Corpus Littéraire Étampois
 
André Rimbault
Allocution à l’occasion de son installation
comme Président
de la Société
des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise

6 décembre 1872
 
Rue Magne et Collège (lavis de Narcisse Berchère, 1889) Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874)
   
     André Rimbault, né à Étampes, a fait ses études au Collège de la même ville, où il a été ensuite professeur d’humanités (c’est-à-dire de Lettres) avant d’en devenir le Principal, une dizaine d’années durant, puis de poursuivre ailleurs sa carrière. Ayant pris sa retraite à Versailles, il y fut élu en 1872 président de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, quelques mois avant sa mort.
     Cette société publia en 1874 deux études auxquelles il n’avait pas encore donné ses dernières corrections, l’une consacrée à
Chamfort, l’autre à Fontanes, ainsi que la présente allocution, et qu’une notice nécrologique.
   
Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise,
X (1874), pp. 95-156

Allocution de M. Rimbault


SOCIÉTÉ DES SCIENCES MORALES, DES LETTRES ET DES ARTS DE SEINE-ET-OISE
SÉANCE ORDINAIRE DU 6 DÉCEMBRE 1872
Allocution de M. RIMBAULT,
A l’occasion de son installation comme Président.



MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES,

     En prenant possession de la place d’honneur où m’appelle la bienveillance de vos suffrages, mon premier sentiment (après toutefois la surprise de m’y voir) doit être de vous remercier de m’y avoir élevé.

Minerve de la Société des Scienes morales, Lettres et Arts de Seine-et-Oise      Cette distinction, dont vous désirez que chacun de vos membres puisse se glorifier à son tour, je la trouve à mon égard bien prématurée, quand je considère les titres que j’avais pour l’obtenir. Vous n’avez pas pu vous proposer de récompenser en moi une collaboration qui n’a ni le mérite de l’importance, ni celui de la durée. Toutefois votre indulgence a, par son excès même, cet effet doublement avantageux qu’elle m’interdit toute envie de me prévaloir de l’honneur que vous me faites, et ne me laisse que le besoin de m’en rendre digne.

     C’est en effet dans ces dispositions que aujourd’hui le fauteuil de la présidence. Je succède à un homme depuis longtemps habitué, quoique jeune encore, [p.2] à vous charmer par l’agrément de son esprit, la variété de ses connaissances, la facilité piquante de son langage, et en même temps par cette franchise du caractère qui, jointe à la bonté, fait de M. Chardon un de ces présidents qu’on choisit avec bonheur, et qu’on ne quitte qu’avec regret.

     Pour moi, les qualités que je viens d’énumérer me rappelant celles qui me manquent,je m’effraierais à bon droit de mon insuffisance, si je ne comptais sur vos habitudes de complaisance toute fraternelle. Mais je suis rassuré par la pensée que, dans cette société où (comme on l’a dit déjà) tout va de soi, vous saurez alléger ma tâche, et la rendre facile. Je le suis encore (et j’en appelle ici au souvenir de ceux qui m’ont précédé) en sentant à côté de moi le savant modeste qui, sous un titre secondaire, est en réalité le premier parmi nous, et qui, par son expérience aplanit toutes les difficultés, comme par son savoir il résout toutes les questions: vous avez reconnu notre digne secrétaire perpétuel.

     Nous allons donc, Messieurs, reprendre de concert le cours de nos travaux, et faire, si nous le pouvons, un pas de plus vers le but que doit se proposer toute œuvre qui veut vivre: I’utilité.

     Quand je dis que nous devons être utiles, je ne prétends pas exagérer la portée de ce mot appliqué à notre société. A notre époque agitée, ce n’est pas dans la sphère des études spéculatives que se trouvent ceux qui travaillent le plus efficacement au salut du pays: la première place est aux hommes d’action. Toutefois la régénération d’un peuple n’est pas seulement l’œuvre d’une loi: organiser la force armée, prendre de bonnes mesures financières peut réparer un désastre, mais ne suffirait pas à en prévenir le retour. Il faut toujours en arriver à [p.3] relever le caractère moral, qui est la véritable force d’une nation. Aussi ne sommes-nous pas surpris de voir toujours, à ces époques critiques, les hommes sérieux porter leurs préoccupations sur l’éducation de la jeunesse.

