LOUISE ABBEMA
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Presque tous les matins, promeneuse alerte et vaillante, on la rencontre
au Bois, un en-cas minuscule à la main, sa boîte à
pouce sous le bras, escortée de Fatma, sa belle caniche noire,
une compagne joyeuse, un gardien fidèle et sûr, qui bat les
buissons devant elle et mène par les allées un train d’enfer.
Le costume est élégant
et simple: une jupe de drap à plis droits, moulant la hanche
et laissant à découvert le pied, petit, cambré
finement et toujours irréprochablement chaussé; une jaquette
et un gilet de coupe masculine, étroitement ajustés, dessinant
bien le buste et la taille aux harmonieux et fermes contours; une cravate
à épingle au-dessus de laquelle le col droit, cassé
par devant, s’évase avec correction; un chapeau de feutre à
petits bords posé crânement sur la chevelure noire aux
reflets d’or bruni; à la boutonnière, à demi-caché
par la fleur à la mode, un bout de ruban — bien gagné
celui-là!
Derrière
la voilette, un visage expressif, au teint mat, aux traits énergiques
et réguliers, où, sous l’arc délicat des sourcils,
des yeux noirs, rayonnants d’intelligence et pétillants d’esprit,
brillent d’un singulier éclat, et qu’un aimable et fin sourire,
en découvrant des dents superbes, éclaire et vient sans
cesse égayer. Tout dans la physionomie dit la franchise et la
loyauté. Le profil à la ligne bourbonienne éveille
le souvenir de quelque portrait de Dauphin peint par Rigaut ou par Lebrun.
Il atteste la distinction native et la fierté du caractère.
La
démarche a quelque chose de fier et de résolu, pourtant
sans affectation de hardiesse ou d’effronterie. Impeccablement gantée
la main est petite et nerveuse.
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Il faut être des amis de Louis Abbema pour savoir tout ce qui
se cache en elle de bonté sincère et de vrai courage;
il suffit de la rencontrer un instant pour être aussitôt
conquis par sa grâce souriante et son amabilité bon-enfant.
Le flâneur qui la voit passer, parisienne élégante
à l’allure décidée, n’a pas grand peine à
deviner que c’est «quelqu’un» qui passe, quelqu’un dont la
personnalité s’est affirmée et qui veut bien ce qu’il veut.
De fait, la dominante du caractère de l’artiste est une indomptable
volonté, et Je veux est précisément sa devise.
La
vie de Louise Abbema peut se résumer tout entière en
deux mots: Travail et Devoir. Avant d’atteindre au rang élevé
qu’elle occupe aujourd’hui dans l’art français, elle a dû
se dépenser en de rudes efforts, surmonter de terribles obstacles
et s’imposer un dur et constant labeur. Pénétrée
profondément de l’idée du devoir familial elle a, par un
juste retour, trouvé dans la famille autant de dévouement
attentif, de tendresse réconfortante et de patiente abnégation
qu’elle en pouvait souhaiter. A tous les instants de sa laborieuse
existence, et surtout à ces heures mauvaises où, las et
découragé de l’avenir, l’artiste en vient à douter
de lui, la douce sollicitude et la vigilante affection des siens se
sont toujours offertes à rasséréner sa conscience
et à raviver son espoir. C’est au foyer de la famille, entre
son père et sa mère, uniquement occupés d’elle,
et qui furent de tous temps ses confidents les plus sûrs, ses conseillers
les meilleurs et ses compagnons les plus chers, qu’elle a mené
vaillamment sa bataille; et c’est là qu’elle a triomphé.
Elle
était toute fillette encore alors que la vocation s’éveilla
chez elle et ses jouets et ses poupées lui servirent d’abord
de modèles. Aussitôt qu’elle sut manier un crayon, elle
entra dans l’atelier de Delvedeux pour y apprendre à dessiner.
Elle y fit des progrès rapides et fut bientôt en état
de s’essayer dans la peinture. C’est à Charles Chaplin, le maître
regretté, qu’elle alla demander de la lui enseigner. Plus tard
elle étudia chez Carolus Duran et chez Henner. Elle y travaillait
encore quand elle exposa pour la première fois au Salon de
1874. L’œuvre avec laquelle elle y figurait était un portrait de
sa mère. Louise Abbema s’y révélait déjà
comme une artiste consciencieuse et sincère, à la vision
nette, à l’observation précise, ayant la juste perception
de la valeur et de la relation des tons, adroit dessinateur et coloriste
délicat.
Tous les envois
à nos expositions qui suivirent celui-là témoignèrent
chez Louise Abbema de continuels efforts, récompensés par
de constants progrès. Ils nous permirent de suivre, à
chaque nouveau Salon, le développement non interrompu, toujours
bien dirigé, de ses qualités d’origine. A cette œuvre de
début succédèrent de bons portraits de Sarah Bernhardt,
de Jeanne Samary, de Blanche Baretta, d’importants panneaux décoratifs
où, sur des fonds d’un ingénieux arrangement, d’une coloration
savoureuse et franche, s’enlevaient de jolies figures aux fraîches
carnations, hardiment et finement modelées: Les Saisons, La Comédie;
d’autres après eux, puis des portraits encore: celui de M. de
Lesseps, celui d’Auguste Vitu, surtout ce portrait de M. Abbema, d’une
exécution si solide et d’une si paisible harmonie, aussi vivant
que la vie même, et qui semblait refléter un peu de l’âme
et de la pensée du modèle.
Ce qui fait de
Louise Abbema un peintre entre tous intéressant et charmant,
c’est que, au rebours de la plupart des artistes de ce temps-ci, elle
s’est toujours soigneusement gardée de la spécialité.
Elle est de l’avis de ceux qui pensent à bon droit qu’un véritable
artiste doit pouvoir tout exprimer, et que se cantonner dans un genre,
c’est considérer la peinture comme un genre de ministère
où chacun a sa fonction désignée, son pupitre et
son rond de cuir. Portraitiste et paysagiste, animalier et peintre de
fleurs, elle est aussi peintre de nature-morte, décorateur si
l’on veut, éventailliste de surcroît, à l’huile,
à l’aquarelle, au pastel, il n’importe, et l’un des plus aimables,
des plus exquis et des plus habiles de notre époque. Elle peut
de la façon, satisfaire à son grand amour pour la vérité,
pour l’éternelle splendeur et l’infinie variété
des choses, en quelque endroit que l’aient conduite ou le hasard ou son
caprice.
C’est dans son
atelier de la rue Laffitte que, chaque jour, debout devant son chevalet,
Louis Abbema reçoit ses amis et ses visiteurs. Toujours cordiale
et de souriant accueil, spirituelle sans méchanceté, aimable
sans s’efforcer à le paraître, serviable et bonne, elle
impose à la sympathie de tous, sa personne et son mérite.
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Si le
vin Mariani donne de la voix il donne aussi du ton. Voilà pourquoi
il est aussi apprécié par les peintres que par les chanteurs.
Louise Abbema.
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