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L’un des élèves les plus brillants de Jean-Étienne
Guettard fut Antoine-Laurent Lavoisier, le fondateur de la chimie moderne.
En 1767 les deux hommes entreprirent ensemble une expédition scientifique
dans les Vosges. Ils tinrent alors un Journal d’observations, qui
est encore conservé aux Archives de l’Académie des Sciences.
Dix ans plus tard, Lavoisier s’appuya sur ce Journal pour en tirer la matière d’un exposé devant l’Académie Royale des Sciences de Paris, lu le 5 septembre 1777 et publié l’année suivante dans les Mémoires de cette Académie. |
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Les observations rapportées dans ce mémoire sont extraites
du journal d’un voyage que nous avons fait ensemble en 1767, M. Guettard
et moi; en conséquence, tout ce qui sera rapporté dans ce mémoire
doit nous être regardé comme commun.
La première des deux mines dont il va être question est ouverte dans une montagne de schiste, entre les villages de Ronchamps et de Champagney, à deux lieues ouest-sud-ouest de Lure, et à trois lieues est-sud-est de Belfort. Cette mine s’exploite à découvert et presque à la surface; comme elle était nouvellement ouverte lorsque nous avons eu occasion de l’observer, on ne l’avait attaquée que par le bas de la montagne, et on n’avait pas encore suivi les veines à une grande profondeur.
Les bancs de charbon de terre sont inclinés de 30 degrés environ
avec l’horizon; leur épaisseur est communément de 9 pieds, mais
elle n’est pas partout la même.
Le tectum de la mine est un schiste jaunâtre dans des endroits, et noirâtre dans d’autres; ce schiste est assez tendre, il est feuilleté, mais il ne se débite pas en feuillets aussi minces que l’ardoise; lorsqu’il a été calciné, il donne de l’alun par lixiviation; on détaillera dans un moment la manière dont se fait ce travail en grand. Ce schiste, comme presque tous ceux qui recouvrent le charbon de terre, contient quelques empreintes de végétaux, mais elles y sont très-rares; au-dessous du banc de charbon de terre se trouve un schiste plus noir que celui qui sert de tectum à la mine; les fouilles alors ouvertes ne nous ont pas permis de pousser plus loin nos observations. Ce charbon de terre, par l’analyse chimique, donne, à plusieurs égards, les mêmes produits que le charbon de terre ordinaire, mais il en diffère essentiellement à d’autres; et c’est cette singularité, commune à la plupart des charbons de terre des Voyes, qui nous a engagés à donner cette observation à l’Académie. Soumis à la distillation à la cornue, nous en avons obtenu d’abord, à une chaleur très-douce, du flegme; ensuite il a commencé à se dégager une odeur empyreumatique très-marquée, et il a passé un peu d’huile claire et limpide, et en même temps un esprit légèrement acide, qui rougissait complétement le sirop de violettes et faisait effervescence avec les alcalis; cette liqueur acide a été suivie d’une huile noire et épaisse, sentant fortement l’empyreume, et il est resté dans la cornue un charbon léger et très-inflammable. Cette analyse du charbon de terre de Ronchamps présente une exception remarquable, et dont il paraît que les exemples sont rares. Toutes les analyses de charbons de terre qui ont été publiées jusqu’ici, si ce n’est celle publiée dans l’Encyclopédie à l’article Charbon, annoncent qu’on retire de ce fossile de l’alcali volatil en grande abondance; celui de Ronchamps, au contraire, donne de l’acide. [p. 243] L’un de nous se rappelle avoir entendu dire à M. Rouelle l’aîné, dans ses leçons de chimie, que le charbon de terre de Balleroy, en Normandie, présentait le même phénomène, et qu’il donnait également de l’acide par la distillation, au lieu d’alcali volatil. Nous avons dit que le schiste qui servait de tectum au charbon de terre de Ronchamps était alumineux; et en effet, dans l’établissement naissant qui se formait en cet endroit, lorsque nous y passâmes en 1767, M. Guettard et moi, on avait entrepris d’y former une fabrique d’alun, et voici comme on opérait: On concassait grossièrement le schiste alumineux, et on en formait de longues planches ou couches pyramidales, disposées en toit par le haut; on entremêlait avec ce schiste des morceaux