LA PAROISSE — L’ÉGLISE. SON ORIGINE, LE MARCHÉ-FRANC,
RICHES PAROISSIENS, IMPORTANCE DU CURÉ.
L’historien d’Etampes au XVIe siècle [sic], dom Fleureau nous dit au sujet
de l’origine de la paroisse Saint-Gilles: «La tradition porte
que ça n’a été au commencement qu’une chapelle succursale
de la paroisse Saint-Martin d’Estampes les Vieilles, et que, le nombre
des habitants s’étant augmenté à l’occasion de la
concession de la tenue du Marché en ce lieu-là, et particulièrement
à cause de la Franchise, d’où le nom de Marché franc,
franchise qui fut accordée par le roi Louis VI le Gros à
ceux qui établiraient leur demeure au-dedans des limites du lieu
destiné par Sa Majesté pour la tenue du Marché, elle
fut érigée en Cure distincte et séparée de
Saint-Martin.»
Pierre Plisson, avocat et conseiller
du roi au XVIIe siècle à Etampes, nous rapporte de son côté:
«Qu’il y a de grandes apparences que l’église est
de fondation royale et qu’elle a esté bâtie par le roi Robert,
dans le temps qu’il faisait sa demeure au chasteau d’Estampes, en forme
de chapelle sous le nom de Saint-Gilles, comme dans un petit désert
qui n’était pas éloigné du chasteau, pour satisfaire
à sa piété et dévotion à l’imitation
de ce saint. Cette chapelle-ci estait dans une agréable solitude
et retraite, dans un lieu de chasses, au milieu des bois. Il est vrai qu’il
ne l’a pas dotée de revenus et que dans la suite des temps, ayant
esté érigée en paroisse, les paroissiens l’ont agrandie
et édifiée.» [p.160]
D’après
ces deux auteurs, dom Fleureau et Pierre Plisson, primitivement Saint-Gilles
n’était donc qu’une chapelle dans un lieu peu habité, entre
deux quartiers importants d’Etampes Notre-Dame et Saint-Martin.
De ces deux quartiers, le quartier Notre-Dame
d’Etampes est sans aucun doute la partie de la ville la plus ancienne.
La crypte de l’église actuelle, vestige d’une précédente
église, est au moins de l’époque carolingienne, c’est-à-dire
du IXe siècle, et suppose qu’il y avait déjà en cet
endroit une ville d’une certaine importance. Il est vrai que l’on donnait
autrefois au quartier Saint Martin le nom d’«Estampes-les-Vieilles»,
mais ce nom ne lui fut donné qu’au temps du roi Robert au XIe siècle,
par opposition au quartier Notre-Dame que l’on a en quelque sorte rajeuni
à cette époque par ses constructions et qui fut nommé
«Estampes-le-Châtel».
C’est à cette époque, au
XIe siècle, que le quartier Saint-Gilles va se fonder entre les
deux quartiers déjà existants. Je ne puis mieux faire pour
montrer l’origine de ce quartier que de rapporter ce que dit M. le Comte
de Saint-Périer dans son livre: La grande histoire d’une
petite ville, Etampes.
«Ainsi, vers le milieu du
XIe siècle, Etampes se composait de deux villes: l’une, ouverte,
ancienne et de quelque importance puisque des actes de Philippe Ier (1066-1108)
nous apprennent qu’elle ne comprenait pas moins de trois églises:
Saint-Martin, Saint-Alban et Saint-Mard; l’autre, véritable place-forte,
comme nous le confirme la légende d’une monnaie de Philippe frappée
à Etampes (Castellum stampis), à la fois ville militaire
et résidence royale, qui avait pris de ce fait un rapide développement.
Entre les deux agglomérations s’étendait un vaste espace
inhabité qui le demeure seulement jusqu’au jour où le roi
Louis VI eut l’idée d’y établir un marché en 1123.
