CORPUS  HISTORIQUE  ÉTAMPOIS
 
Marie Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal
Deux lettres à la reine de Pologne
sur la misère de Paris et d’Étampes, mai-juin 1652
   
Mère Marie Angélique peinte par Philipippe de Champaigne en 1654
Mère Marie-Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal
Marie-Louise de Gonzague reine de Pologne, par un peintre polonais inconnu
Marie-Louise de Gonzague, reine de Pologne
 
     Le 16 mai 1652, l’abbesse de Port-Royal remercie la reine de Pologne de l’envoi de 12.000 livres en faveur des malheureuses victimes de la Fronde. Le 24 juin elle lui annonce qu’un tiers vient d’en être consacré à soulager la misère effroyable des Étampois. Fin juillet, il semble que l’abbesse de Port-Royal soit écartée de la gestion de ce fonds, confiée uniquement à Mlle de Lamoignon, c’est-à-dire à saint Vincent de Paul.
Bernard Gineste, novembre 2008
 
     
Marie Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal
Deux lettres à la reine de Pologne
sur la misère de Paris et d’Étampes, mai-juin 1652
 
 
     Voici un document intéressant directement l’histoire d’Étampes, où l’on voit en œuvre, au milieu des épouvantables épreuves de la Fronde, trois femmes atterrées autant par la cruelle insouciance de l’aristocratie de leur temps que par les atrocités qui se multiplient alors.

     La reine de Pologne est alors une princesse française, Marie-Louise de Gonzague, ou de Gonzague-Nevers, ou encore de Mantoue (1611-1667). Elle avait d’abord épousé le roi de Pologne Ladislas IV Vasa en 1646. Quand elle en fut veuve, elle se remaria à son frère Jean II Casimir Vasa en 1649. Ce dernier, avant d’être appelé à succéder à son frère, avait songé à se faire jésuite. Un an après la mort de sa femme, il abdiqua et se retira en France où il devint abbé de Saint-Martin de Nevers. Tout ceci indique à quel point de piété se portait alors une partie de l’aristocratie européenne. De son côté la reine de Pologne était en relation épistolaire constante avec l’abbesse de Port-Royal.


     L’abbaye de Port-Royal est alors au centre d’une mouvance spirituelle qu’on caractérise généralement sous le terme générique de jansénisme, et qui est animée de débats parfois assez vifs, notamment à l’encontre de la spiritualité jésuite.
Ce n’est cependant qu’en 1653 que les thèses fondamentales du jansénisme seront officiellement condamnées par la bulle Cum occasione.

     La reine de Pologne est aussi en relation avec Mademoiselle de Lamoignon, fille de Chrétien de Lamoignon
(1567-1636), président à mortier du Parlement de Paris en 1633, et de Marie des Landes, autres personnages de grande piété, activement soucieux de la misère du peuple. Marie des Landes déjà avait crée une Association pour la délivrance des prisonniers pour dettes.
     
     Madeleine de Lamoignon (1609-1687), l’une de leurs vingt enfants, préparé à sa première communion par saint François de Sales, se fit très tôt la collaboratrice de saint Vincent de Paul (1580-1660), à qui elle fut très utile lors de la fondation de plusieurs organisations charitables, dont surtout l’hôpital des Enfants-Trouvés de Paris.
La reine de Pologne était d’ailleurs aussi en relation épistolaire avec Vincent de Paul, qui avait envoyé dès 1651 certains de ses missionnaires soigner les pestiférés de Varsovie.

     Au début de mai 1652, Marie-Louise de Gonzague, avertie de la grande misère qui découlait pour le peuple de France des continuels combats de la Fronde, envoya 12.000 livres pour les œ
uvres de charité qu’on ferait en leur faveur, et elle confia la gestion de cet argent tant à Mlle de Lamoignon qu’à la mère Angélique de Sainte-Magdeleine. Le 16 mai, l’abbesse de Port-Royal la remercie de cette donation. Le 28 juin elle l’avertit qu’elle a pris sur elle d’en consacrer un tiers à soulager la misère effroyable des Étampois.

     Avec cet argent, on put recruter à Étampes des hommes capables d’enterrer les monceaux de cadavres qui encombraient alors la ville, et soulager pour un temps la faim des survivants. Il ne faut pas perdre la mémoire de tous les héros qui moururent sur ce front-là de la Fronde. Car les missionnaires de Vincent de Paul tombaient comme des mouches, pour l’amour de Dieu et de ses pauvres créatures.


