Marie Angélique Arnauld, abbesse
de Port-Royal
Deux lettres à
la reine de Pologne
sur la misère de Paris et d’Étampes,
mai-juin 1652
Voici un document intéressant directement l’histoire
d’Étampes, où l’on voit en œuvre, au milieu des épouvantables
épreuves de la Fronde, trois femmes atterrées autant par
la cruelle insouciance de l’aristocratie de leur temps que par les atrocités
qui se multiplient alors.
La reine de Pologne est alors une princesse française,
Marie-Louise de Gonzague, ou de Gonzague-Nevers, ou encore de Mantoue (1611-1667).
Elle avait d’abord épousé le roi de Pologne Ladislas IV Vasa
en 1646. Quand elle en fut veuve, elle se remaria à son frère
Jean II Casimir Vasa en 1649. Ce dernier, avant d’être appelé
à succéder à son frère, avait songé à
se faire jésuite. Un an après la mort de sa femme, il abdiqua
et se retira en France où il devint abbé de Saint-Martin
de Nevers. Tout ceci indique à quel point de piété se
portait alors une partie de l’aristocratie européenne. De son côté
la reine de Pologne était en relation épistolaire constante
avec l’abbesse de Port-Royal.
L’abbaye de Port-Royal est alors au centre d’une
mouvance spirituelle qu’on caractérise généralement
sous le terme générique de jansénisme, et qui est animée
de débats parfois assez vifs, notamment à l’encontre de la
spiritualité jésuite. Ce n’est cependant
qu’en 1653 que les thèses fondamentales du jansénisme seront
officiellement condamnées par la bulle Cum occasione.
La reine de Pologne est aussi en relation avec Mademoiselle
de Lamoignon, fille de Chrétien de Lamoignon (1567-1636), président à mortier
du Parlement de Paris en 1633, et de Marie des Landes, autres personnages de grande piété, activement
soucieux de la misère du peuple. Marie des Landes déjà avait crée une Association pour la
délivrance des prisonniers pour dettes.
Madeleine de Lamoignon (1609-1687), l’une de leurs
vingt enfants, préparé à sa première communion
par saint François de Sales, se fit très tôt la collaboratrice
de saint Vincent de Paul (1580-1660), à qui elle fut très
utile lors de la fondation de plusieurs organisations charitables, dont
surtout l’hôpital des Enfants-Trouvés de Paris. La reine de Pologne était d’ailleurs aussi en relation
épistolaire avec Vincent de Paul, qui avait envoyé dès
1651 certains de ses missionnaires soigner les pestiférés de
Varsovie.
Au début de mai 1652, Marie-Louise de Gonzague,
avertie de la grande misère qui découlait pour le peuple de
France des continuels combats de la Fronde, envoya 12.000 livres pour les
œuvres de charité qu’on ferait en leur faveur,
et elle confia la gestion de cet argent tant à Mlle de Lamoignon
qu’à la mère Angélique de Sainte-Magdeleine. Le 16 mai,
l’abbesse de Port-Royal la remercie de cette donation. Le 28 juin elle l’avertit
qu’elle a pris sur elle d’en consacrer un tiers à soulager la misère
effroyable des Étampois.
Avec cet argent, on put recruter à Étampes
des hommes capables d’enterrer les monceaux de cadavres qui encombraient
alors la ville, et soulager pour un temps la faim des survivants. Il ne faut
pas perdre la mémoire de tous les héros qui moururent sur
ce front-là de la Fronde. Car les missionnaires de Vincent de Paul
tombaient comme des mouches, pour l’amour de Dieu et de ses pauvres créatures.
Bernard Gineste, novembre 2008
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La reine de Pologne.
L’abbesse de Port-Royal
Madeleine de Lamoignon
|
Marie Angélique Arnauld, abbesse
de Port-Royal
Deux lettres à
la reine de Pologne
sur la misère de Paris et d’Étampes,
mai-juin 1652
Lettre CCCXXXII.
A la Reine
de Pologne. Elle lui parle en detail de l’etat de Port-Royal des Champs,
des Solitaires, & des malheurs de la guerre.
