LE PRIVILÈGE
DE CHALO-SAINT-MARD
Il est permis aujourd’hui d’ignorer le nom
d’un privilège auquel la plupart des dictionnaires et des encyclopédies
historiques ont refusé les honneurs d’un article spécial.
Si cependant le récit d’une grande mystification, dont l’origine
remonte au moyen âge et dont les suites ont été plusieurs
fois envisagées avec inquiétude par la royauté elle-même,
mérite de fixer l’attention, nous n’aurons point lieu de regretter
le temps employé à faire connaitre et replacer dans
son vrai jour le privilège de Chalo-Saint-Mard (1).
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(1) Nous ne nous proposons pas
ici d’épuiser un sujet qui, par plus d’un point, côtoie
l’histoire générale, et sur lequel d’ailleurs notre confrère
M. Gabriel Richou apportera bientôt, nous l’espérons, de
nouveaux renseignements, puisés dans des archives privées.
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Ce n’était rien de moins qu’une exemption totale des
impôts, tailles, aides, subsides et droits quelconques perçus
dans le royaume pour le compte du roi et de ses vassaux: faveur singulièrement
utile, et qui comportait même le privilège de noblesse
suivant une opinion fort répandue, principalement, il est vrai,
parmi les intéressés. Jouissaient de ces avantages tous
les descendants d’«Eudes le Maire, dit Chalo-Saint-Mard,»
personnage sur lequel nous reviendront bientôt. Nous disons: tous
les descendants, tant par les femmes que par les hommes; c’est-à-dire
que, dans cette famille, suivant l’expression consacrée, [p.186] «le ventre annoblissait,»
ou tout au moins affranchissait des impôts. Le nombre de ceux qui
avaient prouvé ou cru prouver que quelques gouttes du sang d’Eudes
le Maire coulaient encore dans leurs veines est assez difficile à
préciser. Il s’élevait, en 1602, à trois cent cinquante
environ, suivant une déclaration officielle des «gardes
de la Franchise» (1), estimation qui parait bien faible auprès des renseignements
fournis d’ailleurs. Nous ne parlons pas d’une plaidoirie dont l’exagération
égale la malveillance: «De present, disait
le 9 mars 1507 un avocat au Parlement, il en y a nombre infiny qui se
disent de ladicte lignée, et y sont receuz tous en baillant deux escus.» (2) Mais, en 1540, François Ier
entrevoyait déjà le moment où la plupart des marchands
du royaume seraient des rejetons d’Eudes la Maire (3). En 1578, Henri III
qualifiait d’«excessif» le nombre des prétendus
descendants d’Eudes le Maire, commerçants pour la plupart (4). Henri
IV en 1596, n’estimait pas à moins de sept ou huit mille personnes
la lignée actuellement vivante d’Eudes de Chalo Saint-Mard (5), et
il ajoutait un peu plus tard: «Ceulx qui s’en disent estre yssus...
sont pour la plupart les plus riches et aysez des villes, bourgs, villages,
et y ont le plus d’auctorité.» (6) Dans la seule ville de Paris; les descendants
d’Eudes le Maire, organisés en communauté, élisaient
annuellement un syndic, dont ils faisaient l’agent comptable de leur association
et le dépositaire de leurs titres (7). Dès 1528, un recueil
officiel publié [p.187] par
l’échevinage de Paris porte à rois mille au moins le nombre
des descendants de Chalo-Saint-Mard, sans qu’il soit possible de dire si
cette évaluation s’applique à l’ensemble de la lignée,
ou seulement aux membres de la famille établis à Paris (1).
Il va sans dire que certains historiens ont démesurément
grossi ces chiffres: Favyn, par exemple, en vient à parler de vingt
ou trente mille personnes issues de Chalo-Saint-Mard et répandues
de son temps dans toutes les parties du royaume, particulèrement
dans les villes frontières et maritimes. «Telles exemptions,
dit-il, ont un fort long temps faict rechercher l’alliance
de ceux de ceste ancienne franchise, voire des villes frontières
de ce royaume, les plus riches marchants desquelles, pour jouyr des advantages
d’icelle, venoient prendre femme à Estampes et aux environs
(le village de Chalo-Saint-Mard, berceau de la famille, est situé
à dix kilomètres d’Etampes), afin de pouvoir en toute liberté
trafficquer francs et quittes de tous droicts et passages. Et ces filles,
par ce moyen, richement mariées sans bource deslier,
«Numerabant in dite triumphos.» (2)
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(1) Arch. nat., X.1a 1782,
fol. 178 v°.
(2) Bibl. de la Chambre des Députés,
collection Lenain, Registres du Parlement, t. CLXXI, fol. 34 r
(3) Arch. nat., X.1a 8613, fol. 257 r°.—
D. Basile Fleureau, Les antiquités de la ville et du duché
d’Étampes, Paris, 1683, in-4°, p. 84.
(4) Arch. nat., X.1a 8634, fol. 168 r°.
(5) Lettres patentes du 24 mai 1596. (Arch.
nat. Z.1a 533.)
(6) Pièces justificatives, III.
(7) Cette élection avait eu lieu
à l’issue d’une messe pour la communauté en l’église
du Saint-Sépulcre. Le Musée d’Étampes possède
encore une pièce manuscrite intitulée: «Compte que
rend le sire Charles Gaultier, bourgeois de Paris, en qualité de
scindicq pour la communauté des privilleges de la franchise de
Challo-Sainct-Mas pour ceste ville et fauxbourg de Paris seulement, et
pour la recepte que le dit Gaultier [p.187]
a faite de son année; a comencé après Pasques quatre
vingts quinze et fini à Pasques quatre vingts saixze, etc.»
(Communication de M. Lenoir, conservateur du musée d’Étampes.)
(1) Ordonnances royaulx de la jurisdiction
de la prevosté des marchans et eschevinaiges de la ville de Paris,
édition gothique de 1528, Adicions. — Les ordonnances royaux
sur le faict et jurisdiction de la prévosté des marchands
et eschevinage de la ville de Paris, Paris, 1556, in-4°, fol.
142 v°; 1582, in-4°, 192 v°, et 1644, in-f°, p. 256.
(2) André Favyn, Histoire de Navarre,
Paris, 1612, in-fol., p. 1146.
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Au nombre les plus connus parmi les privilégiés
de Chalo-Saint-Mard, nous citerons le jurisconsulte René Choppin
(3), le [p.188] conseiller au
Parlement Mathieu Chartier et son petit-fils, l’illustre Mathieu Molé.
Cette famille Chartier, à laquelle il suffisait de se rattacher
pour participer à la franchise (1), faisait remonter son origine
jusqu’à un certain Alain Chartier, qui avait, disait-on, épousé
Tiphaine Le Maire, une des filles du fameux Eudes, dit Chalo Saint Mard.
(2)
On connaît
trop l’érudition des jurisconsultes du XVIème siècle
pour s’étonner des rapprochements que leur suggérait cette
immunité. Ils ne savaient mieux comparer le privilège de
Chalo Saint Mard qu’à l’exemption accordée par les Athéniens
aux descendants d’Harmodius et d’Aristogiton. (3)
Quel était
donc l’important personnage dont le souvenir se trouvait ainsi lié
à celui des meurtriers d’Hipparque? Quel service éminement
rendu à la couronne avait pu donner lieu à une aussi éclatante
faveur? |
(3) Ayant épousé,
en la personne de Marie Baron, une descendante d’Eudes Le Maire, il fit
vérifier ses droits, ceux de sa femme et de ses enfants, le 22
avril 1597, et obtint des Requêtes de l’Hôtel, le 13 mau suivant,
des lettres de garde gardienne qui les déclaraient tous privilégiés
(Commentaires sur la coustume d’Anjou, liv. I, art. 8, dans Les
œuvres de Me René Choppin, Paris, 1635, in-fol., p. 323.— B.
Hauréau, Histoire littéraire du Maine,
Paris, 1871, in-8°, t. III, p.22.)
(1) A. Favyn, loc. cit.
(2) Abrégé cronologique
de la fondation et histoire du collège de Boissy, avec la généalogie
de la famille de ses fondateurs, 1724, in-fol., dans le carton M
103 (n°4) des Archives. — M. le marquis de Beaucourt a prouvé
que, contrairement à une tradition répandue, il ne fallait
pas confondre cette famille avec celle du poète Alain Chartier.
(Recherches sur Guillaume, Alain et Jean Chartier, dans les Mémoires
de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XXVIII,
1869, p. 33.)
(3) R. Choppin, Trois livres de la police
ecclésiastique, loc. cit. — Les Œuvres de M. Julien
Peleus, Paris, 1638, in-fol., t. II, p. 454. — Recueil d’aucuns plaidoyes
faicts en la Cour des aides par M. C. le Bret, Paris, 1597, in-8°,
fol. 65 r°.
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A vrai dire, il existe un certain désaccord au sujet de l’époque
à laquelle vivait notre héros. Une opinion qui avait cours
à Etampes vers l’année 1514 (4), et que consacrent deux
lettres patentes et un arrêt du Parlement (5), rapporte son aventure
au règne de Philippe le Bel. Suivant une seconde version, Philippe-Auguste
aurait compté Eudes le Maire parmi ses compagnons [p.189] d’armes lors
de la troisième croirade de 1191 (1). Mais la tradition de beaucoup
la plus accréditée est celle dont MM. Menault (2), Fourcheux
de Montrond (3), et Guizot lui-même (4) se sont faits les échos,
d’après les historiens du XVIe siècle: «Le roi
Philippe Ier, disent-ils, avait fait vœu d’aller, armé de toutes
pièces, visiter le tombeau du Christ à Jérusalem,
se suspendre ses armes dans le temple et de l’enrichir de ses dons... Les
prélats et les seigneurs du royaume, prévoyant les maux qu’occasionnerait
son absence, s’efforcèrent vivement de le retenir. Alors un de ses
fidèles serviteurs, Eudes le Maire, dit Challo Saint Mard, né
à Etampes, offrit d’entreprendre lui-même le voyage
à la place du roi. Il partit à pied, armé comme dans
un jour de bataille et portant dans sa main un cierge qu’il allumait à
divers intervalles. Il employa, dit-on, deux années à faire
ce pélerinage. Arrivé enfin au terme de sa course, il déposa
ses armes dans le temple du Saint-Sépulcre, où plusieurs
années après les voyait-on encore, ainsi qu’un tableau d’airain,
mémorial de son vœu. Le noble pélerin avait laissé
son fils Ansolde et ses cinq filles sous le patronage de son roi. Son retour
dans sa patrie fut le signal des honneurs dont ce prince se plut à
le combler. En témoignage d’estime et de satisfaction, il lui accorda
l’exemption de tous péages, tributs et autres droits pour lui et
toute sa race.» (5) [p.190]
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(4) L’ordre observé
à l’enterrement de la royne Anne, duchesse de Bretaigne...,
par Bretagne, roi d’armes, dans Le cérémonial de France
de Th. Godefroy (Paris, 1619, in-4°), p. 115.
(5) Lettres patentes du 19 janvier 1541
(D. Fleureau, loc. cit.) et du 27 août 1585
(Pièces justificatives, II); arrêt du Parlement du 9 décembre
1594 (Girard et Joly, Offices de France, t. I, p. 674).
(1) B. Hauréau, Histoire littéraire
du Maine, t. III, p. 22.
(2) Morigny, son abbaye, sa chronique
et son cartulaire, suivi de l’histoire du doyenné d’Etampes,
Paris, 1867, in-8°, p. 10.
(3) Essais historiques sur la ville d’Etampes,
Étampes, 1836, in-8°, t.I, p.75.
(4) Histoire de la civilisation en France,
Paris, 1872, in-8°, t. IV, p. 333.
(5) Cette histoire a inspiré un peintre
du XVIe siècle, dont l’ouvrage est reproduit en gravure dans Les
monumens de la monarchie françoise de D. Bernard de Montfaucon
(t.. II, p. 216). On y voit le roi, sur un trône, tenant de la main
droite son sceptre, et donnant de la main gauche des lettres scellées
à un chevalier armé de toutes pièces, qui n’est autre
que Chalo-Saint-Mard; derrière lui, sa femme, tenant par la main
un fils en bas âge; au dernier plan, ses cinq filles, tontes à
peu près de même taille et agenouillées sur un seul
rang. — A propos de cette reproduction et de la courte notice qui l’accompagne,
d’Hozier reproche à Montfaucon de n’avoir pas pris parti pour l’un
des deux systèmes qui attribuent la donation soit à Philippe
Ier, soit à Philippe le [p.190] Bel: «il a partagé,
dit-il, le différend en deux, en racontant l’histoire comme si elle
était arrivée sous le premier de ces deux rois, et en renvoyant
au règne du second le tableau qui la représente.» (Armorial
général ou registres de la noblesse de France, Paris,
1752, in-fol., reg. III, 2e partie, ORLÉANS, fol. 20 v°.)
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Eudes Le Maire appartiendrait donc au XIème siècle,
l’âge de la première croisade, et son histoire se rattacherait
à l’un de traits les plus surprenants du règne de Philippe
Ier (1). Ce prince, que l’on était habitué à se
représenter bravant les anathèmes de l’Eglise, nous apparaît
cette fois comme un pélerin impatient de se prosterner devant
le temple de Jérusalem. Le service que lui rend Eudes Le Maire
ne semble pas payé trop cher par une exemption perpétuelle
d’impôts: le généreux serviteurs acquitte la dette
de son maître, calme les scrupules de la conscience royale, en même
temps qu’il permet au prince de poursuivre sans interruption l’œuvre de
consolidation de la monarchie capétienne.
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(1) Les frère Scévole
et Louis de Sainte-Marthe ne manquent pas de citer ce trait à
la gloire de Philippe Ier: «[Le roy] ayant fait vœu d’aller visiter
le S. Sepulchre et ne le pouvant faire, Eudes Le Maire, chastelain, entreprit
pour lui ce voyage à pied et armé, ce qu’il exécuta.
Mais la splendeur des actes de piété de ce roy fut ternie
de ce que, forlignant de la vertu de ses ancestres il se laissa tellement
posséder par Bertrade...» (Histoire généalogique
de la maison de France, Paris, 1647, in-fol., t. I, p. 459.) — Parmi
les auteurs qui ont reproduit sans objection le récit du vœu de Philippe
Ier, citons encore Pardessus (Ordonnances, t.XXI, p. 113).
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Telle est, non pas la légende (nous craindrions de manquer
de respect aux auteurs graves qui l’ont reproduites), mais l’histoire poétique
d’Eudes Le Maire. Occupons-nous à présent de reconstituer
son histoire vraie.
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Nous commencerons ce travail par deux éliminations.
Il s’agit de textes invoqués pour prouver l’ancienneté des
droits reconnus par la couronne aux héritiers d’Eudes Le Maire. L’un
de ces textes est une note soi-disant insérée
«dans les registres de la Chambre des comptes sous le règne
de Philippe le Bel.» (2) Or, [p.191]
non seulement les mémoriaux reconstitués
après l’incendie de 1737 ne fournissent aucune indication semblable;
mais les mémoriaux anciens, dont le contenu est analysé feuille
par feuille dans nos inventaires, ne présentaient, vers l’époque
de Philippe le Bel, aucune mention relative à la lignée d’Eudes
Le Maire. (1)
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(2) G.-A. de La Roque,
Traité de la noblesse, Rouen, 1734, in-4°,
chapitre intitulé De la noblesse d’Eudes le Maire, dit Chalo-Saint-Mars,
p. 158. — La Chenaye des Bois, Dictionnaire de la noblesse, v°
CHALO ou CHAILLOU DE SAINT-MARS.
(1) Voy. les tables de Le Marié d’Aubigny
(Arch. nat., PP. 135).
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Le second texte, cité pour la première fois
par dom Fleureau, est un passage d’une prétendue ordonnance de saint
Louis déclarant exempte du guet de la ville de Paris «toutes
les personnes étans de la lignée de Challo-Saint-Mard, dont
la femme affranchit le mary, qui sont plus de trois mil.» (2)
Que pouvait être cette ordonnance? Cette question semblait destinée
à rester toujours sans réponse (3). Voici ce que nous avons
trouvé. Il existe un recueil de pièces et de dissertations
historiques publié, en 1501, par ordre du parlement et plusieurs
fois réimprimé sous les auspices de la ville de Paris (4).
Dans toutes les éditions, sauf la première, figure l’ordonnance
de 1254 sur les jeux, l’usure, les juifs, etc.; un peu plus loin, commence
une dissertation sur le guet de la ville de Paris, rédigée
apparemment par l’éditeur de 1528, et qui contient textuellement
ces mots: «Sont francs et exempts dudit guet... toutes les personnes
estans de la ligne de Charlot-Sainct-Mas, dont la femme affranchist le mary,
qui sont plus de trois mil.» Telle est la prétendue ordonnance
de saint Louis. Dom Fleureau a confondu la prose d’un éditeur contemporain
de François Ier avec le texte de l’ordonnance de 1254 (5). Sa méprise
est d’autant plus certaine qu’elle lui est commune avec l’auteur [p.192] du Traité
de la police, Nicolas de La Mare (1). C’en est assez pour écarter
l’ordonnance de saint Louis au même titre que la note inscrite dans
les mémoriaux du temps de Philippe le Bel.
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(2) C’est ce texte qui a
inspiré la phrase suivante de M. Guizot (Histoire de la civilisation
en France, t. IV, p. 335): «Et, moins de deux cents ans après,
saint Louis, en déclarant les descendants d’Eudes de Challou-Saint-Mard
exempts du guet de la ville de Paris, dit qu’ils sont au nombre de trois
mille.»
(3) Cf. d’Hozier, Armorial général,
reg. III, 2e partie, fol. 21 v°.
(4) Voy. plus haut, p. 187, note 1.
(5) L’exemption dont parle l’éditeur
de 1528 ne paraît pas avoir longtemps duré: il n’en est plus
question dans l’édit de janvier 1540 sur le guet de Paris. (R.
de Lespinasse, Les métiers et corporations de
la ville de Paris, Paris, 1886, in-fol., t. I, p. 68.)
(1) Celui-ci suppose (tome I, p. 256) l’existence
d’une ordonnance de saint Louis sur le guet; et tous les renseignements
qu’il fournit au sujet de cette prétendue ordonnance sont tirés
du chapitre en question, c’est ce qu’a fort bien fait remarquer le commissaire
au Châtelet Dupré, dans son Répertoire général
des réglemens de police par ordre cronologique, conservé
aux Archives nationales (H 1880.2, fol. 12 v°). Il va sans dire que
l’erreur s’est perpétuée dans les ouvrages qui ont disserté
sur le guet d’après N. de La Mare. (D. Félibien, Histoire
de la ville de Paris, t. I, p. 345, etc.)
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Passons à des faits plus certains. L’an 1336, diverses
personnes s’intitulant «hoirs ou aiens cause de feu
Eude de Chalo» présentent requête à Philippe
VI à l’effet d’obtenir la reconstitution d’une charte scellée
du grand sceau, en cire verte, sur lacs de soie, qui leur a été
octroyée, disent-ils, par le même roi, c’est-à-dire
dans les huit années qui précèdent, mais qui, placée
dans l’excavation d’un vieux mur, s’est trouvée entièrement
détruite par l’action de l’humidité: il n’en reste plus que
le sceau. L’affaire est renvoyée aux gens des requêtes de
l’Hôtel. En même temps, l’on produite deux vidimus de la charte
détruite passés sous le sceau du Châtelet; onze témoins
attestent sous serment la conformité de ces copies avec l’original
détruit, qu’ils affirment avoir vu. Philippe VI se rend à ces
preuves multiples: il reconstitue la charte par lettres datées du
Louvre au mois de décembre 1336 (2).
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(2) Pièees justificatives,
I.
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Ces lettres que les hoirs
de Chalo obtenaient ainsi, par deux fois, de la chancellerie de Philippe
VI, n’étaient qu’une confirmation: elles ratifiaient les dispositions
contenues dans un diplôme de Philippe Ier. Ce qu’il y a de très
singulier, c’est que le texte même de ce diplôme n’a jamais
passé sous les yeux ni de Philippe VI, ni de ses gens: ils n’en n’ont
point vu l’original, ils n’en ont point vu de copie. On s’est borné
à leur montré une sorte de notice anonyme (3), rédigée
on ne sait par [p.192] qui,
et certifiée conforme au texte du diplôme par trois abbés
parisiens. Du reste, point de date dans la formule d’attestation. Il faut
savoir l’époque et la durée du gouvernement de ces trois abbés,
André, abbé de Saint-Magloire, Ascelin, abbé de Saint-Victor,
Thibaud, abbé de Sainte-Geneviève (1), pour reconnaître
qu’ils ont dû fourni leur triple certificat vers le milieu du règne
de saint Louis, entre les années 1244 et 1254 (2).
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(3) Cette notice, qui se
trouve reproduite dans la première de nos Pièces justificatives,
a déjà été imprimée plusieurs fois,
toujours d’une façon incomplète ou fautive. (R. Choppin,
Trois livres de la police [p.193]
ecclésiastique, p. 322. — A. Favyn,
Histoire de Navarre, p. 1143. — Ph. Labbe, Novæ
bibliothecæ manuscriptorum librorum tomus primus. Paris, 1657,
in-fol., p. 655. — D. Fleureau, loc. cit.— La Roque, Traité
de la noblesse, p. 157. — D’Hozier, Armorial général,
reg. III, 2e partie, fol. 21 r°. — Ordonnances, t. XV, p. 316.
— Menault, Morigny, son abbaye, etc., pièces
justificatives, p. 4, etc.) — Elle a été traduite par M.
Guizot (Histoire de la civitisation en France, t. I, p 333).
(1) Gallia christiana, t. VII, col.
