Corpus Littéraire Étampois
 
L’Abeille d’Étampes
Documents sur Guettard
dont sa Lettre à Malesherbes (1752)
17 juillet 1875 
 
Jean-Etienne Guettard, par Théodore Charpentier (Musée d'Etampes)
     Nous rééditons ici la Lettre de Guettard à Malesherbes (1752) d’après l’édition qu’en a donnée l’Abeille d’Étampes en 1875, avec de nouvelles notes (2002).      Saisir des textes anciens est une tâche fastidieuse et il ne faut pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.
 
Documents sur Guettard.
 
Opinion d’un savant du XVIIIe siècle 
sur l’observation des fêtes et des dimanches.


     Un critique qui, de nos jours, fait autorité, a dit: 

     «Au XVIIIe siècle, on était philosophe par un mouvement commun des esprits, par entraînement, par amusement, par amour de la nouveauté et de l’invention littéraire.» (ED. THIERRY, Moniteur du 16 mars 1858.) (a

     Un des personnages les plus considérables du XVIIIe siècle, et par sa naissance et par la position élevée qu’il occupait dans l’État, Chrétien Guillaume de Lamoignon Malesherbes, à la fois membre de l’Académie des Sciences, de celle des Inscriptions et de l’Académie Française, le futur défenseur de Louis XVI, est un des hommes qui «ont le plus aidé à la philosophie lorsqu’elle corrompait les mœurs.» (Mémoires du prince de Talleyrand, publiés par la comtesse d’O... du C..., t. 2, p. 210 et s.) (b). Directeur de la librairie, il laissa publier et protégea même de son autorité et de ses conseils les ouvrages les plus contraire à la religion et à l’autorité royale. Il favorisa avec la plus grande indulgence la publication de l’Encyclopédie. Tout dévoué aux Philosophes, il recherchait leur société ainsi que celle des savants, et les réunissait chez lui les jours de fêtes et les dimanches à des heures qui, si l’on en croit la lettre de Guettard, que nous allons rapporter, concordaient trop avec celles des offices religieux.

     Jean-Étienne Guettard (1), né à Étampes, le 22 septembre 1715 (c), docteur régent de la Faculté de Médecine de Paris, était aussi de l’Académie des Sciences, et l’un des membres les plus laborieux de cette Société. «Quand on analyse l’œuvre de Guettard, a dit son dernier biographe, M. Aimé de Soland (Annales de la Société Linéenne de l’Anjou), on est étonné qu’une vie ait pu suffire un tel labeur.» (d)

     Guettard fut toute sa vie très-religieux, et son amour pour les sciences ne lui fit jamais négliger la pratique de la religion. Il avait été le condisciple de Malesherbes chez les Jésuites; plus tard, leur goût commun pour les sciences naturelles les avaient rapprochés, et en 1755, Guettard avait accompagné Malesherbes dans un voyage à Vichy et en Auvergne; nos deux savants étaient donc doublement en relation. Guettard avait été invité aux réunions de savants qui se tenaient chez Malesherbes; son absence de ses réunions avait été sans doute remarquée, et lui avait attiré quelques reproches. C’est pour se justifier qu’il adressa à Malesherbes la curieuse lettre suivante, qui, en même temps qu’elle nous fait connaître ses sentiments en matière religieuse, nous révèle le caractère de l’homme mieux que ne pourrait faire le plus fidèle portrait.

     Nous publions cette lettre, en nous conformant scrupuleusement à l’orthographe, d’après l’original que nous possédons (e), écrit en entier de la main de Guettard.

     La lettre ne porte pas de suscription, mais on lit en haut de la lettre, dans le coin à gauche, ces mots d’une écriture du temps:



Notes de Bernard Gineste (2002)

     (a) Édouard Thierry (1813-1894), écrivain, critique littéraire et administrateur général de la Comédie Française de 1859 à 1871.

