Les
Antiquitez de la Ville et du
Duché d’Estampes
Paris,
Coignard, 1683
Premiere
Partie, Chapitre XXXVI,
pp. 180-190.
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Des choses
memorables arrivées à Estampes vers le Regne de Charles VII et de Louis XI
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PREMIÈRE PARTIE,
CHAPITRE XXXVI.
Des
choses memorables arrivées à
Estampes, vers le Regne de
Charles VII. Roy de France, m. 1461.
Louis XI. Roy de France.
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Iean de Bourgogne, Nevers.
Richard de Bretagne.
François fils de Richard.
Comtes d’Estampes.
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Depuis 1442. jusqu’à 1478.
Comme Jean Duc de Bourgogne, lors qu’il se
disoit Regent du Royaume, fit confisquer sur le Duc de Berry le Comté
d’Etampes, & les autres Seigneuries de ce Prince; parce qu’il suivoit
le party des Orleannois, auquel il étoit opposé: Ainsi Charles
VII. de ce nom, étant Regent en France pendant l’incommodité
du Roy Charles VI. son pere, fit confisquer sur le même Duc de Bourgogne,
le même Comté d’Estampes, qui luy étoit écheu
par la mort du Duc de Berry, & les autres Seigneuries qu’il possedoit
mouvantes de la Couronne; pource qu’il avoit pris les armes contre l’Etat:
& qu’il exerçoit tous les actes d’hostilité contre
sa personne, quoy qu’il sceût qu’il êtoit l’heritier presomptif
de la couronne. Ensuite de cette confiscation Charles disposa des Seigneuries [p.181] du Bourguignon, au profit des Princes,
& des Seigneurs, qui défendoient avec luy l’Etat, & les
prerogatives deuës à sa naissance contre un étranger
qui les usurpoit. Entre autres il donna, l’an 1421. à Richard de
Bretagne le Comté d’Estampes, à le tenir perpetuellement
de la Couronne à foy, & hommage lige, pour recompense de ce
qu’il l’avoit aidé, avec Jean VI. Duc de Bretagne son frere, à
retirer Marie d’Anjou sa femme, fille de Louis II. Roy de Naples, de la
main des Anglois, qui la tenoient enfermée dans Paris, & étant
depuis parvenu à la Couronne, il confirma l’an 1425. la donation
qu’il avoit fait [sic] à
Richard, nonobstant laquelle il fut arrêté au Traité
d’Arras, dont j’ay déja parlé, auquel Richard étoit
l’un des Deputez pour le Roy, touchant le Comté d’Estampes, ce que
j’ay cy-devant remarqué, qu’il seroit rendu à Jean de Nevers,
aprés qu’il auroit prouvé le don que le Duc de Berry luy
eu avoit fait. Quelques années aprés la mort de Richard,
Marguerite d’Orleans sa veuve, qui avoit le Bail, & la Garde-Noble de
François leur Fils, obtint du Roy l’an 1442. la confirmation du
don de ce Comté, qu’il avoit fait à son Mari, & sur l’enterinement
qu’elle en demanda à la Cour, il y eut deux oppositions formées,
l’une de la part du Duc de Bourgogne prenant la garantie pour le Comte
Jean de Nevers, à qui il l’avoit transporté, pretendant que
ce Comté luy appartenoit en vertu de la donation du Duc de Berry.
L’autre de la part du Procureur General, qui soûtenoit que ce Comté
ayant été donné en appanage à Louis d’Evreux
premier du nom, pour luy, & pour ses enfans*,
lesquels manquant, il devoit être au domaine de la Couronne: Même
que le dernier desdits successeurs n’avoit pû le transporter au Duc
de Berry. Sur cette contestation les parties furent appointées en
droit: Elles produisirent chacune leurs tiltres, & leurs écritures;
sur lesquelles intervint l’Arrest suivant, par lequel le Comté d’Estampes
fut reuny au domaine de la Couronne.
EXTRAIT DES REGISTRES DE
PARLEMENT.