     Le rôle des sociétés comme la nôtre touche de près à celui de l’éducation. Il ne s’adresse pas à l’enfance; mais il pourrait n’être pas sans influence sur la génération présente. Que lui reproche-t-on à cette génération? De n’avoir de goût que pour les plaisirs énervants; de rejeter les choses de l’esprit. De tous côtés nous entendons dire: on ne lit plus, on n’étudie plus!

     On ne lit plus! par conséquent les trésors de sagesse et d’expérience amoncelés par trente siècles sont perdus pour nous; nous sommes livrés au hasard de l’inspiration du moment; nous flottons dans un abîme de théories mouvantes! En effet le caractère de la plupart des productions du temps est de n’avoir aucun lien avec le passé. Dans les lettres comme dans les arts, les anciens modèles sont abandonnés pour je ne sais quelle manière fantaisiste qui plaît un jour par sa nouveauté, mais ne laisse aucune trace durable.

     Ne serait-il pas digne des sociétés philosophiques et littéraires de travailler à ramener les esprits vers les saines doctrines dans la pensée comme dans l’art?

     Ces réflexions vous paraîtront peut-être prétentieuses entre nous. Toutefois, mes chers collègues, ne nous amoindrissons pas à plaisir, pour nous dispenser de mettre la main à l’œuvre. Si notre ambition doit être modeste, ce n’est pas que notre but ne soit élevé, c’est parce que notre action est restreinte. Mais si une seule pierre ne fait pas un monument, chaque pierre supporte sa part de l’édifice et contribue à sa solidité.

     Que chacun de nous prenne donc à cœur l’œuvre que [p.4] nous poursuivons un peu platoniquement; promettons-nous d’être exacts à nos séances parfois trop délaissées. Depuis la reprise de nos travaux, nous constatons avec plaisir qu’elles sont plus nombreuses, plus animées, et pour mon compte je me réjouis de cet heureux présage sous lequel commence mon année de présidence. Espérons que ce mouvement favorable ne se ralentira pas, et travaillons au contraire à l’accroître en recrutant de nouveaux collaborateurs: une société ne vit qu’à la condition de se propager.

     Messieurs, les événements terribles qui se sont accomplis récemment dans notre pays ont pu pour un temps nous détourner de nos paisibles travaux. Comme le disait notre préfet regretté, M. Cochin, dans la séance solennelle où il est venu nous donner le concours de sa belle éloquence et de ses ardentes convictions, ce n’était pas le moment de nous livrer à des études désintéressées quand nos familles, nos, fortunes, nos existences même étaient en péril: le trait d’Archimède au siége de Syracuse a de tout temps rencontré plus de panégyristes que d’imitateurs. Je n’ose vous dire que les temps soient plus calmes, mais du moins n’avons-nous pas à craindre le retour prochain de la tragédie lugubre qui, pendant une année entière, a fait saigner nos cœurs. Les inquiétudes d’aujourd’hui sont de celles qui trouvent leur remède dans le travail et l’étude. Les circonstances mêmes qui avaient arrêté les patientes élucubrations de l’esprit semblent devenues favorables à leur essor. Les esprits sérieux ont reconnu le besoin de se retremper dans la méditation. D’un autre côté la jeunesse qui, des douceurs un peu molles de la vie aisée, a passé subitement aux privations, aux rudes labeurs de la guerre, et qui, comme le disait, il y a huit jours, un de nos bons collègues, de frivole [p.5] qu’elle était s’est tout à coup montrée héroïque, la jeunesse, dis-je, n’oubliera pas cette terrible leçon. Tout indique que les âmes sont préparées pour une vie plus ferme et plus virile.

     Profitons de ces dispositions que nous devons à nos malheurs. Appelons à nous les jeunes gens. Quelques-uns nous ont demandé naguère l’hospitalité de notre toit; il n’y a peut-être qu’un pas à faire pour qu’ils nous demandent aussi celle de nos séances. Croyez-le bien, Messieurs, les têtes blanches (je puis bien me porter garant pour elles) ne sont pas jalouses de mériter seules le témoignage que notre secrétaire perpétuel leur a rendu dans son dernier rapport.

