Corpus Latinum Stampense
 
Eustache de Saint-Père
Appel en justice devant le roi à Étampes
8 février 1079 
Philippe Ier d'après son sceau
Le vers qui ne meurt pas dans les ténèbres de l'Enfer (mosaïque de Torcello, XIe siècle)
Guillaume le Conquérantr d'après son sceau
     Voici un document qui n’avait pas encore suffisamment exercé la curiosité des historiens d’Étampes, ni des historiens de la France, et qui pourtant nous montre une scène de la vie de la Cour royale à Étampes, à un moment crucial de la vie du royaume de France. Car c’est bien à Étampes, et en février 1079,  que s’est déroulé un des épisodes les plus catastrophiques de l’histoire de France, dont la royauté mettra plus de trente ans à se relever: la rébellion des vassaux directs du roi de France, menés par Hugues du Puiset. Nous en avons mis par ailleurs en ligne le récit par Raoul Tortaire.
3e version corrigée (février 2008)

     La saisie des textes anciens est une tâche fastidieuse et méritoire. Il ne faut pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.

 
Eustache de Saint-Père
Appel en justice à Étampes
8 février 1079
1. Texte et traduction


Texte établi par Guérard (1840)
Traduction de B.G. (2007)
De tributo concesso a Mainerio in Agili Villa (a)
Affranchissement de taxe à Elleville (1)
     Notum esse volumus, ego Eustachius, abbas cœnobii sancti Petri Carnotensis, omnibus sanctæ Dei ecclesiæ fidelibus filiis, quia, dum essem in curia Philippi regis aput castrum Stanpensem, et regem pro utilitate nostri loci interpellavissem, conveni ibi Mainerium, fratrem Symonis de Monte Forti, ut, pro sui patris anima necnon et matris, atque pro incolumitate propria suorumque sobolum, Deo et sancto Petro liberum concederet transitum, tam salis quam piscium, et nostrarum rerum quæ per Agili Villam Carnotis ad usus fratrum veherentur.
     Nous voulons qu’il soit connu, moi, Eustache (2), abbé du monastère de Saint-Père de Chartres (3), de tous les fidèles fils de la sainte Église de Dieu, que, pendant que j’étais à la Cour de Justice (4) du roi Philippe dans la place forte d’Étampes (5), et que j’en appelais au roi dans l’intérêt de notre établissement, j’y ai cité en justice Mainier (6), frère de Simon de Montfort (7), afin que, pour le salut des âmes de son père et de sa mère, ainsi que pour sa propre sauvegarde et celle de sa progéniture (8), il concède à Dieu et à saint Pierre (9) le libre transit tant du sel que des poissons (10), ainsi que de nos marchandises transportées à Chartres (11) via Elleville (12) pour être consommées par les frères.
     Qui libenti animo ab omni consuetudine, VI iduum februarum, ita liberum transitum Deo et sancto Petro dimisit, ut, ab illa die antea, neque a se neque a successoribus suis, ullum teloneum vel consuetudo alique requiratur de rebus sancti Petri transeuntibus [p.236] per præfatam villam; sed, sicut pater ejus Amalricus per totum ejus territorium iter liberum de rebis sancti Petri concessit, ita et præfatus Mainerius, episcopo Gausfrido præsente (b) et Simone fratre ejus comiteque Belli Montis Ivone, concessit.
     Il a accordé de bon gré à Dieu et à saint Pierre (9) ce libre transit, le 6 des ides de février (13), de telle sorte quà dater du jour susdit aucun péage (14) ni aucune autre redevance (15) ne soit requis ni de lui ni de ses successeurs, sur les marchandises de Saint-Père qui transitent par le dit village. Mais, de même que son père Amaury (16) avait concédé le libre transit des biens de Saint-Père à travers tout son territoire (17), de même le dit Mainier l’a concédé, en présence de l’évêque Geoffroy (b) (18) et de son frère Simon, ainsi que du comte de Beaumont Yves (19).
     Simili modo assensum patris et fratris alacriter per totam terram suæ potestatis in supramemorato castro ratum esse decrevit domnus Simon, filio suo Amalrico præsente et assensum præbente, atque Hugone de Puteolo castro.
     Pareillement monsieur Simon (7) a décrété dans la susmentionnée place forte (20) que la concession de son père et de son frère aurait cours sur le champ à travers tout le territoire soumis à son autorité (17), en présence et avec l’accord de son fils Amaury (21), ainsi que de Hugues de la place forte du Puiset (22).
     Si quis vero assensioni contraire aliquando voluerit, quandiu pertinax fuerit, excommunicationis baculo semper feriatur, et nisi resipuerit et ad satisfactionis remedium confugerit, animam ejus vermis, qui numquam moritur, in tenebris inferni sine fine depascat.
     Et si quelqu’un voulait un jour aller contre cette concession, tant qu’il s’y obstinerait, qu’il soit frappé de la verge de l’excommunication (23). Et s’il ne s’en repentait pas, et ne s’empressait pas d’y porter remède en s’exécutant, que son âme soit livrée à jamais en pâture au vers qui jamais ne meurt, dans les ténèbres de l’enfer (24).
Notes de Guérard
     (a) Ante a. 1091.
     (b) Gausfridus, sive Godefridus I, Carnotensis episcopus, simoniæ damnatus, episcopatu dejectus est a. 1091.

Notes de Guérard (1840)
     (a) Avant 1091.
     (b) Gausfridus, ou bien Godefridus Ier [deux graphies alternatives de Geoffroy], évêque de Chartres, condamné pour simonie, fut déchu de l’épiscopat en 1091 [En fait ce fut en 1089 (B.G.)].

 
NOTES DE B. G. (2007)


Elleville sur le plan d'intendance de 1783 (AD78)      (1) Elleville (en latin Agili-Villa, domaine d’Agil), est aujourd’hui un hameau de la commune de Saint-Martin-des-Champs, qui en comporte trois: le bourg, autour de l’église, Corbeville et Elleville. A l’origine, le territoire avait deux chapelles, l’une dédiée à Saint-Martin, l’autre à Saint-Prix, située à Elleville, avec chacune un cimetière.
     Le site le plus ancien plus ancien, Elleville, est au Moyen-Age une cité fortifiée célèbre pour son marché aux bœ
ufs, qui tire visiblement son nom d’un ancien propriétaire.  Agil (hypocoristique probable de Agilbert, Agilulf, etc.), anthroponyme germanique bien représenté dès l’époque mérovingienne par un roi wisigoth Agila par deux saints Agil (alias Agile, Aigil, Eigil, Aile, Ail, Aisle, El, Ely, Ayeul, Ay, Y).
     Cette paroisse située dans la partie septentrionale du diocèse de Chartres, alors fort étendu, relevait de l’abbaye de Josaphat. Elle relevait par ailleurs du Comté de Monfort-l’Amaury (et ce encore à l’époque de Saint-Louis).
     