ENtre Dame Marguerite d’Orleans,
veuve de feu Richard de Bretagne en son nom, & comme ayant le Bail,
Garde, Gouverneur, &….. de François de Bretagne, fils dudit
feu Richard, & de ladite Dame Marguerite, demanderesse, & requerant
l’enterinement de certaines Lettres de don fait audit feu Richard du Comté
d’Estampes, & ses appartenances, par le feu Roy Charles VII. au mois
de Juin 1442 confirmatoires de certaines autres lettres de don dudit Comté, [p.182] dont ou procez est fait
mention, d’une part: Et le Duc de Bourgogne, ou nom, comme ayant prins
la garendie, & deffense de cette cause. Item Meßire Iean de Bourgogne,
Comte de Nevers, & le Procureur General du Roy, pour tant qu’à
chacun d’eux touche, & peut toucher: Et que en icelles Lettres enterinant,
que iceux deffendeurs, & opposans fussent condamnez, & contrains
à la souffrir, permettre, & laisser jouïr dudit Comté
d’Estampes, & de sesdites appartenances: & le dit Duc de Bourgogne
contraint à luy en rendre les fruits, & emolumens, que luy,
& ses Officiers en avoient prins, & perceus: ou qu’elle en eût
pû prendre, & percevoir, & sous l’estimation du plus haut
prix: & en outre qu’il fût dit que ladite demanderesse, à
bonne, & juste cause, avoit requis l’entherinement, & publication
desdites lettres Roiaux: Et qu’à mauvaise, & injuste cause lesdits
deffendeurs, & opposans, & chacun d’eux s’estoient opposez d’autre
part. Veu par la Cour les écritures par faits contraires d’entre
lesdites parties; l’Enqueste faite de la part dudit Duc de Bourgogne,
Lettres, Titres desdites parties, & tout ce que par icelles a esté
mis, & produit par devers ladite Cour, avec certaine Requeste baillée
à ladite Cour par ledit François de Bretagne le XI. jour
de Decembre 1465. par laquelle il requeroit, que certaines autres Lettres
de don a luy fait dudit Comté d’Estampes par le Roy nôtre
Sire, au mois d’octobre 1465. qui avoient este veuës, leuës,
publiées, & enregistrées en ladite Cour, sans prejudice
de la main mise audit Comté d’Estampes, fussent jointes audit procés
principal, pour en jugeant iceluy, y avoir tel regard que de raison: &
tout consideré, dit a esté, qu’à mauvaise & injuste
cause ladite Dame, ou dit nom, a requis l’entherinement desdites lettres
Roiaux: Et que à bonne, & juste cause ledit Procureur du Roy
s’est opposé: & au surplus la Cour absoit ledit Procureur du
Roy des demandes, requestes, & conclusions, tant desdits demandeurs,
que du Duc de Bourgogne, ou dit nom. Prononcé le XVIII. jour de
Mars, l’an MCCCCLXXVIII. signé, Chartelier.
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Charles VII peint par Fouquet
(à gauche, Jean sans Peur
* Per
eundem fratrem nostrum, & successores suos in perpetuum ex suo corpore
descendentes. [“par notre frère
et ses successeurs à perpétuité, descendant de sa
chair”. Fleureau a donné le texte intégral de la charte au
chapitre XXXI, pp. 143-144, dont traduction ici
(B.G., 2007)].
Marguerite d’Orléans
Philippe, duc de Bourgogne
Jean, comte de Nevers
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Ce procés dura long-temps; car l’on trouve que le Procureur General
du Roy fit saisir le Comté d’Estampes, dés l’an 1446. &
il se voit par plusieurs comptes qu’il fut depuis la saisie regy, gouverné
& administré par des Commissaires commis, & ordonnez par
la Cour. Et Argentré en son Histoire de Bretagne dit, que François
II. Duc de Bretagne succeda au Comté d’Etampes aprés son
pere, duquel il joüissoit fort peu; parce que tantôt le Roy
en joüssoit, tantôt le Duc de Bourgogne, & tantôt
d’autres. Jean de Nevers depuis cet Arrest, ne mit plus en ses titres celuy
de Comte [p.183] d’Estampes;
mais il prit seulement la qualité de Duc de Brabant, Comte de Nevers,
d’Eu, & de Rethelois, & Seigneur de Donziois.