Bernard Gineste, novembre 2008
Louise-Marie de Gonzague, reine de Pologne
La reine de Pologne.



Mère Marie-Angélique, gravure d'après Philippe de Champaigne
L’abbesse de Port-Royal



Madeleine de Lamoignon (gravure de Gerard Edelinck, 1640-1707, d'après un portrait par Eustache Le Sueur, 1616-1655)
Madeleine de Lamoignon




Marie Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal
Deux lettres à la reine de Pologne
sur la misère de Paris et d’Étampes, mai-juin 1652


Lettre CCCXXXII.
     A la Reine de Pologne. Elle lui parle en detail de l’etat de Port-Royal des Champs, des Solitaires, & des malheurs de la guerre.
16. Mai.
De P. R. de Paris


     MADAME. Ayant appris que les malheurs de nos guerres n’empêchent pas pas qu’on ne puisse avoir l’honneur d’écrire à Votre Majesté surement, j’ai cru que je ne devois pas differer davantage à lui rendre compte de ce qu’il lui a plu me commander touchant l’état des Hermites de la Maison des Champs. Je vous dirai, Madame, qu’ils sont vingt cinq qui par la grace de Dieu servent le Seigneur avec grande vertu & devotion. Il en est deja mort cinq très heureusement*, & s’il y avoit plus de bâ[ti]mens il seraient bientôt remplis, y ayant des personnes qui demandent tous les jours place, qui viennent de cinquante, soixante & quatre vingts lieues, pour faire penitence. Ceux qui sont engagés dans le monde s’en retournent; les autres ne s’y peuvent resoudre, & demeurent proche d’ici quand ils ne peuvent avoir place à Port-Royal.


     * MM. Lindo, Manguelen, Vizaquet, Magnart & Pallu. [note de l’édition de 1742]
     J’ai deja écrit à Votre Majesté que M. le Duc de Luines a fait bâtir un petit Château tout proche l’Abbaye, pour se retirer. En attendant qu’il ait été fait, il a demeuré avec les autres, vivant avec une humilité & devotion toute extrordinaire [sic]. Lui & quelques autres de nos amis , voyant [p.111] que nous étions très incommodées & que nous n’avions point de cellules, & d’ailleurs peu de place pour recevoir le grand nombre de Filles qui se presentent à nous, même de Religieuses d’autres Maisons dont nous avons deja plus de vingt, se sont resolus, sans que nous ayons jamais songé à les en prier, de faire rehausser notre Parloir, y faisant deux étages, où il y aura soixante cellules; & parce que notre Eglise étoit très humide, ce bon Seigneur la faite [sic] rehausser de huit pieds, de sorte qu’au lieu qu’on y descendoit, on y monte des lieux bas, où elle est à plein pied du Dortoir: ce qui la rendra très saine. Il a fait commencer cet ouvrage avant Pâques, & le fait continuer au milieu de la guerre qui l’a obligé de se retirer dans son Château avec tous nos Messieurs, & tous nos domestiques. On y a mis tout ce que nous avons laissé de meubles, que nous n’avons pu apporter à cause qu’on ne pouvoit passer, les troupes qui pillent tout étant sur le chemin. Ce bon Seigneur passa la nuit entiere à faire tout demenager & porter en sa presence dans les galettas de son Château & dans les caves. Il a mis ses chevaux & les nôtres aussi bien que nos vaches dans les fossés.




      Comme M. Du Gué de Bagnols. [note de l’édition de 1742]
     Ils sont plus de cent dans ce Château, qui est petit & qui n’étoit pas achevé quand nous sommes parties. M. le Duc de Luines a encore mis vingt cinq ou trente hommes pour garder notre Monastere, & a garni tout ce monde de fusils & de mousquets. Tous nos Hermites ont repris l’épée,& avec cela par permission ils ont ôté le très saint Sacrement de l’Abbaye, parce qu’il n’y étoit pas [p.112] en sureté, & l’ont mis au Château, où ils font jour & nuit l’assistance du S. Sacrement, ceux qui sont de garde y allant les uns après les autres.

