RAOUST
Couplets de G. Vannier
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Raoust
est une graphie populaire française pour l’interjection allemande
Raus!, «Dehors!» (avec contamination
de l’interjection française Ouste!), fréquemment mise
dans la bouche de l’occupant et symbolisant dans l’imagination populaire
la brutalité avec laquelle s’exerçait son autorité, comme
Schnell!, «Vite!» et Achtung! «Attention!»
Elle lui est ici retournée ironiquement, ce qui donne
le ton du début de la chanson.
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1er Couplet
Pendant près de cinq ans
Messieurs nos occupants
Souriants, pour nous plein de tendresse
Veillaient avec amour
Sur nous la nuit le jour
De Saint-Pierre aux Belles-Croix sans cesse
Grâce à eux un bon ravitaillement
Donna de la sveltesse aux bedonnants.
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L’occupation
allemande d’Étampes a duré du 15 juin 1940 au 22 août
1944, soit 4 ans, 2 mois et 7 jours.
Le quartier Saint-Pierre et
la rue des Belles-Croix représentent ici les deux extrémités
d’Étampes au long de l’ancienne Route Nationale 20, l’une en direction
de Paris, et l’autre dans celle d’Orléans. |
1er Refrain
Partout le rutabaga fut roi
On en mangea un deux même trois
La Rosaline nectar des Dieux
Nous fit entr’voir les cieux
On trouva aux rats l’goût
Du mouton en ragoût
De Barbier à prix doux
On mangea les bons petits toutous
Partout ce n’était que festins
Où l’on se bâfrait du soir au matin.
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Le
rutabaga (ou chou-navet) autrefois utilisé pour
les animaux remplaçait pendant l’Occupation la pomme de terre. Henri
Amouroux, dans La France et les Français de 1909 à 1945
(Paris, Armand Colin, 1970) a précisément donné pour
titre à l’un de ses chapitres «Le rutabaga-roi».
La rosaline, selon Fernand Minier, était
un succédané local de boisson alcoolisée à base
d’extrait de framboise, de saccharine et d’eau gazeuse.
Le père Barbier, selon le même Fernand
Minier, était sous l’Occupation un personnage pittoresque résidant
au Petit-Saint-Mard que la rumeur publique accusait de voler des chiens,
et surtout de les manger. |
2ème Couplet
Au Grand Courrier, des Boches
Les Chefs étaient conviés.
Place Romanet au Grand Monarque
Alourdi de pilliers, [sic]
Dans des fauteuils d’osier
Se prélassaient des Friquets de marque.
Les pensionnaires de la rue d’enfer
Exhibaient toutes le portrait d’Hitler
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Le
Grand Courrier était un hôtel situé
au n°65 de la rue Saint-Jacques, où avaient fait étape
notamment Victor Hugo et Juliette Drouet le 22 août 1834. Il a été
détruit lors du bombardement anglais de juin 1944.
L’Hôtel du Grand Monarque est au n°1
de la Place Romanet. Sous l’Occupation, c’était l’Offizierkasino,
c’est-à-dire le mess des officiers. Il s’agirait donc ici selon Clément
Wingler d’un jeu de mots, les officiers allemands étant ici qualifiés
de «piliers de casino». Friquets était
l’un des sobriquets appliqués aux occupants (avec Boches,
Chleuhs, Frigolins, Frisons et Fritz).
Il y avait sous l’occupation, rue d’Enfer,
une maison close destinée à la soldatesque allemande (puis
étatsunienne). |
2ème Refrain
Les Etampois devant l’Escargot
Pouvaient ramasser les beaux mégots
Que gentils ces messieurs laissaient choir
Tout le long du trottoir.
Tous corrects, prévoyants,
Ils avaient c’est charmant,
La bien douce manie:
D’expédier, là-bas, en Germany
En souvenir de nous amis chers
Tous nos trésors par chemin de fer.
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L’hôtel
de l’Escargot est situé au n°71 de la rue Saint-Jacques.
On notera cette bizarre orthographe de Germanie,
à l’anglaise, qui indique peut-être la prononciation souhaitée
par l’auteur, pour signifier que désormais l’ancien occupant est lui-même
occupé par les Sammies et les Tommies.
Quelqu’un a-t-il
un témoignage à fournir sur des pillages opérés
par les Allemands à Étampes?
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3ème Couplet
Mais Sammies et Tommies
Ces rasés nos amis
D’un saut franchirent de l’Atlantique
Le grand mur si fameux
Et ça en moins de deux.
Les F.F.I. armés de leurs triques,
Leur donnant un fameux coup de main
Au Boches firent repasser le Rhin.
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Sammies
et Tommies étaient des sobriquets appliqués
aux soldats respectivement étatsuniens et britanniques. Quelqu’un peut-il nous dire l’expression rasés
avait un sens ou une connotation précise à cette époque?
Le Mur de l’Atlantique est comme l’on sait
un gigantesque ensemble de fortifications cotières élevées
par l’occupant à partir de 1942 depuis le Pas-de-Calais jusqu’au
Pays Basque, et qui fut enfoncé par le débarquement des alliés
en Normandie du 6 juin 1944. Dès lors différents groupes
de résistants purent enfin prendre la forme de troupes régulières
sous le nom de FFI ou Forces Françaises de l’Intérieur.
Le Rhin fut atteint le 19 novembre 1944 à
Rosenau par le CC3 de la 1ère DB, ce qui date notre chanson de
1945 plutôt que 1944. |
3ème Refrain
Quittons maintenant ce ton badin
Unis travaillons avec entrain.
La «Riflette» a fait bien des dégâts,
Y’a du boulot les gars.
Desserrons cran par cran,
D’nos ceinturons le carcan.
Assez du marché noir,
Qui fait des pauvres le désespoir.
Soignons bien Prisonniers, Déportés,
Et crions: Vive la Liberté!
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D’une manière générale, comme nous
le fait observer Jean-Claude Pommereau, Aller à la riflette
c’est «aller au combat». Mais par «Riflette»
il faut sans doute entendre ici plus précisément les mitraillages
et bombardements subis par la ville en 1940 et 1944. De fait la reconstruction
des quartiers touchés ne se fit pas en un jour.
Le retour des déportés n’eut lieu qu’en 1945. Notre chanson
a donc bien été composée en 1945 seulement, peut-être
à l’occasion
des festivités du 9 mai. Quelqu’un a-t-il des données
sur le nombre des Étampois prisonniers ou déportés
durant cette période, sur la date de leur retour, et sur le marché
noir à Étampes? |