XV.
LA REYNE MARGUERITE *
(Marguerite de France, née
le 14 mai 1553; morte le 27 mars 1615.)
|
* Je ne
diray que ce qui n’est point dans ses Mémoires ny dans ceux que
M. de Peirese a laissez à MM. du Puy.
|
La reyne Marguerite estoit belle en sa jeunesse, hors qu’elle avoit
les joues un peu pendantes et le visage un peu trop long. Jamais il n’y
eut une personne plus encline à la galanterie. Elle avoit d’une
sorte de papier dont les marges estoient toutes pleines de trophées
d’amour; c’estoit le papier dont elle se servoit pour ses billets doux.
Elle parloit Phebus selon la mode de ce temps-là, mais elle avoit
beaucoup d’esprit, On a une pièce d’elle qu’elle a intitulée
La Ruelle mal assortie, où l’on peut voir
quel estoit son style de galanterie.
Elle portoit un grand vertugadin qui
avoit des pochettes tout autour, en chacune desquelles elle mettoit
une boiste où estoit le cœur d’un de ses amans trespassez; car
elle estoit soigneuse, à mesure qu’ils mouroient, d’en faire embaumer
le cœur. Ce vertugadin se pendoit tous les soirs à un crochet
qui fermoit à cadenas, derriere le dossier de son lict.*
|
* On dit
qu’un jour M. de Turenne, depuis M. de Bouillon, estant yvre, luy desgobilla
sur la gorge en la voulant jeter sur un lict.
|
Elle devint horriblement grosse, et avec
cela elle faisoit faire ses quarrures et ses corps de juppe beaucoup
plus larges qu’il ne falloit, et ses manches à proportion. Elle
avoit un moûle un demi-pied plus haut que les autres, et estoit
coiffée de cheveux blonds d’un blond de filace blanchis sur l’herbe;
elle avoit esté chauve de bonne heure. Pour cela, elle avoit de
grands valets-de-pié blonds que l’on tondoit de temps en temps*.
Elle aima sur la fin de ses jours un
musicien nommé Villars. Il falloit que cet homme eust tousjours
des chausses troussées et des bas d’attache, quoyque personne
n’en portast plus. On l’appelloit vulgairement le roy Margot. Elle a
eu quelques bastards dont l’un, dit-on, a vescu et a esté capucin.
Ce roy Margot n’empeschoit point que la bonne reyne ne fust bien dévote
et bien craignant Dieu, car elle faisoit dire une quantité estrange
de messes et de vespres. |
* Elle
avoit tousjours de ces cheveux-là dans sa poche, de peur d’en
manquer; et, pour se rendre de plus belle taille, elle faisoit mettre
du fer-blanc aux deux costez de son corps pour eslargir la quarrure.
Il y avoit bien des portes où elle ne pouvoit passer.
|
Hors la folie de l’amour, elle estoit fort raisonnable. Elle ne vouloit
point consentir à la dissolution de son mariage en faveur de
M de Beaufort. Elle avoit l’esprit fort souple et sçavoit s’accommoder
au temps. Elle a dit mille cajolleries à la feu Reyne-mere, et
quand M. de Souvray et M. de Pluvinel* luy menerent le feu Roy,
elle s’escria: «Ah! qu’il est beau! ah! qu’il est bien fait! que
le Chiron est heureux qui esleve cet Achille!» Pluvinel, qui n’estoit
gueres plus subtil que ses chevaux, dit à M. de Souvray: «Ne
vous disois-je pas bien que cette meschante femme nous diroit quelque
injure*?» M. de Souvray luy-mesme n’estoit gueres plus habile.
On avoit fait des vers dans ce temps-là qu’on appelloit les Visions
de la Cour, où l’on disoit de luy qu’il n’avoit de Chiron que
le train de derrière.
Henry IVe alloit quelquefois visiter
la reyne Marguerite et gronda de ce que la Reyne-mere n’alla pas assez
avant la recevoir, à la premiere visite.
Durant ses repas elle faisoit tousjours
discourir quelque homme de lettres. Pitard, qui a escrit de la morale,
estoit à elle, et elle le faisoit parler assez souvent.
Le feu Roy s’avisa de danser un ballet de «La vieille cour»
où, entre autres personnes qu’on représentoit, on représenta
la reyne Marguerite avec la ridicule figure dont elle estoit sur ses vieux
jours. Ce dessein n’estoit gueres raisonnable en soy; mais au moins devoit-on
espargner la fille de tant de rois. |
* Il estoit
sous-gouverneur et premier escuyer de la grande escurie.
* Ce Pluvinel pourtant eut un jour une
assez plaisante vision. Il disoit qu’il ne souhaittoit rien tant que
de se trouver à une bataille contre les valets. Et un jour que
M. des Yveteaux, precepteur du feu Roy, se mit en colere contre un laquais,
il luy envoya dire par un page qu’il luy promettoit de luy donner un des
meilleurs chevaux de l’escurie du Roy à cette bataille qu’il sçavoit.
M. de Souvray, à ce qu’on prétend,
disoit Bucephale au lieu de Cephale, en cet endroit de Malherbe où
il y a
Quand les yeux mesmes de Cephale
En feroient la comparaison.
|
A propos de ballets, une fois qu’on en dansoit un chez elle, la duchesse
de Retz la pria d’ordonner qu’on ne laissast entrer que ceux qu’on avoit
conviez, afin qu’on pust voir le ballet à son aise. Une des voisines
de la reyne Marguerite, nommée Mlle l’Oyseau, jolie femme et fort
galante, fit si bien qu’elle y entra. Dez que la Duchesse l’aperceut,
elle s’en mit en colere, et dit à la Reyne qu’elle la prioit de
trouver bon que pour punir cette femme elle luy fist seulement une petite
question. La Reyne luy conseilla de n’en rien faire et luy dit que cette
demoiselle avoit bec et ongles; mais voyant que la Duchesse s’y opiniastroit
elle le luy permit enfin. On fait donc approcher Mlle l’Oyseau, qui vint
avec un air fort délibéré: «Mademoiselle»,
luy dit la Duchesse, «je voudrois bien vous prier de me dire si les
oiseaux ont des cornes? — Ouy, Madame», respondit-elle, «les
Ducs en portent.» La Reyne, oyant cela, se mit à rire et dit
à la Duchesse: «Eh bien! n’eussiez-vous pas mieux fait de me
croire*?» |
* Mme de
Retz estoit galante.
|
J’ay ouy faire un conte de la reyne Marguerite qui est fort plaisant.
Un gentilhomme gascon, nommé Salignac, devint, comme elle estoit
encore jeune, esperdument amoureux d’elle, mais elle ne l’aimoit point.
Un jour, comme il luy reprochoit son ingratitude: «Or çà»,
luy dit-elle, «que feriez-vous pour me tesmoigner vostre amour?
— Il n’y a rien que je ne fisse», respondit-il. — Prendriez-vous
bien du poison? — Ouy, pourveu que vous me permissiez d’expirer à
vos piez. — Je le veux!» reprit-elle. On prend jour; elle luy fait
préparer une bonne medecine fort laxative. Il l’avale et elle
l’enferme dans un cabinet, après luy avoir juré de venir
avant que le poison operast. Elle le laissa là deux bonnes heures,
et la medecine opera si bien que, quand on luy vint ouvrir, personne ne
pouvoit durer autour de luy. Je pense que ce gentilhomme a esté depuis
ambassadeur en Turquie.
|
|
|