C’est ce qui explique que, bien qu’elle ne soit pas à proprement située sur un carrefour important, elle ait joué le rôle d’un relais au moins pour le transit du poisson et du sel acheté par les moines sur les ports de la Seine, vraisemblablement à Pacy.

     (2) Eustache, selon Guérard (Cartulaire de Saint-Père, p. CCXLIII) est le neuvième abbé connu de Saint-Père. Son prédécesseur Hubert, une première fois chassé et rappelé en 1075, doit encore s’enfuir, et Eustache est nommé en 1079. Il démissionnera lui-même en 1101 et mourra le 2 mai 1102, remplacé par Guillaume Ier. Guérard malheureusement ne donne pas sa source pour cette date de 1079. Si elle est exacte, la nomination d’Eustache aurait eu lieu au tout début de l’année, car nous le voyons dès février 1079 porter plainte
à Étampes contre Mainier de Montfort, qui ne respecte pas la franchise accordée par son père Amaury Ier (mort en 1053).

     (3) Le monastère Saint-Père (c’est-à-dire Saint-Pierre) de Chartres, dit aussi Saint-Père-en-Vallée, paraît avoir été fondé au VIIe siècle, quoique avec une histoire très troublée et mal connue aux époques mérovingienne et carolingienne. Ses membres sont parfois présentés comme de simples chanoines. Il était hors des remparts à cette époque. Son premier abbé connu est cité en 940.

     (4) Le mot ici traduit par «
Cour de justice», Curia, désigne en latin classique le lieu de réunion d’une assemblée. Il peut désigner en latin médiéval, d’une manière générale soit une assemblée (la cour du roi, ou bien l’assemblée du royaume), ou bien le lieu elle se réunit (par exemple le palais royal lui-même); mais le sens dominant qu’impose ici le contexte est celui que formule ainsi le Lexicon de Niermeyer: «Tribunal formé par la “curia” d’un seigneur féodal, d’un prince territorial».

     (5) L’existence d’un castrum (place forte) est attesté avec certitude à Étampes depuis le règne de Raoul (923-936) dont un denier porte l’inscription Stampis Castellum.


     (6) Mainier de Montfort, fils cadet d’Amaury Ier de Montfort, fut seigneur d’Épernon. D’après une source dont les données restent à vérifier (Complete Peerage, t. VII, appendix D, p. 708, note i), il aurait épousé une certaine Élisabeth qui lui aurait donné deux fils dont un Amaury (qu’il ne faut pas confondre avec son cousin Amaury II de Monfort, fils de Simon Ier de Montfort, dont parle notre notice), cité en 1133 comme seigneur d’Épernon, et un autre Mainier.

     (7) Simon Ier de Montfort était le fils aîné d’Amaury Ier de Montfort et de Bertrade de Gometz, et le frère aîné de Mainier de Montfort. Il avait épousé en premières noces Isabelle de Broyes (fille d’Hugues Bardoul, seigneur de Broyes et de Pithiviers), qui lui donna un fils, Amaury II de Monfort (1056-1089), et une fille, Isabelle (mariée à Raoul III de Tosny, seigneur de Conches mort en 1112).
     Il avait épousé en secondes noces Agnès d’Évreux (fille de Richard d’Évreux, comte d’Évreux), qui lui donna trois enfants: Bertrade de Montfort (1059-1117), mariée en 1089 à Foulques IV d’Anjou (1043-1109), comte d’Anjou, puis en 1092 à Philippe Ier, roi de France; Simon II de Monfort (mort en 1101) et Amaury III de Monfort (comte d’Évreux et mort en 1137).
     Simon Ier de Monfort mourut le 25 septembre 1087, et fut enterré à Épernon, selon Ordéric Vital (vol. IV, livre VIII, p. 217).

     (8)
Les bienfaits accordés à l’Église procurent l’indulgence de Dieu envers l’âme des défunts et préservent les vivants de toutes sortes de catastrophes qui sont considérées comme des châtiments divins.

Hareng
Hareng Hareng Hareng Hareng Hareng      (9) C’est-à-dire au saint patron de l’abbaye de Saint-Père.

     (10) Le poisson est indispensable car c’est la seule viande qu’on peut consommer le vendredi et pendant les quarante jours du carême. Il arrive de Normandie.

     (11) La traduction de cette phrase est quelque peu problématique, parce que le nom de Chartres, ici Carnotis, est généralement traité en ce temps-là comme indéclinacle (de même que pour Étampes, Stampis), de sorte qu’on peut théoriquement le comprendre aussi bien comme un ablatif (du lieu où l’on est), qu’un génitif (complément de nom) ou qu’un accusatif (du lieu où l’on va). La troisième solution paraît imposée par le contexte.

     (12) Le pays chartrain était alimenté, surtout en sel et en poisson, dès la première moitié du XIe siècle, par la voie fluviale de l’Eure. La navigation sur l’Eure était alors un enjeu économique important. Vers 1050, Guillaume le Conquérant fit construire le château d’Acquigny non seulement pour garantir ses frontières mais pour contrôler cette navigation. On est surtout documenté sur ce commerce fluvial à partir de 1440. On sait notamment qu’au XVe siècle de nombreux accrochages et démêlés eurent lieu entre les Morhier, seigneur de Villiers le Morhier (autrefois Huesmes ou Yesme ou Villare), leurs soldats et serviteurs et la prévôté de Chartres, suite à une revendication des Morhier sur les droits de péage concernant la navigation sur l’Eure (Voyez notre bibliographie sur le commerce sur l’Eure.).
     Dans ce contexte, la situation reflétée par notre notice n’est pas claire, parce qu’Elleville n’était pas sur l’Eure. Que faut-il en penser, et en conclure? Cette paroisse appartenant à l’abbaye chartraine se trouvait sur un ancien chemin qui allait de Pacy (sur l’Eure) à Palaiseau, comme on le voit sur cette carte des anciens chemins de ce secteur élaborée par Dion en 1870:

Ancien chemins de l'Iveline et du comté de Montfot (Dion, 1870)

Saint-Piat entre Chartres et Epernon (carte de Cassini de 1757)      On voit mal donc à quel titre les marchandises achetées par les moines sur les ports de la Seine ou de l’Eure à destination de Chartres auraient transité par Elleville. Deux explications se présentent. Ou bien l’on ne naviguait pas encore sur l’Eure, à cette date, au-delà de Pacy. Ou bien les moines préféraient-ils, à partir de là, le transport routier, pour contourner des seigneuries aux taxations excessives, en passant par le territoire contrôlé par la famille de Montfort.
     Quoi qu’il en soit, Elleville était alors la première agglomération que l’on rencontrait dans le comté de Montfort lorsqu’on y arrivait en provenance de Pacy, port de l’Eure. Depuis Elleville jusqu’à Maintenon, on restait sur les terres des seigneurs de Montfort. Sortis de Maintenon, les moines avaient le choix entre la route de Chartres et la navigation sur l’Eure, en passant par Saint-Piat, qui était une autre possessions des moines de Josaphat.

