Corpus Scientifique Étampois
 
René de Saint-Périer
Les Plantes des environs d’Étampes au XVIIIe siècle
1923 
     
Jean-Etienne Guettard (1715-1786) peint par Théodore Charpentier Asarum Europaeum L.      Voici un bel article consacré par le Comte de Saint-Périer à François Descurain, apothicaire étampois et auteur d’une Flore des environs d’Étampes, publiée par son célèbre petit-fils Jean-Étienne Guettard en 1747. Saint-Périer note que Descurain s’était trompé en croyant trouver dans notre région un Sabot de Vénus, mais il a pu vérifier en 1923 la persistance de plantes rares signalées déjà par Descurain, telles que l’Asaret d’Europe du bois du Chesnay, et l’Aristoloche clématite du cimetière de Morigny.
 
Les Plantes des Environs d’Étampes  au XVIIIe siècle
L’Abeille d’Étampes (2 février 1924), p. 2.



     La ville d’Étampes  donné le jour à deux hommes qui, avec un égal éclat, ont brillé, à des époques différentes, dans l’étude et l’enseignement de l’histoire naturelle: Guettard au XVIIIe siècle Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, au XIXe.

 
     C’est du premier que je désire entretenir aujourd’hui les lecteurs de l’Abeille d’Étampes, à propos d’un petit livre qu’il publia sous ce titre modeste: Observations sur les Plantes et qui offre encore un grand intérêt pour notre région. Ce livre parut en 1747, chez Durand, libraire à Paris, rue Saint-Jacques, à l’enseigne du Griffon, en deux volumes in-12. Guettard était déjà fort connu parmi les naturalistes de son époque: docteur en médecin, membre de l’Académie royale des Sciences, il tenait auprès du duc d’Orléans, bisaïeul du roi Louis-Philippe, l’emploi de médecin-botaniste et conservateur de son cabinet d’histoire naturelle.  Ce prince différait fort de son père, le Régent: aussi studieux que celui-ci était porté au plaisir, il avait de bonne heure abandonné la cour et les affaires publiques et cultivait, dans la retraite, les lettres et les sciences. Il avait créé un «cabinet» comme on disait alors, où, sous la direction de Guettard, il rassemblait les curiosités de la nature: minéraux, plantes et animaux. Il mourut en 1752 et légua à Guettard les collections dont celui-ci avait eu la charge.

     C’est au duc d’Orléans que le naturaliste étampois dédie son livre, dans le style ampoulé et laudatif qui était alors de rigueur pour ces épîtres liminaires. 
Jean-Etienne Guettard (1715-1786) peint par Théodore Charpentier
Louis d'Orléans (1703-1752) peint par Sophie Bresson
Jean-Étienne Guettard
  Le duc d’Orléans

 
     Guettard nous annonce ensuite que l’ouvrage comprend deux parties: des observations qui regardent les glandes et les filets ou poils des plantes, ce qui est son œuvre propre, et des indications sur les plantes des environs d’Étampes: cette partie est presque entièrement due à son grand-père, M. Descurain. A dire vrai, l’œuvre de M. Descurain nous intéresse aujourd’hui plus que les observations de Guettard sur l’anatomie végétale, car celle-ci a été renouvelée par les méthodes de la micrographie moderne et il reste peu de choses des remarques faites par Guettard.

     Mais M. Descurain était un bon observateur et il herborisait avec passion. Il était, nous dit Guettard, fils de François Descurain, maître apothicaire à Étampes et de Cantienne Ramon. Il naquit le 22 août 1653 et fit ses études de médecine à Paris, montrant déjà un goût très vif pour la botanique. Mais la mort de son père l’obligea à revenir à Étampes pour lui succéder dans sa profession, avant que ses études fussent achevées. Les médecins étaient rares alors et les apothicaires les remplaçaient souvent. Descurain s’appliqua donc à lire les meilleurs auteurs de médecine et de pharmacie de son temps et il fit ce que nous appellerions aujourd’hui de la médecine illégale, montrant, dit Guettard, «une prudence qui le faisoit agir ou rester dans l’inaction, selon que la nnature le demandoit». Il eut bientôt une belle clientèle, tant aux environs d’Étampes que dans la ville. C’est ainsi qu’il herborisa, en parcourant la campagne, et qu’il dressa le catalogue des plantes de la région, que son petit-fils devait publier.

