Corpus Littéraire Étampois
 
Pierre Lejeune
Éditoriaux parus sous l’Occupation allemande (I)
Abeille d’Étampes, 1940
     
Pierre Lejeune en 1941
 
     Nous donnons ici les éditoriaux publiés dans l’Abeille d’Étampes par Pierre Lejeune au début de son mandat de maire, pendant l’année 1940. Ils ont été saisis par Bernard Métivier et annotés par moi-même. Nous y joignons le résumé de deux de ses discours à la jeunesse saisis par Jacqueline Pétron. Nous mettrons en ligne la suite, qui a déjà été saisie intégralement par Jacqueline Pétron, dès que possible. Ces textes sont d’un grand intérêt à différents égards.
Bernard Gineste, 25 août 2012
 

Pierre-Ulysse Lejeune
Éditoriaux parus sous l’Occupation allemande (I)
Abeille d’Étampes, 1940


     Les commerçants (24 août 1940) Le travail unanime (31 août 1940) Droits et reconnaissance (7 septembre 1940 Allocution aux jeunes gens (7 septembre 1940) — L’exemple (14 septembre 1940)  Allocution aux jeunes filles (15 septembre 1940) — S’adapter (21 septembre 1940) Notre faiblesse (28 septembre 1940) Activité (5 octobre 1940) L’honnêteté (12 octobre 1940) Pour la rentrée des classes (19 octobre 1940) Lamartine (26 octobre 1940) Le Maréchal (9 novembre 1940) Maintenir (16 novembre 1940)L’unité française (30 novembre 1940) L’équilibre vital (7 décembre 1940) Avec un chef (14 décembre 1940) Le retour de l’Aiglon (21 décembre 1940) Au temps des rondes (28 décembre 1940)  Annexe: Notice sur Pierre Lejeune et son équipe (31 août 1940).



LES COMMERÇANTS

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 26, samedi 24 août 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Nous ne sentons guère l’avantage, inappréciable pourtant, de disposer de tous nos organes suivant notre désir. Quand nous avons la bonne fortune d’être en bonne santé, à moins que nous ne soyons tenus d’étudier l’anatomie ou la physiologie, nous oublions que nous avons un estomac, des poumons, un foie, une trachée, des muscles et des nerfs.
     On ne saurait même dire qu’au moindre appel ces différents organes s’empressent de nous répondre, tant le mécanisme est indépendant de notre propre volonté. On digère sans le vouloir, on respire sans y penser, et notre foie exerce sa fonction glycogénique sans que nous l’y aidions par nos conseils. La perfection de notre organisme, quand il est sain, nous fait oublier son existence, et beaucoup de gens ont vécu sans savoir quelle était l’utilité des sus gastriques ou des glandes surrénales.

     Pourtant, il suffit que la moindre chose vienne troubler la marche ordinaire de nos organes pour que nous nous apercevions combien il est utile d’avoir un bon estomac et des reins excellents. Alors nous surprenons à penser que notre organisme, pour être parfait, n’en est pas moins sujet à des dérangements, et que la santé, qui nous semble naturelle, est quelque chose d’assez fragile et d’un équilibre précaire. Il ne suffit pas de dire comme un des plus gros mangeurs de France, qui s’était fait une renommée de Gargantua: «Le foie, je ne connais pas ça»*. Quelque jour le foie se fait connaître, et le Silène** joyeux, qui mangeait et qui buvait, non point comme quatre, mais comme huit, est emporté comme un mince fétu de paille.
     * Allusion non élucidée (B.G.).
     ** Silène: satyre du cortège de Bacchus, représenté le plus souvent souvent replet, et ivre (B.G.).

     La tourmente, qui s’est abattue sur nous au cours de ces derniers mois nous a montré qu’il en est de même pour les êtres collectifs: les villages, les bourgs et les villes*. En temps ordinaires les citoyens ne se préoccupent guère de la façon dont fonctionne leur cité. Il leur semble tout naturel de se procurer les marchandises, les objets, les denrées, toutes les choses dont ils ont besoin.

     Le ravitaillement s’effectue si bien qu’on ne peut penser qu’il faille des prévisions pour que rien ne manque, et que toute personne puisse au gré de ses désirs et de ses besoins, se procurer se qu’elle demande. C’est ici le pain frais, là le sel et le beurre, ailleurs la côtelette de mouton ou le beefsteak, dans une autre boutique la salade et les légumes, dans une autre encore, les rillettes ou le jambon. Comment s’imaginer que tout à coup il soit impossible de préparer un repas, et qu’en dehors de toute question d’argent le simple fait de se nourrir devienne un problème angoissant? Comment dans une ville, ou la veille encore les boutiques offraient à tout venant un choix abondant et varié, la situation peut-elle devenir si différente qu’on ne trouve ni lait, ni pain, ni viande, ni légumes.
     * Lejeune s’inspire ici de l’apologue que Menenius Agrippa imagina en 494 av. J.-C. pour convaincre la classe populaire romaine de renoncer à son projet de sécession: «Un jour [...] les membres du corps humain, voyant que l’estomac restait oisif, séparèrent leur cause de la sienne, et lui refusèrent leur office. Mais cette conspiration les fit bientôt tomber eux-mêmes en langueur; ils comprirent alors que l’estomac distribuait à chacun d’eux la nourriture qu’il avait reçue, et rentrèrent en grâce avec lui. Ainsi le sénat et le peuple, qui sont comme un seul corps, périssent par la désunion, et vivent pleins de force par la concorde» (récit d’Aurélius Victor).
     Il est évident que les restrictions alimentaires, et dont l’Abeille se fait l’écho à la même époque, créaient de grandes tensions sociales, à Étampes comme ailleurs, au point que le maire se sent le devoir de prendre la défense des commerçants contre les rumeurs et les accusations qui devaient courir, et, plus discrètement, de sa propre administration (B.G.).
     Pour si surprenante que soit la chose, des centaines de milliers d’hommes et de femmes l’ont connue et vécue. Par suite de la perturbation causée par des circonstances tragiques, ceux qui accomplissaient chaque jour l’humble devoir de donner à la ville sa subsistance quotidienne, ne pouvaient plus poursuivre leur fonction. Chacun se rendait compte immédiatement de ce qu’il y a de complexe dans le ravitaillement d’une ville, et ceux qui se trouvaient à la tête des municipalités éprouvaient des difficultés presque insurmontables pour se substituer aux organismes ordinaires.

     C’est ainsi qu’est apparue clairement aux yeux la fonction si nécessaire du commerce. Alors que rien ne semblait plus simple que de distribuer dans une ville ou dans un bourg les vivres et les approvisionnements d’usage, on s’aperçut qu’il y avait là une besogne ardue, qui demande de l’expérience et du savoir.

     Les commerçants sont une des parties les plus importantes de l’armature qui soutient un pays. Patients, laborieux, économes, ils veillent sur les biens précieux dont nous avons besoin, et ils en régularisent l’écoulement. S’ils stockent des marchandises c’est avec une sagacité, qui évitera les pertes et le gaspillage, dont nous avons été témoins au cours des mois qui ont suivi la déclaration de guerre, quand le commerce cessait d’être libre. Ils veillent sur la qualité des produits, ils écartent ceux qui sont douteux, ils s’ingénient à découvrir des marchandises qui ne trouvaient pas tout de suite un débouché, et qui cependant correspondaient au goût du public. En ce moment même ils font de véritables prodiges pour que leurs concitoyens soient à l’abri des privations. On ne saura jamais le travail que certains d’entre eux ont fourni, pour mettre à la disposition des enfants et des vieillards, les denrées nécessaires à leur existence. C’est une lutte quotidienne et presque toujours ingrate. Il arrive en effet que les prix sont quelquefois majorés plus qu’il ne faut par certains commerçants, et immédiatement le reproche de spéculation, qui ne devrait être que particulier devient général; on confond dans la même réprobation ceux qui font honnêtement leur métier et ceux qui en abusent. Tous tombent sous la même vindicte, comme il arrive quand les esprits irrités par la souffrance ne peuvent plus prendre la peine de distinguer entre ceux qui sont coupables et ceux qui sont innocents.

     Pourtant, malgré ces reproches, malgré ces plaintes, les commerçants n’en continuent pas moins à faire de leur mieux et à maintenir le niveau de la vie sociale.

     Ils ont en effet un devoir primordial: celui d’assurer la vie économique du pays. Ce devoir ne doit jamais s’effacer de leur esprit. Si comme nous le croyons, la prospérité d’un pays dépend de la façon dont chacun accomplit sa tâche propre, les commerçants en s’efforçant de tenir leur rôle d’animateur journalier et en ne tirant de leur négoce que la juste part, qui doit revenir à tout travailleur, seront parmi les premiers à reconstruire la nouvelle nation.

     Il est à souhaiter qu’ils sachent s’organiser, et qu’ils comprennent que loin de nuire à leur liberté individuelle, une action corporative bien entendue leur permettra d’étendre leur rayonnement et de contribuer encore davantage au bien public. Plus que jamais, il faut nous pénétrer de cette idée qu’un individualisme exclusif est néfaste au bon ordre d’un pays, et que tous les citoyens vivront avec plus de force et plus de joie s’ils sentent qu’ils sont unis les uns aux autres par une étroite solidarité.

P. Lejeune


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LE TRAVAIL UNANIME

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 27, samedi 31 août 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Nous n’avons plus à perdre une heure, une pensée, une parole, une force quelconque parmi celles qui subsistent encore aujourd’hui dans notre pays si terriblement éprouvé. L’action doit tout primer. Une action menée sérieusement, sans étalage, sans parade, sans ostentation, une action dont nous ne trouverons jamais de meilleur modèle que dans celle du paysan qui, tout au long d’une année, besogne sans arrêt ni relâche.

     Bien qu’il ne faille pas être hanté par le passé, nous ne pouvons pas oublier que le domaine de l’action ait été tout à fait délaissé pendant la période qui a précédé cette guerre*. Il n’était pas question d’agir, mais seulement de déterminer les meilleures conditions à réaliser pour pouvoir agir. On s’agitait autour des systèmes, des techniques et des théories. Chacun présentait sa doctrine. Il en était de toutes sortes, et chacune devait avoir des résultats infaillibles. En toute sincérité les résultats de cette multiplicité de panacées n’ont pas été probants. Déjà La Fontaine avait établi que le mieux pour se tirer d’affaires n’était pas d’avoir mille moyens à sa disposition, mais d’en avoir un seul, qui soit sûr**. Nous ne nous demanderons pas s’il existait un bon et sûr moyen pour se tirer d’affaire avant 1940, mais nous savons bien qu’il en est un aujourd’hui sur lequel tout le monde est d’accord. Ce moyen s’exprime en un seul mot: le travail.

     
* Allusion à la politique menée avant guerre par le Front Populaire, considérée comme la source des maux dont la France souffre sous l’Occupation allemande (B.G.).




     ** Allusion littéraire à élucider.
     C’est le mot qu’il faut se répéter chaque jour, se remettre en mémoire, faire sien jusqu’au fond de son esprit et de son cœur. Par tous les moyens, il faut combattre l’apathie et l’oisiveté. Pour vivre il faut produire. La production, qui fut presque considérée comme une sorte de fléau mondial, et qu’on s’efforçait de diminuer en certains pays par des prohibitions diverses, reprend aujourd’hui sa première place. Nous manquons ou nous sommes prêts de manquer de toutes choses; on signale partout des demandes qui ne sont pas satisfaites; dans les villes des femmes et des enfants, voire des hommes en pleine force, se rangent patiemment les uns derrière les autres pour obtenir quelques articles qu’on leur distribue parcimonieusement. Les ateliers réclament des matières premières, les réparateurs mendient des pièces détachées, les industries supplient qu’on leur donne du charbon. Dans tous les domaines, c’est un appel toujours semblable qu’on entend, appel tragique, mais qui cependant, loin de nous faire trembler, peut au contraire nous donner des raisons d’espoir.

     L’impitoyable nécessité va nous obliger en effet à reprendre la route que nous n’aurions jamais dû quitter, la route étroite où chaque jour l’homme reforge son énergie et ses volontés. A la flamme des nouvelles ardeurs, sur l’enclume solide des faits et des réalités, il va battre le fer avec lequel il s’ouvrira la voie glorieuse de l’avenir. Chaque citoyen reprendra confiance en lui-même; cessant de compter sur un État distributeur, qui doit pourvoir à tout, au risque de tout faire périr, il ne comptera que sur lui-même, et n’attendra de cet État que l’ordre et la justice, qui lui permettront d’agir avec certitude. Le citoyen ne mendiera plus, il ne sera plus un quémandeur, mais dans l’allégresse de ses forces retrouvées, il n’attendra plus rien que de ses bras et de son cerveau.

     Quand dans une nation chaque homme se considère comme une force qui marche et non pas comme une charge qui se fait traîner, l’atmosphère change, les pensées se font plus claires, les regards sont plus éclatants, les lèvres plus riantes. Celui qui recherche constamment un appui, qui jette partout les yeux pour voir où il pourra s’agripper, dont le seul désir est d’être pendu à quelqu’un ou à quelque chose, celui-là n’aura qu’une attitude basse et une physionomie fausse. Il faut d’abord être franc avec soi-même, s’avouer que l’on n’obtient rien que par l’effort, et que si c’est à des moyens obliques qu’on doit sa situation et sa fortune, on a simplement triché.

     La tâche qui s’offre à nous est immense. Elle n’est cependant pas hors de proportion avec nos ressources. Nous appartenons à une race courageuse et tenace, dont le défaut est de trop se prêter aux propositions faciles. Chaque fois qu’elle a suivi les gens adroits, souples, habiles à présenter toutes choses comme aisées à obtenir, elle a glissé dans le malheur ou l’infortune*. Mais chaque fois qu’on a fait appel à son abnégation, à son sacrifice, à son goût de la peine et du dévouement, elle a montré des qualités et des vertus, que les autres peuples lui reconnaissent volontiers.

     
* Nouvelle allusion à la politique menée avant guerre par le Front Populaire (B.G.).
     Que Jacques Cartier* propose à ses compatriotes d’aller s’établir sur les bords du Saint-Laurent pour faire une besogne épuisante de défricheurs, et de leurs pioches et de leurs pelles ils vont jeter les premières assises des villes canadiennes, tandis qu’ils ouvriront le sol fécond de ces terres nouvelles pour y faire lever des moissons. Ni le froid excessif, ni la chaleur des tropiques, ni les climats insalubres de certaines parties de l’Afrique et de l’Asie ne découragent les pionniers français. Plus l’œuvre est difficile, plus elle leur agrée. La race aime à combattre l’adversité; la faim, le dénuement, la privation ne l’effraient pas, pourvu qu’on lui propose un but honorable. Elle est prête à tout donner si elle sait que ceux qui la conduisent ne poursuivent pas de but personnel, et qu’il s’agit de donner une preuve manifeste de ses vertus.
     * Navigateur malouin (1491-1557), explorateur du Canada (B.G.).
     Jamais plus qu’aujourd’hui la race française n’a eu l’occasion de montrer ce qu’elle vaut et ce dont elle est capable. Dans l’Europe de demain, il lui appartient d’apporter la plus précieuse des collaborations. Le monde qu’il s’agit de construire a besoin de travailleurs intrépides, qui sauront unir l’audace au courage. Pour l’audace il semble que les français n’en aient jamais manqué, et qu’ils aient pris plaisir à mettre du risque dans leurs entreprises. Pour le courage ils ont montré mille fois que quand ils étaient bien conduits, ils ne reculaient devant aucun péril.

     C’est donc avec confiance que nous devons les uns et les autres envisager les jours qui vont venir. Point de vains espoirs, point d’illusions, point de rêves: la volonté seulement de donner tout ce que nous avons de force et d’intelligence, pour que, grâce à un travail opiniâtre et rude, nous poursuivions et réalisions les destins d’une race dont tout l’honneur sera de rester fidèle à elle-même.

P. Lejeune.


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DROITS ET RECONNAISSANCE

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 28, samedi 7 septembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Chaque homme pense d’abord à ses droits.

     Qui de nous ne dit pas ou ne pense pas plusieurs fois dans la journée: «C’est mon droit. C’était parfaitement mon droit.» Nous nous hâtons de justifier nos désirs ou nos caprices particuliers en les revêtant du caractère noble de la justice. La sujétion trop grande que les peuples ont subie à certaines époques les a jetés dans un sentiment d’indépendance, qui leur a fait croire qu’en venant au monde un petit citoyen arrivait muni de tous ses droits comme un ambassadeur de ses lettres de créance. Descartes avait dit: «Je pense, donc je suis», nous dirions volontiers: «Je suis, donc j’ai des droits». Il est naturel de défendre la personne humaine, et si Jean-Jacques Rousseau a rencontré tant d’admirateurs au XVIIIe siècle, c’est qu’il exploitait un système naturel*. A défaut de la force qui est le meilleur moyen pour se défendre, il convient de se mettre sous la protection du droit**. Mais comme on abuse de toutes choses, comme on s’arrête difficilement dans le succès, les protagonistes du droit de l’individu ont demandé tout pour lui sans exiger aucune contre-partie. De là un déséquilibre social dont nous venons de faire les frais***.
     * Il est bien clair qu’il ne s’agit pas ici d’un éloge de Jean-Jacques Rousseau (B.G.).
     ** Ce point de vue est particulièrement remarquable (B.G.).

     *** En d’autres termes, les causes profondes de la défaite française de 1940 sont à chercher, au-delà des seules errances du Front Populaire, dans les conséquences ultimes de la Révolution Française. (B.G.).
     Si dans une société chaque personne s’arroge des droits sans se sentir tenue à aucune obligation, il n’est point possible que la société subsiste longtemps, car elle sera dans la situation d’un commerçant ou d’un industriel qui paye toujours sans jamais rien recevoir.

     L’honnêteté veut qu’on paye ce qu’on doit et tout homme doit quelque chose à la société dans laquelle il vit. C’est grâce à cette société, représentée d’abord par son père et sa mère, que l’enfant peut avoir la nourriture qui lui est nécessaire. Les secours lui viennent encore par d’autres sources, et s’il s’agit d’un enfant appartenant à une famille pauvre il est redevable aux différentes œuvres et institutions qui s’occuperont de lui, à commencer par le dispensaire et l’école maternelle.

     Quand on parle des droits de l’enfant c’est une impropriété. Il faut parler des devoirs des parents. Les parents sont tenus de nourrir, de vêtir, d’élever et d’entretenir leur enfant. Ils ont là une charge à laquelle ils ne peuvent se dérober.

     Mieux vaut parler de ce devoir qu’on peut leur rappeler et qui est susceptible de sanctions que d’un droit, dont le bénéficiaire ne peut user, et qui est une arme trop lourde pour ses mains débiles. Plus tard quand l’enfant a grandi, voire même quand il a franchi l’adolescence, c’est encore des devoirs que les parents et la société ont envers lui qu’il convient de parler beaucoup plus que des droits qu’il aurait sur eux.

     Le devoir implique un sentiment plus généreux que le droit. Il évoque un effort moral, une volonté de préférer les autres à soi-même, un désintéressement, quelquefois total, de ses biens et de sa personne. Il n’en est point toujours de même du droit qu’on a acquis. A la source de son acquisition, il y a souvent un avantage et un intérêt particuliers; ce que le droit réserve à quelqu’un c’est un bénéfice pour lui-même, une augmentation de sa personnalité, qui se résout en satisfactions plus ou moins égoïstes. Dans le domaine pur de la beauté morale il doit céder le pas au devoir qui ne prend sa source que dans la libéralité du cœur.

     On ne conteste pas un devoir, combien de fois ne conteste-t-on pas un droit? C’est une vérité si pleine d’évidence que la plus grande partie de l’activité humaine s’est depuis des siècles consacrée à établir quels étaient les droits des personnes.

     Les lois ne sont jamais si claires et si sûres qu’elles ne donnent lieu à des interprétations diverses. Il y a des jurisprudences opposées pour le même texte législatif, qui ne paraît pourtant susceptible d’aucune équivoque. Chaque personne est persuadée que la loi joue en sa faveur, et cela nous explique pourquoi les tribunaux sont encombrés de procès.

     Depuis qu’il est des lois, l’homme pour ses péchés se condamne à plaider la moitié de sa vie; la moitié? les trois quarts et bien souvent le tout. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle La Fontaine dénonçait le goût malheureux de ses compatriotes pour la chicane*.
     * Par exemple dans L’Huître et les Plaideurs: «Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui; / Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles» (B.G.).
     Si noble que soit le droit, il faut reconnaître en effet qu’il est souvent entaché d’un caractère chicanier. Il n’y a pas de chicane dans le devoir. Le devoir est absolu, sa limite c’est l’abnégation de soi-même, le don total de ses biens et de sa personne. Il ne s’arrête qu’avec la mort de celui qui se sacrifie pour ses enfants, pour ses frères, pour ses amis, pour son idée, pour son honneur ou sa foi. On ne conteste pas avec le devoir, il ne fait l’objet d’aucune procédure, les termes dont il s’entoure ne demandent aucune étude préalable; l’enfant le connaît déjà, alors que le droit n’est pour lui qu’un vain mot dont les sens lui échappe encore.

