Corpus Latinum Stampense
 
Adèle de Champagne, reine douairière de France
Édit pour les moines de Longpont contre leur créancier Salomon
Paris, 28 février 1201
   
Le quartier du Temple en 1734 (plan Turgot)
Le Temple et la Tour du Temple à Paris en 1734 (Plan Turgot).

     Les juifs chassés du domaine royal par Philippe Auguste au début de son règne, en 1182, y reviennent en 1198. Deux ans plus tard, la reine mère Adèle de Champagne, sans doute au titre de son douaire, intervient pour garantir aux moines de Longpont qu’ils sont quittes des dettes qu’ils avaient contractées auprès de l’un d’entre eux, Salomon, et de ses ayants-droits Salemin et Juivelle.

     La saisie des textes anciens est une tâche fastidieuse et méritoire. Il ne faut pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.

 
Adèle de Champagne, reine douairière de France
Édit pour les moines de Longpont contre leur créancier Salomon
Paris, 28 février 1201
   
Littere super quittatione facta ecclesie Longi Pontis a Salomone judeo
[Titre ancien:] Édit relatif à une quittance donnée à la communauté de Longpont par le juif Salomon
     Adela Dei gratia Francorum regina (1). Noverint universi et singuli, qui presentes litteras viderint vel audierint quod
     Adèle par la grâce de Dieu reine des Francs (1). Que tous et chacun qui auront lu ou entendu lecture du présent édit sachent ceci:
     Salomon et Saleminus (2) nepos et gener eius (3) judei nostri (4), et Judeola (5) judea nostra, coram nobis quittauerunt domum et prioratum de Longo Ponte (6) de omnibus querelis et de omnibus debitis et de omnibus plegationibus (7), quas eis debuerat usque ad diem illum, in quo presentes littere facte fuerunt.
     nos juifs (4) Salomon et Salemin (2), son neveu et gendre (3), ainsi que notre juive Juivelle (5), en notre présence ont donné quittance à l’établissement et prieuré de Longpont (6) de toutes les revendications, de toutes les dettes et de tous les cautionnements (7) qu’ils leur avaient dus jusqu’au jour où a été promulgué le présent édit.
     Quod ut firmum sit et ratum et ne dictus prioratus per alias calumpnias seu per aliquas litteras super hoc aliquatenus (8) vexetur, nec aliquid dampnum sortiatur, presentem paginam sigilli nostri auctoritate fecimus communiri.
     Et pour que cela soit fermement établi, et que le dit prieuré ne soit pas tracassé à un moment ou à un autre (8) par d’autres poursuites ni par un autre édit sur cette affaire, et qu’ils n’en subissent quelque tort, nous avons fait certifier le présent acte par l’autorité de notre sceau. 
     Actum Parisius apud domum Templi (9), anno domini M°CC° pridie kalendas martii (10).
     Fait à Paris à la Maison du Temple (9), l’an du Seigneur 1200, la veille des calendes de mars (10).

NOTES DE GINESTE


Adèle de Champagne donnant un héritier à Louis VII      (1) Adèle de Champagne (1140 env. – juin 1206) alors reine douairière, troisième et dernière épouse, depuis le 13 novembre 1160, de Louis VII, mort en 1180. Elle lui avait donné en 1165 l’héritier qu’il attendait depuis une trentaine d’années, le futur Philippe Auguste. Fille du comte de Champagne et de Blois Thibaut II le Grand, elle était la sœur de Marguerite abbesse de Fontevrault, d’Agnès comtesse de Blois et de Marie duchesse de Bourgogne. Ses frères Henri Ier le Libéral comte de Blois et de Chartres et Étienne comte de Sancerre avaient épousé les filles de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine, et le troisième, Guillaume aux Blanches Mains, avait été nommé évêque de Chartres, puis archevêque de Reims. Son fils Philippe Auguste lui avait confié la régence du royaume pendant son départ en croisade de 1190 à 1191; après quoi, jusqu’à sa mort survenue en 1206, elle se retira et fonda entre autres l’abbaye du Jard (Ci-contre une miniature du XIVe siècle illustrant la naissance de Philippe Auguste).

