Les Plantes des Environs d’Étampes au XVIIIe
siècle
L’Abeille
d’Étampes (2 février 1924), p. 2.
La ville
d’Étampes donné le jour à deux hommes qui,
avec un égal éclat, ont brillé, à des époques
différentes, dans l’étude et l’enseignement de l’histoire
naturelle: Guettard au XVIIIe siècle Étienne Geoffroy Saint-Hilaire,
au XIXe.
C’est du
premier que je désire entretenir aujourd’hui les lecteurs de l’Abeille
d’Étampes, à propos d’un petit livre qu’il publia sous
ce titre modeste: Observations sur les Plantes et qui offre encore
un grand intérêt pour notre région. Ce livre parut
en 1747, chez Durand, libraire à Paris, rue Saint-Jacques, à
l’enseigne du Griffon, en deux volumes in-12. Guettard était déjà
fort connu parmi les naturalistes de son époque: docteur en médecin,
membre de l’Académie royale des Sciences, il tenait auprès
du duc d’Orléans, bisaïeul du roi Louis-Philippe, l’emploi
de médecin-botaniste et conservateur de son cabinet d’histoire naturelle.
Ce prince différait fort de son père, le
Régent: aussi studieux que celui-ci était porté
au plaisir, il avait de bonne heure abandonné la cour et les affaires
publiques et cultivait, dans la retraite, les lettres et les sciences.
Il avait créé un «cabinet» comme on disait
alors, où, sous la direction de Guettard, il rassemblait les curiosités
de la nature: minéraux, plantes et animaux. Il mourut en 1752
et légua à Guettard les collections dont celui-ci avait eu
la charge.
C’est au duc d’Orléans que le naturaliste étampois dédie
son livre, dans le style ampoulé et laudatif qui était
alors de rigueur pour ces épîtres liminaires.
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Jean-Étienne Guettard
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Le duc d’Orléans
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Guettard
nous annonce ensuite que l’ouvrage comprend deux parties: des observations
qui regardent les glandes et les filets ou poils des plantes, ce qui est
son œuvre propre, et des indications sur les plantes des environs d’Étampes:
cette partie est presque entièrement due à son grand-père,
M. Descurain. A dire vrai, l’œuvre de M. Descurain nous intéresse
aujourd’hui plus que les observations de Guettard sur l’anatomie végétale,
car celle-ci a été renouvelée par les méthodes
de la micrographie moderne et il reste peu de choses des remarques faites
par Guettard.
Mais M. Descurain était un bon observateur et il herborisait
avec passion. Il était, nous dit Guettard, fils de François
Descurain, maître apothicaire à Étampes et de Cantienne
Ramon. Il naquit le 22 août 1653 et fit ses études de médecine
à Paris, montrant déjà un goût très
vif pour la botanique. Mais la mort de son père l’obligea à
revenir à Étampes pour lui succéder dans sa profession,
avant que ses études fussent achevées. Les médecins
étaient rares alors et les apothicaires les remplaçaient
souvent. Descurain s’appliqua donc à lire les meilleurs auteurs
de médecine et de pharmacie de son temps et il fit ce que nous
appellerions aujourd’hui de la médecine illégale, montrant,
dit Guettard, «une prudence qui le faisoit agir ou rester dans l’inaction,
selon que la nnature le demandoit». Il eut bientôt une belle
clientèle, tant aux environs d’Étampes que dans la ville.
C’est ainsi qu’il herborisa, en parcourant la campagne, et qu’il dressa
le catalogue des plantes de la région, que son petit-fils devait
publier.
Mais M. Descurain ne se bornait pas à recueillir des plantes
et à les étudier; il faisait part de ses découvertes
à quelques amis et il forma avec eux une petite Académie,
où ces honnêtes gens se communiquaient leurs travaux qui «les
auroient rendus dignes, nous dit Guettard, de la plus célèbre
Académie».
Ils se réunissaient chez M. Geoffroy, père d’un médecin.
