CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Léon Guibourgé
L’ancienne collégiale Sainte-Croix d’Étampes
Étampes ville royale, chapitre III.3
1957
   
Ruines de l'église Sainte-Croix en 1895 (cliché de Maxime Legrand, carte postale de Paul Allorge n°26)
Ruines de l'église Sainte-Croix en 1895 (cliché de Maxime Legrand, carte postale de Paul Allorge n°27)
Ruines de l'église Sainte-Croix en 1895 (cliché de Maxime Legrand, carte postale de Paul Allorge n°28)
 Ruines de la collégiale Sainte-Croix en 1895 (clichés de Maxime Legrand, cartes postales de Paul Allorge n°26, 27 et 28)
 
     On remarquera un regrettable relent d’antijudaïsme dans ce chapitre où il est question de l’expulsion des juifs d’Étampes en 1182. L’auteur y reprend avec une complaisance inexplicable, et sans le moindre esprit critique, l’argumentaire d’un clerc du moyen âge singulièrement obtus. Ce qui déjà surprenait au XVIIe siècle sous la plume d’un esprit aussi éclairé que Dom Fleureau est du domaine de l’inexplicable dans un ouvrage publié après la seconde guerre mondiale.
B.G.  
   
ÉTAMPES, VILLE ROYALE
Étampes, chez l’auteur, 1957
chapitre III.3, pp. 91-95.
L’ancienne collégiale Sainte-Croix
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT

Léon Guibourgé      ORIGINE, HISTOIRE ET DESCRIPTION.

     Une rue du quartier Notre-Dame s’appelle la rue Sainte-Croix. Pourquoi cette appellation? C’est en souvenir d’une église dite Sainte-Croix, aujourd’hui détruite. Voyons son origine, son histoire et sa description.

      Après la prise de Jérusalem par Titus, général romain, en l’an 70, les Juifs furent massacrés ou dispersés dans le monde entier. Nous les voyons donc dans les premiers siècles du christianisme, installés partout et se livrer au commerce où ils montraient beaucoup d’habileté. S’occupaient-ils aussi de politique? Peut-être.*  En tout cas, les rois de France les supportaient difficilement. Dagobert les chassa de son royaume à la demande de l’empereur Héracle, alarmé par un certain oracle qui prédisait que les Juifs devaient renverser l’empire romain. Le roi Robert les bannit également parce qu’ils avaient faussement averti le calife de Babylone que les chrétiens voulaient détruire son empire sous prétexte de leurs pèlerinages aux Lieux Saints. Et son arrière-petit-fils Philippe Auguste en fit autant.
     * Ce chapitre aurait-t-il été rédigé sous l’Occupation allemande de la ville? On y sent en tout cas encore lesprit de Vichy. (B.G.)



     Il agit ainsi, dit dom Fleureau, «sur les plaintes qui lui furent rendues des cruautés inouïes que les Juifs de son royaume exerçaient sur leurs serviteurs et servantes chrétiens, de leurs usures intolérables, et du mépris qu’ils faisaient des ornements d’église qui tombaient entre leurs mains, jusqu’à se servir par dérision des saints calices en leurs festins.
     «Le roi Philippe-Auguste les chassa donc de son royaume [p.92] en l’an 1182 et afin qu’ils fussent sans espérance de retour il voulut que leurs synagogues ou écoles fussent dédiées au service du vray Dieu et au culte de la vraye religion.»

     L’historien Rigord, qui a écrit la vie de Phulippe Auguste, raconte que les habitants d’Etampes détruisirent leur synagogue et à sa place élevèrent une église sous le nom de «Sainte-Croix». Des lettres patentes autorisant la construction de cette église furent expédiées de Fontainebleau où résidait le roi en 1183.

     Le soin de la nouvelle église fut confié à des chanoines. C’est pourquoi l’église prit le nom de Collégiale Sainte-Croix, et le Pape Luce III dans une bulle du 26 juillet de la même année déclara prendre sous sa protection cette église et tous les biens qui avaient été ôté aux Juifs et qui lui revenaient.

     L’archevêque de Sens, au mois de mars 1210, déclara que les chanoines de Saint-Croix récompenseront en terres équivalentes les censives dues aux chanoines de Notre-Dame. Il faut en effet remarquer que la Collégiale Sainte-Croix a été bâtie sur le territoire de la Collégiale Notre-Dame. Cette situation va attirer des difficultés entre les chanoines des deux Collégiales.