     Les âmes se feront plus belles et plus généreuses, quand elles se demanderont d’abord ce qu’elles doivent aux autres et non point ce qu’on leur doit. C’est par la reconnaissance qu’il faut commencer à vivre et non point par l’exigence. Exigeons moins de l’État et de la société; donnons-leur davantage. Comme l’enfant doit d’abord penser à s’acquitter envers ses parents de tout ce qu’il a reçu d’eux, le citoyen doit d’abord par son attitude et son dévouement envers la Cité s’acquitter de la dette de gratitude qu’il a contractée naturellement envers elle. Nous devons au Pays un précieux héritage de vertus, d’exemples, de grandeur et de beauté qu’il a su conserver à travers les siècles. Tout ce qu’un pays comme le nôtre offre à celui qui naît est d’une importance incalculable pour la santé de son âme et de son corps. Sans doute y a-t-il encore des déshérités, et à cet égard la communauté se trouve-t-elle en présence de devoirs qui ne cesseront probablement jamais, mais même pour eux la société offre encore des avantages, qu’on ne saurait mépriser.

     Une société policée, où l’on est sûr de trouver l’ordre et la justice, où le travail est organisé, où règne une activité bienfaisante est pour chaque individu la meilleure des sauvegardes. Chaque citoyen doit être reconnaissant envers cet ensemble d’institutions, de lois, d’organisations, qui pour imparfaites qu’elles puissent être, représentent cependant l’effort constant de générations précédentes.

     La reconnaissance est un sentiment qui élève les âmes. Nous ne saurions trop le cultiver. C’est un sentiment qui doit être inscrit au cœur des hommes de bonne volonté, à ceux qui pensent que pour avoir quelque mérite, il faut d’abord examiner si l’on a bien acquitté sa dette quotidienne envers sa Cité et son Pays.

P. Lejeune.


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ALLOCUTION DU 7 SEPTEMBRE 1940 AUX JEUNES GENS

(Abeille du 14 septembre 1940)

     On prendra garde que nous n’avons de ce discours que les notes qu’en a pris le journaliste René Collard, de l’Abeille d’Étampes, de sorte qu’on ne sait pas si Lejeune a pu relire les paroles exactes qui lui étaient prêtées. On notera que se trouvaient dans l’assistance deux personnages qui furent plus tard arrêtés pour fait de résistance et y perdirent la vie: Louis Moreau, inpecteur primaire d’Étampes et Pierre Audemard, membre de l’équipe municipale de Lejeune en charge du Sport.

Les jeunes gens d'Etampes sur le terrain du Stade (Photo Rameau, 7 septembre 1940)
Au Stade municipal, les jeunes gens sur le terrain (Photo Rameau.)
(cliché du 7 septembre 1940 dans l’Abeille du 14 septembre)



    En vous réunissant aujourd’hui, j’ai pensé que c’était le meilleur moyen pour vous mettre en face de la tâche nouvelle que nous attendons de vous. Il est nécessaire que, dès maintenant, vous fassiez l’effort indispensable pour assurer aux œuvres de demain, des hommes solides et éprouvés. Chaque samedi vous vous retrouverez ici et vous rendrez plus étroits les liens de solidarité et d’amitié qui, entre les citoyens, maintiendront pour toujours l’esprit de concorde. C’est en vous réunissant à des jours et à des heures fixes, que vous donnerez à la Ville et que vous vous donnerez à vous-même, un sentiment général de discipline.

     Il faut que la discipline soit, chez vous un sentiment naturel, il faut que vous l’aimiez pour elle-même, pour ce qu’elle vous apportera de force et de santé. C’est par la discipline qu’on peut se débarrasser  des défauts et des faiblesses qui entravent notre action; c’est par la discipline que l’individu apprend à renoncer à soi-même, à suspendre les mouvements impulsifs de l’humeur et du mécontentement, assurer la pleine maîtrise de soi dans la peur, comme dans la colère. L’être discipliné offre un spectacle d’équilibre, il peut résister à tous les assauts de quelque sorte qu’ils soient.
Vous apprendrez à sentir combien l’autorité est indispensable; elle ne vous apparaîtra pas comme une brimade inutile, comme la satisfaction de commander aux autres, et de pouvoir faire plier leur volonté suivant son caprice, elle vous apparaîtra comme une autre qualité du caractère. Cette autorité, ce sera celle qui veut qu’un homme à un moment précis donne l’ordre qui convient.

     Vous donnerez à vos concitoyens des exemples d’ordre et de cohésion. Dispersés chaque jour à leurs occupations particulières, les citoyens risquent de ne plus se sentir unis et perdent l’impression d’appartenir à la même cité. Grâce à vous, grâce aux manifestations que vous ferez ici, grâce aux défilés qui pourront être organisés, vous redonnerez aux citoyens la connaissance de l’unité qui doit les régir. La Ville, devant des jeunes gens pleins de force et d’énergie, reprendra un sentiment de confiance en elle-même.

     Il y a dans la jeunesse un élan et une vivacité qui se communiquent facilement à la population; si ceux qui vous ont précédés peuvent vous donner des leçons d’expérience, vous pouvez donner à votre tour  des raisons d’espérer aux adultes et aux gens âgés.

     L’entraînement physique est indispensable, et nous voulons qu’il soit obligatoire pour former une génération forte et saine. Que vous soyez à l’atelier ou dans un bureau, qu’il s’agisse d’une profession commerciale, industrielle ou libérale, ou bien qu’il s’agisse de ce noble métier de l’agriculture, il faut que les jeunes gens viennent à ces différentes professions parfaitement armés dans leur corps, et j’ajoute: dans leur esprit. L’éducation physique et l’éducation morale s’appuient l’une sur l’autre; nous ferons en sorte que toutes les deux aillent de pair.

     Nous aurons de nombreuses sections sportives, et suivant vos possibilités physiques, vos aptitudes personnelles, vous pourrez vous inscrire dans celles qui vous conviendront le mieux. Nous tâcherons ici de vous réunir le samedi pour vous livrer à certains travaux dans lesquels vous ferez déjà l’apprentissage de la vie avec les pelles et les pioches. Nous pourrons entreprendre de travaux utiles aussi bien pour la Ville que pour les environs. Il faut en effet que vous serviez  toute la cité et que dès maintenant vous pensiez que toute votre existence est destinée à faire le bonheur de la communauté. C’est dans la communauté que nous devons vivre, c’est pour elle qu’il nous faut agir et penser. Je fais appel à vos plus nobles sentiments, je désire voir en vous les nouveaux Chevaliers de l’époque moderne.

     Soyez comme ces chevaliers qui avaient à la fois la force physique et le force morale, et qui voulaient faire régner dans le monde la justice et la bonté.

     Je veux que nous terminions cette réunion par une promesse; comme magistrat j’ai dû prononcer le serment de dire toujours la vérité et d’être fidèle à l’honneur. Avant de nous quitter, je vais vous demander de faire serment à la France de respecter l’idéal et les traditions qu’elle nous a léguées et qu’elle nous demande de maintenir. Pour le serment, nous levons le bras aussi haut que possible comme si nous voulions toucher le ciel. Je vous demanderai d’en faire autant et de dire avec moi dans un élan unanime: « A la France ».
Abeille d’Étampes, 128e année, n°29, 14 septembre1940 (saisie de Jacqueline Pétron)

Au service des corps et des âmes
Le sport obligatoire à Étampes

     Les jeunes gens d’Étampes de 14 à 20 ans étaient invités à se rendre samedi dernier 7 septembre 1940 au Stade Municipal, en vue de former des sections de sport et de travail obligatoires comme il s’en crée depuis peu dans toute la France. [….] M. le Président Lejeune prononça une allocution. [...] Au reste, voici les quelques passages du discours de M. Lejeune que nous avons pu noter au vol:


 
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L’EXEMPLE

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 29, samedi 14 septembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     L’histoire a été traitée au cours des siècles de façons bien diverses par les écrivains. Les uns ont voulu surtout y voir une œuvre d’art, où l’imagination, l’éloquence et la poésie peuvent se donner libre cours, les autres ne l’ont conçue que comme une œuvre d’exactitude et de précision, où il suffit de mettre en place les pièces et les documents qu’on a soigneusement contrôlés. Entre ces deux extrêmes on trouve des historiens qui ont fondu les deux manières et qui n’ont pas cru que l’art d’écrire et de présenter heureusement les faits était incompatible avec une documentation sérieuse et une véritable érudition.

     A côté de ces soucis d’art et de précision on trouve aussi chez certains historiens un désir très net de se servir de l’histoire pour enseigner une haute morale, tout à la fois civique et personnelle, capable d’influencer les esprits et les cœurs, et de leur donner des leçons de courage, de désintéressement, de vaillance et de magnanimité. Tite-Live* et surtout Plutarque** semblent s’être rangés parmi ces derniers historiens, et l’on sent que l’un et l’autre ont voulu que leur œuvre ne fut point seulement une évocation des temps passés, un rappel des actes accomplis par des hommes illustres, mais une œuvre de force éducatrice et de puissance morale.
     * Tite-Live, historien romain (59 av. J.-C. - 17 ap. J.-C.). ** Plutarque, historien grec (46-125), auteur de Vies parallèles, dont la lecture était très en vogue au XVIIIe siècle, forgeant dans les esprits une inépuisable réserve d’exemples de morale ciivique (B.G.).
     Ce que certains historiens ont fait pour le temps passé, il est possible à chacun de le faire pour le temps présent. Rien n’empêche un homme de se considérer dans le milieu où il vit comme chargé d’une mission de bonté, d’ordre ou d’énergie. Sans avoir des visées ambitieuses, sans orgueil comme sans fatuité, on peut entraîner les autres dans une vie droite et honorable. On peut le faire par l’écrit et par la parole, mais on ne le fera jamais aussi bien que par l’exemple.

     Les actions que nous avons sous les yeux suscitent en nous des sentiments, et ces sentiments s’ils sont d’une nature noble, nous disposent à agir d’une manière conforme à notre devoir. «Species honestae observentur oculis», disait Cicéron*. «Ayez toujours devant les yeux des images d’honnêteté». Détournez-vous de tout ce qui est bas, vulgaire, ignominieux. Si vous vous habituez à élever vos regards, si vous ne les laissez point traîner sur ce qui salit et déshonore l’âme, vous sentirez en vous comme une sorte d’ascension.
     * Cicéron (106-43 av. J.-C.), Tusculanes 2, 52. Je traduirais plutôt: «C’est sur les exemples de vertu qu’il faut fixer ses regards», d’autant que le véritable texte est Obversentur species honestae animo (B.G.)
     Que d’images sinistres avons-nous eues sous les yeux depuis dix ans. Pas un instant la politique ne nous a permis de reposer nos regards sur un spectacle sain et réconfortant. Partout des appétits, des cupidités effroyables, des combinaisons plus louches les unes que les autres, partout des mensonges et des intrigues. Quand on lisait le journal, on avait hâte de se détourner d’un tel cloaque. On tournait la page, mais c’était pour trouver d’autres scandales, des scandales de finance, de spéculation ou de chantage. L’esprit ne sortait jamais apaisé d’une telle lecture, et malgré ce que l’accoutumance peut faire pour amortir les réactions, on sentait monter en soi une insupportable nausée*. Pour certaines personnes l’indifférence finissait par prendre le dessus. Elles considéraient le spectacle du monde comme ces vieux critiques de théâtre qui sont blasés sur toutes les situations dramatiques, et qu’aucune scène n’est plus susceptible de toucher. Indifférence dangereuse et qu’on pourrait presque dire coupable, tant elle finit par créer une sorte de complicité tacite pour le vice et pour le mal. Ces indifférents souriaient devant les actes les plus déshonorants; plutôt que de les blâmer, ils prenaient une attitude supérieure et détachée en se contentant de dire de quelque friponnerie: «C’est humain!»
     * On mesure ici l’antiparlementarisme de l’auteur. (B.G.)

     Par eux et par leur consentement, l’humanité glissait sur une pente effroyable. Etre humain, c’était se mal conduire, se rendre coupable de concussion, jouer sur les deux tableaux, être fourbe et considérer le bien d’autrui comme le sien propre, en un mot c’était commettre tous les forfaits. Sous la couleur d’une fausse indulgence, on tolérait ainsi tout ce qui aurait dû révolter une bonne conscience. Il ne s’agissait point de pardonner, le pardon consistant à ne point poursuivre une offense personnelle, il s’agissait de toute autre chose: de la reconnaissance implicite qu’avait un homme de faire tout le mal possible. «C’est humain.» Cela voulait dire qu’on aurait eu tort de se fâcher, de s’indigner, de témoigner de sa répulsion en face d’un vilain acte. Dans la réalité cette indifférence n’était qu’une lâcheté. On n’osait pas briser avec un homme, qui était puissant, qui voyait grandir son pouvoir avec son infamie, et qui l’occasion aidant, était susceptible de rendre service. On respectait une lame empoisonnée, dont les atteintes, pensait-on, ne seraient dangereuses que pour les autres. En fait d’exemple, la plupart des gens ne donnaient que celui de l’avilissement, de l’abandon, du scepticisme railleur ou découragé.

     Qu’allons-nous faire? Persévérerons-nous dans cette attitude égoïste, où, comme un gibier poursuivi, il ne s’agit que de trouver un abri, de se tapir, et le danger passé de se gîter jusqu’à la prochaine alerte? Renoncerons-nous à la beauté des gestes et des attitudes? Cesserons-nous désormais d’être pour les autres des exemples, pour n’être que des fantômes pâles et fuyants, que rassure seule la douteuse obscurité? Nous déroberons-nous à la lumière qui montre les défauts, mais qui fait éclater les vertus, pour nous réfugier dans l’ombre propice à toutes ces fautes, à tous les crimes? Il faut au contraire déchirer les brumes qui nous entourent encore et à travers le malheur qui nous a frappés, comme un navire à travers une ténébreuse tempête, avancer courageusement, percer la zone mauvaise, pour nous hâter vers la clarté qui n’attend que notre énergie et notre persévérance.

     Plus que jamais, chaque citoyen doit être pour les autres un exemple: dans sa conduite, dans son travail, dans sa volonté. Il n’est point de geste, qui n’ait une valeur d’enseignement, quand il s’accorde avec notre devoir, et le forgeron qui d’un grand cœur abat son marteau sur l’enclume comme le paysan qui trace de toute la force de son torse et de ses bras un profond sillon dans la glèbe, sont d’admirables exemples.

     L’avenir ne doit pas nous faire peur. Il dépend de nous et de notre volonté. Si chaque citoyen offre aux autres l’exemple du courage dans l’action entreprise, nous élèverons une œuvre qui méritera peut-être d’être mise en comparaison avec quelques unes de celles qui ont fait l’honneur de nos aïeux. Mais il est nécessaire que quelques uns commencent à donner l’exemple, ou plutôt il est nécessaire que dans un mouvement d’émulation générale chaque citoyen veuille être l’EXEMPLE.

P. Lejeune.


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ALLOCUTION DU 15 SEPTEMBRE 1940 AUX JEUNES FILLES

(Abeille du 21 septembre 1940)

     On prendra garde que nous n’avons de ce discours que les notes qu’en a pris le journaliste René Collard, de l’Abeille d’Étampes, de sorte qu’on ne sait pas si Lejeune a pu relire les paroles exactes qui lui étaient prêtées.

Les jeunes filles d'Etampes sur le terrain du Stade (Photo Rameau, 15 septembre 1940)
Le Sport est au service de la santé et de la beauté. Les jeunes filles d’Étampes sur le terrain du Stade.
Au centre: M. Lejeune prononçant son allocution (Photo Rameau.)
(cliché du 15 septembre 1940 dans l’Abeille du 21 septembre)



    Mesdemoiselles, la semaine dernière nous avons réuni ici les jeunes gens; aujourd’hui nous vous réunissons à votre tour parce qu’en effet vous constituez aussi la jeunesse de notre Ville.

     Ainsi que je le disais aux jeunes gens, la jeunesse doit être la principale préoccupation de notre temps. On a trop oublié au cours de ces dernières années que c’est par la jeunesse qu’un peuple s’assure de l’avenir; c’est par la jeunesse  qu’il peut réparer les fautes qui ont été commises. Nous nous apercevons que l’on n’a pas suffisamment pris soin de certaines générations et que si ces générations n’ont point donné à la France tout ce qu’elle pouvait attendre de ses enfants, c’est qu’on avait négligé la formation de la jeunesse et qu’on ne s’était pas préoccupé suffisamment de lui donner une direction capable d’influencer sa conduite future; on ne fait rien de bien sans formation et sans préparation; il faut préparer et former les esprits de la même manière qu’on prépare un sol où l’on veut faire croître de belles moissons. C’est la formation qu’on a reçue dans sa jeunesse qui vous permet dans l’âge mûr d’agir d’une manière droite et honorable.

     En rendant obligatoire la culture des sports, nous n’avons eu pour but que de poursuivre une voie d’ordre et de discipline indispensable dans un pays qui vient de subir une épreuve aussi douloureuse que celle d’hier. Les sports sont en effet une excellente école de discipline; on y apprend à se commander. De plus, dans les mouvements d’ensemble que vous ferez ici, vous réaliserez l’union désirable entre tous ceux et toutes celles qui habitent la même cité. Vous apprendrez peu à peu à vivre dans une parfaite communauté de vue.

     Les sports nous apparaissent comme parfaitement utiles pour la santé; il est nécessaire que les jeunes filles de France aient une force physique qui soit susceptible de les aider à supporter les peines et les fatigues de la vie. Que la femme Française soit forte et résistante, c’est là un but qu’il est naturel qu’on se propose dans un pays qui vit des femmes aussi courageuses que Jeanne Hachette ou Jeanne d’Arc. La force physique n’est nullement incompatible avec les fonctions naturelles de la femme; il suffit de voir la résistance physique de celles qui, dans notre pays de Beauce, ne craignent pas de se livrer aux rudes travaux des champs. C’est une erreur de penser que cette force s’oppose à la grâce féminine; tout au contraire, un corps souple et bien entraîné se présentera avec plus de grâce qu’un corps débile pour lequel chaque mouvement devient une peine et qui devant le moindre effort est obligé de se contracter d’une manière gauche et maladroite. C’est par la discipline des muscles que l’on atteint à l’harmonie des mouvements. Aussi bien, la grâce est-elle une chose essentiellement différente de la mièvrerie et du maniérisme. Un corps bien  entraîné est simple dans ses mouvements et c’est cette simplicité qui, en toute chose, apporte le charme. En pratiquant le sport nous n’entendons nullement oublier la culture morale; nous sommes persuadés que la culture physique et la culture morale peuvent aller de pair, qu’elles se fortifient  l’une l’autre et qu’en apprenant ici à vous soumettre à des règles précises,  vous prendrez d’excellentes habitudes qui vous accompagneront dans vos occupations ordinaires. Nous n’entendons point en adoptant des méthodes nouvelles, renoncer à nos traditions; tout au contraire nous voulons que vous demeuriez fidèles à ces coutumes et à ces traditions d’honneur qui nous ont été léguées par une longue suite de siècles. C’est à vous que les siècles passés confient l’héritage précieux d’honneur dont nous pouvons être fier[s] dans notre pays. La femme n’a cessé de représenter un idéal auquel nous vous demandons d’être fidèle; idéal de bonté, d’ordre, de douceur, de bienveillance. Le sport chez vous sera fraternel, il ne s’agira point de mépriser celles qui ne pourront pas rapidement acquérir les qualités physiques; il s’agira au contraire de les encourager et de leur montrer comment elles doivent faire pour rejoindre leurs camarades mieux partagées; Il y a en toute personne qui aime le sport un désir d’aider fraternellement celui qui travaille avec lui [sic]. Chez la jeune fille, ce désir sera encore plus vif que chez le jeune homme, et nous sommes persuadés que bientôt vous serez un exemple non point seulement pour la jeunesse, mais encore pour tous les citoyens de la Ville qui, vous voyant si calmes et si résolues, sentiront revivre en eux les plus beaux espoirs.

     En face de cette nouvelle école dans laquelle vous entrez, école d’énergie, de vigueur, d’efforts, voyez donc en quoi vous allez être utiles à votre cité et à votre pays. Dans ce simple exercice que vous ferez chaque semaine, n’apercevez point seulement une culture physique nécessaire à la santé mais tout ce que l’on peut mettre de confiance, d’énergie et de foi à la dans les jours qui s’ouvrent pour vous et qui seront meilleurs et plus lumineux si vous voulez bien donner toute votre volonté à la tâche commune que nous devons tous entreprendre aujourd’hui.
Abeille d’Étampes, 128e année, n°30, 21 septembre1940 (saisie de Jacqueline Pétron)

      Le sport au service de la santé et de la beauté
Les jeunes filles d’Étampes au stade municipal

     A leur tour,  les jeunes filles d’Étampes de 14 à 20 ans étaient invitées à se réunir  au Stade municipal dimanche 15 septembre 1940 à 16 heures. [...] Et voici maintenant les principaux passages de l’allocution de M. Pierre Lejeune, pris en note tant bien que mal pour nos lecteurs:


 
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S’ADAPTER

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 29, samedi 21 septembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Le problème du ravitaillement ne cesse de préoccuper les administrateurs de services publics. Ce n’est point seulement en matière d’alimentation qu’on sent une gêne croissante, c’est encore dans les métiers et dans l’industrie. Nous nous trouvons tout à coup en face d’une situation nouvelle, dont nous pressentions bien quelques aspects, mais dont nous ne devinions point l’amplitude.

     Ce serait commettre une erreur que de croire que nous résoudrons aisément tous les problèmes qui vont se poser à nous. On n’abandonne pas subitement une certaine façon de vivre pour en adopter une autre toute différente sans éprouver des contre-coups sensibles.

     Rien à ce sujet n’est plus remarquable que la difficulté que nous éprouvons à nous plier au nouveau système de déplacement qui nous est imposé. L’automobile nous avait habitués à une facilité de transport telle que nous n’imaginions plus qu’on pût se préoccuper de la manière dont on irait d’un lieu à l’autre. Qu’il s’agit d’un déménagement ou d’une visite, on avait immédiatement sous la main un véhicule capable d’emmener plusieurs tonnes ou une voiture légère qui roulait à cent kilomètres à l’heure. Point de prévisions à faire; il suffisait de mettre le contact quand on désirait partir. Si la quantité d’essence était insuffisante pour le trajet à faire, on était sûr qu’au premier tournant de la route une pompe offrirait immédiatement le carburant désiré.

