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Versus
de Tempensium jure municipali conscripto
(Poème sur la rédaction des Coutumes du bailliage d’Étampes) |
Claude Cassegrain, lieutenant-général
du bailliage d’Étampes, écrivit en 1556 ces savants vers
latins pour célébrer la mise par écrit du droit coutumier
étampois; il y rend hommage aux trois membres du Parlement qui
y présidèrent, et surtout à Christophe de Thou, dont
il latinise le nom en Tullius, du nom de famille de Cicéron,
auquel il le compare, en même temps qu’à Lycurgue, législateur
de l’antique Sparte. Il est assez difficile de traduire ce poème, qui constitue une sorte de transfiguration idéalisée à l’antique de la réalité historique française sous-jacente, de sorte qu’on peut proposer de ce texte deux traductions totalement différentes: l’une plus littérale, qui conserve cette fiction idéalisée et l’autre plus terre à terre, qui nous ramène aux réalités concrètes auxquelles il est fait allusion. Merci à François Jousset pour sa belle édition des Coutumes d’Étampes. Allez-vite la lire. |
Claude Cassegrain Poème sur la rédaction des Coutumes du bailliage d’Étampes 1556 |
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1. Remarque liminaire
Voilà un poème que personne à ce jour ne s’était encore attaché à mentionner et encore moins à traduire. L’auteur y fait montre en effet, selon le goût du temps, d’une érudition qui confine à l’obscurité. C’est pourquoi je me permets ici: 1° de renvoyer le lecteur à mes notes, qui tentent modestement d’élucider toutes les allusions de l’auteur et d’éclairer la lanterne du commun des lecteurs; — 2° de revendiquer l’indulgence qu’il est d’usage d’accorder aux premières tentatives, à la fois pour la traduction et pour les notes qui l’accompagnent; — 3° de solliciter enfin toutes les critiques et remarques qui pourraient améliorer cette première tentative. Notre enquête sur l’auteur, il est vrai, n’est pas très approfondie: mais il faut bien que nous laissions du travail aux autres, et l’objet de cette page est surtout de rendre à la littérature étampoise un petit bijou, qui gisait dans un tiroir. Il y a un mot que je n’ai pas compris dans le titre (Coelium). Pourquoi Christophe de Thou est-il appelé Célius, c’est ce que je ne puis comprendre. Quelqu’un aura-t-il une idée? 2. L’auteur
Claude Cassegrain paraît issu d’une famille étampoise en vue. L’abbé Alliot, parlant d’un événement survenu en 1554, note que «le lieutenant du bailli était alors Jean Cassegrain, d’une famille dont plusieurs membres exercèrent des fonctions publiques à Etampes. Les Cassegrain se montrèrent presque toujours favorables aux chapelains contre les chanoines dans la longue querelle qui divisa le clergé de Notre-Dame.» De fait nous voyons dans le procès-verbal de la rédaction de la coutume d’Étampes récemment mis en ligne par François Jousset (f. 32 v°) qu’en 1556 un certain Alexandre Cassegrain était chanoine de Notre-Dame. A cette même date de 1556 c’est notre auteur, Claude Cassegrain, qui est lieutenant général du bailliage. Il est licencié en droit et assez lettré pour composer un poème de 24 hexamètres de bonne tenue, célébrant la rédaction de cette même coutume sous la direction de Christophe de Thou, premier président du Parlement de Paris, et de ses assistants Berthélémy Faye et Jacques Viole, conseillers du même Parlement. L’année suivante, nous le voyons mener une enquête auprès des bourgeois d’Étampes au sujet du Port: ce rapport de 51 folios est encore conservé aux Archives municipales d’Étampes sous la cote AA 126. Lors de l’occupation d’Étampes par les Réformés en 1562 Cassegrain finit par prendre parti pour les hérétiques: voilà un épisode que notre bon Fleureau a cru devoir passer sous silence, dans son «Récit véridique» de ces mêmes événements. Il fut par suite condamné, par arrêt du Parlement du 21 novembre 1562, à «estre pendu et estranglé à potences croisées, qui seront mises et plantées en la place des Halles de cette ville de Paris». De cet arrêt perdu du Parlement, cité en 1743 par Denis-François Secousse dans ses Mémoires de Condé, et de ses suites, ni Basile Fleureau ni Léon Marquis ne disent rien, et nous n’en savons pas pour l’heure davantage. 3. Le Poème