16. Mai.
De P. R. de Paris
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MADAME. Ayant appris que les malheurs de nos guerres n’empêchent
pas pas qu’on ne puisse avoir l’honneur d’écrire à Votre
Majesté surement, j’ai cru que je ne devois pas differer davantage
à lui rendre compte de ce qu’il lui a plu me commander touchant l’état
des Hermites de la Maison des Champs. Je vous dirai, Madame, qu’ils sont
vingt cinq qui par la grace de Dieu servent le Seigneur avec grande vertu
& devotion. Il en est deja mort cinq très heureusement*, & s’il y avoit plus de bâ[ti]mens il
seraient bientôt remplis, y ayant des personnes qui demandent tous
les jours place, qui viennent de cinquante, soixante & quatre vingts
lieues, pour faire penitence. Ceux qui sont engagés dans le monde
s’en retournent; les autres ne s’y peuvent resoudre, & demeurent proche
d’ici quand ils ne peuvent avoir place à Port-Royal.
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* MM. Lindo, Manguelen,
Vizaquet, Magnart & Pallu. [note de l’édition
de 1742]
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J’ai deja écrit à Votre Majesté que M. le Duc de Luines
a fait bâtir un petit Château tout proche l’Abbaye, pour se
retirer. En attendant qu’il ait été fait, il a demeuré
avec les autres, vivant avec une humilité & devotion toute extrordinaire
[sic]. Lui & quelques autres
de nos amis †, voyant [p.111] que nous étions très incommodées
& que nous n’avions point de cellules, & d’ailleurs peu de place
pour recevoir le grand nombre de Filles qui se presentent à nous,
même de Religieuses d’autres Maisons dont nous avons deja plus de vingt,
se sont resolus, sans que nous ayons jamais songé à les en prier,
de faire rehausser notre Parloir, y faisant deux étages, où
il y aura soixante cellules; & parce que notre Eglise étoit très
humide, ce bon Seigneur la faite [sic] rehausser
de huit pieds, de sorte qu’au lieu qu’on y descendoit, on y monte des lieux
bas, où elle est à plein pied du Dortoir: ce qui la rendra
très saine. Il a fait commencer cet ouvrage avant Pâques, &
le fait continuer au milieu de la guerre qui l’a obligé de se retirer
dans son Château avec tous nos Messieurs, & tous nos domestiques.
On y a mis tout ce que nous avons laissé de meubles, que nous n’avons
pu apporter à cause qu’on ne pouvoit passer, les troupes qui pillent
tout étant sur le chemin. Ce bon Seigneur passa la nuit entiere
à faire tout demenager & porter en sa presence dans les galettas
de son Château & dans les caves. Il a mis ses chevaux & les
nôtres aussi bien que nos vaches dans les fossés.
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† Comme M. Du
Gué de Bagnols. [note de l’édition de
1742]
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Ils sont plus de cent dans ce Château, qui est petit & qui n’étoit
pas achevé quand nous sommes parties. M. le Duc de Luines a encore
mis vingt cinq ou trente hommes pour garder notre Monastere, & a garni
tout ce monde de fusils & de mousquets. Tous nos Hermites ont repris
l’épée,& avec cela par permission ils ont ôté
le très saint Sacrement de l’Abbaye, parce qu’il n’y étoit
pas [p.112] en sureté, &
l’ont mis au Château, où ils font jour & nuit l’assistance
du S. Sacrement, ceux qui sont de garde y allant les uns après les
autres.
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Notre bon Duc fait de plus fortifier l’Abbaye, afin que nous ne soyons
plus obligées d’en sortir une autre fois. Il y a plus de deux cens
cinquante ouvriers qui travaillent. Il me dit en sortant que notre Monastere
se bâtiroit comme le Temple de Jerusalem avec la truelle & l’épée,
& qu’il le feroit si bien depêcher que nous le trouverions tout
en état. Il a fait faire une ligne de communication entre son Château
& l’Abbaye pour le secourir en cas d’attaque, & il vient tous les
jours plusieurs fois voir les ouvriers. Les gens de guerre n’y ont pas encore
été, graces à Dieu, bien que les environs soient tous
pillés & qu’on n’ait du respect pour personne. Il en a logé
mille en notre ferme qui est tout proche de la Maison, mais il n’ont point
fait de desordre. On avoit ôté tous les meubles & bestiaux,
de sorte qu’ils n’ont brulé que du bois, & un peu scié
de notre bled, mais par tout aux environs ils n’en ont point laissé
du tout; ce qui desespere les pauvres laboureurs deja ruinés des années
passées qui ont été tres steriles. Celle-ci promettoit
une extraordinaire abondance, mais Dieu veut châtier nos pechés
par toute sorte de miseres.