     (b) Cette édition des Mémoires de Talleyrand n’est pas conservée par la BNF, mais seulement celles-ci: Charles-Jacques-Victor-Albert, duc de BROGLIE [éd. (1821-1901)] & Adolphe de BACOURT [qui a établi le texte (1800-1865)], Charles-Maurice, duc de TALLEYRAND-PÉRIGORD, prince de Bénévent [auteur (1754-1838)], Mémoires du prince de Talleyrand, publiés, avec une préface et des notes, par le duc de Broglie [5 vol. in-8°; portraits; fac-similés; I: 1754-1808; II: 1809-1815; III: 1815-1830; IV: 1830-1832; V: 1832-1834; choix de documents; index], Paris, Calmann Lévy, 1891-1892 [dont une réédition en fac-similé (5 vol.; 23 cm), Courbevoie, Durante, 1998.

     (c) On a montré récemment que Guettard n’était pas né le 22, comme on l’écrit communément par suite d’une lecture trop rapide de l’acte de baptême, mais trois jours plus tôt, soit le 19 septembre 1715: Patrick & Marie-José DE WEVER & Jean-Louis DUCLOS, Guettard, un savant du XVIIIe, un jardin & un collège [brochure de format A4; 27 p. non paginées; 44 illustrations], Étampes, Lions Club d’Étampes [«Cahiers du Lyons Club d’Étampes» n°1], 1991, fig. 2 [fac-similé de l’acte de naissance]. Il faut noter que Guettard n’a que trente-six ans quand il écrit cette lettre; Malesherbes n’en a que trente.

     (d) Aimé de SOLAND, «Étude sur Guettard»,  in Annales de la Société Linéenne de Maine-et-Loire Annales de la Société Linéenne de Maine-et-Loire [Angers] 13-15 (1871-1873), pp. 32-88 [surtout sur Guettard en tant que botaniste]; dont un extrait: Étude sur Guettard [in-8°], Angers, Lainé, 1873.

     (e) A cette heure je n’ai pas pu déterminer quel est l’auteur de cet article, et je ne saurais dire où se trouve à présent l’original.

Guettard à M. de Malesherbes.
 
Du 29e juillet 1752
               Monsieur,   
 
     Les motifs que vous me pretés de ne pas repondre aux invitations que vous me faites seraient trop deraisonnables pour que je ne vous prie pas de me permettre de m’expliquer. Vous croyés que je ne veux pas me trouver avec Mrs De Lacademie je les respecte trop pour que je pense ainsi. Je me regarde comme tres honoré de pouvoir me trouver la ou il y en a quelqu’un. Je ne fais acception de personne. Ils me sont touts egaux. Celuy de touts qui me mepriseroit le plus, ne meloigneroit pas de luy: je ne l’en estimerois pas moins. Plus d’une chose en moy pouroit meriter qu’il me meprisat sans que je dusse luy rendre la pareille. Ainsi Monsieur soyés persuadé que je les estime touts, que les aime même si vous voulés. Quels sont donc mes motifs. Les voici je ne rougis pas de les dire et ne le dois pas même.   
     L’on se met a table dans des maisons comme la votre trop tard pour que je puisse les festes et dimanches remplir les devoirs auxquels je me crois obligé. J’ay toujours pensé que ces jours devoient se passer a autre chose qu’a faire festins, et si je n’ay pas toujours agi conséquemment a ce principe, je regrette maintenant ce temps perdu et si mal employé. Dans toutes les religions il y a eu des jours consacrés au culte de la divinité et les peuples se sont toujours fait un devoir ce remplir ce culte tel qu’il fut, pourquoy m’exempteroije de m’acquitter de celuy que la notre exige de nous. Je n’entre point dans les raisons que d’autres peuvent avoir de la mepriser ce ne sont pas la mes affaires, je ne reponderai pas pour eux, leurs occupations au reste peuvent peut etre leurs permettre de se donner ce jour la un délassement tres sage en luy même. Pour moy je ne crois pas que les miennes soient si essentielles pour que je n’en neglige une qui est la plus necessaire.

