CORPUS  HISTORIQUE  ÉTAMPOIS
 
 
Eugène Dramard
 Antiquité de Brunehaut et de Morigny
1872
 
 
Tour de Brunehaut (gravure du 18e siècle)
Détail d’une gravure de Sarrazin (18e siècle): la tour de Brunehaut
A gauche, la base de la tour aujourd’hui disparue, était probablement gallo-romaine.
 
    Nous donnons ici un article publié par Eugène Dramard en 1872 dans l’Abeille d’Étampes, qui soutient déjà certaines des thèses défendues par Michel Martin dans le remarquable premier volume de l’Histoire d’Étampes, publié en 2004 par l’association Étampes-Histoire. J’y ajoute quelques remarques critiques en Annexes.
Bernard Gineste, 2004
 
L’ABEILLE D’ÉTAMPES
7 septembre 1872, p. 1.
Antiquité de Brunehaut et de Morigny
 

ANTIQUITÉ de BRUNEHAUT et de MORIGNY
Extrait du Journal  «L’ABEILLE d’ÉTAMPES»
du 7 Septembre 1872
 
     Parmi les lieux le plus anciennement habités de l’Etampois se placent Brunehaut et Morigny. Là se trouvait un établissement qui a, pour notre histoire locale, une grande importance historique. Les débris qui en ont survécu sont insignifiants, mais, à leur défaut, nous avons le témoignage d’un homme aux lumières duquel nous pouvons accorder toute confiance, parce que nous les avons jamais trouvées en défaut.

     «On voit encore, aujourd’hui, écrivait il y a deux siècles, le savant Barnabite Fleureau, au bout de la plaine des Sablons, sur le bord des prés, les restes d’un vieil bâtiment et d’une tour dite communément la tour de Brunehaut. Il est très certain que cette dénomination vienne de la Reine Brunehaut mais on ne sait pas à la vérité si c’est elle qui l’a fait bâtir. Il y a deux conjectures qui peuvent faire croire qu’elle a été bâtie par les romains: la première, la façon de structure de ce qui reste encore aujourd’hui; et la seconde, quantité de monnaies des anciens empereurs romains, que l’on trouva, il y a peu d’années, en fouillant dans ces ruines.» (1)

     (1) Antiquités d’Etampes, p. 16.
     Ces débris, qui existaient encore du temps de Fleureau était déjà peut être à l’état de ruines dès le XIIe siècle. Un diplôme de Henri 1er, de 1046, les désigne de cette façon qui mérite d’être remarquée «Vetus ædificium Brunechildis» (2).
     (2) Cartulaire de N.D. d’Etampes. Cette charte a été publiée par Fleureau dans ses Antiquités p. 292.
       S’il pouvait en présence de ces témoignages nous rester quelques incertitudes, elles seraient dissipées par une découverte archéologique faite de nos jours, qui, rapprochée de celle sur laquelle Fleureau appuyait ses conjectures, les confirme de tout point. Des monnaies d’or frappées au coin des empereurs Gordien, Dioclétien, Constance Clhore, quelques débris de poteries et de terres cuites, un petit mercure en bronze et une statue en pierre de Priape, de deux pieds de hauteur, trouvés il y a environ un demi siècle, dans un endroit où semblable trouvaille avait été faite deux cents ans auparavant, ne permet plus de douter qu’ il n’y ait eu là un établissement romain d’une certaine étendue.

     On trouve même encore sur le sol, aux environs, des fragments de briques romaines et beaucoup de fondations de murs présentant de nombreuses marques d’incendie. Il y avait certainement à cet endroit une grande exploitation romaine assise au bord de la rivière et le long de la grande route de «Genabum» (Orléans) à Lutèce; sans doute un poste militaire occupé par des auxiliaires Maures dont le nom combiné avec la forme celtique iacum, qui dénote une agglomération de huttes gauloises, se serait perpétué dans celui du village de Morigny , «Mauriniacium» dénonçant ainsi la juxtaposition en ce lieu d’un hameau gaulois et d’un établissement romain militaire et agricole.

     L’image d’une divinité phallique, Priape, protecteur des jardins, trouvée à quelques pas de l’endroit où s’est élevée depuis une chapelle dédiée à Saint-Phallier, prête aussi à un rapprochement qui ne manque pas de vraisemblance (3).


     Notons enfin un peu plus loin le lieu appelé «Jœure», qui semble bien être «Jovis Ara».

     Suivant Jacques de Guyse et les anciens historiens belges qu’il a compilé, aurait vécu vers l’an 957 avant notre ère, un roi belge du nom de Brunechulde ou Bunehauti. C’est à lui qu’il faudrait attribuer toutes les chaussées dites de Brunehaut. M. de Fortia d’Urban qui a publié les Annales de Jacques de Guyse, pense qu’il faut aussi attribuer à ce roi druide, l’ancienne tour de Brunehaut, qui existait aux environs d’Etampes (p. 41). Voilà pour la charmante villa que nous connaissons un brevet d’antiquité auprès de laquelle est bien médiocre celle que j’ai cru pouvoir lui accorder.