Les bien-faits que le Roy Louis XI.
étant encore Dauphin, avoit receus pendant son séjour en
Flandre du Duc de Bourgogne, l’honneur que ce Prince avoir receu de Sa
Majesté qui le choisit pour le faire Chevalier, avant son Sacre
à Rheims. Le bon accueil que le Roy fit au Comte de Charolois, fils
du Bourguignon, lors qu’il vint à Amboise, en l’établissant
son Lieutenant General en Normandie, & les protestations reciproques
d’amitié du Roy envers ces Princes, & de ces Princes envers Sa
Majesté, faisoient esperer aux peuples de France une bonne paix,
& une profonde tranquillité. Mais il n’est que trop vray, qu’entre
les Grands du monde, il n’y a point d’amitié si fortement établie,
qu’ils ne la rompent facilement au premier soupçon qu’ils ont d’être
offensez, nous en verrons un exemple tres-funeste en la suite de cette
Histoire. |
Louis XI
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Peu de temps aprés que le Comte de Charolois sur de retour de
France auprés du Duc son pere, en Flandre*, on découvrit que quatre Flamans avoient
conspiré de luy faire perdre la vie, par le moien de certaines
images de cire. Mais ayant été pris, ils confesserent des
choses étranges (dit Monstrelet,) & ce peut être à
cause qu’il y avoit des personnes de grande condition mêlées,
en ce malheureux dessein. Entr’autres Jean de Bourgogne, Comte d’Estampes,
Cousin germain du Duc en fut grandement soupçonné, parce que
deux ou trois de ses serviteurs, & même son Medecin, furent convaincus
d’avoir travaillé à ces images. Ce soupçon pouvoit
être aussi appuyé sur ce que le Duc n’aiant point d’enfans
legitimes que le Comte de Charolois, celuy-cy êtant mort, la riche,
& ample succession du Duc venoit à Jean & à Charles
son frere aîné, qui n’avoit point aussi d’enfans legitimes.
Jean, pour se justifier, livra son Medecin au Comte de Charolois, qui n’en
crût rien moins pour cela, sçachant bien que les Princes ont
accoûtumé de désavoüer leurs serviteurs, lors qu’ils
n’ont pas reüssi dans l’execution de leurs commandemens injustes. Et
peu de temps aprés, Jean, soit que sa conscience luy reprochât
quelque chose; ou qu’il apprehendât que son Cousin en luy rendant le
semblable, ne se défit de luy par quelque moien, se retira en France
auprés du Roy. Cette retraite produisit deux mauvais effets dans
l’esprit du Comte de Charolois. Le premier fut, de le confirmer davantage
en son soupçon. Et le second, de l’étendre jusques au Roy
de France, se persuadant [p.184] qu’il
étoit d’intelligence, & peut-être le promoteur de l’entreprise:
à cause que Jean avoit sujet de s’éloigner plûtôt
de la France, & du Roy, que de s’en approcher; parce que le Procureur
General avoit dés l’an 1446. fait saisir, & mettre sous la main
du Roy son Comté d’Estampes, dont le revenu étoit administré
par des Commissaires deputez par la Cour de Parlement comme j’ay dit.