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Sans les travaux de M. de Luines & les aumônes qu’il fait, qui
nourrissent plus de cinq cens personnes, la plûpart retirées
dans les bois par la crainte des soldats qui assomment ceux qu’ils trouvent,
tous periroient de faim. La bonne mere Louise qui [p.113]
a l’honneur d’être connue de Votre Majesté, & que nous
ayons laissée pour garder la Maison avec trois autres femmes de
son âge, est aussi au Château. Comme par le tracas du demenagement
depuis notre sortie, on avoit manqué de faire le potage des pauvres,
lequel en nourrit deux cens qui se passent pour cela de toute nourriture,
elle alla trouver M. de Luines & lui dit: Mon bon Monsieur, vos armes
sont des fusils & des mousquets, mais la grande chaudière de nos
pauvres c’est un gros canon, il la faut retablir, s’il vous plait: ce qui
a été fait.
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J’ose dire toutes ces particularités à Votre Majesté,
sachant que sa bonté est si grande qu’elle aura agreable la peine
qu’elle aura a les lire. Avec toute la defense du Château & de
l’Abbaye nous ne laissons pas d’être en crainte qu’on ne les force,
si Dieu ne nous donne bientôt la paix.
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La licence des soldats est si horrible & tout le pays si ruiné,
qu’entre ci & Port-Royal il n’y a pas une ame dans les villages; de
sorte que ne trouvant plus de pain, ils forcent tous les lieux où
ils croient qu’il y en a. Jamais on n’a vu de si grands desordres, &
on nous fait tous les jours peur ici & aux Carmelites, en disant que
nous ne sommes pas en sureté, & que nous devrions nous retirer
dans la ville, où d’ailleurs on craint beaucoup la sedition, le peuple
étant tout en furie de la grande cherté que causent toutes
ces ruines.
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Tout Paris est rempli de Religieuses: ce qui nous a obligées de
recevoir de très bonnes Filles qui ne savoient où se retirer,
de sorte que nous sommes cent soixante. Madame de Guimené a eu la
bonté de nous [p.114] prêter
son logement pour nous mettre, une partie n’ayant pas assez de place; &
Dieu nous pourvoit par sa grace d’une telle maniere que nous ne manquons
de rien. Madame des Essarts nous a appris avant-hier que la Lettre de l’aumône
de deux mille francs, qu’il plaît à Votre Majesté nous
envoyer pour nos Hermites, est arrivée. Nous en rendons très
humblement graces à Votre Majesté. Je l’emploierai à
achever un bâtiment qui fut commencé l’an passé, &
à reparer ce que la guerre aura gâté de leurs ameublemens.
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Pour ce qui est des fondations l’on n’a point pensé a en faire.
Nous voyons que la misere est si grande que toutes choses dechoient avec
le tems, même les meilleures & les plus saintes; de sorte qu’il
faut faire ce que l’on peut pour le present, et laisser l’avenir à
la divine providence. Mais on pense seulement, quand Dieu le voudra, à
bâtir proche de la Maison douze Hermitages, où se retireront
ceux de nos Messieurs à qui Dieu en donne le desir & qu’on y
croiroit appelles, & à mesure qu’ils mourroient, on les rempliroit
de ceux qui seroient deja éprouvés, tant qu’il plairoit à
Dieu y en appeller. Tous pourroient sans sortir aller à une Chapelle
où un Prêtre leur diroit la sainte Messe. Nous en avons quatre.
Que si Dieu inspire à Votre Majesté de bâtir quelques-uns
de ces Hermitages, elle le pourra, mais je la supplie très humblement
qu’elle continue dans cette pureté d’intention de ne le faire que
pour lui seul, afin que ceux qui les habiteront demandent misericorde pour
elle, qui d’ailleurs ne peut manquer de rencontrer des occasions d’employer
saintement son [p.115] bien dans son Royaume,
qui doit toujours être preferé aux pays qui lui sont étrangers.
