Mémoires de la Société
des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise,
X (1874), pp. 7-8 & 27-31 |
Discours de M. Durand
de Laur |
SOCIÉTÉ DES SCIENCES MORALES, DES LETTRES
ET DES ARTS DE SEINE-ET-OISE
SÉANCE ORDINAIRE DU 15 JANVIER 1874
Discours de M. DURAND DE LAUR.
Vice-Président.
MESDAMES, MESSIEURS,
Dans cette
séance solennelle, nous n’entendrons pas le discours que le président
annuel prononce d’ordinaire [p.8] en
quittant ses fonctions. La mort récente de M. Rimbault, notre président
si regretté, explique douloureusement cette dérogation à
un usage traditionnel. Vice-président de l’année dernière,
si je prends la parole, c’est moins pour faire un discours que pour vous entretenir
simplement des trois membres distingués que nous avons perdus dans
le cours de cette même année. J’ose espérer que vous
écouterez avec indulgence cette rapide notice, consacrée à
des hommes qui n’ont pas seulement fait honneur à notre Société,
mais qui, à des titres divers, ont bien mérité de la
cité versaillaise. Vous oublierez l’insuffisance de celui qui parle,
pour ne songer qu’au mérite de ceux dont il va esquisser la vie.
[…]
M. Le Roi et M. Montalant, le dernier
surtout, étaient parvenus presque à la limite ordinaire de
la vie. M. André Rimbault touchait à peine à la vieillesse.
Né à Etampes, le 3 avril 1814, il fit ses classes avec distinction
au collège de cette ville. D’abord maître d’études, ensuite
professeur d’humanités dans cet établissement, il en devint
principal eu 1844. Au bout, de dix ans, il passa avec le même titre
au collège de Pamiers, un des plus importants du Midi, et l’année
suivante, à celui de Chartres. Il releva cet établissement
par la sagesse de son administration et l’on parla sérieusement de
l’ériger en lycée. Mais la ville satisfaite d’avoir un collège
florissant et parfaitement tenu, recula devant la dépense.
L’autorité
supérieure, voulant reconnaître le dévouement et les
services de M. Rimbault, le nomma chevalier de la Légion-d’Honneur
en 1866.
Après
vingt-trois ans de principalat, il commença à sentir la fatigue,
et aux vacances de 1867 il demanda un congé en attendant sa retraite.
L’année suivante, il vint s’établir à Versailles; mais
la douceur du repos ne le fit pas renoncer à cette vie active et dévouée
qui était un besoin de son coeur. Nommé membre de la commission
de surveillance près de l’Ecole normale primaire, puis de la commission
chargée d’examiner les aspirants et les aspirantes au brevet de capacité,
il se fit remarquer par son assiduité consciencieuse et par son rare
bon sens. Devenu administrateur de la Bibliothèque populaire, il organisa
toute une comptabilité nouvelle qui a déjà rendu les
plus grands services et qui lui survivra. C’est grâce à la sagesse
de son administration que la bibliothèque va pouvoir bientôt
faire imprimer un catalogue. C’est lui qui rédigeait les rapports
sur la situation morale et financière de la Société:
rapports excellents [p.28] dans
lesquels il indiquait les meilleures mesures à prendre dans l’intérêt
de l’œuvre. Les membres du conseil étaient habitués à
compter sur lui, et à se reposer à peu près pour tout
sur son zèle et sur la rectitude de son jugement. Il organisait, contrôlait,
réformait, améliorait; et toujours avec la plus grande modestie
et un tact parfait, de manière à ne blesser personne.
