Notice
biographique
[établie
par Madame Jannot en 1989,
à
l’occasion d’une exposition posthume à Aubusson]
Pierre Jannot est né le 17 juin 1927 au Raincy
(93).
Il a obtenu son Diplôme de l’École des Arts Appliqués
à l’Industrie de Paris dans l’atelier d’art mural de Monsieur Lecaron.
Il a débuté en 1949 sa carrière professionnelle chez
Pierre Gaudin, maître verrier à Paris, chez qui il a été
attaché pendant douze ans à la direction du bureau de dessin.
Il a réalisé nombre de vitraux et de mosaïques, en France
comme à l’étranger (à Bordeaux, Étampes, Blois,
Metz, Lisieux, Saint-Leu, Sion, Chicago, etc.).
De 1962 à 1974, il fut l’assistant de Monsieur Lecaron à
l’atelier d’art mural de l’École des Arts Appliqués.
Durant cette période il rencontra Monsieur Laville, fresquiste,
qui l’initia à cette technique. Il fut ainsi amené à
réaliser plusieurs fresques, dont celle de l’ancien Hôtel
de la Gabelle, près de Saint-Germain-l’Auxerrois, à Paris).
Il rencontra de même Robert Wogensky, qui le sensibilisa à
l’art de la tapisserie. Il réalisa alors plusieurs projets de tapisserie,
dont l’un fut primé en concours adjudicatif pour la Préfecture
du Jura.
A partir de 1974, il termina sa carrière en Creuse, résidant
à Mazeaubouvier, à Saint-Médard-la-Rochette. Nommé
professeur à l’École Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson,
il y enseigna le dessin jusqu’au 3 décembre 1985 [date
de son décès, à l'âge de 58 ans].
La technique du tissage en basse lice l’a enthousiasmé et il a ainsi
réalisé cinq tapisseries.
Il aimait profondément l’enseignement et il désirait fortement
contribuer à l’épanouissement de valeurs propres à
chacun de ses élèves.
Son moyen d’expression était avant tout la peinture. Il en était
habité depuis sa prime jeunesse, peignant beaucoup sur nature, mais
aimant tout travailler en atelier ce qu’il avait ressenti sur le moment.
Il avait une rare bonté, une grande humilité et une profonde
spiritualité.
Cette exposition [à Aubusson, en juin 1989]
pourra traduire en grande partie l’expression de sa quête intérieure.
Yvette Jannot.
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Paul
Rish
[Directeur
de l’École Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson]
Pierre
Jannot, Peintre
[préface
du catalogue de l’exposition posthume]
Durant onze année nous avons côtoyé Pierre Jannot,
nous l’avons apprécié dans sa mission d’enseignant à
l’École Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson.
Lors de sa brutale disparition, le 3 décembre 1985, rares étaient
ceux qui connaissaient l’importance de son travail personnel. Professeur
réellement motivé, il restait d’une grande discrétion
sur son œuvre de peintre.
Rendre hommage à lamémoire de Pierre Jannot en vous faisant
découvrir se travaux de plasticien, c’est là notre propos.
Dessin, peinture, tapisserie, aucune discipline ne lui était étrangère,
toutes maîtrisées avec bonheur et mises au service de son
expression profondément sereine et parfaitement authentique.
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Gilles
Sacksick
Écouter
Pierre Jannot
Est-il quelque chose de plus délicat que de tenter de présenter
un œuvre peinte lorsque l’on est peintre soi-même? Existe-t-il quelque
de plus étranger au bavardage des mots que l’image picturale, tellement
silencieuse par vocation? Et si néanmoins on se laisse tenter par
cette modeste aventure littéraire, ne fera-t-on rien d’autre que
de dresser le constat de cette double impossibilité?
J’ai rencontré Pierre Jannot en octobre 1969, voici donc bientôt
vingt ans, cela de la manière la plus drôle et la plus anecdotique
qui soit: chez un fournisseur bien connu de Montparnasse, chez lequel,
bien indiscrètement je l’avoue, je faisais grand tapage à
propos de l’ignorance dans laquelle je me trouvais, ainsi (et cela est
plus grave) que ceux supposés savoir, pour tout ce qui touchait
aux techniques de la fresque. Me frappant aimablement l’épaule,
un homme au regard d’enfance se présente à moi comme pouvant,
peut-être selon lui, m’aider dans cette entreprise: je venais de
rencontrer Pierre Jannot.