M. Pichonat, également médecin à Étampes,
dissertait sur l’anatomie. M. Descurain apportait les plantes qu’il avait
recueillies, M. Le Maître, curé de Notre-Dame, représentait
les Belles-Lettres. Par les nuits claires d’hiver, ils observaient le ciel.
La curiosité de nos académiciens étampois s’étendait
même jusqu’au grec et à l’hébreu «où
ils devinrent habiles».
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Le 19 octobre 1726, il y eut une aurore
boréale à Étampes. Toute la ville observa le phénomène,
mais sans le calme qui convient à l’étude scientifique.
L’effroi fut si vif qu’on délégua quelques personnes auprès
de M. Descurain pour savoir ce qu’il pensait de cette troublante apparition.
Descurain était retenu au lit par la fièvre, mais son attitude
était calme et sereine. Il dit qu’il n’y avait rien à craindre
et «on se crut en sûreté puisque M. Descurain pensoit
y être».
Ce botaniste zélé avait formé
un jardin d’expériences où il avait réuni les plantes
«singulières» de la région et des plantes étrangères
que lui procuraient ses correspondants, M. Mayo, apothicaire à
Dourdan, et surtout MM. de Jussieu qui professaient alors, avec l’éclat
que l’on sait, au Jardin du Roi, à Paris, devenu le Museum d’histoire
naturelle.
Ce fut dans son jardin que Descurain gagna
« par le travail des mains auquel il s’occupoit» une pleurésie
qui l’emporta le 17 mars 1740.
Je n’entreprendrai pas d’analyser en détail
le catalogue des plantes publié par Guettard, à qui son
grand-père l’avait légué par testament. Il est souvent
difficile de reconnaître aujourd’hui quelques unes des plantes signalées
par Descurain. Bien que la première édition du Systema
naturae de Linné ait paru en 1745, ses Fundamenta botanica
en 1739 et les Genera plantarum en 1737, bien des noms donnés
par Descurain ne se rapporte pas à la nomenclature du célèbre
naturaliste suédois et leur identification demanderait de longues
recherches, laissant même parfois une grande incertitude. C’est ainsi,
par exemple, que Descurain cite le Cypripedium dans les bois du Rousset
et autour de Gravelles. Or cette orchidée n’est indigène en
France que dans l’Est, dans le Jura, dans les Alpes. Elle ne croissait certainement
pas aux environs d’Étampes au XVIIIe siècle. Descurain doit
désigner sous ce nom soit un Orchis, soit un Ophrys,
qui sont abondants autour d’Étampes mais nous ne pouvons faire une
identification certaine.
Ces réserves faites, nous trouvons dans l’ouvrage de Guettard
des indications intéressantes sur la région. La répartition
des cultures paraît être à peu près la même
qu’aujourd’hui. Cependant, les vignes étaient abondantes alors,
notamment à l’entrée de Bouville; elles ne sont plus guère
cultivées aujourd’hui dans nos environs. Il n’y a plus derrière
la ferme de Champdoux des «endroits humides et stériles»
que signale Guettard. Mais l’ensemble de notre flore n’a guère varié.
J’ai eu la curiosité de vérifier quelques unes des stations
où le bon et savant M. Descurain avait recueilli, il y a deux cents
ans, des plantes rares. Et j’ai eu la satisfaction que comprendront tous
ceux que l’observation de la nature ne laisse pas indifférents, de
les retrouver parfois.
Je signalerai seulement l’Aristolochia clematis
L. que Descurain avait récoltée dans le «Cimetière
Saint-Germain» et qui n’est pas fréquente aux environs
d’Étampes. Cette plante croît encore dans le cimetière
de Morigny, qui est, comme on sait, l’ancien cimetière de Saint-Germain-lès-Étampes. |
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Aristolochia Clematis
L.
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Aristolochia Clematis
L.
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Plus curieuse est l’existence de l’Asarum
europaeum L. dans notre pays. Cette plante est localisée dans
quelques points très disséminés du bassin de Paris.
Or, Descurain l’a recueillie dans le bois du Chesnay et les bois de Boutervilliers.