de charbon de terre, et on ménageait du jour pour la circulation de l’air. Lorsque tout était ainsi disposé, on mettait le feu au tas, et on laissait la masse s’affaisser et s’éteindre d’elle-même, ce qui n’arrive que quand tout le charbon de terre est consumé. Il se dégage beaucoup de soufre dans cette opération, et ce soufre était perdu lorsque nous visitâmes cette fabrique; mais on se proposait de le recueillir dans la suite, et d’en tirer parti. Lorsque le schiste a été ainsi calciné, on le transporte dans de grands bassins carrés, creusés dans la terre et revêtus de planches, dans lesquels on le lessive en remuant avec un ringard; de ces fosses, l’eau est conduite, par des canaux de bois, dans de grands réservoirs où elle s’épure, après quoi elle tombe dans des chaudières de plomb très-épais, qui forment des carrés très-allongés; la liqueur est rapprochée, dans ces chaudières, jusqu’à ce qu’elle soit au point de cristallisation; enfin on la met à cristalliser dans de grandes caisses de bois. Ces mêmes mines présentaient encore un autre objet d’industrie: on y avait pratiqué une fabrique de noir de fumée; cinq fourneaux étaient continuellement employés à brûler du charbon de terre pour cet objet; ces fourneaux sont fort bas et n’ont point de cendrier; ils ont 12 pieds de long et 6 pieds de large par devant, ils vont ensuite [p.244] en se rétrécissant vers le fond, et se terminent en un tuyau qui aboutit dans une chambre de 28 pieds de long sur 12 ou 13 de large; toutes ces chambres sont voisines et mitoyennes; à leur extrémité, dans le haut, est une cheminée qui aboutit dans une galerie haute, commune à toutes les chambres; cette cheminée s’ouvre et se ferme à volonté, par le moyen de tuiles et de briques, afin de pouvoir ménager convenablement le feu; communément, on ne laisse qu’une ouverture de la grosseur du poing. Au moyen de ces dispositions, la fumée circule dans la chambre, et s’attache à ses parois; une petite portion seulement parvient jusqu’à la galerie commune, où elle se rassemble de la même manière. On n’entre qu’une fois par mois dans chaque chambre; on détache le noir des murailles, sur lesquelles il s’est rassemblé, et on le passe à travers un tamis: ce noir est lourd, gras et mat; il sent l’empyreume, un peu le soufre, et, au total, il est de la qualité la plus médiocre. On remplit les fourneaux de charbon de terre toutes les quatre heures: la matière charbonneuse qu’on en retire n’est pas encore perdue; on tire parti de tout dans ce travail, et elle est vendue pour la cuisine et les usages domestiques. Nous ignorons quel a été le succès de cette entreprise; tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’elle promettait beaucoup en 1767, et qu’elle paraissait montée et suivie par des personnes très-intelligentes. Le charbon de terre de Ronchamps n’est pas le seul de ce canton qui donne de l’acide par distillation, au lieu de donner de l’alcali volatil; quelques morceaux que nous avons tirés de veines peu suivies qui se trouvent près de Saint-Hippolyte, en Alsace, nous ont présenté le même phénomène. Le village de Saint-Hippolyte est situé au nord-est de Schelestadt, en Alsace, et à la distance d’une lieue et demie environ de cette ville. Pour donner une idée des circonstances dans lesquelles se trouve le charbon de terre qu’on tire de ses environs, nous allons rapporter ici ce qui se trouve inscrit sur notre journal d’observations, à la date du 23 août 1767: [p. 245] «Le village de Saint-Hippolyte est à l’extrémité des anciennes alluvions du Rhin, et tout le terrain voisin, du côté de la plaine d’Alsace, est couvert de quartz blancs roulés, qui sont quelquefois liés par un sable fin, et qui forment des poudingues. «Il en est bien autrement du terrain qui se trouve au delà de Saint-Hippolyte, c’est-à-dire à l’est, et en gagnant vers la montagne; on n’est pas plutôt sorti de ce village qu’on entre tout d’un coup dans un terrain composé de granit à grandes plaques de feldspath; ces granits sont quelquefois durs, mais souvent ils sont friables, et les grains qui les composent se séparent aisément les uns des autres; on dirait que ce sont plutôt des détritus de granit que des granits mêmes, tant ils ont peu de consistance.