316, 677 et 740. — B. Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris,
t. III, p. 395. — A. Teulet, Layettes du trésor des chartes,
t. II, p. 268. — Arch. nat. L 499, n°21; L 893, n° 25; LL 1450,
fol. 35 v°, etc.
(2) C’est un raisoùnement que n’a
pas fait du Boulay (Historia Universitatis Parisiensis, t. II, page
39). Il se figure que les attestations des trois abbés sont contemporaines
du diplôme, et croit pouvoir se servir de ce document pour prouver
que les doyens de Sainte-Geneviève prenaient déjà
le titre d’abbés dans les dernières années du XIe
siècle.
|
C’est là un procédé bien étrange. Si
l’original du diplôme de Philippe Ier existait encore vers le milieu
du XIIIème siècle, ainsi que nous l’affirme les trois abbés
(3), comment les hoirs Chalo n’ont-ils pas cherché à en
obtenir un vidimus en forme, soit à la chancellerie royale, soi
à la prévôté de Paris ? Au lieu de s’adresser
à l’autorité la seule compétente en pareille matière,
ils s’en vont recourir trois abbés qui n’ont point qualité
pour apprécier l’authenticité d’une charte royale. Remarquons
qu’ils ne leur demandent pas de vidimer le diplôme: ils leur présentent
à sceller une notice informe, rédigée sans doute par
eux, et s’écartant visiblement, au moins par la tournure des phrases,
du texte de l’original (4). En d’autres termes, ils s’efforcent [p.193] de les rendre
complices d’un véritable travail de remaniement et d’interprétation.
Ils les invitent, non pas à collationner deux textes d’apparences
identiques, mais à juger si les différences existant entre
les diplômes et la notice sont de nature à altérer
le sens de la concession de Philippe Ier. Nous ignorons jusqu’à
quel point les trois abbés André, Thibaud et Ascelin possédaient
les qualités nécessaires pour bien s’acquitter de cette tâche.
Mais, ce que nous savons fort bien, c’est que, pour désirer et opérer
ainsi la substitution d’une notice à un diplôme en forme,
les hoirs Chalo devaient avoir quelque intérêt puissant à
faire disparaître ce diplôme. Et, de fait, il a disparu. Depuis
le jour où les abbés de Saint-Magloire, de Saint-Victor et
de Sainte-Geneviève l’ont eu entre leurs mains, jamais plus personne
ne l’a revu. Les hoirs Chalo n’ont cessé de produire à
l’appui de leurs prétentions la notice accompagnée de l’attestation
des trois abbés, et nous avons vu comment, sous Philippe de Valois,
ils ont réussi à la faire revêtir de l’approbation
royale (1).
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(3) «Testificor
me vidisse privilegium illustrissimi regis Philippi, et verbo ad verbum
legisse prout continetur in presenti rescripto (Pièces justificatives,
I.)
(4) Ainsi, dans cette notice, le nom de
Philippe Ier est toujours mis à la troisième personne.
(1) D’Hozier, frappé de la forme
étrange que revêt l’attestation des trois abbés,
émet l’opinion que cette attestation elle-même pourrait
bien être supposée (Armorial général,
reg. III, 2e partie, fol. 23 v°). Nous ne nous arrêterons pas
à cette hypothèse: l’irrégularité même
de ce certificat nous est un sûr garant de son authenticité.
Un faussaire aurait fabriqué une pièce de forme moins étrange,
surtout ayant le désir de la faire ratifier par le roi; il ne
se serait point exposé de gaîté de cœur aux objections
qu’a dû soulever, à la chancellerie royale, la vue d’un document
de forme aussi suspecte.
|
Nous avons donc de fortes raisons de soupçonner la notice
de n’être qu’une traduction libre du diplôme, traduction tout
à l’avantage des héritiers Chalo.
|
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Mais nous ne arrêterons pas là: nous pousserons
l’indiscrétion jusqu’à rechercher si le diplôme
qui fut montré aux trois abbés, puis disparut aussitôt,
présentait, lui du moins, les caractères d’un acte authentique
(2). Les souscriptions et la date [p.195]
de ce diplôme ont dû passer textuellement
dans le corps de la notice; elles sont ainsi conçues:
«Signum Hugonis, tunc temporis dapiferi. Signum
Gascionis de Pisciaco, constabularii. Signum Pagani Aurelianensis, buticularii.
Signum Guidonis, fratris Galeranni, camerarii. Actum Stampis, mense martii,
in palatio, anno ab incarnatione millesimo quater vigesimo quinto, anno
vero regni ejus vigesimo quinto...». Cette date ne présente
aucune difficulté; elle peut correspondre au mois de mars 1085 ou
1086, suivant la manière de fixer le commencement de l’année
et le commencement du règne: les habitudes irrégulières
de la chancellerie de Philippe Ier autorisent cette double supposition
(1). Restent les souscriptions. Hugues de Rochefort, sénéchal,
Gace de Chaumont, connétable, Payen d’Orléans, bouteiller
et Guy, non pas frère, mais fils de Galeran, chambrier, ont en
effet rempli leurs charges simultanément, mais à une époque
bien postérieure à 1085: c’est seulement en 1106 que leurs
souscriptions apparaissent au bas des diplômes de Philippe Ier
(2). Donc les données chronologiques résultant de la présence
des grands officiers ne concordent pas avec la date exprimée dans
la pièce, mars 1085-1086. Il est vrai que certains auteurs se
sont efforcés d’atténuer, sinon de faire disparaître,
cette contradiction. Pour justifier la présence d’un sénéchal
du nom de Hugues en l’année 1085, ils ont intercalé Hugues
le Grand, troisième fils de Henri Ier, sur la liste des sénéchaux,
entre Robert et Gervais; mais cette hypothèse ne repose que sur
la charte de Chalo (3), et elle est inconciliable avec plusieurs [p.196] circonstances
de la vie de Hugues le Grand. Le «Hugo tunc temporis
dapifer» ne peut-être que Hugues de Rochefort, et, encore
une fois, il y a une contradiction entre les indications fournies par
les souscriptions et par la date du diplôme de Chalo Saint Mard
(1).
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(2) Antoine-Marie d’Hozier
(Armorial général, reg. III, 2e partie, fol. 21
r°) a déjà entretrepris de prouver la fausseté
de ce diplôme; mais, comme il n’en connaît le texte que par
les éditions fautives de Choppin, de Favyn, du P. Labbe, de Fleureau,
de La Roque, il embarrasse sa démonstration d’une foule de remarques
oiseuses; une grande partie de ses arguments tombe à faux.
(1) Œuvres de l’avocat Henri Cochin,
Paris, 1790, in-4°, t. VI, p. 260-262. — Nouveau traité
de diplomatique, t. V, p. 786. — Art de vérifier les dates,
t. I, p. 572.
(2) P. Anselme, t. VI, p. 29 et 41; t. VIII,
p. 395 et 515. — Ach. Luchaire, Histoire des institutions monarchiques
de la France sous les premiers Capétiens, t. I, p. 169 et 177.
(3) Voy. l’Histoire généalogique
de la maison de France par les frères de Sainte-Marthe (t.
II, p. 668): «Aucuns historiens sont d’avis que [Hugues de France]
avoit esté seneschal ou grand maistre de France regnant Philippes,
son frère, et qu’en cette qualité il soussigna la charte
contenant la franchise de Chalo-Saint-Maard que le mesme roi octroya à
Eudes le Maire... Ils adjousteut qu’Eudes (pour Hugues) obtint cette grande
charge par la disgrace du roy qu’encourut le comte d’Anjou, qui [p.196] la possédoit avant luy.» Le
P. Anselme (t. I, p. 532, et t. VI, p. 29) se contente de dire que le fait
«n’est pas certain.»
(1) Avant d’être signalée par
M. Luchaire (op. cit., t. II, p. 117), cette contradiction avait
été constatée, par A.-M. d’Hozier (loc. cit.).
|
Cet argument, suffisant pour faire douter de l’authenticité
du diplôme, emprunte encore une nouvelle force à l’observation
qui suit. Les principales concessions faites par Philippe Ier aux églises
et aux monastères d’Etampes datent précisément des
années 1106 et 1107, sont rédigées avec les mêmes
formules, sont suivies des mêmes souscriptions que le diplôme
des héritiers Chalo (2). Pour faire valoir à quel point
la ressemblance est grande, nous metrons en regard, par exemple, les dernières
phrases du diplôme de Chalo Saint Mard et de celui qui fut octroyé,
en l’année 1106, aux serfs et colliberts de la Sainte-Trinité
d’Etampes (3).
|
(2) D. Mabillon, De
Re diplomatica, p. 593. — Gallia christiana, t. XII, instr.,
col. 16.
(3) Fleureau, op. cit., p. 482. —
Labbe, Alliance chron., t. II, p. 585.
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Diplôme de la Sainte-Trinité d’Etampes
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Diplôme de Chalo-Saint-Mard
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Et ut hec libertas firma et inconvulsa permaneat in servis
Sancte Trinitatis,
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Et ut hec libertas et hec pacta firma et inconvulsa permaneant, |
memoriale istud inde fieri et nostri nominis charactere et
sigillo signari et corroborari precepimus.
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memoriale istud inde fieri et nominis [nostri] karactere
et sigillo signari ex presente et propria manu [nostra] cruce facta corrobari
precepi[mus].
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Adstantibus
de palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa: |
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Adstantibus
de palatio [nostro] quorum nomina subtitulata [sunt] et signa:
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Signum
Hugonis de Creceio, dapiferi nostri.
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Signum Hugonis, tunc temporis dapiferi [nostri].
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Signum
Gascionis de Pissiaco, constabularii nostri.
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Signum
Gascionis de Pissiaco, constabularii [nostri]
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Signum
Pagani Aurelianensis, buticularii nostri. [p.197]
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Signum
Pagani Aurenlianensis, buticularii [nostri]. [p.197]
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Signum Guidonis, tunc temporis, camerarii nostri.
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Signum
Guidonis, fratris Galeranni, camerarii [nostri].
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Actum
Pissiaci, in Palatio, anno ab Incarnatione Domini MCVI, anno vero regni
nostri XLV. |
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Actum
Stampis, mense martii, in Palatio, anno ab Incarnatione MLXXXV, anno
vero regni nostri XXV.
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Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)
|
Il n’est point téméraire de supposer que
cette partie du diplôme de Chalo Saint Mard a été
copiée presque mot pour mot sur l’un des diplômes conservés
par les églises ou les abbayes d’Etampes. Voici ce qui se sera
passé. Les héritiers Chalo possédaient un acte de
Philippe Ier daté de mars 1085, mais rédigé sous
la forme la plus simple, et notamment dépourvu des souscriptions
des grands officiers. La vue des diplômes du même roi conservés
dans leur pays natal leur aura suggéré la pensée
de revêtir leur charte des formules solennelles usitées pour
les concessions les plus importantes; ils ont donc emprunté aux diplômes
de Saint-Martin ou à celui de la Sainte-Trinité les formules
finales et les souscriptions des grands officiers, persuadés qu’ils
ajoutaient ainsi à la valeur de leur charte, et bien éloignés
de croire qu’ils amalgamaient, en réalité, des éléments
contradictoires et fournissaient de la sorte aux historiens futurs le
moyen d’attaquer leur franchise (1).
|
(1) A.-M. d’Hozier
croit voir surtout, dans la charte de Chalo-$aint-Mard, la trace d’emprunts
faits au cartulaire et à la chronique de Morigny. Il va même
jusqu’à supposer que les hoirs Chalo sont responsables de la destruction
d’une partie de cette chronique, parce que le silence qu’elle gardait
au sujet des exploits d’Eudes Le Maire, constituait une forte présomption
contre l’authenticité de la légende (Armorial général,
reg. III, 2e partie, folios 20 v° et 23 v°). C’est une hypothèse
bien hasardée, mais que l’on pouvait s’attendre à voir
examiner dans un ouvrage spécialement consacré à
Morigny, à son cartulaire et à sa chronique [p.198] (Morigny, son abbaye, sa chronique
et son cartulaire, suivi de l’histoire du doyenné d’Étampes).
L’omission de M. Menault est assez regrettable.
|
De toute ces observations, que conclure? Que les prétentions
des hoirs de Chalo doivent inspirer une singulière défiance:
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1° Parce qu’on attendit jusqu’au règne de Philippe
VI pour les faire valoir devant la chancellerie royale;
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2° Parce qu’elles s’appuient sur un acte dont les termes
et la [p.198] forme furent modifiés
dans l’intérêt des hoirs Chalo vers le milieu du XIIIe
siècle;
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3° Parce qu’avant même ce remaniement, elles n’étaient
fondées que sur un diplôme fabriqué par les hoirs
Chalo, ou tout au moins «refait»
|
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Voyons pourtant le contenu de cette notice qui nous est donnée
comme la reproduction de la charte de Philippe Ier: reproduction faite
assurément tout à l’avantage des héritiers Chalo.
Que nous apprend ce document sur l’auteur de la lignée, sur l’origine
et sur l’étendue de la franchise de Chalo-Saint-Mard?
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Nous traduisons textuellement:
«Savoir faisons à tous présents
et à venir que Eudes, maire de Chalo, suivant l’impulsion divine,
et du consentement du Philippe, roi de France, dont il était le
serviteur, ou serf (famulus), est parti pour le Sépulcre
du Seigneur, et a laissé dans la main et sous la garde dudit roi
son fils, Ansould, et ses cinq filles. Et ledit roi a retenu ces enfants
en sa main et sous sa garde. Et il a concédé aussi à
Ansould et à ses cinq sœurs dessusdites, filles d’Eudes, pour l’amour
de Dieu et par sa seule charité, et par respect pour le Saint-Sépulcre,
que, si des hoirs mâles descendant d’eux venaient à épouser
des femmes soumises au roi par le joug du servage, il les affranchissait
par avance et les dégageait du lien du servage; si au contraire
des serfs du roi épousaient des femmes issues des hoirs d’Eudes,
celles-ci seraient, ainsi que leurs hoirs, dans le servage du roi
(1). Et le roi a concédé en fief aux hoirs d’Eudes et
à leurs hoirs sa marche de Chalo et ses hommes de corps à
garder; de telle sorte qu’ils ne soient tenus de comparaître en
justice devant aucun des serviteurs du roi, mais seulement devant le roi
lui-même, et que, dans toute la terre du roi, ils ne paient aucune
coutume. Le roi a ordonné, en outre, à ses serviteurs
(ou à ses serfs), d’Etampes [p.199] de garder à Chalo
sa chambre, parce que Chalo doit garder Etampes et veiller soigneusement
à la conservation d’Etampes.»
|
(1) «De servitute
regis essent,» ce que M. Guizot traduit fort inexactement (op. cit.,
p. 334): «Elles seront, ainsi que leurs descendants, de la maison
et domesticité du roi.»
|
Certes, nous voilà bien loin des prétentions
affichées par les derniers rejetons d’Eudes de Chalo Saint Mard.
Et, pour commencer par l’auteur de cette nombreuse lignée, son fameux
nom de Le Maire n’est, suivant toute vraisemblance, que le titre de son
office: il était maire de Chalo-Saint-Mard, près d’Etampes,
c’est-à-dire préposé à l’administration et
à la garde d’une petite communauté rurale sans importance.
Que penser dès lors de cette habitant de Gaillefontaine au XVIIe
siècle, dont parle La Roque, qui fondait sur son nom de Le Maire des
prétentions à la noblesse (1)? Le soi-disant chevalier ou
chambellan du roi Philippe est quelque chose comme un huissier, un percepteur
et un garde-champêtre (2). Quant au service éminent qu’il passe
pour avoir rendu à Philippe Ier, quant au vœu de ceui-ci, aux instances
de ses barons, quant aux circonstances merveilleuses de ce voyage à
pied accompli haubert au dos et cierge en main, quant au tableau votif,
aux armes suspendues dans l’église du Saint-Sépulcre, ce
sont autant d’inventions qui font honneur peut-être à l’imagination
des hoirs de Chalo, mais qui sont en pleine contradiction avec les termes
de la notice: Eudes est parti pour la terre sainte, mû par un sentiment
de piété, trop heureux que le roi consentît à
son voyagen et, comme il n’est plus question de lui dans le reste de la pièce,
tout porte à croire qu’il n’en est pas revenu (3). Aussi est-ce
par pur acte de «charité,» cette concession de Philippe
Ier: le roi veut assurer le sort de six orphelins. Il leur accorde non
pas la noblesse (c’est bien de [p.200] noblesse
qu’il s’agit), mais des faveurs proportionnées à leur humble
condition: si leurs descendants mâles épousent des serves
du roi, ils ne tomberont pas, par cela même, comme le veut la coutume,
dans la conditon servile; leurs descendantes, au contraire, si elle épousent
des serfs du roi, ne manqueront pas de perdre la liberté, elles
et leurs hoirs. La garde de la marche de Chalo, la surveillance des fiscalins
du roi, c’est-à-dire probablement les fonctions attachées
à l’office de maire que remplissait Eudes, sont concédées
en fief à ses descendants; mais que ce mot de fief de nous trompe
pas: on sait que les plus petits offices, les fonctions les plus viles
pouvaient être l’objet d’une tenure féodale, et rien de plus
fréquent au XIe siècle que la tendance des petites fonctionnaires,
en particulier des maires ruraux, à rendre leurs charges héréditaires
(1). Les descendants d’Eudes seront exempts de la juridiction, souvent
odieuse, des prévôts et des autres officiers subalternes;
ils ne comparaîtront en justice que devant la Cour du roi: c’est
encore là un privilège accordé au XIe siècle
à une multitude d’églises, de communautés, de villes
et même de simples particuliers (2).
|
(1) Ce privilège,
semblable aux rivières qui grossissent à mesure qu’elles
s’éloignent de leur source, s’est enfin étendu jusques au
titre de noblesse en faveur de l’un et l’autre sexe; et plusieurs familles
qui s’en disent venues se sont maintenues dans la qualité de noble.
La plupart même de ceux qui s’appeloient le Maire, qui est un nom
d’office en la famille dont il s’agit, ont aussi aspiré à
cette qualité; cela se voit par la tentative qu’en fit autrefois
un habitant de Gaillefontaine qui portoit ce nom.» (Traité
de la noblesse, p. 157.)
(2) Voy. Du Cange, aux mots MAJORES REGII,
MAJORES VILLARUM.
(3) M. Luchaire lui-même parait croire
qu’il est question dans la notice d’un «Eudes Lemaire» ayant
fait «à la place du roi» le voyage de Terre sainte (op.
cit., t. II, p. 117).
(1) Luchaire, op. cit.,
t. I, p. 232. — Cf. le. texte suivant de Suger, cité par Du Cange:
«In villis porro seu privatorum, vel nobilium, erant majoriæ,
ut plurimum, hereditariæ et in feodum tenebantur.»
(2) Luchaire, op. cit., t.I, p. 221
et 234; t.II, p.131 et 146.
|
En vérité, le texte de la notice est si peu favorable
aux prétentions des hoirs Chalo, qu’on se demande avec étonnement
en quoi ont pu consister les deux remaniements successifs dont nous avons
trouvé la trace. Tout au plus peut-on attribuer à la main
d’un falsificateur un certain nombre de coupures intelligentes ou de
modifications à peine sensibles.
|
|
Ici nous sommes, bien entendu, réduits à des
conjectures. Par exemple, il n’est pas impossible que le pieux maire de
Chalo fût tout simplement serf du roi: le mot famulus s’entend
très souvent en ce sens, et le soin avec lequel on prévoit
le cas d’un mariage contracté par les descendants d’Eudes dans la
classe des serfs tendrait à confirmer cette hypothèse. S’il
en était ainsi, la charte devait contenir une clause d’affranchissement, [p.201] qui aurait été
supprimée, comme prouvant la basse extraction de la famille.
En outre, il se pourrait bien faire que la concession de fief et même
l’exemption de redevances fussent limitées, dans la charte originale,
à une ou deux générations. Le sens des mots «dans
toute la terre du roi» pouvait aussi être précisé
de telle sorte que l’exemption ne s’appliquât qu’aux coutumes levées
dans le territoire d’Etampes. Enfin la phrase relative aux devoirs réciproques
des habitants d’Etampes et de Chalo Saint Mard a dû être altérée
de façon ou d’une autre: il est certain qu’elle est devenue à
peu près inintelligible (1). Telles sont vraisemblablement les
quelques modifications subies par la charte de Chalo Saint Mard. Elles
ont suffi à donne le change pendant plusieurs siècles, à
la chancellerie, aux tribunaux, à tous les officiers du roi.
|
(1) «Rex
vero tunc temporis precepit famulis suis de Stampis ut custodirent Chalo
cameram, quia Chalo debet custodire Stampas et earum curam servandarum vigilanter
habere.» Favyn en conclut (loc. cit.) que la bourgade de Chalo
possédait alors une chambre, c’est-à-dire une maison
de plaisance appartenant au roi. Fleureau comprend le passage autrement:
«Le roy Philippe, dit-il, établit à Estampes une chambre
pour la conservation des titres et autres chartes concernant ce privilège.»
