L’ÉGLISE
ET SA TOUR PENCHÉE
En suivant la grande rue d’Etampes, dans
la direction d’Orléans, on arrive, après avoir traversé
une grande partie de la ville, dans un quartier où il y a un carrefour.
Sur la gauche, on aperçoit une église, l’église du
quartier, dite église Saint-Martin. Au coin du carrefour, sur le
mur d’un café, se trouve cette curieuse enseigne: «A la Pise
étampoise». Pourquoi cette enseigne? C’est que l’église
qui est toute proche a un clocher qui ressemble par son air penché
à la Tour de Pise. Tout le monde sait, en effet, qu’il y a en Italie,
à Pise, un clocher qui est penché. Ce clocher séparé
de l’église suivant l’usage italien, est connu sous le nom de «Tour
Penchée». Il date de 1174 à 1233. Il a 55 mètres
de hauteur et son inclinaison est de 4 m. 30. Et de ce fait, c’est une
curiosité célèbre.
Etampes peut se flatter aussi d’avoir sa
Tour Penchée, le clocher de 1’église Saint-Martin. Ce clocher
se trouve devant l’église. Il y eut d’abord un clocher dit de «la
Reine Blanche» qui existait au XIIIe siècle, au transept,
de droite, au-dessus de la sacristie actuelle. Ce clocher tombant en ruines,
on construisit un autre clocher à gauche du grand portail au XIVe
siècle. Mais l’église était bâtie sur un terrain
mouvant, et le nouveau clocher dans un mouvement d’affaissement entraînait
toute la partie de l’église sur laquelle il s’appuyait. Il fallut
le démolir et il fut remplacé au XVIe siècle par
celui que nous voyons aujourd’hui. Mais celui-ci ne résista pas
non plus à l’affaissement [p.200]
du terrain et pendant la construction il s’inclina.
Et comme l’inclinaison paraissait s’arrêter, on la rectifia à
moitié hauteur en terminant le clocher, ce qui donne au clocher une
courbure inusitée.
Et depuis ce temps le clocher n’a plus bougé.
Son manque d’aplomb est de 1 m. 12. Sa hauteur est de 40 mètres.
Il est moins important par conséquent que la Tour de Pise, mais
son inclinaison lui donne un caractère particulier qui le rend,
sinon célèbre, du moins original.
Nous avons dit que ce clocher date du XVIe siècle,
c’est-à-dire de l’époque de la Renaissance. Les sculptures,
qui sont au bas de la tour, sont bien de cette époque. Elles sont
d’une grande finesse surtout autour du portail qui communique avec l’église.
La tour est carrée et ses quatre
angles s’appuient sur des contreforts se terminant, au troisième
étage, par un rang de mâchicoulis, c’est-à-dire par
une sorte de balcon en pierres, avec des ouvertures, comme on en voit dans
les châteaux-forts, par où le défenseur faisait tomber
des projectiles sur l’assiégeant. Au-dessus de la tour est le
clocher proprement dit, l’endroit où se trouvent les cloches, avec
des fenêtres à abat-son.
Dans ce clocher, il y a trois cloches.
La grosse cloche porte l’inscription suivante:
«L’an 1862, je fus faite et nommée
Augustine par Alfred Louis de Poilloüe de Saint-Mars de Bierville,
président de la fabrique, et Marguerite-Augustine Mazure. — A.
Vié, curé; Doucet, Dorange, H. de la Bigne, Vte de Saint-Périer,
conseillers de fabrique; Hildebrand, à Paris.»
Cette cloche est ornée de quatre
grandes images gravées, représentant: le Christ et deux
anges, Saint Martin avec sa crosse, 1a Vierge et l’Enfant, et les armes
de l’Empire français.
Sur la moyenne cloche, on peut lire:
«L’an 1804, j’ay été
bénie par Jean-Claude Rigault, curé de cette paroisse et
nommée Nicolas-Marie par M. Etienne-Gabriel Nicolas de La Haye-Gabaille
et par dame Marie-Genêviève de Saint-Périer.»
