CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Léon Guibourgé
 L’église Saint-Martin d’Étampes
Étampes ville royale, chapitre VI.1
1957
 
Le quartier Saint-Martin (carte postale Berthaud frères n°16)
Le quartier Saint-Martin (carte postale Berthaud frères n°16)
  
 
ÉTAMPES, VILLE ROYALE
Étampes, chez l’auteur, 1957
chapitre VI.1, pp. 199-205.
L’église Saint-Martin d’Étampes 
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Léon Guibourgé L’ÉGLISE ET SA TOUR PENCHÉE

     En suivant la grande rue d’Etampes, dans la direction d’Orléans, on arrive, après avoir traversé une grande partie de la ville, dans un quartier où il y a un carrefour. Sur la gauche, on aperçoit une église, l’église du quartier, dite église Saint-Martin. Au coin du carrefour, sur le mur d’un café, se trouve cette curieuse enseigne: «A la Pise étampoise». Pourquoi cette enseigne? C’est que l’église qui est toute proche a un clocher qui ressemble par son air penché à la Tour de Pise. Tout le monde sait, en effet, qu’il y a en Italie, à Pise, un clocher qui est penché. Ce clocher séparé de l’église suivant l’usage italien, est connu sous le nom de «Tour Penchée». Il date de 1174 à 1233. Il a 55 mètres de hauteur et son inclinaison est de 4 m. 30. Et de ce fait, c’est une curiosité célèbre.

     Etampes peut se flatter aussi d’avoir sa Tour Penchée, le clocher de 1’église Saint-Martin. Ce clocher se trouve devant l’église. Il y eut d’abord un clocher dit de «la Reine Blanche» qui existait au XIIIe siècle, au transept, de droite, au-dessus de la sacristie actuelle. Ce clocher tombant en ruines, on construisit un autre clocher à gauche du grand portail au XIVe siècle. Mais l’église était bâtie sur un terrain mouvant, et le nouveau clocher dans un mouvement d’affaissement entraînait toute la partie de l’église sur laquelle il s’appuyait. Il fallut le démolir et il fut remplacé au XVIe siècle par celui que nous voyons aujourd’hui. Mais celui-ci ne résista pas non plus à l’affaissement [p.200] du terrain et pendant la construction il s’inclina. Et comme l’inclinaison paraissait s’arrêter, on la rectifia à moitié hauteur en terminant le clocher, ce qui donne au clocher une courbure inusitée.

     Et depuis ce temps le clocher n’a plus bougé. Son manque d’aplomb est de 1 m. 12. Sa hauteur est de 40 mètres. Il est moins important par conséquent que la Tour de Pise, mais son inclinaison lui donne un caractère particulier qui le rend, sinon célèbre, du moins original.

     Nous avons dit que ce clocher date du XVIe siècle, c’est-à-dire de l’époque de la Renaissance. Les sculptures, qui sont au bas de la tour, sont bien de cette époque. Elles sont d’une grande finesse surtout autour du portail qui communique avec l’église.

     La tour est carrée et ses quatre angles s’appuient sur des contreforts se terminant, au troisième étage, par un rang de mâchicoulis, c’est-à-dire par une sorte de balcon en pierres, avec des ouvertures, comme on en voit dans les châteaux-forts, par où le défenseur faisait tomber des projectiles sur l’assiégeant. Au-dessus de la tour est le clocher proprement dit, l’endroit où se trouvent les cloches, avec des fenêtres à abat-son.

     Dans ce clocher, il y a trois cloches.

     La grosse cloche porte l’inscription suivante:
     «L’an 1862, je fus faite et nommée Augustine par Alfred Louis de Poilloüe de Saint-Mars de Bierville, président de la fabrique, et Marguerite-Augustine Mazure. — A. Vié, curé; Doucet, Dorange, H. de la Bigne, Vte de Saint-Périer, conseillers de fabrique; Hildebrand, à Paris.»

     Cette cloche est ornée de quatre grandes images gravées, représentant: le Christ et deux anges, Saint Martin avec sa crosse, 1a Vierge et l’Enfant, et les armes de l’Empire français.

     Sur la moyenne cloche, on peut lire:
     «L’an 1804, j’ay été bénie par Jean-Claude Rigault, curé de cette paroisse et nommée Nicolas-Marie par M. Etienne-Gabriel Nicolas de La Haye-Gabaille et par dame Marie-Genêviève de Saint-Périer.»