     Voici Monsieur mes motifs, je ne scai si ils vous paroitront justes et raisonnables. Je sens aussi bien que tout autre tout ce que la plaisanterie et ce qu’on appelle le bon ton, peuvent laisser de badin contre ma façon de penser, mais les badineries ne sont pas des raisons et la raison doit etre preferée a tout. Je me suis fait une loix de la suivre autant qu’il m’a eté donné de le faire. Malheur a moy  si je me trompe quelquefois, mais dans le cas dont il sagit quand elle ne seroit pas de mon coté, autant qu’elle l’est, je n’aurois rien a craindre de me tromper au lieu que  de l’autre côté, je vois un cahos de troubles et de craintes. Est ce pusillanimité de ma part, est ce force d’esprit et de genie de la part des autres? c’est ce que je ne puis décider. Je laisse cette grande question a décider a celuy qui est la raison même et la vérité par essence.
Jean-Etienne Guettard, par Théodore Charpentier (Musée d'Etampes)
     Vous allés dire, ce que vous m’avés fait l’honneur de me dire une fois et ce dont je ferai mon profit que je m’arrete aux menuties et que je suis avec tout cela colere, vindicatif, emporté, meprisant les autres, presomptueux. Je serois bien malheureux si cela etoit mais ce seroit toujours la un bon avis dont je vous ai toute l’obligation possible. J’avoue que je suis vif. Mais lorsque ma vivacité m’emporte je fais en sorte que ce ne soit pas contre les personnes mêmes, mais contre leurs mauvais principes et leurs mauvaises raisons. La vérité est ce que je cherche et lorsque je la crois attaquée, je ne puis m’empecher de le dire, j’avoue qu’on peut le faire avec paix, mais le caractere est toujours ce que l’on vainct le dernier. Au reste mon cœur est tranquille, si l’esprit est agité et soyés persuadé Monsieur que je scai ceder lorsqu’on me donne de bonnes raisons. Les ... (f) outre cela ont quelque fois plus d’amour propre que les gens d’un ton elevé. Un air d’importance en impose et est oppiniatre. La vivacité se decele et s’evapore. Je suis assez puni de mes vivacités par la peine quelles me font lorsque je suis rendu a moy même pour qu’on ne me les impute qu’avec indulgence, et j’espere que  vous en aurés pour moy plus que tous ceux qui me veulent quelque bien.
     (f) Il y là un mot que probablement l’auteur de l’article n’a pas pu déchiffrer dans le manuscrit qui était en sa possession.

     Il est vray que ma facon de penser au sujet de nos occupations academiques deveroit ne me laisser jamais [p.3] sortir de l’etat de tranquillité, ce sont des amusements et qui s’amuse ne doit pas s’emporter, mais les enfants se battent quelquefois pour un fêtu. Voyés donc Mr si je dois etre presomptueux et penser ainsi, doi je etre a plus forte raison vindicatif. Je voudrois me trouver dans le cas de faire du bien a mes plus grands ennemis si j’en avois de tels et je le ferois de tout mon cœur. Soyés en, j’ose vous en conjurer, tres persuadé. Enfin Monsieur tel que je pusse etre a vos yeux rien ne m’empechera de vous etre tres sincerement attaché, de vous regarder comme un de mes bienfaiteurs et de mes protecteurs et comme celuy que je respecterai le plus toute ma vie.   
   

J’ai l’honneur detre avec un profond respect,
Monsieur,
Votre tres humble
obeissant serviteur
GUETTARD.


[Recherches sur les Guettard d’Étampes]
[Note de l’Abeille d’Étampes]

     (1) La famille Guettard est une des plus anciennes familles d’Étampes; bien qu’elle occupât un rang modeste dans la cité, on trouve fréquemment des membres de cette famille remplissant des emplois publics ou des fonctions municipales.   