|
|
J’ai aussi appris, Madame, que Votre Majesté ayant compassion des
miseres de nos pauvres de France, envoie douze mille livres pour être
distribuées aux pauvres, & qu’il lui a plu d’ordonner que ce seroit
par les ordres de Mademoiselle de Lamoignon & de moi. Or, Madame, afin
qu’on suive en tout l’intention charitable de Votre Majesté, je la
supplie très humblement de nous faire savoir si elle approuve la
pensée que j’ai que l’aumône ne peut être mieux employée
qu’aux pauvres de la campagne qui sont entierement ruinés, même
les laboureurs qui ne se releveront jamais s’ils ne sont secourus. On pourroit
prêter à quelques-
uns pour un tems une somme qu’on donneroit après à d’autres
pauvres, quand ils auroient moyen de le rendre. J’ai encore une autre pensée
qui seroit de faire acheter des vaches pour les donner à louage à
nos pauvres gens, & s’ils peuvent payer on en donneroit le prix à
d’autres. Une vache nourrit toute une famille à la campagne sur
tout les pauvres petits enfans, dont les meres mal-nourries n’ont presque
point de lait; & quand ils ont de la bouillie cela leur sauve la vie.
Je ferai tout mon possible pour soigner à la leur conserver, afin
qu’il plaise à Dieu donner à Votre Majesté un enfant
qui vive.
|
Madeleine de Lamoignon (1609-1687),
collaboratrice de saintVincent de Paul
|
Mademoiselle de Lamoignon aura peut-être d’autres pensées
qui pourront être aussi bonnes que les nôtres; & je serai
bien aise que Votre Majesté ordonne de tout. Cependant nous prierons
Dieu que les cris d’actions de graces que les pauvres feront, [p.116] parviennent jusqu’au ciel, & en rapportent
mille benedictions pour Votre Majesté & pour tout son Royaume,
y confirmant la paix & nous la donnant. Nous envoyons à Votre
Majesté la moitié du second Tome de la Vie des saints Peres
des deserts , qu’elle trouvera encore plus beau que le premier: le reste
s’imprime. On travaille à la Vie des Saints; mais cette miserable
guerre reculera bien cette bonne œuvre, qui est desirée de tout le
monde. En attendant je prie Dieu du plus profond de mon cœur, de donner à
Votre Majesté de si saintes dispositions qu’elle puisse tenir un jour
un aussi grand rang entre les Bienheureux du ciel, qu’elle en tient entre
les Grands de la terre. C’est le souhait de celle, &c.
|
|
LETTRE CCCCLIV.
A la Reine
de Pologne. Au sujet des miseres de la France & en particulier de Paris.
28 Juin 1652.
MADAME. Puisque l’extrême bonté de Votre
Majesté daigne toujours vouloir que je me donne l’honneur de lui
écrire, j’y satisferai avec joie, s’il s’en peut recevoir dans le
miserable état ou nous sommes reduites par le juste chatiment de
Dieu, qui nous rend participantes des maux que nous avons faits aux autres.
Je ne doute pas que Votre Majesté ne sache que la France est toute
desolée, qu’il n’y a point de Province qui ne souffre à l’extrémité,
[p.140] & que Paris &
ses environs qui avoient toujours été épargnés,
sont à cette heure des plus maltraités. Tous les villages
d’alentour sont entierement deserts, & ce qui reste d’habitans sont
retirés dans des bois, les autres étant morts de faim, ou
ayant été assommés par les soldats.
|
Jacqueline-Marie Arnauld (1591-1661) |
Les Abbayes ont été presque toutes pillées, &
ce qui est de plus horrible, les Religieuses qui n’ont pu se sauver ont
été indignement traitées. Un soldat mort à
l’Hôtel-Dieu, a confessé avec grande douleur que de tous les
horribles crimes qu’il avoit commis celui qui l’affligeoit le plus étoit
que comme il poursuivoit une Religieuse, elle avoit monté par le
moyen de la grille jusqu’au crucifix qu’elle tenoit embrassé: ce
que voyant, de rage il l’avoit tuée d’un coup de fusil. J’estime
cette Fille trop heureuse d’être ainsi morte aux pieds de Notre Seigneur
pour un si bon sujet. La maison* de mon Frere
d’Andilly, a été non seulement pillée des Lorrains,
mais presque demolie, les arbres arrachés & tous les pauvres
paysans estropiés. La même chose est arrivée à
un de nos villages †, & il faut dire par tout. Car ceux des Princes, Marêchaux
de France, Capitaines des gardes, n’ont point été considerés,
n’y ayant nulle obeissance ni discipline dans pas une armée; &
il semble que tous les soldats soient possedés du demon.
|
*
Pomponne. [note de l’édition de 1742]
†
Mondeville.
|
Jusqu’à present Dieu a protegé notre Maison des Champs par
la charité extrême de M. le Duc de Luines,qui ne l’a point
voulu abandonner, quoique ses amis l’en aient prié. Il a fait faire
huit tours pour la defendre, & a fait avoir quantité d’armes
[p.141] pour tous les Hermites.