     Reportons-nous en arrière, ou plutôt plaçons-nous dans le temps présent. Plus de départ instantané. Il faut, si l’on a par hasard un cheval, savoir s’il a mangé et s’il a bu, dépendre les harnais et atteler convenablement la bête. Là où il fallait vingt minutes pour se rendre en quelque endroit, on doit mettre deux heures. Il n’y avait plus de côtes, les dernières automobiles se flattaient d’effacer le profil des routes; avec le meilleur cheval du monde, il y a des montées, comme on disait jadis. Si la montée est rude, et que la voiture soit chargée, les voyageurs descendent pour soulager l’attelage.

     La vitesse, sur laquelle on comptait pour arranger toutes choses, s’éloigne de nous à toute vitesse, pourrait-on dire. La bicyclette elle-même devient quelque chose de précieux et de rare qui suscite le désir et quelquefois l’envie. On ne trouve plus de pneumatiques ni de chambres à air. Les pièces détachées deviennent aussi rares que les pièces de monnaie. Il faut prendre soin de cette petite machine, qui offre un équilibre si charmant, comme d’une porcelaine de Saxe ou d’un biscuit de Sèvres. Nous n’avons plus le droit de l’abandonner sur le bord d’un trottoir pour lui faire courir le risque d’une chute malheureuse ou d’un enlèvement fortuit.

     Si nous voulons cependant trouver encore une impression de vitesse, il nous reste à prendre le train. Beaucoup de gens avaient oublié la route qui mène aux gares de chemin de fer. C’étaient des édifices, généralement laids, que la plupart des automobilistes ignoraient complètement, et dont ils songeaient à s’enquérir qu’en cas de panne irréparable ou d’accident. Maintenant nous en prenons le chemin tout naturellement. Elles ont un air d’accueil qu’on ne voulait plus leur prêter, et même si le train s’arrête à toutes les stations, on se félicite encore de pouvoir le prendre. Quel cultivateur ne souhaiterait point qu’on rétablit la ligne d’Étampes à Chartres*, et qu’il fût répondu favorablement à la demande officielle qui a été adressée à cet effet, au Directeur de la Société Nationale des Chemins de fer? La locomotive ressaisit ses droits. Son panache de fumée n’est plus chose vétuste dont on souriait avec ironie. Il s’orne d’un nouveau prestige et l’on se ralliera bientôt autour de lui comme faisaient autrefois les soldats autour de celui d’Henri IV.

     Nous nous mettons à la recherche du temps passé. Ce qu’on croyait révolu pour toujours, reprend sa place comme ces animaux familiers qu’on chasse du logis violemment et qui reviennent s’y installer avec une douce obstination, sachant qu’on finira par les y tolérer. Quelques personnes n’admettent pas volontiers que l’on abandonne ce que le progrès avait amené: elles se refusent à adopter une matière de vivre qui semblait pourtant toute naturelle à nos aïeux. Mais que sert de se fâcher? La nécessité commande. Plutôt que de s’irriter, il convient de s’adapter. Si rude que soit le sort, la sagesse veut qu’on le regarde en face, sans broncher, et sinon avec dépit, du moins avec quelque hardiesse dans le cœur.
     * Il s’agit de la ligne d’Auneau qui avait été inaugurée en 1893 (voyez-en le récit ici), et qui servait notamment aux maraîchers  de Chalo et de Saint-Hilaire pour venir vendre leur production au marché d’Étampes. Son trafic voyageurs, insuffisamment rentable, avait été interrompu en 1939. D’où cet entrefilet dans l’Abeille du 7 septembre 1940:
 LIGNE DE CHEMIN DE FER ÉTAMPES-AUNEAU
     M. le Maire de Saint-Hilaire nous communique la pétition suivante:
     Les Maires des communes desservies par la ligne Étampes-Auneau-Chartres signalent aux Administrations compétentes la pénible situation dans laquelle se trouve placée toute cette région agricole du fait de la disparition de tous moyens de transports.
     La remise en marche d’un train journalier résoudrait la question d’expéditions des grains, pailles, fourrages, betteraves à sucre, rendue impossible par l’éloignement des grandes gares et la pénurie d’attelages. Tout en permettant aux campagnards de se déplacer, un train assurerait aux grandes aglomérations un ravitaillement en lait, beurre, œufs, volailles et toutes denrées dont une grande parttie se perd faute de débouchés.
  (B.G.)

     On nous répétait depuis longtemps que nous devrions nous imposer une grande pénitence. Il y avait encore trop de facilités en France pour que les gens consentissent à se transformer en pénitents. Quand la vie est pleine d’attraits, quand elle offre à tous les tournants des fleurs et des fruits pour continuer la route, il est bien difficile de choisir, d’adopter la voie dure, malaisée et raboteuse des privations et des renoncements. Les pénitences s’imposent plus qu’elles ne s’élisent. Mais s’il ne faut pas trop en vouloir à ceux qui n’ont pas su comprendre à temps qu’il fallait faire pénitence, il faut par contre être sévère pour ceux qui n’acceptent point les leçons de l’adversité et les retours de la fortune.

     C’est dans la souffrance que l’on fait l’épreuve de soi-même et qu’on se fortifie. Nous sommes tombés dans la faiblesse, parce que nous courions sur une surface trop unie et trop égale; le malheur a bouleversé cette surface; il convient si nous ne voulons point renoncer à une existence digne et fière que nous cessions d’être faibles et que désormais tous les coups que le destin nous réserve ne soient pas pour nous des chocs qui ébranlent notre volonté, mais bien plutôt des rencontres qui la durcissent.

     Quand on voudra nous persuader que des épreuves nouvelles sont devant nous, quand des esprits, qui volontiers assombrissent l’avenir, nous feront apercevoir des conjonctions malheureuses, nous adopterons la position du héros de l’Enéide* en face des prophéties funestes de la Sybille. Quelle que soit la figure que présente l’infortune, elle ne nous surprendra pas. Nous aurons préparé notre âme, et d’avance nous aurons envisagé ce qu’il fallait faire.
     * Le poème épique latin appelé Énéïde, qui a été composé par Virgile entre 29 et 19 av. J.-C., raconte les pérégrinations et batailles légendaires d’Énée, qui après avoir échappé de Troie en flammes, s’en va établir en Italie la lignée dont sortiront les Romains. Il rencontre au chant VI, à Cumes, en Campagnie, une prophétesse appelée Sybille (B.G.).
                                      «Non ulla laborum,
     O virgo, nova mi facies inopinave surgit;
     Omnia praecepi atque animo mecum ante peregi
.
*»
     * Énéide VI, 103-105: Aucune de mes épreuves, ô vierge, ne se dresse devant moi sous un aspect nouveau ou inattendu: j’ai tout prévu, et j’ai d’avance tout accompli en pensée (B.G.).
     Ainsi préparés et décidés, nous attendrons avec confiance des jours plus heureux.

     Quand ils reviendront, nous n’y laisserons point dissoudre nos forces retrouvées, nous les garderons au contraire intactes pour les transmettre à une jeunesse mieux instruite dans sa tâche et dans ses devoirs.

P. Lejeune.


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NOTRE FAIBLESSE

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 31, samedi 28 septembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     A côté des qualités que chaque race peut avoir, on peut aussi trouver des qualités spéciales pour chaque nation. Ces dernières qualités sont moins tranchées généralement que celles des races proprement dites, car une nation, si homogène qu’elle puisse paraître à première vue, comporte toujours des groupes différents dans leurs origines. Même une petite nation, comme la Suisse, ne présente pas un caractère ethnique uniforme; malgré la prédominance germanique on y trouve cependant des éléments latins. A plus forte raison dans des grands pays comme la France, l’Allemagne ou l’Angleterre, qui en dépit de leur unité apparente gardent en elles la marque des juxtapositions successives, dont s’est fait leur accroissement, ne peut-on s’attendre à une commune origine.

     Cependant ce qu’on appelle un peuple, une nation ou un pays, finit par se constituer à cause du brassage des individus une expression qui lui est propre et qui le différencie des autres. Il est certain qu’il y a un état d’esprit espagnol, comme il y a un certain état d’esprit italien. Si différent que soit un Basque d’un Sévillan, un Napolitain d’un Piémontais, ils sont unis par une parenté de ton, de manière, de sentiment, qui n’échappe pas à un étranger. Le langage, les habitudes, les lois, la littérature, le théâtre, créent un courant d’action et de pensée. Avec les années et les siècles chaque nation prend donc un caractère particulier, et il n’est point contraire à l’observation positive des faits de prêter à un peuple telles qualités ou tels défauts.

     S’il convient aux peuples comme aux individus de se perfectionner, et si pour y parvenir, un des meilleurs moyens pour eux est de rechercher quels ont leurs défauts, un examen de conscience fait loyalement par les Français les obligerait à reconnaître qu’ils ont toujours poussé un peu trop loin le droit d’être légers et frivoles. Je sais bien qu’ils s’indignent généralement lorsqu’on leur fait ce reproche, mais plutôt que de s’en fâcher, ne serait-il pas préférable pour eux d’imiter Boileau qui devant les attaques de ses détracteurs disait simplement:
«C’est en me corrigeant que je sais leur répondre.»
   * Vers tiré de l’Épître VII de Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711 ), parue en 1666.
     Au reste si nous n’aimons point qu’on nous reproche d’être légers, nous ne laissons point quelquefois de nous en faire gloire. Nous transposons alors les adjectifs, ce qui est léger devient spirituel, ce qui est frivole devient ailé, et tout au contraire ce qui est sérieux devient pesant, et ce qui est profond passe pour ennuyeux. De cette manière nous nous tirons indemnes et triomphants du soi-disant mauvais procès qu’on voulait nous faire.

     Dans la réalité nous ne sommes point du tout disculpés et si l’on sait interroger l’histoire, on sera obligé de reconnaître que nous avons traité souvent avec trop de légèreté les choses les plus sérieuses. Sans aller plus loin que le XVIIIe siècle, que dire et que penser de l’insouciance avec laquelle on a traité le problème des colonies? Du côté de l’Orient comme du côté de l’Occident, on a négligé une question considérable, abandonnant sans regret l’œuvre de quelques hommes courageux, qui nous avaient préparé de belles voies pour l’industrie et pour le commerce français. Les Indes* et le Canada nous glissèrent entre les mains comme un poids trop lourd entre les mains d’un enfant. Un écrivain, qui se croyait plus fin qu’homme du monde, et qui disposait sur le public d’une influence considérable affichait son dédain pour ces «malheureux arpents de neige» du Canada**.
     * Allusion aux aventures de Joseph François Dupleix (1697-1763) qui avait commencé de tailler aux Indes un immense empire français, perdu au bénéfice des Anglais par la bêtise d’un ministre qui le démit de ses fonctions en 1754 .(B.G.)

     ** Formule de Voltaire qu’il utilisa à plusieurs reprises et sous diverses formes (voir ici) pour tourner en dérision l’un des enjeux de la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre l’Angletere et la France, qui perdit alors à jamais le Canada. Il est clair ici que Pierre lejeune n’aime pas Voltaire, qui a jeté les germes d’une Révolution dont les excès lui faisait horreurs. (B.G.)
     En s’en tenant à quelques mots d’esprit, nous avons souvent compromis le bien de notre pays*. Faute de vouloir appliquer notre esprit à un problème difficile, nous n’avons point saisi le moment où la fortune nous était favorable, et par manque de constance, nous n’avons pas su maintenir un avantage que nous nous étions acquis. Comme nous disposons de qualités indéniables, qui nous ont permis en de nombreuses occasions de rétablir des situations compromises ou de nous assurer des succès rapides, nous laissons flotter les rênes de l’attelage, nous abandonnons les rames au courant de l’eau, nous prenons, somme toute, la position la plus convenable pour nous mettre dans le moindre état de résistance. Le malheur nous surprend et nous renverse avant que nous ayons aperçu le danger qui nous menaçait. Il y a déjà bien longtemps qu’un journaliste avait lancé cette boutade, qu’on avait prise au pied de la lettre, et qui s’accordait parfaitement avec notre caractère «Tout s’arrange»; au théâtre peut-être, quand il s’agit de comédies aimables, qui doivent laisser les spectateurs sur une bonne impression, mais dans la vie des peuples, c’est beaucoup moins probable. Vivre pour un peuple est une chose difficile, une opération qui exige une attention soutenue et une volonté de tous les instants. Il est permis à un individu d’être léger, négligent, indifférent à toutes choses, insouciant, il lui est permis de ne rien prévoir, de se fier au hasard, de «ne pas s’en faire», et quelquefois le résultat ne sera pas désastreux pour lui, mais un peuple ne pourra jamais adapter une telle conduite, et «la vie de Bohême» ne saurait lui convenir longtemps.
     * Nouvelle attaque contre Voltaire.
     Un peuple s’il a des dons naturels ne doit jamais s’en faire le dissipateur frivole. Il est tenu de veiller sur ses biens, sur ses richesses, sur ses valeurs, et quand il s’agit de valeurs morales, son soin doit être encore plus vigilant.

     Peu importe qu’il ait des élans magnifiques si l’effort une fois donné il perd en quelques instants toute la ferveur qui l’animait. Entretenir la flamme ne doit pas être seulement un geste symbolique, mais une volonté de l’âme toute entière.

     Chez nous cette volonté n’est souvent que sporadique. Elle apparaît soudain, brille d’un bel éclat et subit avec la même brusquerie une éclipse totale. Ces alternances peuvent produire quelque temps un effet avantageux; on est généralement prêt à admirer ceux qui disposent de grandes facilités, dont ils ne se servent que par intermittence. On voit là comme une sorte d’élégant détachement. Le malheur est que l’issue est presque toujours tragique. La Grèce* nous en a donné l’exemple le plus frappant. Nul pays qui n’ait connu des rétablissements de fortune plus prestigieux. Malgré la division qui la dévorait, elle trouvait toujours au dernier moment un sursaut d’énergie pour ressaisir son indépendance. Pourtant si souple, si adroite qu’elle ait été, cette manière de jouer constamment avec le sort finit par lui être fatale, et le passé le plus éclatant n’empêcha point la chute la plus effroyable.
     * Allusion à l’histoire de la Grèce antique, divisée en cités-états rivaux, qui surent s’unir cependant au Ve siècle pour repousser l’invasion perse lors des guerres dites médiques, mais qui finirent par tomber au IVe siècle sous l’autorité des rois de Macédoine.
     Il faut qu’un peuple soit sévère pour lui-même, qu’il prenne connaissance de ses défauts, et que, s’il se reconnaît des qualités, il s’applique à les garder fécondes et vivaces. Les marins disent qu’on ne doit pas jouer avec la mer, parce que la mer ne joue jamais avec l’homme. Il faut dire aux nations qu’elles ne doivent jamais jouer avec le Destin, parce que le Destin ne joue pas avec elles.

     Peut-être n’y avons-nous pas suffisamment songé. Nous ne voulions prendre d’Athènes que les jeux politiques, qui l’ont épuisée à la fin de sa magnifique carrière. Il nous semblait que nous étions assez forts pour vivre au milieu des divisions et des luttes intestines. C’est avec un cœur léger que nous courions aux abîmes.

     Quand l’heure du Destin a sonné, nous nous sommes aperçu que la force, sur laquelle nous comptions, n’était qu’une ombre de force, qui flottait dans l’air sans consistance, et qui ne pouvait plus s’accrocher au sol des ancêtres.

     Cette force saine qui fait les grands peuples, nous ne la retrouverons qu’en étant sévères pour nous-mêmes, en adoptant une attitude grave et résolue, et en combattant tout ce qui peut nous diviser pour vivre dans une union véritable et indestructible.

P. Lejeune.


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ACTIVITÉ

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 32, samedi 5 octobre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Les loisirs ont été fort à la mode durant les dernières années qui ont précédé la guerre*. Comme on réduisait les heures de travail, on se préoccupait de la manière dont les gens désœuvrés pourraient passer leur temps. On se rendait compte en effet qu’entre la diminution des heures de travail et l’oisiveté, il n’y avait qu’un pas à franchir, et qu’il est assez dangereux pour l’ordre social que les gens n’aient rien à faire. Un des avantages du travail est de fixer l’esprit et d’entraîner le corps; il oblige à prendre une position, à observer une attitude, à se mettre dans un certain état d’attention et de compréhension. Dès que le travail cesse il y a une sorte d’embarras et de gêne, qui se traduit chez la plupart des personnes par un sentiment d’ennui. Nombreux sont ceux qui se réjouissant de prendre quelques jours ou quelques semaines de repos en ont senti l’inconvénient, et ont constaté avec une certaine amertume qu’il était difficile d’accorder le plaisir avec l’inaction. La reine de Navarre**, qui écrivit l’Heptaméron, ouvrage d’un caractère aimable et gai, qui révèle un tempérament généreux, disait pourtant qu’elle n’ignorait rien de «l’ennui commun à toute personne bien née». L’ennui menace tout le monde, et la fille de François Ier avait seulement tort de croire qu’il n’étend son empire que sur un nombre limité de personnes, à qui la naissance aurait donné ce singulier privilège. Nul n’en est exempt, sinon ceux qui ne lui donnent pas le temps de croître, et qui le combattent en multipliant leurs occupations et leurs travaux.
     * Allusion notamment à l’instauration en 1936 des premiers congés payés par le Front Populaire. Il faut tout de même remarquer qu’Hitler et Mussolini les avaient eux aussi instaurés avant même le Front Populaire et que cela ne les a pas empêchés d’écraser la France... (B.G.).







     ** Marguerite de Navarre (1492-1549), sœur de François Ier, surnommée la dixième des muses, écrivit à une date controversée un recueil inachevé de 72 nouvelles censées être racontées en sept jours, d’où son titre grec d’Heptaméron. L’expression ici citée est tirée d’une lettre à François Ier en date de l’automne 1536, éd. Génin, Paris, Renouard, 1841, p. 332 (B.G.).
     L’ennui, qui n’est que le résultat même de l’oisiveté, cause chez un peuple des ravages véritables. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles le pouvoir romain à côté du pain, qui calmait les appétits, n’oubliait point de prodiguer les jeux qui distrayaient les esprits: «panem et circenses»*. Il est seulement à remarquer que les jeux ne sont qu’un mauvais palliatif. L’homme inoccupé, ou insuffisamment occupé ne tarde pas à bâiller devant les distractions ou les jeux. Dès qu’ils se substituent à des occupations régulières, les amusements deviennent très vite fastidieux.
     * Du pain et des jeux, expression attribuée au poète satirique romain Juvénal (B.G.).
     Une société qui ne pense qu’à s’amuser est, si paradoxal que cela puisse paraître, une société qui s’ennuie. Depuis quelques années les journées pour nous étaient devenues trop longues et les semaines paraissaient interminables. Nous ne nous sentions plus resserrés dans un petit cercle d’heures, nous avions au contraire l’impression qu’elles étaient trop nombreuses pour ce que nous avions à faire. Cette léthargie qui s’étendait partout n’était point sans créer une psychose de doute et de crainte. On est d’autant moins sûr de soi-même, d’autant moins confiant et ferme qu’on diminue son action et qu’on s’enferme dans l’immobilité. Rien n’est plus vrai que ce mot fameux: «vires acquirit eundo, il acquiert des forces en marchant»*. C’est en marchant; c’est en agissant que les forces se constituent et s’organisent, toute formation est un mouvement, et une attente morne et passive ne peut qu’entraîner un affaiblissement et une dissociation des énergies. Qu’on veuille bien se rappeler notre état d’âme dans les années qui ont précédé 1939. C’était un état de pesante expectative. On attendait quelque chose, et on l’attendait sans faire vraiment rien d’efficace et, disons-le, de viril. On aurait pu reprendre les termes d’une lettre que madame des Ursins écrivait à madame de Maintenon*, en cette année 1709, où devant les malheurs de la France, le vieux roi et ses conseillers étaient tombés dans une sorte d’abandon: «Est-il bien possible, madame, que tous les hommes que vous connaissez vous paraissent à bout, et qu’il n’y en ait point qui imaginent de nouvelles ressources? C’est une marque de leur abattement qui ne leur fait pas d’honneur; car dans quelque mauvais état que soient les affaires, les grands esprits et les grands courages se roidissent contre la mauvaise fortune.»
     * Curieuse application du vers de Virgile (Énéide, V, 175), qui parle de la Renommée: «Elle acquiert des forces dans sa course» (B.G.).


     ** Lettres inédites de Mme de Maintenon et de Mme la princesse des Ursins, éd., Paris, Bossange frères, 1826, t. IV, pp. 246-247 (B.G.)





     De fait la mauvaise fortune comme la bonne risquent d’entraîner cette même paralysie des fonctions créatrices. Quelque soit le sort, favorable ou défavorable, il ne faut pas qu’il soit pour nous une cause de diminution. Nous ne devons pas plus nous laisser corrompre par les facilités et les délices d’une époque d’abondance que nous laisser abattre par les âpretés, les rudesses et les cruautés d’un temps impitoyable. D’un côté nous avons à résister à l’amollissement qui accompagne le plaisir et les satisfactions obtenues sans effort, de l’autre au découragement qui guette les souffrances et les longues privations.