A la Caisse
des écoles, pour me servir d’un mot familier, c’est lui qui était
la cheville ouvrière. Trésorier de l’œuvre, il l’avait administrée
dès sa création et l’avait faite sienne. Lui mort, il faudra
réorganiser tout le conseil, pour accomplir ce qu’il faisait tout
seul par des visites fréquentes dans les écoles, par des démarches
de toute nature, par des enquêtes dans les familles pauvres, par des
achats continuels de livres, de vêtements et d’autres objets de même
ordre. Il était le grand et unique répartiteur des bienfaits
dus à cette institution; bienfaits de détail qui demandent
beaucoup de temps et d’attention. Tous les instituteurs et toutes les institutrices
de Versailles connaissaient M. Rimbault et avaient l’habitude de s’adresser
à lui, toutes les fois qu’ils désiraient quelque chose pour
leur école ou pour leurs écoliers. Soit par les fonds de la
Caisse des écoles, soit par des démarches auprès de l’administration
municipale, il réussissait à leur donner ce qui leur était
nécessaire. Comme délégué inspecteur des classes,
il n’était pas moins utile. Il se plaisait dans ses inspections à
faire la classe pendant quelque temps, et ces leçons étaient
aussi profitables aux maîtres qu’aux écoliers.
L’Histoire de Versailles pendant l’occupation, publiée
par M. Delerot, nous fait connaître quel fut le dévouement de
M. Rimbault pendant ces tristes mois Les familles expulsées des villages
voisins par l’ennemi, amenaient [p.29]
avec elles de nombreux enfants qui trouvèrent
en
lui le protecteur le plus dévoué
et le plus paternel. Il voua tous ses soins à ces victimes de l’émigration
forcée. Il les distribua dans les écoles où ils reçurent
l’enseignement gratuit donné par la ville. Il les surveilla, les habilla
et les aida de toute façon. Grâce à lui et à la
Caisse des écoles, il y eut un soulagement de plus apporté
par Versailles à la détresse de ces pauvres émigrés.
Au mois
de septembre, le conseil municipal ayant voté 10,000 francs pour l’établissement
de fourneaux économiques, M. Rimbault se fit inscrire parmi les délégués
qui eurent la charge pénible de les administrer. Les distributions
commencèrent le 10 octobre, et dès le lendemain cette création
était devenue populaire. Elle rendit pendant tout l’hiver les plus
grands services, grâce à la direction intelligente et au dévouement
des délégués.
Ce qu’était
l’ami, le père de famille, ceux qui ont vécu dans l’intimité
de M. Rimbault pourraient vous le dire. Entouré de l’amour et de la
vénération de tous les siens, nul ne goûtait mieux que
lui les joies du foyer domestique. Simple et droit, il inspirait l’estime
et l’affection à tous ceux qui l’approchaient.
Dès son arrivée à Versailles,
il devint membre de la Société des sciences morales. II y apporta
cette activité intelligente et laborieuse qui l’accompagnait partout.
Il débuta par deux études remarquables sur Chamfort et sur
Fontanes, l’un mort victime d’une révolution dont il avait été
l’apôtre, l’autre élevé par la fortune aux plus hautes
dignités de l’empire. Plus tard, dans un mémoire plein de
faits et de vues judicieuses, il traita certaines questions relatives à
l’enseignement populaire, spécialement en ce qui touche les classes
d’adultes et d’apprentis. [p.30] Je
ne parlerai pas de plusieurs autres études de moindre importance. Sous
le voile d’une modestie vraie, ses communications révélaient
un savoir solide et varié, un jugement droit et ferme, une élocution
pleine de simplicité qu’animait une douce chaleur. Au mois d’août
1872, les suffrages unanimes de ses collègues le portèrent à
la présidence.
Toujours
actif, toujours infatigable, M. Rimbault préparait une étude
approfondie sur un des esprits les plus brillants et 1e plus singuliers de
la fin du XVme siècle, sur Rivarol, quand, vers le milieu de mars,
les progrès alarmants de la maladie qui devait lui donner la mort
le contraignirent au repos. Malheureusement il ne céda que beaucoup
trop tard à une impérieuse nécessité; car M.
Rimbault était avant tout l’homme du devoir. Tant que ses forces
ne lui ont pas fait complètement défaut, il a voulu remplir
avec une ponctuelle exactitude les charges diverses qu’il avait acceptées
avec un entier dévouement. Que de fois l’hiver dernier, bravant des
souffrances presque intolérables, il est venu par un temps froid et
humide présider nos séances! A voir la sérénité
de son visage, l’attention soutenue qu’il prêtait aux communications
de ses collègues, la présence d’esprit avec laquelle il dirigeait
la discussion et l’empêchait de s’égarer, nul n’aurait pu croire
aux ravages de 1a maladie cruelle qui minait sa forte constitution. Tel était
le collègue aimé et respecté de tous, qui a été
sitôt ravi à notre Société, ou pour mieux dire
à la ville de Versailles.
