Auguste Allien
Abeille d’Étampes LXIV/33, p. 1.
(samedi 14 août 1875)
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Solennité de Saint-Bernard
Dimanche 22 août.
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Solennité de Saint-Bernard
Dimanche 22 août.
A partir de cette année, le dimanche qui
suivra le 20 août, la fête de saint-Bernard sera célébrée
solennellement dans nos quatre paroisses (1). — Rome a très-gracieusement
accueilli la demande du Clergé d’Étampes, désireux
de perpétuer par une fête toute particulière le souvenir
d’un des faits les plus célèbres de notre vieille cité.
— Voici le texte de la supplique adressée au Saint Père dans
les premiers jours de janvier.
«Très-Saint
Père,
«C’est dans notre cité d’Étampes
que saint Bernard accomplit l’un des actes les plus importants de sa vie;
c’est dans notre église même de Notre-Dame que se tint ce fameux
concile de 1130, où le saint, à la grande joie de l’univers
catholique, fit triompher la cause d’Innocent II contre les prétentions
de l’antipape Pierre de Léon.
«En souvenir de ce glorieux événement
et voulant rendre à saint Bernard un honneur tout spécial
en même temps qu’affirmer son amour pour cet énergique défenseur
des droits de la papauté (2),
«Le Clergé de la ville d’Etampes,
humblement prosterné aux pieds de Sa Sainteté, la supplie de
lui permettre de chanter, tous les ans, une Messe solennelle (3) votive (4)
de ce saint, le dimanche qui suivra le jour de sa fête, fixée
au 20 août.»
— Un mois après,
la Congrégation des Rites (5) envoyait la réponse suivante:
«La cité d’Étampes, dans le
diocèse de Versailles (6), ayant toujours professé une dévotion
très-vive pour la mémoire de saint Bernard (7), confesseur
et docteur de l’église (8), tout le clergé de cette ville
a demandé au Saint Père la faveur de chanter, à l’église
paroissiale, la Messe solennelle de ce saint, le dimanche qui suivra le
20 août.
«La Sacrée Congrégation des
Rites, en vertu des pouvoirs qui lui sont concédés par le
Souverain Pontife consent volontiers à cette demande. La messe solennelle
dont il est question pourra donc être chantée, pourvu toutefois
que ce jour-là ne tombe pas une fête double de première
classe (9), qu’il soit dit une Messe paroissiale répondant à
l’office du jour et que les rubriques (10) soient observées. On devra
en plus montrer le présent Indult (11) à la Chancellerie du
palais épiscopal de Versailles, avant de le mettre à exécution,
— nonobstant tout autre empêchement.
«Le 27 janvier
1875.
«Le cardinal PATRIZI (12),
«Évêque d’Ostie et de Velletri,
«Préfet de la Sacrée Congrégation
des Rites.»
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(1) Avant 1905, ces quatre paroisses
étaient Notre-Dame, Saint-Basile, Saint-Gilles et Saint-Martin.
(2) Il est difficile de ne pas voir ici une allusion
à la situation de Pie IX qui se considère alors comme injustement
dépouillé de ses États-Pontificaux par le coup de force
de 1870. Voir notre Annexe 1.
(3) Dans une messe solennelle, avant la réforme
liturgique de 1962, le prêtre était assisté par un diacre
(et parfois un sous-diacre); mais comme le diaconat avait pratiquement cessé
d’exister, ce rôle était tenu par un autre ou deux autres prêtres
portant la dalmatique.
(4) Une messe est dite votive quand elle n’a aucun rapport
avec la messe du jour, parce qu’elle répond au vœu personnel du célébrant
ou de celui qui en autorise la célébration.
(5) La Congrégation des rites a été
instituée en 1588 par Sixte V pour exercer son contrôle sur
la liturgie de l’Église romaine, avec pouvoir d’accorder des privilèges
relatifs à cette matière. Elle a acquis ensuite la compétence
des causes de béatification et de canonisation, avec juridiction sur
le culte des reliques.