C’est cette interprétation fantaisiste qui a réuni le plus
grand nombre de suffrages (Montrond, op. cit., t, I,
p. 206; Guizot, op. cit., t.IV, p. 334, etc.).
|
Nous pouvons maintenant assister à ce curieux spectacle d’une famille
échafaudant les prétentions les plus élevées
sur la base branlante que l’on sait. Réfection de la charte originale,
rédaction de la notice, attestation des trois abbés, nous
passons rapidement sur cette première période qui aboutit
enfin, comme nous l’avons vu, à l’homologation du privilège
par la chancellerie de Philippe VI. A partir de cet heureux jour, tous
les rois qui se succèdent en France ne sont pas plus tôt montés
sur le trône, qu’ils se voient saisis d’une demande tendant à
la ratification du privilège de Chalo Saint Mard. Les hoirs Chalo
sont entrés dans la période de jouissance, ils cherchent
à la faire durer. Ainsi Jean le Bon donne ses lettres de confirmation
à la charte de son père dès le mois de novembre 1350
(2). Charles V [p.202] vidime
et ratifie les lettres de ses prédécesseurs au mois d’avril
1366 (1). Charles VI en fait autant, une première fois au mois de
juillet 1384 (2), une seconde fois au mois d’août 1394: exemple suivi
par Charles VII en 1436, par Louis XI au mois de janvier 1462 (3), par Charles
VIII au mois d’octobre 1483 (4), par Louis XII au mois d’août 1498
(5), et même par François Ier, quelques jours après
son avènement, au mois de janvier 1515.
|
(2) Arch. nat.,
JJ 80, n°228.
(1) Arch. nat., JJ 97, n°17.
(2) Arch. nat., JJ 125, n°64.
(3) Arch. nat., JJ 198, n°88. Cf. Ordonnances,
t. XV, p. 316.
(4) Arch. nat., JJ 214, n°34.
(5) Ordonnances, t. XXI, p. 113.
|
La clause accordant remise des «coutumes»
dans «toute la terre du roi» est décidément
interprétée comme une exemption de toutes les taxes, en
quelque partie du royaume qu’elles se lèvent et à quelque
époque qu’elles soient établies (7). Nous voyons les hoirs
de Chalo refuser de payer les aides, les vingtièmes (8), les huitièmes,
les tailles, tous impôts dont pas un n’existait, bien entendu,
au temps de Philippe Ier.
|
(6) Vidimus donné
le 2 juillet 1522 par Guillaume Audren, garde de la prévôté
d’Étampes. (Bibl. nat., ms. Dupuy n° 761, fol. 53 r°.
(7) Sentence des Requêtes de l’Hôtel
du 4 juillet 1522. (Bibl. nat., ms. Dupuy n°761, fol. 59 v°.)
(8) Cf. un arrêt du Parlement du 12
décembre 1483: «... et aussi sur certaine requeste bailliée
à la Court par Jehan Bruyere, l’aisné, et ses consors descenduz
de la lignée de feu Eudes de Chalou Saint Mas, touchant leurs franchises
à eulx données, par laquelle ilz requieroient l’enterinement
de certaines autres lettres d’evoeation de la cause pendant entre lesdictz
supplians et les fermiers de la costume du XXe denier du vin vendu en
gros...» (Arch. nat., X.1a 1491, fol. 30 r°).
|
Autre point capital: les hoirs Chalo ont intéressé
à leur cause les maîtres des requêtes de l’Hôtel,
et ils parviennent à faire porter devant cette juridiction favorable
tous leurs démêlés avec les agents du fisc ou avec
les fermiers d’impôts. Vainement la Cour des aides fait observer
qu’elle a été instituée, postérieurement,
à la concession du privilège de Chalo Saint Mard, pour connaître
de toutes les questions relatives aux aides (9). Vainement le Parlement,
sur la conclusion du ministère [p.203]
public, rend parfois des arrêts favorables
à la juridiction des élus (1). Vainement un édit
de février 1544 défend aux membres de la lignée de
se soustraire à la juridiction de la Chambre du trésor (2).
Des lettres de François Ier du 22 février 1515 (3), des arrêts
du Parlement du 4 juillet 1531 (4), du 16 juillet 1573 (5) et du 5 mars
1577 (6), des lettres patentes de François II du 31 août 1560
(7), des arrêts du Grand Conseil du 11 août 1587, du 8 mars
1588 et du 10 novembre 1594 (8) désignent les maîtres des requêtes
comme gardes, conservateurs et juges, à l’exclusion de tous autres,
du privilège de Chalo Saint Mard (9). En cas d’appel interjetés
contre les sentences des Requêtes de l’Hôtel, les affaires
sont déférées, non pas à la Cour des aides,
juridiction favorable aux intérêts du fisc, mais au Parlement
(10). [p.204]
|
(9) Arrêts
du Parlement du 17 janvier 1505 et du 9 mars 1507 (Bibl. de la Chambre
des députés, collection Lenain, Registres du Parlement,
t. CLXXI, fol. 32 à 35).
(1) Le 11 décembre 1531, la Cour
admet la distinction suivante faite par le ministère, public:
«Alligret, pour le roy, a dit qu’il y a long temps que l’on extend
les privileges de ceulx de la lignée Challot Sainct Mars. Dict,
quant il est question des voictures et autres droicts qui ne sont d’aydes,
et ils en sont poursuivyz, croyt bien qn’ilz doyvent estre poursuivyz
pardevant les maistres des requestes de l’Hostel. Mais, quant est question
des droits des aydes..., que les esleuz en doyvent avoir la congnoissance.»
(Arch. nat., X.1a 4891, fol. 151 r°.) Choppin a cité cet arrêt
comme s’il était entièrement favorable à la juridiction
des Requêtes de l’Hôtel. (Trois livres de la police ecclésiastique,
p. 323.) — Voici d’autres conclusions prises par le ministère public,
le 23 novembre 1518: «Supposé que l’intimé soit de
la lignée de Hude le Mere, neantmoings, veu qu’il est question
du fait des aides, la congnoisssnce en apartient aux eleuz privative.»
(Arch. nat., X.1a 4863, fol. 19 r°.)
(2) P. Guenois, La grande conférence
des ordonnances et édits royaux, Paris, 1678, in-fol., t. III
p. 19. — Fontanon, t. II, p. 250.
(3) Vidimus donné, le 2 juillet 1522,
par Guillaume Audren, garde de la. prévôté d’Étampes.
(Bibl. nat., ms. Dupuy n°761, fol. 52 r°.)
(4) Arch. nat., X.1a 4891, fol. 150 r°.
(5) Arch. nat., X.1a 1640, fol. 95 r°.
(6) Girard et Joly, Offices de France,
t. I, p. 674.
(7) Arch. nat., X.1a 8628, fol. 165 v°.
(8) Arch. nat., V.5 143; V.5 147; V.5 1091.
(9) Choppin et Lenain donnent à entendre
que le titre de gardes du privilège de Chalo-Saint-Mard fut conféré
aux maîtres des requêtes par les lettres de Charles VII,
ou tout au moins par celles de Charles VIII que nous avons citées,
ce qui est inexact. Ces lettres sont une confirmation pure et simple de
la charte de Philippe VI.
(10) Lettres patentes du 11 mars 1587 (Arch.
nat., X.1a 8638, fol. 502 r°). [p.204] Arrêt
du Parlement du 17 juillet 1597 (Bibl. de la Chambre des députés,
Coll. Lenain, Registre des Requêtes de l’Hôtel, fol. 40 r°).
|
Puis, comme il faut qu’un si rare privilège ait pour point
de départ une action d’éclat, la légende du dévouement
d’Eudes de Chalo pénètre dans le style officiel. On lit
dans le préambule d’une sentence du 4 juillet 1522: «Comme
des long temps Philippe, roy de France lors regnant, pour amour et charité
et en reverance et honneur de Sainct Sepulchre de Oultre mer, ouquel
il s’estoit voué, eust donné charge et envoyé pour
faire ledict voyaige ung nomé Eude le Maire, son serviteur et
familier (1)...».
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(1) Bibl. nat., ms. Dupuy
n°761, fol. 59 v°. — Favyn, Histoire de Navarre, p. 1146.
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Il est vrai que les membres de la lignée s’imposent de hautes obligations:
ils escortent et veillent les corps des rois et des reines en passage
à Etampes. Voici comment le roi d’armes Bretagne raconte l’arrivée
dans cette ville du convoi d’Anne de Bretagne: «Et estoient six
cens (2) habitans vestus en deuil, qui portoient chascun
ung flambeau blanc armorié d’ung escu escartelé, le premier
de Jerusalem, et le second de sinople à un escu de gueules soustenu
d’or sur une feuille de chesne d’argent. Je m’enquis pourquoi ils portoient
ce quartier des armes de Jerusalem; l’on me répondit qu’ils estoient
yssus d’un noble home nommé Hue la Maire, seigneur de Chaillou,
lequel, estant averty que le roi Philippe le Bel devoit un voiage en Jerusalem
à pied, armé, portant ung cierge, ce que le bon roi ne peult
pour quelque maladie qui lui survint: et entreprint ledit seigneur de Chaillou
le voyage, ce qu’il fist et accomplit. Et, pour partie de sa remuneration,
iceluy roy luy octroya ung quartier des armes de Jerusalem; et franchit
et exempta de tous subsides et tailles luy, ses successeurs et heritiers
et ceulx qui d’eux viendront. Ainsi ils sont peuplés depuis un grand
nombre. Pour ce sont-ils tenus de venir au devant du coprs des rois et reynes
à leur entrée à Estampes;
[p.205] et, sy ils y reposent morts, sont tenus
de garder et veiller le corps: ce qu’ils ont fait ce voiage à ladite
raine. Et s’appellent la Franchise.» On remarquera ces armoiries
concédées aux descendants d’Eudes de Chalo Saint Mard par un
roi de France du XIe siècle. Elles figuraient au bas du tableau que
reproduit Montfaucon, dans l’église Saint André des Arts (1),
dans l’église Saint Etienne du Mont, etc., et sont soigneusement décrites
par Favyn, La Roque, La Chenaye des Bois et Fourcheux de Montrond (2).
|
(2) Th. Godefroy, dans son
édition (Le cérémonial de France, p. 115),
avait imprimé: «deux cent.» D. Montfaucon corrige le
texte du récit d’après un manuscrit appartenant à
l’évêque de Metz (Les monumens de la monarchie françoise,
t. II, p. 217).
(1) Cette église renfermait les
tombeaux de Mathieu Chartier, † 18 septembre 1559, de Jeanne Brinon sa
femme, de Geneviève Chartier, sa soeur; de Michel Chartier, etc.
(H. Cocheris, Histoire de la ville de Paris par l’abbé
Lebeuf, t. III, p. 278.)
(2) Favyn, Histoire de Navarre, p.
1145. — La Roque, Traité de la noblesse, p. 160. — La Chenaye
des Bois, Dictionnaire de la noblesse, v° CHALO ou CHAILLOU-DE-SAINT-MARS.
— Montrond, Essais historiques sur la ville d’Étampes, t.
I, p. 206.
|
Cependant l’heure devait sonner où la paisible jouissance
des héritiers de Chalo Saint Mard allait être troublée
d’une façon cruelle. Le ton de certaines plaidoiries prononcées
dès les premières années du XVIe siècle avait
pu déjà leur faire pressentir que l’époque du libre
examen s’ouvrirait bientôt pour leur franchise (3). Un terrible
coup leur fut porté par des lettres de François Ier datées
de Fontainebleau le 19 janvier 1541.
|
(3) Bibl. de la Chambre
des députés, collection Lenain, Registres du Parlement,
t. CLXXI, fol. 33 v°.
|
Dans cet acte, la franchise de Chalo Saint Mard n’est plus
qu’un «certain pretendu privileige de feu bonne memoire
le roy Philippes le Bel.» Les privilégiés sont
appelés «aucuns de noz subjectz se disans estre
yssus .... de feu Eudes le Maire. Et combien dudict pretendu privilleige
original il n’apparoisse par chartre auctenticque, mais seullement par une
vieille attestacion de troys abbez qui ont attesté avoir autrefoys
veu l’original d’icelluy privileige et deposent de la teneur et substance
d’icellui, etc...». On s’aperçoit, en même temps,
que la notice peut et doit être interprétée d’une
façon plus étroite qu’on ne l’a fait jusqu’alors; et c’est
une longue énumération des droits et des privilèges
depuis longtemps [p.206] usurpés
par les descendants d’Eudes de Chalo: «ils se sont voulu exempter
et affranchir eulx et leurs biens de tous peages, acquetz, barrages,
travers, pontenages et autres droiz et tributz quelzconques tant par
eaue que par terre à nous deubz et à autres seigneurs subalternes,
noz vassaulz et subjectz, ayans lesditz droitz en leurs terres...;»
ils se sont établis marchands pour exploiter la franchise; ils ont
fait traverser le royaume à des tonneaux de vin, de sel, de harengs,
sans acquitter un sol; «et s’est trouvé marchant
soy disant de la dicte lignée qui, pour ung coup, a passé
douze ou treize cens muidz de vin sans riens payer». On va jusqu’à
reprocher aux hoirs Chalo de vendre aux prix courants. Ce préambule
pouvait faire craindre une abolition du privilège; mais le ton des
lettres se radoucit dans le dispositif. Elles se bornent, en somme, à
exiger des témoignages ou des documents positifs au lieu des attestations
sommaires que se contentaient de fournir les privilégiés
pour établir leur descendance, et elles déclarent qu’ils
ne jouiront plus de l’exemption que pour les produits de leur cru, ou pour
les marchandises destinées soit à leur usage personnel,
soit à l’approvisionnement de leurs maisons. Le Parlement enregistra
ces lettres le 8 février 1541 (1).
|
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)
(1) Arch. nat, X.1a 8613, fol. 257 r°.
— Fleureau, op. cit., p 84.
|
En présence de cette hostilité,
les hoirs de Chalo suivirent le parti le plus sage: ils patientèrent.
Au mois de juin 1550, personne de se souvenait déjà plus,
à la chancellerie royale, des lettres de François Ier; les
membres de la lignée purent obtenir de Henri II une confirmation
pure et simple de leur ancien privilège (2). Sous François
II, ce fut mieux encore; des lettres datées d’Amboise, au mois de
mars 1560, affirmèrent positivement que la franchise de Chalo Saint
Mard avait reçu la confirmation et l’approbation pleine et entière
de tous les prédecesseurs du roi: «Comme les hoirs naiz et
à naistre de feu Heude le Maire, dict Challo Sainct Mas, eussent
dès l’an quatre vingtz cinq par feuz noz predecesseurs roys de
bonne memoire esté mis en leur main et sauvegarde, et iceulx affranchiz
et exemptez [p.207] de tous
droitz et tributz quelzconques en nostre royaume, pays,
terres et seigneuries, et ce pour les grandz et vertueux services à
eulx faictz par ledict le Maire; et congnoissans nos dictz predecesseurs
roys l’occasion dudict affranchissement estre très raisonnable,
l’auroient continué, et confirmé et faict joyr et
user lesdictz hoirs de l’effect et contenu d’icelluy affranchissement
successivement jusques à présent, qu’ilz
doubtent y estre empeschez au moyen du décès de nostre dict
feu pere sans avoir sur ce noz lettres de continuation et confirmation
necessaires...» (1) Le succès de
la politique suivie par les héritiers Chalo eût été
complet si les gens du parlement de Paris n’avaient eu la mémoire
plus longue que les officiers de la Chancellerie: l’enregistrement des lettres
de François II tarda tellement qu’il fallut à deux reprises
obtenir de Charles IX des lettres de surannation (2); il n’eut lieu, le
6 septembre 1566, que sous les réserves stipulées par les
lettre de François Ier du 19 janvier 1541: «La Court a ordonné
et ordonne que lesdictes lettres seront enregistrées pour en jouyr
par lesdictz impétrans selon et conformement à l’edict faict
par le feu roy Françoys premier de ce nom l’am M Vc XL, et aux modifications
faictes par ladicte Court sur icelluy le VIIIe jour de febvrier oudict
an.» (3)
La royauté
continuait de se montrer favorable aux interêts de la lignée;
de nouvelles confirmations furent onbtenue le 26 juin 1571, et, après
l’avènement de Henri III, au mois de mars 1575 (4).
|
(2) Bibl. de la Chambre
des députés, collection Lenain, Registre des Requêtes
de l’Hôtel, fol. 55 r°.
(1) Arch. nat., X.1a 8628, fol. 164 v°.
(2) Lettres du 19 mai 1561 (Arch. nat.,
X.1a 8628, fol. 165 v°) et du 20 juillet 1566 (ibid., fol. 166 v°).
(3) Arch. nat., X.1a 1619, fol. 324 v°.
(4) Bibl. de la Chambre des députés,
collection Lenain, Registre des Requêtes de I’Hôtel, fol.
68 v° et 71 r°. —D. Fleurean prétend qu’en 1575, le président
Brisson fit révoquer le privilège de Chalo-Saint-Mard parce
qu’il était irrité contre les habitants d’Étampes,
qui, l’étant venus visiter en sa maison de Gravelle, ne lui avaient
pas rendu tous les honneurs dus à son rang. Peut-être veut-il
parler des lettres du 29 janvier 1578, qui ne sont pas une révocation,
mais une restriction de la franchise. M. Guizot a reproduit cette anecdote,
en la reportant par mégarde à l’année 1598, c’est-à-dire
environ au septième anniversaire de [p.208] la mort du président
Brisson (Histoire de la civilisation en France, t. IV, p. 335).
Au nombre des historiens qui ont brouillé toutes les dates, il
faut aussi compter R. Choppin (voy. ses Commentaires sur la Coustume
d’Anjou, dans les Œuvres de Me René Choppin, t. III,
p. 94).
|
En 1578, le vent avait encore une fois tourné: des lettres
du 29 janvier déclarèrent que les hériters de Chalo
Saint Mard, dont le «prétendu privilège»
avait été dûment examiné par le Conseil privé,
payeraient les taxes du huitième et du vingtième, même
pour le vin provenant de leur ru ou destiné à leur approvisionnement,
attendu que ces taxes n’étaient point expressément visées
dans l’exemption originale (1). Le Parlemnt enregistra ces lettres le
31 juillet, en stipulant qu’elles n’auraient point d’effet rétroactif
(2). le 6 mars 1585, de nouvelles lettres condamnèrent les descendants
de Chalo Saint Mard demeurant à Orléans à contribuer
aux subsides levés dans cette ville, emprunts, solde des cinquante
mille hommes, droits d’entrée sur le vin, douzième de l’appétissement
de la pinte, et cela même pour le vin de leur cru, attendu «que
leur dict previlege ne faict mention des choses susdictes, aussy que
lors d’icelluy elles ne estoyent imposées ne establyes.»
(3) Il est vrai que, le 27 août de la même année, les
hoirs Chalo, ayant réussi à intéresser le Conseil
du roi à leur cause, obtinrent le retour au régime de 1541:
ils ne devaient payer la taxe que pour le vin dont ils faisaient commerce
(4). Ces lettres furent enregistrées au Parlement une première
fois le 11 février 1586 (5), une seconde fois le 9 décembre
1594, et, dans l’intervalle, confirmées par Henri IV au mois de
mai 1594 (6).
|
(1) Arch. nat., X.1a 8634,
fol. 168 r°.
(2) Arch. nat., X.1a 1658, fol. 190 r°;
X.1a 5079, fol. 338 v°. — Au mois de mars 1576, le Parlement, statuant
sur nu procès pendant entre des descendants d’Eudes de Chalo et
certains fermiers des huitièmes ou vingtièmes de Chartres,
avait donné gain de cause aux héritiers Chalo. (Arrêt
visé dans des lettres patentes du 27 août 1585. X.1a 8641,
fol. 273 v°.)
(3) Le Parlement ne voulut pas procéder
à l’enregistrement avant d’avoir entendu les Chalo-Saint-Mard d’Orléans.
(Arch. nat., X.1a 1690, fol. 204 r°.)
(4) Pièces justificatives, II.
(5) Arch. nat., X.1a 1696, f°263 r°.
(6) Girard et Joly, Offices de France,
t. I, p. 674.
|
Toutefois les membres de la lignée n’étaient pas
parvenus [p.209] au terme de
leurs épreuves. Le 24 mai 1596, du camp devant la Fère, Henri
IV dénonce «les fraudes et abus qui se sont
commises et se commettent journellement souz couleur et pretexte du privilege
pretendu par ceux qui ... se maintiennent estre yssus ... de feu Eude le
Maire;» il en résulte «une grande surcharge à
nostre pauvre peuple et un plus grand prejudice et dommage à nos
droicts tant des aydes que tailles. Lorsque le dict privilege leur fut
octroyé, les tailles n’estoient ordinaires en ce royaume, ou estoient
si petites et modérées que l’exemption d’icelles concedées
en quelques uns ne portoit que fort peu préjudice aux autres.»
Bref, les hoirs Chalo payeront les huitièmes, vingtièmes
et droits d’entrée du vin, même pour celui de leur cru, et,
ce qui est plus grave et tout nouveau, ils contribueront aux tailles (1).
Cette fois,
les gens de Chalo Saint Mard sentent le besoin de faire appel à
toute leur énergie. Ils ont pour eux les maîtres des requêtes,
conservateurs de leur privilège; ils sont biens vus au Parlement,
qui compte ou a compté déjà plusieurs d’entre eux
parmi ses membres (2); les lettres n’ont été enregistrés
qu’en la Cour des aides, après un plaidoyer insinuant de l’avocat
général Cardin Le Bret (3). Les tribunaux n’appliqueront
par une ordonnance qu’ils n’ont point reçue: le roi ne sera point
obéi. Effectivement, un membre de la lignée, Alexandre du
Quesnel, procureur du roi à Creil, refuse de payer la taille; [p.210] il gagne son
procès aux Requêtes de l’Hôtel, le perd au Conseil d’Etat
(1), et obtient, quinze jours après, un arrêt du Parlement qui
défend aux collecteurs des tailles d’invoquer l’arrêt du Conseil,
sous peine de 500 livres d’amende, et tous les huissiers de l’exécuter,
sous peine de destitution (2).
|
(1) Arch. nat., Z.1a 533.
(2) Mathieu Chartier, sieur d’Allainville,
Christophe Bouguier, Jean Bouguier, sieur d’Écharcon, Édouard
Molé, etc.
