| Notre-Dame 
  de ParisLivre troisième, chapitre I: Notre-Dame
 
 
      [...]
 Notre-Dame de Paris n’est point du reste ce 
qu’on   peut appeler un monument complet, défini, classé. Ce 
n’est  plus une église romane, ce n’est pas encore une église 
gothique.   Cet édifice n’est pas un type. Notre-Dame de Paris n’a 
point, comme   l’abbaye de Tournus, la grave et massive carrure, la ronde 
et large voûte,   la nudité glaciale, la majestueuse simplicité 
des édifices   qui ont le plein cintre pour générateur. 
Elle n’est pas, comme   la cathédrale de Bourges, le produit magnifique, 
léger, multiforme,   touffu, hérissé, efflorescent de 
l’ogive. Impossible de la  ranger dans cette antique famille d’églises 
sombres, mystérieuses,   basses et comme écrasées par 
le plein cintre; presque égyptiennes   au plafond près; toutes 
hiéroglyphiques, toutes sacerdotales,   toutes symboliques; plus chargées 
dans leurs ornements de losanges   et de zigzags que de fleurs, de fleurs 
que d’animaux, d’animaux que d’hommes;   œuvre de l’architecte moins que de
l’évêque; première   transformation de l’art, tout empreinte
de discipline théocratique   et militaire, qui prend racine dans le
bas-empire et s’arrête à   Guillaume le Conquérant. Impossible
de placer notre cathédrale   dans cette autre famille d’églises 
hautes, aériennes, riches   de vitraux et de sculptures; aiguës 
de formes, hardies d’attitudes;  communales et bourgeoises comme symboles 
politiques libres, capricieuses,  effrénées, comme œuvre d’art; 
seconde transformation de l’architecture,  non plus hiéroglyphique, 
immuable et sacerdotale, mais artiste, progressive  et populaire, qui commence 
au retour des croisades et finit à Louis  XI. Notre-Dame de Paris n’est
pas de pure race romaine comme les premières,  ni de pure race arabe
comme les secondes.
 
 C’est un édifice de la transition. L’architecte 
  saxon achevait de dresser les premiers piliers de la nef, lorsque l’ogive 
  qui arrivait de la croisade est venue se poser en conquérante sur 
 ces larges chapiteaux romans qui ne devaient porter que des pleins cintres. 
 L’ogive, maîtresse dès lors, a construit le reste de l’église. 
  Cependant, inexpérimentée et timide à son début, 
  elle s’évase, s’élargit, se contient, et n’ose s’élancer 
  encore en flèches et en lancettes comme elle l’a fait plus tard dans
  tant de merveilleuses cathédrales. On dirait qu’elle se ressent du
  voisinage des lourds piliers romans.
 
 D’ailleurs, ces édifices de la transition 
  du roman au gothique ne sont pas moins précieux à étudier 
  que les types purs. Ils expriment une nuance de l’art qui serait perdue 
sans  eux. C’est la greffe de l’ogive sur le plein cintre.
 
 Notre-Dame de Paris est en particulier un curieux 
  échantillon de cette variété. Chaque face, chaque pierre
  du vénérable monument est une page non seulement de l’histoire
  du pays, mais encore de l’histoire de la science et de l’art. Ainsi, pour
  n’indiquer ici que les détails principaux, tandis que la petite
Porte-Rouge   atteint presque aux limites des délicatesses gothiques
du quinzième   siècle, les piliers de la nef, par leur volume
et leur gravité,   reculent jusqu’à l’abbaye carlovingienne 
de Saint-Germain-des-Prés.   On croirait qu’il y a six siècles 
entre cette porte et ces piliers.   Il n’est pas jusqu’aux hermétiques 
qui ne trouvent dans les symboles   du grand portail un abrégé 
satisfaisant de leur science, dont   l’église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie 
était un hiéroglyphe   si complet. Ainsi, l’abbaye romane, l’église
philosophale, l’art gothique,  l’art saxon, le lourd pilier rond qui rappelle
Grégoire VII, le symbolisme  hermétique par lequel Nicolas
Flamel préludait à Luther,  l’unité papale, le schisme,
Saint-Germain-des-Prés, Saint-Jacques-de-la-Boucherie,   tout est
fondu, combiné, amalgamé dans Notre-Dame. Cette église
  centrale et génératrice est parmi les vieilles églises
  de Paris une sorte de chimère; elle a la tête de l’une, les
 membres de celle-là, la croupe de l’autre; quelque chose de toutes.
 