     Découragement comme amollissement engendrent l’inaction. Or dès que l’homme est inactif, il commence à déchoir. C’est par l’activité qu’il se sauve de lui-même, de ses défauts et de ses défaillances. Que le sort veuille le favoriser ou qu’au contraire il veuille l’accabler, l’homme doit répondre au bonheur comme à l’adversité en maintenant son toujours son activité au même niveau. Il doit dans les circonstances les plus diverses s’ingénier à trouver ce qui lui permettra de garder ce niveau constant. Cette recherche même, l’aidera à supporter les rigueurs de son destin. L’exemple de Robinson Crusoë, isolé dans son île, et combattant ce sentiment amer de solitude, en pratiquant successivement la plupart des métiers, est à cet égard tout à fait instructif. Il importait peu à Robinson qu’il réussit pleinement comme charpentier ou constructeur; ce qu’il voulait c’était d’utiliser son intelligence et sa force dans une besogne ou elles pouvaient s’épanouir*. C’est au moins le résultat pris intrinsèquement qui compte en effet pour assurer notre équilibre intérieur que l’utilisation rationnelle de nos facultés. A côté du bonheur «qui n’est qu’une rencontre favorable entre l’inclination du désir et l’issue de l’événement», les Grecs plaçaient un autre bonheur, l’eupraxia, le seul qui dépende de nous et qui n’est «que la satisfaction d’avoir donné à notre conduite une direction telle que le succès est inséparable de l’action, parce qu’il ne consiste en rien d’autre que la qualité de notre activité.»**

     Dans la situation où nous sommes c’est à cet état d’«eupraxia» que, nous devons nous attacher. Il faut agir suivant les mobiles les plus nobles et les plus généreux. Notre activité peut être sûre qu’elle est bonne quand elle tend à servir la communauté. Il ne faut point nous séparer de nos concitoyens; il faut en travaillant, en besognant, en accomplissant notre tâche avec joie, penser que notre activité sera pour tous une source de satisfactions saines et profitables.
     * Daniel Defoë (1659-1731), Robinson Crusoë (1719), dans la traduction de Pétrus Borel (1836): «il est bon qu’il soit en général remarqué que je demeurais très-rarement oisif. Je répartissais régulièrement mon temps entre toutes les occupations quotidiennes que je m’étais imposées». (B.G.)

     ** Pierre Lejeune s’appuie ici sur l’analyse que fait Léon Brunschvicg (1869-1944) de la pensée de Socrate (470-399) telle qu’elle est rapportée par Xénophon ( 426/430-355) dans ses Entretiens mémorables. Léon Brunschvicg, Le progrès de la conscience dans la philosophie occidentale, première édition, Paris, P.U.F., Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1927, tome I, première partie, premier livre, § 9: «Ce bien sans ambiguïté (ἀναμφιλογώτατον ἀγαθόν) (IV, II, 34), Socrate l’appelle l’εὐπραξία; il en éclaircit l’idée en l’opposant à l’εὐτυχία (III, IX, 14). L’ εὐτυχία c’est le bonheur qui vient à nous par une rencontre favorable entre l’inclination du désir et l’issue de l’événement. L’ εὐπραξία, c’est la satisfaction d’avoir donné à notre conduite une direction telle que le succès est inséparable de l’action, parce qu’il ne consiste en rien d’autre que la qualité de notre activité.» (B.G.)
     Etre actif, c’est créer autour de soi le meilleur des rayonnements. Le mouvement entraîne, il finit par convaincre les plus récalcitrants. Si nous apercevons encore des indifférences et des oppositions, c’est en redoublant d’activité que nous les ferons céder, comme à force de chaleur on fait fondre la glace.

     Après avoir témoigné d’une certaine nonchalance, dont nous n’avons qu’à déplorer le résultat, donnons, aujourd’hui, un témoignage tout autre: celui d’une activité qui ne se décourage point devant les obstacles qui peuvent se dresser devant elle, et qui entend venir à bout de toutes les difficultés.

     La meilleure des défenses contre le mauvais sort, c’est la défense active, celle qui utilise toutes les énergies, toutes les intelligences, toutes les volontés, et qui dans cette union des forces finit par créer une œuvre nouvelle, comme la sève au milieu des jours rudes, froids ou pluvieux de février et de mars monte inlassablement dans l’arbre pour y faire épanouir les feuillages du printemps.

P. Lejeune.


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L’HONNÊTETÉ

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 33, samedi 12 octobre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     La bonne opinion qu’on a généralement de soi-même, et qui ne se perd point avec les mauvaises actions qu’on peut commettre, fait qu’on s’attribue volontiers des qualités et des vertus, auxquelles on a jamais sérieusement pensé. Il est des vertus qui nous semblent naturelles, aussi naturelles que le parfum aux roses et la blancheur à la neige. En cherchant bien on trouverait effectivement peu de personnes qui ne pensent point qu’elles sont justes et qu’elles sont bonnes. On leur ferait injure en leur démontrant que la justice et la bonté ne sont pas d’un commerce courant, et qu’il est peu d’âmes qui en soient véritablement capables. C’est qu’il est assez difficile de tirer vanité d’être injuste ou d’être méchant, tandis qu’on se targue volontiers d’être impatient ou orgueilleux, un amour-propre avantageux abandonnant volontiers la patience aux personnes nées pour être esclaves et la modestie aux âmes médiocres et timorées. Ces vertus sont comme le bon sens: tout le monde croit en avoir été pourvu à son berceau. Qui, par exemple peut penser qu’il n’est pas honnête? On ne trouverait pas une personne ayant commis un acte indélicat qui ne prétendit se justifier et ne voulût prouver que si l’acte commis peut apparaître comme répréhensible en lui-même il n’attaque pas au fond l’honorabilité de son auteur.

     Les gens accoutumés à faire des gains injustes, à frauder, à soustraire par des moyens détournés le bien des autres, trouvent immédiatement des excuses qui doivent suivant eux les blanchir de toute mauvaise intention. L’honnêteté n’est pour eux qu’une chose toute relative; ils se conduisent, disent-ils, comme la plupart de leurs camarades ou de leurs concitoyens, ne faisant ni plus ni moins que ce qu’ils voient faire autour d’eux. L’extorsion de fonds devient simplement un escamotage adroit, qui prouve qu’on est habile en affaires. Un homme politique, qui s’est enrichi aux dépens de la collectivité, peut avouer sans rougir qu’il a simplement pratiqué la règle du jeu, et que si on devait lui en faire reproche, le reproche s’adresserait à tous ses collègues. Même ne se ferait-il pas conscience d’ajouter que cet enrichissement est une preuve qu’il sait gérer sa fortune, et que l’État ne saurait que bénéficier d’un art si rare et si profitable. On se rappelle ce que dit Saint-Simon* du président de Maisons**. Ce dernier s’était rendu coupable de malversations et avait été congédié: «Les maladroits, dit-il, j’avais fait mes affaires, et ils me renvoient au moment où j’allais faire les leurs.» C’est ainsi que pour certaines personnes il n’y a que de l’adresse à mettre dans sa poche l’argent des autres. Tous les moyens sont bons pour s’enrichir, et l’on ne s’embarrasse d’aucuns scrupules.
     * Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755) mémorialiste majeur de la cour de Louis XIV. (B.G.).
     ** René de Longueil marquis de Maisons, dit le président de Maisons (1596-1677), d’une famille de parlementaires parisiens, nommé en 1650 surintendant des finances, mais relevé de ses fonctions à la majorité du roi survenue dès l’année suivante (B.G.).
     Quel mal pour un homme en place d’obtenir d’un entrepreneur, auquel il a confié un ouvrage important, lui fasse quelque avantage en nature ou en espèces?

     La note de l’entrepreneur sera peut-être majorée, ou le travail sera moins bien fait, mais en fermant un peu les yeux, en ne se montrant point exigeant sur le prix et sur le travail, l’homme en place touchera la somme qu’il convoite, et se considérera encore comme un honnête homme. Ce qu’on appelle avec quelque vulgarité, le pot-de-vin, est pratiquement admis par des hommes qui entendent jouir de la considération générale. Le mot les offusquerait peut-être, — du moins feraient-ils mine de s’en offusquer, — mais la chose leur plait et leur est même familière. Au reste leur adresse est généralement assez grande pour qu’on ne puisse point administrer des preuves tangibles de leur corruption.

     La convoitise, le goût du lucre, l’insatiable cupidité ne cessent de travailler l’esprit des individus. C’est par de perfides insinuations que le démon de la malhonnêteté s’introduit dans la conscience et finit par la troubler. Il est rare que le fait malhonnête se présente avec une crudité repoussante. Il apparait au commencement sous une forme bénigne et avenante. C’est seulement une imperceptible déviation de la ligne droite. Combien de gens qui dans la suite ont dû subir des poursuites pour spéculations illicites n’ont peut-être vu d’abord dans un bénéfice un peu trop élevé que la récompense d’heureuses prévisions? N’est-on point tenter de justifier l’exagération de certains bénéfices en plaidant que ce n’est là qu’une manière de compenser des pertes qu’on a faites autrefois ou même des pertes éventuelles?

     Rien n’est plus attristant que de constater la facilité avec laquelle on s’éloigne d’une honnêteté véritable. Sans un effort réel, sans une attention vigilante, on cesse de pratiquer cette vertu, qui est peut-être la première parmi les vertus sociales. Son absence est en effet une cause de perturbations dans tous les domaines, ceux du commerce et de l’industrie, aussi bien que ceux de l’administration et de la justice. Ceux qui ne paient pas leurs dettes, qui ne livrent pas le travail correspondant au prix versé, comme ceux qui favorisent l’accès à des fonctions publiques, en se faisant monnayer leurs faveurs, ou qui conforment leurs jugements à des ordres reçus, pour obtenir de l’avancement, concourent également à l’éversion d’une bonne et saine société.

     La rénovation d’une nation et d’un peuple ne peut se faire que si ses gouvernants entendent pratiquer et faire pratiquer partout l’honnêteté. Il faudrait imprimer un mouvement tel qu’il y eût une véritable conversion des esprits, et qu’il devint impossible à un malhonnête homme de pouvoir poursuivre ses actes, tant il craindrait la rumeur et même la vindicte publique. Si l’on peut impunément être malhonnête, si celui qui ne respecte pas la foi qu’il doit aux autres obtient la même considération que celui qui s’attache scrupuleusement à faire son devoir d’honnête homme, on ne pourra pas élever un peuple, on le laissera croupir dans un matérialisme grossier.

     L’honnêteté veut en effet que l’homme se dégage de lui-même, qu’il n’accepte jamais de composer avec les calculs bas et les gains sordides; elle lui demande de placer son bonheur dans la satisfaction pure de la conscience, où rien ne compte que ce qui peut s’apercevoir dans une parfaite clarté. Elle exige un renoncement aux premiers appétits, qui poussent toujours l’individu à se procurer immédiatement ce qui peut être l’objet de jouissance, sans se préoccuper du choix des moyens. Si c’est l’honnêteté qui dirige et qui commande, il se produit un changement indubitable dans les esprits, et la moralité de tout un peuple peut s’en trouver redressée.

     Sans doute on ne peut espérer que la conversion, dont nous parlions tout à l’heure, soit générale. Mais si l’honnêteté est remise à sa place, si on la tient en particulier honneur, on peut espérer que les groupes d’honnêtes gens finiront par créer une sorte d’aimantation qui attirera vers des conceptions plus nobles ceux qui risquaient de s’égarer et de se perdre sur les mauvais chemins.

P. Lejeune.


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POUR LA RENTRÉE DES CLASSES

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 34, samedi 19 octobre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Le mois d’octobre, mouillé des premières pluies d’automne, éclairé soudain de coups de soleil qui baignent d’une franche lumière les feuillages à peine jaunis, possède encore la grâce de la saison, où s’épanouissaient les fleurs et les fruits et laisse pressentir déjà la dure saison où tout va se désagréger sous les vents humides et froids de novembre. On y goûte tout à la fois le charme et le malaise des transitions, qui s’accompagnent d’une mystérieuse incertitude. Devant nous les restes d’une saison finissante cachent encore le nu dépouillement d’une inévitable saison. C’est alors que les enfants les jeunes gens et les jeunes filles rentrent dans leurs écoles, leurs lycées et leurs collèges*, et qu’ils vont ouvrir de nouveaux livres, s’initier à de nouvelles connaissances. Pour eux cette incertitude d’octobre est le symbole des sentiments qu’ils éprouvent. Ils sont encore imprégnés de l’atmosphère qui s’était formée autour des études de la dernière année scolaire, et ils se sentent troublés en face de celle qui commence, et qui va leur imposer un effort d’assimilation. Le changement de maître comme le changement de cours n’est pas sans leur causer une véritable appréhension, et bien que la jeunesse ne s’arrête point longtemps aux soucis, une ombre légère passe alors sur son front.
     * Abeille d’Étampes du 7 septembre 1940:
RENTRÉE DES CLASSES PRIMAIRES
     Par ordre de l’Autorité supérieure, la rentrée des classes primaires aura lieu le trente septembre prochain, à l’heure habituelle, dans tout le département de Seine-et-Oise.
     Les classes de vacances qui ont lieu actuellement cesseront le 21 septembre au soir. Les inscriptions des élèves nouveaux seront reçues dans les écoles pendant la semaine du 16 au 21 septembre.
     A Étampes, M. le Président de la Délégation spéciale municipales [Lejeune] s’occupe de l’aménagement des locaux destinés à ceux qui sont occupés actuellement par les troupes allemandes. Les familles peuvent donc être rassurées: à partir du 1er octobre, les classes primaires fonctionneront régulièrement.
     L’inspecteur primaire: L. Moreau.

  (B.G.)
     L’appréhension des parents est plus sérieuse. Chaque année d’études est une étape, elle détermine pour sa part le sort futur de l’enfant. On ne prend pas avec indifférence le plus ou moins d’influence heureuse qu’une classe bien suivie peut avoir sur la formation d’un esprit. Combien de fois avons-nous entendu dire avec tristesse: «Pour notre fils, ce fut une année perdue?»* Aujourd’hui plus que jamais les semaines, les mois et les années comptent. Nous n’avons plus rien à gaspiller, le temps moins que toute autre chose. Ce ne sont point seulement les parents qui sont anxieux devant le destin de cette jeunesse française, c’est le Pays lui-même. Il sent que c’est son avenir qui se joue avec ces cœurs et ces intelligences, qui suivant la formation et l’élan qu’on leur donnera, ressusciteront sa grandeur ou prolongeront sa décadence.

     Que va faire cette jeunesse? Comprendra-t-elle l’importance de la tâche qui l’attend? Se souciera-t-elle vraiment du rôle qu’elle doit jouer? Elle vient d’être le témoin de tableaux déprimants; de scènes tragiques et sanglantes; elle garde devant ses yeux les images d’un exode général, ou toute une population abandonnait sa maison, ses fermes, ses terres et s’en allait chercher asile en des lieux qu’elle croyait paisibles et qu’elle devait à nouveau quitter pour s’en aller plus loin encore. Auparavant cette jeunesse, pour une bonne part, était déjà éparpillée sur le territoire; elle s’était éloignée des grandes villes menacées pour trouver quelque sécurité dans de moindres agglomérations, elle avait dû prendre d’autres habitudes et s’était en quelque sorte déracinée.

     Ce qu’elle a vu, ce qu’elle a compris, c’est l’instabilité des choses, la fragilité des convictions et des espoirs et le peu que compte dans le tourbillon des événements ce qu’on croyait établi pour toujours. De cet aperçu brutal sur la vie on peut craindre un ébranlement profond dans l’esprit des jeunes générations; on peut se demander s’ils ne regarderont pas l’avenir comme quelque chose de si douteux, de si incertain qu’il est inutile de s’y préparer avec une application sérieuse. Ce sont là de légitimes sujets d’appréhension.

     Cependant, il faut compter sur cette qualité particulière aux êtres jeunes, qui leur permet d’oublier vite le passé et de récupérer des forces actives. La prostration est un sentiment qu’ils ignorent; ils ne connaissent que le découragement passager, l’inquiétude fugitive et la désillusion les effleure à peine. S’il faut éprouver quelque crainte c’est qu’en cette époque troublée où nous vivons, où les gens sont un peu comme des aveugles qui cherchent à tâtons leur chemin, on ne relâche trop les rênes, on ne donne une trop libre carrière à ceux et celles qui n’ont pas encore acquis la maitrise de leur conduite.

     L’œuvre des parents et des éducateurs est donc d’administrer la preuve à leurs enfants et à leurs élèves qu’ils savent se roidir contre la mauvaise fortune et qu’ils gardent leur volonté intacte à travers tous les événements.

     Ils ont une responsabilité, dont ils doivent prendre conscience tous les jours. C’est une véritable garde qu’ils sont tenus de monter autour de la jeunesse. S’ils peuvent sentit profondément la tristesse de leur époque, ils n’ont pas le droit de désarmer leur constance et leur courage. A travers la brume épaisse le capitaine doit continuer à conduire son navire; ainsi quelles que soient les ténèbres qui peuvent assombrir le cœur et les pensées des parents et des maitres, les uns et les autres doivent conserver un regard calme et sûr, une main solide et ferme, pour que grâce à eux la jeunesse puise entrer bientôt dans la lumière. Plus que jamais ils doivent être des guides, et au début de cette année scolaire il leur convient de prendre les résolutions viriles qui excluent toute licence et tout relâchement.
     * Sans doute, en temps que président de la délégation spéciale municipale. Voyez la notre précédente. On donne ici quatre annonces publiées par l’Abeille d’Étampes le 28 septembre1940:

UNE RÉFORME DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
     Un décret du 21 septembre a décidé de lla suppression dansd les lycées et collèges de la classe de 6eB. Dorénavant, les lycées et collèges donneront, de la 6e classe à la 3e classe, le seul enseignement classique réservé jusqu’à présent à la section A avec le latin et à partir d’une classe à déterminer, le grec.
L’enseignement moderne qui comportera quatre ans d’étude sans latin ni grec, sera donné dans les écoles primaires supérieures. A partir de la classe de seconde, lycées et collèges donneront dans les deux sections l’enseignement classique et moderne. Dans ce dernier cycle, ils , ils recevront les élèves des écoles primaires supérieures qui voudraient poursuivre leurs études en vue du baccalauréat.
     Cette réforme qui entrera progressivement en application de façon àn réserver les droits acquis des familles, ne prendra son plein effet qu’à la rentrée d’octobre 1943. Elle s’appliquera dès le 1er octobre prochain à la classe de 6e seulement. La 5eB est maintenue dans les lycées et collèges jusqu’en juillet 1941. la 4eB jusqu’en juillet 1941 et la 3eB jusqu’en 1943.
     Les élèves actuellement inscrits en 6eB dans les lycées ou collèges pourront, à leur gré, être inscrits dans la 6e classique du même établissement, soit dans l’année préparatoire des écoles primaires supérieures.

COLLÈGE ET ÉCOLES PRIMAIRES SUPÉRIEURES D’ÉTAMPES
     La rentrée des classes, subordonnée à la mise en état des nouveaux locaux aura lieu en principe le 4 octobre. Les élèves devront se trouver dans la cour de l’ancienne Abeille (coin des rues de la République et du Petit-Panier). L’établissement ne peut recevoir que des externes. Ne seront admis dans les diverses classesque les élèves reçus à l’examen de passage ou qui en sont régulièrement dispensés par un certificat d’admission émanant d’un lycée ou d’un collège national et qu’il devront présenter d’avance en se faisant inscrire.
     Les classes de la division B (sans latin) vont disparaître par extinction. En conséquence tout élève destiné au baccalauréat doit obligatoirement entrer en 6eA (avec latin). L’examen d’entrée en 6e aura lieu le 4 octobre à 8 h. 30. En sont seuls dispensés les candidats justifiant d’un succès à l’examen du concours des bourses ou au certificat d’études primaires. Cet examen comporte les exercices suivants: orthographe et grammaire, arithmétique et système métrique, compte rendu de lecture. Les candidats doivent se munir de tout ce qu’il faut pour écrire.
     Les élèves admis seront versés soit en 6eA, soit en classe préparatoire de l’école primaire supérieure suivant le choix des familles, qui sont informées que le certificat d’études est obligatoire pour les élèves de l’école primaire supérieure qui se destinent au brevet élémentaire.
     Une classe élémentaire recevra dans la mesure des places disponibles les enfants âgés de 11, 10, 9 ans révolus, et de préférence ceux qui désirent poursuivre, dans les années à venir, les études du second degré.
     Les jeunes filles sont admises dans toutes les classes comportant l’étude du latin.
     Le Principal recevra les familles, samedi, lundi, jeudi, rue du Petit-Panier, de 9 h. à 11 h. et de 14 h. à 16 h.
COURS COMPLÉMENTAIRE DES JEUNES GENS
    Le cours supérieur, 2e année et le C. C. de l’Ecole du Centre, destinés aux élèves pourvus du Certificat d’études, ouvrira comme les classes primaires, le 30 septembre dans d’autres locaux.
     Les inscriptions seront reçues: 39, avenue de Paris, le vendredi 27, le samedi 28, de 9 h. à 11 h. et de 14 h. à 16 h. et le dimanche 29, de 9 h. à 11 h.
MATÉRIEL SCOLAIRE
     Les personnes qui auraient connaissance que du matériel oou des objets scolaires se trouvent entreposés dans des locaux de la ville, sont invités à en informer la Mairie d’Étampes.
P. Fontant.
(B.G.)