(6) Étampes, qui avait relevé de l’archidiocèse
de Sens jusqu’à la Révolution, a ensuite relevé du diocèse
de Versailles jusqu’au démembrement en 1964 du département
de Seine-et-Oise, puis, jusqu’à aujourd’hui, du nouveau diocèse
d’Évry.
(7) Il semble que le cardinal Patrizi parle ici un peu
légèrement, car nous ne voyons pas que cette dévotion
soit bien ancienne ni proprement traditionnelle à Étampes:
elle correspond plutôt à l’esprit du temps et aux préoccupations
idéologiques du clergé de ce temps.
(8) Saint Bernard (1090-1153) a été canonisé
par Alexandre III le 18 janvier 1174. On lui accorde parfois sans raison
bien claire le titre de confesseur, qui vient juste après celui de
martyr, et qui est théoriquement réservé à ceux
des saints qui ont été persécutés pour la foi,
mais qu’on applique parfois de manière honorifique à des personnages
dont la sainteté a été particulièrement héroïque.
Bernard a été élevé au rang de Docteur de l’Église
par Pie VIII en 1830.
(9) Avant la réforme liturgique du concile Vatican
II, les fêtes liturgiques se classifiaient selon les degrés
suivants: Simple, Semi-double, Double, Double majeur, Double de deuxième
classe (parfois avec octave), Double de première classe (parfois avec
octave).
(10) Les rubriques sont les règles (communément
écrites en lettres rouges) selon lesquelles on doit célébrer
la liturgie et l’office divin sans jamais s’en écarter.
(11) Privilège papal.
(12) Voir notre Annexe 2 sur
la carrière de ce prélat.
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ANNEXE 1
Contexte historique de cet échange
de courrier
1. Situation
géo-politique
Le Second Empire finissant a perdu le soutien de l’Église
catholique en grande partie en raison de sa politique italienne qui conduit
au morcellement des États du Pape. Or c’est la chute de l’Empire Français
le 4 septembre 1870, ce traditionnel protecteur des États pontificaux,
qui va accélérer le mouvement irrésistible de l’histoire
vers l’unification politique de l’Italie. Dès le 20 septembre les
troupes du roi Victor-Emmanuel II rentrent dans Rome, qu’on déclare
capitale du royaume. Le pape Pie IX (1846-1878), réfugié au
Vatican, s’y considère dès lors comme prisonnier.
En 1871, le parlement italien vote une Loi des Garanties
sur les prérogatives du Souverain Pontife et du Saint-Siège
et sur les relations de l’État avec l’Église.
Cette loi accorde au pape l’inviolabilité de
sa personne, son immunité de juridiction devant les tribunaux italiens,
sa protection pénale contre les injures publiques, sa liberté
de correspondance et de célébration du culte. Elle lui reconnaît
en outre le droit aux honneurs souverains et le droit de légation
actif et passif, c’est-à-dire la capacité d’envoyer et de recevoir
des ambassadeurs reconnus comme tels, et jouissant à ce titre de l’immunité
diplomatique. Plus une rente considérable, et la jouissance des palais
du Vatican, du Latran et de Castel Gandolfo.
Cependant, elle ne reconnaît pas au Vatican le
caractère d’un État souverain. De fait il ne s’agit pas d’un
traité, mais d’une loi italienne traitant des affaires intérieures
de l’Italie, ce qui donne à la papauté un statut inédit
et ambigu qu’un juriste à récemment comparé à
celui d’un protectorat colonial (1).
Aussi Pie IX (1848-1876) refuse cet arrangement, qui,
entre autres arguments, n’assure pas au gouvernement de l’Église catholique
la garantie de pouvoir fonctionner en échappant à la tutelle
des pouvoirs politiques locaux. Cette intransigeance sera continuée
par ses successeurs Léon XIII (1878-1903) et Pie X (1903-1914), Benoît
XV (1914-1922), et c’est seulement sous Pie XI (1922-1939) qu’un accord
sera trouvé en 1929 avec l’Italie fasciste de Benito Mussolini, lors
des accords du Latran, qui constituent au bénéfice de la papauté
l’État souverain du Vatican, dans le quartier de Rome du même
nom.