     L’existence de ce péage d’Elleville est bien attesté encore au début du XIIIe sècle: “Guillaume des Barres et sa femme, Amicie de Beaumont, comtesse de Montfort, donnèrent à l’abbaye de l’Estrée (…) le péage d’Elleville (…) pour le repos de l’âme du comte Simon III de Montfort, premier mari de ladite dame; cette charte ne porte point de date, mais la présence de Robert, comte de Leicester, parmi les témoins, prouve qu’elle est antérieure à décembre 1204” (G. Estournet, «La Ferté-Alais», in Bull. de la Soc. Hist. Et arc. de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix 50 (1944), p.83, alléguant A. Rhein, La Seigneurie de Montfort, 1910, n°62 et p. 315, n°25).

     (13) En février les ides tombent le 13 du mois. Le 6 des ides signifie: six jours avant les ides, en comptant les ides elles-mêmes comme le premier de ces six jours, ce qui amène au 8 février, de l’année
1079, comme je le démontre plus bas. En décembre 1078 et début janvier 1079, Philippe Ier était avec Guillaume le Conquérant devant le château de Gerberoy en Beauvaisis. Au printemps 1079 il partira faire le siège du Puiset. Il semble donc bien avoir passé l’hiver à Étampes.

     (14) Le mot que nous traduisons tout simplement ici par péage est littéralement le tonlieu (latin teloneum, du grec telônion). Le teloneum était originellement le bureau du percepteur d’impôt lui-même (comme dans l’Évangile, où le futur apôtre Mathieu est représenté devant son telonium lorsque l’appelle le Christ). Ce mot a ensuite désigné un péage, puis la taxe elle-même qui y était prélevée par le péager (déjà au sixième siècle chez Cassiodore, Vaiae 5,39,9, pour une taxe maritime).

     (15) «Ou tout autre redevance» (vel consuetudo alique). Les droits exigés par les seigneurs étaient d’une grande variété de nature et de dénomination. Consuetudo, littéralement «coutume», signifie ici généralement d’après le contexte «redevance, prestation en nature ou service exigée en fonction d’une coutume» (Niermeyer). On notera que le titre de la notice ne porte ni teloneum ni consuetudo mais le mot tributum, qui désigne en latin médiéval d’une manière générale une redevance (soit d’ordre public ou privé, la frontière n’étant pas nette entre ces deux acceptions, à une époque où la puissance publique est tombée entre les mains de particuliers).

     (16) Amaury Ier de Montfort, mort en 1053, passe pour le fils de Guillaume de Hainaut et second seigneur de Montfort-l’Amaury. Il avait épousé vers 1028 Bertrande de Gometz, qui lui donna pour fils et successeur Simon Ier de Montfort.

     
(17) Amaury avait concédé le libre transit de ces marchandises à travers tout son territoire (per totum ejus territorium). Ce territoire (ou terroir) a été réparti à la génération suivante selon les règles féodales entre les deux fils d’Amaury Ier. Chacun en a reçu une partie; mais les possessions du cadet, Mainier, le constituent vassal de l’aîné, Simon Ier, qui conserve la seigneurie sur l’ensemble du patrimoine. C’est pourquoi il est nécessaire que la confirmation par Mainier de la franchise accordée par son père soit validée par l’accord de son frère aîné et suzerain Simon, et par l’héritier présomptif de ce dernier. Simon accorde à son tour ce libre transit à travers tout le territoire soumis à son autorité (per totam terram suæ potestatis), On notera que ce dernier mot de potestas désignait originellement une charge publique, ou bien la circonscription même où s’exerçait l’autorité d’un officier public. Mais concrètement, à cette époque, autorité publique est synonyme de seigneurie.

     (18) Geoffroy Ier fut évêque de Chartres de 1077 à 1089, succédant à Robert de Grantemesnil (1075-1076). Il fut déposé pour cause de simonie et son successeur fut le célèbre Yves de Chartres (1089-1115). Il ne faut pas le confondre avec Geoffroy II, dit Geoffroy de Lèves, successeur d’Yves. Geoffroy Ier vit dès le départ son élection contestée pour cause de simonie, et fut de fait déposé pour ce motif en 1089. Sa réputation est assez mauvaise, mais on peut se demander si cette fin peu glorieuse n’a pas terni son image indûment dans la littérature ecclésiastique postérieure. Nous voyons en effet que le pape Grégoire VII, bien connu pour son extrême rigorisme, annula la première sentence de déposition qui avait été prononcée à son encontre, et le protégea si bien que ce n’est que sous son successeur que les adversaires de Geoffroy obtinrent enfin sa déposition: au reste cette déposition fut-elle contestée par l
archevêque Richer de Sens, qui refusa dans un premier temps de reconnaître lélection dYves, considéré comme un intrigant. La tradition ecclésiastique est toujours portée à noircir rétrospectivement ceux qui ont fini par avoir le dessous spécialement en matière dhérésie. Il ne faut pas oublier en effet que la réforme grégorienne assimilait, dune manière quelque peu excessive, la pratique de la simonie à une hérésie, hérésie prétendument fondée par Simon le Magicien, adversaire de saint Pierre au Ier siècle, mis en scène par des textes apocryphes dorigine romaine assez populaires au Moyen Age, et déjà mentionné par les Actes des Apôtres pour avoir voulu acheter à prix d’argent la grâce du Saint Esprit.