    Notre bon Duc fait de plus fortifier l’Abbaye, afin que nous ne soyons plus obligées d’en sortir une autre fois. Il y a plus de deux cens cinquante ouvriers qui travaillent. Il me dit en sortant que notre Monastere se bâtiroit comme le Temple de Jerusalem avec la truelle & l’épée, & qu’il le feroit si bien depêcher que nous le trouverions tout en état. Il a fait faire une ligne de communication entre son Château & l’Abbaye pour le secourir en cas d’attaque, & il vient tous les jours plusieurs fois voir les ouvriers. Les gens de guerre n’y ont pas encore été, graces à Dieu, bien que les environs soient tous pillés & qu’on n’ait du respect pour personne. Il en a logé mille en notre ferme qui est tout proche de la Maison, mais il n’ont point fait de desordre. On avoit ôté tous les meubles & bestiaux, de sorte qu’ils n’ont brulé que du bois, & un peu scié de notre bled, mais par tout aux environs ils n’en ont point laissé du tout; ce qui desespere les pauvres laboureurs deja ruinés des années passées qui ont été tres steriles. Celle-ci promettoit une extraordinaire abondance, mais Dieu veut châtier nos pechés par toute sorte de miseres.

     Sans les travaux de M. de Luines & les aumônes qu’il fait, qui nourrissent plus de cinq cens personnes, la plûpart retirées dans les bois par la crainte des soldats qui assomment ceux qu’ils trouvent, tous periroient de faim. La bonne mere Louise qui [p.113] a l’honneur d’être connue de Votre Majesté, & que nous ayons laissée pour garder la Maison avec trois autres femmes de son âge, est aussi au Château. Comme par le tracas du demenagement depuis notre sortie, on avoit manqué de faire le potage des pauvres, lequel en nourrit deux cens qui se passent pour cela de toute nourriture, elle alla trouver M. de Luines & lui dit: Mon bon Monsieur, vos armes sont des fusils & des mousquets, mais la grande chaudière de nos pauvres c’est un gros canon, il la faut retablir, s’il vous plait: ce qui a été fait.

     J’ose dire toutes ces particularités à Votre Majesté, sachant que sa bonté est si grande qu’elle aura agreable la peine qu’elle aura a les lire. Avec toute la defense du Château & de l’Abbaye nous ne laissons pas d’être en crainte qu’on ne les force, si Dieu ne nous donne bientôt la paix.

     La licence des soldats est si horrible & tout le pays si ruiné, qu’entre ci & Port-Royal il n’y a pas une ame dans les villages; de sorte que ne trouvant plus de pain, ils forcent tous les lieux où ils croient qu’il y en a. Jamais on n’a vu de si grands desordres, & on nous fait tous les jours peur ici & aux Carmelites, en disant que nous ne sommes pas en sureté, & que nous devrions nous retirer dans la ville, où d’ailleurs on craint beaucoup la sedition, le peuple étant tout en furie de la grande cherté que causent toutes ces ruines.

     Tout Paris est rempli de Religieuses: ce qui nous a obligées de recevoir de très bonnes Filles qui ne savoient où se retirer, de sorte que nous sommes cent soixante. Madame de Guimené a eu la bonté de nous [p.114] prêter son logement pour nous mettre, une partie n’ayant pas assez de place; & Dieu nous pourvoit par sa grace d’une telle maniere que nous ne manquons de rien. Madame des Essarts nous a appris avant-hier que la Lettre de l’aumône de deux mille francs, qu’il plaît à Votre Majesté nous envoyer pour nos Hermites, est arrivée. Nous en rendons très humblement graces à Votre Majesté. Je l’emploierai à achever un bâtiment qui fut commencé l’an passé, & à reparer ce que la guerre aura gâté de leurs ameublemens.

     Pour ce qui est des fondations l’on n’a point pensé a en faire. Nous voyons que la misere est si grande que toutes choses dechoient avec le tems, même les meilleures & les plus saintes; de sorte qu’il faut faire ce que l’on peut pour le present, et laisser l’avenir à la divine providence. Mais on pense seulement, quand Dieu le voudra, à bâtir proche de la Maison douze Hermitages, où se retireront ceux de nos Messieurs à qui Dieu en donne le desir & qu’on y croiroit appelles, & à mesure qu’ils mourroient, on les rempliroit de ceux qui seroient deja éprouvés, tant qu’il plairoit à Dieu y en appeller. Tous pourroient sans sortir aller à une Chapelle où un Prêtre leur diroit la sainte Messe. Nous en avons quatre. Que si Dieu inspire à Votre Majesté de bâtir quelques-uns de ces Hermitages, elle le pourra, mais je la supplie très humblement qu’elle continue dans cette pureté d’intention de ne le faire que pour lui seul, afin que ceux qui les habiteront demandent misericorde pour elle, qui d’ailleurs ne peut manquer de rencontrer des occasions d’employer saintement son [p.115] bien dans son Royaume, qui doit toujours être preferé aux pays qui lui sont étrangers.