     Mais en dépit de la conviction avec laquelle le savant éditeur de Jacques de Guyse a défendu contre tous les archéologues belges, les fables de son auteur et les traditions du roi Brunechulde, il nous permettra de conserver encore bien des doutes, non sur l’attribution qu’il faut lui faire des chaussées qui se trouvent dans l’ancienne Belgique, ce qu’il ne m’appartient pas d’examiner, mais sur celle de la tour qui se trouvait près d’Etampes.

     J’accepte toutes raisons que l’on fait valoir pour démontrer que ni les chaussées, ni la tour n’ont été construites par la veuve de Sigebert, parce que il n’apparaît pas bien certainement qu’elle ait jamais possédé, non plus que ses fils, aussi bien le pays d’Etampes que tous ceux où l’on rencontre les anciens chemins qui portent son nom (Bergier, Grands Chemins de l’Empire, liv. I, chap. XXVI & XXVII), mais entre ces solutions opposées il reste encore champ aux hypothèses. Peut-être y a t-il en cet endroit des constructions datant de l’époque celtique. Nous savons en effet que les retraites fortifiées des chefs gaulois étaient cachées au milieu des bois et des marécages et l’existence d’un village celtique, qui devint plus tard Morigny, prête à cette hypothèse. Mais que l’on ait donné à ce fort, nous ne savons quand, le nom d’un chef belge, comme on a attribué à César tous les camps retranchés dont on découvre les vestiges sur le sol de la Gaule, cette supposition me parait plus qu’invraisemblable. Il est plus raisonnable de supposer que l’ancien établissement romain pris le nom d’un guerrier frank dont il constitua le lot dans le partage des terres conquises. Le nom de Brunechilde peut, en effet, aussi bien appartenir à un homme, la désinence «childe» n’impliquant pas une appropriation exclusivement féminine, puisqu’elle est commune à bien des rois Wisigoths, d’Espagne, Leuwighilde, Athanagilde etc..., Les noms restés en usage de Michaut, Rigaut et autres, ne sont que les noms tudesques Milchilde, Richilde, comme Mathilde a fait Mahaut et Brunechilde Brunehaut.

E. D…..d
Priape de Morigny

     (3) Le nom latin du saint, «Phalétrus» ou «Phalétricis» s’éloigne un peu le la forme étymologique «Phallus», mais outre que les explications se présentent d’elles mêmes, la légende du saint n’en est pas moins apocryphe. Les auteurs de «L’histoire littéraire de la France» en ont fait justice, ils décident nettement que son auteur qui aurait écrit environ cinq siècles après le temps où aurait vécu le saint n’a réussi qu’à faire un pieux roman au lieu d’une histoire, c’est le titre que méritait son ouvrage et les successeurs de Bollandus n’en n’ont pas jugé plus avantageusement. — Histoire littéraire, t. VIII p. 587.
 
NOTES DE L’ÉDITEUR (2004)
 
     1. ... trouvées
il y a environ un demi siècle:  il semble donc que cet article soit simplement un extrait de l’ouvrage de Dramard sur les origines d’Etampes paru en 1855, et que nous mettrons en ligne dès que nous l’aurons sous la main.

     2. ...
le lieu appelé «Jœure», qui semble bien être «Jovis Ara». Cette étymologie est bien vraisemblable. Notez ce qu’écrivait Victor Hugo, probablement dans ses Choses vues, sur St Michel de Jouarare (Landes): «Je note en passant que ces deux mots, Jovis ara, ara Jovis, ont engendré bien des noms de villes, lesquels, bien qu’ayant la même origine, ne se ressemblent guères aujourd’hui, depuis Jouarre en Champagne et Jouarare dans les Landes jusqu’à Aranjuez en Espagne.» (texte cité sans référence par la page http://www.ac-bordeaux.fr/Pedagogie/hugo/texte13.htm, en ligne en 2004)

     3. ...un rapprochement qui ne manque pas de vraisemblance (Phallier / Phallus):  Nous avons montré ailleurs que cette hypothèse est indéfendable pour au moins trois raisons: 1) le mot (grec) de phallos ne s’est jamais acclimaté en latin; 2) personne n’a jamais établi ni même tenté détablir le moindre lien entre le culte de Priape et celui de saint Phallier qui dépasse le stade de lallusion vague; 3) rien ne prouve de plus que le culte de saint Phallier soit ancien à Étampes, où il a pu être introduit à n’importe quelle époque du moyen âge, puisque Louis XI était encore un dévot de saint Phallier. On est donc ici dans l’arbitraire le plus total.

     4
...la désinence «childe» n’impliquant pas une appropriation exclusivement féminine:  Dramard ici confond allègrement l’élément gothique gildan (rattaché apparemment à l’idée de récompense), qui sert à former de nombreux anthroponyme masculins gothiques, avec l’élément franc hild (rattaché à l’idée de combat) qui sert en Francie à former des anthroponymes exclusivement féminins. Il nest donc pas possible que le nom Brunehaut ait jamais été porté par un homme. On peut concevoir en revanche qu’il y a eu plus d’une Brunehaut. Mais ce n’est pas la bonne piste, car il existe ou ont existé plusieurs Tours de Brunehaut en France et en Belgique, depuis au moins le 11e siècle. Il faudrait donc plutôt rechercher à quand remonte cette manie générale de d’attribuer à Brunehaut la construction de tous les bâtiments qui frappaient par leur ancienneté, et sa cause.