     Je lisais, en parcourant les statuts et les annales de notre Société, qu’à l’origine des cours suivis étaient faits par divers membres, pendant la. durée des séances hebdomadaires. Pourquoi n’en est-il plus de même aujourd’hui? Il y a parmi nous des hommes jeunes encore, et pleins de dévouement, qui à un talent remarquable joignent une élocution facile, charmante même. Pourquoi par de bonnes conférences ne chercheraient-ils pas à attirer à nous les jeunes gens d’esprit cultivé qui, sont avides d’accroître encore leur savoir? Par là notre société deviendrait comme une école publique, où, en même temps que l’étude des lettres procurerait des jouissances distinguées, on trouverait de précieux éléments de travail, ou même des règles de conduite dans les graves leçons de l’histoire, de la philosophie et de la législation.

Minerve de la Société des Scienes morales, Lettres et Arts de Seine-et-Oise      Pour ce qui est de nos communications ordinaires (et c’est par là, Messieurs, que je veux terminer), combien il serait désirable que tous y prissent un intérêt actif! On ne saurait mieux atteindre ce but qu’en les soumettant [p.6] toujours, autant que possible, à la discussion. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la discussion devrait être bannie de nos séances. Renfermée dans les limites où vous savez si bien la contenir, le respect des personnes et des convictions, c’est elle qui leur donne la vie. L’auditoire parfois laisse échapper la pensée de 1’orateur qui parle seul; la controverse a toujours pour effet de ranimer l’attention, et de mettre en relief les arguments employés. L’esprit s’échauffe à cet exercice; la vérité s’élabore; un travail donne lieu à un autre travail, et c’est ainsi que nos réunions successives sont attendues avec impatience, et suivies avec empressement.

     Pour moi, Messieurs et chers collègues, qui dès mon entrée au milieu de vous ai voué à votre société une sympathie qui s’accroît aujourd’hui d’un devoir de reconnaissance, vous me verrez, à défaut de talent, mettre tout mon zèle à entretenir parmi nous cette favorable activité d’où naîtra l’intérêt de nos séances, comme aussi la cordialité, qui fait le charme de nos relations.



     Lorsque M. Rimbault prononçait cette allocution, il ressentait déjà depuis quelques mois les premières atteintes, du mal qui devait l’emporter le 10 novembre 1873. Le 15 mars il présida pour la dernière fois notre réunion hebdomadaire, et déjà l’altération de ses traits trahissait, malgré tous ses efforts, des douleurs qui ne lui laissaient aucun repos. Les études sur Chamfort et sur Fontane qu’on trouvera dans ce volume, disent assez quelle perte a faite notre Société, encore que l’auteur n’y eût pas mis la dernière main et qu’il se proposât d’en compléter ou d’en modifier certains passages, si la mort ne l’eût prévenu. (Note du Secrétaire perpétuel.)

     [N.B.: Ce secrétaire perpétuel était Antoine Anquetil, dont la principale production personnelle paraît avoir été une traduction des Poésies d’Horace (B.G., 2005)]


APPENDICE

NOTE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE DE LÉON MARQUIS
Les rues d’Étampes et ses monuments, Étampes, Brière, 1881, pp. 370-371 & 392

     RIMBAULT (ANDRÉ), écrivain et philanthrope, né à Étampes le 3 mai 1814, mort le 10 novembre 1873. D’une famille des plus modestes, mais des plus estimée d’Étampes, il fit ses classes avec distinction au collège de cette ville. D’abord maître d’études, ensuite professeur d’humanités dans cet établissement, il en devint principal en 1844. Au bout de dix ans, il passa avec le même titre au collège de Pamiers, et l’année suivante à celui de Chartres. En 1868, après vingt-huit ans de principalat, il prit sa retraite et s’établit à Versailles; [p.371] mais il ne renonça pas pour cela à sa vie active: nommé membre de la commission de surveillance de l’École normale primaire et de la commission d’examen des aspirants au brevet de capacité, il rendit partout de grands services. Il était administrateur de la bibliothèque populaire, trésorier de la caisse des écoles, président de la Société des sciences morales et politiques de Seine-et-Oise au mois d’août 1872. Pendant l’occupation prussienne, il se signala par son dévoûment aux victimes de l’émigration. Tout le monde loue son désintéressement, sa charité et sa modestie, ressemblant sous ce rapport au vénérable abbé Buffet, son beau-frère. Dans les Mémoires de la Société des sciences morales de Versailles, il publia deux études remarquables sur Chamfort et Fontanes. Le premier, qui résida quelque temps à Vaudouleurs, près d’Étampes, mourut victime d’une révolution dont il s’était fait l’apôtre; le second fut élevé par la fortune aux plus hautes dignités de l’empire.
     Il mourut avant d’avoir pu terminer une étude sur Rivarol, l’un des esprits les plus brillants et les plus singuliers du XVIIIe siècle. Son corps repose dans le cimetière de Notre-Dame d’Étampes, où un beau monument lui a été élevé (1).
 
