonné de me voir, me jura qu’il ne participoit point à cette debauche, et qu’il venoit encore presentement à mes yeux de luy faire des remontrances inutiles pour retourner; je l’en remercie comme je le devois, en me moquant de ce qui se moquait, et luy dis enfin assés aigrement, que cet exploit de guerre estoit rare et digne de luy. Cependant la coquine monta sur un chariot vers [p.31] la Croix-de-Vernizet (37), et nous nous separasmes en grondant, au milieu des armes et des embarras de chevaux et d’equipages qui couvroient tout le chemin, et me permirent à peine le retour en ville.
     36. Cet officier qui commandait une compagnie d’ordonnances du duc d’Orléans, est cité dans une mazarinade comme s’étant particulièrement distingué pendant la durée du siège.



     37. C’est Croix-de-Vernailles qu’il faut lire. 
  
  
CHAPITRE IV
[pp. 31-36]
 
Réflexions sur l’entrée de l’armée de la Fronde à Estampes (38).
 
     Le recit syncere fait au premier chapitre de cette entrée n’a pas besoin d’autre apologie, et, s’il y manque quelque chose, l’on a qu’à recourir au renvoy indiqué, c’est-à-dire en l’epitre de mes rimailleries de 1653, ou les playes estant toutes recentes lors de l’impression, les idées en pouvoient estre moins suspectes d’oubli. Mais comme depuis en 1663, j’achetai toutes les copies, que je pus trouver au Palais et ailleurs, de cet avorton un peu trop enjoué que j’ai bruslées (39), il sera peut-estre à propos d’inserer à la fin des presens memoires, autant de cette lettre liminaire, affin de repeter moins icy, ce que j’en ay pu dire sans fard et du fond de mon cœur. 
  
     Si pourtant l’on desire encore de nostre ingenuité, quelques lignes du mesme style, elle aura peine à les refuser. Le motif du préjudice que sa réputation prenoit, ne l’emportera jamais sur celuy de l’utilité publique, que cette petite ouverture sçaura [p.32] procurer en attirant quelque plume habile et genereuse pour plaindre un malheur, plutôt que pour justifier une faute. 
  
     Estampes n’est pas une ville frontière, ny forte, et ainsy elle n’a jamais esté assujettie aux lois d’une garde reglée. Le siècle dernier l’a veüe en meilleur estat et prise trois fois en quatre mois durant l’année 1590, sans avoir esté alors ny depuis dans la liberté d’ouvrir son cœur et ses levres, ny fermer ses portes pour l’un ou l’autre party; son assiette gauche et sa grandeur mal peuplée ont toujours trahi son courage, et les Rois tout puissans qu’ils soient, n’en ayant sceu ny voulu faire une place de defense, ont apres les guerres esteintes, moins pensé de chastier, que de soulager sa feblesse. Il ne fault point s’egarer en des exemples anciens ou des raisonnements estrangers, le fait se deffend de lui-mesme. 
  
     Une armée entiere, presqu’égale a celle qui l’assiégeoit, a manqué d’estre forcée, ou de se rendre en douze jours, et l’auroit esté sans doute, au moins contrainte de se retirer, si le siege eust continué encore une semaine, quoiqu’un hazard malheureux y eut fait venir des munitions extraordinaires, et que les ingénieurs eussent épuisé leur art en de nouvelles fortifications. 
  
     Que pouvoit donc faire un chetif peuple non aguéri en general, sans garnizon ni fortifications, sans canon, sans advis, surpris, et au milieu de la nuit, contre une armée nombreuse, de troupes choisies et victorieuses à Bleneau, garnie d’artillerie, qu’on a sceu depuis estre poussée, et laquelle n’esperant son salut qu’en nos murs, auroit surpassé sa vigueur et fureur ordinaire, à nous forcer et à se couvrir? 
     38. Ce chapitre n’est pas inédit. M. Henry de la Bigne l’a publié dans les nos des 22 et 29 avril 1871 du journal l’Abeille d’Étampes. 
 



     39.
Cet auto-da-fé des exemplaires de l’édition originale des Restes de la guerre d’Estampes explique la cause de la grande rareté de ce livre si recherché aujourd’hui par les bibliophiles.