En retraçant
dans ses principaux traits, quoique, avec de faibles paroles, la vie de trois
hommes de bien, j’ai satisfait à un sentiment de confraternité;
mais je ne crois pas m’être écarté du but moral que notre
Société rie doit jamais perdre de vue. A ceux qui vivent surtout [p.31] pour eux-mêmes, et
ils ne sont que trop nombreux, il est bon d’opposer ceux qui ont vécu
surtout pour les autres, qui toujours fermes dans l’accomplissement du devoir,
toujours pleins d’ardeur pour les nobles travaux de l’intelligence, ne se
sont jamais lassés d’être utiles à leurs semblables.
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APPENDICES
1) NOTE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
DE LÉON MARQUIS
Les rues d’Étampes et ses monuments, Étampes,
Brière, 1881, pp. 370-371 & 392
RIMBAULT
(ANDRÉ), écrivain et philanthrope, né à
Étampes le 3 mai 1814, mort le 10 novembre 1873. D’une famille des
plus modestes, mais des plus estimée d’Étampes, il fit
ses classes avec distinction au collège de cette ville. D’abord
maître d’études, ensuite professeur d’humanités dans
cet établissement, il en devint principal en 1844. Au bout de dix
ans, il passa avec le même titre au collège de Pamiers, et
l’année suivante à celui de Chartres. En 1868, après
vingt-huit ans de principalat, il prit sa retraite et s’établit à
Versailles; [p.371] mais il
ne renonça pas pour cela à sa vie active: nommé membre
de la commission de surveillance de l’École normale primaire et
de la commission d’examen des aspirants au brevet de capacité, il
rendit partout de grands services. Il était administrateur de la
bibliothèque populaire, trésorier de la caisse des écoles,
président de la Société des sciences morales et politiques
de Seine-et-Oise au mois d’août 1872. Pendant l’occupation prussienne,
il se signala par son dévoûment aux victimes de l’émigration.
Tout le monde loue son désintéressement, sa charité
et sa modestie, ressemblant sous ce rapport au vénérable abbé
Buffet, son beau-frère. Dans les Mémoires de la Société
des sciences morales de Versailles, il publia deux études remarquables
sur Chamfort et Fontanes. Le premier, qui résida quelque temps à
Vaudouleurs, près d’Étampes, mourut victime d’une révolution
dont il s’était fait l’apôtre; le second fut élevé
par la fortune aux plus hautes dignités de l’empire.
Il mourut avant d’avoir pu terminer une étude sur Rivarol, l’un
des esprits les plus brillants et les plus singuliers du XVIIIe siècle.
Son corps repose dans le cimetière de Notre-Dame d’Étampes,
où un beau monument lui a été élevé
(1).
(1) Études sur Chamfort et Fontanes, par A. Rimbault. Extrait
du dixième volume des Mémoires de la Société
des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise. — Versailles,
imp. de E. Aubert, 1874, in-8 de 108 p.» [cette
note est à la p. 392].
[N.B. Sa
tombe au cimetière de Notre-Dame ancien n’est pas signalée
par Frédéric Gatineau: elle semble avoir disparue, ou bien
n’est plus identifiable. (B.G., 2005)]
2) NOTE
D’ANTOINE ANQUETIL
A la suite de l’édition
de son allocution du 6 décembre 1872
publiée en 1874 dans le même numéro que cette
étude
par la Société
des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, p. 6.
Lorsque M. Rimbault
prononçait cette allocution, il ressentait déjà depuis
quelques mois les premières atteintes, du mal qui devait l’emporter
le 10 novembre 1873. Le 15 mars il présida pour la dernière
fois notre réunion hebdomadaire, et déjà l’altération
de ses traits trahissait, malgré tous ses efforts, des douleurs
qui ne lui laissaient aucun repos. Les études sur Chamfort et sur
Fontane qu’on trouvera dans ce volume, disent assez quelle perte a faite
notre Société, encore que l’auteur n’y eût pas mis la
dernière main et qu’il se proposât d’en compléter ou
d’en modifier certains passages, si la mort ne l’eût prévenu.