     En 1517, la ville d’Étampes put profiter pour la première fois des privilèges que lui avait accordés Louis XII, à l’occasion du mariage de sa fille Claude avec le duc d’Angoulême, et nommer son maire et ses échevins; Jean Guétard, drapier, fut l’un des quatre échevins nommés à la suite de cette élection, et en 1539, il fut choisi pour maire par ses concitoyens.

     En 1556, un Charles Guétard, bourgeois, prit part à la rédaction de la Coutume.

      Dans une étude sur Étampes en 1616, publiée dans le numéro du 20 juin 1874, l’Abeille d’Étampes a cité, parmi les censitaires du prieuré de Saint-Pierre, à cette époque, un Symon Guestard et deux veuves nommées l’une Jehanne Guestard et l’autre Cantienne Guestard.

     Nous trouvons encore dans les annales d’Étampes, Thomas Guettard, maire en 1591, et Pierre Guettard, échevin en 1767.

     Dans le procès-verbal de la translation des reliques des Saints patrons de la ville d’Étampes, faite le 12 avril 1621, par Henry Clansse [sic], évêque de Châlons-sur-Marne, nous voyons figurer Claude Guettard parmi les notables habitants de la ville présents qui ont signé le procès-verbal.
 
     Jean Guettard, le grand-père de notre savant, était, au moment du mariage de son fils avec Marie-Françoise Descurain (26 juillet 1706), marchand et trésorier de l’église Notre-Dame d’Étampes.
 
     Enfin, en 1745, ce fut un Guettard, marchand, qui se rendit adjudicataire, pour la somme de 4,500 livres, de l’illumination à l’occasion du séjour à Étampes du roi Louis XV et du dauphin, son fils, qui venoient à la rencontre de Marie-Thérèse, infante d’Espagne, fiancée du Dauphin.

   

Source du texte: Saisie: Bernard Gineste, 22 novembre 2002, grâce à M. Clément Wingler, directeur des Archives Municipales d’Étampes.
 
   
       
BIBLIOGRAPHIE
 
Manuscrit et éditions
 
     Jean-Étienne GUETTARD, Lettre à Monsieur de Malesherbes, 29 juillet 1752 [manuscrit non localisé, attesté et transcrit en 1875].   

     AUTEUR NON DÉTERMINÉ, «Documents sur Guettard», in L’Abeille d’Étampes (17 juillet 1875), pp. 2-3.   

     Bernard GINESTE [éd.], «Documents sur Guettard, dont sa Lettre à Malesherbes» [saisie numérique en mode texte annotée d’un article de l’Abeille d’Étampes], in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-abeille1875guettard.html (novembre 2002).   
   
 

     Merci de nous communiquer tout autre donnée disponible. 
GUETTARD DANS NOTRE CORPUS
    
     Jean-Étienne GUETTARD & Antoine-Laurent LAVOISIER, «Description de deux mines de charbon de terre, situées au pied des montagnes de Voyes, l’une en Franche-Comté, l’autre en Alsace, avec quelques expériences sur le charbon qu’on en tire» (1778) [sur la base de la saisie numérique du Panopticon Lavoisier], in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-guettard2mines.html, 2002.   
  
     Jean-Étienne GUETTARD, Minéralogie du Dauphiné, 1779: deux planches de l’édition de 1782, in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-guettard-dauphine.html, 2002. 
   
     ABEILLE D’ÉTAMPES, «Documents sur Guettard, dont sa Lettre à Malesherbes» [saisie numérique en mode texte annotée d’un article de l’Abeille d’Étampes (17 juillet 1875)], in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-abeille1875guettard.html (novembre 2002). 
  
     Clément WINGLER, Jean-Étienne Guettard , 2002 [saisie numérique de la notice d’Étampes-Info 548], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cpe-18-guettard-wingler.html, 2002. 
    
     Bernard GINESTE, «Jean-Étienne Guettard: bibliographie dynamique», in Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cbe-guettard.html, 2002 
 
 
    
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