Etampes 20 avril
1915
Nous avons été maman et moi en auto
jusqu’à Ville-Sauvage. Il fait clair, il y a des avions près
des hangars. Le contrat d’apprentissage est signé par D’Or, le chef-pilote.
Celui-ci prétend qu’il est inutile de prendre une garantie de casse.
Je ne volerais pas aujourd’hui. Je ne suis plus pressé
maintenant. J’ai maintenant en poche la plus belle des promesses... l’attente
est une forme du bonheur.
Je redescend avec maman et je la conduis à
la gare. Elle regagne Paris toute seule, «Que vais-je faire à
Paris maintenant?»
Je défais ma malle et m’installe dans ma chambre,
chez Blic, où la plupart des élèves-pilotes sont pensionnaires.
Je dîne avec Lepeintre, le sous-chef pilote, avec Maubon, de Marcieu,
Delahaye, Minier.
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21 avril
Dès cinq heures on monte au terrain dans une
vieille Panhard. Je ne me lasse pas de contempler les avions. Un nommé
Brugnand arrive d’Avord sur un Voisin. Un officier britannique arrive sur
un Henri Farman, type nouveau.
Je respire l’odeur d’essence et je touche des ailes.
J’écoute se raconter ces pilotes étrangers.
Le soir, on remonte vers trois heures à Ville-Sauvage
et on y reste jusqu’à la nuit.
Je n’ai pas volé aujourd’hui, il faisait du vent, ce sera peut-être
pour demain.
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22 avril
Le belge Pirret* est
en l’air sur le MF16. Lepeintre me dit de me préparer à voler.
J’attends ému. Pirret atterrit, un mécanicien court à
l’aile pour ramener l’appareil. Brugnand sur son Voisin prend le départ.
Avant même d’avoir décollé, il entre à toute
vitesse dans le MF16, fauchant le mécanicien.
Je ne pourrais pas voler aujourd’hui.
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*Voyez notre page sur ce pilote belge,
http://www.corpusetampois.com/che-20-19150730piret.html
(B.G.) |
23 avril
Il fait beaucoup de vent. On juge inutile de nous
faire monter au terrain. J’en profite pour aller voir l’ancien terrain de
l’école. Je contemple cette étendue vide. Il y a encore un
hangar, vide.
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24 avril
Il vente toujours. Je vais à Paris acheter
une paire de lunettes.
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25 avril
Il vente encore.
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26 avril 1915
J’ai volé! j’ai volé! Je n’y ai pas
trouvé un plaisir extrême.
Il était 8h25 et le vent soufflait du Nord-Est
5 à 6 mètres à la seconde quand j’ai mis le pied dans
la carlingue du MF12 (type 6-numéro 183-Renault). Lepeintre pilotant.
Il m’a dit «Attachez-vous bien!», mais je n’ai pas su m’attacher,
alors je n’étais pas tranquille. «Faites bien attention à
votre casquette!», mais j’ai eu tout le temps peur que ma casquette
ne soit arrachée par le vent de l’hélice.
Nous avons roulé et tangué un peu.
A chaque fois, j’en ressentais le contre-coup dans le ventre et dans les
genoux.
J’ai cependant conservé ma présence
d’esprit pour regarder un autre avion en vol, qui était je crois De
Marcieu, pour regarder un vol de corbeaux et un paysan dans son champ.
Le tour de piste consiste à faire le tour
d’un petit bois situé à l’Est des hangars.
Une demi-heure après, Lepeintre me prend sur le MF1-50hp. Cette
fois les commandes en mains.
Non, vraiment, sur le moment mon bonheur n’a pas
été ce que j’aurais cru. Il faudra de l’entraînement.
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27 avril
Je vois pour la première fois un Caudron G3-Le
Rhône 80cv.
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28 avril
Je vole trois tours de piste. Un nommé Georges
Guynemer* arrive d’Avord sur Morane-Parasol.
Il dîne avec nous chez Blic.
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*Du même âge que l’auteur,
pilote de guerre français le plus renommé de la Première
Guerre Mondiale, mort au combat, en vol, en 1917 (P.H.)
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30 avril
Le Capitaine anglais Valentine vole sur un Blériot
biplace XI.
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1 mai
Trois Voisins atterrissent dont Girard, Alsacien
qui, servant dans l’armée Allemande amena en France au début
de la guerre, dans une auto, plusieurs officiers qui furent faits prisonniers.
Girard casse son aile droite en faisant un cheval de bois.
Je continue à faire des tours de piste en double commande. Il
paraît que j’ai tendance à monter, que nous ascendons. (?)
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3 mai
Girard prend encore un mauvais départ et atterrit
dans les terres labourées. Pas léger a ramener le Voisin.
[Note postérieure de l’auteur du carnet:
Girard, descendu sur le front d’Orient devait se noyer dans le lac Doiran
en octobre 1925, c’était un ancien pilote d’Aviatik.]
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4 mai
Je vole pour la première fois avec D’Or en
double commande. Trois tours. Je descend d’appareil pour voir Maubon pilotant
seul le MF12 se mettre en perte de vitesse. Il glisse sur l’aile de 60, 80
mètres derrière le bois au Nord du terrain. Quelle course!
