UNE ALLÉGORIE DE LA POÉSIE LYRIQUE            On doit à Louis Abbéma de nombreux panneaux décoratifs, dont toute une série constituant des allégories des beaux arts, à savoir au moins: Peinture, Sculpture et Musique. Nous connaissions déjà plusieurs exemplaires et études d’un panneau consacré à la Musique personnifiée par une jeune violoniste (ci-contre), décliné sous trois formes: panneau décoratif (exposé au Salon en 1897), pastel et aquarelle.

     En juillet 2012, nous avons été contactés par Michel-Édouard Nigaglioni, directeur du Patrimoine de la Ville de Bastia, conservateur délégué des Antiquités et Objets d’Art du département de la Haute-Corse, dans le cadre d’une recherche visant à reconstituer le mobilier du Théâtre de Bastia, inauguré en 1879, mais bombardé en 1943 et ensuite vandalisé.

     Michel-Édouard Nigaglioni a trouvé en possession de personnes privées, quelque part au centre de la Corse, un panneau de très grandes dimensions, imprimé sur papier et marouflé sur toile, réputé provenir du théâtre de Bastia. Il nous en a communiqué un beau cliché de grand format qu’on peut consulter ici.

      Pousuivant ses recherches, il a trouvé, sur un catalogue de vente Drouot, deux esquisses de Louise Abbéma formant une paire, à savoir la Musique et la Poésie Lyrique. Il s’agit d’une paire de pastel sur papier, signés et datés de 1897, de 120 cm sur 75. C’est en cette même année 1897 que Louise Abbéma a exposé au Salon son panneau décoratif La Musique. Il faut donc croire que ces deux panneau ont été été conçus ensemble.  En va-t-il de même pour la Peinture et la Sculpture, qui formaient sans doute une paire du même genre? La question reste posée jusqu’à de nouvelles découvertes.


     En fait j’avais déjà signalé la vente d’un autre (?) exemplaire de la même paire en 2006, mais j’avais cru à tort qu’il s’agissait de deux versions alternatives de la Musique. Voici cette autre paire de pastels:


      Michel-Édouard Nigaglioni a aussi identifié la source, ou du moins la tradition iconographique, de laquelle s’inspire cette paire de panneaux décoratifs, dans une paire de sculptures datée de 1688, conservée au Musée de Versailles et due au ciseau du sculpteur Jean Cornu (1650-1710). Cet artiste est connu surtout par des œuvres destinées à orner les jardins et du château de Versailles. Dans les deux cas on voit d’une côté une violoniste, ou une bassiste, incarnant la Musique, et de l’autre une jeune déclamatrice dont une main repose sur une lyre posée à terre. Qu’on en juge:


     Voilà une belle découverte iconographique entièrement due à Michel-Édouard Nigaglioni. C’est exactement le genre de beau travail, de belle découverte, que notre modeste Corpus, patiemment constitué au fil des années à partir de données de bric et de broc, entend préparer et faciliter, pour reconstituer autant que possible ce que furent la vie et  l’œuvre de Louise Abbéma.

     Il apparaît ici, me semble-t-il, que le choix fait par Louise Abbéma d’exposer au Salon des panneaux décoratifs de ce genre constituait avant tout une stratégie qu’on appelerait aujourd’hui du marketing. Et c’est ce qui explique aussi qu’on en trouve diverses versions en pastel ou en aquarelles. Moins que des études préparatoires, il s’agissait vraisemblablement de prospectus, complétant le panneau exposé au Salon et destinés à donner à tous les salles de théâtre ou de concert de France et de Navarre une idée du style de panneaux décoratifs qu’elle pouvait produire sur commande.

     Le Théâtre de Bastia était, nous fait remarquer Michel-Édouard Nigaglioni, un théâtre lyrique. C’est pourquoi il commanda à Louise Abbéma un exemplaire d’un de ses panneaux consacrés à la Poésie Lyrique. Il ne serait pas étonnant que les archives, voire les réserves d’autres théâtres nous confirment l’existence d’autres exemplaires du même panneau, ou de l’autre, voire des deux.