La petite cloche porte cette simple inscription
en lettres capitales:
«L’an mil six cens je fuz faicte
pour la chapelle de Housse.»
Cette dernière cloche est la plus
ancienne. Elle n’était pas destinée au clocher de Saint-Martin,
mais à Housse qui est un village près de Liège. Comment
est-elle venue à Etampes ? On ne sait.
[p.201]
Remarquons que nous retrouvons dans les
parrains et marraines de cloches plusieurs noms de châtelains du
Petit-Saint-Mars. Voilà donc l’histoire et la description de la
Tour Penchée de Saint-Martin. Mais nous ne voulons pas terminer
sans rapporter son rôle important pendant la dernière guerre.
Les résistants d’Etampes avait installé à son sommet
un poste clandestin de T. S. F. qui permettait de correspondre avec l’Angleterre.
Le curé de Saint-Martin risquait gros si ce poste avait été
découvert par les Allemands. Aussi ce curé qui était
M. l’abbé Grossetête, décédé depuis quelque
temps à la maison de repos de Gérofosse, fut-il justement
honoré par le gouvernement français, qui lui a remis après
la guerre la Médaille de la Résistance. Tous les habitants
d’Etampes ont applaudi à cette récompense si bien méritée.
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DESCRIPTION, DIFFÉRENDS ENTRE CHANOINES ET
MOINES.
Après avoir regardé et
étudié le fameux clocher penché de l’église
Saint-Martin, examinons l’église dans son ensemble. Extérieurement,
elle a la forme d’un long rectangle terminé par une abside, c’est-à-dire
par une partie ronde, derrière le chœur, sur laquelle s’ouvrent
trois chapelles disposées en forme de trèfle. Sa longueur
est de quatre-vingts mètres, la largeur de trente-cinq mètres
et la hauteur sous voûte de dix-huit mètres. La superficie totale
donne 1.760 mètres carrés. C’est une grande église.
D’ailleurs, entrons dans le monument par
la petite porte de façade à gauche de la tour, et de suite
en nous plaçant sous la tribune nous avons une impression de grandeur,
de symétrie et de beauté. Nous voyons une large nef avec
bas-côtés à quatre travées; un transept qui
ne déborde pas à l’extérieur, et un chœur arrondi
entouré d’un collatéral qui en fait le tour et sur lequel
s’ouvrent les trois chapelles ou absidioles. Nous remarquons donc qu’en
suivant les bas-côtés on peut faire le tour de l’église
en passant derrière le chœur. C’est la seule église d’Etampes
disposée de cette façon. Notons en particulier la beauté
du chœur formé d’arcades s’appuyant sur de gros piliers qui alternent
avec des piliers jumelés. Et admirons au-dessus des arcades dans
le chœur et dans la première partie de la nef les belles sculptures
simulant des fenêtres de triforium. Le triforium, dans certaines [p.202] églises, est une
galerie au-dessus des voûtes des bas-côtés, éclairée
par des fenêtres donnant sur la nef. On peut distinguer trois styles
ou trois époques dans la construction de l’église: le style
roman de la fin du XIIe siècle dans les chapelles de l’abside et
la base du chœur, le style ogival du XIIIe siècle dans les parties
hautes du chœur et de la nef, et le style de la Renaissance au XVIe siècle
dans la façade et la Tour.
A qui a été confiée
cette grande et belle église? Il faut dire d’abord que le quartier
Saint-Martin est une vieille paroisse, puisqu’on disait autrefois en parlant
de ce quartier: «Estampes-les-Vieilles». L’historien Dom Fleureau
dit que «cette église est l’ouvrage de quelqu’un de nos
anciens rois, de la première ou de la seconde race, qui y avait
fondé douze chanoines et un abbé pour chef de chapitre,
qui furent tous supprimés et leurs prébendes données
à l’abbé et aux moines de Morigny par le roi Philippe Ier».