Mon pauvre cœur! Maubon a le moteur au-dessus de lui, à quelques centimètres
de sa poitrine. On constate qu’il a une médaille de St Christophe.
Ses blessures ne sont pas graves. On l’emmène à l’hôpital.
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5 mai
Vers neuf heures, Parent, militaire volant sur MF-4
se met en perte de vitesse. Belle casse. Pas de bobo.
Je vole avec Lepeintre. On remplace le moteur du
1 par un 70cv. Il paraît que c’est avec cet appareil que Renaux et
Senoucque ont atterrit jadis sur le Puy-de-Dôme.
L’Adjudant Léo arrive de l’Escadrille MF-36
de La Farine où est Lescet de St Brieuc. On l’a surnommé
le goret, paraît-il, et serait un peu refroidi.
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8 mai
Il arrive 5 nouveaux élèves militaires
dont l’Adjudant Boisseau, le héros de la maison du passeur.
On apprend qu’un Belge, Debussy, s’est tué
à Villacoublay sur Voisin.
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9 mai
Le pilote militaire Bossoutrot fait son heure à 2.000.
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10 mai
Aujourd’hui j’ai vu deux pilotes célèbres:
Rose, sur Parasol 80hp, et Verrier sur MF type 11 sans stabilisateur avant.
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12 mai
Le Lieutenant De Morment brise un ski gauche dans
un tête à queue.
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20 mai
Aujourd’hui j’ai fait huit tours de piste.
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21 mai
Encore huit tours de piste. Pour la première
fois, j’ai vu huit appareils en l’air en même temps.
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25 mai
Nous avons la visite de Maurice Farman qui arrive
en rase-motte sur un appareil neuf, avec comme passagère sa femme,
qui est enceinte.
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28 mai
Pour mon 100ème vol, je suis resté 17
minutes en l’air. J’avais froid et j’étais presque content d’atterrir.
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29 mai
Delahaye atterrit dans la luzerne, sans casse, avec
son appareil de breveté.
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2 juin
Le képi du Lieutenant Lacouture passe dans
l’hélice sans casse. Je commence à faire des progrès
et j’atterris presque seul.
À 7h50, le Lt Lacouture, qui vole seul pour
la première fois, brise complètement le MF-1.
Lepeintre est furieux.
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4 juin
Reçu la visite de Mr Farman, toujours en rase-motte.
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5 juin
De Marcieu casse des patins. Seigneuret déjeune
avec nous. Je vole dix tours de piste.
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6 juin
Minier, pilote militaire ayant avec lui, contrairement
aux règlements, la femme de Boisseau, est obligé d’atterrir
avec le MF-9 dans un champ de seigle. Pas de casse.
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7 juin
Petite émotion alors que je me disposais à
faire pivoter le 16 sur l’aile, Delahaye prenant le départ sur le
190 fait un cheval de bois et, sans la présence d’esprit de Lepeintre
qui a remis des gaz, il me fauchait comme l’autre jour le mécanicien.
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9 juin
Delahaye atterrit dans la luzerne avec De la Cella.
Nous l’aidons a ramener son zinc.
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12 juin
Après avoir fait 172 tours de piste en double
commande avec Lepeintre, je passe à l’école de D’Or.
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14 juin
D’Or me laisse faire mes virages absolument
seul.
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15 juin
Je ne pique pas assez pour atterrir.
De Rome qui passait à 2.000 mètres se
rendant à Avord, sur Bréguet 56 - Renault 200cv, est obligé
d’atterrir dans un labouré. Il manque le terrain, son hélice
est en croix, il a perdu un de ses cylindres.
Moineau atterrit, sur un Bréguet-Salmson, pour
voir les dégâts, et repart avec De Rome pour Villacoublay.
Le Voisin est ramené avec des chevaux.
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16 juin
Vu le Capitaine
Gouin, chef d’Escadrille Bréguet.
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17 juin
Sur le 20, un mât prend feu en vol et brise
l’hélice. Gondres atterrit dans le blé. Gondres est l’ancien
mécanicien de Hamel.
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19 juin
A 7h30, le dirigeable Alsace passe au-dessus du terrain
se rendant vers Orléans. Il revient vers 9 heures.
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21 juin
Je suis lâché à 8 heures 05.
Pour la première fois, on ne nous laisse pas
faire le tour du bois. On part face au Sud et on revient à son point
de départ après une boucle sur les champs. Mais le 20, que
De Marcieu a brisé hier soir est encore au milieu du terrain.
Quand je reviens, outre cet obstacle, j’aperçois
le 1 et le 190, hélices en marche, prêts pour le départ.
Un peu ému, j’appuie à gauche et me
pose près de la route, derrière les hangars.
Je fais aussitôt un second tour plus assuré.
Je n’ai pas eu le temps de penser que je volais enfin
seul...
Vers 16h20, le belge Tacoen fait une chute mortelle
à l’école Belge, de l’autre côté de la route.