«Il accordait en même temps
des privilèges aux marchands pour assurer leur sécurité
et faciliter le transport et la vente de leurs marchandises. En outre,
il cherche à donner une rapide activité à ce marché
en peuplant ses abords. Pour cela il attire des hôtes, c’est-à-dire
des sujets presque entièrement affranchis du servage, auxquels il
concède une maison et quelques arpents de terre, avec l’exemption
de l’impôt de la taille et du service de guerre pour dix ans, et la
réduction du taux des amendes et du droit de mesurage des grains,
le minage qui était dû au roi.
«Cette politique, qui accentuait
celle de ses prédécesseurs, intéressée sans
doute, les rois ayant besoin des ressources et de l’appui que leur offrait
Etampes, mais évidemment favorable
[p.161] à son développement, donna
des résultats rapides. Une vraie ville ne tarda pas à se
constituer, comme un trait d’union entre les deux autres, autour du marché
et d’une nouvelle église bientôt édifiée: Saint-Gilles.»
Le curé de Saint-Gilles, par sa
situation devient dans la suite un personnage important. Pierre Plisson
disait de la paroisse Saint-Gilles, au XVe siècle: «C’est
encore l’unique paroisse indépendante, car on scay que les églises
de Saint-Martin et de Saint-Pierre, dans les faubourgs, n’étaient
anciennement que deux couvens de religieux et non des paroisses, et qu’il
y a mesme encore à présent le prieur de Saint-Martin et le
prieur de Saint-Pierre; que l’église de Saint-Basile n’est qu’une
annexe de Notre-Dame; et que Notre-Dame mesme n’était autrefois qu’une
maison de religion et que ce n’est encore à présent qu’une
assemblée de chanoines qui, pour la commodité publique, a
esté érigée en paroisse avec son annexe.
«Le curé de Saint-Gilles se peut
dire le seul curé d’Estampes comme un évesque en sa paroisse,
indépendant, car on scay que le curé de Saint-Martin dépend
du prieur de Saint-Martin, celui de Saint-Pierre du prieur de Saint-Pierre;
ces prieurs ont les principaux droits et fonctions en ces deux églises.
Les curés de Nostre-Dame et de Saint-Basile ne sont qualifiés
que vicaires perpétuels avec de grandes dépendances du Chapitre
de Nostre-Dame...»
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CONSTRUCTION
ET AGRANDISSEMENT, PIERRES TOMBALES, LE CURÉ CLAUDE DE LAPORTE,
LE SCULPTEUR NICOLAS LEGENDRE.
Le quartier
Saint-Gilles est devenu important à cause de son marché
établi par le roi en 1123. La ville s’agrandit et les nouveaux habitants
veulent une belle église. La chapelle existante est démolie
et remplacée par une construction de style roman du XIIe siècle
avec bas-côté et nef élevée. Le clocher est
édifié en dernier lieu. C’est pourquoi il date du début
du XIIIe siècle et est de style ogival.
Par
la suite, la paroisse prend de plus en plus d’importance. Dans la rue Saint-Jacques,
qui longe l’église, des hôtels nombreux reçoivent les
voyageurs, les pèlerins. Les rois de France venant souvent séjourner
à Etampes, des officiers royaux, des serviteurs de la cour, des
soldats et des marchands de toutes sortes s’établissent dans le
quartier. Le commerce est florissant. Le marché [p.162] attire du monde. Aussi les
dons et les concours affluent pour agrandir et embellir l’église.
Au XVe siècle, l’église est
transformée les piliers romans sont remaniés en piliers
octogones sans chapitaux [sic].
Les voûtes du transept et du chœur sont refaites en ogive. Au XVIe
siècle, on ajoute d’élégantes chapelles latérales.
On construit même un double bas-côté dans la partie
gauche de la nef.
Dans cette belle église ainsi transformée,
les fidèles sont fiers d’y faire [sic]
enterrer leurs défunts. Les chapelles latérales
contiennent de nombreuses plaques mortuaires relatant les noms et les
qualités de ces défunts. Maxime Legrand, dans son livre:
Etampes pittoresque, donne ainsi son impression: «Ces plaques
s’élèvent le long des murs de l’église, témoins
fidèles des siècles écoulés. L’une d’elles remonte
à 1509, une autre vient du couvent des Cordeliers, une troisième
recouvre les restes mortels d’un officier du roi et de l’eschansonnerie
de la reine. Cette quatrième porte des amoiries [sic] rappelant le privilège
fameux d’Eudes le Maire, dit Challo-Saint-Mard
[sic]. Toutes ont pour la ville un grand intérêt.