Il y a des Gentils-hommes du pays qui s’y sont aussi retirés, avec
quantité de pauvres & les ouvriers de sorte qu’il y a bien mille
personnes qui y vivent par la charité de ce bon Seigneur. Il y fait
toujours continuer notre Dortoir, afin que nous puissions retourner, sitôt
qu’il plaira à Dieu de nous donner la paix. Cependant Dieu nous oblige
de recevoir tous les jours de pauvres Religieuses, dont les Monasteres sont
ruinés; de sorte que les quatre-vingts cellules qui se font aux Champs,
ne seront pas plutôt seches qu’elles seront remplies. Cependant on
couche par-tout ceans jusques dans les Parloirs, & si nous sommes obligées
de refuser des Filles avec grand regret.
On nous
menace de la peste, & on dit qu’il y en a deja en quelques quartiers
de la ville: il se faut preparer à tout ce qu’il plaira à Dieu.
Votre Majesté sera, je m’assure, bien aise d’apprendre les grandes
charités qui se font ici. Les malheureux soldats ont tant commis de
crimes que toutes les femmes & filles de la campagne qui l’ont pu, se
sont sauvées en cette ville; & la rage des demons qui veut toujours
multiplier les maux , faisoit que de mechantes personnes les attendoient
aux portes, pour sous de belles promesses les mener se perdre.
|
Marie-Louise de Gonzague (1611-1667)
reine de Pologne
|
Pour y remedier M. du Hamel Curé de S. Merri a le premier, par le
moyen des Dames de sa paroisse, fait louer une grande maison, & les
autres Curés à son imitation, pour loger & nourrir ces
pauvres creatures; en sorte qu’il y en a plus de cent à S. Merri,
& aux autres paroisses de même. On a soin de les instruire [p.142] en la crainte les nourrir. On leur donne
à filer, afin qu’elles ne soient pas oiseuses, & qu’elles gagnent
quelque chose qu’elles puissent emporter quand elles retourneront. Ainsi
l’infinie bonté de Dieu tire du bien des maux.
Il se fait encore de très grandes aumônes
à Paris. Tous les Corps se sont taxés pour nourrir les pauvres
qui y abordent de toutes parts. On eut il y a quelques jours un grand
sujet de pitié. Deux batteaux pleins de pauvres blessés,
arriverent au port au soin, pensans être reçu à l’Hôtel-Dieu:
mais cela ne se put, y en ayant deja un si grand nombre qu’ils sont sept
dans chaque lit, quoiqu’on ait fait deux sales depuis que Votre Majesté
est partie; de sorte qu’on coucha ces pauvres malades sur le foin. Aussitôt
que cela fut su, des Dames y coururent & chacune en prit ce qu’il
put chez soi; de sorte que ces pauvres furent beaucoup mieux qu’ils n’eussent
été à l’Hôtel-Dieu, où il en meurt près
d’un cent par jour. On a été contraint d’ouvrir l’Hôpital
de S. Louis, pour mettre les blessés qu’on apporte des armées
qui se sont horriblement battues à Etampes, dont tous les environs
sont dans une destruction & une desolation incomparable. Car tous
les bleds y sont perdus, les vignes arrachées, les villages brulés,
de sorte que Mademoiselle de Lamoignon a jugé qu’il falloit secourir
ce quartier. Pour cela on y en a envoyé de bons Prêtres,
avec quatre mille livres de l’aumône de Votre Majesté. C’est
ce qui empêchera de perir ce qui reste du pauvre peuple, qui par
leurs benédictions attirera les graces de Dieu sur Votre Majesté
[p.143], dont la pieté s’est
étendue si loin. |
Madeleine de Lamoignon (1609-1687),
collaboratrice de saintVincent de Paul
|
Je me suis donné l’honneur d’écrire à Votre Majesté
mes pensées pour le secours des pauvres du quartier de Port-Royal.
Nous attendons vos ordres, Madame, pour le reste de votre aumône.
Mais le secours d’Etampes étoit si pressé, que nous avons
cru que Votre Majesté auroit agreable que ce tiers y allât.
