Vie de Claude de France
|
Texte de l’édition de Mérimée (1890)
Il faut parler de madame Claude de France
(1), qui fust très bonne et très charitable, et fort douce
à tout le monde, et ne fist jamais desplaisir ny mal à aucun
de sa court ny de son royaume. Elle fust aussy fort aymée du roy
Louys, et de la royne Anne, ses pere & mere, et estoit leur bonne fille
et la bien-aymée, comme ilz luy monstrarent bien; car amprès
que le roy fust paisible duc de Milan, ilz la firent déclarer et
proclamer en sa court de parlement de Paris, à huys ouverts, duchesse
des deux plus belles duchez de la chrestienté, qui estoient Milan
et Bretaigne, l’une venant du pere et l’autre de la mere. Quelle heritiere!
s’il vous plaist. Ces deux duchez joinctes ensemble eussent bien faict un
beau royaume.
La Royne sa mere la vouloit
fort maryer à [p.275] Charles
d’Austrie, despuis empereur; et si elle eust vescu cela se fust faict;
car elle s’en faisoit accroire quelques fois par dessus le roy son mary,
et mesmes pour le maryage de ses filles, desquelles elle vouloit avoir la
totalle charge et soucy. Jamais elle ne les appelloit autrement que par leur
nom: «Ma fille Claude» et «ma fille Renée».
Aujourd’huy, il faut donner des seigneuries aux filles des princesses, voire
des dames, pour les y appeler. Et si elle eust vescu, jamais le roy François
ne l’eust espousée, comme j’ay dict en son discours; car elle prevoyoit
bien le mauvais traictement qu’elle en debvoit recepvoir, d’autant que le
roy son mary luy donna la verolle (2), qui luy advança ses jours.
Et madame la régente, sa belle mere, la rudoyoit fort; mais elle
se fortiffioit le plus qu’elle pouvoit de son bon esprit et sa douce patience
et de grand’ sagesse, pour supporter ces rigueurs; ny plus ny moins qu’on
list de Marguerite, fille de Raymond, comte de Provance, femme du roy sainct
Louys, fort sage et prudente princesse, qui supportoit les rudesses de Blanche,
sa belle mere, qu’elle luy faisoit, par sa prudence, et les vainquoit par
sa patience. Quoy qui soit, [p.276]
ceste vertueuse et sage royne produisist une
très belle et genereuse lignée au roy son mary, trois fils,
François, Henry et Charles; et quatre filles, Louyse, Charlotte,
Magdalaine et Marguerite.
Elle fust fort aymée aussy du roy
son mary, et bien traictée, et de toute la France, et fort regrettée
amprès sa mort, pour ses admirables vertus et bontez.
J’ay leu dans la Chronique d’Anjou
qu’amprès sa mort son corps fist miracles, si bien qu’une grand’
dame des siennes, estant un jour tourmantée d’une fiebvre chaude,
et s’estant vouée à elle, soudain elle recouvra santé.
Notes de Mérimée
(renumérotées)
(1) Fille de Louis XII et d’Anne
de Bretagne, femme de François Ier.
(2) Cette maladie se trahissait chez le roi par
une extinction de voix continuelle. Hubert-Thomas Leodius, dans ses Mémoires,
où il parle d’un voyage qu’il fit en France avec l’électeur
palatin Frédéric II, note ce qui suit: «Ce qu’il y
avoit de fâcheux (pour les convives du roi François Ier), c’est
qu’une maladie luy ayant fait perdre la luette, il n’avoit presque plus
de voix, et il falloit être accoutumé à l’entendre pour
recueillir aisément toutes ses paroles.» (Francfort, 1622).
|
Nous citons ci-après
le texte de deux autres éditions, principalement
pour donner au commun des lecteurs une idée de la variété
d’orthographe et de ponctuation, voire d’erreurs et de lacunes qui peuvent
se présenter d’une édition à l’autre des textes anciens.
Les notes cependant ne sont pas cependant dépourvues d’intérêt.
|
Texte de l’édition Roucher (1790)
ARTICLE IV.
Madame CLAUDE DE FRANCE
IL faut parler de Madame CLAUDE DE (1) FRANCE,
qui fut très-bonne & très-charitable, & fort douce
à tout le monde, & ne fit jamais desplaisir ny mal à
aucun de sa Cour ny de son Royaume. Elle fut aussi fort aymée du
Roy Louïs, & de la Reyne Anne, ses pere & mere, & estoit
leur bonne fille et la bien-aimée, comme ils luy monstrerent [p25] bien: car après que
le Roy fut paisible (2) Duc de Milan, ils la firent déclarer &
proclamer en la Cour de Parlement de Paris, à huis ouverts, Duchesse
des deux plus belles Duchés de la Chrestienté, qui estoient
Milan & Bretagne, l’une venant du pere, & l’autre de la mere. Quelle
heritage! s’il vous plaist. Ces deux Duchés, jointes ensemble, eussent
bien fait un beau Royaume.