Je l’ai retrouvée, croissant en abondance, dans le petit bois du
Chesnay où, il y a deux siècles, le botaniste étampois
avait observé déjà ces étranges fleurs purpurines,
épanouies presqu’au ras du sol, sous un beau feuillage d’un vert
marbré. Ainsi, dans ce petit boqueteau, s’est perpétuée
cette plante modeste, qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans notre région,
tandis que se modifiaient les formes sociales et les gouvernements, image
de la sereine impassibilité de la nature devant les événements
qui agitent les hommes.
On voit, par ces exemples, que Guettard a rendu
quelques services en faisant connaître le résultat des recherches
de son grand-père. Notre région offre aux amateurs de la
nature bien des sujets d’étude attachants et, comme le dit Claude
Charles Hémard de Danjouan, Stampensis, étampois,
qui dédia, au début du livre de Guettard, une pièce
de vers latins à la mémoire de Descurain:
Fœlices quibus has eadem quae protulit herbas
Protulit has* doctum noscere terra virum.
«Heureux ceux
pour qui une même terre a vu naître et ces plantes et l’homme
habile à les connaître!»
20 décembre 1923
R. de SAINT-PÉRIER
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Asarum Europaeum L.
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Asarum Europaeum L.
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* has correxi e las
(B.G.).
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BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
Éditions
René, comte de SAINT-PÉRIER,
«Les Plantes des environs d’Étampes au XVIIIe siècle»
[article daté du 20 décembre 1923], in L’Abeille d’Étampes
(2 février 1924), p. 2.
René, comte de SAINT-PÉRIER, «Les Plantes des environs
d’Étampes au XVIIIe siècle» [moins le texte latin],
in Michel BILLARD, Voyages à travers l’histoire d’Étampes
[234 p.], Étampes, Éditions du Soleil, 1985, pp. 146-149.
Bernard GINESTE [éd.], «René de Saint-Périer:
Les Plantes des environs d’Étampes au XVIIIe siècle
(1923)» [édition illustrée], in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cse-18-descurain1923saintperier.html,
2003.
Sur le même sujet
Bernard
MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «La Flore d’Étampes en 1747 d’après Descurain
et Guettard (1889)», in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-guettard1747floredetampes1889roze.html, 2012.
Sur Descurain et
Guettard
Jean-Étienne GUETTARD,
Observations sur les plantes, [2 vol. in-12; planches; contient
notamment une biographie de François Descurain son grand-père
maternel apothicaire à Étampes, et un catalogue des plantes
qui croissent aux environs d’Orléans et d’Étampes], Paris,
Durand, 1747.
ABEILLE D’ÉTAMPES, «Documents
sur Guettard, dont sa Lettre à Malesherbes» [saisie
numérique en mode texte annotée d’un article de l’Abeille
d’Étampes (17 juillet 1875)], in Corpus Etampois,
http://www.corpusetampois.com/cle-18-abeille1875guettard.html
(novembre 2002).
Clément WINGLER, «Jean-Étienne
Guettard» [saisie numérique de la notice d’Étampes-Info
548 (2002)], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cpe-18-guettard-wingler.html,
2002.
Bernard GINESTE, «Philip
Barker Webb, Sabin Berthelot et le genre Descurainia créé
en 1840» [page en évolution], in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cse-descurainia.html,
2002.
Bernard GINESTE, «Jean-Étienne
Guettard: bibliographie dynamique», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cbe-guettard.html,
2002.
Le comte de
Saint-Périer dans le Corpus Étampois
René de SAINT-PÉRIER:
«Les temps préhistoriques dans
la région d’Étampes» (article de L’Abeille,
1913).
René de
SAINT-PÉRIER: «Les Plantes aux environs d’Étampes
au XVIIIe siècle» (1923).
Émile BOUNEAU: «Dernier portrait du comte de Saint-Périer» (dessin, juillet 1950).
Adrien GAIGNON: «Le Comte Poilloüe de Saint-Périer» (nécrologie, 1951)
.
Bernard GINESTE:
«Le Comte de Saint-Périer
et son épouse: une bibliographie» (2003-2004).
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