     De fait, quelque temps après, les chanoines de Notre-Dame étant curés du territoire, prétendirent que l’église Sainte-Croix, nouvellement bâtie dans l’étendue de leur paroisse, devait leur être assujettie avec les chanoines de cette église. Cette prétention fut jugée de si grande importance que le roi lui-même voulut en prendre connaissance. Après conseil de Maurice, évêque de Paris, il résolut de donner l’église Sainte-Croix avec tous ses revenus â l’abbé et aux chanoines de Notre-Dame, avec pouvoir de disposer des prébendes, c’est-à-dire des traitements, comme ils jugeraient à propos, et d’instituer ou de destituer ceux qu’ils voudraient. Cette résolution du roi fut suivie d’effet: sa Majesté étant à Fontainebleau l’an 1189, elle fit expédier ses lettres patentes à Odon, abbé de Notre-Dame.
Ruines de l'église Sainte-Croix en 1895 (cliché de Maxime Legrand, carte postale de Paul Allorge n°26)
       Mais cette décision, au lieu d’apaiser les différends, ne fit que les augmenter. Les chanoines de Sainte-Croix présentèrent au roi leurs réclamations, disant que cette dépendance des chanoines de Notre-Dame leur causait de grands préjudices. Le roi alors révoqua le donations et les nominations et prit un autre conseil. Conservant comme juge l’évêque de Paris, il y adjoignit l’abbé de Sainte-Geneviève de Paris, leur recommandant de juger l’affaire diligemment avant la Saint Jean-Baptiste prochaine, parce qu’il se disposait à partir en Terre Sainte.

     Les juges ne purent en temps voulu régler l’affaire. Alors le roi, avant son départ, commanda au Bailly et au Prévost d’Etampes [p.93] de tenir la main à ce que rien ne fut innové à l’état actuel des choses jusqu’à la sentence des juges. Mais le Roi ne fut pas plutôt parti que le Bailly et le Prévost ne tinrent aucun compte de l’ordre du roi, et rétablirent les chanoines de Sainte-Croix dans leurs privilèges. Le chapitre de Notre-Dame aussitôt adressa de grandes réclamations à Guillaume, archevêque de Reims, légat du Pape, oncle du roi, et régent du royaume, en l’absence du roi.

     Le Bailly et le Prévost d’Etampes durent venir s’expliquer devant le Régent. Ils prétendirent qu’ils n’avaient fait qu’exécuter la sentence des juges, mais qu’il y avait encore quelques points à régler sur lesquels on n’était pas d’accord.

     Le Régent commanda aux juges de s’expliquer clairement, et les juges enfin rendirent leur sentence définitive qu’on envoya au roi en Syrie, et le roi l’approuva de son autorité par lettres patentes données à saint Jean d’Acre en 1191.

     Cette sentence ordonna les choses suivantes: «On ne célébrera point de messes en l’église Sainte-Croix qu’après Primes sonnées à Notre-Dame. Il n’y aura point en cette église Sainte-Croix de fonts baptismaux, de confession et de communion pour ceux de la paroisse Notre-Dame, sinon en cas de nécessité, et l’on ne recevra aucun à la sépulture. Les femmes nouvellement relevées de couches n’y seront point reçues pour faire sur elles les bénédictions et prières accoutumées de l’église. Les chanoines de Sainte-Croix ne visiteront point les paroissiens malades avec la croix et l’eau bénite, ni leur porteront l’huile des infirmes. Ils n’assisteront à aucun convoi mortuaire dans l’étendue de la paroisse Notre-Dame, sinon avec le convoi de ladite église Notre- Dame, s’ils veulent y assister. Aucun n’aura la direction des choses que du consentement du chantre de Notre-Dame. On ne sonnera point les cloches à la bénédiction du cierge pascal. Ils ne donneront point d’approbation aux contrats comme le chantre a coutume de faire. Ils ne poseront aucun scellé à la maison des défunts. Ils ne béniront point le pain à la messe... Le chantre et chapitre de Notre-Dame pourront les citer de comparaître en leurs chapitres pour y corriger les fautes qu’ils n’auront pu ou voulu corriger dans le leur. Le chantre et le chapitre de Notre-Dame auront le pouvoir de punir, selon les saints canons, les clercs de ladite église Sainte-Croix, pourvu que la plus grande partie des chanoines de Notre-Dame y consente...»

     Comme on le voit, les chanoines de Notre-Dame, étant les administrateurs de la paroisse, tenaient à leurs droits, et les chanoines de Sainte-Croix n’avaient qu’à s’incliner. Le Pape [p.94] Célestin III confirma la sentence du roi le 7 novembre 1181, et le Pape Innocent III, son successeur, fit de même.

     Mais quelques années après il survint un autre différend entre les chanoines des deux églises. Ceux de Notre-Dame prétendaient que ceux de Sainte-Croix étaient obligés d’après la coutume d’aller certains jours en procession à l’église Notre-Dame, ce que ceux de Sainte-Croix refusaient de faire. Les chanoines de Notre- Dame eurent recours au Pape Alexandre IV qui, par un bref du 3 octobre 1257, chargea le chantre de l’église de Chartres de régler le différend. L’affaire s’arrangea, car à partir de cette date on voit les chanoines de Sainte-Croix se rendre processionnellement à Notre-Dame pour assister avec le clergé de cette église aux processions du Dimanche des Rameaux, au jour de Saint Marc et des trois jours des Rogations. Tous ces différends étant réglés, l’harmonie régna dans la suite entre les deux Collégiales.
Ruines de l'église Sainte-Croix en 1895 (cliché de Maxime Legrand, carte postale de Paul Allorge n°27)
     Quelle était l’importance de la Collégiale Sainte-Croix comme nombre de chanoines et de chapelains?