(3) Ce discours nous a été
conservé (Recueil d’aucuns plaidoyez faicts en la Cour des
aides par M. C. le Bret. Paris, 1597, in-8°, fol. 64 à
70. — Laurens Bouchel, La bibliothèque ou thresor du droict français,
v° CHALO-SAINCT-MAS). Il contient des paroles rassurantes à
l’adresse des héritiers Chalo: leur privilège est une pyramide
chargée de perpetuer le souvenir de l’insigne pieté de ce
bon roy Philippes,» et qui rappelles aussi «le service, vraiment
devotieux de ce defunct Eude le Maire qui, pour acquitter son maistre du
vœu qu’il avoit faict..., entreprit ce voyage à pied et armé
de toutes pieces...;» ce privilège est unique en France depuis
l’extinction de celui d’Yvetot. L’enregistrement eut lieu, non pas au mois
de mars, comme on le lit dans ce Recueil d’aucuns plaidoyez, mais
le 26 juin. (Arch. nat., Z.1a 533.)
(1) Arrêt du 10 mars 1597. (N. Valois,
Inventaire des arrêts du Conseil d’État,
t. I, n°3603.)
(2) Arrêt du 27 mars 1597. (Arch.
nat., X.1a 1749, fol. 57 r°.)
|
Cette résistance excita-t-elle le ressentiment de Henri IV?
ou bien le mécontentement jaloux qu’inspirait aux contribuables
la vue d’une exemption d’impôt trouva-t-elle un écho parmi
les Notables qui se réunirent à Rouen vers la fin de l’année
1596? Cette seconde hypothèse est contredite par dom Basile Fleureau,
suivant lequel la seule question soulevée par les Notables fut de
savoir si les descendants d’Eudes prendraient rang parmi les nobles, parmi
les exempts de tailles ou parmi les commensaux du roi. Toujours est-il que
l’édit du mois de janvier 1598, dressé conformément
aux vœux de l’assemblée de Rouen, révoqua une foule de privilèges,
parmi lesquels la franchise «de ceulz qui se disent estre descenduz
de la lignée de feu Eude le Maire, dit Chalo Saint Mas»
(3). La Cour des
aide enregistra, le 27 janvier 1598, l’édit de suppression d’un privilège
au sujet duquel, dix neuf mois auparavant, elle avait entendu l’avocat
du roi s’exprimer en ces termes: «Nous ne doutons point qu’il ne
dure bien avant dans l’eternité des siècles à venir.»
(4)
|
(3) Arch.nat., Z.1a 535.
— Fontanon, t. II, p. 877.
(4) Recueil d’aucuns plaidoyez faicts
en la Cour des aides par M. C. le Bret, fol. 69 v°.
|
Croire que la franchise de Chalo Saint Mard fut anéantie
du coup serait singulièrement s’exagérer la puissance de
la royauté et méconnaître les ressources qu’une lignée
bourgeoise pouvait trouver en elle et autour d’elle. Chaque fois que,
durant les années 1598 et 1599, des membres de cette famille non
commerçants, non fermiers, eurent maille à partir avec les
collecteurs de tailles, à Montlhéry comme à Nemours,
à Chartres comme à Toury, ils eurent gain de cause devant
le Parlement (5). [p.211] Que
leur importaient ensuite des arrêts rendus en sens contraire par
le Conseil d’Etat (1), s’ils ne pouvaient recevoir aucune exécution?
|
(5) R. Choppin, Trois
livres de la police ecclésiastique, p. 322.
(1) Arrêts de juillet 1598 (N. Valois,
Inventaire des arrêts du Conseil d’État,
t. I, n°4803) et du 7 juillet 1601 (ibid., t. II [sous presse], n°6322).
|
La lutte prenait, comme on le voit, d’étranges proportions.
Pour abattre les prétentions des descendants d’Eudes de Chalo,
Henri IV devait d’abord mettre à la raison le Parlement. C’est
dans ce dessein sans doute qu’il fit dresser, au mois de mars 1601, un édit
spécialement dirigé contre le privilège de Chalo
Saint Mard. L’obstination toujours croissante des héritiers Chalo
avait paralysé l’effet de l’édit de 1598, le nombre excessif
et l’avidité des membres de la lignée rendant plus que jamais
nécessaire une réforme radicale, le privilère était
aboli: les hoirs Chalo devaient désormais contribuer aux tailles proportionnellement
à leurs biens, payer les huitièmes et vingtièmes,
les entrées du vin, les péages, tous les impôts. Il
n’y avait plus de différence entre eux et les autres sujets du roi
(2).
|
(2) Pièces justificatives,
III. — Les héritiers Chalo ne laissèrent pas d’actionner,
en 1601, devant les Requêtes de l’Hôtel te fermier du sol
pour livre en la ville de Paris (Inventaire des arrêts du Conseil
d’État, t. II [ presse], n°6767).
|
Cette fois, l’édit fut adressé
directement au Parlement. Mais on sait de quelle patience devait s’armer
le roi pour triompher de l’entêtement et des lenteurs parlementaires.
Résister le plus longtemps possible, défendre le terrain
pied à pied, et lorsque sonne l’heure de la capitulation, bien stipuler
que l’on cède à la violence, telle est la règle invariable
suivie par le Parlement dans toutes ses grandes luttes, contre la royauté:
il ne dédaigna pas de la mettre en pratique dans l’affaire de Chalo
Saint Mard. Un premier arrêt du 23 mai 1601 maintient le privilège
en faveur des membres de la lignée qui ne sont ni marchands, ni
fermiers (3). Le 6 juillet, en réponse à des lettres de jussion,
les chambres annoncent l’intention de s’informer plus particulièrement
«s’il y a quelques preuves du [p.212]
nombre de ceux qui se veullent prevalloyr dudict
previllege par dessus le nombre contenu en leurs causes d’oppositon, et
sy ceux qui ont faict trafict et tenu fermes ont payé les tailles
et autres subsides du roy». (1) Sur un mandemement itératif
des plus pressants, la Cour ordonne, le 18 février 1602, que les gardes
de la Franchise établis à Etampes aient à lui apporter
leurs registres (2). On met sous ses yeux les noms et domiciles de tous
les membres vivants de la lignée. Les gardes de la Franchise déclarent
«estre prestz d’affermer que depuis cent ans ne s’est
treuvé et ne se treuve encores à present que trois cens cinquante
ou environ approuvez de la dicte posterité, desquelz la plus part
sont demeurant ès villes franches et les aultres fermiers, qui payent
à raison de leur trafficq et marchandise, suivant plusieurs arrestz
cy devant donnez;» ils s’engagent même à renoncer
à la jouissance du privilège si l’on découvre un plus
grand nombre de descendants d’Eudes de Chalo. Le 15 mars 1602, la Cour décide
que les cent membres les plus anciens de la lignée seront maintenus
en leurs franchises, sauf à l’exemption des tailles (3). Nouvelle
jussion du roi: par arrêt du 8 mai, le Parlemnt persiste dans sa résolution
(4). La royauté tenant bon, le Parlement, le 5 juin, lui concède
le droit de faire contribuer les cent plus anciens privilégiés,
non seulement aux tailles, mais aussi aux impositions ordinaires levées
dans les villes et bourgs de leur résidence (5). Enfin une dernière
jussion obtient, le 3 juillet 1602, après seize mois de résistance,
la vérification pure et simple de l’édit de mars 1601; mais
il esr bien spécifié que la Cour cède seulement au
très exprès commandement du roi, plusiseurs fois réitéré
(6).
Cette fois, l’édit fut adressé
directement au Parlement. Mais on sait de quelle patience devait s’armer
le roi pour triompher de l’entêtement et des lenteurs parlementaires.
Résister le plus longtemps possible, défendre le terrain
pied à pied, et lorsque sonne l’heure de la capitulation, bien stipuler
que l’on cède à la violence, telle est la règle invariable
suivie par le Parlement dans toutes ses grandes luttes, contre la royauté:
il ne dédaigna pas de la mettre en pratique dans l’affaire de Chalo
Saint Mard. Un premier arrêt du 23 mai 1601 maintient le privilège
en faveur des membres de la lignée qui ne sont ni marchands, ni
fermiers (3). Le 6 juillet, en réponse à des lettres de jussion,
les chambres annoncent l’intention de s’informer plus particulièrement
«s’il y a quelques preuves du [p.212]
nombre de ceux qui se veullent prevalloyr dudict
previllege par dessus le nombre contenu en leurs causes d’oppositon, et
sy ceux qui ont faict trafict et tenu fermes ont payé les tailles
et autres subsides du roy». (1) Sur un mandemement itératif
des plus pressants, la Cour ordonne, le 18 février 1602, que les gardes
de la Franchise établis à Etampes aient à lui apporter
leurs registres (2). On met sous ses yeux les noms et domiciles de tous
les membres vivants de la lignée. Les gardes de la Franchise déclarent
«estre prestz d’affermer que depuis cent ans ne s’est
treuvé et ne se treuve encores à present que trois cens cinquante
ou environ approuvez de la dicte posterité, desquelz la plus part
sont demeurant ès villes franches et les aultres fermiers, qui payent
à raison de leur trafficq et marchandise, suivant plusieurs arrestz
cy devant donnez;» ils s’engagent même à renoncer
à la jouissance du privilège si l’on découvre un plus
grand nombre de descendants d’Eudes de Chalo. Le 15 mars 1602, la Cour décide
que les cent membres les plus anciens de la lignée seront maintenus
en leurs franchises, sauf à l’exemption des tailles (3). Nouvelle
jussion du roi: par arrêt du 8 mai, le Parlemnt persiste dans sa résolution
(4). La royauté tenant bon, le Parlement, le 5 juin, lui concède
le droit de faire contribuer les cent plus anciens privilégiés,
non seulement aux tailles, mais aussi aux impositions ordinaires levées
dans les villes et bourgs de leur résidence (5). Enfin une dernière
jussion obtient, le 3 juillet 1602, après seize mois de résistance,
la vérification pure et simple de l’édit de mars 1601; mais
il esr bien spécifié que la Cour cède seulement au
très exprès commandement du roi, plusiseurs fois réitéré
(6).
|
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)
(3) Arch. nat., X.1a 1775, fol. 204 v°.
— Cet arrêt est imprimé dans le recueil de Girard et Joly
(t. I, p. 675) sous la date fausse du 23 mai 1602.
(1) Arch. nat., X.1a 1776, fol. 175 v°.
(2) Arch. nat., X.1a 1781, fol. 343 r°.
(3) Arch. nat., X.1a 1782, fol. 178 r°.
(4) Arch. nat., X.1a 1783, fol. 345 v°.
(5) Arch. nat., X.1a 1784, fol. 246 v°.
(6) Arch. nat., X.1a 1785, fol. 9 r°.
|
Tous les historiens considèrent cet arrêt d’enregistrement
comme la suppression définitive du privilège de Chalo
Saint Mard.
|
|
Mais alors comment se fait-il que René Choppin, écrivant
peu après, exprime l’espoir de transmettre la franchise à
ses enfants [p.213] et à
ses petits-enfants, lesquels, dit-il, en jouiront «si longtemps
que les cours de France voudront conserver et maintenir ledit privilege?»
(1) Comment se fait-il que, le 5 juin 1618, les membres de la lignée,
après avoir fait célébrer, en l’église Notre-Dame
d’Etampes, un service «pour le remede de l’ame de deffunct
Eude Lemaire» et de «ceulx de sa posteritté,»
procèdent au remplacement de trois des gardes de leur prétendue
franchise? Comment ces trois gardes nouvellement élus prêtent-ils
serment aux Requêtes de l’Hôtel le 16 juin suivant (2)? Comment
le dimanche 2 juin 1624, Pierre Legendre et Ferry Boutet sont-ils élus
aux mêmes fonctions de gardes de la Franchise (3)? Comment se fait-il
que cette cérémonie se renouvelle encore le 10 janvier
1627, après des publications faites aux prônes de toutes
les paroisses de la ville et des fauxbourgs d’Etampes? et comment le
nouvel élu, Me Pierre Baron, sieur de Lumery, docteur en médecine,
est-il reçu solennellement, le 29 juillet suivant, par les maîtres
des Requêtes de l’Hôtel (4)? Nous possédons un procès-verbal
d’une réception de ce genre antérieure à la révocation
du privilège (5): en apparence, l’édit de 1601 n’a rien
changé aux habitudes des héritiers de Chalo Saint Mard,
non plus qu’au style des Requêtes de l’Hôtel.
|
(1) Trois livres
de la police ecclésiastique, p. 323.
(2) Arch. nat., V.4 1497, fol. 32 v°
et 33 v°.
(3) Arch. nat., V.4 1498, fol. 2 r°.
(4) Pièces justificatives, V.
(5) Réception du 29 novembre 1582.
(Bibl. de la Chambre des députés, collection Lenain, Registre
des Requêtes de l’Hôtel, fol. 78 r°.)
|
Cette apparence est bien conforme à la réalité
des faits. Lisons la sentence rendue le 31 mars 1622 par les maîtres
des requêtes de l’Hôtel en faveur d’un membre de la lignée,
Guillaume de Verdun, avocat au Parlement. Après avoir rappelé
la légende du vœu de Philippe Ier, elle énumère
tous les impôts dont les descendants d’Eudes sont exempts, tailles,
taillons et crues, huitièmes, douzièmes, vingtièmes,
emprunts, etc. Les derniers rois, ce dont nous ne nous doutions guère,
ont confirmé le privilège et l’ont «entretenu sans
enfraindre»; les maîtres des requêtes se font forts
de protéger ceux de la lignée contre les fermiers, péagers,
collecteurs de tailles, et même contre ceux qui tenteraient de les
«charger de tutelle et curatelle, [p.214]
commissions et aultres charges prejudiciables
à leursdictz previleges.» (1)
|
(1) Pièces justificatives,
IV.
|
D’ailleurs, si l’édit de 1601 a reçu complète
exécution, comment se fait-il que l’ordonnance du 18 janvier 1634
contienne un article 13 ainsi conçu: «Ne jouiront d’aucune
exemption ... les descendans de Eude le Maire, dit Chaslot Saint Mas, dont
l’exemption a esté revoquée par edit du mois de janvier
1598» (2)?
|
(2) Néron et Girard,
Les édits et ordonnances des très chrestiens roys, Paris,
1685, in-fol., p. 609. — Cette ordonnance pourrait bien être celle
que La Roque cite sous la date de 1635 (Traité de ta noblesse,
p. 158), et que nous avons vainement cherchée dans les registres
du Parlement et dans ceux de la Cour des aides.
|
Il faut se rendre à l’évidence: dans la lutte entreprise
par le roi contre les descendants d’Eudes de Chalo, le plus fort n’a pas
été le roi. Si le privilège a subi une éclipse,
il n’a pas tardé à reparaitre.
|
|
On peut même se demander si cette dernière période,
en apparence fatale aux franchises des héritiers Chalo, n’a pas
vu croître, en réalité, leurs prétentions
et leurs exigences. Cette sentence des Requêtes de l’Hôtel
de 1622, que nous donnons en appendice, est le premier document qui inscrive
parmi leurs prérogatives le droit d’être exempté des
tutelles. Il ne suffit plus maintenant que la femme transmette la franchise
à ses enfants, elle la communique à son mari (3). Les privilégiés
ne se contentent plus des exemptions d’impôts, il leur faut la
noblesse. Ainsi André Favyn va nous raconter gravement, dans son
Histoire de Navarre, publié en 1612, comment
le fils d’Eudes et ses descendants ont été faits seigneurs
et châtelains de la marche de Chalo, et comment les filles issues
de la lignée partagent avec les «demoiselles
de Champagne» le privilège d’anoblir leurs enfants et
mari. Dom Basile Fleureau dissertera à son tour pour établir
que, dans la charte de Philippe Ier, le mot servitus
ne signifie ni servitude, ni servage. Son raisonnement, [p.215] fort long, peut se réduire
à ceci: Philippe Ier avait le désir de conférer
aux «femelles issues de la famille d’Eudes un privilège
considérable»; il a donc dû leur octroyer le droit
d’affranchir et d’annoblir leurs maris (1). Puis, comme il est plus facile
de corriger que de torturer un texte, on va mettre en circulation une nouvelle
version du diplôme: l’épithète famulus
regis, appliquées à Eudes, disparaitra; les mots ipse
cum heredibus suis de servitute regis essent seront remplacés
par ceux-ci: ipse cum heredibus suis non sit amodo de servitute regis
(2), et le savant Bréquigny, qui se laisse prendre à cette
imposture, pourra cataloguer dans sa Table chronologique des diplômes
un nouvel acte de Philippe Ier encore plus favorable que le précédent
aux prétentions des hoirs Chalo (3). Le diplôme ainsi transformé
passera aux yeux de bien des gens pour un vrai titre de noblesse, et M.
Anatole de Barthélémy pourra faire à ce propos cette
curieuse remarque: «Il se trouva des gens [p.216] qui se prétendaient
nobles parce qu’ils descendaient de roturiers affranchis.» (1)
Si nous ignorons dans quelle mesure le privilège subsista sous les
règnes de Louis XIV et de Louis XV, nous pouvons du moins fixer vers
1752 la date du dernier coup qui lui fut porté. La charge du juge
d’armes, créée par édit de juin 1615, était alors
aux mains de Louis-Pierre d’Hozier, qui, concevant des doutes sur l’authenticité
de la charte de Chalo-Saint-Mard, dont il ne connaissait que les textes
imprimés, voulut obtenir communication de la copie conservée,
suivant Fleureau, dans les archives de l’hôtel de ville d’Etampes.
Il écrivit une première fois au maire sans obtenir de réponse,
une seconde fois à un chanoine de la ville, qui garda le même
silence; sa conviction fut faite. «Que craignent donc ces Messieurs?
s’écriait son fils, Antoine-Marie d’Hozier. Que des yeux plus
clair-voyans que ceux du tems passé ne s’aperçoivent que leur
privilège n’etoit appuyé que sur un fondement ruineux? Eh!
qui en doute aujourd’hui ? Il n’est pas besoin de consulter le vidimus
original pour ne s’y pas méprendre: le juge d’armes le prouvera suffisamment
sans cela.» (2) Il l’a effectivement prouvé. Sa démonstration
atteint son but, bien qu’elle pèche par plus d’un point; nous en
avons signalé chemin faisant les défauts. Toutefois, signée
d’Hozier, insérée dans l’Armoirial général
de France, elle devait porter un coup mortel au privilège de
Chalo-Saint-Mard.
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(3) Le meilleur exemple
que nous puissions citer est celui de René Choppin, reconnu privilégié
par sentence du 13 mai 1597, comme ayant épousé une descendante
d’Eudes de Chalo. (Commentaires sur la coutume d’Anjou, loc.
cit.)
(1) La noblesse des hoirs Chalo est contestée
par Étienne Pasquier (Recherches de la France, édition
de 1621, p. 466).
(2) Favyn, Histoire de Navarre. —
Fourcheux de Montrond, en reproduisant le môme texte (Essais historiques
sur la ville d’Étampes, t. I, p. 202-205), affirme qu’il est
conforme à une copie tirée des archives de Chalo-Saint-Mard,
lesquelles ont été longtemps conservées dans l’hôtel
de ville d’Étampes. Aujourd’hui, la ville d’Étampes ne possède
plus qu’un vidimus de la notice expédiée aux Requêtes
de l’Hôtel le 30 avril 1485, texte d’ailleurs parfaitement conforme
à celui que nous donnons d’après les registres du Trésor
des chartes. Cette pièce est, avec le compte que nous avons signalé
plus haut, le seul débris des archives de la Franchise qui soit
resté jusqu’à présent dans le dépôts
publics d’Étampes. Nous devons ces renseignements à l’obligeance
de MM. Lenoir, conservateur du musée, et Gagé, secrétaire
de la mairie d’Étampes. D’autres recherches faites, sur notre demande,
dans les archives de Seine-et-Oise n’ont produit aucun résultat.
(3) Table chronologique des diplômes,
t. II, p. 210 et 270. — Ce nouvel acte est daté de mars 1095,
date adoptée par Guyot (Répertoire universel et raisonné
de jurisprudence, t. XII, p. 72) et par Bourquelot (Cantique latin
à la gloire d’Anne Musnier, dans la Bibliothèque
de l’École des chartes, 1re série, t. I, p. 292). —
Eusèbe de Laurière, également convaincu que la charte
de Philippe I devait contenir une dis position favorable aux descendants
d’Eudes de Chalo, propose de lire dans la notice «Ipse cum heredibus
suis de servitute regis non essent.» (Glossaire du droit français,
Paris, 1704, in-4°, t. II, p. 103.)
(1) Recherches sur la noblesse maternelle,
dans la Bibliothèque de l’École des chartes, 5e
série, t. II, p. 152.
(2) Armorial général ou
registres de la noblesse de France, reg. III, 2e partie, fol. 21 v°.
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Nous prononcions, en commençant, le mot de mystification:
il semble assez bien justifié par le récit qui précède.
Cependant nous n’aurions peut-être pas insisté si longuement
sur la crédulité du prince et de son entourage, si nous
n’avions vu quelque intérêt à montrer, en même
temps, l’impuissance de la royauté à faire exécuter
ses ordres, même les plus sages, quand elle se heurtait aux intérêts
d’une famille ou à l’obstination d’une cour.
N. VALOIS [p.217]
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PIÈCES JUSTIFICATIVES
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I.
1336, décembre, château du
Louvres. — Lettres
de Philippe VI confirmant les privilèges accordés aux hoirs
d’Eudes de Chalo par une charte fausse de Philippe Ier, datée du
mois de mars 1085-1086.