Il faut donc supposer qu’avant l’église
actuelle il y avait une église d’une certaine importance, desservie
par un Collège de chanoines. L’église était alors
église collégiale.
Mais ce changement entre chanoines
et moines dans la possession de l’église ne s’est pas fait sans
difficultés. Les chanoines de Saint-Martin, mécontents des
privilèges que le roi leur enlevait, firent ce qu’ils purent pour
indisposer le roi contre les moines de Morigny. Ils ne furent pas les plus
forts. A cette époque, le monastère de Morigny était
très important. L’Abbé Thomas, le Supérieur, avait
une grande influence. Il intervint auprès du roi pour faire confirmer
la donation auprès de l’archevêque de Sens et même auprès
du Pape. Fort de toutes ces recommandations, l’abbé Thomas, accompagné
de Guy, vicomte d’Etampes et des notables du lieu, installa un prieuré
de ses moines à Saint Martin pour desservir la paroisse. Mais moines
et chanoines ne vécurent pas pour cela en bonne intelligence.
En 1140, les chanoines, profitant de l’absence
de l’abbé de Morigny, parti en voyage, s’insurgèrent contre
les moines. A son retour, l’abbé Thomas, autorisé de nouveau
par le Pape qu’il avait mis au, courant, fit expulser définitivement
les chanoines qui étaient encore à Saint-Martin et les moines
en restèrent seuls possesseurs. II fut toutefois convenu que les
chanoines garderaient leurs prébendes jusqu’à leur mort.
Que devenait 1’église pendant toutes
ces discussions ? Elle tombait en ruines. Mais les moines, une fois maîtres
de la paroisse. se mirent à l’œuvre. Merveilleux bâtisseurs,
ils reconstruisirent [p.203] entièrement
l’église dans l’état où nous la voyons à
l’heure actuelle. Cette nouvelle église fut consacrée en
1526 par Barthélemy, archevêque de Sébaste.
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LE PRIEURÉ, LA PAROISSE PENDANT LA RÉVOLUTION.
Nous avons vu que le prieuré des moines de Morigny ne s’est pas
établi sans difficulté dans le quartier Saint-Martin. La donation
de la paroisse aux moines, faite par le roi Philippe Ier en 1106, fut confirmée
par son fils Louis VI. Dans la suite, en 1213, un règlement de l’archevêque
de Sens établit les rapports entre le Prieur de Saint-Martin et
le Curé de la paroisse pour les messes et les cérémonies
religieuses, et détermina la part qui revenait à chacun d’eux
dans les offrandes et les revenus de l’église, Outre les revenus
de l’église, les moines possédaient des terres. Dans un procès
avec la ville d’Etampes, en 1774, le dernier fermier du Prieuré,
Michel Laglace, nous apprend que la ferme rapportait 3.316 livres 14 sols
et 6 deniers, mais il ne versait que 2.000 livres au Prieur.
Au XVIIIe siècle, les moines du prieuré
étaient peu nombreux. Un des derniers prieurs fut Nicolas Courtin.
Il était Lorrain d’origine. D’abord nommé vicaire de la
paroisse Saint-Laurent de Paris, il fut désigné ensuite,
par Mgr Languet de Gorgy, archevêque de Sens, comme prieur à
Saint-Martin et, en même temps, comme aumônier auprès
des Dames de la Congrégation d’Etampes pour les amener à se
soumettre à la Constitution Unigénitus, c’est-à-dire
à repousser l’hérésie janséniste. Il ne put
y réussir. Il mourut chanoine de Notre-Dame en 1748 et fut inhumé
dans le cimetière , de cette paroisse, en présence de Messire
Pierre-Louis Guesnon, son successeur au Prieuré de Saint-Martin. Celui-ci
fut le dernier Prieur.