      La discipline et l’autorité sont les piliers sur lesquels nous allons construire la société. La discipline implique le respect de ceux qui commandent et qui assument les responsabilités; l’autorité suppose chez ceux qui donnent des ordres la compétence et la dignité. Il est plus facile d’obéir que de commander, mais l’un et l’autre s’apprennent également. L’Université doit à la fois former de maîtres et des élèves. Peut-être le désordre que nous avons pu constater n’est-il pas seulement le fait des enfants et des défaillances parmi le personnel enseignant y ont-ils aidé quelque peu?*
     * Cette mise en cause des enseignants est à entendre dans le cadre d’une reprise en main du système éducatif par le maréchal Pétain, qui a fait exclure les juifs de l’enseignement par son Statut des juifs publié le 3 octobre 1940. (B.G.).
     Le maître ne songeait pas toujours qu’il ne suffit point de distribuer des connaissances, mais qu’il faut encore former les esprits et les caractères. Or c’est en apprenant d’abord l’ordre, la discipline, la mesure qu’on opère utilement sur les jeunes intelligences. S’ils ne se conforment pas à des règles strictes de conduite, alors qu’ils sont prêts à recevoir l’empreinte qu’on veut leur donner, il est peu probable qu’on obtienne d’eux plus tard le respect de ces règles et de ces principes. C’est dans l’adolescence qu’on prend des premières habitudes qui marqueront l’homme fortement. Si ces habitudes sont mauvaises il est peu probable qu’on puisse par la suite y remédier. Rien n’est plus difficile que de modifier les façons de parler et les manières de se tenir, qui semblent pourtant des habitudes superficielles. A plus forte raison celles qui touchent au profond de l’être, et desquelles dépendent les qualités et les vertus d’un homme.

     Il faut que nous grandissions le rôle de l’éducateur. Instruire et éduquer doivent être mis sur le même plan; ils doivent aussi marcher de pair. Une intelligence n’est vraiment belle que si elle s’accorde avec des dispositions morales excellentes. Là où il n’y a point de moralité, l’intelligence risque d’être néfaste plutôt qu’utile à la communauté: ne connaissant pas de freins, ses écarts sont d’autant plus terribles qu’elle est plus ardente et plus vive.

     Il faut qu’on donne aux enfants le sens du devoir, qu’ils apprennent qu’ils ne sont point nés pour eux-mêmes, mais pour les autres, et que dans le retranchement de leurs humeurs et de leurs caprices, il n’y a pas autre chose que le travail fourni par ceux qui cultivent les jardins et les champs quand ils en enlèvent ce qui peut gêner et gâter la germination et le libre développement des fruits généreux qui nous sont nécessaires.

     Demain la société est à même de connaître un état meilleur, mais la condition première pour qu’elle puisse le connaître est de bien former l’esprit et la volonté des enfants. Cette formation dépend de leurs parents et de leurs maitres.

     Les uns et les autres sont responsables de l’avenir, et ils peuvent se persuader que si leur tâche est lourde, elle est parmi les plus belles qu’on puisse imaginer.

P. Lejeune.


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LAMARTINE

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 35, samedi 26 octobre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     On a fêté hier, 24 octobre, le cent-cinquantenaire de Lamartine qui naquit en 1790 à Milly. Non point le Milly, qui se trouve près d’Étampes, et qui s’abrite à l’orée de la forêt de Fontainebleau, mais le Milly de la Bourgogne, où dans les journées de septembre, on peut
Écouter le cri des vendanges
Qui monte du pressoir voisin,
Voir les sentiers rocheux des granges
Rougis par le sang du raisin.*
     * Alphonse de Lamartine (1790-1869), La Vigne et la Maison (1857), premiers vers. (B.G.)

     Ici c’est le Milly des menthes odorantes*, là-bas le Milly des vins parfumés; c’est ainsi qu’en France beaucoup de pays ont le même nom, comme s’ils voulaient se faire écho et prouver, qu’éloignés l’un de l’autre, ils ont pourtant le même cœur.
     * Milly-la-Forêt est réputée pour sa menthe poivrée. (B.G.)
     Né parmi les vignobles, Lamartine n’a point senti leur influence, et il n’y a rien dans son œuvre qui exprime cette exubérance, cette abondance de gaîté, cette joie de vivre, qui semblent l’apanage naturel de ceux chez qui Bacchus* aime à faire de réguliers séjours.
     * Dieu du vin. (B.G.)
     Autant Rabelais, né sur les bords de cette Loire, qui coule entre les rangs serrés des vignes, a mis dans son langage ce que je ne sais quoi de luxuriant, de gras, et de charnu, qui donne à tous ses mots une saveur de festin flamand, autant Lamartine, parmi les crus les plus célèbres du monde, a gardé cette limpidité, cette transparence, cette candeur qu’on trouve dans l’eau de certains lacs, qui semblent faits seulement pour la blancheur des cygnes.

     Lamartine ne ressemble pas à l’image que nous nous faisons du Bourguignon. S’il aime sa terre, dont les vignes pourpres sont la parure naturelle, il n’y voit pas celle qui produit un des meilleurs vins, il ne pense pas à l’entretenir soigneusement, à la couver comme un trésor incomparable, elle n’est pour lui que le lieu de sa naissance, de son éveil à la vie, des premières tendresses de son âme. Le Bourguignon qui s’attache à ses biens, qui aime la bonne chère, qui a gardé le goût des devis joyeux, ne ressemble guère au caractère élégiaque, abandonné, quelque peu nostalgique de Lamartine.

     Son charme, c’est en effet celui qu’on éprouve en face des choses qui se délient, qui se laissent aller au vent qui passe, qui flotte mollement dans le courant qui les emmène: boucles de cheveux que la brise a nonchalamment défaites, barques qu’aucune main ne dirige, feuillages d’automne qui laissent tomber au sol l’or mutilé de leurs souvenirs d’été. Quand les premières «Méditations» parurent*, ce fut cet accent nouveau d’un abandon si naturel qui toucha tous les cœurs et valut au poète une renommée inattendue et subite. On admirait sans réserve des vers qui ne ressemblaient à aucun de ceux qu’on avait lus jusqu’alors, qui paraissaient ne rien devoir à l’étude, à la littérature, à quelque école que ce soit, et qui coulant avec harmonie donnaient l’impression d’une source mystérieusement jaillie sous la main d’une Muse, dont ce serait le premier don.



     * Ce recueil a connu sa première édition en 1820 (B.G.).
     Ce qui touchait les contemporains de Lamartine, comme ce qui nous touche encore aujourd’hui, c’est dans ces mélodieux poèmes l’absence de toute recherche et de tout apprêt. On n’y sent point une forme voulue, une curiosité de style, un désir de surprendre par des inventions de rythme ou des étrangetés d’expression, c’est le chant pur, et simplement modulé d’une voix qui sait chanter sans avoir eu besoin d’apprendre. Le charme naissait de cette liberté, de cet abandon, on pourrait presque dire de cette négligence. Peut-être serait-ce là pour le poète l’écueil ou devaient l’attendre les critiques.

     C’est que pour eux en effet, le génie naturel ne doit pas exclure le travail et l’application*. Lamartine ne s’en souciait pas pour faire ses vers. Il les écoutait chanter en lui, mais il ne pouvait se résigner à contrôler leur chant.
     * On voit ici que Lejeune est lui-même poète. Son éditorial du 21 décembre sera d’ailleurs un poème consacré au retour des cendres de l’Aignon aux Invalides le 15 décembre (B.G.).
     Quand l’ivresse des mots, des cadences et des rimes gonflait son cœur, il se refusait à modérer son élan, à poser d’avance les jalons de son œuvre, il se laissait porter par l’inspiration, comme l’hirondelle par ses ailes quand, dessinant ses courbes gracieuses elle n’en mesure ni la durée ni l’amplitude.

     Lamartine ne s’arrête point, comme d’autres poètes, aux ciselures, aux délicatesses, aux enluminures précieuses des missels et des livres d’heures; ce n’est point un artiste patient et jaloux des détails, qui se penche sur l’orfèvrerie des syllabes; il faut renoncer à trouver chez lui des émaux et des camées*. Son envol est trop grand pour qu’il puisse s’arrêter à la justesse et à la précision des miniatures.
     * Allusion à la poésie extrêmement travaillée de Théophile Gauthier (1811-1872) qui avait donné en 1852 un recueil intitulé Émaux et camées (B.G.).
     Ses tableaux s’en ressentiront toujours. C’est par le sentiment qu’ils nous touchent, par l’émotion prise au moment même où il vient d’être frappé par ce qu’il voit, mais non point par la couleur, le dessin, la profondeur qu’il a su leur donner. Ce sont des surfaces douces, aimables, lumineuses, où tout se confond dans une teinte agréable mais sans éclat, dont les tons seraient difficiles à déterminer.

     Cette négligence, qu’on lui a tant reprochée, vient à la fois de ce qu’il ne s’arrête pas à composer, et qu’il ne prolonge pas son observation. Il a dans ses mouvements la grâce du cygne, il n’a pas dans ses regards l’acuité de l’aigle. Ici s’accuse la différence avec Chateaubriand*, qui fut au commencement de sa carrière son maître préféré. Jamais dans sa prose comme dans ses vers il n’a pu conquérir cette maîtrise du verbe, grâce à laquelle l’auteur des Mémoires d’Outre-Tombe fixe définitivement les lieux et les choses.

     Il ne peut se décider à lier fortement la gerbe de fleurs qu’il a cueillies, il en laisse toujours échapper quelques unes, qui glissent à terre, comme s’il n’attachait qu’une faible importance à leur prix. Peut-être est-ce pour se justifier de cette sorte d’insouciance qu’il a dans une de ses épîtres essayé de prouver que rien n’était plus vain que la gloire littéraire et qu’il ne fallait point vouloir attacher à son œuvre le désir de la voir impérissable:
La gloire a beau s’enfler; dans les siècles suivants,
Les morts n’usurpent pas le soleil des vivants.


     Ce n’est point que, comme tout artiste, il ait été entièrement dépouillé de ce désir, puisqu’il a dit lui-même:
Et l’amante et l’amant, sur l’aile du génie,
Montent d’un même vol vers l’immortalité.


     Mais à certaines minutes de sa vie, il a cru qu’il avait une mission sociale à remplir*, et son rôle d’homme politique lui a semblé plus grand que son rôle de poète. C’est en quoi il se trompait, et c’est par quoi, malgré ce qu’il y avait d’aimable dans son caractère, il s’est fait des détracteurs et des ennemis, comme Sainte-Beuve et Delacroix qui goûtaient cependant la beauté de ses poèmes. D’autres hommes, qui n’avaient ni le talent du premier ni le génie de l’autre, l’attaquèrent sans aucun égard. Il faut reconnaître à sa louange qu’il a conservé toujours une très belle attitude en face des insultes et des calomnies. Les vers qu’il a écrits dans A Némésis*, sont l’expression même de son âme:
Mais moi j’aurai vidé la coupe d’amertume,
Sans que ma lèvre même en garde un souvenir,
Car mon âme est un feu qui brûle et qui parfume
Ce qu’on jette pour la ternir.

     * Cette problématique n’est-elle pas aussi celle de l’auteur? (B.G.)





     * Poème composé en 1831 en réponse à une attaque parue dans la revue Némésis qui lui reprochait d’avilir sa muse en la faisant la servante de ses idées politiques. (B.G.)

     Il semble en effet que rien n’ait jamais terni l’âme de Lamartine. Les malheurs, les ingratitudes, les médisances, ont pu l’attrister, elles n’ont jamais été capables de l’aigrir*. C’est un assez bel exemple, il mérite d’être proposé à tous.
     * Ceci sans doute vaut aussi pour l’auteur, qui connaîtra même la prison lors de la Libération. (B.G.)
     On ne lit plus guère les poètes, et Lamartine subit le même sort que les autres. L’enfance et la jeunesse en prennent quelques reflets dans leur mémoire et l’âge mûr les oublie. Parfois seulement quelques vers chantent dans l’esprit, et l’on s’étonne du plaisir qu’on peut y trouver. De temps à autre ce serait pourtant un aimable délassement d’entr’ouvrir leurs livres et d’y goûter pour quelques moments la grâce et la beauté des mots, qui dans l’usage courant que nous devons en faire, perdent leur mélodie et leurs ailes.

     Le chantre d’Elvire tressaillirait dans les Champs-Elysées des poètes, si pour quelques jours on relisait les stances du «Lac» ou du «Vallon»*.

P. Lejeune.

     * Poèmes contenus dans les Méditations. (B.G.)

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LE MARÉCHAL

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 37, samedi 9 novembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Cela se passait à Souilly, en 1916. Depuis vingt-quatre heures la neige tombait; elle opposait son doux silence, sa chute inoffensive et mollement indécise au bruit sauvage des combats qui s’amplifiaient autour de Verdun, à la chute implacable et meurtrière des innombrables obus. On eut dit qu’à force de blancheur et de candide volonté elle allait forcer les hommes à cesser leur lutte. Mais la neige n’empêchait point les mitrailleuses de poinçonner les ténèbres, ni les canons d’imposer au sol leur labour circulaire. Dans le village, où l’on entendait gronder l’horizon, on voyait seulement sous le crépuscule hâtif, passer des groupes de soldats, qui s’en allaient au front, dans le feutre neigeux, sans qu’on entendit le roulement de affûts, le martèlement des fers à cheval, ou le pas de souliers ferrés. On eut pensé que c’étaient de simples ombres, d’où la vie s’était retirée, si l’on n’avait pas distingué de temps à autre le tintement des gourmettes, le frottement des cuirs, le gémissement des essieux et l’entrechoc des fusils sur les gamelles. Mais tous les bruits avaient quelque chose de lointain, d’irréel, comme s’ils n’appartenaient déjà plus aux vivants.

     Il se livrait une bataille, où la mort fauchait si vite les héros qu’ils demeuraient debout pour l’éternité.

     Une vieille citadelle était menacée. De son sort dépendait l’issue d’une campagne qui durait depuis plus de deux ans et demi. Sur la petite place de Souilly on avait vu dès le matin le général de Castelnau, appuyé sur une canne, aller de long en large, la nuque fortement enfoncée dans le col de son dolman, la moustache recouvrant le secret de ses lèvres comme les sourcils broussailleux le secret de ses pensées: seul. Cette solitude avait quelque chose de frappant. Au moment des grandes résolutions l’homme ne doit rien demander qu’à lui-même, il ne lui est plus permis de rien emprunter aux autres: tout emprunt serait une faiblesse. Ce jour-là le général de Castelnau devait faire le choix d’un chef: il savait que de ce choix dépendait le sort de Verdun.

     Vers la fin du jour sur la même petite place, des automobiles attendaient. La neige tombait toujours et ses petits flocons continuaient à couvrir le sol. Trois généraux se trouvaient réunis là, devant l’église du village. Deux d’entre eux s’étaient rapprochés l’un de l’autre. On voyait la silhouette haute et mince du général de Langle de Cary se pencher sur la carrure courte et ramassée du général de Castelnau. Tous deux s’avançaient en causant: on sentait dans leur démarche, dans leurs légers mouvements de tête, dans l’attention qu’ils mettaient à s’écouter, qu’il s’agissait d’une question grave, qui n’admettait point qu’on en différât l’examen, ne fusse qu’un instant, pour y répondre plus tard. Ils portaient tous deux l’ancien uniforme, le képi rouge à feuilles d’or, la culotte à bande noire, et les bottes à l’écuyère. Leur tenue était demeurée la même que celle qu’on portait avant 1914; guerriers illustres, ils apparaissaient comme les héritiers d’une vieille tradition militaire. On ne distinguait pas près d’eux la suite ordinaire d’officiers d’état-major, aucune escorte ne les accompagnait.

     A quelques pas seulement en arrière on apercevait dans un uniforme bleu d’horizon, les jambes moulées dans des bandes molletières, s’avançant droit, avec quelque chose de calme et d’aisé dans la démarche, un soldat, qui portait en toute son allure une incroyable distinction. Sur sa figure jeune on était surpris de voir une moustache blanche, et quand on regardait mieux le képi de drap bleu, sans or et sans feuillage, on était étonné d’y apercevoir trois petites étoiles. Derrière les deux autres généraux, qui semblaient préoccupés et soucieux, il offrait l’image incomparable de la confiance sans présomption, de la force sans violence, de la volonté sans contraction, il était l’image même de l’honneur qui affronte le destin sans peur et sans émoi, la tête aussi libre qu’Œdipe en face du Sphynx. Sans hâte, sans tâcher de diminuer la distance qui le séparait des deux autres chefs d’armée, il s’approchait noblement et simplement d’une heure légendaire et sacrée.

     Dans une maison de paysan, basse, sans aspect, semblable à toutes celles qu’on trouve dans un village de France, par une porte où des mains chargées d’une glèbe ancienne avaient fait jouer le loquet, les trois généraux pénétrèrent. Eux seuls pourraient nous dire ce que fut cet entretien. Ils en conservent tous les trois le secret.

     A travers les âges viennent se placer ainsi des minutes inconnues où se jouent les destinées des peuples. Peut-être même ceux qui les ont vécues les ont-ils oubliées.

     Ce soir là pourtant sortit d’une humble maison une décision qui fut parmi les plus hautes de la guerre. La défense de Verdun était confiée au général en bleu d’horizon qui s’avançait si calme parmi le crépuscule d’hiver: au général Philippe Pétain.

     Dans ce village de l’Est français, il y eut autre chose, ce soir-là, qu’une transmission de commandement. Ce n’était pas seulement un général qui, dans le tumulte des combats et dans la confusion des attaques et des défenses, introduisait une lucidité qui allait étonner les stratèges, c’était caché sous le voile d’un avenir brumeux, un homme qui sachant s’adapter à tous les événements, sans jamais se laisser dominer par leur violence ou leur brutalité, venait apporter à son pays, dans toutes les circonstances, une merveille de volonté froide et d’indomptable courage. Partout, dans la guerre comme dans la paix, il allait être pour la France, le soutien et l’appui, qu’on sentait toujours prêt à remettre debout les situations graves ou désespérées. Depuis vingt-cinq ans le Maréchal n’a cessé d’être présent à l’esprit de tous ceux qui, devant l’imminence des catastrophes, comptaient sur lui, comme dans la tempête les passagers espèrent dans l’habileté du capitaine.

     C’est une éminente qualité chez un homme que de voir les situations. Un regard que rien ne peut éblouir ni troubler, qui voit autour de lui le déchaînement des circonstances, sans qu’il perde son acuité, sans qu’il laisse atteindre sa puissance de discernement, est quelque chose d’exceptionnel, qu’on peut admirer sans réserve. Qu’il se soit agi de redonner aux troupes françaises comme en 1917 le sentiment de la discipline, d’en coordonner toutes les attaques comme en 1918, de distinguer par où il faut agir pour abréger une campagne coloniale comme il le fit si bien au Maroc, de remettre de l’ordre dans un ministère, ou de montrer une souveraine intelligence dans les rapports pénibles, qui existaient voici deux ans avec l’Espagne, partout le Maréchal nous a montré qu’il conservait une maîtrise de pensée et d’action qui ne se laissait entamer ni par les obstacles, ni par les difficultés, ni par les mauvais vouloirs.
Philippe Pétain (Abeille du 7 décembre 1940)
Abeille d’Étampes du 7 décembre 1940



Réclame de l'Abeille d'Etampes du 14 décembre 1940
Réclame parue dans l’Abeille d’Étampes
du 14 décembre 1940

     Ce qui caractérise le Maréchal, c’est l’intelligence. Une intelligence constructive, prête à rechercher comment il faut agir, ennemie de improvisations et des chimères, n’usant d’une critique vive et sûre que pour distinguer les erreurs et les fautes, jamais pour faire valoir, aux dépens même du droit et de la justice, une mordante et cinglante ironie, dont la vanité ne sert qu’à ruiner et à détruire. Il a mis son intelligence au service de l’État, et non point à son service. Ce n’est pas pour se faire valoir qu’il n’a cessé de l’entretenir et de la nourrir chaque jour, c’est pour que son pays à tout moment puisse compter sur elle. De là cette sérénité qui n’a cessé d’entourer toutes ses actions. Quand un homme n’enferme pas son intelligence dans les préoccupations personnelles, il est exempt de passion. L’amour qu’il donne à une haute Idée, comme par exemple à sa patrie, n’est pas en effet une passion, c’est un culte avec tout ce qu’il comporte de suprême dignité. On n’a jamais pu atteindre le Maréchal. Sa position est demeurée au-dessus de tous les changements. Marc-Aurèle* disait déjà: «C’est une citadelle que l’intelligence libre de passions. L’homme n’a pas de plus forte position où il puisse se retirer pour être désormais imprenable.» Pour les Français, le Maréchal a dressé cette citadelle qui, parmi nos malheurs et nos revers, n’a cessé de tenir, et qui permet aujourd’hui à notre peuple de sauvegarder son honneur.



     * Marc-Aurèle (121-180) empereur romain et philosophe stoïcien, auteurs de Pensées rédigées en grec, dont Lejeune cite ici la sentence VIII, 48, 3.



     Sa fermeté demeurera légendaire. La défaite ne l’étonne pas plus que la victoire; aux variations du destin il oppose la fermeté de son caractère, aux vicissitudes de la fortune la constance de sa volonté. S’il peut être un père, il sait aussi bien être un chef. Il y a dans son âme une intrépidité qui n’éclate pas par de vaines paroles et par des gestes dramatiques; il joint à la mesure grecque une discrétion héroïque qu’on dirait racinienne.

     Peut-être que s’il fallait établir une comparaison, on pourrait dire qu’avec son esprit toujours clair, son intelligence toujours bienveillante, son autorité toujours exacte, il est parmi nous comme un Marc-Aurèle, illuminé par vingt siècles de christianisme*.

P. Lejeune.
     * On est aussi au centre de la pensée de Pierre Lejeune, qui conjugue essentiellement la religion chrétienne et la tradition philosophique stoïcienne, dans la lignée de L’Imitation de Jésus-Christ, ouvrage de piété dû à Thomas a Kempis (v.380-1471), dont Philippe Lejeune m’a confirmé que c’était bien le livre de chevet de son père. (B.G.)