Il avait pris son terrain trop court. Quand il s’aperçut qu’il allait
atterrir dans la luzerne, il a remis la sauce, d’où capotage et looping.
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23 Juin
Le soir, je vole seul quatre fois autour du bois.
Le premier atterrissage est mauvais.
En virant, le soleil dans les yeux, je me suis trouvé
nez à nez avec un belge qui violait les consignes de piste.
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24 juin
Le matin nous avons enterré Tacoen à
Etampes.
Je vole trois fois dans la soirée. Au troisième
vol, je fais un huit et deux tours de piste sans m’arrêter. Je fais
à 7h30 un quatrième vol d’altitude de 100 mètres. |
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25 juin
Vers 8 heures du soir, je monte à 140 m.
Chautard atterrit dans l’avoine sans bousiller.
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Samedi 26 juin
Je suis breveté!
Ce matin à 6h30, je pars pour la première
épreuve de huit à 50 mètres sur le MF1/6 80hp Renault.
Départ aussitôt pour la deuxième épreuve. Troisième
départ pour l’altitude (150 m). A 7h05 j’étais breveté.
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27 juin
Je quitte Etampes, sa plaine, ses avions, les amis
à regret... Je ne suis heureux qu’à moitié.
Maintenant je voudrais m’envoler sur la campagne,
mais…
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28 juin, St Brieuc
J’adresse aussitôt une demande d’autorisation
d’engagement à la Direction de l’Aéronautique Militaire.
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[du 12
juillet au 1er octobre 1915]
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Je reçois cette
autorisation le 12 juillet 1915. A la visite, je ne suis pas reconnu apte.
Le 9 juillet, j’avais passé une nouvelle visite
à la mairie avec les ajournés de la classe 1915. Inapte.
Je suis résigné à mon sort. Je
pars à Roscoff. Je n’userais pas tant de semelles que l’année
dernière où je m’entraînais à la marche. Je ne
serais jamais fantassin.
J’ai repris mon travail au magasin. Souvent, le matin,
j’assiste à la cathédrale ou à St Michel, aux services
funèbres pour les soldats morts au champ d’honneur. Dieu sait s’ils
sont nombreux!
Le matin je lis le journal, le soir je vais à
la préfecture lire le communiqué et je pique des épingles
sur les cartes, au cœur de la France.
Quand je rencontre des femmes en deuil, je voudrais
me faire tout petit et disparaître. Je suis celui qui n’est pas au
front.
Le 28 avril, je tente encore une démarche près
de l’Aéronautique et au recrutement. Encore une fois, je suis refusé
à la visite. Et voilà le printemps de la Victoire! Je n’aurais
pas été à la guerre.
Enfin le 20 juin 1916, à 14 heures, je suis
convoqué à la mairie pour un nouvel examen. Cette fois je suis
pris bon service armé.
J’attend avec impatience ma feuille de route. Je dois
rejoindre au mois d’août le groupe d’aviation à Dijon.
C’est d’abord la caserne des Ursulines à Dijon,
les piqûres contre la variole, la coupe de cheveux ras, les effets
qui s’ajustent très mal, les corvées, une chambre de 40 lits,
les punaises. On nous apprend à marcher au pas sur les boulevards.
Le fourrier et le Sergent sont des vaches.
Il y a heureusement un restaurant où je mange
bien le soir, il y a des églises où l’on est tranquille pour
prier. Un inconnu rencontré aux vêpres de Saint-Bénigne
m’amène, un dimanche après midi, au cercle où Marc Sangnier*, de passage, nous adresse quelques mots. Il revient
de Rome.
Nous partons bientôt à Longvie, face
au centre d’aviation, dans des bâtiments tout neufs.
Jusqu’au premier octobre, nous pivoterons sur les
routes, sans arme. On nous pique au T-A-B chauffé, la cantinière
nous fait du bon flanc d’œuf. Sur la route, à la pause, on trouve
à acheter des beignets et le soir, sur le canal, pour deux sous on
a un bon verre de cassis. J’apprends surtout à cirer les chaussures.
Vers le 13 octobre, nous sommes affectés à
une Cie qui loge dans un grenier à Longvie. Il fait froid sur une
paillasse. On monte matin et soir le fusil sur l’épaule au centre,
où l’on nous apprend à réparer (?) un moteur Renault.
J’ai fait une demande pour être affecté au personnel navigant.
Le 15 octobre, je suis affecté et viens loger
au centre. Nous suivons des cours dictés sous un hangar, et nous passons
une visite très sévère. Les Majors hésitent à
me reconnaître apte. J’enlève la décision en leur disant
que je suis pilote!
Le 1er novembre je pars à Chartres! Enfin!
Des ailes!
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*Journaliste puis homme politique très
en vue à cette époque P.H.).
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[...]
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9 mars [1916]
Arrivée à Miramas. [...]
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10 mars
L’après-midi, volé en tour en double
commande avec De Doncker qui a épousé la fille du cabaretier
d’Etampes.
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[...]
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12 mars
Trois tours de nuit avec De Doncker.
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13
Trois tours de nuit avec De Doncker.
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