     La petite cloche porte cette simple inscription en lettres capitales:
     «L’an mil six cens je fuz faicte pour la chapelle de Housse.»

     Cette dernière cloche est la plus ancienne. Elle n’était pas destinée au clocher de Saint-Martin, mais à Housse qui est un village près de Liège. Comment est-elle venue à Etampes ? On ne sait. [p.201]

     Remarquons que nous retrouvons dans les parrains et marraines de cloches plusieurs noms de châtelains du Petit-Saint-Mars. Voilà donc l’histoire et la description de la Tour Penchée de Saint-Martin. Mais nous ne voulons pas terminer sans rapporter son rôle important pendant la dernière guerre. Les résistants d’Etampes avait installé à son sommet un poste clandestin de T. S. F. qui permettait de correspondre avec l’Angleterre. Le curé de Saint-Martin risquait gros si ce poste avait été découvert par les Allemands. Aussi ce curé qui était M. l’abbé Grossetête, décédé depuis quelque temps à la maison de repos de Gérofosse, fut-il justement honoré par le gouvernement français, qui lui a remis après la guerre la Médaille de la Résistance. Tous les habitants d’Etampes ont applaudi à cette récompense si bien méritée.

La Tour penchée de Saint-Martin (carte postale CLC n°5)
DESCRIPTION, DIFFÉRENDS ENTRE CHANOINES ET MOINES.

     Après avoir regardé et étudié le fameux clocher penché de l’église Saint-Martin, examinons l’église dans son ensemble. Extérieurement, elle a la forme d’un long rectangle terminé par une abside, c’est-à-dire par une partie ronde, derrière le chœur, sur laquelle s’ouvrent trois chapelles disposées en forme de trèfle. Sa longueur est de quatre-vingts mètres, la largeur de trente-cinq mètres et la hauteur sous voûte de dix-huit mètres. La superficie totale donne 1.760 mètres carrés. C’est une grande église.

     D’ailleurs, entrons dans le monument par la petite porte de façade à gauche de la tour, et de suite en nous plaçant sous la tribune nous avons une impression de grandeur, de symétrie et de beauté. Nous voyons une large nef avec bas-côtés à quatre travées; un transept qui ne déborde pas à l’extérieur, et un chœur arrondi entouré d’un collatéral qui en fait le tour et sur lequel s’ouvrent les trois chapelles ou absidioles. Nous remarquons donc qu’en suivant les bas-côtés on peut faire le tour de l’église en passant derrière le chœur. C’est la seule église d’Etampes disposée de cette façon. Notons en particulier la beauté du chœur formé d’arcades s’appuyant sur de gros piliers qui alternent avec des piliers jumelés. Et admirons au-dessus des arcades dans le chœur et dans la première partie de la nef les belles sculptures simulant des fenêtres de triforium. Le triforium, dans certaines [p.202] églises, est une galerie au-dessus des voûtes des bas-côtés, éclairée par des fenêtres donnant sur la nef. On peut distinguer trois styles ou trois époques dans la construction de l’église: le style roman de la fin du XIIe siècle dans les chapelles de l’abside et la base du chœur, le style ogival du XIIIe siècle dans les parties hautes du chœur et de la nef, et le style de la Renaissance au XVIe siècle dans la façade et la Tour.

     A qui a été confiée cette grande et belle église? Il faut dire d’abord que le quartier Saint-Martin est une vieille paroisse, puisqu’on disait autrefois en parlant de ce quartier: «Estampes-les-Vieilles». L’historien Dom Fleureau dit que «cette église est l’ouvrage de quelqu’un de nos anciens rois, de la première ou de la seconde race, qui y avait fondé douze chanoines et un abbé pour chef de chapitre, qui furent tous supprimés et leurs prébendes données à l’abbé et aux moines de Morigny par le roi Philippe Ier».

     Il faut donc supposer qu’avant l’église actuelle il y avait une église d’une certaine importance, desservie par un Collège de chanoines. L’église était alors église collégiale.