 Nous le répétons, ces constructions 
  hybrides ne sont pas les moins intéressantes pour l’artiste, pour 
 l’antiquaire, pour l’historien. Elles font sentir à quel point l’architecture 
 est chose primitive, en ce qu’elles démontrent, ce que démontrent 
  aussi les vestiges cyclopéens, les pyramides d’Égypte, les 
 gigantesques pagodes hindoues, que les plus grands produits de l’architecture 
 sont moins des œuvres individuelles que des œuvres sociales; plutôt 
 l’enfantement des peuples en travail que le jet des hommes de génie; 
 le dépôt que laisse une nation; les entassements que font les 
 siècles; le résidu des évaporations successives de la
 société humaine; en un mot, des espèces de formations. 
 Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa 
 couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. Ainsi font les 
 castors, ainsi font les abeilles, ainsi font les hommes. Le grand symbole 
 de l’architecture, Babel, est une ruche.
 
 Les grands édifices, comme les grandes 
 montagnes,  sont l’ouvrage des siècles. Souvent l’art se transforme 
 qu’ils pendent  encore: pendent opera interrupta; ils se continuent paisiblement 
 selon l’art  transformé. L’art nouveau prend le monument où 
 il le trouve,  s’y incruste, se l’assimile, le développe à 
sa fantaisie et  l’achève s’il peut. La chose s’accomplit sans trouble, 
 sans effort,  sans réaction, suivant une loi naturelle et tranquille. 
 C’est une greffe qui survient, une sève qui circule, une végétation 
 qui reprend. Certes, il y a matière à bien gros livres, et 
souvent histoire universelle de l’humanité, dans ces soudures successives 
de plusieurs arts à plusieurs hauteurs sur le même monument. 
L’homme, l’artiste, l’individu s’effacent sur ces grandes masses sans nom 
d’auteur; l’intelligence humaine s’y résume et s’y totalise. Le temps 
est l’architecte, le peuple est le maçon.
 