Plan du castrum d'Etampes vers 1046      (19) Il s’agit d’Yves II (la numérotation varie beaucoup selon les auteurs, puisqu’elle va de II à V), comte de  de Beaumont-sur-Oise (à ne pas confondre avec Beaumont-le-Roger, aussi chef-lieu d’un comté célèbre à la même époque en Normandie). Il était le fils d’Yves Ier de Beaumont (la numérotation varie ici aussi, naturellement de I à IV). Il succèda à son frère aîné Aubry mort sans descendance. Ordéric Vital lui donne pour épouse une Judith, alors qu’on ne connaît par ailleurs que son épouse Alais de Gournay, qu’il semble donc avoir épousée en secondes noces. On le fait mourir vers 1083, mais je n’ai pu savoir encore d’après quelle source. Le dernier document qui le mentionne vivant est une notice qui se présente comme contresignée par Philippe Ier et datée de 1080 (Nous y reviendrons). En tout cas son fils Mathieu est cité comme comte de Beaumont en 1086 et à la même date sa veuve est à nouveau veuve de son mari suivant.

     (20) C’est-à-dire à Étampes, naturellement (Voyez le plan du premier castrum ci-contre).

     (21) Il ne s’agit pas ici d’Amaury fils de Mainier de Montfort et seigneur d’Épernon comme son père, mais d’après le contexte de son cousin Amaury II de Montfort, fils de Simon Ier de Montfort et d’Isabelle de Broyes fille d’Hugues Bardoul. Cet Amaury II fut le quatrième seigneur de Montfort l’Amaury. Il succéda à son père en 1087, et mourut peu après, en 1089. Ses premiers successeurs furent ses demi-frères Simon II (1089) puis Amaury III (1101-1137).

Denier de Thibaud III de Chartres      (22) Il s’agit ici d’Hugues Ier du Puiset, dit Blavons, fils du vicomte de Chartres Évrard fils de Gilduin. Il fut châtelain du Puiset à partir de 1067 et vicomte de Chartres à dater de 1073. Il est mort le 23 décembre 1094. Il avait épousé Alix de Montlhéry, dame de Villepreux (fille de Guy Ier de Montlhéry et d’Hodierne de Gometz).
     Hugues était vassal direct du roi pour les possessions en Étampois et en Orléanais, notamment à Méréville, mais aussi par ailleurs, pour ce qui concernait sa vicomté de Chartres et son domaine du Puiset, vassal de Thibaud III de Chartres (1037-1089), comte de Blois, grand feudataire pratiquement indépendant et aussi puissant que le roi lui-même.  
       Il eut neuf enfants: 1) Guillaume (mort avant lui); 2) Évrard III, son premier successeur, mort en Palestine le 21 août 1099, père de Hugues III; 3) Hugues II, qui fut tuteur de Hugues III, jusqu’en 1106, puis partit lui-même en Palestine où il devint Hugues Ier de Jaffa (mort en 1118); 4) Guy du Puiset, d’abord chanoine à Chartres (1100-1106), puis marié à Liesse d’Étampes, seigneur de Méréville et tuteur de son beau-frère Hervé, vicomte d’Étampes; enfin vicomte après la mort d’Hervé (Guy est mort au plus tôt en 1127); 5) Gilduin du Puiset, moine à Saint-Martin-des-Champs en 1108, prieur de Lurey-le Bourg en 1126, abbé de Notre-Dame de Josaphat à Chartres en 1129-1130; 6) Galeran du Puiset, parti en Palestine, seigneur de Birejik en 1116, capturé par les Turcs en 1122 (mort captif en 1126); 7) Raoul, cité entre 1102 et 1106; 8) Humberge qui aurait été l’épouse de Galon de Chaumont-en-Vexin (fils d’Eudes de Beaumont-sur-Oise frère cadet d’Yves, vicomte de Chaumont, connétable en 1085, parti pour la première croisade, mort en Palestine après 1096); 9) Eustachie.
     Ainsi que je le démontre dans le commentaire qui suit, Hugues Ier du Puiset apparaît ici à Étampes en février 1079, juste avant sa rebellion et sa victoire sur le roi devant le Puiset au printemps 1079. C’est sa dernière apparition à la cour de Philippe Ier.

Le vers qui ne meurt pas dans les ténèbres de l'Enfer (mosaïque de Torcello, XIe siècle)      (23) Métaphore traditionnelle qu’on retrouve par exemple sous différentes formes dans le Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers: feriatur ultione anatematis, “Qu’il soit frappé de la vengeance de l’anathème” (979), superni judicis anathematis mucrone feriatur et excommunicationis gladio juguletur, ultionisque divine ictu moriatur, nisi resipuerit et ad emendationem venerit, “Qu’il soit frappé du tranchant du jugement divin de l’anathème, qu’il soit égorgé par l’épée de l’excommunication et qu’il meure d’un coup de la vengeance divine, s’il ne se repentait pas et n’en venait pas à se corriger” (1022) anathematis baculo feriatur, “Qu’il soit frappé de la verge de l’anathème” (XIe siècle).

     (24) Allusion au dernier verset du Livre d’Isaïe (LXVI, 24): Et on sortira pour voir les cadavres des hommes révoltés contre moi, car leur ver ne mourra pas, et leur feu ne s’éteindra pas: il seront en horreur à toute chair, verset repris par l’Évangile de Marc (IV, 48): Mieux vaut pour toi entrer borge dans le royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne où leur ver ne meurt point et où le feu ne s’éteint point. Ce passage est représenté par exemple sur la mosaïque de Torcello, près de Venise, qui est de la même époque que notre notice (ci-contre).
3. Datation et commentaire

     Le premier éditeur de cette notice,  Benjamin Guérard, en 1840, s’est contenté de noter qu’elle était antérieure à 1091. Elle mentionne en effet l’évêque de Chartres Geoffroy Ier, que Guérard pensait n’avoir été déposé qu’en 1091.

A. Les personnages présents à Étampes

     Nous savons aujourd’hui que c’est dès 1089 que Geoffroy a été déposé pour simonie. Par ailleurs Eustache, auteur de notre notice, occupa la charge d’abbé de Saint-Jean-en-Vallée de 1079 à 1101. Ceci nous donne une première fourchette chronologique: entre 1079 et 1089.

     Comme Eustache fait aussi état de la présence à Étampes de Simon de Montfort, et que ce personnage est mort le 25 septembre 1087, on peut encore la réduire: entre 1079 et 1087.

     Savons-nous par ailleurs combien de fois et quand précisément Philippe Ier a séjourné à Étampes, de 1079 à 1087? Malheureusement non. Le Recueil des chartes de Philippe Ier édité en 1908 par Maurice Prou, qui est un des modèles du genre, ne comprend pas moins de 170 chartes de ce monarque. Mais c’est en réalité assez peu, si l’on veut bien se rappeler que le règne de ce monarque a duré quarante-huit ans. C’est donc trop peu pour reconstituer les itinéraires de Philippe Ier, et pour connaître toutes les dates où il séjourna à Étampes entre 1079 et 1087.