      J’ai aussi appris, Madame, que Votre Majesté ayant compassion des miseres de nos pauvres de France, envoie douze mille livres pour être distribuées aux pauvres, & qu’il lui a plu d’ordonner que ce seroit par les ordres de Mademoiselle de Lamoignon & de moi. Or, Madame, afin qu’on suive en tout l’intention charitable de Votre Majesté, je la supplie très humblement de nous faire savoir si elle approuve la pensée que j’ai que l’aumône ne peut être mieux employée qu’aux pauvres de la campagne qui sont entierement ruinés, même les laboureurs qui ne se releveront jamais s’ils ne sont secourus. On pourroit prêter à quelques-
uns pour un tems une somme qu’on donneroit après à d’autres pauvres, quand ils auroient moyen de le rendre. J’ai encore une autre pensée qui seroit de faire acheter des vaches pour les donner à louage à nos pauvres gens, & s’ils peuvent payer on en donneroit le prix à d’autres. Une vache nourrit toute une famille à la campagne sur tout les pauvres petits enfans, dont les meres mal-nourries n’ont presque point de lait; & quand ils ont de la bouillie cela leur sauve la vie. Je ferai tout mon possible pour soigner à la leur conserver, afin qu’il plaise à Dieu donner à Votre Majesté un enfant qui vive.

Madeleine de Lamoignon (gravure de Gerard Edelinck, 1640-1707, d'après un portrait par Eustache Le Sueur, 1616-1655)
Madeleine de Lamoignon (1609-1687),
collaboratrice de saintVincent de Paul
     Mademoiselle de Lamoignon aura peut-être d’autres pensées qui pourront être aussi bonnes que les nôtres; & je serai bien aise que Votre Majesté ordonne de tout. Cependant nous prierons Dieu que les cris d’actions de graces que les pauvres feront, [p.116] parviennent jusqu’au ciel, & en rapportent mille benedictions pour Votre Majesté & pour tout son Royaume, y confirmant la paix & nous la donnant. Nous envoyons à Votre Majesté la moitié du second Tome de la Vie des saints Peres des deserts , qu’elle trouvera encore plus beau que le premier: le reste s’imprime. On travaille à la Vie des Saints; mais cette miserable guerre reculera bien cette bonne œuvre, qui est desirée de tout le monde. En attendant je prie Dieu du plus profond de mon cœur, de donner à Votre Majesté de si saintes dispositions qu’elle puisse tenir un jour un aussi grand rang entre les Bienheureux du ciel, qu’elle en tient entre les Grands de la terre. C’est le souhait de celle, &c.




LETTRE CCCCLIV.
     A la Reine de Pologne. Au sujet des miseres de la France & en particulier de Paris.
 28 Juin 1652.

    MADAME. Puisque l’extrême bonté de Votre Majesté daigne toujours vouloir que je me donne l’honneur de lui écrire, j’y satisferai avec joie, s’il s’en peut recevoir dans le miserable état ou nous sommes reduites par le juste chatiment de Dieu, qui nous rend participantes des maux que nous avons faits aux autres. Je ne doute pas que Votre Majesté ne sache que la France est toute desolée, qu’il n’y a point de Province qui ne souffre à l’extrémité, [p.140] & que Paris & ses environs qui avoient toujours été épargnés, sont à cette heure des plus maltraités. Tous les villages d’alentour sont entierement deserts, & ce qui reste d’habitans sont retirés dans des bois, les autres étant morts de faim, ou ayant été assommés par les soldats.

Mère Marie Angélique en 1643 par Philippe de Champaigne
Jacqueline-Marie Arnauld (1591-1661)
     Les Abbayes ont été presque toutes pillées, & ce qui est de plus horrible, les Religieuses qui n’ont pu se sauver ont été indignement traitées. Un soldat mort à l’Hôtel-Dieu, a confessé avec grande douleur que de tous les horribles crimes qu’il avoit commis celui qui l’affligeoit le plus étoit que comme il poursuivoit une Religieuse, elle avoit monté par le moyen de la grille jusqu’au crucifix qu’elle tenoit embrassé: ce que voyant, de rage il l’avoit tuée d’un coup de fusil. J’estime cette Fille trop heureuse d’être ainsi morte aux pieds de Notre Seigneur pour un si bon sujet. La maison* de mon Frere d’Andilly, a été non seulement pillée des Lorrains, mais presque demolie, les arbres arrachés & tous les pauvres paysans estropiés. La même chose est arrivée à un de nos villages , & il faut dire par tout. Car ceux des Princes, Marêchaux de France, Capitaines des gardes, n’ont point été considerés, n’y ayant nulle obeissance ni discipline dans pas une armée; & il semble que tous les soldats soient possedés du demon.
     * Pomponne. [note de l’édition de 1742]


      Mondeville.