 
  À n’envisager 
  ici que l’architecture européenne chrétienne, cette sœur puînée
  des grandes maçonneries de l’Orient, elle apparaît aux yeux
 comme une immense formation divisée en trois zones bien tranchées
  qui se superposent: la zone romane, la zone gothique, la zone de la renaissance,
  que nous appellerions volontiers gréco-romaine. La couche romane,
 qui est la plus ancienne et la plus profonde, est occupée par le
plein   cintre, qui reparaît porté par la colonne grecque dans
la couche   moderne et supérieure de la renaissance. L’ogive est entre
deux. Les  édifices qui appartiennent exclusivement à l’une
de ces trois  couches sont parfaitement distincts, uns et complets. C’est
l’abbaye de Jumièges,  c’est la cathédrale de Reims, c’est
Sainte-Croix  d’Orléans.        Mais  les trois zones se  mêlent et s’amalgament par 
les bords, comme les  couleurs dans le spectre  solaire. De là 
les monuments complexes,  les édifices  de nuance et de transition. 
L’un est roman par les pieds,  gothique au milieu,  gréco-romain par 
la tête. C’est qu’on a  mis six cents ans à  le bâtir. 
Cette variété est  rare. Le donjon d’Étampes  en est
un échantillon. Mais  les monuments de deux formations 
sont plus fréquents. C’est Notre-Dame  de Paris, édifice ogival, 
 qui s’enfonce par ses premiers piliers dans cette zone romane où sont
 plongés le portail de Saint-Denis  et la nef de Saint-Germain-des-Prés. 
 C’est la charmante salle capitulaire  demi-gothique de Bocherville à 
 laquelle la couche romane vient jusqu’à  mi-corps. C’est la cathédrale 
 de Rouen qui serait entièrement  gothique si elle ne baignait pas 
l’extrémité  de sa flèche  centrale dans la zone de la
renaissance. 
 Du reste, toutes ces nuances, toutes ces différences 
  n’affectent que la surface des édifices. C’est l’art qui a changé 
  de peau. La constitution même de l’église chrétienne 
 n’en est pas attaquée. C’est toujours la même charpente intérieure, 
  la même disposition logique des parties. Quelle que soit l’enveloppe 
  sculptée et brodée d’une cathédrale, on retrouve toujours 
  dessous, au moins à l’état de germe et de rudiment, la basilique 
  romaine. Elle se développe éternellement sur le sol selon 
la  même loi. Ce sont imperturbablement deux nefs qui s’entrecoupent 
en  croix, et dont l’extrémité supérieure arrondie en 
abside  forme le chœur; ce sont toujours des bas-côtés, pour 
les processions  intérieures, pour les chapelles, sortes de promenoirs 
latéraux  où la nef principale se dégorge par les entrecolonnements. 
 Cela posé, le nombre des chapelles, des portails, des clochers, des 
 aiguilles, se modifie à l’infini, suivant la fantaisie du siècle, 
 du peuple, de l’art. Le service du culte une fois pourvu et assuré, 
 l’architecture fait ce que bon lui semble. Statues, vitraux, rosaces, arabesques, 
 dentelures, chapiteaux, bas-reliefs, elle combine toutes ces imaginations 
 selon le logarithme qui lui convient. De là la prodigieuse variété 
 extérieure de ces édifices au fond desquels réside tant
 d’ordre et d’unité. Le tronc de l’arbre est immuable, la végétation 
 est capricieuse.
 
 
 [...]
 | 
                    
           | Two English TranslationsDeux traductions anglaises en ligne, d’une étonnante
 médiocrité
 
 
 
             
               
                 | The Hunchback  of Notre Dame III, 1
 Unidentified Translation
 
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 | 
 | The Harvard Classics Shelf  of Fiction. 1917
 (wise translation).
 