La Reyne sa mere la voulut fort marier à Charles d’Austriche, depuis
Empereur. Si elle eust vescu, cela se fust faict; car elle s’en faisoit
accroire par-dessus le Roy son mary, & mesme pour le mariage de ses filles,
desquelles elle vouloit avoir la totale charge & soucy. Jamais elle ne
les appelloit autrement que par leur nom; ma fille Claude, & ma
fille Renée. Aujourd’hui, il faut donner des Seigneuries aux filles
des Princesses, voire des Dames, pour les y appeler. Et si elle eust vescu,
jamais le Roy François ne l’eust espousée, comme j’ay dict
en son discours (3); car elle prévoyoit bien le mauvais traittement
qu’elle en devoit [p.26] recevoir,
d’autant que le Roy son mary luy donna la vérole (4) qui luy avança
ses jours. Et Madame la Régente, sa belle-mere, la rudoyoit fort: mais
elle se fortifioit le plus qu’elle pouvoit de son beau esprit, & de sa
douce patience, & grande sagesse, pour supporter ses rigueurs, ny plus
ny moins qu’on lit de Marguerite, fille de Raimond, Comte de Provence, femme
du Roy Saint-Louïs, fort sage & prudente Princesse, qui supportoit
les rudesses de Blanche, sa belle-mere, qu’elle luy faisoit, par sa prudence,
& les vainquoit par sa patience. Quoy qu’il en soit, elle produisit
une très-belle et généreuse lignée au Roy son
mary: trois fils, François, Henry & Charles; & quatre filles,
Loüise, Charlotte, Magdeleine & Marguerite.
Elle fut fort aymée aussy du Roy son
mary, [p.27] & bien traittée,
& de toute la France, & fort regrettée après sa mort,
pour ses admirables vertus & bontez.
J’ay leu dans la Chronique d’Anjou
qu’après sa mort son corps fit miracles, si bien qu’une grande Dame
des siennes, estant un jour tourmentée d’une fievre chaude, &
s’estant vouée à elle, soudain elle recouvra santé.
Notes de Roucher
(renumérotées)
(1) Fille de Louis XII, & d’Anne de Bretagne.
(2) Ce fut vraisemblablement en 1513, lorsque
son armée, commandée par Louis de la Tremoille reprit pour
la troisième fois le Milanez.
(3) Pour être plus exact, Brantôme
auroit dû dire qu’Anne de Bretagne, si elle eût vécu,
auroit empêché la consommation de ce mariage: à l’égard
du contrat & de la célébration du mariage, le vœu de la
nation [p.26] contraint Annede
Bretagne d’y consentir. (Voyez les mémoires de Fleuranges, Tome
XVI de la collection [générale
des mémoires particuliers relatifs à l'histoire de France],
page 325).
(4) Il paroit constaté que François
I mourut des suites douloureuse de son incontinence. Mais il n’est pas
également prouvé qu’il ait infecté sa femme du mal
vénérien. Au surplus, la fécondité de Claude
de France semble indiquer qu’en admettant le récit de Brantôme
comme authentique, François I commit ce crime, (car c’en est un),
vers les dernières années de la vie de son épouse.
(5) Louise de Savoye, duchesse d’Angoulême,
mère de François I.
|
Texte de l'édition
de Louis Molland (1890)
IV
MADAME CLAUDE DE FRANCE
Il faut parler de madame Claude de France,
qui fut très-bonne et très-charitable, et fort douce à
tout le monde, et ne fit jamais desplaisir ny mal à aucun de sa
cour ny de son royaume
Elle fut aussi fort aimée du roi Louis
et de la reyne Anne, ses pere et mere, et estoit leur bonne fille et la
bien aimée, comme ils luy monstrerent bien; car, après que
le roi fut paisible duc de Milan, ils la firent declarer et proclamer en
la cour de parlement de Paris, à huis ouverts, duchesse des deux
plus belles duchés de la chrestienté, qui estoient Milan
et Bretaigne, l’une venant du pere, et l’autre de la mere. Quelle heritière,
s’il vous plaist! Ces deux duchés joinctes ensemble eussent bien
faict un beau royaume.
La reyne sa mere la vouloit fort marier à Charles d’Austriche, despuis
empereur; et si elle eust vescu, cela se fust faict, car elle s’en faisoit
accroire par-dessus le roy son mary, et mesmes pour le mariage de ses
filles, desquelles elle vouloit avoir la totalle
[p.266] charge et soucy. Jamais elle ne les appelloit
autrement que par leur nom: ma fille Claude, et ma fille Renée.
Aujourd’huy, il faut donner des seigneuries aux filles des princesses,
voire des dames, pour les y appeler (1). Et si elle eust vescu, jamais le
roy François ne l’eust espousée, comme j’ay dict en son discours;
car elle prevoyoit bien le mauvais traictement qu’elle en debvoit recevoir,
d’autant que le roy son mary luy donna la verole, qui luy advança
ses jours. Et madame la regente, sa belle mere, la rudoyoit fort; mais
elle se fortifioit le plus qu’elle pouvoit de son bon esprit et de sa douce
patience et grande sagesse, pour supporter ces rigueurs, ny plus ny moins
qu’on lit de Marguerite, fille de Raymond, comte de Provence, femme du
roy sainct Louis, fort sage et prudente princesse, qui supportoit les rudesses
de Blanche, sa belle mere, qu’elle luy faisoit, par sa prudence, et les
vainquoit par sa patience. Quoy qu’il en soit, elle produisit une tres-belle
et genereuse lignée au roy son mary: trois fils, François,
Henry et Charles: et quatre filles, Louise, Charlotte, Magdelaine et Marguerite.
Elle fut fort aimée aussy du roy son
mary, et bien traictée, et de toute la France, et fort regrettée
après sa mort, pour ses admirables vertus et bontés.
[p.267]
J’ay leu dans la Chronique d’Anjou qu’après
sa mort son corps fit miracles, si bien qu’une grande dame des siennes,
estant un jour tourmentée d’une fiebvre chaude, et s’estant vouée
à elle, soudain elle recouvra santé.
Note de Molland
(1) C’est-à-dire, pour les appeler du nom
de ces seigneuries.
|
Source: les éditions
considérées, dont deux sur le site Gallica de la BNF; saisie: Bernard Gineste, mai 2003.
|