     Jusqu’à present Dieu a protegé notre Maison des Champs par la charité extrême de M. le Duc de Luines,qui ne l’a point voulu abandonner, quoique ses amis l’en aient prié. Il a fait faire huit tours pour la defendre, & a fait avoir quantité d’armes [p.141] pour tous les Hermites. Il y a des Gentils-hommes du pays qui s’y sont aussi retirés, avec quantité de pauvres & les ouvriers de sorte qu’il y a bien mille personnes qui y vivent par la charité de ce bon Seigneur. Il y fait toujours continuer notre Dortoir, afin que nous puissions retourner, sitôt qu’il plaira à Dieu de nous donner la paix. Cependant Dieu nous oblige de recevoir tous les jours de pauvres Religieuses, dont les Monasteres sont ruinés; de sorte que les quatre-vingts cellules qui se font aux Champs, ne seront pas plutôt seches qu’elles seront remplies. Cependant on couche par-tout ceans jusques dans les Parloirs, & si nous sommes obligées de refuser des Filles avec grand regret.

     On nous menace de la peste, & on dit qu’il y en a deja en quelques quartiers de la ville: il se faut preparer à tout ce qu’il plaira à Dieu. Votre Majesté sera, je m’assure, bien aise d’apprendre les grandes charités qui se font ici. Les malheureux soldats ont tant commis de crimes que toutes les femmes & filles de la campagne qui l’ont pu, se sont sauvées en cette ville; & la rage des demons qui veut toujours multiplier les maux , faisoit que de mechantes personnes les attendoient aux portes, pour sous de belles promesses les mener se perdre.
Louise-Marie de Gonzague, reine de Pologne
Marie-Louise de Gonzague (1611-1667)
reine de Pologne
     Pour y remedier M. du Hamel Curé de S. Merri a le premier, par le moyen des Dames de sa paroisse, fait louer une grande maison, & les autres Curés à son imitation, pour loger & nourrir ces pauvres creatures; en sorte qu’il y en a plus de cent à S. Merri, & aux autres paroisses de même. On a soin de les instruire [p.142] en la crainte les nourrir. On leur donne à filer, afin qu’elles ne soient pas oiseuses, & qu’elles gagnent quelque chose qu’elles puissent emporter quand elles retourneront. Ainsi l’infinie bonté de Dieu tire du bien des maux.

     Il se fait encore de très grandes aumônes à Paris. Tous les Corps se sont taxés pour nourrir les pauvres qui y abordent de toutes parts. On eut il y a quelques jours un grand sujet de pitié. Deux batteaux pleins de pauvres blessés, arriverent au port au soin, pensans être reçu à l’Hôtel-Dieu: mais cela ne se put, y en ayant deja un si grand nombre qu’ils sont sept dans chaque lit, quoiqu’on ait fait deux sales depuis que Votre Majesté est partie; de sorte qu’on coucha ces pauvres malades sur le foin. Aussitôt que cela fut su, des Dames y coururent & chacune en prit ce qu’il put chez soi; de sorte que ces pauvres furent beaucoup mieux qu’ils n’eussent été à l’Hôtel-Dieu, où il en meurt près d’un cent par jour. On a été contraint d’ouvrir l’Hôpital de S. Louis, pour mettre les blessés qu’on apporte des armées qui se sont horriblement battues à Etampes, dont tous les environs sont dans une destruction & une desolation incomparable. Car tous les bleds y sont perdus, les vignes arrachées, les villages brulés, de sorte que Mademoiselle de Lamoignon a jugé qu’il falloit secourir ce quartier. Pour cela on y en a envoyé de bons Prêtres, avec quatre mille livres de l’aumône de Votre Majesté. C’est ce qui empêchera de perir ce qui reste du pauvre peuple, qui par leurs benédictions attirera les graces de Dieu sur Votre Majesté [p.143], dont la pieté s’est étendue si loin.
Madeleine de Lamoignon (gravure de Gerard Edelinck, 1640-1707, d'après un portrait par Eustache Le Sueur, 1616-1655)
Madeleine de Lamoignon (1609-1687),
collaboratrice de saintVincent de Paul
     Je me suis donné l’honneur d’écrire à Votre Majesté mes pensées pour le secours des pauvres du quartier de Port-Royal. Nous attendons vos ordres, Madame, pour le reste de votre aumône. Mais le secours d’Etampes étoit si pressé, que nous avons cru que Votre Majesté auroit agreable que ce tiers y allât. Nous avons reçu les deux mille livres qu’il a plu à Votre Majesté de donner pour les Hermites: je vous en rends encore de très humbles graces, Madame. Ils reconnoîtront devant Dieu, & moi avec eux, la bonté du cœur de Votre Majesté, qui s’est daigné souvenir d’eux. J’emploierai cette somme à faire achever un logement & à tous leurs besoins, afin que partout voyant les effets de votre bonté, ils implorent sans cesse la misericorde de Dieu sur Votre Majesté.