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Saint Pie IX (1848-1876)
canonisé en août 2000 par Jean-Paul II
(1) Joël Benoît d’ONORIO (dir.), «Le
Saint-Siège et le droit international», in Le Saint Siège
dans les relations internationales. Actes du colloque organisé les
29 et 30 janvier 1988 par le département des sciences juridiques et
morales de l’Institut Portalis, Cujas & Cerf, Paris, 1989, p. 15.
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2. Position du
clergé français et spécialement étampois
Le clergé français est alors partagé
entre deux tendances. Les gallicans sont attachés depuis longtemps
aux libertés traditionnelles de l’Église de France, et réticents
devant les empiètements continuels du Saint-Siège dans tous
les domaines de la vie religieuse nationale et locale. Au contraire les ultramontains,
depuis surtout le début du XIXe siècle sont très favorables
à l’omniprésence du pouvoir romain. C’est sur eux que tente
clairement de s’appuyer Pie IX, face à l’offensive
du rationalisme et du scientisme contre les traditions chrétiennes;
mais face également à de nouvelles réalités,
que récuse et condamne ce pape sans appel. Il est hostile au principe
même de la liberté de pensée et à toute forme
d’avancée démocratique, particulièrement bien sûr
à l’idée même de suffrage universel, mais même aux simples régimes constitutionnels,
ainsi qu’à d’autres
innovations qui font désormais partie du patrimoine commun de l’Europe.
Après avoir publié de lui-même en
1854 un nouveau dogme de foi sans l’aval d’aucun concile œcuménique,
celui de l’Immaculée
Conception de la Vierge Marie, Pie IX convoque le concile
de Vatican I (1869-1870) qui va proclamer celui de l’infaillibilité
pontificale, non sans de grandes résistances au sein même du
parti ultramontain, au moment même où se précipite la
chute des États Pontificaux, et où est proclamée en
France la IIIe République. Dès lors on assiste à un
raidissement de l’ensemble de l’Église de France restée fidèle,
qui s’identifie toute entière à son pasteur suprême persécuté,
et considéré comme prisonnier dans ses propres États.
Très clairement, la lettre adressée en
janvier 1875 par le clergé d’Étampes à Pie IX est à
comprendre dans ce contexte, comme une marque ostensible de fidélité
à un pasteur en difficulté. De là l’insistance notamment
sur l’amour qu’on aurait à Étampes pour saint Bernard,
cet énergique défenseur
des droits de la papauté.
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ANNEXE 2
Carrière
du cardinal Patrizi Naro
Le 27 janvier 1875,
c’est le cardinal Costantino Patrizi Naro, évêque d’Ostie et de Velletri, et surtout préfet de la Congrégation des rites,
qui répond au nom du pape Pie IX au clergé d’Étampes.
Il peut donc être intéressant de se demander qui était
ce personnage, et d’entrevoir par là quels étaient alors les
rouages de l’administration romaine, à laquelle eut affaire le clergé
d’Étampes en 1875. Nous voyons que Patrizi avait alors 77 ans, qu’il
était préfet de la Congrégation des rites déjà
depuis une vingtaine d’années. Il avait de plus été
promu Secrétaire de la Congrégation pour l’Inquisition universelle en 1860, archiprêtre de Saint-Jean-du-Latran
en 1867, et cardinal-évêque d’Ostie en
1870.