Notre poème est une pièce de 24 hexamètres dactyliques, qui évoque la réalité du temps sous des oripeaux antiques. Claude Cassegrain devient en Claudius Quatigranus, Faye Faius, Viole Violaeus, mais surtout de Thou devient Tullius (alors que la latinisation habituelle du nom des de Thou est Thuanus). Le président du Parlement de Paris est donc assimilé à un nouveau Cicéron, ce grand Romain dont le nom latin complet était comme on sait Marcus Tullius Cicero. Étampes devient Tempe, du nom de la vallée thessalienne de ce nom, comme dans le célèbre poème de Clément Marot, et les Étampois sont des Tempiens (Tempenses). Le Parlement de Paris devient le Sénat suprême (Senatus supremus), tandis que le bailliage d’Étampes est le municipe des Tempiens (Municipium Tempensium). Le droit coutumier du bailliage d’Étampes devient donc le droit municipal des Tempiens (jus municipale Tempensium) sur le modèle du droit des Quirites, c’est-à-dire des Romains (jus Quiritum). Quant au titre de lieutenant général de Cassegrain, il est tout naturellement rendu par celui de légat (legatus). Ce cadre idéologique est important pour la compréhension de notre poème, qui fait nettement référence à un discours bien connu de Cicéron, le Pro Murena. En effet, l’un des aspects essentiels de la pensée politique de Cicéron est une réflexion sur les rôles respectifs des pouvoirs civils et militaires. Cicéron prononça ce discours en 63 avant J.-C., vers la fin de son consulat, au cours duquel il avait déjoué, par la seule force de persuasion de ses discours, le coup d’état préparé par Catilina. Le consul élu pour lui succéder, Muréna, était poursuivi en justice par un rival malheureux qui n’acceptait pas sa défaite, Sulpicius. Cicéron prend la défense de Suréna. Le passage auquel notre poème fait référence est une discussion sur les mérites comparés de Sulpicius et de Muréna. Le premier était jurisconsulte, c’est-à-dire avocat ou expert en droit, conseiller juridique ou avocat conseil, tandis que le second avait poursuivi jusqu’alors une carrière militaire: il avait été légat, c’est-à-dire lieutenant (legatus) de Lucullus pendant sa campagne victorieuse contre le célèbre Mithridate, roi du Pont, adversaire juré des Romains. Cicéron prend donc fait et cause pour Muréna et entreprend de dénigrer les jurisconsultes, ces experts en droits, qui entretiennent l’ignorance et l’obscurité afin de monnayer ensuite leurs services à un plus haut prix. Il rapporte l’histoire d’un certain Cnaeus Flavius, qui avait un jour publié un ouvrage faisant connaître tous leurs secrets, et rendant dès lors inutiles leurs services. Il prétend même, si on lui échauffe la bile, être capable de devenir lui-même jurisconsulte en trois jours. Voilà la matière qui nourrit notre poème, peut-être après avoir nourri les conversations cultivées de Claude Cassegrain et de Barthélémy Faye, tous deux licenciés en droit: en mettant de l’ordre dans le droit féodal étampois, on fera mieux que jadis tant Flavius que Cicéron lui-même: on rendra le premier venu capable de s’y retrouver dans un dédale jusqu’alors inextricable, indigne des temps nouveaux qui se sont ouverts sous le règne précédent, celui de François Ier. B.G., octobre 2006
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6. NOTES