     On nous faisoit esperer la paix, & tous les jours elle se rompt. On dit que les affaires sont tellement aigries de tous les côtés, qu’il faut un miracle singulier pour l’avoir. Pour moi j’en desespere, voyant l’endurcissement des cœurs: car hors le petit nombre de bonnes ames qui s’appliquent à la charité, les autres sont autant dans le luxe que jamais. Le Cours & les Thuilleries sont aussi frequentés que ci-devant, les collations & tout le reste des superfluités vont à l’ordinaire; sans que l’horrible image de la calamité dont les rues sont pleines, les meurtres si ordinaires dans les rues & aux portes & la cherté de toutes choses, puissent toucher les cœurs & faire apprehender  la colere de Dieu: tant les pecheurs sont endurcis! Et c’est ce qui me fait croire que nous [p.144] ne sommes pas à la fin de nos maux.

     Je loue Dieu, Madame, de ce que votre Royaume est dans la paix. Je le supplie qu’il fasse la grace à Votre Majesté de jouir toute sa vie de ce grand bien, & qu’elle fasse tout son possible pour faire que ses sujets en jouissant du bien de la paix, ne fassent pas la guerre à Dieu. Nous ne manquons point de le prier pour l’accomplissement des desirs de Votre Majesté. Nous donnons de quoi vivre à de pauvres petits innocens à cette intention. Je crains d’abuser de Votre Majesté par la trop favorable audiance qu’il lui plaît me donner. Je me jette à ses pieds avec un cœur plein de respect, & si je l’ose dire, d’affection,

     pour être à jamais, &c.



Mère Marie-Angélique, gravure d'après Philippe de Champaigne
Mère Marie-Angélique

LETTRE CCCCLXVIII.

     A Mademoiselle de Lamoignon. Au sujet des aumônes de la Reine de Pologne pour les pauvres de France.
Vers le même temps *.
     * La lettre précédente est datée du 19 juillet (B.G.).
     Ayant appris, Mademoiselle, que M. Vincent a reçu une Lettre de la Reine de Pologne par laquelle il dit qu’elle entend que les douze mille livres qu’elle a envoyées soient distribuées par les Dames de sa compagnie, je n’ai pas voulu differer davantage à vous dire que je suivrai d’aussi bon cœur ce nouvel ordre de la Reine que celui qu’elle avoit donné auparavant à Madame des Essarts, & qu’elle a encore confirmé depuis par la Lettre du 9. Juin en reponse de ce que j’avois écrit à Sa Majesté, sur les pensées que j’avois eues pour la distribution de cette aumône, & ou elle me fait l’honneur de me dire que j’en fasse ce que je jugerai le plus à propos pour le bien des pauvres.

     Il est vrai, ma très chere Sœur, que ce changement m’a un peu surprise, vû principalement que je sai que l’intention de la Reine n’est pas que ses aumônes soient si [p.166] publiques & fassent un si grand bruit, & que je pense la connoître assez pour ne pas me tromper lorsque je me persuade qu’elle eût été aussi satisfaite que cette aumône eut été employée à secourir des besoins d’autant plus extrêmes et plus dignes de pitié qu’ils sont connus de moins de personnes, qu’à subvenir à des necessités publiques qui sont très grandes, mais qui étant sues de tout le monde peuvent plus aisement trouver du secours dans la charité des gens de bien, qui en se defaisant d’une partie de leur luxe, & de leurs superfluités comme ils y sont obligés selon toutes les loix de l’Eglise, y remedieront comme je crois sans beaucoup de peine.