«On s’élève ainsi insensiblement en suivant la route
de Sainte-Marie-aux-Mines, et en laissant à gauche un ruisseau qui
passe entre Rodersch et Saint-Hippolyte; lorsqu’on est parvenu à une
demi-lieue environ de ce dernier endroit, on trouve à droite une coupe
de 40 pieds, faite pour la facilité du grand chemin; elle offre les
détails suivants:
Tous ces bancs s’inclinent vers le penchant de la montagne, c’est-à-dire vers le midi, en formant un angle environ de 20 degrés avec l’horizon. Sur la gauche, en descendant vers le ruisseau, à peu près dans le même plan que le banc ci-dessus n° 13, on avait fait différentes fouilles pour obtenir du charbon de terre: les trous sont creusés dans le même gravier graniteux que ci-dessus; mais, comme ce gravier a peu de consistance, il se fait fréquemment des éboulements qui ruinent les travaux. Une circonstance qui doit encore rendre l’exploitation de ces mines peu profitable, c’est que quelquefois les petites veines de charbon manquent tout à coup, et paraissent se fondre et pénétrer dans le gravier graniteux, qui alors est plus bitumineux. Malgré ces différents obstacles, on paraissait disposé, lors de notre passage en 1767, à entreprendre des travaux suivis en cet endroit; nous en ignorons l’événement. Les granits dont nous venons de parler forment la base de la montagne; en s’élevant davantage, on observe que ces granits sont recouverts de sable rougeâtre mêlé de quartz roulés, et dans lequel on trouve des rochers d’un grain rougeâtre très-fin et très-propre à faire [p.247] des meules de rémouleur; ces grès se nomment mollasse dans le pays; ce terrain sableux forme tout le haut de la montagne.
Des morceaux de charbon de terre pris dans les bancs qu’on vient de décrire
ont donné par la distillation à feu nu, par un degré
de chaleur modérée: 1° un peu de flegme, 2° un esprit
très-légèrement acide; 3° une huile épaisse,
noire et empyreumatique, de l’acide, et pas un atome d’alcali volatil; il
est resté dans la cornue un charbon léger, poreux, tel qu’on
l’obtient de tous les charbons de terre. |
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M. DUMAS & E. GRIMAUX [dir.], Lavoisier. Œuvres, publiées par les soins de son Excellence le Ministre de l’Instruction Publique et des Cultes [ 6 vol.], Paris, Imprimerie Nationale, 1864-1893, vol. II, pp. 241-247.
Marco BERRETA, Andrea SCOTTI, Daniele NUZZO, Raphaël BANGE, Panopticon
Lavoisier [Site international anglophone voué à Lavoisier,
qui tend notamment à mettre intégralement en ligne les œuvres
de Lavoisier; version française encore en construction en novembre
2002], http://moro.imss.fi.it/lavoisier
(en ligne en novembre 2002)
Jean-Étienne GUETTARD & Antoine-Laurent LAVOISIER, «Description
de deux mines de charbon de terre, situées au pied des montagnes
de Voyes, l’une en Franche-Comté, l’autre en Alsace, avec quelques
expériences sur le charbon qu’on en tire» [sur la base de la
saisie numérique du Panopticon Lavoisier], in Corpus Etampois
(2002), http://www.corpusetampois.com/cse-18-guettard2mines.html.
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Jean-Étienne GUETTARD & Antoine-Laurent LAVOISIER, «Description de deux mines de charbon de terre, situées au pied des montagnes de Voyes, l’une en Franche-Comté, l’autre en Alsace, avec quelques expériences sur le charbon qu’on en tire» (1778) [sur la base de la saisie numérique du Panopticon Lavoisier], in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-guettard2mines.html, 2002. Jean-Étienne GUETTARD, Minéralogie du Dauphiné, 1779: deux planches de l’édition de 1782, in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-guettard-dauphine.html, 2002. ABEILLE D’ÉTAMPES, «Documents sur Guettard, dont sa Lettre à Malesherbes» [saisie numérique en mode texte annotée d’un article de l’Abeille d’Étampes (17 juillet 1875)], in Corpus Etampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-abeille1875guettard.html (novembre 2002). René de SAINT-PÉRIER, «Les Plantes des environs d’Étampes au XVIIIe siècle (1923)» [édition illustrée], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cse-18-descurain1923saintperier.html, 2003. Clément WINGLER, Jean-Étienne Guettard , 2002 [saisie numérique de la notice d’Étampes-Info 548], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cpe-18-guettard-wingler.html, 2002. Bernard GINESTE, «Jean-Étienne Guettard: bibliographie dynamique», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cbe-guettard.html, 2002. |
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