Philippes, par la grace de Dieu roys
de France. Savoir faisons à touz presens et à venir que,
comme nos, à la requeste et supplication des hoirs ou aiens cause
de feu Eude de Chalo, jadis eussiens certaines lettres dont la teneur est
cy dessouz escripte confermées et faites seeler de nostre grant
seel en cyre vert et en laz de soye, disans que ycelles lettres avoient
esté si mal gardées que elles estoient pourries dedens un
mur où elles avoient esté mises, que il n’y avoit demoré
fors nostre seel: nous, à plus grant confirmation de savoir la
verité, commeismes à noz amez et fealz gens des requestes
de nostre Hostel à enquerre la verité sus ce, les quels,
veuz deux vidimus sus nostre confirmation seelez du seel de Chastellet,
et d’abondant examinez et fait jureir pluseurs tesmoings, c’est assavoir
Jehan de Mercenson, Colin Buiset, Ernoul Bete, Johannin de Mercenson, Noëlet
de la Fosse, Guillaume Moriau, Pierre Potin, Andry Sorgue, Jehan de la
Fosse, Jehan Brocant et Guillaume Tube, qui tuit, chascun par soy, à
eux exposé tout le fait et monstré les principaux lettres
et vidimus dessus diz, jurerent aus saintes euvangiles touchées par
eulz et chascun de eulz, et tesmoignerent eulz avoir veue la chartre de ladicte
confirmation seellée de nostre grant seel en cyre vers et en laz de
soye sainne et entière faite sur ce, contenant la fourme et la teneur
des dictes lettres entiennes seellées des seels ès abbés
jadis de Saint Magloire, de Saint Vitor et de Sainte Genevieve de Paris,
et contenue ès diz vidimus de. Chastellet estraiz de nostre dicte
confirmation perdue ou pourrie si comme dit est; la teneur des quelles lettres
est telle: |
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Notum fieri volumus universis tam
presentibus quam futuris quod Odo, major de Chalo, nutu divino, concessu
Philippi, Francie regis, cujus famulus erat, ad sepulcrum Domini perrexit;
qui Ansoldum, filium suum, et quinque suas filias in manu et custodia [p.218] ipsius Regis
dimisit; et ipse rex pueros illos in manu et custodia recepit et retinuit;
concessit quoque Ansoldo et quinque prefatis sororibus suis, Odonis filiabus,
pro Dei amore et sola caritatis gratia et Sancti Sepulcri reverentia,
quod, si heredes masculi ex ipsis exeuntes feminas jugo servitutis regis
detentas matrimonio ducerent, liberabat et a vinculo servitutis absolvebat;
si vero servi regis feminas de genere heredum Odonis maritali lege duxissent,
ipse cum heredibus suis de servitute regis essent; rex autem heredibus
Odonis et eorum heredibus marchiam suam de Chalo et homines suos custodiendos
in feodo concessit; ita quod pro nullo famulorum regis, nisi pro solo
rege justitiam facerent, et quod in tota terra regis nullam consuetudinem
darent. Rex vero tunc temporis precepit famulis suis de Stampis ut custodirent
Chalo cameram suam, quia Chalo debet custodire Stampas et earum curam servandarum
vigilanter habere. Et ut hec libertas et hec pacta firma et inconvulsa permaneant,
memoriale istud inde fieri et nominis sui karactere et sigillo signari
ex presente et propria manu sua cruce facta corroborari precepit, adstentibus [sic] de Palatio ejus quorum nomina
subtitulata et signa. Signum Hugonis, tunc temporis dapiferi. Signum
Gascionis de Pisciaco, constabularii. Signum Pagani Aurelianensis, buticularii.
Signum Guidonis, fratris Galeranni, camerarii. Actum Stampis, mense martii,
in Palatio, anno ab incarnatione millesimo quater vigesimo quinto, anno
vero regni ejus vigesimo quinto. Interfuerunt prefate libertati in testimonio
veritatis Anselmus, filius Aramberti, Arnulphus Brunum latus, Gesnierus,
sacerdos de Chalo, Gerardus, decanus, Petrus, filius Erardi, Tendo [sic, lisez: Teudo (B.G.)] et
Haimo, fillus ejus. Ego, frater Andreas. B. Maglorii Parisiensis humilis
abbas, testificor me vidisse privilegium illustrissimi regis Philippi
et verbo ad verbum legisse, prout continetur in presenti rescripto. Ego,
frater Acelinus, Sancti Vigoris Parisiensis humilis abbas, testificor me
vidisse privilegium illustrissimi regis Philippi et verbo ad verbum legisse,
prout continetur in presenti rescripto. Ego, frater Theobaldus, Sancte
Genovefe Parisiensis humilis abbas, testificor me vidisse privilegium
illustrissimi regis Philippi et verbo ad verbum legisse, prout continetur
in presenti rescripto.
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Et nous adecertes, oye la relation de nos dictes gens des
Requestes, la franchise et concession dessus dictes et toutes les autres
choses, si comme elles sunt cy dessus escriptes, ayans ferme et agrables
celles, voulons, loons et approvons, et desdiz hoirs, en tant comme jusque
cy il en ont usé pasiblement, par [p.219]
la teneur de ces presentes lettres de grace
especial et de nostre auctorité royal confermons, sauf en toutes
choses nostre droit et l’autrui. En tesmoing de laquelle chose avons fait
metre nostre seel en ces presentes lettres. Donné au Louvre lès
Paris, l’an de grace mil CCC trente et six, ou mois de decembre.
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Par le
roy, à la relation Jehan des Prez et F. de Pinquigny.
SAVIG[NY].
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(Arch. nat., JJ 70, n°124; JJ 97, n°17.)
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1585, 27 août, Paris.
— Lettres patentes de Henri III,
déclarant que les descendants d’Eudes de Chalo-Saint-Mard ne sont
point tenus de payer les droits de huitième et de vingtième
pour le vin de leur cru ni pour celui qui est destiné à l’approvisionnement
de leurs maisons.
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Henry, par la grace de Dieu roy de France et de Polongne, à
noz amez et feaulx conseillers tenans nostre court de parlement de Paris,
court des aydes et tresoriers de France, esleuz sur le faict de noz
aydes et tailles et chascun d’eulx, salut. Comme noz chers et bien amez
les hoirs de feu Eude le Maire de Challo Sainct Mars nous ont faict dire
et remonstrer en nostre Conseil qu’ayant feu [de] louable memoire le
roy Philippes le Bel faict ung veu solempnel de visiter ou envoyer au Sainct
Sepulchre de Nostre Seigneur en Jerusalem, et aurait commandé au
dict Edme [sic] le
Maire, l’un de ses domesticques, faire ledict voiage en toutte devotion,
ce qu’ayant esté accomply par ledict le Maire, pour recompance
d’un service, ledict Philippes le Bel, nostre predecesseur, aurait, par
ses lettres d’eedict perpetuel du mois de mars mil (1) quatre vingt cinq,
donné et octroié audict Eude [sic] le
Maire, et à ung filz et cinq filles qu’il avoit, et aux dessendans
d’eux à perpetuitté, privilege general et exemption de touttes
coustumes, barrages et autres impositions et aydes tant par eaue que par
terre, sans exception aulcune; duquel privilege et exemption, avec confirmation
continuée de regne en regne, lesdictz supplians auroient jouy tousjours
paisiblement et leurs predecesseurs sans contredict, tant pour leur creu
et usage que pour leur trafficq, ayant à ces fins pour juges et conservateurs
dudict privilege [p.220]
noz amez et feaulx conseillers
les maistres des requestes ordinaires de nostre Hostel, jusques à
ce que feu nostre tres honnoré sieur et ayeul, le roy François
premier, par ses lettres de declaration du mois de janvier mil cinq cens
quarante, restraignant ledict previlege à ce qui seroit de leur creu
et qu’ilz feroient voicturer par eaue ou par terre pour leur usage, vivres
et provision de leurs maisons sans fraulde; et auroient touttes les confirmations,
mesmes celles de nous obtenues au moys de mars mil Vc soixante quinze, esté
veriffiées et enregistrées en nostre court de parlement de
Paris sans restrinction ou modiffication quelzconques; toutesfois, au mois
de janvier mil Vc soixante dix huict, aulcuns fermiers des impositions du
huictiesme et vingtiesme du vin, pour leur proffict particulier, auroient
trouvé moyen d’avoir lettres contraires audict privilege, et par
icelles faire declarer que lesdictz exposans ne seroient exemptz du huictiesme
et vingtiesme du vin tant pour le passé que pour l’advenir, et sur
icelles obtenu arrest de veriffication, lesdictz exposans ouyz contre nostre
procureur general, le XVIIe jour de mars oudict an (1), combien que peu
auparavant et au mois de mars mil cinq cens soixante seize, ilz eussent
obtenu autre arrest en nostredicte court contre aulcuns fermiers de Chartres
confirmatif dudict privilege; ce qui auroit meu lesdictz exposans recourir
à nous et nous requerir que, sans avoir esgard à nosdictes
lettres du mois de janvier mil cinq cens soixante dix huict, il nous pleust
ordonner que lesdictz exposans et leurs successeurs seroient maintenuz et
gardez en la jouyssance de leurdict privilege et exemption, tout ainsy qu’ilz
estoient auparavant nosdictes lettres et selon toutesfois la veriffication
portée par ladicte declaration du roy François, nostre àyeul,
et mander ausdictz maistres des requestes de nostre Hostel congnoistre de
tous les debatz, dffierendz et procès qui se pouroient mouvoir à
cause et pour raison dudict previlege, comme ilz ont faict par le passé:
sur quoy, le tout proposé en nostre Conseil et meurement deliberé,
auroit esté resolu et arresté faire jouyr lesdictz exposans
de l’effect dudict privilege soubz ladicte modiffication et restrinction.
Nous, à ces causes, apres avoir faict veoir en nostre Conseil les
coppies deuement collationnées desdictes lettres patantes contenant
lesdictz privileges et exemption d’icelles avec leurs veriffications faictes
en nostredicte court de Parlement, ensemble les coppies [p.221] collationnées
de nosdictes lettres patantes du mois de janvier mil Vc soixante dix huict,
et arrest de veriffication en nostredicte court de Parlement donné
sur icelles, parties oyes, le dix septiesme mars ensuyvant, et autres pieces
cy attachées soubz le contreseel de nostre chancellerie, de l’advis
de nostredict Conseil et de nostre certaine science, plaine puissance et
auctorité royal, avons dict, declaré et ordonné, disons,
declarons et ordonnons, voulons et nous plaist que lesdictz hoirs de feu
Eude Le Maire et leurs successeurs jouyssent entierement de leursdictz privileges
et exemptions, sans qu’ores, pour le passé ne pour l’advenir, ilz
puissent estre contrainctz au paiement des huictiesme et vingtiesme imposez
sur le vin, pour le regard de ce qui sera de leur creu ou qu’ilz feront voicturer
par eaue ou par terre pour leur usage, vivres et provision de leur maisons
seulement, conformement à la declaration de nostredict sieur ayeul,
et sans que noz fermiers desdictz subcides ne aultres les puissent faire
contraindre à païer aulcune chose pour raison de ce... Donné
à Paris le vingt septiesme jour d’aoust l’an de grace mil cinq cens
quatre vingtz cinq, et de nostre reigne le douziesme.
|
(1) Une main du XVIIe siècle a ajouté
ici, au-dessus de la ligne, les mots «deux cens,» En effet,
le rédacteur de ces lettres patentes paraît avoir été
peu versé dans ta chronologie des rois de France.
(1) La véritable date est
le 15 mars 1578. (Arch. nat., X.1a 1658, fol. 190 r°.)
|
Ainsy signé: Par le roy en son Conseil, Brulart. Et scellées
sur simple queue, en cyre jaulne, du grand sceel.
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Registrées, oy le procureur general du roy, pour jouyr
par les impetrans du contenu en icelles comme ilz en ont cy devant bien
et deuement jouy et usé, jouyssent et usent encores a present, à
Paris, en Parlement, le neufiesme jour de decembre l’an mil cinq cens
quatre vingtz quatorze. Signé: Du Tillet.
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Collation a esté faicte avec l’original, rendu à
Pierre de Ponville, l’un des gardes des privilleges dudict Challo Sainct
Mas, poursuivant. (Signé:) Du Tillet.
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(Arch. nat., X.1a 8641, fol. 273 v°).
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1601, mars, Paris. — Édit de Henri IV abrogeant le privilège de Chalo-Saint-Mard.
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|
Henry, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, à tous
presens et à venir, salut. L’abuz introduict depuis plusieurs
années ença et qui continue encores journellement soubz
pretexte du previlleige pretendu par ceulx qui se disent estre descenduz
de feu Eude le Mayre de Chalo Sainct Mas, qui sont [p.222] acreuz en tres grand
nombre en cestuy nostre royaulme, a cy devant meu plusieurs de noz subjectz
contribuables à noz tailles de nous faire plaincte de la grande
surcharge qu’ilz reçoivent ès taxes et cottizations de
noz deniers; laquelle ayant esté jugée par nous tres juste
et raisonnable, nous a donné subject de declarer par nostre eedict
du moys de janvier M Vc IIIIxx XVIII, lesdictz descenduz d’Eude Le Mayre
estre contribuables aux deniers de noz tailles. Neantmoings, estans bien
informez que ledict abuz continue encores et que ceulx de la posterité
dudict Le Mayre s’esforcent tousjours d’estendre ledict privilleige et
s’exempter desdictes tailles, huictiesme, vingtiesme, peages et aultres
droictz domaniaux, au grand prejudice et diminution de nosdictz droictz
et foulle de nostre peuple, pour le nombre excessif de ceulx qui s’en
disent estre yssus, qui sont pour la pluspart les plus riches et aysez
des villes, bourgs, villages et y ont le plus d’auctorité: à
ces causes, voulans oster du tout lesditz abuz et le pretexte de les continuer,
sçavoir faisons qu’après avoir de ce meurement delliberé
en nostre Conseil, de l’advis d’icelluy et de nostre plaine puissance
et authorité royal, avons revocqué et revocquons par ces
presentes tous et chacuns les privilleiges octroyez par les roys noz predecesseurs
à ceux qui sont ou se disent yssuz dudict Eude Le Mayre de Chalo
Sainct Mas. Voulons et nous plaist que, sans avoir esgard à iceulx,
ilz soient imposez à la taille et cottizez à proportion
de leurs moyens et facultez et payant les droictz du huictiesme, vingtiesme
et entrée du vin et toutes aultres impositions mises et à
mettre sus, peages et aultres droictz quelzconques, et qu’ilz soient à
ce contrainctz par toutes veoyes deues et raisonnables, comme noz autres
subjectz, sans aulcune distinction, nonobstant quelzconques lettres, possession
ou tollerance qu’ilz pourroient alleguer, lettres de declaration, arrestz,
sentences et jugemens à ce contraires, que nous avons aussy revocquez
et revocquons par cesdictes presentes, sans qu’ilz s’en puissent ayder ny
prevalloir à l’advenir, deffendans à toutes noz cours et juges
d’y avoir aulcun esgard. Si donnons en mandement... Car tel est... Donné
à Paris, au moys de mars l’an de grace mil six cens ung et de nostre
regne le douziesme. Signé: Henry. Et sur le reply: Par le roy, Potier.
A costé: Viza. Et scellées, sur laz de soyes rouge et vert,
du grand scel de cire vert.
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Registrées, oy le procureur general du roy, du très
exprès commandement du roy plusieurs fois reyteré, à
Paris, en Parlement, le troisiesme juillet M VIc deux. Signé:
Du Tillet.
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(Arch. nat., X.1a 8644, fol. 425 r°.) [p.223]
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1622, 31 mars, Paris. — Sentence donnée aux Requêtes de l’Hôtel en faveur
de Guillaume de Verdun, avocat au Parlement, descendant d’Eudes de Chalo-Saint-Mard.
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Les maistres des requestes ordinaires de l’Hostel du roy, commissaires
en ceste partie, au premier huissier desdites Requestes de l’Hostel,
ou sergent royal sur ce requis, salut. Comme dès longtemps Phillipes,
roy de France lors regnant, pour amour, charitté, en reverence
et honneur du Saint Sepulcre d’oultremer, auquel il c’estoit voué,
eust donné, chargé et envoyé, pour faire ledit voiage
ung nommé Eude le Maire, son serviteur et domesticque, et pour la
charge qu’il avoit tant de mesnage que de femme et cinq petitz enffans,
lesquelz il prist en sa garde; et pour le recompencer, eust leissé
et liberallement octroyé audict Eude le Maire et sadicte femme et
ceux de leur postérité naiz et à naistre previlege
qu’ilz feussent tenuz [quittes] et exemptz de tous peages, passages, portz,
barrage, huictiesme, douziesme, vingtiesme et entrée de vin, tailles,
taillon, creue, emprunctz, traver, coustume et aultres charges et subventions
quelzconques; aussy les auroit affranchy et mis hors de touttes servitudes
et subvention; et ledict previlege par plusieurs roys de France confermé
depuis, ratiffié et approuvé, mesmement
par les derniers roys continué et entretenu sans enfraindre;
et, pour ce qu’aulcunes personnes, depuis ledict previlege, les auroient
voullu travailler et les travaillent tant en leur biens, denrée
et marchandises que aultrement, et affin que iceux enffans qui desendroient
de leur lignée, quant empeschement y auroit, [sceussent] à
qui avoir recours, nous eussions lors esté depputez et ordonnés
pour commissaires, gardiens et conservateurs desdictz privileges et juges
pour congnoistre, juger, discutter et terminer de touttes questions,
procès et debatz qui pourroient sourdre au moien et pour raison
d’iceux, ainsy que de tout temps il nous est apparu à plain et
au vray par les lettres de chartres et aultres qui sont enregistrées
ès registres et ordonnances de ladicte cour; et pour ce plusieurs
peagers, fermiers, collecteurs des tailles et aultres (qui) leur donnent
souventefois empeschement en leursdict previlleges et aultres personnes
(qui) les veullent asubjettir et charger de tutelle et curatelle, commissions
et aultres charges prejudiciables à leursdictz previleges: Guillaume
de Verdun, advocat en Parlement, filz naturel et legitime de Jacques de
Verdun, naguere [p.224] sergent
au Chastellet de Paris, et de Denise Vuacquier, l’esnée, sa femme,
laquelle Denise Vuacquier est seur germaine de feu Jehanne Vuacquier, vivante
femme de Me Alexandre Duquenel, receveur du roy à Creil, pere et mere
de Me Alexandre Duquenel, procureur du roy audit Creil, qui ont esté
recongneus et approuvez estre yssus et descendus de la lignée et
posteritté dudict Eude Le Maire, dict Challo Sainct Mas, par acte
d’icelle aprobation passée par devant Jutet, nottaire à Estampes,
le XVIe jour de septembre M VIc XXI, et pour ce capable et ses enffans naiz
et à naistre en loyal mariage jouir et user plainement et paisiblement
desdictz droictz, franchises, libertez donnés et octroyés par
les roys de France audict Eude le Maire et à toutte sa posteritté
et lignée, se seroit retiré pardevers nous et requis, attendu
que nous sommes juges, commis, gardiens et delleguez par lesdictz previlleges,
luy voulloir sur ce pourvoir de remede convenable. Pour ce est il que nous
vous mandons, après qu’il nous est apparu desdictz privilleges, confirmation
et commission à nous sur ce octroyée pour la discution des
procès, et expressement enjoignons qu’à la requeste dudict
Guillaume de Verdun, issue de ladicte lignée, vous aiez à faire
inhibitions et deffences, de par le roy et nous, à tous peagers, fermiers,
collecteurs et aultres qu’il appartiendra, qu’ilz ne facent traicter ny
convenir pour le faict desdictz previleges ailleurs que pardevant nous, et
le maintenir et garder en iceux, l’en faisant jouir et user plainement et
paisiblement, scelon leur forme et teneur, et les y contraignant à
ce faire et souffrir, et aussy à leur restituer leurs biens et gaiges,
sy aulcuns en ont esté pris ou arrestez sur eux ou aultre de par eux,
contre la teneur desdictz previleges... Et, en cas d’opposition, reffus ou
delay, adjourne les opposans, reffuzans ou dellayans à ester et comparoir
à certain et competant jour pardeyant nous en nostre auditoire du Pallais
à Paris pour dire les causes de leur opposition, reffus ou delay,
et pour en oultre procedder comme de raison; en faisant commandement, de
par le roy nostre sire et nous, à tous juges qu’il appartiendra et
dont tu seras requis, que touttes les causes pendantes et introduictes pardevant
eux par quelque personne que se soict allencontre dudict de Verdun, issue,
de ladicte lignée, touschant lesdictz previlleges, sy elles sont entieres
et non contestées, il les renvoyent pardevant nous en nostredict auditoire,
pour procedder comme il appartiendra par raison. Et, au cas que lesdietz
juges ou aulcuns d’iceux soient de ce faire reffuzans ou contredisans, vous,
en leursdictz reffus ou contredictz, faictes lesdictz renvoys et adjournemens,
en la maniere [p.225] que
dit est, en nous certiffiant suffizamment de ce que faict en aurez. De ce
faire vous donnons pouvoir, et commandons à tous les justiciers, officiers
et subjectz du roy nostredict seigneur qu’à vous, ce faisant, soict
obéy.
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Donné à Paris, soubz le scel de la cour desdictes
Requestes de l’Hostel du roy, le dernier jour de mars mil six cens vingt
deux.
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(Arch. nat., V.4 1497, fol. 139 v°.)
|
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[1627, 10 janvier, Étampes.— ] Acte de nomination
de Me Pierre Baron pour estre garde des privileges de la franchise de
Chaalo Sainct Mas.