La porte de Paris, les murs et la Tour de Guinette au début du XVIIIe siècle
     La porte de Paris, les murs et la Tour de Guinette au début du XVIIIe siècle (huile sur toile conservée au Musée d’Étampes, qui passe pour une copie XIXe siècle d’un tableau perdu du début du XVIIIe siècle, par Philippe Delisle) (B.G.)
     Il n’y avoit (ainsy que je crois l’avoir dit ailleurs) qu’à nous avertir qu’on estoit à leurs trousses, et de tenir bon quelques heures plus qu’on ne le fit, sous pretextes d’emotions populaires, de partage d’advis, de contestations sur la composition, de troupes royales aux autres portes, et de pareils amusements vraysemblables, bien qu’on eust deja tenu assés longtemps pour entreprendre de grandes choses.

     Mais l’on n’eust point de nouvelle de l’armée du Roy qui estait trop bien conduite pour y manquer, si le conseil n’avoit [p.33] peut-estre souhaitté ce leurre, en donnant un os à ronger, et n’eust armé mieux ces troupes à Estampes que plus près de Paris. On ne vouloit pas hazarder une bataille à la veille de l’accommodement, et dans laquelle en cas d’avantage, il y auroit toujours eu trop de sang françois respandu par soy mesme, pendant qu’il estoit si nécessaire sur toutes les frontières, contre de vrais et durables ennemis.

     Je scay qu’on  a hablé tant de fois auprès et au loin, qu’on pouvoit rompre les ponts. Cette objection est maligne, si elle est faite par ceux du pays, qui scavent ce que c’est que ces ponts qui ne se levent point, qu’un bon sauteur enjamberait aisément, et lesquels seroient refaits en un moment, meilleurs qu’auparavant, en y faisant jetter quelques soliveaux par de simples goujats renforcés; sans parler de ces demons d’armée que nous vismes depuis avec leurs crocs et autres engins, mettre en un tourne main des maisons entieres à bas, et ainsy fournir dans une heure, de quoy couvrir cent fossés estroits comme les nostres.
 
Louis d'or dit à la mèche longue (Rouen, 1652)
Louis XIV sur un louis de 1652
     Les verités pratiques ne plaizent pas à ceux qui nous en veulent, ou qui ne pouvant trouver des degrés à leur ambition singulière, que sur les debris de la cause publique, essayent à éblouir des fausses lueurs de maximes spéculatives, et crient qu’il fait toujours beau se perdre pour son Roy. Qui en doute, sinon ceux qui parlent souvent plus des levres que du cœur. Il ne faut pas pour cela que l’impudence devienne aisément le sujet de la gloire de ses ennemis, il est à propos qu’il en couste cher à qui nous voulons resister, et avoir moins de langue que de bras. Autrement c’est manquer de cervelle, et concourir sottement au bien et à la reputation de nos adversaires; c’est leur prodiguer des trionfes, dont le seul nom, sans en examiner le fondement ni les circonstances, est toujours de dangereuse conséquence en matière d’Estat. 
  
     Il y avait alors à Estampes, comme ailleurs, des ames marquées au bon coin, et de nobles caractères: elles scavoient que la vie ne peut rompre contre un plus bel ecueil, qu’au service de son monarque, qu’en ce cas l’on ne distingue guere de celuy de Dieu. Et pour revenir aux termes fanfarons, elles auroient [p.34] bien aymé s’y perdre, mais utilement, et que leur sang eust servi à autre chose, qu’aux pretextes de brusler les églises, piller les sacristies, violer les dames, diffamer les familles, et generalement deshonorer à jamais toute une ville, sans aucun fruit ny agrement pour l’Estat, et à la seule honte de la France et de la postérité. Cela sembloit inevitable et s’est confirmé tel par les excès et brutalités exercés ailleurs le mesme jour. 
  