     Mais ce changement entre chanoines et moines dans la possession de l’église ne s’est pas fait sans difficultés. Les chanoines de Saint-Martin, mécontents des privilèges que le roi leur enlevait, firent ce qu’ils purent pour indisposer le roi contre les moines de Morigny. Ils ne furent pas les plus forts. A cette époque, le monastère de Morigny était très important. L’Abbé Thomas, le Supérieur, avait une grande influence. Il intervint auprès du roi pour faire confirmer la donation auprès de l’archevêque de Sens et même auprès du Pape. Fort de toutes ces recommandations, l’abbé Thomas, accompagné de Guy, vicomte d’Etampes et des notables du lieu, installa un prieuré de ses moines à Saint Martin pour desservir la paroisse. Mais moines et chanoines ne vécurent pas pour cela en bonne intelligence.

     En 1140, les chanoines, profitant de l’absence de l’abbé de Morigny, parti en voyage, s’insurgèrent contre les moines. A son retour, l’abbé Thomas, autorisé de nouveau par le Pape qu’il avait mis au, courant, fit expulser définitivement les chanoines qui étaient encore à Saint-Martin et les moines en restèrent seuls possesseurs. II fut toutefois convenu que les chanoines garderaient leurs prébendes jusqu’à leur mort.

     Que devenait 1’église pendant toutes ces discussions ? Elle tombait en ruines. Mais les moines, une fois maîtres de la paroisse. se mirent à l’œuvre. Merveilleux bâtisseurs, ils reconstruisirent [p.203] entièrement l’église dans l’état où nous la voyons à l’heure actuelle. Cette nouvelle église fut consacrée en 1526 par Barthélemy, archevêque de Sébaste.

Nef de Saint-Martin (carte postale de Théodule Garnon n°24)
LE PRIEURÉ, LA PAROISSE PENDANT LA RÉVOLUTION.

       Nous avons vu que le prieuré des moines de Morigny ne s’est pas établi sans difficulté dans le quartier Saint-Martin. La donation de la paroisse aux moines, faite par le roi Philippe Ier en 1106, fut confirmée par son fils Louis VI. Dans la suite, en 1213, un règlement de l’archevêque de Sens établit les rapports entre le Prieur de Saint-Martin et le Curé de la paroisse pour les messes et les cérémonies religieuses, et détermina la part qui revenait à chacun d’eux dans les offrandes et les revenus de l’église, Outre les revenus de l’église, les moines possédaient des terres. Dans un procès avec la ville d’Etampes, en 1774, le dernier fermier du Prieuré, Michel Laglace, nous apprend que la ferme rapportait 3.316 livres 14 sols et 6 deniers, mais il ne versait que 2.000 livres au Prieur.

     Au XVIIIe siècle, les moines du prieuré étaient peu nombreux. Un des derniers prieurs fut Nicolas Courtin. Il était Lorrain d’origine. D’abord nommé vicaire de la paroisse Saint-Laurent de Paris, il fut désigné ensuite, par Mgr Languet de Gorgy, archevêque de Sens, comme prieur à Saint-Martin et, en même temps, comme aumônier auprès des Dames de la Congrégation d’Etampes pour les amener à se soumettre à la Constitution Unigénitus, c’est-à-dire à repousser l’hérésie janséniste. Il ne put y réussir. Il mourut chanoine de Notre-Dame en 1748 et fut inhumé dans le cimetière , de cette paroisse, en présence de Messire Pierre-Louis Guesnon, son successeur au Prieuré de Saint-Martin. Celui-ci fut le dernier Prieur.

     Le Prieuré fut aboli en 1773 et ses biens donnés au chapitre Sainte-Croix d’Etampes, par décret de l’archevêque de Sens du 4 mai de la même année, confirmé par lettres patentes du roi. Les maire, échevins et assemblée de ville consentirent à cette transaction le 29 juillet, «vu que les prébendes du chapitre Sainte-Croix ne produisaient chacune que 300 livres par an environ, ce qui n’était pas suffisant pour qu’un chanoine pût vivre et remplir dignement les fonctions de son ministère».

     Il fallut encore plusieurs années pour que la prise de possession fût réelle. Le 23 décembre 1781 seulement, une sentence [p.204] du Grand Conseil confirma définitivement la donation. Mais le chapitre de Sainte-Croix ne put jouir longtemps des revenus du prieuré. La Révolution de 1793 s’empara de tous les biens du clergé.