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Aujourd’huy, dimanche, dixiesme jour de janvier mil six cens vingt
sept, heure d’une attendant deulx de rellevée, suivant les publications
ce jour d’huy faictes ès prosnes des messes parroichialle dicte
ès eglises des parroisses de la ville et faulx bourgs d’Estempes,
se sont presentez en la maison de ville de ceste ville noble homme maistre
Pierre Legendre, advocat en Parlement, demeurant à Estampes, François
Prieux et Ferry Boutet, bourgeois, trois des gardes de la franchise
conceddée à feu Eude Le Maire de Challo Sainct Marc; où
sont aussi comparuz nobles hommes maistres Pierre Baron, docteur en medecine,
Robert Danjou, conseiller pour le roy nostre sire en l’eslection dudict
Estampes, Jehan Ollivier, Gabriel Ollivier, Cautien
[sic, lisez Cantien (B.G.)]
Hemard, Jehan Hemard, Marin Gauldracher
(?), Estienne Mallet, Pierre Cault, Jean Canyvet, Louys Septier, Jehan
Legendre et Nicollas Chevrier; ausquelz susditz, tous rellevez de ladicte
franchise, lesdicts gardes ont requis de faire eslection de l’un d’entre
eulx tel qu’ilz jugeoient capable pour estre garde, avecq lesdictz sieurs
Legendre, Prieur et Boutet, au lieu de deffunct Hierosme Savisard
[Lisez peut-être: Sainsard (B.G.)],
en son vivant garde avec les susdictz de ladicte franchise. Tous lesquelz
dessusdictz ont tous, d’une mesme voix et commung accord, fors et excepté
lesdictz sieur Baron, Danjou et Septiet, nommé et esleu de la personne
dudict Me Pierre Baron; et pour faire faire le serment audict Baron par
devant Messieurs des Requestes de l’Hostel ou ailleurs que besoing sera,
ont les dessusdictz faict et constitué leur procureur le porteur
des presentes, auquel ils [ont] donné pouvoir et puissance de ce
faire. Dont et de ce que dessus a esté octroyé lettre ausdictz
Legendre, Prieur et Boutet pour leur servir, ensemble de ce que ledict Baron
a accepté ladicte charge. Signé: Dupret. [p.226] |
|
[1627, 27
juillet, Paris.— ] Requeste, presente
par Pierre Baron pour estre receu garde des privileges de la franchise
de Chaalo Sainct Marz.
|
|
A nosseigneurs les maistres des requestes ordinaires de l’Hostel
du roy.
|
|
Supplie humblement Pierre Baron, docteur en medecine, sieur
de Lumery, demeurant à Estampes, disant que par acte du dixiesme
jour de janvier il a esté nommé et esleu pour garde des
privileges de la franchise de Challo Sainct Mars concedez à deffunct
Eude Le Maire et à ceux de sa posterité naiz et à naistre
au lieu de Hierosme Savixard, cy devant l’un des gardes desdictz privileges;
et d’aultant que vous, Messieurs, estes conservateurs desdictz previlleges,
il a esté enjoinct au suppliant se pourveoir pardevant vous pour
faire le serment de garde: ce considéré, nosseigneurs, il
vous plaise commettre tel de vous qu’il vous plaira pour recevoir du suppliant
le serment de bien et fidellement faire ladicte charge de garde desdictz
privilleges d’Eude Le Maire Challo Sainct Mars, ainsy que son predecesseur
a faict, et ordonner que ledict acte de nomination y attaché, ensemble
l’acte du serment qu’il prestera pardevant celuy de vous qu’il vous aura
pleu commettre, seront enregistrez en vostre greffe, et autant à
luy dellivré, et vous ferez bien. Signé: Baron et Targas.
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Soit monstré au procureur du roy. Faict ce vingt sept
juillet M VIc vingt sept.
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Veu la nomination du suppliant, je ne l’empesche. Pour le
roy, signé: Rousselet.
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[1627, 29
juillet, Paris.— ] Sentence de reception de Me Pierre
Baron.
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Veu par la Cour la requeste à elle presentée
par Pierre Baron. docteur en medecine, sieur de Lumery....., ledict acte
de nomination de la personne du suppliant....., conclusions du procureur
du roy en ladicte cour, auquel le tout a esté communicqué,
tout consideré, et après que ledict Baron a esté
mandé en la chambre, et de luy pris et receu le serment de bien
et fidellement exercer ladicte charge de garde des previlleges de Eude
Lemaire Challo Sainct Mas: la Cour a donné acte audict Baron de
sa prestation de serment, et ordonne que son acte de nomination, ensemble
le present jugement, seront enregistrez au greffe de ladicte cour, pour
luy servir ce que de raison. Faict à Paris, èsdictes Requestes
de l’Hostel, le vingt neufiesme juillé M VIc vingt sept.
|
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(Arch. nat., V.4 1498, folios 94r°-95 r°.)
|
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Il a été longuement question ici-même
(1) d’une mystification dont la durée a dépassé
les bornes ordinaires. Pendant plus de trois cent ans, les Français
descendants, tant par les hommes que par les femmes, d’un certain Eudes
le Maire, dit de Chalo Saint-Mard, ont prétendu jouir d’une exemption
totale des tailles et impôts, qui s’est même transformée,
à partir de certaine date, en un privilège de noblesse. Les
membres de plus en plus nombreux de cette lignée fortunée
faisaient passer quittes de tout droit leurs marchandises, quand ils trafiquaient
(et la plupart effectivement se livrèrent au négoce), par
tous les ports et péages du royaume. Une telle franchise faisait rechercher
leurs filles en mariage. Originaires du pays d’Etampes, ils pullulèrent
en Ile-de-France, et sans admettre le chiffre exagéré de
20 ou de 30,000 personnes répandues à l’époque de
Favyn (2) dans toutes les parties du royaume, on peut remarquer que la lignée
d’Eudes de Chalo-Saint-Mard compta au XVIIème siècle, entre
autres illustrations, le jurisconsulte René Choppin, le conseiller
au Parlement Mathieu Chartier et son petit-fils le fameux premier président
et garde des sceaux Mathieu Molé.
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(1) Annnuaire-Bulletin,
t. XII[I], 1886, p. 185-226.
(2) André Favyn, Histoire de
Navarre, Paris, 1612, in-fol., p. 1146.
|
En fin de compte, ce privilège, aussi remarquable
par sa durée qu’insolite dans sa forme, repose tout simplement
sur une [p.183] charte du roi
Philippe Ier, qui, prenant en pitié six orphelins laissé
par un de ses serviteurs, ou plutôt un de ses serfs, Eudes, maire
de Chalo, mort vraisemblablement au cours d’un pélerinage en terre
sainte, leur octroya, vers 1085, la liberté, puis le privilège
suivant: leurs descendants mâles, s’ils venaient à épouser
les serves du roi, ne tomberaient pas par cela même, comme le voulait
la coutume, dans la condition servile. |
|
Ce privilège, même amplifié par certaines
clauses dont il y a lieu de suspecter l’authenticité, n’aurait
rien qui excédât la mesure de beaucoup de libéralités
consenties par des souverains du XIe et XIIe siècle. Il n’a rien non
plus qui justifie les prétentions exorbitantes affichées,
du XIVe au XVIIè siècle, par les héritiers d’Eudes
de Chalo.
|
|
C’est pourtant de cette unique source que la supercherie
ou l’adresse des uns, aidées par l’aveuglement des autres, ont
su faire découler les plus abondantes faveurs. J’ai raconté
déjà ce curieux travail de dérivation et d’exploitation.
La charte originale, sans doute rédigée sous la forme la
plus simple, fut remplacée par un diplôme; on alla emprunter
à des actes conservés dans les archives du voisinage leurs
formules solennelles, leurs souscriptions de grands officiers. Au diplôme
ainsi fabriqué, l’on ne tarda pas à substituer une notice,
un acte impersonnel, dont le texte, au moyen de quelques coupures adroites,
de quelques discrets remaniements, offrit un sens déjà plus
favorables aux prétentions des héritiers; cependant, il
présentait avec le texte du diplôme une telle conformité,
au moins apparente, qu’elle fut attestée par trois abbés
dans le courant du XIIIe siècle. Fort de cette attestation, les
intéressés firent disparaitre et la charte originale et le
diplôme falsifié; ils ne produisirent plus que la notice,
revêtue du sceau des trois abbés, et, à deux reprises,
ils eurent l’adresse de faire homologuer cet acte par la chancellerie de
Philippe VI. A partir de ce moment, les rois qui se succédèrent
en France ne manquèrent pas de renouveller, sur la demande des
héritiers de Chalo-Saint-Mard, la ratification déjà
faite par Philippe de Valois, et par là même, ils semblèrent
consacrer les concessions imaginaires qu’on attribuait [p.184] à Philippe Ier. Ce
résultat considérable ne suffit pas à l’ambition des
membres de la lignée. Ils interprétèrent de telle sorte
le texte déjà amplifié de leur privilège, et
la royauté, au moins pendant un temps, eut la faiblesse d’admettre
si bien leur interpétation, qu’ils en vinrent à afficher et
à défendre avec succès des prétentions inouïes.
Le plus étrange, c’est que, quand les rois, non encore désabusés,
mais choqués néanmoins de l’importance excessive qu’avait
prise, en se développant, le privilège de Chalo-Saint-Mard,
firent mine ou de le restreindre ou de l’abolir, les représentants
de la lignée tinrent tête à la royauté, trouvèrent
des appuis dans la cour, et malgré des édits, des ordonnances
formelles, parvinrent à sauvegarder durant de longues années
leur immunité scandaleuse.
|
|
J’ai eu récemment sous les yeux d’importants documents
relatifs à cette franchise, qui m’avaient échappé
lors de mes premières recherches. C’est, d’une part, un recueil
d’actes formés, vers le commencement du XVIe siècle, par
un membre de la lignée; d’autre part, un factum, composé
en 1600, pour empêcher l’enregistrement de lettres royales attentatoires
aux franchises de la lignée. Ces documents ne seront pas, je le crains,
de grande utilité aux défenseurs (s’il en existe encore)
du privilège de Chalo-Saint-Mard; mais ils permettront de compléter
et de préciser sur quelques points l’histoire d’un abus mémorable.
|
|
Une des principales causes qui contribuèrent à
perpétuer la franchise des héritiers de Chalo, c’est qu’ils
avaient intéressé à leur cause le grand maître
des requêtes de l’Hôtel, et qu’ils portaient devant cette
juridiction, éminemment favorable, tous leurs différents
avec les agents du fisc ou avec les fermiers d’impôts. J’avais
relevé effectivement, au XVIe siècle, une longue série
d’arrêts ou de lettres patentes désignant les maîtres
des requêtes comme gardes, conservateurs et juges, à l’exclusion
de tous autres, du privilège de Chalo-Saint-Mard. Mais j’ignorais
sur quel fondement s’appuyait cette attribution de compétence,
et à quelle date elle remontait. Or, le recueil manuscrit que je
crois devoir signaler, véritable cartulaire de la lignée
d’Eudes de Chalo, contient des lettres de committimus parfaitement
en [p.185] règle, délivrées
aux descendants d’Eudes de Chalo, à Blois, par Charles VII, le 22
septembre 1438 (1). C’était l’époque de l’aveuglement complet
de la royauté à l’égard des prétentions de
la lignée d’Eudes de Chalo. Le roi s’apitoie, dans cet acte, sur
les vexations que les hoirs de Chalo souffrent de la part des représentants
du fisc, et, afin de couper court à ces persécutions, il nomme
comme juge de leurs procès et comme gardien de leurs franchises les
maîtres des requêtes de l’Hôtel. Détail bon à
noter: ces lettres sont rendues sur la demande de Jean Godin, de Guillaume
Aloire, demeurant à Etampes, et de Jean Papillon, demeurant à
Chalo-Saint-Mard, «ordonnez et establiz à la garde desits
privilèges.» L’institution des «gardes de la franchise»,
qui fonctionnait encore sous Louis XIII, remonte donc au XVe siècle.
|
(1) Pièces justificatives,
I.
|
Pour se rendre compte des proportions qu’avaient déjà
atteintes, au commencement du XVIe siècle, les prétentions
de la lignée, il suffit d’ailleurs de feuilleter le recueil manuscrit
qui, entré avec les livres de Colbert dans la Bibliothèque
du Roi, est conservé aujourd’hui sous le n°5029 du fonds français
à la Bibliothèque Nationale. En faisant abstraction: 1°
des onze premiers feuillets, qui contiennent un traité, rajouté
après coup, de Instabilitate principum; 2° d’un cahier,
de format plus petit, sur lequel je reviendrai bientôt, et qui a
dû être intercalé, au XVIIe siècle, entre le
feuillet 12 et le feuillet 13 du manuscrit original (ancien foliotage),
il est aisé de reconnaître que le recueil en question dut être
formé, pour un nommé Jourdain Valton, entre les années
1499 et 1515. La plupart des actes transcrits dans ce recueil se rapportent,
en effet, aux procès et affaires de ce Valton. De plus, quelques
uns des actes qui l’intéressent directement y sont précédés
d’une rubrique où il parle à la première personne:
«Double des lettres de mon aprobamus de ma franchize...»
(fol. 78 r°). «Double de ma commission de MM. des Requestes
de l’Ostel...» (fol. 79 r°). «Double de ma lettre
de hausse de l’Ostel de ceste ville de Paris...,» (fol. 84 r°),
etc. Enfin, en ce qui concerne la date, [p.186]
on lit au fol. 35 r°: «Comment le roy
Louis XIIme de ce nom, en ce present an IIIIxx XIX,
conferma lesditz previlleiges...» Et au fol. 36 r°: «Comment
le roy Françoys premier de ce nom, en ce present an mil cinq
cens et quinze, conferma lesditz privileges.» D’où l’on doit
conclure que ces lignes furent écrites les unes en 1499, les autres
en 1515, et l’inspection générale du volume prouve que ces
deux années peuvent être considérées comme les
dates extrêmes de la composition du recueil (1). |
|
Qui était donc ce Jourdain Valton ? — Un «ferron» comme on disait alors; un simple marchand
de fer, bourgeois de Paris, qui n’avait même dans ses veines aucune
goutte du sang d’Eudes de Chalo, mais qui, en la personne de Catherine
Aleaume, avait épousé une fille issue de la fameuse lignée,
et qui, pour ce seul motif, se proclamait exempt de toutes les tailles,
impôts et droits de péage quelconques qui eussent pu entraver
son commerce. Nous assistons ici à l’éclosion d’un système
ingénieux qui prétend que la femme, dans la lignée
de Chalo, non seulement transmet son privilège à ses enfants,
mais le communique à son mari. Cette prétention, directement
contraire au texte de la charte de Philippe Ier, même dans sa forme
altérée, nous la voyons admise sans conteste dès le XVe
siècle. Jourdain Valton ne semble avoir aucune peine à faire
triompher son système (2). Les nommés Jean Dantelu et Michel
Péronille, «jurés, commis et ordonnés par justice
à régir, garder et gouverner les droictz, franchises et
libertez, jadis donnés par les roy de France à feu Eude le
Maire,» témoignent devant notaire qu’il peut jouir de la franchise
à cause de Catherine sa femme, [p.187]
et leur déclaration est aussitôt
constatée dans des lettres du prévôt d’Etampes du 4
décembre 1496 (1). Les maîtres des requêtes de l’Hôtel
s’inclinent, à leur tour, devant les «droits» de Jourdain
Valton le 5 janvier 1499 (2). Le 14 décembre 1500, Louis XII mande
au prévôt de Paris et aux élus de faire respecter ces
«droits» par les fermiers des impôts, «sur certaines
et grans peines;» (3) après quoi Jourdain Valton se fait délivrer
des lettres exécutoires du prévôt de Paris en date
du 30 décembre (4). Et le voilà qui tient tête à
tous les collecteurs d’impôts. L’extension de son commerce le met
en rapports journaliers avec une foule de fermier de péages; aucun
ne voit jamais la couleur de son argent. Ils regimbent cependant, saisissent
sa marchandise, rédigent des mémoires:
|
(1) Il est à remarquer
en effet que, dans l’énumération des confirmations royales,
seules les confirmations de Louis XII (1499) et de François Ier
(1515) sont mentionnées comme s’étant accomplies en l’année
«présente;» que, d’autre part, le recueil ne comprend
pas de document postérieur à l’année 1515. D’ailleurs,
la plupart des actes ont dû être transcrits dans ce volume
durant les années 1500 et suivantes, comme il résulte des
formules de collation mises au bas des pages par des notaires.
(2) Peut-être avait-il déjà
obtenu de Charles VIII confirmation de sa franchise (voy. Le même
ms., fol. 34 v°, et la légende ci-dessous reproduite).
(1) Fol. 78 r°.
(2) Fol. 79 r°.
(3) Fol. 38 r°, 40 v°.
(4) Fol. 41 r° et v°.
|
«... Et avons nostre papier extraict de la Chambre
des comptes; auquel papier sont nommés tous les francs et exemps
dudict acquict (5): entre lesquelz n’est faicte mencion aulcune de ceulx
de ladicte lignée de Challo Sainct Mas. Et plusieurs qui
s’en sont nommez de ladicte lignée ont plusieurs foys passé
par ledict acquit denrées et marchandises, mais tousjours ont payé.
Et nous sembleroit fort estrange, et bien prejudiciable pour le droict
du roy, que ung marchant publicque qui se dira de ladicte lignée
puisse faire passer et mener par lesdicts acquitz pour .XX. ou .XXXm. frans
de marchandise par chascun an sans riens paier: où le roy seroit
fit interessé, car c’est son vray domaine...»
|
(5) Il s’agit de «l’acquit et travers par
eau» de Meulan. Les fermiers s’adressent à l’avocat et au
procureur du roi au parlement, en 1499 (fol. 199 v°)
|
Mais ils n’ont pas le dernier mot. Jourdain Valton plaide
et l’emporte devant les Requêtes de l’Hôtel, ou devant le
Parlement, contre les fermiers de Melun et de Corbeil, contre ceux de
Moret, de Saint-Mammès et de Villeneuve-le-Roi, contre ceux de
Lagny et d’Etampes, contre ceux de Saint-Denis, de Maison-sur-Seine,
de Conflans, de Mantes et de Meulan, contre ceux
[p.188] de Vernon et d’Andely, contre les péagers
de Nemours et de Sens, etc., etc. Les proportions du recueil qu’il a fait
rédiger attestent le nombre de ses victoires.
|
|
Là ne se bornent pas, à l’époque de
Louis XII, les prétentions d’un marchand marié à
une descendante d’Eudes de Chalo. Il se déclare noble; et, bien
que les actes royaux gardent le silence sur ce point délicat,
le manuscrit de Jourdain Valton fournit, à cet égard, la
matière d’observations instructives.
|
|
Tout d’abord, il s’agissait d’effacer le souvenir gênant
de la condition servile dans laquelle avait sans doute appartenu l’auteur
de la lignée. Eudes, maire de Chalo, n’est plus un serf de Philippe
Ier obtenant de la bienveillance royale l’autorisation de visiter les lieux
saint; c’est un dévoué serviteur du roi qui rend à la
monarchie le plus signalé service, en accomplissant un vœu fait par
Philippe Ier lui-même. Le monarque capétien aurait promis à
Dieu de se rendre au saint sépulcre; mais les soins du gouvernement
le retenaient en France. Par bonheur, Eudes de Chalo, son serviteur, son familier,
dégage sa parole royale et acquitte sa dette envers Dieu (1). Tel
est le premier état d’une légende qui n’a fait que s’embellir
ensuite.
|
(1) «Comme dès
longtemps Philippe, roy de France lors regnant, pour amour et charité
et en reverence et honneur du Sainct Sepulcre pour faire ledict voyage
ung nomé Eude le Maire, son serviteur et familier…» Cette
phrase, que j’avais déjà signalé dans une sentence
de 1522 (Annuaire-Bulletin, t.XXII[I],
p.204), se retrouve textuellement dans une commission des Requêtes
de l’Hôtel du 5 janvier 1499 (ms. français, n°5029, fol.
79 r°).
|
Dans un factum de 1600, sur lequel je reviendrai tout à
l’heure, on lit bien cet étonnant récit, dont se retrouve
l’écho chez plus d’un historien moderne:
|
|
«Philippe Ier, pressé par des grandes
factions et divisions et telles qu’estants reduicts aux dernieres apprehensions
de l’extremité, eust recours à Dieu, comme au seul protecteur
du debris de ses affaires, feit ung veu solennel d’aller à pied, armé
de touttes pieces, le casque en teste, la visiere baissée, l’espée
ceinte au costé, chargé de sa cotte d’armes, et habillé
de mesmes qu’il se trouvoit ès batailles, visiter le sainct sepulchre
de Nostre Sauveur [p.189] en
Hierusalem, où il se rendroict ses vœux et aspendroict ses armes
à ce sainct temple, qu’il enrichiroit de beaux et grandz presens.
Ayant receu le secours qu’il avoict plus tost desiré qu’esperé
pour l’accomplissement de ce vœu solennel en promesse, singulier en sa forme
et miraculeux en ces effets, et luy estant impossible de faire ce long et
penible voyage, mesmes ce royaume n’estant ancores bien afermez par un esmotion
sy recente, Eudes le Maire, l’un des domesticques du roy, entreprit ce voyage
et le paracheva à pied, en deux ans entiers, armé des propres
armes de Sa Majesté, qu’il laissa au sainct temple, où elles
demeurerent longues années après, avecq ung tableau gravé
en airain, auquel fut representé le discours du vœu et du voyage,
comme ung aultre Vejanius, après avoir attaché ses armes à
la porte du temple d’Hercules (1). Peu de temps après son retour,
ayant enduré mille fatigues et incommoditez, il decedda.» (2)
|
(1) Horace, Ep. I,1,4.