     Mais M. Descurain ne se bornait pas à recueillir des plantes et à les étudier; il faisait part de ses découvertes à quelques amis et il forma avec eux une petite Académie, où ces honnêtes gens se communiquaient leurs travaux qui «les auroient rendus dignes, nous dit Guettard, de la plus célèbre Académie».

     Ils se réunissaient chez M. Geoffroy, père d’un médecin. M. Pichonat, également médecin à Étampes, dissertait sur l’anatomie. M. Descurain apportait les plantes qu’il avait recueillies, M. Le Maître, curé de Notre-Dame, représentait les Belles-Lettres. Par les nuits claires d’hiver, ils observaient le ciel. La curiosité de nos académiciens étampois s’étendait même jusqu’au grec et à l’hébreu «où ils devinrent habiles». 

     Le 19 octobre 1726, il y eut une aurore boréale à Étampes. Toute la ville observa le phénomène, mais sans le calme qui convient à l’étude scientifique. L’effroi fut si vif qu’on délégua quelques personnes auprès de M. Descurain pour savoir ce qu’il pensait de cette troublante apparition. Descurain était retenu au lit par la fièvre, mais son attitude était calme et sereine. Il dit qu’il n’y avait rien à craindre et «on se crut en sûreté puisque M. Descurain pensoit y être». 

     Ce botaniste zélé avait formé un jardin d’expériences où il avait réuni les plantes «singulières» de la région et des plantes étrangères que lui procuraient ses correspondants, M. Mayo, apothicaire à Dourdan, et surtout MM. de Jussieu qui professaient alors, avec l’éclat que l’on sait, au Jardin du Roi, à Paris, devenu le Museum d’histoire naturelle.


     Ce fut dans son jardin que Descurain gagna « par le travail des mains auquel il s’occupoit» une pleurésie qui l’emporta le 17 mars 1740.


     Je n’entreprendrai pas d’analyser en détail le catalogue des plantes publié par Guettard, à qui son grand-père l’avait légué par testament. Il est souvent difficile de reconnaître aujourd’hui quelques unes des plantes signalées par Descurain. Bien que la première édition du Systema naturae de Linné ait paru en 1745, ses Fundamenta botanica en 1739 et les Genera plantarum en 1737, bien des noms donnés par Descurain ne se rapporte pas à la nomenclature du célèbre naturaliste suédois et leur identification demanderait de longues recherches, laissant même parfois une grande incertitude. C’est ainsi, par exemple, que Descurain cite le Cypripedium dans les bois du Rousset et autour de Gravelles. Or cette orchidée n’est indigène en France que dans l’Est, dans le Jura, dans les Alpes. Elle ne croissait certainement pas aux environs d’Étampes au XVIIIe siècle. Descurain doit désigner sous ce nom soit un Orchis, soit un Ophrys, qui sont abondants autour d’Étampes mais nous ne pouvons faire une identification certaine.


     Ces réserves faites, nous trouvons dans l’ouvrage de Guettard des indications intéressantes sur la région. La répartition des cultures paraît être à peu près la même qu’aujourd’hui. Cependant, les vignes étaient abondantes alors, notamment à l’entrée de Bouville; elles ne sont plus guère cultivées aujourd’hui dans nos environs. Il n’y a plus derrière la ferme de Champdoux des «endroits humides et stériles» que signale Guettard. Mais l’ensemble de notre flore n’a guère varié. J’ai eu la curiosité de vérifier quelques unes des stations où le bon et savant M. Descurain avait recueilli, il y a deux cents ans, des plantes rares. Et j’ai eu la satisfaction que comprendront tous ceux que l’observation de la nature ne laisse pas indifférents, de les retrouver parfois.

     Je signalerai seulement l’Aristolochia clematis L. que Descurain avait récoltée dans le «Cimetière Saint-Germain» et qui n’est pas fréquente aux environs d’Étampes. Cette plante croît encore dans le cimetière de Morigny, qui est, comme on sait, l’ancien cimetière de Saint-Germain-lès-Étampes.

Aristolochia Clematis L.
Aristolochia Clematis L.
Aristolochia Clematis L.
Aristolochia Clematis L.