Claudius Quatigranus. Claude Cassegrain. Le verbe français casser provient du latin quassare, frequentatif du verbe quatio, dont la racine est ici conjointe à celle du nom granum, i, m., grain. Legatus. C’est le latin pour lieutenant, avec cependant une acception nettement militaire. Tempensis. Tempien, c’est-à-dire Étampois (usuellement: Stampensis). Ce gentilé latin est forgé sur le toponyme grec Tempe (substantif neutre pluriel), c’est-à-dire la vallée de Tempé en Thessalie, où le XVIe siècle a voulu trouver l’origine du nom d’Étampes, en latin usuel Stampae (substantif féminin pluriel). On connaît à ce sujet le poème de Clément Marot, qui a peut-être lancé la mode, à l’occasion du don d’Étampes par François Ier à sa favorite Anne de Pisseleu (1534) ou bien à l’occasion de son érection subséquente en duché (1537): De la Duché d’Estempes: Ce plaisant Val, que l’on nommoit Tempé, / Dont mainte hystoire est encor embellye, / Arrousé d’eaues, si doulx, si attrempé, / Sachez, que plus il n’est en Thessallye. / Juppiter Roy, qui les cueurs gaigne, et lye, / L’a de Thessalle en France remué, / Et quelcque peu son nom propre mué: / Car pour Tempé, veult qu’Estempes s’appelle: / Ainsi luy plaist, ainsi l’a situé, / Pour y loger de France la plus belle. De jure municipali conscripto. Excellent latin, mais l’assimilation du droit coutumier du bailliage d’Étampes à celui d’un municipe romain est un peu forcée. Le municipe (municipium) était l’un des statuts possibles pour une cité du monde romain antique, inférieur à celui de colonie. La caractéristique principale de ces villes était de se diriger elle-même. En règle générale, les municipes pouvaitent disposer du droit latin ou bien du droit romain, et leurs habitants libres jouissaient donc de la citoyenneté romaine partielle, ou complète. Christophorum Tullium, Cœlium, Præsidem. Le prénom de ce personnage est Christofle (selon l’orthographe la plus usuelle, semble-t-il), c’est-à-dire Christophe, et son nom est de Thou, patronyme usuellement latinisé en Thuanus. Mais Cassegrain joue ici naturellement sur la vague homophonie de Thou / Tullius, qui sert son propos, qui est de faire du président de Thou un nouveau Cicéron. Christophe de Thou (1508-1582) ne doit pas être confondu avec son fils Jacques-Auguste de Thou (1553-1617), auteur de célèbres Histoire, et plus connu que son père au point qu’on l’appelle souvent tout simplement le Président de Thou. On oublie que même la célèbre bibliothèque de ce deuxième du Thou lui venait de son père. Rappelons également que le petit-fils de notre personnage, Francois-Auguste de Thou (1607-1642), est également célèbre pour avoir été décapité sur ordre de Richelieu, ayant été mêlé à la conjuration de Cinq-Mars. La lettre de mission que adressée Henri II à Christophe de Thou, en même temps qu’à son collaborateur Barthélémy Faye, ainsi qu’à un certain Gilles Bourdin (avocat du roi au Parlement ensuite remplacé par Jacques Viole), est citée in-extenso dans le Procès-Verbal (ff. 27-28). Cœlium. Je reste sec devant ce mot. Quelqu’un a-t-il une idée? S’agit-il de Marcus Caelius Rufus, ami, condisciple et correspondant de Cicéron, réputé pour être sa jeunesse dissolue et son caractère irascible? Et pourquoi de Thou serait-il ici ainsi dénommé? La personnalité de ce Caelius est analysée en détail par Gaston Boissier dans son célèbre Cicéron et ses amis (1865), chapitre qui est en ligne (http://www.mediterranees.net/histoire_romaine/ciceron/boissier/boissier5.html), mais je n’y vois rien qui puisse expliquer cette bizarre allusion. S’agit-il d’un surnom amical entre latinistes, voire entre condisciples? Bartholomaeus Faium. Barthélémy Faye, conseiller au Parlement de Paris. «En 1567, c’est à Barthélémy Faye, ancien condisciple de Padoue devenu président des Enquêtes au Parlement, que Michel de L’Hospital consacre une épître sur l’impuissance des lois pendant la guerre. En se réjouissant de la promotion de son