(2) Pièces justificatives, II.
|
Si, à l’époque de Jourdain Valton, l’imagination
des héritiers de Chalo n’avait pas encore inventé tous ces
détails attendrissants, déjà l’on se faisait une
idée élevée de la personnalité d’Eudes le
Maire; et, le Parlement, dans une ordonnance du 24 juillet 1500, ayant
par mégarde qualifié l’auteur de la lignée de «charbonnier
de Challo Sainct Mas,» le compilateur du ms. français 4029
n’eut garde de laisser passer cette allégation inconvenante; en
marge de l’ordonnance, il écrivit: «Il n’a pas, de vray,
de charbonnier: car il estoit vray gentilhomme et noble.»
(3)
|
(3) Fol. 285 v°.
|
C’est bien effectivement sous les traits d’un
chevalier que l’auteur de la lignée est représenté
dans le feuillet 29 du manuscrit de Jourdain Valton, et, au dessous du
portrait, on voit ses armes: de sinople bordé d’or à l’écu
en cœur de gueules bordé d’or et chargé d’une feuille de chêne
d’argent (4). Dans cette peinture, un roi de France, assis, couronne [p.190] en tête, sceptre en
main, remet une charte à un chevalier tout bardé de fer,
qui fléchit le genou. Derrière lui, une femme, la tête
couverte d’un voile noir, conduit par la main son jeune fils et est suivie
de ses cinq filles (1). C’est exactement le sujet traité dans un
tableau sur bois du XVIe siècle qu’à reproduit Montfaucon (2).
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)
C’est aussi, à part quelques variantes,
la même composition qui se retrouve dans treize autres peintures
du même manuscrit. Elles représentent les confirmations de
privilèges accordés successivement aux descendants d’Eudes
de Chalo par tous les rois de France, de Louis X à François
Ier (3): les rejetons du serf d’Eudes y sont figurés sous les traits
des personnages revêtus d’une cotte et d’un manteau; tous ont près
d’eux leurs armoiries (4). Enfin le chevalier superbe qui figure [p.191] au fol. 72 v°,
armé de pied en cap, et tout reluisant d’or sur ses genouillères,
sur ses solerets, sur son haubert de mailles, sur sa cotte d’armes, sur
le pommeau de sa longue épée et jusque sur le cimier de son
casque, ce guerrier, tenant en main un parchemin roulé, n’est autre
que le marchand de fer Jourdain Valton lui-même, ainsi qu’on le voit
par l’écusson peint au-dessous de la figure; on y reconnaît,
avec les armes d’Eudes de Chalo-Saint-Mard, celles que s’était
attribuées l’époux de Catherine Aleaume (1).
*
|
(4) Ces armes n’ont pas tardé
à être écartelées ou parties de Jérusalem:
d’argent à la croix potencées d’or, accompagnée de
quatre croisette de même (voy. le même ms., fol. 30 r° et
v°; cf. le récit de l’arrivée à Étampes
du convoi d’Anne de Bretagne; j’ai cité ce morceau dans l’Annuaire-Bulletin
de 1886, p. 204.)
(1) Au-dessus de cette peinture, on lit la légende
suivante, écrite à l’encre rouge: «Comment Phelippes
le Bel, roy de France, filz du roy Phelippe III, qui fut filz M. sainct
Loys, lors regnant, pour amour et charité en reverence et honneur
du Sainct Sepulcre d’oultre mer, ouquel il c’estoit voué, eust
donné charge et envoyé pour faire ledit voyaige à
pies, tout armé, ung nommé Eude Lemaire, son serviteur
et famillier, et pour la charge qu’il avoit tant de mesnaige que de femme,
quatre filles et ung filz, lesquelz il princt en sa garde, et, pour le
rescompencer, eust laissé, donné et liberallement octroyé
ausditz Eude la Maire et sadicte femme et ceulx de leur postérité,
consanguinité et ligne nés et à naistre, tant masles
que femelles, previlleges qu’ilz feussent francs et exemps de leurs denrées
et marchandises de toutes coustumes, imposicions, travers de pontz, passaiges,
peaiges, aides, huitiesmes, quatriesmes et autres subventions quelzconques
par tout son royaume de France, ainsi comme on pourra veoir plus à
plain par les chartres qui sont dedens ou Palais et au[x] Requestes de
l’Ostel. Et regna ledit Phelippes le Bel trente huit ans. Et ont esté
depuis confermez lesditz privelleiges par tous les roys de France, qui depuis
ont esté, comme il appert cy-après.» — On le voit, le
compilateur du ms. 5029 accepte la tradition dont j’avais signalé
l’existence dès 1514 (voy. Annuaire-Bulletin,
t. XXII[I], p. 188), suivant laquelle le privilège
de Chalo-Saint-Mard ne remonterait qu’à Philippe IV.
(2) Les Monumens de la monarchie françoise,
t.II (éd. de 1730), p. 216.
(3) Je n’ai pas besoin de dire qu’en réalité
les confirmations de Louis Hutin, de Philippe le Long et de Charles le
Bel sont purement imaginaires.
(4) Voici la série des légendes
qui figurent au dessous de ces treize peintures. Fol. 30 r°: «Comment
Loys le Long, aisné filz du roy Phelippes le Bel, roy de France
et de Naverre, conferma lesditz previlleges.» [p.191] — Fol. 30 v°: «Comment Phelippe
le Long, frere du roy Loys le Long, conte de Poictiers, conferma les ditz
previlleiges.» — Fol. 31 r°: «Comment Charles de Bel, leur
frere, conte de la Marche, confirma lesdits previlleiges à Anselin,
fils dudit Eude le Maire.» — Fol. 31 v°: «Comment Phelipe
de Valoys, roys de France, conferma lesdicts previlleges audit Anselin,
duquel, entre autres enfans, yssit sa fille, qui fut conjoincte par mariage
à Simon Charretier, demeurant à Estampes, duquel yssit Michel
Charretier, d’Orléans» (Ici apparaissent pour la première
fois les armoiries de la famille Chartier: d’argent à un tronc d’arbre
noueux en fasce de sable, surmonté de deux perdrix au naturel et
accompagné en pointe de deux rinceaux d’olivier de sinople mouvant
de la pointe de l’écu.)— Fol. 32 v°: «Comment Charles le
Saige, roy de France, cinquiesme de ce nom, aisné du roy Jehan, conferma
lesdits previlleiges.» — Fol. 33 r°: «Comment le roy Charles
sixiesme de ce nom conferma lesdicts previlleiges.» — lesditz previlleiges.
s — Fol. 33 v°: «Comment le roy Charles septiesme de ce nom
conferma lesditz previlleiges à Jehan Aleaume, de Eynville en Beausse,
et Ysabeau Hue, sa femme, fille de Pierre Charrettier, demeurant à
Monnarville en Beausse, et leur delegua pour conservateurs et juges les
maistres des requestes de l’Ostel.» — Fol. 34 r°: «Comment
le roy Loys XIe de ce nom confirma lesdictz previlleiges à Ferry,
filz dudit Jehan, et à Perrine, sa femme, yssue desditz Charretiers.»
— Fol. 34 r°: «Comment le roy Chales VIII° confirma les ditz
previlleiges à Jordain Valton, de Paris, à cause de Katherine,
sa femme, fille desditz Ferry et Perine.» (Au-dessous est représenté
un amour enlaçant les deux chiffres de Jourdain et de Catherine.)
— Fol. 35 r°: «Comment le roy Loy XIIme de ce nom, en ce present
an IIIxx XIX, conferma lesditz previlleiges audit Valton et Katherine,
comme il appert par les chartres qui sont de present au Tresor et au registre
des Requestes de l’Ostel.» — Fol. 36 r° (au-dessous d’une peinture
d’une facture moins grossière): «Comment le roy Françoys
premier de ce nom, en ce present an mil cinq cens et quinze, conferma lesditz
privileges à Jourdain Vallon, bourgoys de Paris, et à Katherine
Aleaume, sa femme, comme il appert par les chartres qui sont de present
au Tresor du Palais et au registre des Requestes de l’Ostel.» — Fol.
73 r°: la légende qui figure au fol. 35 r° est ici transcrite
de nouveau et figure au-dessous d’une peinture analogue à celle
du fol. 36 r°; au bas de la page, on trouve le même motif qu’au
fol. 34 v°, mais beaucoup mieux traité: un amour enlaçant
les deux chiffres de Jourdain Vallon et de Catherine Aleaume.
(1) Cf. l’écusson peint au fol. 36 r°.
Jourdain Valton a d’ailleurs varié ses armoiries. Ailleurs (fol.
34 v°, 35 r°, 73 r°), il adopte un écu d’azur au monogramme
d’or surmonté d’une voile de sable.
|
En passant du recueil de Jean Valton au factum de l’an 1600,
reproduit ci-dessous (2), nous quittons le temps de la grande prospérité
des hériters de Chalos-Saint-Mard, pour nous transporter à
une époque où leur franchise, battue en brèche, ne
résiste plus que grâce à de puissantes protections.
Déjà, sans parler des lettres de François Ier (3),
de Henri III et de Henri IV que j’ai signalées ailleurs (4), des déclarations
royales avaient été obtenues contre les hoirs Chalo, en 1587,
par les habitants d’Orléans, en 1588 par ceux de Melun, en 1597 par
ceux de Puiseaux. Enfin, les habitants de Chartres venaient, en mars 1600,
d’obtenir des nouvelles lettres de Henri IV, obligeant les héritiers
d’Eudes le Maire à contribuer aux impôts: c’est pour empêcher
l’enregistrement de ces dernières lettres au Parlement que les gardes
du privilège de Chalo-Saint-Mard firent rédiger, au mois de
juillet 1600, le curieux factum dont j’ai cru devoir placer le texte ci-après
sous les yeux du lecteur.
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(2) Je connais, de ce factum,
deux exemplaires manuscrits, contemporains, qui ne sont point tout à
fait conformes l’un à l’autre: l’un occupe les feuillets 767-777
du ms. français 20152; l’autre remplit un cahier intercalé
dans le manuscrit de Jourdain Valton; il y occupe les feuillets 55-68.
Au dos seulement de ce dernier cahier figure la date du factum, juillet
1600.
(3) Voy. le t. XXII[I]
de l’Annuaire-Bulletin,, p. 205.
(4) Ibid., p. 208-209.
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Si les temps sont plus durs, l’assurance des membres de la
lignée est toujours la même. Ils n’ont pas voulu démordre
d’aucune de leurs prétentions. Ils célèbrent plus
que jamais le service rendu par leur ancêtre à Philippe Ier.
Pour mieux déguiser l’humble origine d’Eudes le Maire, ils substituent
dans la charte primitive aux expressions cujus famulus erat les mots
de familia regia, qui leur semblent impliquer quelque
emploi [p.193] dans
la domesticité royale (1). Ils affirment que ce privilège
est «un pacte d’annoblissement». Ils vont jusqu’à écrire
cette phrase étonnante: «Il y a peu de nobles qui aient
de plus grandes preuves et confirmation de leur noblesse que ceux de ladite
lignée». On ne sait, d’ailleurs, qu’admirer le plus de leur
naïveté ou de l’ignorance des gens auxquels ils s’adressent,
quand, en regard d’un texte latin qu’ils ne se donnent même pas la
peine de falsifier, ils mettent une traduction signifiant exactement le
contraire: Si vero servi regis feminas de genere heredum Odonis maritali
lege duxissent, ipse cum heredibus suis de servitute regis essent.
Si un serf, traduisent-ils épouse une descendante d’Eudes le Maire,
le serf et ses héritiers seront affranchis de la servitude du roi.
Un peu plus loin, ils déclarent que les femmes issues d’Eudes de
Chalo «affranchissent et annoblissent leurs maris».
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(1) En réalité,
le mot familia lui-même désignait, à l’époque
de Philippe Ier, l’ensemble des serfs et serves du roi (voy. Luchaire,
Institutions des premiers Capétiens, t. II,
p. 114, note 2).
|
Je dois dire que leurs adversaires leur donnaient beau jeu,
faute d’employer des arguments vraiment toniques. Ils ignoraient la fausseté
du diplôme de 1085; ils ne semblaient pas s’apercevoir de la contradiction
existant entre les termes de la concession et la prétention des concessionnaires.
Toute leur argumentation était fondé sur la date du privilège,
comme s’il n’eût eu d’autre défaut que son extrême
ancienneté, et sur le nombre excessif des membres de la lignée.
Les interessés répondaient à ce dernier reproche
que leur nombre n’était alors que de deux cent cinquante trois:
ils entraient dans le détail et donnaient pour chaque ville le
nombre exact des membres de la lignée. Ils se faisaient fort de
justifier ce dénombrement par leurs registres où l’on inscrivait,
disaient-ils, exactement les noms, qualités, âges et demeures
de tous les descendants d’Eudes le Maire. Ces registres avaient été
compulsés, paraît-il, en 1587 et 1596, en exécution
d’arrêts du Parlement. Enfin, en 1598, les commissaires envoyés
par les provinces pour la révocation des exemptions indues n’avaient
trouvé, dans tout le royaume, que quinze personnes jouissant, en
vertu du privilège [p.194]
de Chalo-Saint-Mard, d’une exemption totale d’impôts.
Il nous est difficile de contrôler l’exactitude de ces renseignements,
alors qu’au même moment les adversaires du privilège évaluaient
à 7 ou 8,000 le nombre des membres de la lignée. Je ferai
seulement observer que, deux ans plus tard, en 1602, les gardes de la franchises
eux-mêmes accusaient trois cent cinquante membres environ, soit une
centaine de plus qu’en 1600. |
|
De fait, la fiction triompha, une fois de plus, dans la pratique.
Henri IV, par son édit de mars 1601 crut porter un coup définitif
au privilège de Chalo-Saint-Mard; mais celui-ci survécut,
et, longtemps encore, les victoires financières remportées
par les héritiers d’Eudes de Chalo prouvèrent la vitalité
d’une tradition fondée sur l’ignorance et le mensonge.
N. Valois
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PIÈCES JUSTIFICATIVES
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Blois, 22 septembre 1438. — Lettres de committimus aux Requêtes de l’Hôtel accordées
par Charles VII aux descendants d’Eudes le Maire, dit de Chalo Saint Mard.
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Charles, par la grace de Dieu roy de France, à noz amez et
feaulx conseilliers les maistres des requestes de nostre Hostel, salut et
dilection.
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|
Comme, par noz autres lettres scellées en latz
de soye et cire vert, nou, ou moys de juing l’an mil CCCC XXXVI, aions
confermé aux hoirs de feu Eudes le Maire, et leur postérité
venue et descendue, et qui chascun jour en vient et descent, certains
previleiges, franchises et libertez à eulx donnez et octroyez
et confermez par noz predeccesseurs roys de France, comme par lesdictes
lettres, desquelles la teneur s’ensuit, peult plus à plain aparoir...
(Suivent les textes des privilèges octroyés
par Philippe Ier, au mois de mars 1085-1086, par Philippe VI, au mois
de décembre 1336 (1), [p.195] par
Jean le Bon, au mois de novembre 1350 (1), par Charles V, au mois d’avril
1366 (2), et enfin par Charles VI, au mois d’août 1394.) Et, combien
que iceulx hoirs et leur postérité, qui chascun jour en descend,
aient tous jours joy et usé desditz privilleiges, franchises et
libertez, et que en ce aucun ne les doye ou puisse empescher; neantmoins,
plusieurs peageurs, fermiers de travers, de coustumes et autres, se sont
efforcez et efforcent souvent de troubler et empescher plusieurs personnes,
marchans et autres, joyssans et qui doivent joyr desditz previlleges,
franchises et libertez, et iceulx arrestent et font arrester avecques leurs
chevaulx et denrées, et les contregnent et veullent contraindre
de bailler gaiges et. plaiges et de respondre et de plaider pardevant eulx
ou pardevant les juges, où iceulx peageurs, traversiers et coustumiers
sont demourans, où l’en ne peult demourer seurement ne y trouver
ou mener conseil pour les dangers de noz ennemys. Par quoy, pour doubte
dudit travail et perte de leurs corps et marchandises, leur convient payer
ce de quoy ilz ne sont en riens tenuz, ou prejudice d’eulx et de leursditz
privilleiges. En quoy ilz ont esté et sont grandement vexez, travaillez
et dommaigez; obstant ce que, de par nous, n’a aucun juge commis pour discuter
des debatz qui peuvent naistre et naissent chascun jour à cause
desditz previleiges, franchises et libertez entre eulz, qui d’ilceulx
usent et doivent user, et lesditz peageurs et autres empescheurs, et aussi
que, de par nous, n’a aucun commis à la garde d’iceulx previleiges
avec les gardiens qui, d’ancienneté, y ont acoustumé d’estre;
qui est et redonde ou grant grief, prejudice et dommaige de tous ceulx qui
desditz previleiges ont acoustumé et doivent joyr et user; ausquelz,
par ce moyen, nosdictes lettres pourroient estre inutiles, et leursditz
privileiges du tout mys au neant, se par nous ne leur estoit sur ce pourveu
de nostre gracieux et convenable remede. Si nous ont humblement supplié
et requis Jehan Godin, Guillaume Alaire, demourans à Estampes, et
Jehan Papillon, demourant à Chalo Sainct Mars, ou nom et comme ordonnez
et establiz à la garde desditz previleges, franchises et libertez,
que sur ce leur vueillons pourvoir de remede convenable. Pour quoy nous,
les choses dessusdites considerées, volans noz lettres de confirmation
dessus transcriptes avoir et sortir leur plain eftect, et lesdictz commis
avec tous ceulx à qui lesdictz previlleiges, franchises et libertez
touchent, et leurs successeurs, de ce [p.196]
joyr et user plainement et paisiblement, et
relever de telz paines, dangers, dommaiges et travaulx, mesmement que à
vous, et non à autres, appartient la cognoissance desdictz previleiges,
vous avons commys et commettons, de grace especial, par ces presentes,
gardiens de par nous d’iceulx privileges, franchises et libertez et juges
des procès et debatz qui, à cause de ce, sont meuz ou pourroient
mouvoir ou temps advenir, pour d’iceulx debatz et procès, parties
presentes ou appellées et icelles oyes, discuter, juger, sentencier,
ou autrement appoincter, ainsi que raison devrra, sans ce que autres en puissent
ou doyve (sic) retenir ne avoir congnoissance. Et, affin que aucun
de ce ne puisse pre[te]ndre ignorance, nous voulons ces presentes
estre publiées, par cry solempnel et à son de trompe, par tous
les lieux où il appartiendra, où les establiz cy dessus nommez
les vouldront faire publier, à leurs despens. Et, oultre, pour ce
que iceulx establiz et plusieurs autres auront à faire en plusieurs
et divers lieux tant de ces presentes comme de noz autres lettres dedens
incorporées, nous volons que foy soit adjoustée au vidimus
de cestes faict soubz seel royal, comme à l’original. Car ainsi nous
plaist il estre faict, nonobstant quelzconques lettres subrectices
(sic) impetrés on à impetrer au contraire.
|
(1) J’ai publié dans l’Annuaire-Bulletin
de 1886 (p. 217-219) ces lettres de Philippe VI, qui, elles-mêmes,
contiennent le texte de l’acte attribué à Philippe Ier.
(1) Arch. nat., JJ 80, n°228.
(2) Arch. nat., JJ 97, n°17.
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Donné à Bloiz, le ving deuxiesme jour de septembre,
l’an de grace mil IIIIc trente huit, et de nostre regne le seziesme, soubz
nostre seel ordonné en l’abscence du grant.
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Ainsi signé: Par le roy en son conseil, ouquel l’archevesque
de Tholouse, les evesques de Poictiers, de Magalonne et de Maillezois et
autres estoient.
H. CHALIGAULT.
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|
(Copie collationnée par un notaire, le 7 septembre 1500,
sur un extrait des registres des Requêtes de l’Hôtel. Bibl.
nat., ms. fr. 5029, fol. 43-49.)
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Juillet 1600.
— Factum composé pour les gardes du
privilège de Chalo-Saint-Mard qui faisaient opposition à
l’enregistrement au Parlement de lettres royaux du mois de mars 1600 délivrées
à la requête des habitants de Chartres.
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Factum pour les gardes de la franchise de la ligne d’Eude
le Maire de Challo Sainct Mas, opposant à la veriffication des
lettres patantes.
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Contre M. le procureur general du roy, demandeur. [p.197]
|
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Les anciens ont dict que l’esperance du loier et la craincte
de la peyne sont les fondemens de la vertu, et elle l’unicque fondement
des Estatz; et ont très soigneusement observé de contynuer
la grace sur plusieurs en faveur d’un homme vertueulx, aultant que d’estendre
la rigueur en hayne d’un meschant, ayans rendu le pris de la vertu comme
hereditaire à la posterité de ceulx qui avoient servy le public.
|
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Lez rois, sur ses (sic) deux colomnes, ont rendu cet
Estat le plus florissant et le plus ancien de la terre habitable. Et,
sans parcourir leur histoire, où il se rencontre ung nombre infiny
d’exemples, cela se remarque en l’origine et en la cause du privillege
accordé par le roy Phelippes ler, dès l’an mil quatre vingts
cinq, à Eude le Maire, son domesticque, natif de Chalo Sainct Mars,
près Estampes, et confirmé, depuis, par tous les successeurs.