     Plus curieuse est l’existence de l’Asarum europaeum L. dans notre pays. Cette plante est localisée dans quelques points très disséminés du bassin de Paris. Or, Descurain l’a recueillie dans le bois du Chesnay et les bois de Boutervilliers. Je l’ai retrouvée, croissant en abondance, dans le petit bois du Chesnay où, il y a deux siècles, le botaniste étampois avait observé déjà ces étranges fleurs purpurines, épanouies presqu’au ras du sol, sous un beau feuillage d’un vert marbré. Ainsi, dans ce petit boqueteau, s’est perpétuée cette plante modeste, qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans notre région, tandis que se modifiaient les formes sociales et les gouvernements, image de la sereine impassibilité de la nature devant les événements qui agitent les hommes. 

     On voit, par ces exemples, que Guettard a rendu quelques services en faisant connaître le résultat des recherches de son grand-père. Notre région offre aux amateurs de la nature bien des sujets d’étude attachants et, comme le dit Claude Charles Hémard de Danjouan, Stampensis, étampois, qui dédia, au début du livre de Guettard, une pièce de vers latins à la mémoire de Descurain:
 
Fœlices quibus has eadem quae protulit herbas
Protulit has* doctum noscere terra virum.
«Heureux ceux pour qui une même terre a vu naître et ces plantes et l’homme habile à les connaître!» 

20 décembre 1923 

R. de SAINT-PÉRIER



Asarum Europaeum L. Asarum Europaeum L.
Asarum Europaeum L.
Asarum Europaeum L.

* has correxi e las (B.G.).
 
Source: Abeille d’Étampes, saisie et illustrée par Bernard Gineste, avril 2003. 
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE 
 
Éditions
     
     René, comte de SAINT-PÉRIER, «Les Plantes des environs d’Étampes au XVIIIe siècle» [article daté du 20 décembre 1923], in L’Abeille d’Étampes (2 février 1924), p. 2.

     René, comte de SAINT-PÉRIER, «Les Plantes des environs d’Étampes au XVIIIe siècle» [moins le texte latin], in Michel BILLARD, Voyages à travers l’histoire d’Étampes [234 p.], Étampes, Éditions du Soleil, 1985, pp. 146-149.

     Bernard GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer: Les Plantes des environs d’Étampes au XVIIIe siècle (1923)» [édition illustrée], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-descurain1923saintperier.html, 2003.

Sur le même sujet

     Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «La Flore d’Étampes en 1747 d’après Descurain et Guettard (1889)», in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-guettard1747floredetampes1889roze.html, 2012.
Sur Descurain et Guettard
 
     Jean-Étienne GUETTARD, Observations sur les plantes, [2 vol. in-12; planches; contient notamment une biographie de François Descurain son grand-père maternel apothicaire à Étampes, et un catalogue des plantes qui croissent aux environs d’Orléans et d’Étampes], Paris, Durand, 1747.
  
     ABEILLE D’ÉTAMPES, «Documents sur Guettard, dont sa Lettre à Malesherbes» [saisie numérique en mode texte annotée d’un article de l’Abeille d’Étampes (17 juillet 1875)], in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-abeille1875guettard.html (novembre 2002).
  
     Clément WINGLER, «Jean-Étienne Guettard» [saisie numérique de la notice d’Étampes-Info 548 (2002)], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cpe-18-guettard-wingler.html, 2002.
  
     Bernard GINESTE, «Philip Barker Webb, Sabin Berthelot et le genre Descurainia créé en 1840» [page en évolution], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cse-descurainia.html, 2002.
 
    
     Bernard GINESTE, «Jean-Étienne Guettard: bibliographie dynamique», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cbe-guettard.html, 2002.
     
Le comte de Saint-Périer dans le Corpus Étampois

     René de SAINT-PÉRIER: «Les temps préhistoriques dans la région d’Étampes» (article de L’Abeille, 1913).

     René de SAINT-PÉRIER: «Les Plantes aux environs d’Étampes au XVIIIe siècle» (1923).

    
Émile BOUNEAU: «Dernier portrait du comte de Saint-Périer» (dessin, juillet 1950).

     Adrien GAIGNON: «Le Comte Poilloüe de Saint-Périer» (nécrologie, 1951) .

     Bernard GINESTE: «Le Comte de Saint-Périer et son épouse: une bibliographie» (2003-2004).


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