     (
2) Salemin, ou Salomin, forme diminutive de Salomon, et non pas simple forme francisée de Salomon comme le pensait Arsène Darmesteter, puisqu’on voit ici cohabiter ces deux formes également françaises. Ce nom est attesté dans le secteur d’Orléans vers le règne de Philippe IV le Bel (1285-1314) où il est porté par un personnage qui me semble diriger une entreprise de transport de charbon de bois, les “charretes Salemin” [texte édité par Elisabeth LALOU & Xavier HÉLARY, “Enquête sur la forêt des Loges, soit d’Orléans (Archives nationales, J 1030, n°61)”, in Elisabeth LALOU & Christophe JACOBS [éd.], Enquêtes menées sous les derniers capétiens, Paris, Centre de ressources numériques TELMA (“Ædilis, Publications scientifiques” 4), http://www.cn-telma.fr/enquetes//enquete59/, 2007 (en ligne en 2009)]. Arsène DARMESTETER cite parmi les treize victime de l’autodafé de Troyes en 1288 un certain Salomon de Brinon-l’Archevêque que le Memorbuch (liste de martyrs juifs dorigine allemande) appelle Salmin ou Salemin (“Études judéo-françaises. VII. L’autodafé de Troyes (24 avril 1288)”, in Id., Reliques scientifiques recueillies par son frère. Tome premier, Paris, Léopold Cerf, 1880, pp.256-257). Il cite aussi un Salminus filius Richardi de Argentorio mentionné par une transaction de Philippe le Bel avec son frère Charles comte d’Anjou, éditée dans la Revue des études juives II (1881), p. 25. Jules SIMONNIN de son côté [“Juifs et Lombards (en Bourgogne)”, in Mémoires de l’académie impériale des sciences, arts et belles-lettres de Dijon. Deuxième série XIII (1865), pp. 145-273] cite un “Salemin d’Autun” débiteur d’un autre juif en 1306 (p.162), ainsi que “Davis et Salomin de Balmes, frères, juifs demorant à Dijon” en 1382 et 1391 (pp. 191 et 271), nom autrement écrit “Salemin de Balmes juif” en 1391 et 1417 (pp. 196 et 217 note 1); Darmesteter connaît aussi ce “Salemin de Balmes, et David de Balmes son père, demeurant en la ville de Dijon” mentionnés par l’Histoire générale de Bourgogne de Dom PLANCHER et MERLE (Dijon, 1739-1781), t. III, p. 78.

     (
3) Son neveu et gendre. Dans le monde juif de l’époque, qui n’était pas régi par la législation alors très tâtillonne de l’Eglise en matière de mariage consanguin, il était d’usage, notamment dans les familles de rabbins, d’épouser nièces, cousines et tantes. C’était d’ailleurs un sujet de quolibets à leur égard de la part des chrétiens, comme on le voit dans le Livre de Joseph le Zélateur, analysé et cité par Zadoc KAHN [Revue des Études Juives 1 (1888), pp. 222-246: 3 (1881), pp. 1-38, spécial. p. 14], chrétiens chez qui l’obsession de la pureté alimentaire propre au judaïsme a clairement été remplacée depuis l’origine par celle de la pureté sexuelle.

Enluminure d'une Haggadah espagnole du XIVe siècle: Hébreux quittant l'Egypte chargés des dépouilles des Egyptiens (Rylands Library, ms 6, f°19r)      (
4) Nos juifs. Tous les juifs sont alors de facto serfs du roi. Ils ont été chassés du domaine royal par Philippe Auguste dès le début de son règne en avril 1182, en rupture avec la tradition de protection des juifs suivie par son père Louis VII, mais cette mesure a été annulée dès 1198. Voir en dernier lieu William Chester JORDAN, The French Monarchy and the Jews from Philip Augustus to the Last Capetians, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1989. (Ci-contre un détail de miniature tiré d’une Haggadah espagnole du XIVe siècle, illustrant le départ dÉgypte des Hébreux chargés de biens dont ils ont dépouillé par ruse les Égyptiens, Exode XII, 36.)

     (5) Juivelle. Le latin Judeola, “petite juive” me paraît rendre un ancien français Juivelle (Le Lexique de Godefroy atteste Juivel au sens de “petit juif”).