(Note du Secrétaire perpétuel.)
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BIBLIOGRAPHIE
Éditions
1) article
original: André RIMBAULT, «Discours de M.
Durand de Laur» in Mémoires de la
Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise
X (1874), pp. 7-31 [Ce qui concerne Rimbault est aux pages
7-8 & 27-31].
2) Extrait: André RIMBAULT, Études
sur Chamfort et Fontanes [in-8°; 108 p.; extrait des Mémoires
de la Société des sciences morales, lettres et arts de
Seine-et-Oise, X; avec une «Notice sur M. Rimbault» de H. de DURAND DE
LAUR, vice-président], Versailles, E. Aubert, 1874.
3) Édition numérique en
mode image: B.N.F. [éd.], «Mémoires de la Société
des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, X (1874)»,
in Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466,
pp. 7-31, en ligne en 2005.
4) Étude numérique en mode
texte: Bernard GINESTE [éd.], «H. Durand
de Laur: Sur M. Rimbault (15
janvier 1874)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-duranddelaur1874rimbault.html,
2005.
Publications
de Rimbault
André RIMBAULT, «Allocution à l’occasion
l’occasion de son installation comme Président (6 décembre 1872)», in Mémoires de
la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise
X (1874) [dont une édition numérique en mode image
par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, en ligne en 2005], pp. 1-6.
André RIMBAULT, «Étude sur le caractère
et les œuvres de Chamfort» in Mémoires de la
Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise
X (1874) [dont
une édition numérique en mode
image par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, en ligne en 2005; dont
une édition numérique illustrée en mode texte par le
Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cle-19-rimbault1873chamfort.html,
2005], pp. 65-94.
André RIMBAULT, «Étude sur la vie et les
œuvres de Fontanes» in Mémoires de la Société
des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874)
[dont une
édition
numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica,
http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, en ligne en 2005; dont une édition
numérique illustrée en mode texte par le Corpus Étampois,
http://corpusetampois.com/cle-19-rimbault1873fontanes.html,
2005], pp. 96-156.
Sur Rimbault
Émile DELEROT (1834-1912) [Directeur de la bibliothèque de
Versailles (1873-1899); cofondateur de l’Union libérale
dans les dernières années du Second Empire; spécialiste
de Goethe], Versailles pendant l’occupation. Recueil de documents pour
servir à l’histoire de l’invasion allemande [grand in-8°;
332 p.], Versailles, Aubert, 1872. Deuxième édition [27 cm;
III+332 p.; fac-similés], Paris, Plon & Versailles, Librairie
de Versailles, 1873. Troisième édition [in-8°; VIII+496
p.; portrait], Versailles, Bernard, 1900.
H. DURAND DE LAUR, «Discours de M. Durand de Laur,
vice-président (séance de 15 janvier 1874)» [notices nécrologiques],
in Mémoires de la Société des sciences morales,
lettres et arts de Seine-et-Oise X (1874) [dont une édition numérique en
mode image par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Gallica&O=NUMM-203466, en ligne en 2005; dont
un extrait numérique illustré en mode texte édité
par le Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cle-19-duranddelaur1874rimbault.html,
2005], pp. 7-31 [il s’agit de trois notices
nécrologiques, la dernière consacrée à Rimbault,
pp. 7-8 & 27-31]. Merci à
Jacques Corbel de nous avoir signalé l’image ci-dessus du tome
X des Mémoires de la Société.
Léon MARQUIS, «Rimbault,
André» [notice
calquée sur celle de Durand de Laur], in ID., Les rues d’Étampes
et ses monuments, Étampes, Brières, 1881, pp. 370-371,
dont une réédition numérique en mode texte par le
Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-marquis-rues06.html#rimbault,
2003.
|
Source: édition numérique en
mode image de la BNF, saisie en mode texte par Bernard Gineste, septembre
2005.
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