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 Visions 
 de Paris, par Louise Abbéma.
                    
 
 
         
           
             | Mlle 
Louise Abbéma est parisienne dans l’âme.  Ce sont les paysages 
et l’atmosphère de Paris qu’elle aime. Femina  lui a donc demandé 
de décrire ses impressions parisiennes et  voici la délicieuse 
page que l’éminente artiste a bien voulu  tracer pour nos lectrices. 
Celles-ci ne manqueront pas d’y goûter un  vif plaisir et de constater 
en la lisant, que le peintre exquis des fleurs  s’entend aussi bien à 
manier la plume que le pinceau de l’artiste. 
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             | Je demandais un jour à  la fillette d’une de mes amies quelles étaient 
ses occupations à  la pension. 
 «J’attends qu’on sorte»,  me répondit-elle. A vous, mon 
cher directeur, qui me demandez ce que  je fais pendant les vacances, je répondrai:
 
 «J’attends qu’on 
 rentre!»
 
 En effet je le subis sans l’admettre, 
 ce snobisme qui pendant deux mois d’été nous condamne à 
 nous séparer de tout ce que nous aimons pour aller faire tout ce que
 nous n’aimons pas, à quitter un intérieur arrangé convenablement
 et conforme à nos goûts où chaque bibelot est un ami,
 pour transporter notre domicile dans d’inconfortables hôtels et à
 de banales tables d’hôte après nous être fait secouer
pendant un nombre d’heures plus ou moins long dans d’odieux chemins de fer.
 
 Aussi prévoyant les délices qui 
m’attendent  pendant la saison «des vacances» je ne quitte Paris 
que quand  Paris me quitte, semblable à ces passionnés du théâtre 
 qui ne quittent la salle que quand les ouvreuses recouvrent les fauteuils 
 et les loges.
 
 Alors seulement, lorsque je vois que je ne peux 
 plus faire autrement, suivant le mouvement que je blâme, je me décide 
 à partir pendant le moins de temps possible regretter la rue de la 
 Paix, à la campagne ou sur la plage.
 
 Puis, je rentre à Paris retrouver mon
cher  «chez moi», me penchant à la portière du
wagon qui me ramène afin d’apercevoir plus tôt la tour Eiffel.
 
 Je suis atteinte, comme vous le voyez d’une Parisite 
 à la fois aiguë, chronique et incurable, et si Femina 
veut faire de moi un portrait ressemblant, il faut qu’elle se résigne 
à le peindre à Paris, car hors de lui je n’existe pas.
 
 A la campagne, à la mer, je peux faire 
des  études, mais pour exécuter un travail pensé, composé, 
 il me faut l’atmosphère de Paris, atmosphère un peu grisante, 
 capiteuse comme un bon vin, mais tonique et fortifiante comme lui. Cet air 
 si calomnié contient un fluide spécial absolument nécessaire 
 à ma santé intellectuelle. Il est si imprégné 
 d’activité, d’esprit et de force qu’il communique à celui qui
 le respire l’ardeur et l’amour du travail.
 
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 UNE FAÇON ORIGINALE  DE TRAVAILLER.Un paysage parisien rencontré 
 au hasard plaît-il à l’artiste ? Elle fait aussitôt arrêter 
 sa voiture, prend ses crayons et ses pinceaux et se met à l’étude, 
 tandis que le cocher, philosophe, rêve posément sur son siège.
 
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             | Aussi avec quel entrain prend-on  sa palette et ses pinceaux au retour d’une 
de ces promenades matinales où  on circule, au hasard de la fantaisie, 
du boulevard Haussmann à la  Madeleine, des Champs-Elysées à
la rue de la Paix! 
 Que de visions charmantes on rapporte de ces
courses  à travers la ville!!
 