     Ce n’est pas pourtant que je veuille excuser ceux qu’on accuse d’avoir attiré cet orage. Quand la perfidie de ces particuliers nous auroit sauvé, ils n’en seroient pas moins coupables, bien loing d’attendre les louanges et les remerciemens, qu’ils ont ozé s’arroger, jusqu’à se vouloir ennoblir par des actions qui feroient de grader les autres. Il s’est trouvé des coups heureux contre l’intention de ceux qui les donnoient, on a crevé des apostumes internes en pensant oster la vie. Les persecutions contre l’eglise ont fait son affermissement et ont achevé la couronne d’un million de martyrs, et pour nous renfermer en nous-mesme, toute la France deviendra peut-estre plus sage après ces echapées particulieres.

     
Notre nef s’est estudiée, raffermie en son agitation. Il semble quasi nécessaire que les mauvaises humeurs de ces grands corps sortent de temps en temps, et qu’on en vienne jusqu’à de larges saignées; mais encore une fois nous sommes bien esloignés d’applaudir aux traistres et aux meurtriers, aux brouillons et aux tyrans. Le ciel qui n’a qu’un Dieu dominateur de tout, est autheur de la subordination. Il faut de l’ordre, de la dependance et de l’authorité, ou rappeler le chaos dans la nature.

     Rome dont les revolutions imperieuses sont le plus seur miroir du reste de l’univers, a essayé de toute sorte de gouvernement, et n’en a point trouvé de plus ferme que le monarchique, qu’elle retient encore dans les mains d’un seul par des clefs qui ouvrent et qui vont jusqu’au ciel, quand elle n’en a pu ce semble garder ses aigles abastardies en terre. La pluspart des autres estats se sont arrestés à cet empire unique, ou y ont bientost retournés. 
  
     Une simple famille n’iroit pas bien si elle manquoit d’un chef [p.35] audessus des autres. Depuis le desordre du premier homme, dit saint Augustin, luy qui auparavant avoit l’empire sur les bestes et n’obeissoit qu’à Dieu; après son attentat fut privé de son sceptre, et l’a mis sous celuy de ses semblables. L’Angleterre, qui avec son bransle voisin contribuoit peut-estre au nostre, a redonné le sceptre à son prince legitime, elle a veu bien vite qu’on avoit changé que de main, et que le bras de celuy qui prenoit le nom specieux de protecteur, estoit aussy rude et pour le moins aussy pezant que celuy du Roy, dont l’éclat fait plus de jalousie que de mal, et qu’on voudroit souvent à soy, ce qu’on ne peut souffrir à un autre. 
 
    
Il se peut faire qu’on en abuse, mais les remedes de la terre n’arrivent gueres jusqu’à ces testes si elevées: il fault avoir recours au supérieur, monter spirituellement jusque dans le ciel, et n’avoir point d’autre ligne ou union qu’avec Dieu, qui nous les donne, et scait par des voyes autant secretes qu’infaillibles, toucher le cœur de nos maistres, allonger ou racourcir le bras suivant qu’il le juge à propos pour nostre bien present ou futur, et pour sa gloire. Il en fault demeurer là; autrement, dit un moderne, c’est vouloir entrer au cabinet de Dieu, et nous ne sommes icy que dans la grande basse-cour. Laissons le faire, ses desseins eternels auront leur yssue immuable malgré nous et sans nous. Un million d’hommes armés fussent-ils tous des Cesars et des Alexandres, ne les scauroient avancer ou reculer d’un seul moment: Reges in ipsos imperium est. 
  
     Les plus sages d’entre les payens, ont eu ce principe, et se sont tenus fermes à l’anchre de la Providence en des pareils comminatoires de naufrages apparens, malgré tous les vents contraires des opinions populaires, outre qu’ils scavoient la difficulté de bien regner, et que la posterité ne souffle que d’en haut. 
  