     (6) Longpont. Si c’est la reine mère Adèle qui intervient dans une affaire concernant Longpont, c’est apparemment que cette localité relève alors de son douaire. Gérard SIVÉRY remarque justement que “dans [le] compte de 1202-1203, ne font pas partie du Domaine royal les prévôtés de Corbeil, Melun et Villeneuve-le-Roi attribuées à Adèle de Champagne, veuve de Louis VII.” (Les Capétiens et l’argent au siècle de Saint Louis. Essai sur l’administration et les finances royales au XIIIe siècle, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1995, p. 53 ). Nous voyons en effet Philippe Auguste confirmer une aumône en 1186 de sa mère, en disant: Adela regina, dum Meledunum et Corbolium et Villam Novam, et quasdam alias villas nomine dotalicii, teneret... (Archives de Notre-Dame de Melun”, in Bulletin de la Soc. d’archéol. de Seine-et-Marne, 1878, p. 20). Reste à déterminer quelles sont ces certaines autres villes (quasdam alias villas)... Gustave ESTOURNET précise: Le douaire de la reine Adèle comprit Corbeil, Melun, Villeneuve-le-Roi et d’autres villes qui ne sont point désignées, mais au nombre desquelles il convient de placer La Ferté-Baudouin, Moret, Grez et La Chapelle-en Gâtinais, Château-Landon, Chéroy, Lixy, Voulx, Flagy, Toury-Ferrottes et plusieurs domaines autour d’Orléans” («La Ferté-Alais, ses origines, ses noms, ses premiers châtelains», in Bulletin de la Société historique et archéologique de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix 21 [50e année] (1944), pp. 33-118, spécialement p. 68; article réédité par le Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-estournet1944lafertealais.html). Il y faut sans doute ajouter Longpont.

     (7) Cautionnements. Latin aberrant plegatio, pour plegiatio.

     (
8) Un jour ou un autre. Latin aliquatenus, “jusqu’à un certain point”, utilisé ici dans un sens non classique qui n’a été répertorié ni par Blaise ni par Niermeyer, équivalent semble-t-il à aliquando, “un jour”.

     (
9) Maison du Temple. Il s’agit de L’Enclos, maison chevetaine de l’ordre du Temple en France et siège fortifié de la banque de l’ordre pour la France. Le Trésor royal était entreposé dans la Tour du Temple depuis 1146 sous la garde des templiers, dont l’ordre ne sera dissous qu’en 1314. Il semble donc que la reine a réglé cette affaire en indemnisant d’une manière ou d’une autre les dits créanciers.

     (
10) L’an du Seigneur 1200, la veille des calendes de mars. Ce qui signifie le 28 février de l’année 1201, en nouveau style, c’est-à-dire si l’on fait commencer l’année au premier janvier.


BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Original perdu.

     Copie: Cartulaire de Longpont n°2, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Nationale de France sous la cote Nouvelles Acquisitions Latines 932, folio 31v°.

     Édition princeps: Henri OMONT (1857-1940), Chartes inédites de rois de France (1140-1207) [in-8°; 6 p.; chartes de Louis VII en faveur de la commanderie de Sommereux, de Philippe-Auguste en faveur du prieuré de Longpont et de la commanderie d’Eterpigny, et d’Adèle de Champagne en faveur du prieuré de Longpont; extrait du Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France XXXVI (1909)], Nogent-le-Rotrou, Daupeley-Gouverneur, 1909.
 
     Deuxième édition: Dietrich POECK, Longpont. Ein cluniacensisches Priorat in der Ile-de-france [24 cm; 2 tomes en 1 volumes (226+XXXIV+166 p.); illustr.; textes en allemand et en latin; bibliogr. pp. XXXII-XXXIV], München [Munich], W. Fink [«Münstersche Mittelalter-Schriften» 38], 1986, tome II, p. 99 (n°74).

     Troisième édition, avec traduction et notes: Bernard GINESTE, «Adèle de Champagne, reine douairière de France: Édit pour les moines de Longpont contre leur créancier Salomon (28 février 1201)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-13-12010228longpont-adele.html, 2009.


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source du texte: L’édition de Dietrich Poeck, remaniée graphiquement (pour les i/j et les u/v).
     
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