     Pendant ce temps, l’église Saint-Martin continuait à être desservie par un curé, aidé de plusieurs vicaires. Voici, à l’occasion d’un acte de sépulture, l’éloge du bon curé Basterot:
     «Aujourd’hui dimanche 9 février 1710 a été inhumé dans le chœur de l’église le corps de messire Jacques Basterot, en son vivant prestre, curé de cette paroisse, décédé le jour d’hier, portant dans son cœur tous ses pauvres paroissiens en mourant, de même qu’il les y avait portés durant sa vie et dans la résolution de les faire ses uniques héritiers, ce que Dieu n’a pas permis qu’il ait exécuté, étant tombé en léthargie dans le moment qu’il se disposait à faire son testament; a été, dis-je, inhumé, ainsi qu’il est marqué cy-dessus, par nous Claude-Nicolas Voizot, doyen du chapitre Sainte-Croix, assisté de MM. les curés de la ville et lieux circonvoisins, et autres ecclésiastiques et personnes de considération, qui regrettent fort ledit curé.»

     Mais la Révolution arrive et les prêtres sont obligés de se cacher, de s’exiler, ou bien de prêter serment à la Constitution civile du clergé et de se soumettre aux exigences des persécuteurs. A Saint-Martin, les prêtres du moment étaient le curé Legrand et ses deux vicaires Jean Rigault et Tabary. Pour rester à Etampes, ils sont obligés, par le révolutionnaire Couturier, de prêter serment et de faire acte de civisme. C’est ainsi que le curé Legrand fit le serment et prononça des discours dans différentes cérémonies patriotiques. Il ira finir ses jours à Paris, pensionnaire de la République pour une allocation annuelle de 1.000 francs. Le vicaire Rigault est élu capitaine de la Garde nationale. En le présentant en cette qualité à la municipalité, le 22 octobre 1793, ses chefs disent de lui que, s’il est prêtre, est bien connu par son civisme. Après l’orage révolutionnaire, en 1802, on le trouve curé de Saint-Martin. En 1804, il bénit une cloche où nous avons vu son nom gravé. Il est mort en fonctions en 1814, âgé de 68 ans, dans la maison qu’il habitait, au n° 21 de la rue Reverseleux.

     Quant au vicaire Tabary, «constitutionnel, cy-devant prêtre du cy-devant culte romain», il obtient un emploi dans les bureaux de la ville, Il occupe la maison du Vicariat louée à la commune, devient instituteur et habite 20, rue Saint-Martin, à l’école communale. Il mourut à Etampes, rue Courte, n° 2.

     Après la Révolution, la paix revient dans les paroisse, mais [p.205] Etampes n’est plus ville royale. La paroisse Saint-Martin, comme les autres paroisses de la ville, a perdu de son importance. Un curé suffit pour l’administrer. Et même de nos jours, une paroisse voisine a été ajoutée aux bons soins du curé, c’est la coquette commune d’Ormoy-la-Rivière. [p.206]

Bas-côté (carte postale Levy et fils n°21)
           
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BIBLIOGRAPHIE

Éditions
Léon Guibourgé
     Brochure préalable: Léon GUIBOURGÉ [chanoine, ancien archiprêtre d’Étampes, officier d’Académie, membre de la Commission des arts et antiquités de Seine-et-Oise, vice-président de la Société artistique et archéologique de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix], Étampes, la favorite des rois [in-16; 64 p.; figures; plan et couverture en couleur; avant-propos de Barthélémy Durand, maire; dessin de couverture de Philippe Lejeune], Étampes, Éditions d’art Rameau, 1954.

    
Édition princeps: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [in-16 (20 cm); 253 p.; armoiries de la ville en couleurs sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Étampes, chez l’auteur (imprimerie de la Semeuse), 1957.

    
Réédition en fac-similé: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [réédition en fac-similé: 22 cm; 253 p.; broché; armoiries de la ville sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Péronnas, Éditions de la Tour Gile, 1997 [ISBN 2-87802-317-X].

    
Édition électronique: Bernard GINESTE [éd.], «Léon Guibourgé: Étampes ville royale (1957)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampesvilleroyale.html (33 pages web) 2004.

     Ce chapitre: Bernard GINESTE [éd.], «Léon Guibourgé: L’église Saint-Martin d’Étampes (1957)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampes601eglisesaintmartin.html, 2004.

Sur le quartier Saint-Martin

     Bernard GINESTE [éd.], «Léon Marquis: Le Quartier Saint-Martin (1881)» [réédition numérique illustrée en mode texte], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-marquis-rues02a.html, 2011.


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source: Léon Guibourgé, Étampes, ville royale, 1957, pp. 199-205. Saisie: Bernard Gineste, octobre 2004.
    
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