     Mais comment des chrestiens veritables, persuadés qu’il fault necessairement souffrir pour meriter leur nom principalement 
au milieu du royaume tres chrestien, qui peut-estre veut dire, tres souffrant, ozent-ils porter la main à d’autres armes qu’à celles de la soumission et de la patience? Il fault estre au dessus du commun et avoir une ame toute extra-ordinaire, pour s’attirer [p.36] de gayeté de cœur les injures et les croix, aut mori, aut pati: les endurer quand elles viennent sans estre mandées, doit estre d’un homme ordinaire, un peu penetré de l’Evangile, après quelques petits murmures de la nature et les courtes rebellions d’une lasche concupiscence. C’est comme le train particulier de nostre domestique; les miseres generales et dont les causes secondes sont bien plus reculées et incertaines ont droit de nous trouver encore plus soumis: bien loing de courir au feu, qui ne sert qu’à nous brusler davantage, et à la vangeance, ou nous prenons souvent l’un pour l’autre. 
  
     Graces à Dieu, nous n’estions pas en ce mauvais estat, jamais jeune monarque n’eust les inclinations et les manieres plus belles, plus sages et plus dominantes. 
Saint Augustin
Saint Augustin
   
Source: Édition de 1884 par Pinson, saisie par François Jousset, janvier 2003.
   
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
     
Éditions

     1) Henry de LA BIGNE [éd.] «?» [première édition du dernier chapitre de la Guerre d’Étampes en 1652], in Abeille d’Étampes (22 avril 1871), p. ? &  (22 avril 1871), p. ?. 
  
     2) Paul PINSON [éd.], «La Guerre d’Estampes en 1652, par René Hémard. Relation inédite, annotée et publiée par Paul Pinson», in Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais 1 (1883), pp. 219-? & 2 (1884), p. 11-? [au total 36 p., dont un extrait in-8°, ci-dessous]. 
  
     3) Paul PINSON [éd.], La Guerre d’Estampes en 1652, par René Hémard. Relation inédite, annotée et publiée par Paul Pinson [in-8°; 36 p.; pièce; extrait des Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais; introduction datée du 2 septembre 1883], Paris, Champion, 1884. 
  
     4) François JOUSSET & Bernard GINESTE [éd.], «René Hémard: La Guerre d’Estampes en 1652 (édition 1884 de Pinson)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-renehemard-guerre.html, janvier 2003.   

Autres sources
       
     René HÉMARD, Les Restes de la guerre d’Estampes, par le sieur Hémard [in-12; 17 ff.+145 p.], Paris, L. Chamhoudry, 1653. 

     Paul PINSON [éd.], Un disciple de Montaigne: fragments inédits de René Hémard,... publiés d’après le manuscrit autographe de l’auteur et précédés d’une introduction, par Paul Pinson [in-8°; 24 p.; extrait de l’Abeille d’Étampes], Paris, A. Aubry, 1868 

     Paul PINSON [éd.], La prise d’Etampes, poëme latin inédit de Pierre Baron, maire de la ville en 1652, traduit en français avec le texte en regard et des notes, et précédé d’une notice biographique sur l’auteur par Paul Pinson [in-18; 45 p.], Paris : L. Willem, 1869. 

     Paul PINSON [éd.], Les Restes de la guerre d’Estampes, par le sieur Hémard, précédés d’une notice sur la vie et les écrits de l’auteur, par Paul Pinson [in-16; XXIX+150 p.; avec une «Notice sur la vie et les écrits de l’auteur»], Paris, L. Willem, 1880. 

1652 dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE [éd.], «Petrus Baron: Stemparum Halosis (texte latin de 1654)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis.html, janvier 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (édition bilingue annotée de Pinson, 1869)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis-bilingue.html, janvier 2004. 

     Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (traduction Pinson seule)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-baron1654prisedetampes.html, janvier 2004. 

     François JOUSSET & Bernard GINESTE [éd.], «René Hémard: La Guerre d’Estampes en 1652 (édition 1884 de Pinson)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-renehemard-guerre.html, janvier 2003.   
 
     Bernard GINESTE [éd.], «Basile Fleureau: Recit veritable de ce qui s’est passé au siege de la Ville d’Estampes en l’année 1652 (édition de 1681)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b44.html, janvier 2003. 2e édition illustrée et annotée: mai 2007.

     André BELLON, «Antoine Pecaudy», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-1652pecaudy-bellon.html, 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Turenne: Lettres relatives au siège d’Étampes (avril-mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-turenne1652lettres.html, 2007.


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