Il y eût
encore d’autres sujets de soupçon, & de mécontentement
entre le Roy & le Comte de Charolois. Ce Comte étoit en Hollande,
lors que le Roy passa à Hesdin, pour retirer d’entre les mains
du Duc de Bourgogne, ses villes de la riviere de Somme, lesquelles étoient
rachetables par le Traité d’Arras de quatre cent mille écus
que le Roy avoit fait transporter à Abbeville, qui en étoit
une. Le Duc envoya querir par divers messagers le Comte son fils, pour
venir faire la reverence au Roy; mais il refusa constamment d’y venir,
tandis que le Comte d’Estampes seroit auprés de Sa Majesté:
parce qu’il le croioit son ennemy mortel, & qu’il avoit attenté
à sa vie. D’ailleurs le Roy ayant eu avis que Romille Vice-Chancellier
de Bretagne, qui avoit été en Angleterre de la part de son
Maître, pour y negocier contre Sa Majesté, devoit passer en
Hollande pour le même sujet, dépêcha le bastard de Rubempré
avec quarante hommes bien armez, dans un vaisseau, pour tâcher de
le surprendre. Il descendit luy quatriéme en un port prés
de la Haye, où le Comte de Charolois faisoit sa residence ordinaire,
à dessein d’apprendre des nouvelles de celuy qu’il cherchoit: il
fut pris par ceux du païs, & mené en la presence du Comte:
Et sur le refus qu’il avoit fait de dire son nom, & la cause de son
voyage, on soupçonna, & on l’accusa d’être venu là
par le commandement du Roy pour enlever ce Comte, vif, ou mort. Le Comte
écrivit au Duc son pere, qu’il avoit découvert une entreprise
faite par le Roy sur leurs vies; & qu’il tenoit prisonnier celuy qui
avoit attenté sur la sienne: ce qu’il fit publier, non seulement par
toutes les terres de son pere: mais aussi par toute la France; de quoy le
Roy fut extrêmement outré.
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*1462. & 1463.
Charles le Téméraire
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D’un autre côté les Princes du sang étoient fâchez
de se voir éloignez du gouvernement de l’Etat: & le Duc de
Berry, frere unique du Roy, ressentoit plus que nul autre son éloignement
du Conseil, ce qui le fit facilement resoudre à entrer en la ligue
des Princes mécontans [sic],
en qualité de Chef. Cette ligue eut pour pretexte, & couverture,
la reformation des desordres de l’Etat, & eut pour titre la ligue
du bien public. Charles se retire en Bretagne, où le [p.185] Duc commence aussi-tôt
à assembler des troupes. Les Ducs de Bourbon, de Calabre, &
de Nemours, le Comte d’Armagnac, le Sire d’Albret, & d’autres grands
Seigneurs arment aussi: & l’Anglois leur promet de les assister. Le
Roy, pour ne pas demeurer seul desarmé, assemble trente mille hommes,
qu’il divise en deux corps, en donnant un au Roy de Sicile, & au Comte
du Maine, pour se tenir aux frontieres de Bretagne, & empécher
les courses des Bretons; & luy avec l’autre s’en va dans le Berry, &
dans le Bourbonnois, contre le Duc de Bourbon. Cependant le Comte de Charollois
à la tête d’une armée de quatorze à quinze mille
hommes sortit de Flandre, pour s’avancer vers Paris, où les forces
de la Bourgogne devoient le joindre; & où les Princes liguez
avoient promis de se rendre à certain jour. Il se logea à
saint Denis au commencement du mois de Juillet 1465. & pendant qu’il
y sejourna, il se presenta souvent devant Paris, & escarmoucha avec
ceux qui y étoient. Le Roy avoit pourveu à la deffense de
sa ville, y ayant envoyé une forte garnison: neanmoins parce qu’il
craignoit la legereté du peuple de cette grande ville, que le Bourguignon
flatoit de l’abolition des gabelles, & des subsides, dont il étoit
surchargé, il y vint promptement pour la retenir dans l’obeïssance;
il passa à côté d’Estampes, & logea à Châtres
sous Mont-l’Hery. Philippe de Commine dit que ce fut le 26. jour de Juillet.
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Le Comte de Charollois, qui avoit cependant eu avis que les Ducs de Berry,
& de Bretagne étoient arrivez à Estampes avec leurs
troupes; quoy que cela ne fût pas, & qu’ils n’osoient passer
outre, de peur de se trouver engagez entre l’armée du Roy, &
Paris, prit resolution de les aller joindre: Et pour avoir un passage libre,
sur la riviere de Seine, il attaqua le pont de saint Cloud & le prit
par composition, il envoya le Comte de saint Paul à Mont l’Hery
avec son avant-garde: luy conduisant la bataille demeura à Lonjumeau,
à deux lieuës de-là; & laissa derriere à
égale distance, Antoine son frere bâtard avec l’arriere-garde.