     Il me semble que si Sa Majesté n’aavoit point eu d’autre dessein sinon que cette aumône fut employée en ces sortes de bonnes œuvres dont les Dames ont la direction, & on en d’autres dont je puis connoître la necessité, ellen’auroit point temoigné desirer que je prisse part à la dispensation de cette charité. Neanmoins puisqu’on dit que ce nouvel ordre vient de Pologne & qu’il est plus conforme aux intentions de la Reine que le premier, je n’ai garde de m’y opposer; & je trouverai fort bon que Madame des Essarts vous donne tout ce qui reste pour en disposer comme il vous plaira. Je suis, &c.
 

Le secours du potage
Le secours du potage, à Paris, pendant la famine de 1709.
Dessin de Sellier, d’après une estampe du dix-huitième siècle.
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Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
           
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
   
Édition

Edition de 1742      Mère MARIE-ANGÉLIQUE DE SAINTE-MADELEINE, Lettres de la Révérende Mère Marie Angélique de Sainte Magdeleine Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal, Utrecht, Aux depens de la Compagnie, 1742-1744, tome 2 (1742), pp. 110-116, 139-144 & 165-166.
     Dont une mise en ligne par Google, http://books.google.fr/books?id=pQMGAAAAQAAJ&, en ligne en 2008.

     Bernard GINESTE, «Marie Angélique Arnauld: Deux lettres à la reine de Pologne (misère de Paris et d’Étampes, mai-juin 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html, 2008.

Éditions de la correspondance de Marie-Angélique Arnauld

     Jacqueline-Marie ARNAUD (dite Mère MARIE-ANGÉLIQUE DE SAINTE-MADELEINE, 1591-1661), Extraits des lettres de la mère Marie-Angélique Arnauld, divisés en deux parties [2 tomes reliés en 1 volume in-12], Leyde, Willem de Groot, 1734.

     Mère MARIE-ANGÉLIQUE DE SAINTE-MADELEINE, Lettres de la Révérende Mère Marie Angélique de Sainte Magdeleine Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal [3 volumes in-12; t.1 (1742): III+632 p.; t.2 (1742): 651 p. ; t.3: (1744): I+546 p.; 1041 lettres; la préface du tome 3 annonce qu’on a renoncé au tome 4 qui aurait été constitué seulement de lettres non datées traitant de morale seulement], Utrecht, Aux depens de la Compagnie, 1742, 1742 & 1744.
     Dont une mise en ligne par Google (t.1: http://books.google.fr/books?id=cgMGAAAAQAAJ&; t.2: http://books.google.fr/books?id=pQMGAAAAQAAJ&; t. 3: http://books.google.fr/books?id=wwMGAAAAQAAJ&), en ligne en 2008.

     Bernard GINESTE, «Marie Angélique Arnauld: Sur des religieuses fuyant le siège d’Étampes (fin mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html, 2008.

1652 dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE, «Marie Angélique Arnauld: Sur des religieuses fuyant le siège d’Étampes (fin mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520525arnauld.html, 2008.

     Bernard GINESTE, «Marie Angélique Arnauld: Deux lettres à la reine de Pologne (misère de Paris et d’Étampes, mai-juin 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html, 2008.

     Bernard GINESTE [éd.], «Petrus Baron: Stemparum Halosis (texte latin de 1654)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis.html, janvier 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (édition bilingue annotée de Pinson, 1869)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis-bilingue.html, janvier 2004. 

     Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (traduction Pinson seule)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-baron1654prisedetampes.html, janvier 2004. 

     François JOUSSET & Bernard GINESTE [éd.], «René Hémard: La Guerre d’Estampes en 1652 (édition 1884 de Pinson)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-renehemard-guerre.html, janvier 2003.   
 
     Bernard GINESTE [éd.], «Basile Fleureau: Recit veritable de ce qui s’est passé au siege de la Ville d’Estampes en l’année 1652 (édition de 1681)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b44.html, janvier 2003. 2e édition illustrée et annotée: mai 2007.

     André BELLON, «Antoine Pecaudy», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-1652pecaudy-bellon.html, 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Turenne: Lettres relatives au siège d’Étampes (avril-mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-turenne1652lettres.html, 2007.