Le Prieuré fut aboli en 1773 et ses biens
donnés au chapitre Sainte-Croix d’Etampes, par décret de
l’archevêque de Sens du 4 mai de la même année, confirmé
par lettres patentes du roi. Les maire, échevins et assemblée
de ville consentirent à cette transaction le 29 juillet, «vu
que les prébendes du chapitre Sainte-Croix ne produisaient chacune
que 300 livres par an environ, ce qui n’était pas suffisant pour
qu’un chanoine pût vivre et remplir dignement les fonctions de son
ministère».
Il fallut encore plusieurs années
pour que la prise de possession fût réelle. Le 23 décembre
1781 seulement, une sentence [p.204] du
Grand Conseil confirma définitivement la donation. Mais le chapitre
de Sainte-Croix ne put jouir longtemps des revenus du prieuré.
La Révolution de 1793 s’empara de tous les biens du clergé.
Pendant ce temps, l’église Saint-Martin
continuait à être desservie par un curé, aidé
de plusieurs vicaires. Voici, à l’occasion d’un acte de sépulture,
l’éloge du bon curé Basterot:
«Aujourd’hui dimanche 9 février
1710 a été inhumé dans le chœur de l’église
le corps de messire Jacques Basterot, en son vivant prestre, curé
de cette paroisse, décédé le jour d’hier, portant
dans son cœur tous ses pauvres paroissiens en mourant, de même qu’il
les y avait portés durant sa vie et dans la résolution de
les faire ses uniques héritiers, ce que Dieu n’a pas permis qu’il
ait exécuté, étant tombé en léthargie
dans le moment qu’il se disposait à faire son testament; a été,
dis-je, inhumé, ainsi qu’il est marqué cy-dessus, par nous
Claude-Nicolas Voizot, doyen du chapitre Sainte-Croix, assisté de
MM. les curés de la ville et lieux circonvoisins, et autres ecclésiastiques
et personnes de considération, qui regrettent fort ledit curé.»
Mais la Révolution arrive et les
prêtres sont obligés de se cacher, de s’exiler, ou bien
de prêter serment à la Constitution civile du clergé
et de se soumettre aux exigences des persécuteurs. A Saint-Martin,
les prêtres du moment étaient le curé Legrand et ses
deux vicaires Jean Rigault et Tabary. Pour rester à Etampes, ils
sont obligés, par le révolutionnaire Couturier, de prêter
serment et de faire acte de civisme. C’est ainsi que le curé Legrand
fit le serment et prononça des discours dans différentes cérémonies
patriotiques. Il ira finir ses jours à Paris, pensionnaire de la
République pour une allocation annuelle de 1.000 francs. Le vicaire
Rigault est élu capitaine de la Garde nationale. En le présentant
en cette qualité à la municipalité, le 22 octobre
1793, ses chefs disent de lui que, s’il est prêtre, est bien connu
par son civisme. Après l’orage révolutionnaire, en 1802, on
le trouve curé de Saint-Martin. En 1804, il bénit une cloche
où nous avons vu son nom gravé. Il est mort en fonctions
en 1814, âgé de 68 ans, dans la maison qu’il habitait, au
n° 21 de la rue Reverseleux.
Quant au vicaire Tabary, «constitutionnel,
cy-devant prêtre du cy-devant culte romain», il obtient
un emploi dans les bureaux de la ville, Il occupe la maison du Vicariat
louée à la commune, devient instituteur et habite 20, rue
Saint-Martin, à l’école communale. Il mourut à Etampes,
rue Courte, n° 2.
Après la Révolution, la paix
revient dans les paroisse, mais [p.205] Etampes
n’est plus ville royale. La paroisse Saint-Martin, comme les autres paroisses
de la ville, a perdu de son importance. Un curé suffit pour l’administrer.
Et même de nos jours, une paroisse voisine a été
ajoutée aux bons soins du curé, c’est la coquette commune
d’Ormoy-la-Rivière. [p.206]
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