Les armées du Roy & du Comte s’étant rencontrées
par hazard, les Chefs n’avoient au commencement, ny le dessein, ny la
volonté de combatre; parce qu’ils attendoient du secours de part,
& d’autre, le Roy du côté de Paris, & le Comte du
côté de Bourgogne, & de Bretagne: Neanmoins plusieurs
bonnes raisons balancées dans leurs conseils les engagerent au combat,
particulierement à cause que les Ducs de Berry, & de Bretagne
étoient prés d’Estampes: & qu’il
[p.186] étoit plus expedient d’attaquer
le Bourguignon que de retourner en arriere contre les autres; parce que
si le Roy tournoit le dos, le Bourguignon le suivoit en queuë, &
Sa Majesté se trouveroit enfermée entre deux armées:
& si le Bourguignon eût tourné le dos, le Roy l’auroit
aussi suivi de prés, & il se seroit trouvé enfermé
entre Paris & l’armée de Sa Majesté. La bataille fut
donnée le 27. jour de Juillet: Tous y firent tres-bien leur devoir;
l’aisle droite des François mit en fuite l’aîle gauche des
Bourguignons, & luy donna la chasse: Le Bourguignon de son côté
rompit l’aîle gauche des François: Mais au lieu de les poursuivre
en leur fuite, il rallia les siens, & les employa charger les François,
qui revenoient sans ordre de la poursuite des Bourguignons: Ils en tuerent,
& en firent beaucoup de prisonniers, de sorte que ceux qui au commencement
avoient été les vainqueurs, se trouverent à la fin
les vaincus.
Le Roy se retira
la nuit, sans bruit à Corbeil avec son armée: & le
Comte aprés avoir sejourné le lendemain à Mont-l’Hery,
s’en alla le jour suivant à Estampes, où il fit conduire
les blessez, & les malades de son armée, qui étoient
prés de huit cent [sic].
Les Ducs de Berry, & de Bretagne y arriverent aussi, avec les Comtes
de Dunois, de Dampmartin, & plusieurs Seigneurs que le Roy avoir désapointez
immediatement aprés son avenement à la Couronne. Leurs
troupes étoient composées de huit cens hommes d’armes bien
équipez, aussi bien que leurs Archers, faisant tous ensemble six
mille chevaux, & avec les gens de pied environ dix mille combatans,
tous entretenus aux dépens du Duc de Bretagne.
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Charles le Téméraire en chevalier |
Les Princes avec les Seigneurs de marque, & les malades, qui étoient
en grand nombre logerent dans la ville, & aux fauxbourgs, & le
reste de l’armée fut dispersé par les villages circonvoisins.
Il en mourut beaucoup de malades, pendant les quinze jours que ces troupes
séjournerent pour se rafraîchir: Et parce que la plus grande
partie fut enterrée en un lieu, qui est au dessus de l’Eglise
de saint Pierre au de-là du chemin d’Estampes à Morigny,
ce lieu-là a retenu le nom de cimetiere des Bretons: de méme
que le lieu qui est au dessous de Mont-l’Hery, où les Bourguignons
furent enterrez, est nommé le cimetiere des Bourguignons.