Sur l’auteur, Jacqueline-Marie Arnaud, dite la mère Agélique,abbesse de Port-Royal

     Guillaume DALL (1847-1917), La mère Angélique, abbesse de Port-Royal, d’après sa correspondance [in-16; VIII+319 p.], Paris, Perrin, 1893.

     M.-R. MONLAUR, Angélique Arnauld [in-8°; VIII+406 p.; préface de Mgr de Cabrières], Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1901. 2e édition: 1902.

     Jane PANNIER, Une grande chrétienne. La Mère Angélique [in-16; 208 p.; portrait], Issy-les-Moulineaux, “Je sers”, 1930.

     Perle BUGNION-SECRETAN, La Mère Angélique Arnauld (1591-1661) d’après ses écrits, abbesse et réformatrice de Port-Royal [24 cm; 274 p & 16 p. de planches; bibliographie pp. 241-247], Paris, Cerf [«Histoire»], 1991.

     Fabian GASTELLIER, Angélique Arnauld [24 cm; 505 p.; contient un choix de documents; index], Paris, Fayard, 1998.

     COLLECTIF D’INTERNAUTES, «Angélique Arnauld», in Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ang%C3%A9lique_Arnauld, en ligne en 2008.

Sur la destinataire, Marie-Louise de Gonzague, reine de Pologne

     Daniel DUMONSTIER (dessinateur, 1574-1646), La princesse Marie, ce 10 d’avril 1627 [dessin à la pierre noire, crayon de couleur, rehauts de pastel; 46 cm sur 35], 1627, conservé à la BNF.

     ANONYME, La Magnifique entrée des ambassadeurs polonais dans la ville de Paris, avec la première audiance qu’ils ont euë de Leurs Majestés et de la Princesse Louise Marie, destinée reine de Pologne [in-4°, monté in-f° paginé 1001-1016; daté du 29 octobre 1645], Paris, éditeur non précisé, 1645
 
     Abraham BOSSE (graveur, 1602-1676), Cérémonie observée du contrat de mariage passé à Fontainebleau en presence de leurs Majestez entre Vladislaus IIII du nom Roy de Pologne et de Suede [...] d’une part, et Louie Marie de Gonzague, princesse de Mantoue et de Nevers, d’autre part, le 25ème jour de Septembre 1645, desseigné et gravé a leaue forte par A. Bosse le 8me novem. 1645 [eau-forte; 33,5 cm sur 27,5], Paris, sans mention  d’éditeur, 1645.

     Karolina TARGOSZ (née en 1938), La Cour savante de Louise-Marie de Gonzague et ses liens scientifiques avec la France, 1646-1667 [24 cm; 206 p. & 16 planches; traduction du polonais par Violetta Dimov d’un original Uczony dwór Ludwiki Marii Gonzagi (1646-1667): z dziejów polsko-francuskich stosunków naukowych; index], Wrocław, Zakład Narodowy im. Ossolińskich [«PAN, Komitet Historii Nauki i Techniki»], 1982.

     Francesca DA CAPRIO MOTTA (università degli studi della Tuscia, facoltà di lingue e letterature moderne, istituto di studi romanzi), Maria Ludovica Gonzaga Nevers. Una principessa franco-mantovana sul trono di Polonia [21 cm; 194 p. & 4 p. de planches; appendice (pp. 72-185) comprenant des documents en français et latin; notes bibliographiques; index], Manziana, Vecchiarelli [«Il viaggio e la srittura» 2], 2002.

     COLLECTIF D’INTERNAUTES, «Marie Louise de Mantoue», in Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Louise_de_Mantoue, en ligne en 2008.

Sur Mlle de Lamoignon

     Louise MASSON, Madeleine de Lamoignon [in-16], Lyon, E. Vitte, 1896.


Sur Duhamel, curé de Saint-Merry

     Vie de M. Du Hamel, curé de Saint-Merry à Paris [16 cm sur 13; manuscrit de 70 feuillets relié en parchemin], XVIIIe siècle, manuscrit conservé à la Bibliothèque de l’Institut de France sous la cote ms 819.

     Simon Michel TREUVÉ (1651-1730), Histoire de M. Duhamel, docteur de Sorbonne et curé de Saint-Merry [in-12; 198 p.], sans mention de lieu ni d’éditeur, 1690 [d’après Barbier].


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Sources: l’édition de 1742 mise en ligne par Google.
  
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