 C’est la place de la Concorde avec ses palais,
 ses fontaines, les Champs-Elysées, l’Arc de Triomphe et sur tout
ce  merveilleux ensemble, l’enveloppe de cette légère brume
délicate  et nacrée, spéciale à Paris, qui adoucit
les angles et opalise les tons comme une voilette de gaze poétise
sans les cacher  les traits d’une jolie femme.
 
 Puis c’est l’incomparable décor du Paris 
 d’autrefois vu du pont des Saints-Pères, l’lnstitut, le Pont-Neuf, 
 la Cité, Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, tandis que le Paris nouveau 
 nous apparaît du pont de la Concorde avec le grand et le petit Palais, 
 le pont Alexandre et le Trocadéro [p.716] 
       comme toile de fond. Enfin les Tuileries, les jardins, 
 les squares fleuris en
 toutes saisons, qui égaient de leur note brillante le ton gris
des  maisons, comme un bouquet de corsage relève de son éclat
une  toilette un peu sombre.
 
 Dans cet incomparable décor, unique au 
monde,  toute une figuration élégante vit, passe, s’agite, circule,
 pour le plus grand plaisir des yeux de l’artiste qui voit se succéder 
 devant lui mille visions exquises et une suite ininterrompue de tableaux 
charmants.
 
 Pour les peintres de fleurs, où en trouveront-ils 
 d’aussi belles que celles qui s’épanouissent aux vitrines des fleuristes 
 du boulevard Haussmann ou de la rue Royale? Fleurs parisiennes ignorantes 
 de saisons, et qui en plein hiver nous réchauffent les yeux en nous 
 faisant croire au printemps éternel; folles orchidées, chrysanthèmes 
 échevelés énormes, couleur or, de rouille et de feu, 
 hottes de roses invraisemblables, floraison de rêve qui semble ne pas
 se douter qu’il fait 3 degrés au-dessous de zéro!
 
 Etalage de fruits improbables où les fraises 
 poussent en janvier et les pèches en mars. Pour l’artiste amoureux 
 des délicats accords de ton, où trouvera-t-il de plus harmonieux 
 assemblages de couleurs que dans les vitrines où les étoffes 
 de soie, de velours, de satin se drapent et s’arrangent pour le plaisir des
 yeux?
 
 Et les ruissellements de pierreries et des joyaux, 
 les feux mêlés des diamants, des rubis, des opales, ne nous 
enseignent-ils pas l’art des reflets et des richesses du ton?
 
 |   PORTRAIT DE Mlle LOUISE ABBÉMA.
 Cl. Boissonnas et Tamponnier.
 
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             | C’est à ces sources du beau sous toutes ses formes que celui qui sait 
comprendre et aimer Paris, peut puiser ses aspirations et poursuivre son rêve
d’art sans éprouver  le besoin de dépasser l’enceinte des fortifications. 
 Cependant, je ne voudrais pas qu’on puisse croire 
 que cet amour pour Paris est exclusif au point de supprimer en moi toute 
autre admiration. Je comprends le charme des matinées grises sur les 
étangs que décrivit Corot avec un art si subtil, avec une vision 
si tendre, le mystère des grands bois qui se colorent d’or et de feu 
sous le pinceau de Rousseau.
 
 J’aime surtout passionnément la mer, la
 grande mer éternellement jeune, éternellement nouvelle, toujours
 vivante et belle, ravissante au coucher du soleil.
 
 Mais ce soleil caresse de la même lumière 
 ardente et chaude mes chers Parisiens. S’il est beau nappant la mer de taches 
 de sang, il est sublime in ondant d’or les vieilles pierres de l’Arc-de-Triomphe, 
 et charmant irradiant le sable des avenues du Bois.
 
 Musset l’a dit:
 Il faut en ce bas-monde aimer beaucoup de
choses,
 Pour savoir après tout ce qu’on aime le
 mieux.
 
 Eh bien, je le sais ce que l’aime le mieux! c’est 
 Paris, ce Paris qui sait nous rendre en joies l’amour que nous avons pour 
 lui.
 