Nous avons reçu les deux mille livres qu’il a plu à Votre
Majesté de donner pour les Hermites: je vous en rends encore de très
humbles graces, Madame. Ils reconnoîtront devant Dieu, & moi avec
eux, la bonté du cœur de Votre Majesté, qui s’est daigné
souvenir d’eux. J’emploierai cette somme à faire achever un logement
& à tous leurs besoins, afin que partout voyant les effets de
votre bonté, ils implorent sans cesse la misericorde de Dieu sur
Votre Majesté.
|
|
On nous faisoit esperer la paix, & tous les jours elle se rompt. On
dit que les affaires sont tellement aigries de tous les côtés,
qu’il faut un miracle singulier pour l’avoir. Pour moi j’en desespere,
voyant l’endurcissement des cœurs: car hors le petit nombre de bonnes ames
qui s’appliquent à la charité, les autres sont autant dans
le luxe que jamais. Le Cours & les Thuilleries sont aussi frequentés
que ci-devant, les collations & tout le reste des superfluités
vont à l’ordinaire; sans que l’horrible image de la calamité
dont les rues sont pleines, les meurtres si ordinaires dans les rues &
aux portes & la cherté de toutes choses, puissent toucher les
cœurs & faire apprehender la colere de Dieu: tant les pecheurs
sont endurcis! Et c’est ce qui me fait croire que nous [p.144] ne sommes pas à la fin de nos maux.
Je loue Dieu, Madame, de ce que votre Royaume
est dans la paix. Je le supplie qu’il fasse la grace à Votre Majesté
de jouir toute sa vie de ce grand bien, & qu’elle fasse tout son possible
pour faire que ses sujets en jouissant du bien de la paix, ne fassent
pas la guerre à Dieu. Nous ne manquons point de le prier pour l’accomplissement
des desirs de Votre Majesté. Nous donnons de quoi vivre à
de pauvres petits innocens à cette intention. Je crains d’abuser
de Votre Majesté par la trop favorable audiance qu’il lui plaît
me donner. Je me jette à ses pieds avec un cœur plein de respect,
& si je l’ose dire, d’affection,
pour être à jamais, &c.
|
Mère Marie-Angélique
|
LETTRE CCCCLXVIII.
A Mademoiselle
de Lamoignon. Au sujet des aumônes de la Reine de Pologne pour les
pauvres de France.
Vers le même temps *.
|
*
La lettre précédente est
datée du 19 juillet (B.G.).
|
Ayant appris, Mademoiselle, que M. Vincent a reçu une Lettre de la
Reine de Pologne par laquelle il dit qu’elle entend que les douze mille livres
qu’elle a envoyées soient distribuées par les Dames de sa compagnie,
je n’ai pas voulu differer davantage à vous dire que je suivrai d’aussi
bon cœur ce nouvel ordre de la Reine que celui qu’elle avoit donné
auparavant à Madame des Essarts, & qu’elle a encore confirmé
depuis par la Lettre du 9. Juin en reponse de ce que j’avois écrit
à Sa Majesté, sur les pensées que j’avois eues pour
la distribution de cette aumône, & ou elle me fait l’honneur de
me dire que j’en fasse ce que je jugerai le plus à propos pour le
bien des pauvres.
|
|
Il est vrai, ma très chere Sœur, que ce changement m’a un peu surprise,
vû principalement que je sai que l’intention de la Reine n’est pas
que ses aumônes soient si [p.166] publiques
& fassent un si grand bruit, & que je pense la connoître assez
pour ne pas me tromper lorsque je me persuade qu’elle eût été
aussi satisfaite que cette aumône eut été employée
à secourir des besoins d’autant plus extrêmes et plus dignes
de pitié qu’ils sont connus de moins de personnes, qu’à subvenir
à des necessités publiques qui sont très grandes, mais
qui étant sues de tout le monde peuvent plus aisement trouver du
secours dans la charité des gens de bien, qui en se defaisant d’une
partie de leur luxe, & de leurs superfluités comme ils y sont
obligés selon toutes les loix de l’Eglise, y remedieront comme je
crois sans beaucoup de peine.