Bernard Gineste, 2004
Source du texte: extrait de l’Abeille conservé et saisi par François Jousset, 2004.
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE

Éditions

     Eugène DRAMARD, «Antiquité de Brunehaut et de Morigny», in L’Abeille d’Étampes (7 septembre 1872), p. 1.

     François JOUSSET & Bernard GINESTE, «Eugène Dramard: Antiquité de Brunehaut et de Morigny (1872)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-dramard1872brunehaut.html, 2004.


Sources alléguées

     Nicolas BERGIER, Histoire des grands chemins de l’Empire romain [in-4°; 856 p.; titre et frontispice gravés], Paris, C. Morel, 1622.

     Dom Basile FLEUREAU (religieux barnabite, 1612-1674), Les Antiquitez de la ville, et du Duché d’Estampes avec lhistoire de labbaye de Morigny et plusieurs remarques considerables, qui regardent l’Histoire generale de France [in-4°; XIV+622+VIII p; publication posthume par Dom Remy de Montmeslier d’un texte rédigé en réalité vers 1668], Paris, J.-B. Coignard, 1683 [dont une réédition en fac-similé reliée:, Marseille, Lafittes reprints, 1997], p. 16 [dont une réédition numérique en mode texte in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b09.html, 2001-2005.

     ANONYME (mauriste), «Notcher, abbé de Hautvilliers, et autres écrivains (XIe siècle)», in RELIGIEUX BÉNÉDICTINS DE LA CONGRÉGATION DE SAINT-MAUR, Histoire littéraire de la France, où l’on traite de l’origine et du progrès, de la décadence et du rétablissement des sciences parmi les Gaulois et parmi les François, etc. Tome VIII, Qui comprend le commencement du douzième siècle de l’Eglise [XVI+742 p.], Paris, vers 1750 (tomes I-XII: 1733-1763), pp. 586-587.

     Nicolas BERGIER & Saulus MERCERUS (anagramme de Marcus WELSER), Histoire des grands chemins de l’Empire romain... ensemble l’éclaircissement de l’Itinéraire d’Antonin et de la carte de Peutinger [Tabula itineraria ex illustri Peutingerorum bibliotheca]... Nouvelle édition... [2 vol. in-4° (ou 2 tomes en 1 vol.); titre et frontispice gravés], Bruxelles,  J. Léonard, 1728. Réédition 1736.

     Marquis de FORTIA [éd.] & Jacques de GUYSE [premier auteur], Histoire des Lorrains, par Hugues de Toul, extraite des «Annales de Hainaut» par Jacques de Guyse, rédigée et commentée par M. le marquis de Fortia [in-8°], Paris, chez l’auteur, 1838, p. 41.

     ANONYME (bénédictin mauriste), «Notcher, abbé de Hautvilliers, et autres écrivains (XIe siècle)», in Alexis-Paulin PARIS [rééditeur], Histoire littéraire de la France, où l’on traite de l’origine et du progrès, de la décadence et du rétablissement des sciences parmi les Gaulois et parmi les François.... Tome VIII, Qui comprend le commencement du douzième siècle de l’Eglise, par des religieux bénédictins de la Congrégation de S. Maur. Nouvelle édition, conforme à la précédente et revue [27 cm; XVI+742 p.], Paris, V. Palmé, 1868 [dont fac-similé: Nendeln (Liechtenstein), Kraus, 1974; dont une édition numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica, N028032, http://gallica.bnf.fr/document?O=N028032, en ligne en 2004], pp. 586-587 [dont une saisie en mode texte par Bernard Gineste, in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b11.html#histoirelitteraire, 2004].

Autres publications de Dramard relatives à Étampes
 
     Eugène DRAMARD, Notice Historique sur l’origine de la ville d’Étampes [in-8°; 63p.; mention honorable au concours des antiquités nationales (Académie française)], Paris, Dumoulin, 1855.
     Dont une rrédition numérique annotée et illustrée par Bernard GINESTE(éd.),
«Eugène Dramard, Notice sur l’origine de la ville d’Étampes (1855)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-dramard1855origine.html, 2010.

     Eugène DRAMARD, Épisodes de la Révolution française dans le département de Seine-et-Oise. La Disette de 1789 à 1792 jusqu’à la loi du Maximum [in-8°; 108 p.],
Versailles, É. Aubert [«Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise» IX], 1876.
 

Sur la question de l’origine du culte de Saint Phallier

     Bernard GINESTE, «Art gallo-romain: Priape (sculpture des environs du 2e siècle)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-02-priape.html, 2004.

     Bernard GINESTE [éd.], «Dom Fleureau: Vie de saint Phalier, Confesseur & Hermite (1668)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b11.html, 2004.

       
 

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