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                 | Not to consider 
  here anything except the Christian architecture of Europe, that younger 
sister  of the great masonries of the Orient, it appears to the eyes as an 
immense  formation divided into three well-defined zones, which are superposed, 
the  one upon the other: the Romanesque zone, the Gothic zone, the zone of 
the  Renaissance, which we would gladly call the Greco-Roman zone. The Roman [sic, for Romanesque]  layer, which is the most ancient
and deepest, is occupied by the round arch,  which reappears, supported by
the Greek column, in the modern and upper layer  of the Renaissance. The
pointed arch is found between the two. The edifices  which belong exclusively
to any one of these three layers are perfectly distinct,  uniform, and complete.
 There is the Abbey of Jumiéges, there is the  Cathedral of Reims,
there is the Sainte-Croix of Orleans. But the three zones  mingle and amalgamate
 along the edges, like the colors in the solar spectrum.              Hence, complex monuments, 
 edifices of gradation  and transition. One is Roman [sic, for Romanesque]  at the base, Gothic 
 in the middle, Greco-Roman at the top. It is because it was six hundred years
 in building. This variety is rare. The donjon keep  of d’Etampes is a specimen
 of it. But monuments of
two formations are more frequent. There is Notre-Dame de Paris, a pointed-arch
edifice, which is imbedded by its pillars in that Roman [sic, for Romanesque] zone, in which are plunged the portal
 of Saint-Denis, and the nave of Saint-Germain des Prés. There is
the  charming, half-Gothic chapter-house of Bocherville,  where the Roman
            [sic, for Romanesque]  layer extends half way up. There
is the cathedral of Rouen, which would be  entirely Gothic if it did not
bathe the tip of its central spire in the zone  of the Renaissance. 
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 | À n’envisager 
  ici que l’architecture européenne chrétienne, cette sœur puînée
  des grandes maçonneries de l’Orient, elle apparaît aux yeux
 comme une immense formation divisée en trois zones bien tranchées
  qui se superposent: la zone romane, la zone gothique, la zone de la renaissance,
  que nous appellerions volontiers gréco-romaine. La couche romane,
  qui est la plus ancienne et la plus profonde, est occupée par le
plein  cintre, qui reparaît porté par la colonne grecque dans
la couche  moderne et supérieure de la renaissance. L’ogive est entre
deux. Les  édifices qui appartiennent exclusivement à l’une
de ces trois  couches sont parfaitement distincts, uns et complets. C’est
l’abbaye de Jumièges,  c’est la cathédrale de Reims, c’est
Sainte-Croix d’Orléans.              Mais les trois
zones  se mêlent et s’amalgament par les bords, comme les couleurs
dans le  spectre solaire. De là les monuments complexes, les
édifices  de nuance et de transition. L’un est roman par les pieds,
gothique au milieu,  gréco-romain par la tête. C’est qu’on a
mis six cents ans à  le bâtir. Cette variété est
rare. Le donjon d’Étampes  en est un échantillon. Mais les monuments de deux formations
 sont plus fréquents. C’est Notre-Dame de Paris, édifice ogival,
  qui s’enfonce par ses premiers piliers dans cette zone romane où
sont  plongés le portail de Saint-Denis et la nef de Saint-Germain-des-Prés.
  C’est la charmante salle capitulaire demi-gothique de Bocherville à
  laquelle la couche romane vient jusqu’à mi-corps. C’est la cathédrale
  de Rouen qui serait entièrement gothique si elle ne baignait pas
l’extrémité  de sa flèche centrale dans la zone de la
renaissance. 
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 | Reviewing here
only Christo-European  architecture, that younger sister of the great Masonic
movements of the East,  it presents the aspect of a huge formation divided
into three sharply defined  superincumbent zones: the Roman [sic, for Romanesque],  2 the Greek [sic for Gothic], and that  of the Renaissance, which
 we would prefer to call the Greco-Romanesque             [sic for Greco-Roman]. The Roman stratum, the oldest and
 the lowest of the three, is occupied by the circular arch, which reappears,
 supported by the Greek column, in the modern and upper stratum  of the Renaissance.
 Between the two comes the pointed arch. The edifices which belong exclusively
 to one or other of these three strata are perfectly distinct, uniform, and
 complete in themselves. The Abbey of Jumièges is one, the Cathedral
 of Reims another, the Sainte-Croix of Orleans is a third. But the three
zones  mingle and overlap one another at the edges, like the colours of the
solar  spectrum; hence these complex buildings, these
 edifices of the gradational, transitional period. One of them will be Roman
             [sic, for Romanesque] as to its feet, Greek [sic
 for Gothic] as to its body, and Greco-Romanesque [sic for Greco-Roman] as to its head. That
 happens when it has taken six hundred  years in the building. But that variety
 is rare: the castle-keep of Etampes  is a specimen. Edifices of two
 styles are more frequent. Such is Notre  Dame of Paris, a Gothic structure,
 rooted by its earliest pillars in that  Roman [sic, for Romanesque] zone in which  the portal of Saint-Denis
 and the nave of Saint-Germain-des-Prés  are entirely sunk. Such again
 is the semi-Gothic Chapter Hall of Bocherville,  in which the Roman layer
 reaches half-way up. Such is the Cathedral at Rouen,  which would be wholly
 Gothic had not the point of its central spire reached  up into the Renaissance. 
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