|
|
Il me semble que si Sa Majesté n’aavoit point eu d’autre dessein sinon
que cette aumône fut employée en ces sortes de bonnes œuvres
dont les Dames ont la direction, & on en d’autres dont je puis connoître
la necessité, ellen’auroit point temoigné desirer que je prisse
part à la dispensation de cette charité. Neanmoins puisqu’on
dit que ce nouvel ordre vient de Pologne & qu’il est plus conforme aux
intentions de la Reine que le premier, je n’ai garde de m’y opposer; &
je trouverai fort bon que Madame des Essarts vous donne tout ce qui reste
pour en disposer comme il vous plaira. Je suis, &c. |
|
Toute
critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism
or contribution welcome.
|
BIBLIOGRAPHIE
PROVISOIRE
Édition
Mère MARIE-ANGÉLIQUE DE SAINTE-MADELEINE,
Lettres de la Révérende Mère Marie Angélique
de Sainte Magdeleine Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal,
Utrecht, Aux depens de la Compagnie, 1742-1744, tome 2 (1742), pp. 110-116,
139-144 & 165-166.
Dont une mise en ligne par Google, http://books.google.fr/books?id=pQMGAAAAQAAJ&,
en ligne en 2008.
Bernard GINESTE,
«Marie Angélique Arnauld: Deux lettres à la reine
de Pologne (misère de Paris et d’Étampes,
mai-juin 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html, 2008.
Éditions
de la correspondance de Marie-Angélique Arnauld
Jacqueline-Marie ARNAUD (dite Mère
MARIE-ANGÉLIQUE DE SAINTE-MADELEINE, 1591-1661), Extraits des
lettres de la mère Marie-Angélique Arnauld, divisés
en deux parties [2 tomes reliés en 1 volume in-12], Leyde, Willem
de Groot, 1734.
Mère MARIE-ANGÉLIQUE DE SAINTE-MADELEINE,
Lettres de la Révérende Mère Marie Angélique
de Sainte Magdeleine Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal
[3 volumes in-12; t.1 (1742): III+632 p.; t.2 (1742): 651 p. ; t.3: (1744):
I+546 p.; 1041 lettres; la préface du tome 3 annonce qu’on a renoncé
au tome 4 qui aurait été constitué seulement de lettres
non datées traitant de morale seulement], Utrecht, Aux depens de
la Compagnie, 1742, 1742 & 1744.
Dont une mise en ligne par Google (t.1: http://books.google.fr/books?id=cgMGAAAAQAAJ&;
t.2: http://books.google.fr/books?id=pQMGAAAAQAAJ&; t.
3: http://books.google.fr/books?id=wwMGAAAAQAAJ&), en
ligne en 2008.
Bernard GINESTE,
«Marie Angélique Arnauld: Sur des religieuses fuyant le
siège d’Étampes (fin mai 1652)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html, 2008.
1652 dans le Corpus Étampois
Bernard GINESTE,
«Marie Angélique Arnauld: Sur des religieuses fuyant le
siège d’Étampes (fin mai 1652)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520525arnauld.html, 2008.
Bernard GINESTE, «Marie
Angélique Arnauld: Deux lettres à la reine de Pologne (misère de Paris et d’Étampes, mai-juin 1652)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html, 2008.
Bernard GINESTE [éd.],
«Petrus Baron: Stemparum
Halosis (texte latin de 1654)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis.html, janvier 2003.
Bernard GINESTE [éd.],
«Pierre Baron: La Prise
d’Étampes (édition bilingue annotée
de Pinson, 1869)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis-bilingue.html, janvier 2004.
Bernard GINESTE [éd.],
«Pierre Baron: La Prise
d’Étampes (traduction Pinson seule)», in
Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-baron1654prisedetampes.html, janvier 2004.
François JOUSSET &
Bernard GINESTE [éd.], «René Hémard:
La Guerre d’Estampes en 1652 (édition 1884 de Pinson)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-renehemard-guerre.html,
janvier 2003.
Bernard GINESTE [éd.],
«Basile Fleureau: Recit veritable de ce
qui s’est passé au siege de la Ville d’Estampes en l’année
1652 (édition de 1681)», in Corpus
Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b44.html, janvier
2003. 2e édition illustrée et annotée:
mai 2007.
André BELLON, «Antoine
Pecaudy», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-1652pecaudy-bellon.html,
2003.
Bernard GINESTE [éd.],
«Turenne: Lettres relatives au siège d’Étampes
(avril-mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-turenne1652lettres.html, 2007.