 A d’autres les grands horizons, la passion des
 voyages et des aspects nouveaux. Je trouve, moi, la vie trop courte pour
la disperser ainsi.
 
 Et puis, que voulez-vous: il y a des gens qui 
préfèrent  aux plus beaux spectacles du monde le clocher de 
leur village. Je suis ainsi,  avec cette excuse que mon clocher, c’est les 
tours Notre-Dame!
 
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 UNE FAÇON ORIGINALE  DE TRAVAILLER.Un paysage parisien rencontré  au 
hasard plaît-il à l’artiste ? Elle fait aussitôt arrêter 
 sa voiture, prend ses crayons et ses pinceaux et se met à l’étude, 
 tandis que le cocher, philosophe, rêve posément sur son siège.
 
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      | BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
 
       
 
      Éditions Louise ABBÉMA, «Visions parisiennes» [avec 5 clichés de 
 Louise Abbéma dont un portrait par Boissonnas 
 et Tamponnier et une 
signature en fac-similé], in Femina III/67 (1er novembre 1903), 
pp. 715-716.
 
 Bernard 
 GINESTE  [éd.],           «Louise  Abbéma: 
       Visions parisiennes (article pour la revue Femina, 
 1903)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-20-abbema1903visionsdeparis.html,             2007.
 
 
                                                
      Autres 
 textes de Louise Abbéma ou sur elle
 
              J.K. 
 HUYSMANS, «Salon 
 de 1879, chapitre VIII», in Bernard 
 GINESTE   [éd.],           «Louise  Abbéma: 
       Portrait de Mlle Samary (1879)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-abbema009.html#huysmans1879              2004.J.K. 
 HUYSMANS, «Salon 
 de 1882», in Bernard GINESTE   [éd.],   
       «Louise  Abbéma: Les quatre saisons (1882)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-abbema010.html#huysmans1882, 2004.
      Bernard GINESTE
[éd.], «Georges Feydeau: Le Ruban II, 7-8 (allusion 
à l’homosexualité de Louise Abbéma, 1894)», in 
      Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-feydeau-rubanabbema.html,
  2002.
 Bernard GINESTE   [éd.],           «Louise  Abbéma: 
          Nuit japonaise (sonnet, 1894)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-abbema1894nuitjaponaise.html,              2004.
         
              Bernard GINESTE & François 
 BESSE, «Charlotte O’Connor Eccles: Louise Abbéma (an 
interview, 1895)» [texte anglais original et traduction], in Corpus 
Étampois,       http://www.corpusetampois.com/cle-19-eccles1895abbema.html, 
 2007.
 Bernard GINESTE [éd.], «Louise Abbéma: 
       Lettre sur Louise Contat (1902)», suivi de «Différents 
 érudits (D. C., Sir Graph, Nauroy, Arthur Pougin, Renaud d’Escles, 
 J. G. Bord, Louise Abbéma): Enquête sur Émilie et 
Louise Contat (1904)» in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-abbema-louisecontat.html,
  2003.
 Bernard GINESTE [éd.], 
 «Robert de Montesquiou: Abîme (vers satiriques contre 
Louise Abbéma, 1919)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-20-montesquiou-abime.html,
  2002.
         
              Bernard GINESTE [éd.], 
 «Louise Abbéma: Billet à Émile Fabre (carte 
 autographe)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-abbema058.html, 
 2003.
 
 Sur Louise AbbémaBernard GINESTE [éd.], 
 «Quelques œuvres de Louise Abbéma», in Corpus Étampois, 
       http://www.corpusetampois.com/cae-19-abbema.html, 
 2003-2007.
 
 Bernard GINESTE [éd.], «Louise Abbéma 
 (1853-1927): Une bibliographie», in Corpus Étampois, 
      http://www.corpusetampois.com/cbe-louiseabbema.html, 
 2003.
 
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