Plusieurs représentant des personnages en pied, le visage, les mains
et les pieds taillés dans des plaques de marbre blanc encastrées
dans la dalle. Cette évocation de l’ancien temps, sorte de danse macabre
qui s’accroche aux murailles grises, entrevue clans la pénombre discrète
du lieu saint, est d’un effet saisissant.»
Vingt-deux pierres tombales s’alignent
et se dressent dans les chapelles latérales, rappelant ainsi le
passé. Parmi elles, il y a celle d’un curé de la paroisse.
Je ne puis m’empêcher de vous lire les phrases édifiantes
qu’elle contient:
«Qui que tu sois, passant, arrête.
«Honore le corps ici inhumé
et prie pour l’âme pieuse de vénérable et discrète
personne Messire Claude de Laporte, non moins distingué par sa
dignité de Prêtre que par sa science et ses vertus, qui administra
dignement cette paroisse et pendant 19 ans remplit dans cette église
de Saint-Gilles tous les devoirs d’un vigilant pasteur.
«Enfin, enlevé par une mort
prématurée, il cessa de vivre ou plutôt, débarrassé
du fardeau de son corps, il retourna à son Créateur; il
existe donc encore, et élevé par le trépas au-dessus
des nuages de l’envie, il garde à jamais la gloire, que lui ont
value ses vertus, et sa félicité, prix de la droiture de son
cœur, lui dont l’âme fut un trésor de piété,
et qui n’aspirait qu’aux parfaites jouissances de l’éternité,
dont il eut l’avant-goût ici-bas.
[p.163]
«Il quitta la terre pour vivre
au Ciel; il est entré dans la vie qui ne doit pas finir, dans la
gloire dont rien ne peut obscurcir l’éclat ni troubler la sérénité.
«Il a laissé par testament
à la fabrique de céans une rente annuelle de 10 francs pour
deux anniversaires dont l’un sera célébré le 24 avril
et l’autre le 25 août, jour de son décès, l’an de Seigneur
1645.
«Qu’il jouisse du repos éternel.»
Parmi ceux qui s’intéressaient à
l’embellissement de l’église, nous pouvons nommer le sculpteur
étampois Nicolas Legendre. Au XVlIe siècle, on lui attribue
un rétable [sic] en bois
sculpté, des décorations faites en 1647 à la chaire
et au maître-autel, et les statues de bois de saint Leu et de saint
Gilles.
Dom Fleureau note cette particularité
que le Saint-Sacrement, suivant une coutume du moyen âge, était
conservé jusqu’en 1632 au maître-autel, dans un ciborium,
c’est-à-dire dans une sorte de vase suspendu à une grande
crosse de cuivre jaune. Ce ciborium fut remplacé par un tabernacle.
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HALLE AU BLÉ,
SA RESTAURATION, SES CLOCHES, SON BOMBARDEMENT EN 1944.
Nous sommes au moment de la Révolution
de 1789. L’Eglise Saint-Gilles sert d’abord de lieu de réunion
aux assemblées révolutionnaires. En 1793. le conventionnel
Couturier ordonne la conversion de l’église en halle au blé
à la suite de la pétition suivante: «Il n’y a pas
de halle au blé dans la commune d’Etampes quoiqu’il y ait un marché
considérable. Il existe attenant au marché au blé,
l’église de la ci-devant paroisse Saint-Gilles, qui formerait une
halle toute bâtie, puisqu’il ne s’agit que d’ouvrir les cintres qui
sont autour des murs du dehors de ladite église. Les. autorités
de la commune vous prient de leur accorder cette église...»
Après la Révolution l’église
est rendue au culte. Les paroissiens la remettent en état. La tourmente
révolutionnaire avait emporté les cloches des églises.
Une seule restait dans les clochers, qu’on appelait la cloche civique.
La cloche restante de Saint-Gilles datait
du XVIe siècle. On peut y lire en caractère gothique cette
inscription: «Gilles suis nommée l’an mille VC LXXVIII.»