 
     Le Collège de Sainte-Croix était composé de deux dignitaires: le doyen du chapitre et le chantre, de dix-neuf chanoines et de dix chapelains. Remarquons que le nombre des chanoines dans cette église était plus important qu’à Notre-Dame. Par contre les chapelains étaient moins nombreux.

     Leurs revenus, prébendes ou bénéfices, venaient non pas de fondation royale, mais des biens des Juifs chassés et des dons des habitants d’Etampes. Cependant les chanoines avaient quelques difficultés à vivre. Aussi l’archevêque diocésain, le 19 août 1331, ordonna que leurs stages à l’avenir ne seraient que de trois mois «tellement dit l’ordonnance, que chaque chanoine résidant actuellement pendant trois mois de l’année gagnerait autant qu’il gagnait auparavant en résidant pendant six mois.»

     Passons aux chapelains. Ceux-ci étaient nommés par le chapitre. Ils desservaient dans l’église dix chapelles, qui étaient érigées sous les invocations suivantes: Notre-Dame, la Vierge de Pitié, Saint Thibault, abbé, Saint Eloi, évêque de Noyon, Sainte Marie-Magdeleine, Saint Nicolas, évêque de Myrrhe, Saint Etienne, premier martyr, Saint Louis, roi de France, Saint Denys l’aéropagite, Saint Jean l’évangéliste.

     Chanoines et chapelains en cette église Sainte-Croix formaient un collège important. Il fallait à ce collège une église correspondant à son importance. De fait, la Collégiale Sainte-Croix était belle et spacieuse. Voici la description qu’on peut en donner, d’après Maxime Legrand. [p.95]

     Elle ressemblait, dit-on, à l’église Saint-Martin. Elle mesurait 55 mètres de long sur 37 mètres de large, y compris la sacristie. Elle était composée d’une nef et de deux bas-côtés, de huit travées, de deux transepts, d’un chœur, d’une abside de cinq travées terminée en demi-cercle, et chose remarquable, entourée de trois chapelles semi-circulaires comme à Saint-Martin, quoique moins profondes. Une tour à droite bordait la sacristie. Des vingt piliers, huit autour du chœur étaient circulaires, les six suivants octogonaux, les autres carrés et flanqués d’élégantes colonnettes. Autour, trente contreforts, dont trois contenaient des escaliers à vis, l’un conduisait au clocher aussi haut, paraît-il que celui de Notre-Dame. Quatre portes y donnaient accès: trois sur la place de l’Hôtel-de-Ville, l’autre sur la rue Sainte- Croix.

    La Révolution de 1893 [lisez 1793] détruisit l’église. Elle servit de carrière pour construire des maisons. Cependant quelques vestiges de ses murs et colonnes se voient encore aujourd’hui sous des tas de boulets dans la cour d’un chantier de marchand de charbons. Grandeur et décadence! [p.96]
Ruines de l'église Sainte-Croix en 1895 (cliché de Maxime Legrand, carte postale de Paul Allorge n°28)
 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

Léon Guibourgé      Brochure préalable: Léon GUIBOURGÉ [chanoine, ancien archiprêtre d’Étampes, officier d’Académie, membre de la Commission des arts et antiquités de Seine-et-Oise, vice-président de la Société artistique et archéologique de Corbeil, d’Étampes et du Hurepoix], Étampes, la favorite des rois [in-16; 64 p.; figures; plan et couverture en couleur; avant-propos de Barthélémy Durand, maire; dessin de couverture de Philippe Lejeune], Étampes, Éditions d’art Rameau, 1954.

    
Édition princeps: Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale [in-16 (20 cm); 253 p.; armoiries de la ville en couleurs sur la couverture; préface d’Henri Lemoine], Étampes, chez l’auteur (imprimerie de la Semeuse), 1957.
    
Réédition en fac-similé: Péronnas, Éditions de la Tour Gile, 1997.
    
Édition électronique: Bernard GINESTE [éd.], «Léon Guibourgé: Étampes ville royale (1957)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampesvilleroyale.html (33 pages web) 2004.

     Ce chapitre: Bernard GINESTE [éd.], «Léon Guibourgé: L’église Sainte-Croix d’Étampes (1957)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampes303saintecroix.html, 2004.


Toute critique ou contribution seront les bienvenues. Any criticism or contribution welcome.
Source: Léon Guibourgé, Étampes, ville royale, 1957, pp. 91-95. Saisie: Bernard Gineste, octobre 2004.
    
Explicit
   
SommaireNouveautésBeaux-ArtsHistoireLittératureTextes latinsMoyen Age NumismatiqueLiensRemerciementsAssociationNous écrire - Mail