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MAINTENIR

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 38, samedi 16 novembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Les grands vents d’automne* se déchaînent en ce mois de novembre incertain, humide, brumeux, où passent par moment des tiédeurs lourdes, comme si quelques feux de l’été, oubliés quelque part, les réchauffaient au passage. Par moment leur violence s’accroît, ils arrachent les dernières feuilles, rebroussent les branches des arbres avec la force irrésistible d’un fauve qui s’abat sur une proie, font voleter les tuiles et les ardoises, abattent des enseignes, forent les meules, dispersent dans leur course mille objets divers. Dans ces rafales les créations de la nature et les ouvrages de l’homme résistent, s’arcboutent pour n’être point emportés. La maison s’accroche à ses fondations, l’arbre à ses racines; poutres et chevrons du grenier cherchent à demeurer enchevêtrés les uns dans les autres, les branches des ormes et des chênes à demeurer soudées au tronc. C’est une dure et vaillante résistance, où s’exprime cette force de conservation, qui depuis le début du monde, n’a cessé de s’opposer aux forces de destruction.
      * L’automne 1940 est dans tout cet article la métaphore du déclin de la France comparé à celui de  l’Empire romain (B.G.).
     Si la nature répare les ravages qui sont faits dans ses forêts et dans ses plaines, l’homme ne perd point de temps à remettre en état ce que le déchaînement des éléments à renverser, brisé, arraché. Les échelles se collent aux murs, les couvreurs remettent les tuiles, les maçons refont un rapide hourdage* sur la cloison écroulée. La besogne éternelle recommence; l’homme lutte pour défendre l’héritage des aïeux et des siècles.
     * Maçonnage grossier de moellons et de platras, selon Littré (B.G.).
     Cette lutte pour nous n’est pas seulement celle qu’il faut livrer contre les assauts des forces physiques. A côté des champs défrichés, des jardins cultivés, des maisons construites, des monuments édifiés, qui représentent tous une accumulation de patience et de travail humains, il y a cette autre construction, qu’ont réalisée les hommes de bonne volonté, la construction spirituelle et morale, derrière laquelle ils abritent ce qu’il y a de plus haut et de plus noble dans leur nature. Héritage de mœurs policés de vertus personnelles et publiques, de hautes pensées et de nobles aspirations, qu’il faut garder intact et préserver chaque jour contre les coups de boutoir, les houles tumultueuses, et les sauvages soulèvements d’instincts exacerbés, qui veulent se satisfaire gloutonnement sans autre but que d’assouvir pour un moment leur rage frénétique.

     L’histoire offre périodiquement le témoignage de ces ébranlements, qui semblent vouloir tout emporter et ne rien laisser après eux. Quand Boëce écrivait son livre des Consolations*, il souffrait moins pour lui-même que pour l’état d’un monde finissant, dont il avait pu goûter encore l’agonisante eurythmie. Il se demandait avec anxiété s’il demeurerait quelque chose de cet ensemble de conceptions, de mœurs, de littérature et d’art, qui avaient fait l’honneur des Grecs et des Romains. Tout devrait-il s’abîmer dans la méconnaissance et dans l’oubli? Ne serait-ce qu’une mutilation douloureuse, ou faudrait-il que les siècles suivants fûssent privés d’un trésor, où la poésie, la philosophie et le droit formaient une construction de l’esprit humain, dont l’équilibre était admirable? De tous ces fastes de gloire ne resterait-il rien qui pût aller à la mémoire des futures générations? Boëce, comme la plupart des personnes de sa condition, posait ces questions angoissantes au moment ou l’Empire de Rome s’écroulait. Pourtant le trésor de l’ordre gréco-romain ne fut pas perdu. Des hommes prirent soin de le préserver; comme les Egyptiens, ils surent embaumer et envelopper de bandelettes ce corps précieux des antiquités classiques, et ils donnèrent ainsi au XVIe siècle l’occasion de le faire renaître dans sa beauté victorieuse.
     * Boèce (v.470-525), homme d’État et philosophe apès la chute de l’Empire romain, fut ministre du roi ostrogoth Théodoric, qui le fit mettre à mort après une dénonciation calomnieuse de malversation. Avant d’écrire en prison son fameux De la consolation de la philosophie, il avait élaboré en latin une synthèse des philosophies néo-platonicienne et aritototélicienne qui constitua le principal fondement de la pensée du moyen-âge européen et prépara à terme la Renaissance. Il est évident que Lejeune établit ici un parallèle implicite entre sa propre situation et celle de Boèce (B.G.).
     Les vicissitudes des nations et des peuples sont inévitables. Comme des raz de marée les malheurs fondent sur eux, et ils risquent de s’y perdre entièrement. Une tâche s’impose alors à ceux qui voient les calamités s’acharner sur leur époque, c’est de maintenir coûte que coûte ce qui reste debout ou ce qui subsiste, plus ou moins effondré, de l’œuvre immense léguée par le passé. Quelles que soient les ruines amoncelées autour d’eux, ils doivent garder leur énergie; c’est elle qui leur permettra de faire bénéficier l’avenir de ce qu’ils auront pu soustraire aux désastres présents.

     Pendant quelque temps, beaucoup des nôtres ont pu craindre qu’ils verraient quelque chose de semblable à ce que virent les Romains de la décadence. Mieux éclairé, un peu remis du coup inattendu dont ils avaient été frappés, ils commencent à se faire de notre situation une opinion moins sombre. Ils constatent que malgré les défaillances nombreuses notre peuple ne s’est pas laissé gagné par la déliquescence qui avait atteint certaines parties de notre société, et que dans les ruines aussi bien morales que matérielles, qui jonchent le pays, il sait recouvrer peu à peu sa force et son équilibre.

     Loin de vouloir laisser partir à vau-l’eau notre patrimoine acquis à force de labeur et de constance, nos gens de France ont repris les vieux instruments de travail, ceux des champs comme ceux de l’atelier et du chantier, la charrue, la houe, la truelle, la lime, le rabot et la varlope, tout ce qui sert à fendre le sol, à cimenter la pierre, à ouvrer le bois, à travailler les métaux. Nos gens ont repris en même temps la conscience d’eux-mêmes, de leurs qualités personnelles et des vertus de leur race*. Plutôt que de tout briser, de transformer la moindre impatience en colère, le plus léger mécontentement en violence, la première souffrance venue en révolte, ils ont pensé qu’on devait d’abord chercher par la raison et par l’application à venir à bout des difficultés et des obstacles.
     * Cette conception quelque peu désuète de la race fait alors partie du fond commun de la pensée européenne, et de l’outillage intellectuel de la plupart des historiens. (B.G.)


     Maintenir par le travail, maintenir par la vertu, telle est la devise qu’ils veulent prendre. On ne maçonne bien qu’avec des matériaux solides. Ces matériaux sont là, nous n’avons qu’à nous en servir. La France sans doute ne dispose pas de toutes les matières dont un peuple moderne a besoin, mais elle trouve chez elle le minimum suffisant pour attendre le moment où elle pourra, suivant l’expression moderne, «travailler à plein rendement». Elle possède en tout cas, pour ce qui concerne le domaine moral, des qualités qui n’ont pas disparu et qui ne demande même qu’à s’affirmer. Ces qualités n’étaient qu’en sommeil, les Français qui en étaient les dépositaires avait absorbé on ne sait quel narcotique, quel poison subtil qui les avaient paralysés; un souffle maléfique les avait frappé d’engourdissement et de stupeur.

     Ils se réveillent aujourd’hui, avec chaque heure, ils reprennent conscience d’eux-mêmes, ils font craquer un à un les liens qu’on* avait passés autour des vertus de leur race.

     On leur avait imposé le goût de l’inaction et de la paresse, et la race était travailleuse, elle avait à travers les siècles fait du sol gaulois, un véritable jardin, à la française, cultivé mètre par mètre avec dilection et amour.
     * Qui est on, opposé à leur race? Il est difficile de ne pas y voir une allusion à la part que prirent un grand nombre de juifs dans le gouvernement du Front Populaire dont la figure principale était précisément Léon Blum, l’un des dirigeants de la Section Française de l’Internationale Ouvrière, et président du Conseil de 1936 à 1937 puis de mars à avril 1938. (B.G.)

     On leur avait persuadé de ralentir leur action*, et la race aime aller vite, s’atteler à l’ouvrage, comme un cavalier se met en selle d’un coup de rein solide et vigoureux.
     * Allusion transparente aux congés payés mis en place par le Front Populaire. (B.G.)
     On leur avait fait croire qu’il n’y avait de liberté que dans le désordre et la violence, et la race avait su montrer un esprit de discipline qui, malgré les révoltes et les révolutions, se manifestait quand même dans le respect des autorités établies et dans l’observation des traditions.

     Ainsi y avait-il eu pour cette race française une sorte de déviation. Des hommes qui lui étaient pour la plupart étrangers qui n’avaient point dans leur sang des aspirations naturelles* l’égaraient dans de mauvais chemins. Le malheur est venu s’abattre sur elle, et tout à coup elle s’est ressaisie toute entière. Dans un état de semi léthargie, agréable par sa molle inconscience, elle perdait ses qualités et ses vertus; dans la douleur et la souffrance elle les retrouve, et veut en apporter le témoignage au monde. La sentence de Sénèque se confirme ici: ce n’est jamais sans mal qu’on administre la preuve de sa vertu, Nunquam virtutis molle documentum est**.

     * Nouvelle périphrase désignant au moins un certain nombre de juifs, en tant que tels, comme responsables des maux de la France. La loi sur les dénaturalisations (qui visait essentiellement les irsaëlites) a été mise en place par le régime de Vichy dès le 22 juillet 1940. Le premier statut des juifs, qui les exclut de la fonction publique, du commere et de l’industrie, date du 3 octobre 1940. Simultanément la loi du 4 octobre autorise l’internement immédiats des juifs étrangers.(B.G.)

     Déchirée et meurtrie, la France autour de son chef se roidit pour sauver son héritage de travail, d’ordre et de loyauté, elle ne s’abandonne pas: elle maintient.

P. Lejeune.


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L’UNITÉ FRANÇAISE

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 40, samedi 30 novembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     L’effort constant de réunir plusieurs pays qui différaient par la nature de leur sol et le caractère de leurs mœurs, s’est manifesté particulièrement sur notre sol où, dès que l’Empire Romain se fût abîmé devant les barbares, on sentit passer le désir de ressouder entre elles les diverses parties de la Gaule. S’il faut en croire Camille Jullian* il y aurait eu, bien avant l’occupation romaine, entre les peuples qui habitaient l’ancienne Gaule des liens moins étroits que ceux qui unissent actuellement les citoyens d’une même patrie, mais qui cependant entretenaient entre ces habitants une sorte de sympathie ethnique et peut-être religieuse. Camille Jullian parle de hauts lieux où se seraient réunis d’une manière régulière les représentants des différentes tribus gauloises. Depuis des siècles la France aurait donc cherché son unité.
     * Camille Jullian (1859-1933), historien français auteur d’une monumentale Histoire de la Gaule (1907-1928).
     Tâche difficile, âpre, ingrate où les échecs se multiplient et risquent de décourager les meilleures volontés. Les peuples, en effet, comme les individus portent en eux-mêmes deux forces dont la puissance est inégale suivant les temps, une force qui les pousse à l’unité, une autre qui les pousse à la division. La Grèce antique si remarquable par l’intelligence et l’art de ses citoyens n’a jamais pu triompher des forces qui la portaient à se diviser constamment et, a fini par s’offrir, comme une proie facile, au conquérant moins éclairé qu’elle-même*. Que d’hommes, pourvus de facultés brillantes, de possibilités multiples, d’aptitudes et de talents, n’ont pu donner à leur vie une expression haute et noble, faute d’avoir pu réaliser dans leur esprit et dans leur âme une parfaite unité de conscience. Tiraillés perpétuellement entre des velléités et des désirs, qui s’opposaient les uns aux autres, ils n’ont point su maintenir dans une direction unique, où chaque pas les aurait fortifiés dans l’accomplissement de leur œuvre.
     * Allusion à la fin de l’indépendance des cités grecques entrées vers 336 sous la domination de fait du royaume de Macédoine sous les règnes de Philippe II puis d’Alexandre le Grand. (B.G.)
     Quand on contemple l’histoire de la France on est obligé d’admirer la continuité de pensée, qui l’a inspirée, et guidée à travers les siècles. Les peuples dont elle est l’émanation spirituelle n’ont pourtant pas été exempts de ces instincts et de ces passions qui les portent à se déchirer, à se meurtrir et, pour ainsi dire, à s’entre-dévorer. Si la France a toujours voulu réaliser son unité, ce n’est pas sans peines et sans tourments; comme l’Héraclès antique, il lui a fallu poursuivre des travaux accablants, et l’on aurait pu croire plus d’une fois qu’épuisée de fatigue elle finirait par quitter la partie, mais comme le vainqueur de l’hydre elle aurait pu répéter que le destin finirait plutôt de se lasser de lui imposer des travaux qu’elle ne se lasserait à les accomplir. «Defensa jubendo est saeva Jovis conjunx; ego sum indefessus agendo*
     * Ovide (43-18 av. J;-C.), Métamorphoses, IX, 198-199: la cruelle épouse de Jupiter [c’est-à-dire Junon, qui poursuivit d’abord de sa haine Hercule, né d’une maîtresse de son mari] s’est lassée de m’imposer des tâches que pour ma part j’accomplissais sans me lasser. (B.G.)
     La France a formé son unité malgré les attaques qui venaient aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. Elle a su résister à l’Angleterre, à la Maison d’Autriche, à la monarchie espagnole*. A l’intérieur elle a su résoudre dans les premiers temps le conflit des rois et des grands féodaux ainsi que le problème de l’affranchissement des communes, et elle a pu passer au travers de la lutte effroyable dans laquelle la maison de France et la maison de Bourgogne coururent leurs chances pendant de longues années*. Comment ici ne pas admirer devant l’acharnement des Anglais à rompre l’unité française cet incroyable mouvement spirituel qui se traduit par l’intervention miraculeuse de Jeanne d’Arc? L’âme du pays apparaît ici toute entière, c’est un envol de grandeur et de pureté, qui met sur notre pays un signe unique à travers les âges.

     * Lejeune a sans doute en tête, successivement, la guerre de Cent Ans,  la rivalité de François Ier avec Charles-Quint, puis Philippe V. (B.G.)
     Presque aussitôt après c’est la maison de France qui se trouve divisée entre le père et le fils. La Praguerie oppose Charles VII au futur Louis XI. Ce ne fut peut-être qu’un tumulte, mais il nous valut les paroles de Charles VII au fils ingrat qui, sous de fallacieux prétextes, troublait le royaume, et qui refusait de suivre son père après l’entente de Cusset. «Allez-vous en Louis, si vous voulez, les portes sont ouvertes; si elles ne sont assez larges, je ferai abattre dix toises de murailles; la maison de France n’est pas si dépourvue de princes qu’elle n’en ait qui maintiennent sa grandeur et son honneur aussi bien que vous.» Paroles prophétiques, qui peuvent s’appliquer à tous ceux qui ont cru emporter la France avec eux et qui se sont aperçus qu’elle ne manquait jamais d’hommes pour la relever et pour la maintenir à son rang.

     Au XVIe siècle, dans le grand mouvement de la Renaissance, qui entraîne tout le pays, on aurait pu croire que les guerres de religion qui dissimulaient des ambitions politiques effrénées finiraient par disjoindre notre sol. En vain les partis cherchèrent à s’élever sur les ruines qu’ils amoncelaient; la verdeur du sang français ne prit souci des plaies et des blessures et se moquant des abus avec Rabelais, chantant la gloire avec Ronsard, illustrant la finesse et le bon sens avec Montaigne, il ne se laissa point corrompre par les turpitudes mais prit au contraire comme un cours plus vif et plus généreux.

     Le XVIIe siècle devra connaître encore un essai d’indivision. Essai passager, bref, qui vaudra du moins à notre littérature les pages admirables du cardinal de Retz*. Certains mécontents, parlementaires et grands seigneurs, poussèrent le peuple à se révolter. Pendant quelque temps «la Fronde» fera fermenter les esprits. Mais il semble que ce soit là comme les derniers sursauts de colère qui agitent les flots avant que la mer n’étale paisiblement ses ondes sous un ciel haut et serein. Pendant cinquante ans, le gouvernement royal de Louis XIV donnera à l’unité française sa parfaite expression. Rien ne lui manquera pour l’assurer, ni la sagesse des grands administrateurs comme Colbert, ni le génie des prosateurs comme Pascal et La Bruyère, ni la force éclatante ou l’incomparable harmonie des poètes comme Corneille et Racine. Un siècle où la sévérité des colonnades, des portiques, et des escaliers de parade s’accommode du rire de Molière, où la gravité qu’un Poussin met dans ses paysages s’accorde mystérieusement avec l’ironie souriante et naïve que La Fontaine fait passer dans les siens. Unité française où, dans un décor de discipline et d’ordre, jouent la grâce et la légèreté, unité qui mérite d’être exprimée par ce tableau de Gérard de Nerval, où peignant le charme des rondes enfantines devant un château plein de noblesse, le poète module cette phrase si purement musicale: «Des jeunes filles dansaient sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs mères, et d’un français si naturellement pur que l’on se sentait bien vivre dans ce pays de Valois, où pendant plus de mille ans a battu le cœur de la France.»*

     * Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679), homme d’État et mémorialiste français.













   * Gérard de Nerval (1808-1855). Ce passage est extrait du chapitre 2 de Syvie, l’une des nouvelle les plus célèbre du recueil Les Filles du feu (1854).
     Le XVIIIe siècle, vers la fin fera battre ce cœur avec une violence telle que certains croiront qu’il va se briser. Peut-être dans les poitrines des corybantes le cœur devait-il battre aussi fort. Le vin des idées nouvelles agita toute la nation: ce fut comme un enivrement, qui la jeta hors d’elle-même; mais plutôt que d’y perdre son unité, d’y voir s’abîmer tout d’un coup l’effort constant des siècles, la France rassembla tous ses enfants sous un nouveau drapeau, qui, suivant la parole de La Fayette, devait faire le tour du monde.

     Peut-être la suite des régimes qui se succédèrent au cours du XIXe siècle ferait-elle penser que l’unité française en sortit ébranlée. Cependant, ni les révolutions, ni les désastres n’y portèrent une atteinte mortelle. Sans doute apercevrons-nous une légère désagrégation des volontés, qui plutôt que de se rattacher à une seule idée crurent se conformer à leur idéal d’indépendance en s’empressant dans toutes les directions et en donnant l’exemple d’une dispersion, qui aurait pu être néfaste, mais malgré toutes les attaques du dedans comme du dehors l’œuvre demeura solide.

     Aujourd’hui quelle est la situation? Grave assurément. Au point de vue physique, nous sommes en face d’une sorte de morcellement. Au point de vue moral, nous assistons à une confusion de pensées et de sentiments, qui ne sont point propices à l’unité d’action si nécessaire pour un pays.

     Que faut-il faire?

     Il faut se tourner vers le devoir. Or, le devoir est d’accepter les directives qui nous sont données par le chef de l’État. Ce n’est pas l’esprit de critique négatif qu’il faut développer en nous, c’est celui de capacité constructive. Faisons appel à notre intelligence pour créer et non pour dissoudre. C’est par des actes d’adhésion que nous devons témoigner de notre énergie, non point pas [sic] des actes de séparation. Longtemps ce fut chez nous une habitude de quitter une formation pour en créer une autre. Toute formation était atteinte à sa naissance de scissiparité*. Il n’y avait de collaborations que conditionnelles. Et la première condition sous-entendue était qu’elles fussent éphémères. Notre devoir est de créer entre nous une collaboration durable. Ce n’est pas aliéner sa liberté que de se bâtir une maison; aujourd’hui nous devons reconstruire ou tout au moins consolider le bel édifice qui fut un des chefs-d’œuvre de l’Europe: l’unité française.

P. Lejeune.
     * Scissiparité: mode de reproduction asexuée par division en deux parties d’un organisme.


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L’ÉQUILIBRE VITAL

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 41, samedi 7 décembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Le gouvernement prend des mesures pour que les jeunes gens reviennent à la terre, et qu’ils apprennent à nouveau le noble métier d’agriculteur. Tout le monde avait constaté le développement inouï des grandes villes et par contre le dépeuplement accentué des campagnes. Les villages se vidaient de leurs habitants, les maisons n’abritaient plus personne; dans certaines contrées on n’y rencontrait plus que des vieillards. Des bourgs jadis prospères, où les artisans trouvaient un exercice facile de leur profession, où l’on entendait le bruit des enclumes et des marteaux, le meuglement des vaches qui rentraient à l’étable, le hennissement des chevaux qui traînaient des charrues, des bourgs animés et joyeux étaient maintenant tristes et muets, attendant pour reprendre un soupçon de vie une fête patronale éphémère.

     Virgile s’était-il donc trompé quand il avait prononcé son éloquente interjection:
«O fortunatos nimium si sua bona norint / agricolas*

     Est-ce qu’en réalité le bonheur n’était point le lot des agriculteurs et rien n’était-il plus pénible que de cultiver la terre? Il semble tout à la fois que le poète latin ait peut-être un peu trop embelli la vie rustique et que, d’autre part, l’attraction des villes ait fait perdre à ceux qui demeuraient au milieu des champs et des bois la vue des satisfactions qu’ils y goûtaient.