En 1850, on fait l’acquisition d’une nouvelle
cloche, plus petite. Elle porte cette inscription: [p.164]
«J’ai été
fondue l’an de N. S. 1850 et baptisée la même année
par révérendissime Jean-Nicaise Gros, évêque
de Versailles, J’ai été nommée Marie-Flore par M. Alexis
Buffet, curé de Saint-Basile, mon parrain, et Mlle Flore Ruelle,
ma marraine. Le conseil de Fabrique étant composé de MM.
Baron Deshayes, président, Dupont, trésorier, Cazier, Chevalier
et Caudel. Le curé de la paroisse étant Ferdinand-Lucien Lesot.
Aug. Hildebrant, fondeur à Paris.»
Le successeur de l’abbé Lesot, le
curé François Gourigoux apporte tous ses soins à
la restauration complète de l’église. A cette époque,
la voûte de l’église était-elle en bois? avait-elle
besoin d’être refaite? En tout cas, le curé fait construire
une voûte dans le style ogival masquant la voûte primitive
romane. Le grand orgue est restauré. Des vitraux sont réparés.
Les paroissiens lui témoignent leur reconnaissance dans une plaque
mortuaire apposée dans l’église.
On y lit: «A la mémoire
de François-Henri Gourigoux, curé de Saint Gilles pendant
24 ans. L’église lui doit sa complète restauration et la
paroisse une direction sage et assurée. Il a été enlevé
à l’affection de ses paroissiens le 28 mars 1882 dans sa 72e année.
Nous n’oublions pas son souvenir...»
Les curés suivants ont continué
à mettre tous leurs soins dans l’entretien de leur église
qu’ils considéraient à juste titre comme une belle église.
Pendant la guerre de 1870 des prisonniers
français y furent enfermés et un certain nombre purent s’échapper
grâce à la complicité des habitants. L’église
n’en souffrit pas.
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Mais la grande guerre
a passé, il n’y a pas si longtemps dans un terrible bombardement,
en y laissant des blessures profondes.
Dans la nuit du 9 au 10 juin 1944,
à minuit cinq, le bombardement d’Etampes commença et dura
une demi-heure. Ce fut une pluie de bombes déferlant principalement
sur le quartier Saint-Gilles.
Permettez-moi de rappeler dans cette pénible
circonstance mes souvenirs personnels. J’étais descendu dans la
cave du presbytère de la rue Evézard, me demandant au milieu
des explosions et du tremblement du sol, ce qu’il allait rester du quartier
Saint-Gilles. Les avions partis, les explosions continuaient. C’étaient
les bombes à retardement. Au petit jour, angoissé, je me
rends vers Saint-Gilles. Un service d’ordre empêchait de passer car
les bombes explosaient toujours. On me laisse cependant continuer mon chemin.
Tout d’un coup une grêle de [p.165]
projectiles tombe autour de moi, je reçois
un choc violent sur la tête qui fait tomber mon chapeau. A moitié
étourdi je porte la main à la tête. Je la retire pleine
de sang. J’avais reçu un éclat de bombe. On me conduit à
l’hôpital. J’en ressors auréolé d’un pansement. Cependant
je reprends le chemin de Saint-Gilles. J’arrive au milieu des maisons éboulées,
l’église toujours debout mais dans quel état. Les bas-côtés
sont effondrés, la voûte intérieure est complètement
à terre jonchant le sol de la nef de ses débris. Et au milieu
de ce chaos, j’aperçois mon brave ami, le curé de Saint-Gilles,
ceint d’un tablier de jardinier qui essayait de récupérer
au milieu des pierres un peu de son mobilier. Et pourtant il y avait du
danger à rester là, car non loin, près d’un pilier
était encore une grosse bombe non éclatée et qui pouvait
exploser d’un moment à l’autre.
Notre brave curé d’alors est décédé.
Son successeur lui aussi est attaché à son église.
Aidé par les Beaux-Arts, il panse patiemment ses blessures, et bientôt
restaurée complètement la voûte romane remise dans
son état primitif, la Maison de Dieu sera plus belle que jamais. [p.166]
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