     Nous l’y voyons deux fois, mais ce ne sont sans doute pas les seules. En 1082 il y donne une première charte en faveur de Notre-Dame d’Étampes et des moines de Saint-Germer de Fly installés à Étampes; mais la charte alors rédigée, parmi les nombreux témoins qu’elle cite, ne fait mention d’aucun de ceux qu’allègue Eustache de son côté. De même pour celle de 1085 donnée à nouveau en faveur de Notre-Dame. De même enfin pour la notice en faveur d’Eudes, maire de Chalo, qui se présente elle aussi comme datée de 1085, mais dans un passage peut-être apocryphe de sorte que la date de cette charte-là est en fait assez douteuse. D
’ailleurs il semble bien qu’Yves de Beaulieu, donné témoin de cette concession, soit mort vers 1083.
Philippe Ier d'après son sceau
Sceau de Philippe Ier

     Faut-il donc désespérer de jamais pouvoir dater les faits dont fait état la notice d’Eustache? Non, car il faut encore noter comme très importante et significative la présence à la Cour de Philippe Ier, à Étampes, de trois personnages considérables: Simon de Montfort, Hugues du Puiset et Yves de Beaulieu-sur-Oise.

     La présence du troisième de ces personnages n’a rien pour étonner car c’est un fidèle d’entre les fidèles. En revanche, ainsi que je vais maintenant l’établir, les deux autres ont définitivement déserté la Cour de Philippe Ier au printemps de 1079.


     Yves de Beaumont est d’abord cité comme témoin d’une charte entre 1042 et 1044, en temps que “Yves fils du comte Yves de Beaumont” (1). Il apparaît à la Cour de Philippe Ier, en temps que comte, avec son frère Aubry au début de 1070 à Paris (2). Il avait aussi un frère nommé Fromond (3). En 1071 Yves est encore auprès de Philippe Ier à Paris (4), ainsi qu’en 1073 (5); en 1075 il le suit à Soissons (6), en 1077 apparemment à Poissy (7), en janvier 1079 à Gerberoy lors du siège de cette ville par Philippe Ier et Guillaume le Conquerrant (8). En 1080 enfin Philippe Ier confirme de sa souscription la charte par laquelle Yves fonde le prieuré de Conflans-Sainte-Honorine et le donne aux moines du Bec.

     C’est sans doute la vieillesse ou la maladie qui l’éloigne alors de la cour itinérante de Philippe Ier. On le fait mourir peu après 1083, je ne sais pas sur la base de quelle source. Ce qui en tout cas réduirait encore notre fourchette chronologique de 1079 à 1083.
     (1) Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, n°XXII, p. 22: Ivo filius Ivonis comitis de Bello Monte.
     (2) Édition de Prou, p.132, l.13; p.134, l.15: Ivo comes. Albericus frater ejus.
     (3) Cité par un diplôme du 12 juin 1073, A. N. Cartulaire de St-Germain-en-Laye, T* 671.6, f°75.
     (4) Cartulaire... Dunois, p.159, l.28 = Cartulaire de Saint-Spire de Corbeil n°1, p. 1: Ivo comes Bellimontis.
     (5) Prou, p.168, l.17: Ivo comes.
     (6) Prou, p.199, l.26: Ivo comes.
     (7) Prou, p.233, l.28; p.234, l.3: Ivo ou Yvo comes de Bellomonte.
     (8) Prou, p.244, l.19.
     Hugues Ier du Puiset, dit Blavons, apparaît d’abord à la Cour de Philippe Ier en temps que frère cadet d’Évrard du Puiset, à Orléans, en 1068 ou 1069 (9), puis on l’y retrouve régulièrement: à Senlis en 1069 (10), à Paris en 1070 (11), à Orry près Senlis en 1070 (12), à Paris en 1073 déjà en compagnie de Simon de Monfort et du comte Yves de Beaumont (13). En 1074 Philippe Ier confirme, à Orléans, une donation d’Hugues aux chanoines de Saint-Martin du Puiset (14). Hugues est encore à la cour de Philippe en 1075 à Orléans (15) ainsi qu’en 1077, tant à Orléans (16) qu’à Mantes (17).
     (9) Prou, p.109, l.8.
     (10) Prou, p.123, l.10.
     (11) Prou, p.132, l.14; p.134, l.16 ; p.137, l.1; p.142, l.6.
     (12) Prou, p.144, l.7.
     (13) Prou, p.168, l.22.
     (14) Prou, p.182, l.2.
     (15) Prou, p.193, l.9.
     (16) Prou, p.228, ll.23-24.
     (17) Prou, p.232, l.9
     Ensuite il disparaît de sa cour. Il n’est pourtant mort que le 23 décembre 1094, dix-sept ans plus tard.

     Il en va de même pour Simon de Montfort, également présent. N
ous le voyons à la cour de Philippe Ier à Paris en 1067 (18), à Paris en 1071, en compagnie d’Yves de Beaumont (19). Philippe Ier confirme une de ses donations en 1072 à Paris (20). Il est encore à la cour à Paris en 1073, en même temps qu’Hugues du Puiset et qu’Yves de Beaumont (21). En 1077 Philippe confirme en passant une de ses donations aux moines du Bec (22). Simon paraît encore à Paris en 1078 (23).

     Puis il semble en disparaître vers le même temps qu’Hugues du Puiset de la Cour royale. Il n’est pourtant mort que le 25 septembre 1087, neuf ans plus tard.

     Comment cela se fait-il? C’est qu’entre-temps a pris place un événement aussi important que mal connu, une rébellion de vassaux de Philippe Ier, sous la direction d’Hugues du Puiset. Ils ont battu à plates coutures l’armée royale devant Le Puiset, et l’ont mise en fuite jusqu’à Orléans. Le fil des événements n’est pas bien connu et a longtemps été mal daté; il l’est encore dans certains ouvrages relativement récents.

     (18) Prou,
p.94, l.4.
     (19) Prou,
p.160, l.2.
     (20)
Prou, p.164, ll.12.19.29 et p.165, ll.5.6.
     (21) Prou,
p.168, l.20.
     (22) Prou,
p.234, l.10.
     (23) Prou,
p.237, l.23.
B. Juste avant la bataille du Puiset

     La scène est théoriquement dominée par la rivalité qui oppose le roi de France et son puissant feudataire le duc de Normandie, devenu depuis 1066 roi d’Angleterre. Certains historiens ramènent toute cette affaire a de machiavéliques manipulations de part et d’autre, chacun des deux rois soutenant et encourageant les vassaux mécontents de son adversaire à se rebeller. Il semble que la situation soit beaucoup plus complexe et qu’en réalité elle échappe presque complètement au contrôle des deux rois, qui finissent par s’allier, dépassés et finalement menacés eux-mêmes par le développement anarchique des guerres privées.