Dans l’apprentissage l’un et l’autre, nous avons pris tout le temps nécessaire,
et même davantage. Nos conversations, nos échanges restèrent
longtemps ceux du strict métier, mais tout de même, se glissèrent
rapidement quelques éclairs au milieu de ce jargon fait de nom de
pigments, de marques de chaux, de question de prise de mortier à
retarder ou à favoriser, de murs hydrophiles ou non, et j’en passe.
Ces éclairs désignaient au contraire des régions où,
bien que ni méprisé, ni négligé, tout cela
n’a plus cours, où les respirations de l’esprit nous donnent la
vie, celle-là même que nous refuse le monde étroit
de l’intelligence critique.
C’est ainsi qu’avec les années, nos relations perdirent lentement
leur aspect «professionnel» pour devenir une sorte de méditation
commune dans laquelle les interruptions obligées de la vie — nos
rencontres étaient rares — ne jouaient plus aucun rôle. Nous
reprenions, six mois, un an après, le fil de la réflexion
lente, propre au spirituel, sans difficultés, comme si nous venions
de nous quitter la veille.
Pierre Jannot représente pour moi le peintre qui s’écarte
volontairement du monde, du monde artistique (si futile dès que
l’on s’avise de le connaître tant soit peu), du monde intellectuel
(fait du même bois que le précédent); il est celui
qui fait, de la peinture, son véhicule spirituel: langage éminemment
personnel, ce qui n’a rien à voir, cela va de soi, avec je ne sais
quel individualisme philistin. Il est celui qui peint pour lui-même,
c’est-à-dire qu’il peint pour les autres: pour qui a vécu
un peu ces choses, il n’y a là aucun paradoxe.
On s’étonnera peut-être que je n’avance ici aucune analyse,
aucun commentaire autour de cette peinture. Je répondrai, en ce
cas, que l’œuvre peinte doit se défendre seule, qu’elle n’a besoin
d’aucune prétendue clef pour en faciliter l’approche.
Au contraire elle n’a besoin que d’un mur pour y être montrée
et de beaucoup de silence. C’est tout.
Et si, finalement, j’ai cédé à la tentation d’écrire
que je dénonçais plus haut, considérez, je vous en
prie, que ce fut par plaisir et pour le plaisir de refaire, une fois encore,
le parcours amical et un peu austère de mon ami Pierre Jannot.
Gilles
Sacksick
Maisons-Alford
/ janvier 1989
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Jean
Belliard
Pierre
Jannot: Un art de la lumière
[Le
Républicain, 28 septembre 1995]
On ne saurait trop remercier le service du patrimoine, les archives municipales
et le conservatoire de musique d’avoir pris l’initiative d’exposer les
tapisseries de Pierre Jannot (1927-1985). L’église Saint-Gilles,
à l’occasion des journées européennes du patrimoine
vient d’être le lieu d’une intervention d’un artiste étampois
contemporain.
Les très nombreux visiteurs de Saint-Gilles ont été
sensibles à cet indéfinissable climat de spiritualité
auquel participe l’intervention de Pierre Jannot. On peut voir dans ses
œuvres d’amples références à l’art du passé
et, surtout, à la grande tradition humaniste. De tout temps, les
grandes œuvres d’art ont dépendu pour moitié de la pensée
et, pour l’autre moitié, de l’existence et de l’esprit, c’est-à-dire
de l’invisible. Tracer le parcours de l’émotion, le traduire en
forme, en volumes, en couleurs sans le traquer ni le figer. Un rythme,
une respiration, réflexion du regard.
La vérité de Pierre Jannot est exprimée ici, non seulement
à travers les tapisseries qu’il a réalisées à
Aubusson, mais aussi grâce à ses vitraux: la verrière
centrale du chœur de Saint-Gilles représentant des épisodes
de la vie de Jésus, les deux vitraux latéraux qui retracent
la vie de saint Gilles, celui enfin situé au-dessus du grand porche
qui représente saint Gilles et saint Leu. Chefs-d’œuvre sortis du
silence de verre...
Pour beaucoup, l’exposition Pierre Jannot fut une révélation.
Un regret pourrait cependant être exprimé: deux journées
d’exposition ne sauraient suffire!
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