     (1) Études sur Chamfort et Fontanes, par A. Rimbault. Extrait du dixième volume des Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise. — Versailles, imp. de E. Aubert, 1874, in-8 de 108 p.» [cette note est à la p. 392].

     [N.B. Sa tombe au cimetière de Notre-Dame ancien n’est pas signalée par Frédéric Gatineau: elle semble avoir disparue, ou bien n’est plus identifiable. (B.G., 2005)]

Source: édition numérique en mode image de la BNF; saisie en mode texte par Bernard Gineste, septembre 2005.
 
       
Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874) BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     1) article original: André RIMBAULT, «Séance ordinaire du 6 décembre 1872. Allocution de M. Rimbault, à l’occasion de son installation comme Président» in Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874), pp. 1-6 [l’auteur étant mort début 1873].

     2) Extrait: André RIMBAULT, Études sur Chamfort et Fontanes [in-8°; 108 p.; extrait des Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, X
; avec une «Notice sur M. Rimbault» de H. de DURAND DE LAUR, vice-président], Versailles, E. Aubert, 1874.

     3) Édition numérique en mode image: B.N.F. [éd.], «Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, X (1874)», in Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, pp.
1-6, en ligne en 2005.

     4) Étude numérique en mode texte: Bernard GINESTE [éd.], «André Rimbault:
Allocution à l’occasion de son installation comme président (6 décembre 1872)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-rimbault1872allocution.html, 2005.

Autres publications de Rimbault
       
     André RIMBAULT, «Études sur le caractère et les œuvres de Chamfort» in Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874) [dont une édition numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, en ligne en 2005; dont une édition numérique illustrée en mode texte par le Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cle-19-rimbault1873chamfort.html, 2005], pp. 65-94.

     André RIMBAULT, «Étude sur la vie et les œuvres de Fontanes» in Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874) [dont une édition numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, en ligne en 2005; dont une édition numérique illustrée en mode texte par le Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cle-19-rimbault1873fontanes.html, 2005], pp. 96-156.

Sur Rimbault

     Émile DELEROT (1834-1912) [Directeur de la bibliothèque de Versailles (1873-1899);  cofondateur de l’Union libérale dans les dernières années du Second Empire; spécialiste de Goethe], Versailles pendant l’occupation. Recueil de documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande [grand in-8°; 332 p.], Versailles, Aubert, 1872. Deuxième édition [27 cm; III+332 p.; fac-similés], Paris, Plon & Versailles, Librairie de Versailles, 1873. Troisième édition [in-8°; VIII+496 p.; portrait], Versailles, Bernard, 1900.

     H. DURAND DE LAUR,
«Discours de M. Durand de Laur, vice-président (séance de 15 janvier 1874)» [notices nécrologiques], in Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874) [dont une édition numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, en ligne en 2005; dont un extrait numérique illustré en mode texte édité par le Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cle-19-duranddelaur1874rimbault.html, 2005], pp. 7-31 [il s’agit de trois notices nécrologiques, la dernière consacrée à Rimbault, pp. 7-8 & 27-31].

     Léon MARQUIS,
«Rimbault, André» [notice calquée sur celle de Durand de Laur], in ID., Les rues d’Étampes et ses monuments, Étampes, Brières, 1881, pp. 370-371, dont une réédition numérique en mode texte par le Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-marquis-rues06.html#rimbault, 2003.

 

 Merci  à Jacques Corbel de nous avoir signalé l’image ci-dessus du tome X des Mémoires de la Société
Merci de nous communiquer toute autre donnée disponible. 
 
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