Duquel l’antiquité est ung tesmoignage insigne de la pieté
de noz rois. La singularité mesmes le rend fort recommandable, estant
l’unicque que nous avons en France de ceste sorte; lequel fera revivre
à l’eternité des siècles advenir, par le cours de
sa durée, la devotion d’un prince relligieulx et le service vrayement
devotieux d’un subject vers son prince.
|
|
Philippes Ier, pressé par des grandes factions et
divisions, et telles qu’estans reduict aux dernieres apprehentions de
l’extremité, eust recours à Dieu, comme au seul protecteur
du debris de ses affaires, feit ung veu solemnel d’aller à pied,
armé de touttes pieces, le casque en teste, la visiere baissée,
l’espée ceinte au costé, chargé de sa cotte d’armes
et habillé de mesmes qu’il se trouvoit ès batailles, visiter
le sainct sepulchre de Nostre Sauveur en Hierusalem, où il rendroict
ses vœux et aspendroict ses armes à ce sainct temple, qu’il enrichiroit
de beaux et grandz presens.
|
|
Ayant receu le secours qu’il avoit plus tost desiré
qu’esperé pour l’accomplissement de ce vœu solemnel en promesse,
singullier en sa forme et miraculeux en ses effectz, et luy estant impossible
de faire ce long et penible voyage, mesmes ce royaume n’estant encores
bien afermez par une esmotion sy recente, Eude le Maire, l’un des domesticques
du roy (la chartre dict: Odo Major, de familia regia), entreprit
ce voyage et le paracheva, à pied, en deux ans entiers, armé
des propres armes de Sa Majesté, qu’il laissa au sainct temple,
où elles demeurerent longues années après, avecq
ung tableau gravé en airain, auquel fut representé le discours
du vœu et du voyage, tanquam alter Vejanius armis Herculis
ad postem fixis, comme ung aultre Vejanius, après avoir attaché
ses [p.198] armes à la
porte du temple d’Hercules (1). Peu de temps après son retour,
ayant enduré mille fatigues et incommoditez, il decedda.
|
(1) Horace, Ep. I,1,4.
|
Or, Eude le Maire, estant domesticque du roy, il est bien
certain qu’il estoit homme franc et noble. Mais, pource qu’il n’avoict qu’un
filz et cinq filles, lesquelles passans en la famille d’aultruy, leurs
enffans pouvoient perdre la quallité de noblesse et franchise, le
roy luy octroya, par pact et privillege perpetuel, que la posterité
de son filz et de ses filles jouiroict de touttes exemptions; de quoy fut
faict ung pact par ce prince, affin qu’il fust irrevocable. Et est convenu
en ces termes, par les lettres de chartres, que, sy les heritiers masles
venant d’eux espouzoient femmes subjectes au roy par le joug de servitude,
les rendroict franches et exemptes du lien et joug de servitude; mais, sy
les serfz du roy eussent espouzé femmes estans yssues d’Eude le
Maire, icelluy, ensemble ses heritiers, seroient hors de la servitude du
roy. Et puis est dict qu’ilz ne feraient justice pour aulcuns des serviteurs
du roy, sinon pour le roy seul, et, qu’en touttes les terres du roy, ilz introduiraient
aulcunes coustumes, et en fin, affin que ceste franchize et liberté
comme aussy par les pactz demourassent establiz, asseurez et perpetuelz,
il a voullu et commandé de faire de là ung memorial et registre
pour servir à la memoire, l’ayant signé de son nom mesmes et
ayant apposé son sel et faict une croix de sa main propre.
|
|
Quod, sy heredes masculi ex ipsis exeuntes feminas
jugo servitutis regie detentas matrimonio ducerent, liberabat et a vinculo
servitutis absolvebat; sy vero servi regis feminas de genere heredum Odonis
maritali lege duxissent, ipse cum haeredibus suis de servitute regis essent.
Puis est dict: Quod pro nulla famulorum regis, nisi pro solo
rege, justitiam facerent et quod in tota terra regis nullam consuetudinem
darent. Et en fin: Ut haec libertas et haec pacta firma, inconvulsa
permaneant, memoriale istud inde fleri et nominis sui caractere seu sigillo
signari et presente propria manu cruce facta corroborari precepit.
|
|
Ainsy ce privillege est ung pact d’annoblissement donné tant
aux masles que femelles d’une lignée, pource que lors il y avoict
en France des servitudes sur les personnes, comme nous les voyons en plusieurs
coustumes de ce royaulme: en celle de Paris, où il est parlé
de l’homme franc; en celle de Meaulx, où, par exprès, est
dict l’homme serf; en celle de Bourgongne et aultres, où ceste condition
de personnes serves au roy est encores jusques à present aulcunement
en ceux que l’on appelle de condition roturiere, subjectz [p.199] de paier taille à
la difference des personnes franches et nobles.
|
|
Depuis cinq cens quinze ans en ça, la posterité dudict
Le Maire a jouy plainement et paisiblement de ce privillege par grace des
roys successeurs dudict Philippes ler, qui l’ont ratiffié et confirmé,
ayant esté octroyé pour le regart de la religion et pieté,
intuitu religionis et pietatis. Il leur a esté
pium et sacro sanctum jus, quy represente, comme une
grande et eslevée pyramide, deux functions que Trayen recommandoict
le plus aux princes, sanctitatem domi et in armis fortitudinem.
|
|
Toutesfois, en ceste longue suitte d’années et de siècles,
le privillege et franchise n’ont peu s’affranchir des atteinctes de l’envye,
qui a essayé de ravaller l’honneur deu à la vertu et d’oster
le loyer d’une sy genereuse action, comme il se trouve beaucoup plus
de gens qui mouchent les lampes que non pas qui y mettent de l’huile pour
y nourrir la lumiere. Et veluti cantarides etiam florentibus rozis sepe
innascuntur, sie et calumniae ne quidem a pietate abstinent, imo etiam
probris et maledictis frequenter exagitent (sic).
|
|
Et, de faict, en l’an mil cinq cens quarente, le roy François
ler, qui cassa et revocqua infiniz privilleges, comme entre autres celluy
de vicomte de Turayne, de l’evesque de Meaulx, de Cahors, de Embrun, d’Agen
(1), quelques ennemys de ce privillege essayerent de le luy faire revocquer
par mesme moien: il se trouva sy justement et relligieusement acquis qu’il
ordonna seullement que ceulx de la famille dudict Le Maire qui feroient
trafficq de marchandise ne pourroient estandre leur affranchissement que
pour ce qui seroict de leur creu, et que de ce qu’ilz feroient voicturer
par terre ou par eaue pour leur usage, combien qu’ilz eussent tousjours
auparavant jouy d’une immunité generalle, mesmes en leurs trafficqs.
(2)
|
(1) Aucune de ces révocations
n’est mentionnée dans le Catalogue des actes de François
Ier.
(2) Lettres datées de Fontainebleau, le
19 janvier 1541 (n. st.). Voy. l’Annuaire-Bulletin de 1886, p.
205.
|
Depuis, en l’an mil cinq cens quatre vingts sept, les habitans d’Orleans
(3), en mil cinq cens quatre vingts huict ceulx de Melun, en mil cinq cens
quatre vingts dix sept ceulx de Puiseaulx, auroient obtenu de semblables
declarations du feu roy et du roy à present regnant, comme ceulx
de Chartres au mois de mars dernier, de la veriffication desquelles il
s’agist à present, subreptissement [p.200]
et soubz faulx donné à entendre,
ausquelles la Cour n’auroict eu aulcun esgard.
|
(3) J’ai cité (ibid., p. 208) des
lettres obtenues contre les héritiers de Chalo-Saint-Mard par les
habitants d’Orléans le 6 mars 1585.
|
Et, en l’an mil cinq cens quatre vingtz dix huict, MM. des Aydes,
voulans ampliffier leur jurisdiction, et jaloux de ce que MM. les maistres
des requestes congnoissent dudict privillege en premiere instance, et la
Cour par appel, praticquerent ung eedict portant revocquation dudict privillege
(1). Et, depuis, le roy ayant envoyé l’eedit general pour le reiglement
des tailles et aultres subsides ausdictz seigneurs des Aydes, suivant
ce qui avoict este arresté en l’assemblée generalle tenue
à Rouen, en laquelle assemblée la posterité dudict
Le Maire de Challo Sainct Mas fut mise au nombre des exemptz des tailles
et aultres subsides, au rapport de M. le procureur general, leurs ennemys,
voyans qu’ilz n’estoient compris audict eedict, lequel ayant esté
depuis refformé pour quelque occasion, ilz firent adjouster ce mot:
«et par exprès ceulx de la lignée de Challo Sainct
Mas,» contre ce qui avoict esté resolu en ladicte assemblée
de Rouen (2).
|
(1) Édit de janvier 1598
(voy. l’Annuaire-Bulletin de 1886, p. 210).
(2) Je n’ai vu ce fait relaté chez aucun
des contemporains qui renseignent sur les délibérations de
l’assemblée de Rouen.
|
IIz fondent la revocation de ce privillege sur le pretexte
du bien public, et disent que le trop grand nombre de personnes qui se pretendent
yssuz dudict Le Maire est de sept à huict mille en ce royaulme,
que leur exemption des tailles va à la surcharge des aultres subjectz
du roy, qu’il s’y commet beaucoup d’abuz, et qu’il est sy vieil et ancien
que les hoirs dudict Le Maire se doibvent contanter d’en avoir jouy depuis
ung sy long temps sans en demander une plus longue contynuation. Voilà
le sommaire des plus fortz moiens contre eulx.
|
|
Pour paier de raison les plus desraisonnables, quant au premier
moien fondé sur le grand nombre de sept à huict mille, sauf
la reverence de la Cour, c’est imposer, et cornicum oculos configere
velle, et voulloir perser les yeulx des corneilles, c’est à dire
voulloir obscurcir de quelque nouvelle invention ce que l’antiquité
a approuvée.
|
|
Car en toutte l’estendue de ce royaulme ilz ne sont que deux cens
cinquante trois, assçavoir à Paris soixante, à Rouen
ung, à Orleans dix neuf, à Tours et Blois douze, à
Chastres (3) unze, à Melun neuf, à Puiseaulx, Boiscommung,
Montargis et Nemours [p.201] quatorze,
[à Chartres deux, à Cretz (1) deux, à Soissons ung]
(2), à Estempes, leur origine, dites environs cent quatre payant
taillon à cause de leur trafficq et fermes; à Pithiviers deux,
à Neufville deux, à Loudun ung, à Cerny (3) ung,
à Rozay (4) ung, à Sainct Maixant ung, à Pommereul
ung, à Rouvray Sainct Denis (5) ung, et à Estrechy (6) trois.
|
(3) Arpajon, ch.-l. de cant.
de l’arr. de Corbeil.
(1) Sans doute Gretz, Seine-et-Marne, arrondissement
de Melun, canton de Tournan.
(2) Ces mots ne se trouvent que dans le ms. français
20152.
(3) Arr. d’Étampes, cant. de la Ferté-Alais.
(4) Rozoy-en-Brie, Seine-et-Marne, arr. de Coulommiers.
(5) Rouvray-Saint-Denis, Eure-et-Loir, cant.
de Janville.
(6) Étréchy, Seine-et-Oise, cant.
d’Étampes.
|
Leur nombre se justifie par les archives et registres des gardes
d’Estampes, où leurs noms, les quallitez, aages et demeures sont
inscriptz et gardez soigneusement. Et, de faict, en l’an mil cinq cens quatre
vingtz sept, et plus recentement en l’an mil cinq cens quatre vingtz seize,
en execution des arrestz de la Cour, lesdictz registres furent compulsez
et representez; dont on fict deux procès verbaulx. Il ne s’en trouva
plus grand nombre.
|
|
En l’an mil cinq cens quatre vingtz dix huict, les commissaires
que Sa Majesté envoya par les provinces pour la revocation des
exemptions n’en trouverent que quinze de ladicte lignée qui jouissent
de l’immunité des tailles, parce que la plus part demeurent ès
villes franches, et les aultres trafficquent, ou bien tiennent des fermes:
leurs procès verbaulx en peuvent faire foy. De sorte que leur
nombre ne va pas à la surcharge du peuple, puisque le contraire
se justiffie par preuves sy autanthicques. Ilz n’ont garde d’arriver au
nombre infiny du temps de sainct Loïs, auquel dans Paris seul il
s’en trouvoict trois mille, comme il se void ès ordonnances particullieres
de la ville qu’il feist, ou au chappistre de ceulx qu’il declare exemptz
de la garde du guet de la ville, il comprend ceulx de ladicte lignée
en ces mots: «Touttes les personnes estans de la lignée de
Challo Sainct Mas, dont la femme affranchist le mary, qui sont plus de
trois mille.» (7) [p.202]
Or, aujourd’huy, comme dict est, ilz ne sont en toutte
la France que deux cens cinquante trois.
|
(7) J’ai montré ailleurs
(Annuaire-Bulletin de 1886, p. 191) comment on avait confondu
avec une ordonnance de saint Louis une dissertation rédigée
vers 1528. J’avais trouvé pour la première fois dans l’ouvrage
de dom Fleureau (les Antiquités de la ville et du duché
d’Étampes, Paris, 1683, in-4°) la trace de cette confusion:
on voit qu’elle remonte au moins à l’an 1600.
|
De là l’on peult remarquer trois choses, la premiere
que leur exemption ou franchise n’estoict pas seullement pour les charges
patrimonialles et celles qui vont aux biens et facultez, chose dont on
ne doubtoict poinct en ce temps là, quelques droictz et subcides
qu’on levast sur le peuple, comme tailles, emprunctz et telz aultres; la
seconde que leur exemption estoict aussy pour les charges personneles qui
regardoient les personnes de ceulx qui estoyent de ladicte famille et lignée;
la troisiesme que les femmes affranchissoient et annoblissoient leurs mariz,
nonobstant qu’ilz feussent dans Paris lors trois mille.
|
|
Pour ung second moïen, on dict qu’il y a de l’abbuz,
et de là l’on tire une consequance qu’il le fault revocquer. C’est
faire à la façon de ceulx qui demandent l’abolition du ministere
à cause des abuz des ministres.
|
|
S’il y a des abbuz en quelques particulliers d’une famille, il fault
condampner d’un corps. On ne peult pas empescher qu’avecq le cours des
plus clairs ruisseaulx il ne s’ecoule tous jours quelque ordure qui suict
et accompagne le fil de l’eaue. Quand l’abbuz sera decouvert, sy aulcun
il y a, les voyes de la justice sont ouvertes pour procedder contre les
delinquans. Mais tous crymes sont personnelz. Delicta suos
tenent auctores; nec vulterius progrediatur metus quam delictum, propinquos,
notos, famliares procul submoveamus a calumnia, quos reos sceleris societas
non facit, disoient les empereurs (1).
|
(1) L. 22, C. J., IX, 47.
|
Pour un troisyesme moïen, on condampne le privillege
pour estre trop vieil et ancien, et qu’il y a trop long temps qu’on en
jouist.
|
|
Ces raisons sont fort foibles. Au contraire, la posterité
dudict Le Maire prend pour ung des princippaulx fondemens de ses deffences
sa longue et immemorialle possession, assistée de tant de tiltres
sy authenticques, de chartres, confirmation, declarations et arrestz.
|
|
Philippes de Valloys ratiffia et confirma ce privillege en
decembre 1336, Jean II en novembre 1350, Charles V en avril 1365, Charles
VI en juillet 1394 (2), Charles VII 1436, Loïs XI en janvier 1461 (3),
Charles VIII en novembre 1463 (4) (sic) Loïs XII en [p.203] septembre 1498 (1), François
Ier en febvrier 1540 (2), Henry II en juing 1550, François II,
Charles IX en juing 1571, Henry III en mars 1575 (3), Henry IIII, à
present regnant, en decembre 1594 (4).
Touttes les lettres
de confirmations et chartres ont esté veriffiées en la Cour,
laquelle a depuis, conformement à icelles, maintenu ceulx de la
lignée dudict Le Maire en la jouissance dudit privillege, et a
donné plus de cinq cens arrestz, dont ilz sont porteurs, aultant
de fois qu’on les a voulu troubler: il seroict supertlu et ennuyeulx de
les voulloir cotter et produire.
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(2) Les lettres de Charles VI
sont en réalité du mois d’août 1394.
(3) Arch. nat., JJ 198, n°88.
(4) Il s’agit de lettres patentes d’octobre
1483 (Arch. nat., JJ 214, n°34).
(1) Lettres d’août 1398 (Ordonnances,
t. XXI, p. 113).
(2) La confirmation de François Ier est
du mois de janvier 1515.
(3) Bibl. de la Chambre des députés,
collection Lenain, Registre des Requêtes de l’hôtel, fol.
68 v° et 71 r°.
(4) Il s’agit sans doute des lettres du mois
de mai 1594 (Girard et Joly, Offices de France, t. I, p. 674).
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Les rides de ceste antiquité sont des traictz d’une
parfaite beauté. Ses blancz cheveux sont marquez d’une venerable
vieillesse. Cani et rugae afferunt authoritatem. C’est
le propre des choses vertueuses d’estre tousjours tenues d’aultant plus
religieuses et venerables qu’elles sont plus vieilles et plus anciennes.
Moribus antiquis stat
res romana virisque. (5)
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(5) Ennius, ap. Cic.,
de Rep., V.
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Theodoric, dans Cassiodore, escripvoict à Felix, qui
vouloict abolir quelques anciens droictz octroiez de longue main aux plus
vilz qui feussent dans Millan: «Il convient à ta grandeur
d’ansuivre l’antiquité, laquelle par ung sien privillege demande
comme chose deue ce qu’on luy a octroyé et donné. Sublimitatem
tuam consequi vetustatem quae suo quodam privilegio, velut debita, quae donantur
exposcit.»(6)
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(6) Cassiodore, Variarum
lib. III, ep. XXXIX.
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Quand à ce que l’on dict: cinq cens ans que le privillege
dure, et que l’on s’en doibt contanter, il est certain que immunitates
generaliter tribute ad posteros transmittuntur et in perpetuum succedentibus
(7), Cela s’en va in infinitum, nati natorum et que nascuntur ab illis.
C’est comme sy l’on disoit qu’un homme ayant jouy d’un heritage par cinq
cens ans, il luy fault oster, et qu’il y [a] tant d’années que les
successeurs d’un tel ont jouy des droictz de noblesse, et qu’il les fault
rendre roturiers. Car ledit Le Maire [p.204]
et ceulx de sa famille n’ont eu aultre bienfaict
des rois que ce privillege et affranchissement, lequel leur est vray patrymoine.
Tantum(ne) aevi longingua
valet mutare vetustas! (1)
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(7) L. 5, D. De jure immunitatis,
L. 6. Le texte porte en réalité: «Immunitates generaliter
tributæ eo jure ut ad posteros transmitterentur in perpetuum succedentibus
durant.»
(1) Virg., Æn., III, 415.
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Il ne fault point desnier à la posterité dudict Le
Maire, qui estoict homme franc et de la maison et famille du roy, l’exemption
des tailles et aultres subsides, non plus qu’aux aultres nobles du royaulme,
car la noblesse ne tient ses prerogatives que par le don et liberalité
des rois. Il y a parité de raisons aux ungs et aux aultres, et
l’on peult dire qu’il y a peu de nobles qui ayent de plus grandes preuves
et confirmations de leur noblesse que ceulx de ladicte lignée. On
peult aussy bien abolir et revocquer les privilleges de ungs que des aultres.
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Pour les femmes, en ce qu’elles affranchissent leurs maris,
ce n’est rien de nouveau, veu que en Champaigne la femme noble annoblist
son mary et ses enffans.
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Les opposans supplient très humblement la Cour de
considerer que la chartre du privillege est ung pact, et non pas ung privillege
pur, gratuict; pact legitime, puisqu’il est fondé sur ung faict
de pieté et de recompense de service, partant irrevocable.
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Secundo, que c’est ung annoblissement d’une famille tant
en ligne masculine que fœminine, et qu’en cela il n’y a rien contre le
droict des gens et [loys (2)] du royaulme.
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(2) Ms. fr. 5029: gens.
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Tertio, que cest annoblissement est reiglé et limité
par eedict et par les arrestz de la Cour pour n’avoir l’exemption des
tailles lieu en ceulx qui trafficquent et tiennent fermes.
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Quarto, par ceste restrinction, il est pourveu à
la foulle du publicq, en sorte qu’il n’en reçoict aulcun prejudice.
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Quinto, en ce que l’on n’a jamais veu en France revocquer
les annoblissemens des familles, sinon pour grande ingratitude et crime
de leze majesté.
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Sexto, pour ce que l’eedict et lettres, de l’entherinement
desquelles est question, ayant esté expediées soubz faulx
donné à entendre au prince que sept à huict mille de
ceste famille jouissent de l’exemption des tailles, avecq reticence de
la verité que le privillege est limité en sorte qu’il n’y
en a pas quinze de ladicte famille jouissans de l’exemption des tailles et
subcides, l’eedict et les lettres sont nulles et de nul effect.
Puisque doncq les opposans se trouvent fondez en
une possession de cinq cens tant [sic] d’années,
porteurs de chartres, lettres patentes et confirmations de tant de roys,
d’aultant de verifications faictes à la Cour, d’un nombre infiny
d’arrestz confirmatifz de leurs privilleges, que, l’an 1594, le roy le
leur a sy solemnellement confirmé, qu’il leur tient lieu de patrimoine,
que mesmes, en l’assemblée derniere tenue à Rouen, on le
leur a confirmé au rapport de M. le procureur genéral, comme
dict est, present M. le premier president et M. le president Seguyer, et
en presence de tous les deputez, que leur petit nombre se justifie, et qu’il
ne va à la surcharge des finances du roy ny du peuple; ilz concluent
à fin de bonne opposition et à ce que, sans avoir esgard ausdictes
lettres, il soict dict (s’il plaise à la Cour) que les opposans jouiront
de leur privillege, ainsy qu’ils ont bien et deuement faict par le passé,
suivant le reiglement et arrestz de la Cour.
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Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)
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(Bibl. nat., ms. fr. 5029, fol. 55-68; ms. fr. 20152, fol. 767-777.)
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