     En décembre 1078 et janvier 1079, les deux rois font ensemble le siège de Gerberoy en Beauvaisis, où s’est réfugié le fils rebelle de Guillaume le Conquérant, en compagnie de chevaliers dont on ne sait plus pour quel camp ils se battent provisoirement. La date de ce siège a été bien établie par Prou dans son édition d’une charte du temps (24). Cette charte, signée des deux rois le dit expressément: ils assiègent ensemble Gerberoy (25). Pourtant on lit çà et là encore que Gerberoy fut une bataille de Philippe Ier contre Guillaume le Conquérant. Finalement Guillaume se retire et retourne à Rouen sans résultats (26). Deux rois ensemble n’ont pu venir d’une place forte tenue par des chevaliers rebelles.

Guillaume le Conquérant d'après son sceau
Guillaume le Conquérant

     (24) Prou, p. 242, note 1.
     (25) Prou, p. 245, ll. 1-2.
     (26) Le récit d’Ordéric Vital, qui est pourtant à la solde des ducs de Normandie.
     Mais le pire est à venir. Au printemps suivant, Philippe Ier entreprend pour une raison non précisée d’aller assiéger le Puiset, place forte tenue par son vassal et jusqu’alors courtisan Hugues. Prend place alors une catastrophe qui ne nous est guère connue que par Raoul Tortaire, moine de Fleury, qui explique cette défaite comme la punition d’un sacrilège commis par l’armée de Bourgogne lors de son passage dans un lieu appartenant à son abbaye, à Yèvre-le-Châtel. Il en existe un autre bref récit élaboré au cours du règne suivant par , pour motiver la vengeance que la royauté humiliée va enfin pouvoir tirer de cet épisode peu glorieux. Sans les vengeances saint Benoît, puis de Louis VI, cet épisode peu glorieux pour la royauté  française nous serait resté à jamais inconnu (27).       (26) Le récit de Raoul Tortaire (que nous avons mis en ligne) est marqué par la préoccupation de monter la puissance thaumaturgique de saint Benoît, patron de son abbaye, et celui de Suger par la volonté de comparer l’énergie de Louis VI par rapport à la molesse coupable de son père Philippe Ier.
     La date approximative de cette débâcle royale a été établie par Augustin Fliche: on est au printemps 1079. L’armée royale venue assiéger Le Puiset est battue à plates coutures et repoussée jusqu’à Orléans. Hugues fait près d’une centaine de prisonniers, dont le comte de Nevers et Lancelin de Beaugency, et des évêques, parmi lesquels celui d’Auxerre, fils du comte de Nevers (28).
     (28) Le Règne de Philippe Ier, p. 314. L’un des évêques capturés aurait selon Fliche été celui d’Auxerre, Robert, qui accompagnait son père Guillaume Ier de Nevers, cousin germain du roi. Raoul Tortaire, dont le récit est daté des environs de 1114, écrit pourtant explicitement que cet évêque de Nevers s’appelait Geoffroy (Gaufredus) et que son père le comte de Nevers se nommait Eudes (Odo). La chronologie en vigueur des évêques d’Auxerre mentionne un Geoffroy de Champaleman (1052-1076) avant Robert de Nevers (1076-1084).
      Il apparaît donc avec une quasi certitude que c’est à Étampes que le roi a passé l’hiver 1078-1079 avec sa cour, et que c’est à ce moment là que sont venus le trouver Geoffroy et Eustache, en février.

C. Plaintes de Geoffroy et d’Eustache

     Eustache nous dit expressément qu’il était venu porter plainte devant le roi contre Mainier de Montfort, qui ne voulait pas appliquer une franchise accordée jadis
au monastère Saint-Père de Chartres par son père Amaury. Quant à l’évêque Geoffroy, il était sans doute là aussi pour se plaindre des exactions d’Hugues du Puiset, vicomte de Chartres. C’est à Étampes, très certainement, que les relations se sont envenimées entre Philippe et ces deux vassaux, qui d’ailleurs, semble-t-il bien, ne l’avaient pas accompagné au siège de Gerberoy, au contraire du fidèle Yves de Beaumont-sur-Oise.

     Raoul Tortaire ne nous dit rien du motif de la rébellion d’Hugues. Selon Suger, qui prête ces propos à Thibaud de Chartres à la génération suivante (dans la tradition de l’historiographie gréco-romaine), Philippe avait pris les armes contre son vassal “pour tirer venger de ses nombreuses violations du droit (injuriae)” (29). Quelles étaient ces injuriae? Précisément sans doute les mêmes qu’à la génération suivante sous Louis VI. Il s’agit d’un exercice dépravé de l’autorité publique dont le vassal est investi sur la terre que lui a confiée son suzerain, et spécialement de l’oppression des communautés ecclésiastiques dépouillées de leurs biens et de leurs droits.
Suger, bbé de Saint-Denis
Suger, auteur de la Vie de Louis le Gros

     (29) Vie de Louis le Gros, ch. XIX, éd. Waquet p. 132: multas illatas injurias ulcisci.
      Précisément,  parmi l’armée royale qui se dirige vers le Puiset se trouvent, puisqu’ils vont être capturés par Hugues, “certains évêques” (30), c’est-à-dire, pour compter avec l’exagération polémique, plus d’un, voire seulement deux.
     (30) quosdam episcopos.
     Il y faut certainement compter ceux qui avaient à se plaindre des exactions de Hugues, dont le domaine s’étendait à la frontière de trois diocèses. Il s’agit de ceux de Chartres (tenu par Geoffroy), d’Orléans (tenu par Renier de Flandres) et de Sens; mais il ne faut pas supposer que l’archevêque de Sens (31) ait été au nombre des captifs: la présence de ce prélat, qui revendiquait le titre de primat des Gaules, aurait été mentionnée.      (31) C’était alors Richer II.
     Notre hypothèse est grandement confortée par ce qu’on constate de l’attitude ultérieure d’Hugues du Puiset, sur laquelle nous sommes mieux documentés. Il fut en conflit également avec le successeur de Geoffroy à Chartres, saint Yves, qu’il ne craignit pas d’emprisonner plus d’un an au Puiset entre 1092 et 1093.
 