Sur
l’auteur, Jacqueline-Marie Arnaud, dite la mère Agélique,abbesse
de Port-Royal
Guillaume DALL (1847-1917), La mère
Angélique, abbesse de Port-Royal, d’après sa correspondance
[in-16; VIII+319 p.], Paris, Perrin, 1893.
M.-R. MONLAUR, Angélique Arnauld
[in-8°; VIII+406 p.; préface de Mgr de Cabrières], Paris,
Plon-Nourrit et Cie, 1901. 2e édition: 1902.
Jane PANNIER, Une grande chrétienne.
La Mère Angélique [in-16; 208 p.; portrait], Issy-les-Moulineaux,
“Je sers”, 1930.
Perle BUGNION-SECRETAN, La Mère
Angélique Arnauld (1591-1661) d’après ses écrits, abbesse
et réformatrice de Port-Royal [24 cm; 274 p & 16 p. de planches;
bibliographie pp. 241-247], Paris, Cerf [«Histoire»], 1991.
Fabian GASTELLIER, Angélique Arnauld
[24 cm; 505 p.; contient un choix de documents; index], Paris, Fayard,
1998.
COLLECTIF D’INTERNAUTES, «Angélique
Arnauld», in Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ang%C3%A9lique_Arnauld,
en ligne en 2008.
Sur
la destinataire, Marie-Louise de Gonzague, reine de Pologne
Daniel DUMONSTIER (dessinateur, 1574-1646),
La princesse Marie, ce 10 d’avril 1627 [dessin à la
pierre noire, crayon de couleur, rehauts de pastel; 46 cm sur 35], 1627,
conservé à la BNF.
ANONYME, La Magnifique entrée des
ambassadeurs polonais dans la ville de Paris, avec la première audiance
qu’ils ont euë de Leurs Majestés et de la Princesse Louise Marie,
destinée reine de Pologne [in-4°, monté in-f°
paginé 1001-1016; daté du 29 octobre 1645], Paris, éditeur
non précisé, 1645
Abraham BOSSE (graveur, 1602-1676), Cérémonie
observée du contrat de mariage passé à Fontainebleau
en presence de leurs Majestez entre Vladislaus IIII du nom Roy de Pologne
et de Suede [...] d’une part, et Louie Marie de Gonzague, princesse de
Mantoue et de Nevers, d’autre part, le 25ème jour de Septembre 1645,
desseigné et gravé a leaue forte par A. Bosse le 8me novem.
1645 [eau-forte; 33,5 cm sur 27,5], Paris, sans mention d’éditeur,
1645.
Karolina TARGOSZ (née en 1938), La
Cour savante de Louise-Marie de Gonzague et ses liens scientifiques avec
la France, 1646-1667 [24 cm; 206 p. & 16 planches; traduction
du polonais par Violetta Dimov d’un original Uczony dwór Ludwiki
Marii Gonzagi (1646-1667): z dziejów polsko-francuskich stosunków
naukowych; index], Wrocław, Zakład Narodowy im. Ossolińskich [«PAN,
Komitet Historii Nauki i Techniki»], 1982.
Francesca DA CAPRIO MOTTA (università
degli studi della Tuscia, facoltà di lingue e letterature moderne,
istituto di studi romanzi), Maria Ludovica Gonzaga Nevers. Una principessa
franco-mantovana sul trono di Polonia [21 cm; 194 p. & 4 p. de
planches; appendice (pp. 72-185) comprenant des documents en français
et latin; notes bibliographiques; index], Manziana, Vecchiarelli [«Il
viaggio e la srittura» 2], 2002.
COLLECTIF D’INTERNAUTES, «Marie Louise
de Mantoue», in Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Louise_de_Mantoue,
en ligne en 2008.
Sur Mlle de
Lamoignon
Louise MASSON, Madeleine de Lamoignon [in-16],
Lyon, E. Vitte, 1896.
Sur Duhamel,
curé de Saint-Merry
Vie de M. Du Hamel, curé de Saint-Merry
à Paris [16 cm sur 13; manuscrit de 70 feuillets relié
en parchemin], XVIIIe siècle, manuscrit conservé à
la Bibliothèque de l’Institut de France sous la cote ms 819.
Simon Michel TREUVÉ (1651-1730), Histoire
de M. Duhamel, docteur de Sorbonne et curé de Saint-Merry [in-12;
198 p.], sans mention de lieu ni d’éditeur, 1690 [d’après
Barbier].
Toute critique, correction ou contribution sera
la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
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