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Les Princes de la ligue aprés avoir rafraîchi leur armée
à Estampes, considerant de quelle importance seroit l’exemple
de Paris à toutes les autres villes du Roiaume, s’ils pouvoient
attirer cette puissante Cité à leur party, se resolurent
de l’avoir, ou par de secrettes [p.187] entreprises,
ou en luy coupant les vivres, ou même de vive force. Ils délogerent
d’Estampes, & marcherent enseignes déployées de ce
côté-là: Les Ducs de Berry, & de Bretagne allerent
loger à S. Mathurin de l’Archant, & à Moret: & les
Comtes de Charollois, & de Dunois au dessous, sur le bord de la riviere
de Seine, où ils firent dresser un pont, avec une extrême
diligence; de sorte que dés le lendemain de leur arrivée,
ils passerent la riviere, & le jour suivant les Ducs de Berry, &
de Bretagne la passerent aussi sur le même pont, avec le reste de
l’armée, & vinrent assieger Paris. Comme cette armée étoit
composée de diverses nations, aussi les Chefs & les soldats avoient
ils diverses inclinations, & divers desseins, qui étoient autant
de moiens propres pour détruire leur ligue. En effet le Roy, qui
étoit extrémement adroit à se servir des occasions,
en usa si bien en cette rencontre, qu’en contentant tous ces Princes par
le traité qu’il fit avec eux à Conflans, au mois d’Aoust de
la même année 1465. il les renvoya chacun en leurs terres,
& avec le temps il eut raison des uns, & des autres. Pendant que
l’armée étoit à Estampes un homme de la compagnie des
Bretons, qui prenoit plaisir à jetter des fusées, étant
monté au haut d’une maison, en jetta une d’un lieu, d’où il
ne pouvoit être apperceu, qui donna contre le meneau d’une fenêtre,
sur laquelle le Duc de Berry, & le Comte de Charollois étoient
appuiez discourans ensemble. Ces deux Princes se leverent aussi-tôt,
& demeurerent fort étonnez de ce coup, soupçonnant qu’il
eut été fait expressement pour leur faire du mal. Ils firent
prendre les armes aux Archers de leur garde, & à plusieurs
hommes d’armes, de sorte que la place qui étoit devant leur logis
en fut incontinent remplie: & comme on cherchoit par tout d’où
avoir pû venir ce feu, celuy qui avoit jetté la fusée
s’alla jetter aux genoux de ces Princes, & leur demander pardon de
ce qui étoit arrivé par mégarde, & contre sa volonté.
Il en jetta trois, ou quatre autres en leur presence, le soupçon
cessa, & le tout se passa en risée. |
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Louis de Luxembourg Connêtable de France fut l’un de ceux qui accommoda
avantageusement ses affaires au Traité de Conflans; en execution
duquel, l’Office de Connêtable de France luy fut conferé.
Le Roy, & le Duc de Bourgogne s’étant enfin apperceus qu’il tâchoit
par toute sorte de moiens de les brouïller; s’obligerent l’un &
l’autre, que le premier des deux qui l’auroit en son pouvoir, le feroit mourir
huit jours aprés, ou le donneroit à l’autre pour en faire
sa volonté. Le Connétable étant entré en [p.188] défiance du
Roy, parce qu’il luy avoit mandé qu’il avoit des affaires de si haute
importance à démêler; qu’une tête comme la sienne
luy étoit necessaire, aima mieux se confier, & se rendre entre
les mains du Bourguignon, le fit aussi-tôt arrêter, & ensuite
livrer à Peronne, entre les mains de ceux que le Roy y avoit envoyé [sic], qui l’amenerent à Paris,
où par Arrest de la Cour de Parlement, rendu en la Chambre de la
Tournelle, le Mardy dix-neuviéme jour de Decembre 1475. il fut condamné
à être ce jour-là decapité en Greve, ce qui fut
executé. Ce que je trouve de remarquable pour Estampes, en la mort
de ce Seigneur, c’est que l’un des quatre Docteurs de Sorbonne qui luy furent
donnez pour l’assister à la mort; c’étoit Messire Jean Huë,
natif de la méme ville, où il y a encore des personnes sorties
de sa famille. C’étoit un personnage illustre en doctrine, &
en conduite, puis qu’on l’employoit à assister à la mort les
criminels de leze-Majesté, chose de tres-grande importance. Il avoit
été choisi l’année precedente, pour assister le nommé
Jean Hardy, accusé, & convaincu d’avoir voulu empoisonner le Roy;
pour reparation de quoy, par Arrest de la Cour du Jeudy trentiéme
de Mars, il fut condamné à étre écartelé
sur un échaffaut en la place de Greve, sa teste mise sur une lance
devant l’Hôtel de Ville, ses quatre membres portez en quatre des bonnes
villes du Roiaume, avec un écriteau attaché à chacun,
contenant la cause pour laquelle ils étoient ainsi exposez; &
le tronc brûlé, la maison où il avoit pris naissance
rasée, & un écriteau mis en la place, pour faire connoître
l’énormité du crime qui avoit été cause de cette
démolition.