     Ce n’est pas pour rien par ailleurs que Suger, à la génération suivante, rappelle cet épisode où le roi de France a eu le dessous, et qu’il faut maintenant venger. Il raconte immédiatement après comment, le 12 mars 1111 (à nouveau peu avant le printemps, alors que vient le temps des expéditions punitives), “nous nous réunîmes à Melun. En cette ville affluèrent nombre d’archevêques, d’évêques, de clercs et de moines, dont Hugues [III], plus rapace qu’un loup, dévorait les terres”. Parmi les premiers de ces “prélats” en question, il faut en réalité compter seulement les trois évêques dont les diocèses sont concernés: “à savoir l’archevêque de Sens, l’évêque d’Orléans, celui de Chartres, le vénérable Yves — qu’il avait arrêté et fait jeter en prison dans la dite place forte pendant fort longtemps” (32).


     Ce n’est que Louis VI qui réussit en 1117 ce qu’avait d’abord tenté son père, trente-huit ans plus tôt: après avoir rasé la place forte du Puiset, il publia un décret interdisant à l’avenir à ses habitants leurs spoliations coutumières des biens de l’église de Chartres et du monastère Saint-Père, édit approuvé le 13 avril de la même année par une bulle de Pascal II, donnée à Benévent.
     (32) Éd. Waquet, p. 134. Waquet, comme Leclercq (éditeur des Lettres d’Yves), et d’autres, croit que ce fut sur ordre de Philippe Ier, dont Yves réprouvait l’union illicite avec Bertrade de Montfort, sœur de Simon de Montfort. Il n’est pas bien sûr ni même vraisemblable qu’Hugues ait eu besoin d’un ordre de Philippe Ier pour incarcérer un évêque, piller ses biens et rançonner ses ouailles. Outre qu’il ne redoutait pas grand-chose d’un roi qui s’était déjà ridiculisé en tentant de le mettre au pas, il était clair que Philippe n’allait pas prendre le risque d’un nouvel échec, alors qu’il était lui-même excommunié, et par là même affaibli, pour défendre un évêque qui lui adressait d’humiliantes réprimandes, et qui n’était pas pour rien dans l’excommunication dont il était l’objet.
D. Conclusions

     Il apparaît donc que le séjour d’Eustache à Étampes dont fait état notre notice a eu lieu en février 1079, à un moment où Philippe Ier y séjournait avec sa cour, et juste avant la rupture entre le roi et son vassal Hugues du Puiset.

     Le motif de cette rupture a très probablement été le refus du seigneur du Puiset, vicomte de Chartres, de se plier aux onjonctions royales, lui commandant de respecter désormais et spécialement les droits et les biens de l’église de Chartres et du chapitre de Saint-Père. Il semble bien que ce soit à Étampes qu’aient eu lieu ces péripéties, d’après la notice d’Eustache. Les vassaux du roi ont dû commencer par faire certaines concessions, dont celle qu’a enregistrée Eustache. Mais tout semble avoir ensuite dérapé.

     Ces conjectures sont grandement renforcées par le fait que la concession opérée par Mainier et son frère Simon ne semble pas avoir reçu l’aval ni la certification officielle du roi, qui n’est curieusement pas mentionnée, alors qu’on est à sa Cour de justice. C’est un bon indice de ce que ces négociations, pour le reste, n’ont pas abouti à un accord général sanctionné par le roi. Eustache ne peut faire état que d’une concession orale effectuée devant témoins sur un point particulier à une certaine étape des négociations.

     Celles qui s’ensuivirent paraissent s’être donc envenimées gravement et Hugues du Puiset a quitté la Cour sans avoir obéi aux semonces royales. C’est ce qui a conduit à l’expédition que l
on sait, et à son issue catastrophique devant le Puiset.

    Parmi les évêques qui furent alors capturés par Hugues du Puiset se trouvèrent
peut-être celui d’Orléans, Renier de Flandres, ou celui de Chartres, Geoffroy Ier, voire les deux. Nous savons en tout cas par Raoul Tortaire que, que l’évêque Robert d’Auxerre (et non Geoffroy comme dit Raoul) fut du nombre, avec son père le comte Guillaume Ier de Nevers.
     
     Dans la suite, nous ne verrons plus jamais Hugues du Puiset ni Simon de Montfort à la Cour de Philippe Ier.


     Nous ne saurons jamais le détail de la querelle qui se fit jour à Étampes entre le roi et plusieurs de ses barons, menés par Hugues du Puiset. Mais ses grandes lignes ne font pas de doute, non plus que son issue: c’est bien à Étampes, alors encore l’une des plus importantes villes du domaine royal, que se noua l’une des plus grandes catastrophes qui aient jamais ébranlé la jeune dynastie capétienne. Il faudra trente ans de patience et d’effort, et l’énergie d’un nouveau roi, le jeune Louis VI, pour sortir de cette ornière, et commencer de restaurer l’autorité royale en France.

B. G., 20 avril 2007. Complété le 7 février 2008.
Philippe Ier d'après son sceau
Sceau de Philippe Ier
   
ANNEXE
Carte des campagnes du Puiset de 1079 et 1111
qui vengea l’échec humiliant de 1079


Carte de la Campagne du Puiset de 1111

Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source du texte: L’édition de Guérard (1840).
BIBLIOGRAPHIE
 
Éditions

     Le Cartulaire original de l’abbaye de Saint-Père édité par Guérard est composé de deux volumes, le premier appelé Vetus Agano ou «Vieil Aganon» (du nom de l’évêque de Chartre le plus ancien dont il conserve des chartes), le second Codex argenteus ou «Cartulaire d’argent». Ils sont conservés à la Bibliothèque municipale de Chartres sous les cotes ms. 1060 et ms. 1061. Mais ils ont été gravement endommagés par le bombardement et l’incendie de 1944.
     Le Vetus Aganon aurait été composé entre 1077 and 1088 (selon Jan van der Meulen, Chartres: Sources and Literary Interpretations; A Critical Bibliography, 1915) ou bien entre 1077 et 1087 (selon MERLET 1922). Une copie en est conservée aux Archives départementales de l’Eure-et-Loir (H 0055),
où on en trouve aussi une table et un inventaire (H 0002; H 0003), et des copies partielles en sont conservées à la BNF (ms lat. 13819; Coll. Duchesne 022; fr. 24133).
     Notre notice appartient au livre VIII du Vetus Agano. Elle a donc été portée dans le Vieil Aganon sous l’abbatiat même d’Eustache.