ami, L’Hospital dénonce ces hommes violents qui se font justice eux-mêmes, etc.» [Loris PETRIS, «Guerre et paix dans les Carmina de Michel de L’Hospital», in Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance LXI (1999), n°1, p. 95-108; dont une édition en ligne par l’Université helvétique de Neuchâtel (12 p. au format PDF), in UniNe, http://www.unine.ch/ilcf/petris2.pdf, en ligne en 2006, pp. 10-11]. Loris cite aussi une autre épître de Michel de l’Hospital à Faye, et une troisième adressée celle-là à Christophe de Thou, Sur la Guerre civile (ibid., p. 11), av. Ajoutons que Faye avait lui-même adressé une épître à Michel de l’Hospital dès 1553 sur un sujet analogue. Il faut remarquer que dans notre poème c’est à Faye que s’adresse l’auteur plus qu’au personnage auquel est rendu l’hommage le plus appuyé, du Thou. On peut donc conjecturer qu’il existait un lien spécial de familiarité entre Barthélémy Faye et Cassegrain. Iacobum Violaeum. Jacques Viole. Ce personnage n’avait pas participé avec de Thou, Faye et Harlay à la rédaction précédente des coutumes du bailliage de Sens en novembre 1555. La lettre de mission de Henri II en date du 15 septembre 1556 qui l’adjoint à Chritophe de Thou et à Berthélémy Faye, en remplacement de Gilles Bourdin qui doit se consacrer à d’autres tâches, est donnée in-extenso dans le procès verbal (f°30v° et 31r°). Selon Étienne Pattou, et l’arbre généalogique qu’il donne pour cette famille, ce Jacques Viole (1517-1584) était seigneur d’Aigremont et Andrezel, conseiller au Parlement et aux requêtes du Palais en 1543. Il a rendu hommage pour Aigremont en le 22 mai 1539 et épousé Philippe de Bailly, dame de l’Hervilliers et des Petit et Grand Ozereau. Un de ses aïeux, Paris Viole, est mentionné dès 1374 comme contrôleur des gabelles à Orléans. Jurisconsultum, etc. On appelle jurisconsulte toute personne qui fait profession de donner des avis de droit. La littérature, depuis au moins Cicéron, ne leur fait pas une bonne réputation. C’est le lieu de citer, après Littré, le père Fléchier (1632-1710) dans son oraison funèbre de Le Tellier (1603-1685): «Avant M. le Tellier, pour obtenir les privilèges des jurisconsultes, il suffisait d’avoir de quoi les acheter». Tout le poème roule sur une allusion à un passage de Cicéron où pour les besoins de sa cause il dénigre l’office de jurisconsulte. Cicéron y fait de plus allusion à un certain Cnaeus Flavius réputé pour avoir publié un ouvrage qui faisait connaître à tout le monde les secrets dont les jurisconsultes monnayaient jusqu’alors la communication, leur coupant ainsi l’herbe sous les pieds. De même, la publication officielle du texte des coutumes du bailliage va enfin délivrer les Étampois des abus auxquels conduit toujours l’obscurantisme. Jurisconsultum cum se fore Tullius ille triduo ait, etc. Citation versifiée du Pro Murena, discours prononcé par Marcus Tullis Cicero (Cicéron) en 63 avant J.-C, et dont ce poème offre d’autres réminiscences. § XIII (26): Itaque si mihi, homini uehementer occupato, stomachum moueritis, triduo me iuris consultum esse profitebor: Oui, tout occupé que je suis, pour peu que vous me poussiez à bout, en trois jours je me ferai jurisconsulte (traduction de Nisard, 1840). Si quis stomachum mouisset: locution latine, «mettre en branle l’estomac de quelqu’un», c’est-à-dire lui inspirer de l’aigreur (à quoi répond le verbe stomachor, «prendre les choses avec aigreur», «s’échauffer»): c’est la même idée que dans la locution française «échauffer la bile». Noster.... Tullius. Notre Cicéron à nous. Comparez avec Du Bellay, notre Hercule gaulois, pour parler d’Henri II. Iure sacrosanctum iuris se fecit asylum. Il s’est fait lui-même à bon droit l’asyle sacro-saint du droit. Pompeuse périphrase qui désigne probablement tout simplement le succès à l’examen que