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L’an 1478. Les Pazzi, Bandivi, Salviati, & autres conjurez de la
ville de Florence, qui avoient entrepris de tuer les Seigneurs Julien,
& Laurent de Medicis, freres, le jour d’une Feste, au mois de May,
durant la Messe, lors que le Prestre diroit le Sanctus, ce qu’ils
executerent seulement sur Julien; Laurent s’étant heureusement
sauvé dans la Sacristie, après avoir été blessé
de plusieurs coups, ils supplierent le Pape Sixte IV. qui n’aimoit pas
les Medicis, de les prendre en sa protection, ce qu’il fit*; & à
l’aide de Ferdinand d’Arragon, Roy de Naples, leur donna de puissantes
forces, dont le Duc de Calabre fut General; excommunia les Florentins,
& mit leur ville en interdit. Les Florentins irritez de ce procedé
du Pape envers eux, demanderent du secours à Loüis, qui suivant
l’alliance qu’il avoit fait peu auparavant avec eux, leur envoia Philippe
de Commines, Seigneur d’Argenton, avec trois
[p.189] cent chevaux: les Venitiens, & le Duc de Milan
luy donnerent aussi quelque secours: & le Roy pour faire plus de peur
au Pape Sixte, assembla les Prelats de France en la ville d’Orleans, pour
rétablir la Pragmatique de Sanction, & ordonner que l’argent
des Benefices qui vaqueroient dans son Roiaume, ne seroit plus porté
à Rome. L’Histoire remarque, que nôtre Jean Huë fut Deputé
par la Sorbonne, & par l’Université pour assister, comme il
fit, à cette Assemblée, & qu’il parla fortement, &
hardiment sur la matiere proposée: Mais qu’enfin il ne fut rien
conclu, l’Assemblée ayant été remise au mois de May
suivant, en la ville de Lion, où elle ne fut pas tenuë. Pendant
qu’il fut Doien de Sorbonne la Faculté de Theologie de Paris, fit
en divers temps plusieurs Censures de livres, ausquelles il presida toûjours
avec applaudissement; specialement à une, qui fut faite le cinquiéme
jour de Fevrier 1487. de quatorze propositions, qui avoient été
préchées à Tournay, par un Cordelier, lesquelles le
Chapitre de l’Eglise Cathedralle de cette ville-là envoya à
la Faculté de Paris, pour en avoir son jugement. On lit de luy dessus
un marbre posé dans le Chœur de l’Eglise de Nôtre Dame d’Estampes,
ce qui suit.
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Mem. De Commines, liv. 6. c. 5.
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Maistre Jean Huë,
Docteur en Theologie, & Doyen de la Faculté de Theologie, Chanoine
de Paris, & de Rheims, & grand Doyen de Sens, l’an 1477. fonda
en cette Eglise le grand Couvre-feu, ou Salut par personnages, &
la feste de la Visitation de Nôtre Dame, & de sainte Elisabeth,
& son Anniversaire. Dieu lui retribuë, Amen. |
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Le grand Salut par personnages se chante dans cette Eglise le jour de
la feste de l’Annonciation de Nôtre Dame, auquel on habille deux
enfans de Chœur, l’un en fille, qui represente la Sainte Vierge, &
l’autre qui represente l’Ange Gabriel, qui luy annonce le Mystere de l’Incarnation.
Tous les Ecclesiastiques vont processionnellement au dessous des Orgues,
où ils chantent divers Motets convenables à la solemnité:
Cependant les deux enfans habillez comme nous avons dit, montent au Jubé.
Celuy des deux qui represente l’Ange, se place au bout du méme Jubé,
du côté de l’Evangile, & celuy qui represente la Vierge
se met à l’autre bout du côté de l’Epître: Et
après que les Prestres ont cessé, ils chantent à
leur tour, en forme de Dialogue l’Evangile qu’on lit à la Messe de
ce jour; ensuite tous passans par dedans le Chœur, disent le De profundis,
pour le repos de l’ame du Fondateur, & jettent de l’eau benîte
sur la tombe sous laquelle son corps repose devant le grand Autel. Outre
les qualitez, dont je viens de parler, il étoit [p.190] encore Penitencier
de l’Eglise de Paris, & Curé de saint André des Arcs
de la même ville, comme on le peut voir sur cette tombe, avec le jour
de son deceds, qui fut le XX. de Janvier: Le chifre suivant est rompu.
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