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Qu’est-ce qu’Étampes au regard fugace d’un immense
poète? Une grosse tour entrevue
à droite dans le crépuscule, au-dessus des toits d’une longue
rue. Hugo a-t-il inventé la carte postale? Merci de nous faire connaître tout ce qu'on pourra savoir d’un accident ferroviaire survenu vers le 18 juillet 1843 entre Étampes et Étréchy. |
Bordeaux, 20 juillet
Vous qui ne voyagez jamais autrement que par l’esprit, allant de livre en livre, de pensée en pensée, et jamais de pays en pays, vous qui passez tous vos étés à l’ombre des mêmes arbres et tous vos hivers au coin de la même cheminée, vous voulez, dès que je quitte Paris, que je vous dise, moi vagabond, à vous solitaire, tout ce que j’ai fait et tout ce que j’ai vu. Soit. J’obéis. Ce que j’ai fait depuis avant-hier 18 juillet? Cent cinq lieues en trente-six heures. Ce que j’ai vu? J’ai vu Étampes, Orléans, Blois, Tours, Poitiers, et Angoulême. En voulez-vous davantage? Vous faut-il des descriptions? Voulez-vous savoir ce que c’est que ces villes, sous quels aspects elles me sont apparues, quel butin d’histoire, d’art et de poésie, j’y ai recueilli chemin faisant, tout ce que j’ai vu enfin? Soit. J’obéis encore. Étampes, c’est une grosse tour entrevue à droite dans le crépuscule au-dessus des toits d’une longue rue et l’on entend des postillons qui disent: — «Encore un malheur au chemin de fer! deux diligences écrasées, les voyageurs tués. La vapeur a enfoncé le convoi entre Étampes et Étrechy. Au moins, nous autres, nous n’enfonçons pas». Orléans, c’est une chandelle sur une table ronde dans une salle basse où une fille pâle vous sert un bouillon maigre. Blois, c’est un pont à gauche avec un obélisque pompadour. Le voyageur soupçonne qu’il peut y avoir des maisons à droite, peut-être une ville. Tours, c’est encore un pont, une grande rue large, et un cadran qui marque neuf heures du matin. Poitiers, c’est une soupe grasse, un canard aux navets, une matelote d’anguilles, un poulet rôti, une sole frite, des haricots verts, une salade et des fraises. Angoulême, c’est une lanterne éclairée au gaz avec une muraille portant cette inscription: CAFÉ DE LA MARINE, et à gauche une autre muraille ornée d’une affiche bleue sur laquelle on lit: LA RUE DE LA LUNE, vaudeville. Voilà ce que c’est que la France quand on la voit en malle-poste. Que sera-ce lorsqu’on la verra en chemin de fer? |
Le Voyage aux Pyrénées (1843) est formé d’une manière un peu différente. Comme l’autre, il a été écrit, au fur et à mesure, dans les lieux mêmes qu’il dépeint, mais sur des pages d’album que conservait par devers lui le voyageur. Les deux albums qui contiennent ce voyage sont remplis de dessins à la plume reproduits dans la présente édition, et ont pour signets des fleurs et des herbes cueillies dans la montagne ou dans la forêt. Le Voyage se poursuit ainsi, ininterrompu et complet, jusqu’à Pampelune. A partir de là, nous n’en avons plus que des chapitres isolés. Le voyageur prenait des notes pour achever à loisir son récit; mais il n’a décrit sur-le-champ que les choses et les lieux qui l’ont le plus vivement frappé.
De retour à Paris, Victor Hugo, après la catastrophe qui
avait interrompu si douloureusement son voyage, ne trouva jamais le courage
de reprendre et de terminer son récit. C'est pourquoi nous ne ne trouvons
nulle mention d'Étampes lors du rettout de Hugo. L'auteur était
trop occupé par la douleur: il avait appris la nouvelle de la mort
de sa fille et de son gendre en lisant le journal, à Rochefort.
(B.G.) |
Source:
Victor Hugo illustré. En voyage. Alpes et Pyrénées,
vers 1884, p. 35, sur le site Gallica de la BNF. Saisie de Bernard Gineste,
novembre 2001.
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Éditions
Victor HUGO, Journal de voyage aux Pyrénées [manuscrit inachevé], 1843. Victor Hugo, «Bordeaux, 20 juillet», in VICTOR HUGO ILLUSTRÉ [éd.], Victor Hugo. En Voyage. Alpes et Pyrénées [116 p.], Paris, sans nom d’éditeur [Eugène Hugues?] [«Librairie du Victor Hugo Illustré»], sans date [vers 1884] [d’où l’édition numérique (en mode image) de la BNF, gallica.bnf.fr (2001), N103019], p. 35. On trouve aussi sur le site de l’Encyclopédie de l'Agora une édition partielle de ce texte, sans date ni références; mais sa saisie en mode texte, reprise de ci de là, est fautive par endroits (novembre 2001).Bernard GINESTE [éd.], «Victor Hugo: Étampes entrevue de la malleposte (Journal de voyage, 1843)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-hugo1843malleposte.html, 2004. Autres sources Georges BRUNET,
Victor Hugo. Ouvrage
illustré de 48 planches hors-texte en phototype [104
p.], Paris, Rieder [«Maîtres des littératures»
19], 1935. Victor Hugo dans
le Corpus Étampois
Bernard GINESTE [éd.], «Étampes dans l’œuvre de Victor Hugo», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-hugo.html, 2004. Bernard GINESTE [éd.], «Victor Hugo: Sur la Tour de Guinette (une erreur archéologique dans Notre-Dame de Paris, 1831)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-hugo1831donjondetampes.html, 2004. Bernard GINESTE [éd.], «Victor Hugo: Lettre à Léopoldine (22 août 1834)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-hugo1834leopoldine.html, 2004. Bernard GINESTE [éd.], «Victor Hugo: Ma main pressait ta taille frêle (poème, 1834)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-hugo1834mamainpressait.html, 2004. Bernard GINESTE [éd.], «Victor Hugo: Étampes entrevue de la malleposte (Journal de voyage, 1843)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-hugo1843malleposte.html, 2004. Bernard GINESTE [éd.], «Victor Hugo: Incident en gare d’Étampes (Carnet intime, 13 février 1871)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-hugo1871etampes.html, 2004. |
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