doivent passer les licenciés en droit. Cassegain l’était, comme nos trois personnages: on est entre collègues, voire entre condisciples. On trouve une expression analogue dans un développement de Garbriel Harvey, publié en 1577 à Londres, où l’auteur s’adresse ainsi à Cicéron: Teipsum..., M. Tulli,... quem S.P.Q.R. admiraretur, celebraret, in coelo poneret: ad quem, tanquam ad asylum quoddam augustum, & sacrosanctum omnes rei confugerent, etc. Toi-même... Marcus Tullius... que le Sénat et le Peuple de Rome admirent, célèbrent et élèvent jusqu’aux cieux, vers qui, comme vers un asyle auguste et sacro-saint toute chose trouve refuge... Reste à trouver la source commune de cette métaphore, qui devait être d’usage dans la littérature d’autocongratulation de ce petit monde de la noblesse de robe. In arce Senatus. Arx est pris ici au sens de cime comme chez Ovide, arx Parnassi, le sommet du Parnasse. L’idée est qu’il n’est pas seulement président mais le premier président du Parlement. Officiis.. popularibus... / Munera... Regalia. Je comprend cette antithèse comme suit: d’un côté les charges ordinaires auxquelles on parvient par le biais ordinaire des élections qui s’opèrent au sein du Parlement; de l’autre les mandats extraordinaires qui sont d’initiative royale, comme celui de mettre par écrit toutes les coutumes du royaume. Henrici... Regis. Il s’agit évidemment d’Henri II, qui a régné de 1147 à 1159. Qui... componant legibus orbem. Orbis, le pays, la contrée, sens usuel en poésie. «Pour organiser le royaume au moyen des lois». L’expression reste tout de même grandiloquente. Reste que cette entreprise du modernisation et d’harmonisation du droit coutumier dans les différents provinces du royaume était extrêmemement ambitieuse. Voyez la thèse de René FILHOL, Le Premier président Christofle de Thou et la réformation des coutumes, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1937 et un article plus récent de Marie Seong-Hak KIM, «Christophe de Thou et la Réformation des Coutumes: l’esprit de réforme juridique au XVIe Siècle», in The Legal History Review 72/1-2 (février 2004), pp. 91-102. His ... Tempe Licurgis / Libera, amiclaeis. «Par ces Lycurgues Étampes libérée, par ces Amycléens». J’avoue que cette épithète d’amyclaeus (où le I est une faute de distraction pour Y) m’a donné du fil à retordre. Lycurge est le législateur de Sparte aussi appelée Lacédémone, célèbre capitale de la Laconie, dans le Peloponèse. Amyclées est une ville de Laconie, proche de Sparte. Les Spartiates étaient réputés pour dire beaucoup de choses en peu de mots; quant aux Amycléens, ils passaient pour carrément silencieux (au point que, selon la légende, ils avaient laissé détruire leur ville entièrement plutôt que d’appeler à l’aide leurs alliés et voisins). Bien qu’il ne semble pas exister de liens spéciaux entre Lycurgue et la ville d’Amyclées, l’usage de la poésie du temps paraît avoir autorisé cette épithète pour signifier simplement habitant ou ressortissant de la Laconie, puisqu’on trouve ailleurs ce même Lycurgue qualifié d’amyclaeus. Je comprends donc qu’il est fait ici allusion au caractère laconique, c’est-à-dire très concentré, de l’ouvrage dans lequel de Thou et ses collaborateurs ont résumé tout le droit coutumier du bailliage d’Étampes. Facundo ore. «de sa bouche éloquente». On aura noté l’antithèse amusante de la faconde et du laconisme du président de Thou. Veluti de ponte. Littéralement «comme du haut d’un pont»; je n’ai pas trouvé l’origine de cette expression, qui ne paraît pas classique, mais dont le sens me paraît être tout simplement «comme en passant». Configens cornicum oculos (ut Flavius olim). «Crevant les yeux des corneilles» L’image est célèbre et souvent reprise, mais en définitive n’est pas des plus claires et reste diversement interprétée. Certains