     * Oh trop heureux paysans, s’ils connaissaient leur bonheur!. Vers célèbres, alors connus de tous les collégiens latinistes, tirés des Géorgiques (II, 458-459), poème en quatre chants composé entre 36 et 29 avant J.-C. Il faut rappeler que Virgile était lui-même déjà le chantre officiel d’une politique de retour à la terre et aux valeurs traditionnelles initiée par l’empereur Auguste. (B.G.)
     La ville avait pour elle tout ce qui séduit et trouble les hommes: le bruit, la lumière, le nombre. Le bruit attire toujours, quel qu’il soit; il est le premier élément de distraction; des enfants qui ne savent quoi faire trouvent un premier amusement à crier à tue-tête, à claquer des mains et à frapper des pieds. Au 14 juillet des jeunes gens achètent des amorces et des pétards, et l’on aime autant dans les feux d’artifice l’éclatement des boules inoffensives que la couleur des fusées. La lumière n’attire pas moins, nous sommes tous plus ou moins comme des phalènes, tout foyer lumineux est une cause d’attraction, nous nous y jetons, dussions-nous y brûler nos ailes. Dans ces dernières années les boutiquiers se faisaient concurrence non plus en abaissant leurs prix, mais en augmentant l’intensité de leur éclairage. Le nombre n’exerce pas une puissance moins grande sur l’esprit des hommes. Non seulement la bousculade ne fait pas peur, mais on s’y mêle volontiers; on éprouve le besoin de participer à un grouillement d’êtres, qui cessent pour un moment d’avoir une conscience individuelle pour prendre un sentiment collectif. Aux veilles de fête dans les grands magasins, nul n’est arrêté par la crainte d’être comprimé, et de subir des mouvements de roulis qui tour à tour éloignent et rapprochent du point qu’on veut atteindre; tout au contraire les gens arrivent de toutes parts, heureux d’être absorbés par le flot de lave qui se déplace imperceptiblement.

     La campagne ne présente que le calme et la solitude. Elle n’est pas bruyante, de temps à autre seulement on entend le bêlement des moutons, le cahotement d’une faucheuse sur la route, la voix claire d’un coq dans une cour de ferme. Il faut attendre que la nuit soit vraiment tombée pour que s’allume ici et là quelque modeste lumière. Point de foule. Il n’y a de pressés les uns contre les autres que les blés, les avoines ou les orges.

     Jadis les communications étaient rares entre la ville et la campagne. L’opposition entre les deux tableaux ne s’offrait que rarement aux yeux des paysans et des villageois. Beaucoup d’hommes et de femmes quittaient la vie sans avoir vu d’autre clocher que celui de leur petite église. Avec le XIXe siècle tout changea; le chemin de fer fit abandonner la diligence; en quelques heures on put parcourir un trajet qui demandait autrefois une journée ou davantage; les usines qu’on construisait un peu partout établirent des rapports réguliers entre les grands centres et les provinces éloignées, il y eut une sorte de drainage qui s’accomplit d’abord avec lenteur, et qui bientôt s’accéléra de telle sorte qu’on fut surpris qu’autant de jeunes gens quittassent les champs pour aller chercher une place, une situation, un emploi à Paris, à Bordeaux, à Lille, à Marseille. L’automobile en facilitant encore plus les déplacements fit sentir d’une manière plus vive entre la campagne et la ville, et la tentation devenant plus fréquente, nous assistâmes à un véritable exode rural.

    Sans doute la vie d’usine et de bureau n’offrait-elle point que des avantages. Mais il faut reconnaître qu’on faisait l’impossible pour la rendre agréable. De tout temps on a plutôt favorisé les gens des villes que ceux des campagnes. Le pouvoir craint le mouvement des foules, et dans une ville, il est aisé de grouper des hommes, de les exciter, de monter leur esprit et de les faire sortir de leurs maisons. Dans les campagnes il n’en va pas de même. Il faut aller de village en village, se transporter dans des lieux fort éloignés les uns des autres, convaincre des esprits, généralement ennemis de tout désordre, et vaincre l’attachement à l’habitude.

     Aussi l’émeute, l’insurrection, la révolte sont-ils presque toujours nés dans les villes, ou l’air lui-même et la vie qu’on y mène sont peu favorable au sain équilibre des nerfs. C’est pour éviter ce désordre que les gouvernements accordent généralement à ceux qui les habitent un traitement préférentiel. Rome se défendait contre les mécontents en leur donnant du pain et des jeux «panem et circenses». C’était là une expression imagée, qui sous-entendait toutes sortes d’avantages. Les grandes villes l’ont imitée. Sans doute le temps a-t-il apporté des transformations, on ne va plus au Cirque assister au combat de bêtes fauves, à des luttes entre gladiateurs et rétiaires, à des courses de chars, mais on va au cinéma pour suivre les péripéties d’un drame policier, dans une salle de sport pour voir sur un ring les évolutions de deux boxeurs, dans un vélodrome pour applaudir l’audace des motocyclistes sur une piste. Le plaisir qu’on a voulu susciter est toujours le même. Il convient avant tout de distraire les masses. Une ville ne s’ingénie qu’à multiplier les distractions pour ses habitants.

     Les hommes se sont toujours laissé tenter. Il est rare qu’ils aient jamais aperçu derrière le plaisir factice du moment l’ombre douloureuse du lendemain. Tout ce mouvement vers les villes a causé les perturbations dont nous souffrons aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, c’est une chose sérieuse que la vie. Elle exige tôt ou tard qu’on s’impose des disciplines, si l’on veut qu’elle soit saine et digne.

     La campagne pendant des siècles fut la grande régulatrice de la vie sociale. Elle dominait le pays, lui gardait sa grandeur et sa sévérité. Dans presque toutes les classes de la société, il y avait un rattachement direct au sol. La plupart des gens ne la quittaient quelque temps que pour y revenir un jour. Dans ses mœurs plus simples, dans son travail obscur et patient, les familles ne cessaient de refaire leurs forces et leurs énergies. C’était le réservoir naturel où la France trouvait toujours les hommes nécessaires à ses entreprises. Les grandes villes n’entrainaient pas vers elles le corps tout entier de la nation, la campagne aimée et respectée maintenait pour lui l’équilibre vital.

     L’œuvre de demain, celle où sont déjà venus se ranger les «ateliers de la jeunesse», sera de restaurer complètement cet équilibre et de le mettre à l’abri des instabilités qui faillirent le compromettre pour toujours. Dans l’atmosphère des villes surpeuplées, les français s’affaiblirent et s’usèrent; ils y perdirent leur virilité; au milieu des labours et des semailles, parmi le blé qui lève, dans la lumière chaude des moissons, avec les soleils d’automne sur les pampres rougis, dans ces retours des saisons qui donnent au travail de la terre une heureuse variation qui fortifie et vivifie l’être tout entier, les jeunes français reconquerront leur patience, leur courage et leur foi, ces trois vertus que tout paysan porte en lui et qu’il a puisées dans la terre elle-même, éternellement généreuse et féconde.

P. Lejeune.
     * Les Ateliers de la jeunesse paraissent une institution préexistante au régime de Vichy puisqu’on en parle dès l’époque du Front populaire (B.G.)

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AVEC UN CHEF

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 42, samedi 14 décembre 1940
     On ne prolonge pas indéfiniment le désordre et le chaos. Un jour vient où les hommes d’une société sentent qu’il est nécessaire de rétablir une hiérarchie et d’imposer entre eux les bienséances et le respect. Pour construire un édifice toutes les pierres ne peuvent pas être jetées pêle-mêle, il faut qu’elles soient placées dans un ordre rigoureux, chacune à leur place, et que les unes soient en bas et les autres en haut. Toutes concourent à la même tâche, mais elles ne le peuvent faire au même endroit. Il y a un soubassement comme il y a un couronnement de l’édifice. Dans une société il est est tout de même, et quand sous des prétextes divers on ne veut plus admettre cette vérité élémentaire que tous les hommes ne peuvent être sur le même plan, on tombe dans la pire des calamités: l’anarchie.

     Depuis quelques années nous en prenions le chemin. Toute autorité se voyait compromise; obéir et commander étaient deux mots en passe de ne plus être français. On s’ingéniait à persuader les gens qu’il y avait dans l’obéissance un abaissement, une dégradation pour l’homme. Certaines gens auraient cru qu’ils abdiquaient leur dignité de citoyen s’ils avaient enlevé leur casquette ou leur chapeau à une personne plus âgée qu’eux, ou qui par son poste, sa situation ou son emploi méritait quelques égards. L’impolitesse était une marque d’indépendance. Des esprits mal formés prenaient pour un défi courageux ce qui n’était qu’une absence d’éducation. Des journaux n’étaient point fâchés que des écoliers fissent pleuvoir des pierres sur un buste de La Fontaine, parce qu’on les obligeait à apprendre des fables; ils témoignaient ainsi, disaient-ils, de la verdeur de leurs sentiments et de leur résistance à se laisser passer un joug*.
     * Je n’ai rien trouvé sur ce fait divers. On notera que plus récemment c’est un président de la République qui s’en est pris à Mme de La Fayette (B.G.)
    C’était comme un prurit d’irrespect. On ne pouvait supporter aucune préséance, pas plus celle de l’intelligence et de la valeur, que celle du dévouement ou du travail. Tout le monde devait être jeté dans le même sac, pêle-mêle, à la façon de ces objets hétéroclites que ramasse au petit jour l’humble crochet des chiffonniers. Que serait-on devenu si l’on avait permis à un homme de développer sa personnalité, de faire valoir ses qualités supérieures et d’assurer son pouvoir? Tout le régime aurait risqué d’en être compromis. Un chef aurait pu surgir, un chef qui aurait donné des directives, des instructions et des ordres, réprimé les insubordinations aussi bien que les abus, corrigé les négligences, exigé l’effort et qui n’aurait point subi les influences secrètes et puissantes des organisations, qui sous des prétextes politiques, ne poursuivaient que des fins égoïstes et personnelles.

    On voulait créer une sorte de collectivité grouillante, amorphe, assez semblable à un amas de larves qui se déplacerait d’un mouvement inconscient suivant un jeu de volontés onduleuses et fluentes. Pas de chef qui conduise, qui montre la voie, qui anime et entraîne. Pour dissimuler l’ombre du pouvoir, dont quelque personne pouvait être investie, on lui donnait sournoisement un titre bénin, incolore, une appellation plutôt qu’un titre: représentant, délégué, secrétaire.

     Prendre l’allure d’un chef effrayait ces âmes pusillanimes, qui n’osaient donner des ordres qu’à la condition d’en avoir obtenu l’autorisation. Ils allaient quêter leur pouvoir, ou plutôt leur mandat, car ils voulaient laisser entendre qu’ils demeuraient dans une dépendance parfaite à l’égard de ceux qu’ils allaient conduire*. Tout l’art de ces soi-disant conducteurs consistait à suivre les mouvements de leurs troupes et à se mettre en posture de ne les jamais contrarier. S’ils orientaient un peu leur marche c’était sournoisement, d’une manière toute cachée, sans qu’on puisse deviner la légère pression qu’ils opéraient. Chaque fois il fallait trouver un nouvel artifice, une piperie inédite; l’hypocrisie et le mensonge étaient d’un usage si courant et si naturel qu’on n’en sentait plus l’ignominie.
     * Il me semble qu’on a là ici une critique de fond contre la démocratie en elle-même (B.G.)
     Comment les âmes auraient-elles pu garder la moindre élévation dans un milieu saturé de lâches complaisances et d’insidieuses faussetés? La franchise passait pour un ridicule, et le caractère pour une tare. Dans le pays qui vit naître Corneille et Molière, Rodrigue devenait un imbécile et Alceste un bélitre*. Tout acte généreux qui rompait avec le concert sournois des intérêts privés était considéré comme une abusive grossièreté. Aussi pour permettre toutes les intrigues et toutes les combinaisons ne fallait-il point surtout qu’un chef vint à paraître. Un homme qui saurait prendre toutes ses responsabilités, qui agirait par lui-même, qui ne ménagerait aucune coterie, aucune association, aucun assemblage d’intérêts, qui n’aurait pour souci que le bien public et la grandeur de l’État, un tel homme, qui serait un chef, qui en aurait l’âme et le caractère, détruirait d’un seul coup toutes les forces occultes qui opprimaient le pays, et qui épuisaient chaque jour sa substance. La venue d’un tel homme était donc pour tous ceux qui pratiquaient une politique d’appétits malsains et de profits suspects une sorte de malheur qu’il fallait à tout prix conjurer.



     * Don Rodrigue, héros du Cid, tragédie de Pierre Corneille (1637), Alceste, héros du Misanthrope, comédie de Molière (1666).
     Les événements sont plus forts que les combinaisons. Après nos revers la France comprit qu’il n’était possible que de se relever avec un chef. Comme suite à une sorte de tradition qui veut que dans nos désastres mêmes le pays échappe à la ruine totale, il s’est trouvé que, dans une époque où il semblait impossible qu’un homme ait gardé les qualités d’un chef, il était pourtant demeuré chez nous quelqu’un qui avait préservé de la sanie partout envahissante sa volonté, sa pureté de vue, sa noblesse de pensée et son inaltérable courage.

     Au Maréchal Pétain la France a confié son sort*.

     Dans de telles conjonctures, c’est une redoutable tâche que d’accepter d’être le chef de sa nation. Mais justement, c’est en quoi consiste le signe essentiel de celui qui sait commander: plus la tâche est haute, plus elle est à sa taille: non point qu’il ait aucune présomption, mais parce que plus l’effort est difficile et plus il plaît à sa volonté. C’est sa valeur qui lui fait accepter tous les risques et non point sa témérité. Il ne s’engage pas sur un terrain qu’il ignore, mais sur un terrain dont il connaît tous les détails parce qu’il n’a cessé de penser qu’un jour il y devrait manœuvrer. Il sait tout à la fois délibérer et donner des ordres. Nulle flatterie ne l’émeut, mais aussi n’entend-il flatter et séduire personne. Il a la force d’âme suffisante pour exiger des sacrifices raisonnables de ceux dont il a la charge, et pour leur refuser des satisfactions passagères, qui compromettraient les résultats acquis et ceux qu’il prépare. Il échappe à toute emprise parce qu’il ne considère point l’instable opinion des individus entraînés dans le tourbillon des désirs et des craintes immédiats, mais seulement le jugement calme et réfléchi de l’impartiale Histoire.
     * Lejeune retourne ici la ritournelle alors dans tous les esprits, selon laquelle le Maréchal a fait don de sa personne à la France (B.G.)
     Alors qu’avec une cohue de politiciens qui pâturaient le terrain des places, des recommandations et des influences, les Français ne savaient où se diriger, erraient comme un navire sans gouvernail, — un bateau ivre, suivant l’expression de Rimbaud, — avec un chef ils vont se ressaisir, reprendre le sens de l’énergie et de la propreté morales, refaire le pays tout entier.

     Ce n’est pas un paradoxe de dire que tant qu’il y a un chef, il n’y a rien de perdu. Le chef, en effet, peut dans les moments les plus critiques prendre des résolutions qui changent la face des choses, il peut rassembler les forces éparses, regrouper les unités perdues, et leur redonner une cohésion qui transforme leur puissance d’action. C’est avec un chef que les hommes ont toujours accompli de grandes choses: c’est avec le Maréchal Pétain que les Français sauveront encore une fois leur Patrie.

P. Lejeune.


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Le retour des cendres de l'Aiglon (cliché de l'Illustration)
L’Exposition publique du cercueil de bronze contenant les restes du Roi de Rome
dans la chapelle Saint-Louis des Invalides, le 15 décembre 1940
(cliché de L’Illustration n°5102 du 21 décembre 1940)

LE RETOUR DE L’AIGLON

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 43, samedi 21 décembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)


Sire, on vous a rendu votre fils bien-aimé*.

Nul ne pouvait penser qu’on aurait ranimé
Votre masque éclatant de gloire et de génie*,
Où la mort avait mis sa divine harmonie.
5
Il semblait désormais que pour l’éternité
Vous garderiez ce front d’ordre et d’autorité,
Qui pouvait, sans que nul ici-bas vous seconde,
Sans peine et sans effort embrasser tout un monde.
Loin du rocher cruel qui vous retint captif*,
10
Nul ne devait troubler votre sommeil pensif.
Reposant pour toujours au fond de votre crypte
Parmi vos souvenirs d’Italie et d’Egypte*,
Vous suiviez seulement, dans la neige* ou l’azur,
De vos aigles partout le vol puissant et sûr,
15
Qui sur les monts glacés ou les déserts de sable
Promenaient largement leur gloire ineffaçable.
Pour votre Majesté tout était révolu,
Vous dormiez dans le lieu que vous aviez élu,
Et rien ne pouvait plus sous le bloc de porphyre
20
Émouvoir un moment votre pâleur de cire.
Quel que fût près de vous l’illustre visiteur,
Qu’il fût poète ou roi, savant, prince, empereur,
Que l’on multipliât l’honneur ou la louange,
Pour mieux manifester votre destin étrange,
25
Depuis cent ans* ici tout venait se heurter
Au sommeil immortel de votre Majesté,
Pourtant quand les années ont accompli ce nombre,
Vos cendres tout à coup ont tressailli dans l’ombre.
Un rêve du passé plus vif, plus évident,
30
Soulevait-il en vous votre cœur haletant?
Vous croyiez-vous encor sur les champs de bataille,
Dirigeant vos soldats, et parmi la mitraille
Sous un soleil ardent, ou sous un ciel brumeux,
Au milieu des canons, des cavaliers poudreux,
35
Jetant négligemment d’un grand geste de gloire
Une page nouvelle au livre de l’Histoire?
Toute votre jeunesse en un élan hardi
Paraissait-elle à vous sur le pont de Lodi?*
Était-ce, sous la voûte immense des épées,
40
Des lances, des drapeaux, le vent des épopées?
Ou bien à Notre-Dame un cortège éclatant
Saluait-il en vous l’Empereur d’Occident?*
Refaisiez-vous encor vos entrées triomphales,
Au hasard des combats, dans tant de capitales?
45
Entendiez-vous enfin cette immense clameur
De vos vieux grenadiers saluant «l’Empereur!»?
Non Sire, vous n’aviez ni grandeur ni superbe;
Comme le paysan qu’on a couché sous l’herbe,
Hors des cris, du tumulte, et des sourds grondements,
50
Vous reposiez parmi la paix des ossements.
Ce qui vous réveilla dans la nuit sépulcrale
Ce ne fut pas un bruit de canon ni de balle,
Un cliquetis de sabre, un assaut d’escadrons,
Un fracas d’étriers, de sabots, d’éperons,
55
Tout un galop épars de vaste chevauchée
Emportant dans ses rangs la victoire arrachée,
Ce ne fut pas l’écho d’Arcole* ou d’Austerlitz*,
Ce fut dans cette nuit simplement: votre fils.

Un siècle avait passé. Dans votre longue attente
60
Celui, dont le portrait si souvent sous la tente
Avait illuminé vos yeux désenchantés,
Venait après cent ans se mettre à vos côtés.
Le Duc en habit blanc, ou celui que l’on nomme
Encore parmi nous le petit roi de Rome*,
65
Près de votre tombeau venait se consoler
D’avoir pu dans la mort même être un exilé*.
Et vous, Sire, éperdu d’amour et de tendresse,
Sur vos lèvres brisant le sceau dur qui les presse,
Vous n’avez, les deux mains sur votre cœur tremblant,
70
Répété que ces mots: «Mon enfant, Mon enfant.»
 
     Vers 1: Le 15 décembre 1940, les cendres de l’Aiglon, alias Napoléon II, jusqu’alors conservées en Autriche, furent transférées solennellement au Panthéon. Ce geste politique d’Hitler en direction de Pétain, qui le remercia, eut des conséquences compliquées à Vichy, dont découla l’éviction provisoire de Laval.

     Vers 3: Philippe Legendre, fils de l’auteur, m’a confirmé le 22 août 2012 que son père était un admirateur décidé de Napoléon Bonaparte, qui lui inspira après guerre le texte d’une pièce de théâtre restée inédite..




     Vers 9. L’île de Saint-Hélène.


    Vers 12. la campagne d’Italie eut lieu en 1796-1797, et celle d’Égypte de 1798 à 1801.
     Vers 13. Allusion à la campagne de Russie en 1812.












     Vers 25. Le transfert des cendres de Napoléon de saint-Hélène au Panthéon avait eu lieu le 15 décembre 1841.












     Vers 38. La victoire de Napoléon au pont de Lodi le 10 mai 1796 conclut glorieusement la deuxième partie de la campagne d’Italie.


     Vers 41-42. Allusion au sacre de Napoléon à Notre-Dame de Paris le 2 décembre 1804.















     Vers 57. La victoire du pont d’Arcole a eu lieu le 17 novembre 1796 lors de la première campagne d’Italie. Celle d’Austerlitz en Tchéquie le 2 décembre 1805.





     Vers 63-64. Le titre de roi de Rome, prévu par la constitution impériale de 1804, fut attribué dès sa naissance en 1811 à Napoléon II (qui fut par ailleurs officiellement empereur à deux reprises lors après les deux abdications de son père, soit du 4 au 6 avril 1814 et du 22 juin au 7 juillet 1815).

     Vers 66. Prince français en exil à la cour d’Autriche (1815-1832), il avait été enseveli à Vienne dans la crypte des Capucins.
P. Lejeune.