     Benjamin GUÉRARD (1797-1854) [directeur de l’École des chartes (à partir de 1848); conservateur au département des manuscrits de la bibliothèque impériale (à partir de 1852)], Cartulaire de l’abbaye de Saint-Père de Chartres [27 cm; 2 volumes; CCCLXX+848 p.],Paris, Crapelet [«Collection de documents inédits sur l’histoire de France. Première série, Histoire politique»; «Collection des cartulaires de France» 1-2], 1840, t. I, pp. 235-236.
     Dont un bref extrait (pp. 1-17) numérisé en mode texte et mis en ligne par Christopher Crockett sur son site Centre des études chartraines, http://mercury.select-servers.com/~theseus/cc/sources/vetusaganon.html, en ligne en 2007
.

     Bernard GINESTE [éd.], «Eustache de Saint-Père: Appel en justice devant le roi à Étampes (8 février 1079)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cls-11-eustachedesaintpere1079notice.html, 2007.

Sur la débâcle du Puiset en 1079

     Augustin FLICHE (1884-1951) [historien, spécialiste d’histoire ecclésiastique, membre de l’Institut, Académie des Inscriptions et belles-lettres (1941)], Le Règne de Philippe Ier, roi de France (1060-1108). Thèse pour le doctorat ès lettres présentée à la Faculté des lettres de l’Université de Paris [in-8°; XXIII+600 p.; bibliographie pp. VII-XXIII; index], Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 1912. Réimpression: Genève, Slatkine & Megariotis & Paris, Champion, 1975.

     Henri WAQUET (archiviste du département du Finistère) [éd.], Suger. Vie de Louis le Gros, éditée et traduite [XXVII+332 p.; texte latin et version française en regard; index; bibliographie pp. XXIV-XXVII], Paris, Les Belles Lettres [«Les Classiques de l’Histoire de France»], 1929. Réédition, 1964.

     Bernard GINESTE [éd.], «Raoul Tortaire: Débâcle de Philippe Ier devant le Puiset en 1079 (Miracles de saint Benoît, chap. 24, vers 1114)», in Corpus Etampois, www.corpusetampois.com/cls-12-raoultortaire1114ldebacledupuiset1079.html, 2008.



Sur le cartulaire appelé Vetus Aganon

     Charles-Claude-François HÉRISSON, «Notice sur l’Aganon vetus», in Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France 9 (1832), pp. 140-177; 13 (1837), pp. 438-459.

     Benjamin GUÉRARD, «Prolégomènes», in ID., Cartulaire de l’abbaye de Saint-Père de Chartres (op. cit.), 1840, t. I, pp. I-CCCLXX.

     François MERLET, Étude sur le cartulaire historique de l’abbaye de Saint-Père de Chartres [thèse de l’École des chartes pour le diplôme d’archiviste-paélographe], Paris, 1922.


La navigation commerciale sur l’Eure

     ARCHIVES MANUSCRITES: Archives départementales de l’Eure-et-Loir, Série C (Administrations provinciales avant 1790) liasses C 64 à C 76: relatives à la navigation dans l’Eure depuis le XVe siècle [étudiées par ANTUNA 1999-2003].

     BOUVET-JOURDAN, Notice historique sur la navigation de l’Eure [in-8°], Chartres, 1835 [non conservé à la BNF].

     Adolphe LECOCQ, Recherches sur le curage de la rivière d’Eure à Chartres [in-8°; 12 p.], Chartres, E. Garnier, 1874.
 
    Claudine BILLOT, «Chartres et la navigation sur l’Eure à la fin du Moyen Age», in «Les  transports au Moyen Age. Acte du 7e congrès des médiévistes de l’enseignement supérieur, Rennes, 1976», in Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest 85 (1978), pp. 245-257.

     V. JUDE-SERNA, Les aménagements portuaires des cours d’eau au Moyen-Age [76 p.; mémoire de DEA soutenu en septembre 1990], Paris, Université de Paris I, 1990.

     V. SERNA, «Quelques réflexions à propos du concept de navigabilité des rivières au Moyen-Age en France», in Navalia Archeologia e Storia [224 p.; illustrations; sous le patronage de la Società Savonese di Storia Patria], Savone, Società Savonese di Storia Patria, 1996, pp. 105-115.

     E. RIETH, Des Bateaux et des fleuves, archéologie de la batellerie du Néolithique aux temps modernes en France, Editions Errance [«Hespérides»], Paris, 1998.

     Eleonora ANTUNA, Quand l’Eure portait des bateaux: les aménagements de la rivière liés à la navigation entre Chartres et Nogent-le-Roi au 15e siècle [139 p.; maîtrise sous la direction d’Eric Rieth], Paris, Université de Paris I, 1999.

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     Extrait : «Les documents manuscrits les plus anciens concernant la navigation sur l’Eure datent des années 1440.»

     Eleonora ANTUNA, Les Portes marinières dans l’aménagement des rivières pour la navigation. L’Exemple des "portes à passer bateaux" de l’Eure entre Chartres et Nogent-le-Roi (XVe-XVIe siècles) [200 p.; mémoire de DEA sous la direction d’Eric Rieth], Paris, Université de Paris I, 1999-2000.

     Eleonora ANTUNA (doctorante à l’université de Paris I), «Les aménagements de l’Eure au XVe siècle», in Jean CHAPELOT (directeur de recherche au CNRS) [dir.], «Mercredi 15 janvier 2003. Aménagements fluviaux», in Archéologie médiévale en Île-de-France [séminaire au Centre de recherches historiques de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, année universitaire 2002-2003], www.ext.upmc.fr/urfist/menestrel/chapelot/03.rtf, 2003, en ligne en 2007, pp. 60-61.

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     ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DES YVELINES [éd.], «Elleville», in ID., Archives départementales des Yvelines et de l’ancienne Seine-et-Oise, www.cg78.fr/archives/seriec/db/notices/333.htm, en ligne en 2007.

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Varia

     Bernard GINESTE [éd.], «Dom Fleureau: Étampes sous Louis VI le Gros (1668)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b24b.html, 2001-2005.

     André RHEIN, La Seigneurie de Montfort en Iveline depuis son origine jusqu’à son union au duché de Bretagne (Xe-XIVe siècles) [in-8°; 364 p.; figures], Versailles, Aubert, 1910.

     Marie Huguette HADROT, Montfort l’Amaury, de l’an mil à nos jours [26 cm sur 29; 192 p.], Paris, Somogy, 2002 [ISBN 2-85056-563-6].


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