entendent «trompant ceux qui voient ou passent pour voir clair», d’autres «rendant inutile leur clairvoyance, c’est-à-dire leurs services d’experts», d’autres enfin font remarquer que les corneilles sont réputées, à tort ou à raison, pour s’attaquer à leurs proies en leur crevant d’abord les yeux, et le sens original de l’image serait alors bien différent. Il s’agit quoi qu’il en soit d’un nouvelle allusion au Pro Murena de Cicéron, dans un passage où pour les besoins de sa cause Cicéron dénigre le métier de jurisconsulte et raconte comment ce Cnaeus Flavius (qui n’est d’ailleurs guère connu que cette allusion) aurait jadis «crevé les yeux des corneilles» en révélant à tous les secret des jurisconsultes. Jurisconsultum profiteri se tribus horis. Pointe finale qui boucle le poème: Cicéron se faisait fort de devenir jurisconsulte en trois jours par forfanterie, de Thou a permis à tout le monde de le faire en trois heures, ce qui démontre en passant la thèse énoncée entre-temps: Notre époque l’emporte sur celle de nos aïeux. |
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Cicéron a prononcé ce discours alors qu’il était encore Consul, en faveur du consul qui venait d’être élu pour lui succéder, Muréna. Muréna était poursuivi par son rival malheureux Servius Sulpicius. Nous citons ici le passage de ce fameux discours où Cicéron compare les mérites respectifs de Muréna et de Sulpicius, le premier ayant servi aux armées sous les ordres de Lucullus, comme son lieutenant (legatus), tandis que les mérites de Sulpicius sont purement civile, puisqu’il était jurisconsulte, conseiller juridique (jurisconsultus) Rappelons que notre auteur s’intitule lui-même Legatus Tempensis. Pourquoi donnons-nous ce texte en Annexe? Évidemment parce qu’il permet de se faire une idée du genre de lecture dont se nourrissaient alors les esprits les plus distingués de la noblesse de robe, qui reconnaissaient dans ce lointain ancêtre et modèle, Marcus Tullius Cicéron, un modèle à leur yeux extraordinairement moderne. Et parce que notre poème n’était intelligible, lorsqu’il fut écrit, qu’à ceux qui avaient lu le Pro Murena.
Source de la version française:
Le site de L’antiquité grecque et latine de Philippe Remacle
et alii, http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/murena.htm.
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1) Claudius QUATIGRANUS legatus Tempensis (Claude CASSEGRAIN, lieutenant général du bailliage d’Étampes), « Versus de Tempensium jure municipali conscripto», in Christophe (Christoffe, Christophle, Christofle, Chrestofle) de THOU (1508-1582), Barthélémy FAYE (ou FAÏE) & Jacques VIOLE (1517-1584) [éd.], Coustumes des bailliage et prevosté d’Estampes, anciens ressorts & enclaves d’iceluy bailliage, redigées & arrestées, au moy de Septembre mil cinq cens cinquante six, par ordonnance du roy rédigées en 1556 [4+60 folios; avec un poème en latin de Claude CASSEGRAIN, lieutenant-général d’Étampes], Paris, Jean Dallier, 1557, pp. III-IV. 2) François JOUSSET [éd.], «Coutumes des baillages et prévosté d’Etampes» [édition en mode texte], in Stampae, 2006, http://www.stampae.org/plugins/diaporama/diaporama.php?lng=fr&diapo_id=6&diapo_page=2 & page=3, 2006, pp. 2 & 3. 3) Bernard GINESTE [éd.], «Claudius Quatigranus (Claude Cassegrain): Versus de Tempensium jure municipali conscripto (Poème sur la rédaction des Coutumes d’Etampes, 1556)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-16-quatigranus1556versus.html, 2006. Sur Claude Cassegrain Claude CASSEGRAIN (licencié
en droit, lieutenant général du bailliage et gouverneur
d’Étampes, †1562), Information faite à la demande
du roi auprès des bourgeois d’Étampes sur la propriété
et le fonctionnement du port [51 feuillets écrit], 1557, conservé
aux Archives municipales d’Étampes sous la cote AA 126.