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AU TEMPS DES RONDES

L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 44, samedi 28 décembre 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     Noël! Noël! Au gui l’an neuf! Vieux cris qui sont venus jusqu’à nous au travers des siècles, et qui malgré que nous n’en fassions plus usage, conservent une saveur agreste et rustique, qui s’accorde avec l’odeur résineuse des pins et la senteur fumeuse des bûches; c’est ainsi qu’autrefois le gentil peuple de France chantait ses joies et clamait ses espérances. Peuple léger peut-être, insouciant sans doute, mais qui jusqu’en sa détresse et ses douleurs gardait une foi naïve dans la Providence, et trouvait dans sa mémoire quelque vieil air pour tromper ses ennuis et mettre à travers ses pleurs la grâce d’un sourire.

     Tout n’a pas été pour le mieux dans notre pays, et quand on relit l’Histoire on s’étonne presque d’y trouver tant de pages tristes, amères, voire même sanglantes, tant de colères et tant de passion. Pourtant, même aux plus sombres jours il y eut quelque part en notre pays des gens qui conservèrent un aloi de gaieté franche et sincère, qui redonnait aux cœurs du courage, et qui les empêchait de tomber dans un désespoir farouche et brutal.

     Nos gens de métier et nos paysans n’oubliaient pas au milieu des misères du temps qu’il faut encore garder un peu de bonne humeur, et que, tels les pommiers qui dans un mois d’avril grincheux et bourru ont des fleurs sur leurs branches, on peut encore avoir une chanson aux lèvres quand les événements sont pénibles et durs. Dans nos vieilles villes et dans nos villages le caractère des maisons, des cours et des boutiques avait toujours quelque chose de plaisant et d’ouvert, et les enseignes qui se balançaient au vent invitaient les chalands d’une si aimable manière qu’ils ne manquaient point de s’y arrêter. Les foires étaient pour les contrées et pour les provinces des occasions de se rencontrer, de revoir ses amis, de «humer le pio* parmi les bruits pacifiques des bêtes qui venaient des fermes, veaux, vaches, cochons, chevaux, bœufs, dindons, oies et canards, les uns meuglant, les autres hennissant, ceux-ci glougloussant, et ceux-là couincouinant, tandis qu’un maître Aliboron** ne manquait point à certains intervalles de ponctuer le vacarme par un braiement autoritaire et sonore. — «Ce jour-là, dit le vieux chroniqueur, parlant d’une foire en notre pays, il y avait grand’foison de marchands étrangers en cette ville; et vous savez que marchands quand ils se trouvent ensemble et ils se sont vus de grand temps, boivent par usage largement et longuement pour entre eux faire bonne compagnie.»***

     Faire bonne compagnie! N’est-ce pas quelque chose qui soit plein d’évocations et d’invitations que ce simple rappel des us et coutumes du peuple français. On ne se réunissait pas pour échanger des plaintes, s’envenimer le cœur de dires et de propos quinteux, de récriminations coriaces, de maléfiques déclarations, on entendait s’esjouir et s’esbaudir aux récits, contes, petites histoires et joyeusetés qui délassaient l’esprit, et en déliaient les fils, comme on dénoue les cordons de la bourse au jour des cadeaux.

     * Humer le piot: boire du vin (B.G.)

     ** Maître Aliboron: ces mots désignaient au moyen âge une personne aussi savante que l’arabe Al Birouni, contemporain d’Avicenne, mais depuis que La Fontaine l’a appliqué ironiquement à un baudet dans sa fable Les voleurs et l’âne, il désigne plaisamment ce dernier dans l’usage courant. (B.G.)

     *** Voici le texte exact de Jean Froissard (v.1337-après 1404) ): Avint que ce jour de la mie-août, il y avait grand’ foison de marchands étrangers de Foix, de Bern ( Bearn ), de France en cette ville; et vous savez que marchands quand ils se trouvent ensemble et ils ne se sont vus de grand temps, boivent par usage largement et longuement pour entre eux faire compagnie (éd. Yanovski, Paris, Firmin-Didot, 1865, p. 397).
     Nul ne s’entendait mieux à ces façons de bonne humeur que les joyeux garçons qui s’exerçaient aux discours et vers latins sur la Montagne Sainte-Geneviève, et qui pendant plusieurs années s’entraînaient à pénétrer les secrets des sept arts, d’abord ceux du trivium qui comprenaient la grammaire, la rhétorique, la dialectique, puis ceux du quadrivium qui comprenaient l’arithmétique, la géométrie, la musique, l’astronomie*. C’était là les meilleures années de leur vie, celles qui fourniraient matière à toutes sortes de contes et anecdotes, dont plus tard, retirés dans quelque bonne ville provinciale, ils réjouiraient leurs auditeurs à la veillée. Nantis de connaissances, sachant «trive et cadrive» ils s’en allaient à travers la France et l’Europe répandre les doctes leçons qu’ils avaient apprises en ce quartier de Paris, qui depuis des siècles est devenu fidèle à sa destination de petite cité enseignante. Ils n’en perdaient jamais la mémoire, et si d’aventure ils se rencontraient plus tard à Vienne, à Rome ou à Jérusalem, ils se disaient l’un à l’autre, en se remémorant le temps délectable de leur jeunesse, «nos fuimus simul in Garlandia» «nous avons été ensemble en Garlandie». Ils avaient en commun goûté le plaisir d’apprendre au pays de Garlande, dont le nom devenu Galande se lit encore aujourd’hui au coin d’une petite rue, près des bords de la Seine.
     * Lejeune retrace ici ce qu’était la vie des étudiants européen au Quartier Latin durant le moyen âge classique. On remarquera que la distinction entre le trivium et le quadrivium a été élaborée au tout premier commencement du moyen âge par le même Boèce auquel il a fait une allusion élogieuse dans son éditorial du 16 novembre (B.G.)

     C’étaient eux avec nos marchands qui ne craignaient point de passer monts et rivières, qui faisaient connaître ce langage françois, que par tout le monde on aimait à entendre parler, pour ce qu’on lui trouvait de gentillesse, de grâce, de douceur melliflue*, de saveur piquante aussi, car tout se prête en ce beau langage aux nuances et variétés et il semblait qu’il fût fait pour venir naturellement succéder à celui des grecs et des romains.
     * Doux comme le miel (B.G.)
     En ce temps les gens de France n’étaient point parfaits, et ils appartenaient bien à cette nature humaine, à qui ce serait perdue que de demander qu’elle s’amendât si bien que comme une terre, retournée, soignée et engraissée, elle ne produisît que de bons fruits. A toutes les époques les vices et les vertus se mêlent et s’entrecroisent à la manière de la trame et de la chaîne, faisant pourtant un tissu différent, suivant l’art de celui qui tisse l’étoffe. Et il semblait alors que le tisserand eût donné aux français quelque tour particulier, qu’on ne voyait point aux autres. C’était parmi tous leurs travers en certain air d’amabilité qu’il suffisait de quelques paroles bien dites pour faire immédiatement apparaître, comme il suffit d’une faible lumière pour faire chatoyer la gorge de certains pigeons. Leur dureté n’était que superficielle, ils n’avaient une méchanceté persévérante, opiniâtre, que rien ne peut amollir, ils se laissaient toucher par la misère, émouvoir par la peine, et quand ils avaient fait quelques mauvais tours, voire quelques mauvaises actions, ils en témoignaient affliction et repentir, comme notre François Villon*, qui ne fut certes pas le meilleur garçon du monde, mais dont le cœur ne cessa d’être pitoyable**. Ne le fallait-il point pour qu’il s’attendrît comme il a fait sur le temps de sa jeunesse:
Mais quoi? je fuyois l’escolle,
Comme fais le mauvais enfant.
En excripvant cette parole.

A peu que cueur ne me fent.

Ne montrait-il point des sentiments d’une touchante émotion dans sa ballade des pendus:
Frères humains, qui après nous vivez,
N’aiez les cueurs contre nous endurcis.
     * François Villon (1431-après 1463) (B.G.)
     * Épouvant de la piété, autant qu’en inspirant (B.G.)

     Et cette autre ballade des dames du temps jadis n’est-elle pas pleine de mélancolie? Depuis des siècles on l’a répétée et chacun s’est redit à certaines heures ce vers qui exprime si bien le peu qui reste des choses et des hommes:
Mais où sont les neiges d’antan?

     Il se faut garder d’oublier encore cette attitude de chevalerie qui rassurait toujours dans la plupart des divisions politiques et des guerres quand on avait affaire à des Français. La plupart d’entre eux restaient fidèles à cet idéal de dévouement qui les engageait à venir au secours de ceux qui souffraient et pleuraient, des femmes abandonnées et des orphelins sans défense. Au fond de leur cœur ils combattaient pour le droit sciemment violé; c’était au service de la cause honorable et juste qu’ils entendaient mettre leur lance et leur épée.

     Ainsi, bonne humeur, gaieté, chevalerie s’unissaient-ils pour former un caractère, qui se retrouve dans nos arts et notre littérature d’autrefois, et qui leur donne une si franche et vivante couleur. Une sorte de candide jeunesse présidait au destin de la France. Anacréon disait autrefois: «les muses ont lié l’amour avec des fleurs»*; il semble que ce fussent des liens aussi charmants qu’elles aient passé autour du pays de Loire, de Bretagne et de Provence.
     * Anacréon (550-v. 464 av. J.-C.), poète lyrique grec, poème XXX (B.G.).

     Comme l’image même de cette ceinture avenante dont la France aimait entourer ses trésors multiples et variés, les enfants et les jeunes filles dans les villes, bourgs et villages, à toute heure, en toute saison, faisaient sur les pavés du roi, sur les chaussées fleuries, et sur les petites places ornées de fontaine d’eau fraîche, des rondes chantantes qui menaient à travers l’année leur bruit de tendre et enjouée vaillantise*.
     * On corrige ici une coquille (enjouées); vaillantise est une forme archaïque et poétique de vaillance (B.G.).
     Des airs simples, éclos sur les lèvres enfantines comme des pâquerettes sur une pelouse d’avril, répondaient aux grelots des postillons* qui passaient avec un grand bruit sur la route. Les joies de l’enfance enchantaient les soucis et les peines de leur douce et incomparable magie. Se tenant par la main, laissant leur petit cercle tantôt s’étendre et tantôt se rapprocher, au gré de leur improvisation ingénue, leurs lèvres dessinant à peine la pure inflexion des mots, leurs regards clairs comme des sources, les petites filles de France chantaient dans toutes nos provinces, de l’Ile-de-France à la Guyenne, de la Normandie à la Bourgogne.

     * Les voitures qui portaient les courriers et transportaient les voyageurs étaient autrefois équipées de grelot qui annonçaient leur arrivée (B.G.).
     La plupart de ces rondes ce sont perdues. Elles sont parties avec ces dames du temps jadis, et nous n’avons guère plus de chance de les retrouver jamais. Quelques-unes portant sont venues jusqu’à nous, mais elles sont moins anciennes, et ne remontent pas si loin dans notre histoire. Qu’elles ont de charme encore, et comme on voudrait entendre tout à coup sur la petite place d’un village, entre deux vieilles maisons, des enfants qui chanteraient en dansant en rond:
Nous n’irons plus au bois,
Les lauriers sont coupés,
     et plus loin dans un bourg:
Au jardin de mon père, vole, mon cœur vole,
     enfin dans la petite ville d’autrefois:
La tour prends garde, de te laisser abattre.
     S’il était possible de faire un voyage au pays des rondes, qui de nous ne voudrait se mettre en route pour rafraîchir son âme et son cœur aux grâces et naïvetés, qui jadis, comme les pommiers fleuris et les chasselas dorés, étaient si naturelles au doux pays de France?

P. Lejeune.


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ANNEXE
Notice sur le nouveau maire et son équipe
(Abeille d’Étampes du 31 août 1940)


Lejeune, Chavigny, Fontant, Lerebour et Audemard
Lejeune, Chavigny, Fontant, Lerebour et Audemard (cliché publié par René Collard)


A LA MAIRIE D’ÉTAMPES L’Abeille d’Étampes, 128e année, n° 27, samedi 31 août 1940 (saisie de Bernard Métivier)
     M. Billecard, Préfet de Seine-et-Oise, s’est rendu le 22 août à Étampes, accompagné de M. Junot, chef-adjoint de cabinet. En raison de la situation nouvelle créée par les événements, le Préfet a reçu la démission de M. Liger et des membres du conseil municipal. Après avoir vivement félicité le Maire et ses collaborateurs d’avoir accepté de prendre en des circonstances difficiles la direction de la ville, le Préfet les a remerciés de leur décision de démission prise dans l’intérêt général.

     M. Pierre Lejeune, qui a assuré ses fonctions d’administrateur provisoire de la ville dans des moments tragiques a été aussitôt désigné par le Préfet pour prendre le poste de Président de la Délégation Spéciale Municipale.


     M. Lejeune sera assisté dans sa lourde tâche par MM. Ulysse Pillas, Charles Chavigny, Pierre Fontant, Alfred Lerebour et Pierre Audemard (1).

     Après une prise de contact entre les membres de la municipalité démissionnaire et M. Lejeune, qui s’est effectuée en présence de M. le Préfet, et dans un esprit de concorde indispensable aux heures graves que nous vivons, celui-ci a félicité M. Lejeune pour la compétence et le dévouement dont il a fait preuve pour l’administration de la ville.

     Le Préfet a ensuite visité les services municipaux.

     (1) Ces nominations ont fait l’objet d’un arrêté pris par M. le Préfet de S.-et-O., le 28 août dernier (Note de l’Abeille). [Cet arrêté a étét transcrit dans le registre des délibérations municipales que nous avons mis en ligne, ici.]
M. Pierre Lejeune

     Peut-être est-il utile, à cette occasion, de faire mieux connaître le Président de la Délégation Spéciale Municipale à nos concitoyens, encore que pas mal d’entre eux aient eu maintes raisons de l’approcher depuis sa désignation comme Commissaire-Maire et qu’un certain nombre aient eu le plaisir d’avoir affaire à lui depuis sept ans qu’il est installé à Étampes.

     M. Lejeune est né en 1885. Après de brillantes études à Paris, il obtint son doctorat en droit en 1908. Il fit toute la guerre de 1914 à 1919 et, à son retour, reprit sa place à la distillerie édifiée par son père à Montrouge.

     De 1924 à 1935, il est successivement juge, puis Président au Tribunal de Commerce de la Seine. Il devient ensuite professeur au cours de litiges commerciaux de 1931 à 1936 à la Chambre de Commerce et de 1936 à 1939 au Tribunal de Commerce.

     Au cours des années 1936 et 1937, il est désigné comme Arbitre dans les litiges du travail où il donne la pleine mesure de son esprit à la fois équitable, ferme et conciliateur.

     Enfin, il est Président du conseil d’administration de la Banque Populaire de la Région Sud.
Outre les qualités de juriste, d’économiste et d’administrateur que nous lui connaissons, M. Lejeune possède aussi bien des qualités littéraires de premier ordre.

     En dehors des articles que nos lecteurs peuvent apprécier chaque semaine dans l’Abeille, sous sa signature il en a publié d’autres dans de nombreux journaux et revues ainsi qu’un roman intitulé Guite et Alexandre, dans la Revue Belge et chez l’éditeur Rieder.

     Enfin, mentionnons que notre Président de la Délégation municipale, chevalier de la Légion d’honneur, est un fervent sportif. Ancien Président du Cercle Athlétique de Montrouge, il a acheté et aménagé dans cette ville — dont son père fut maire durant douze années — un stade comportant un terrain de football, une piste cendrée, des jeux de boules, des douches, etc.

     Voilà qui, nous en sommes convaincus, fera plaisir à nos sportifs locaux, lesquels vont trouver à la Mairie un esprit compréhensif et un incomparable animateur.
Pierre Lejeune en 1941
M. Pierre Lejeune
Abeille d’Étampes du 31 août 1940

     Nos lecteurs connaissent maintenant leur Administrateur municipal qui, comme on le voit, à toutes les qualités requises pour mener à bien les affaires de la ville. Lorsqu’au cours des relations qu’ils auront l’occasion d’avoir avec lui, ils auront mesuré toute sa droiture, sa courtoisie, sa bonne humeur, son entendement, sa bonté, ils s’efforceront à leur tour de mériter sa sympathie qu’il est disposé, nous le savons, à ne point marchander aux Etampois au milieu desquels il est venu volontairement se fixer il y a sept ans avec sa charmante femme et ses trois fils, et auquel il entend consacrer toute son activité et tout son cœur.

M. Charles Chavigny

     Point n’est besoin, n’est-ce pas, de présenter notre ami Charles Chavigny à nos lecteurs? Ils le connaissent depuis toujours. On se rappelle son brillant succès aux dernières élections cantonales. On peut dire qu’il est peut-être l’homme le plus populaire du canton et cette popularité se suffit à elle-même.

M. Ulysse Pillas

     M. Ulysse Pillas — papa Pillas — comme on l’appelle, n’est pas moins estimé et connu. Il est depuis longtemps à la Mairie d’Étampes et les affaires municipales n’ont pas de secret pour lui. Sous une écorce un peu rude, il cache un esprit subtil et un excellent cœur qui lui ont valu l’estime générale.

     Ulysse Pillas est chevalier de la Légion d’honneur. Chacun sait qu’en qualité de premier Adjoint au Maire, il demeura à son poste dans notre ville durant les tragiques journées de juin dernier.

M. Pierre Fontant

     M. Fontant est également depuis trop longtemps dans notre ville pour qu’il soit besoin de le faire connaître. Directeur de la fonderie Lory, il a su déployer dans ses fonctions les plus hautes qualités d’intelligence, d’organisation, de méthode et d’entr’aide sociale. Il est le fondateur et Président à étampes, du Groupement patronal aussi bien chargé de la défense des intérêts ouvriers que ceux des employeurs. Enfin, esprit lui-même sportif, il n’a cessé de favoriser la pratique du sport chez ses collaborateurs.

     M. Pierre Fontant est chevalier de la Légion d’honneur et mutilé de la guerre 1914-1918.

M. Alfred Lerebour

     M. Lerebour est particulièrement connu des cultivateurs auprès desquels il exerce ses fonctions de Président du Crédit Agricole. Il est lui-même d’une vieille famille agricole infiniment laborieuse et estimée. Ses avis ses conseils, sont frappés au coin d’une vieille et savante expérience. Nul doute qu’il ne rende les plus grands services dans ses nouvelles attributions.

M Pierre Audemard

     Tout le monde connait Pierre Audemard à Étampes et nul n’a pu jusqu’ici refuser sa sympathie à ce brave garçon travailleur, d’esprit jeune, chic type, toujours prêt à rendre service.

     Petit artisan, il symbolise la France laborieuse, ingénieuse de demain que les pouvoirs publics devront avoir à tâche d’honorer et d’encourager, si elle veut retrouver son atmosphère d’indépendance et de prospérité.

     En invitant le modeste et jeune artisan qu’est Pierre Audemard à se joindre à la Délégation Spéciale municipale, M. Lejeune a fait acte de bon administrateur qui entend ne négliger aucun concours social et professionnel, sous la seule condition qu’il lui soit fourni par de généreux et honnêtes citoyens.


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     Les commerçants (24 août 1940) Le travail unanime (31 août 1940) Droits et reconnaissance (7 septembre 1940 Allocution aux jeunes gens (7 septembre 1940) — L’exemple (14 septembre 1940) —  Allocution aux jeunes filles (15 septembre 1940) — S’adapter (21 septembre 1940) Notre faiblesse (28 septembre 1940) Activité (5 octobre 1940) L’honnêteté (12 octobre 1940) Pour la rentrée des classes (19 octobre 1940) Lamartine (26 octobre 1940) Le Maréchal (9 novembre 1940) Maintenir (16 novembre 1940)L’unité française (30 novembre 1940) L’équilibre vital (7 décembre 1940) Avec un chef (14 décembre 1940) Le retour de l’Aiglon (21 décembre 1940) Au temps des rondes (28 décembre 1940)  Annexe: Notice sur Pierre Lejeune et son équipe (31 août 1940).


La suite de ces éditoriaux sera mise en ligne dès que possible.

BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
 
Éditions
     
     Pierre LEJEUNE (maire d’Étampes),
Divers articles, in Abeille d’Étampes, 1940.
  
     Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Lejeune: Éditoriaux publiés sous l’Occupation allemande. I (Abeille d’Étampes, 1940)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-20-pierrelejeune1940editoriaux.html, 2012.
    
Autres écrits de Pierre-Ulysse Lejeune

     Pierre LEJEUNE, Droits et obligations des directeurs de théâtre envers les auteurs. Thèse pour le doctorat [in-8°; 142 p.; thèse soutenue à la faculté de droit de l’Université de Paris], Paris, Arthur Rousseau, 1908,

     Pierre LEJEUNE, Guitte et Alexandre ou les bonheurs séparés [in-16 (19 cm); 205 p.; roman], Paris, Rieder [«Prosateurs français contemporains»], 1929.

     Philippe LEJEUNE (artiste peintre, fils de l’auteur) [éd. & illustrateur], Pierre-Ulysse LEJEUNE (1885-1958) [auteur des sonnets], Via crucis [23 x 31 cm; non folioté; 19 folios de sonnets & 15 folios de planches (correspondant aux 14 stations du chemin de croix catholique, plus une eau-forte de Philippe Lejeune signée, La Déposition); 75 exemplaires numérotés], Paris, Mémoire vivante, 1999.

     Philippe LEJEUNE [éditeur et illustrateur], Pierre-Ulysse LEJEUNE (maire d’Étampes pendant l’occupation allemande) [auteur], Ulysse en prison [22 cm; 107 p.; il
ustrations en noir et blanc et en couleur de Philippe Lejeune; journal tenu en prison en 1944], Paris, Mémoire vivante, 2009.

 
Sur le pays d’Étampes de 1939 à 1945

     COLLECTIF, «Le Pays d’Étampes de 1939 à 1945», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-39-45b.html, depuis 2003.

   
Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.

  
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