DATES
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ÂGE
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4 septembre 1798
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Naissance
|
à Sienne
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16 juin 1819
|
20 ans
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Ordination
|
prêtre
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15 décembre 1828
|
30 ans
|
Nomination
|
archevêque titulaire de Philippes
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21 décembre 1828
|
30 ans
|
Ordination
|
archevêque titulaire de Philippes
|
16 janvier 1829
|
30 ans
|
Nomination
|
nonce apostolique
|
2 juillet 1832
|
33 ans
|
Nomination
|
préfet de la Curie romaine
|
23 juin 1834
|
35 ans
|
Élévation
|
cardinal in pectore, c’est-à-dire
“à part soi”, “à titre secret”; quand le nom d’un tel cardinal
est publié, il obtient la préséance à partir
du jour de la réservation in pectore.
|
11 juillet 1836
|
37 ans
|
Nomination
|
cardinal-prêtre de Saint-Sylvestre-au-Chef
|
11 juillet 1836
|
37 ans
|
Élévation
|
cardinal-prêtre de Saint-Sylvestre-au-Chef
|
6 juillet 1839
|
40 ans
|
Nomination
|
préfet de la Congrégation des
évêques et des Réguliers
|
24 avril 1845
|
46 ans
|
Nomination
|
archiprêtre de la basilique de Sainte-Marie-Majeure
|
20 avril 1849
|
50 ans
|
Nomination
|
cardinal-évêque d’Albano
|
27 juin 1854
|
55 ans
|
Nomination
|
préfet de la Congrégation des
rites
|
10 octobre 1860
|
62 ans
|
Nomination
|
secrétaire de la Congrégation
pour l’Inquisition universelle
|
17 décembre 1860
|
62 ans
|
Nomination
|
cardinal-évêque de Sabine et de
Poggio Mirteto
|
21 septembre 1867
|
69 ans
|
Nomination
|
archiprêtre de la basilique Saint-Jean-du-Latran
|
8 octobre 1870
|
72 ans
|
Nomination
|
cardinal-évêque d’Ostie et Velletri.
|
17 décembre 1876
|
78 ans
|
Mort
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Source: David M. CHENEY,
«Costantino
Cardinal Patrizi Naro †», in ID., The
Hierarchy of the Catholic Church. Current and historical information about
its bishops and dioceses, http://www.catholic-hierarchy.org/bishop/bpatn.html,
en ligne en 2008.
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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
ET PROVISOIRE
Éditions
Auguste ALLIEN
[dir.], «Solennité de Saint-Bernard, dimanche 22 août»,
in ID., Abeille d’Étampes. Journal des insertions judiciaires
et légales de l’arrondissement. Littérature, Sciences, Jurisprudence,
Agriculture, Commerce, Voyages, Annonces diverses, etc., paraissant tous
les samedis LXIV/33 (samedi 9 octobre 1875), p. 1.
Bernard GINESTE [éd.], «Auguste Allien: Solennité de Saint-Bernard
(Abeille d’Étampes, août 1875)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/che-19-18750822solennite-stbernard.html, 2008.
Sur saint Bernard à Étampes
Saint Bernard dans le Corpus Étampois
Bernard GINESTE, «Geoffroy de Clairvaux: Miracles de saint Bernard
sur la route de la Diète d’Étampes (1146)», in Corpus
Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-12-geoffroy1146bernard.html, 2003-2008.
Bernard GINESTE, «Louis Bail: Concilium Stampense (extrait
de la Summa Conciliorum Omnium, 1645)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cls-17-bail1645concilia.html, 2003.
Bernard GINESTE [éd.], «Fénelon, Sermon sur saint
Bernard (extrait concernant le concile d’Étampes de 1130)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-fenelon-stbernard.html,
2003.
Bernard GINESTE [éd.], «Image pieuse: Saint Bernard
au concile d’Étampes de 1130 (fin XIXe s.)», in Corpus
Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-imagepieuse-stbernardaetampes.html,
2003.
Bernard GINESTE [éd.],
«Auguste Allien: Solennité de
Saint-Bernard (Abeille d’Étampes, août 1875)»,
in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-18750822solennite-stbernard.html, 2008.
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