PARLEMENT DE PARIS, Arrêt du du 21 novembre 1562 portant condamnation à mort de Claude Cassegrain [aujourd’hui perdu selon DUPIEUX 1930; cité par SECOUSSE 1743, t. IV, pp. 94 & 122]. BIGAUT DE FOUCHÈRES (ancien conseiller de la cour d’appel d’Orléans, †1881), Tablettes historiques d’Étampes et de ses environs [in-8°; extrait de l’Abeille d’Étampes (2 janvier 1895-8 avril 1876)], Étampes, A. Allien, 1876, p. 49. Denis-François SECOUSSE [éd. (d’après Barbier)], Mémoires de Condé, ou recueil pour servir à l’histoire de France, contenant ce qui s’est passé de plus mémorable dans le Royaume, sous le règne de François II et sous une partie de celui de Charles IX, où l’on trouvera des preuves de l’Histoire de M. de Thou, augmentés d’un grand nombre de pièces curieuses qui n’ont jamais été imprimées [5 vol.], Londres, C. Du Bosc et G. Darrès, 1743, t. IV, pp. 94 & 122 [selon DUPIEUX 1930]. Jean-Marie ALLIOT (1848-1927),
Cartulaire de Notre-Dame d’Étampes [in-8°; XXVI+162
p.], Paris, Alphonse Picard, 1888 [dont une réédition numérique
en mode texte BNF, 2001, mise en ligne sur son site Gallica en 2006; dont
une réédition numérique en mode texte par Bernard
GINESTE, in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-15-cartulairedenotredamedetampes.html,
2005-2006], p. 145.
Paul DUPIEUX, «La Défense militaire
d’Etampes au XVIe siècle» in Revue de l’histoire de Versailles
et de Seine-et-Oise 32 (1930), pp. 273-289 [dont un extrait (in-4°;
19 p.), Versailles, J.-M. Mercier, 1930, apparemment imprimé seulement
en 1932; dont une réédition numérique en mode image
par la BNF sur son site Gallica, http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-67123,
pp. 273-289, en ligne en 2005; dont une réédition numérique
en mode texte par Bernard GINESTE, in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/che-20-dupieux1930defense.html,
2005.
Marie-Anne CHABIN [archiviste-paléographe, directrice des Archives
départementales de l’Essonne], Inventaire des Archives anciennes
d’Étampes. Répertoire numérique et Index. 400 articles.
4 m.l. Documents conservés aux Archives municipales d’Étampes
[cahier de 60 folios dactylographiés par Monique Rosier], Corbeil,
Archives départementales de l’Essonne, 1990 [dont un exemplaire
conservé aux Archives Municipales d’Étampes, où ont
été ajoutés manuellement 4 nouveaux articles; dont
une réédition numérique en mode texte par Bernard
GINESTE, Corpus Étampois, in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/ cbe-20-ame-aa1990chabin.html,
2005.
François
JOUSSET [éd.], «Coutumes des baillages et prévosté
d’Etampes» [édition en mode texte], in Stampae,
2006, http://www.stampae.org/plugins/diaporama/diaporama.php?lng=fr&diapo_id=6&diapo_page=2
& page=3,
2006, pp. 2 & 3 [première édition en ligne de ce poème].
Bernard
GINESTE [éd.], «Claudius Quatigranus (Claude Cassegrain): Versus de Tempensium
jure municipali conscripto (Poème sur la rédaction des
Coutumes d’Etampes, 1556)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-16-quatigranus1556versus.html,
2006. |
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