1. FORMULAIRE
DE QUITTANCE VIERGE
Transcription
JE soussigné Prêtre,
Chanoine & Boursier de la Communauté du chapitre Royal de ..........
d’Estampes, reconnois avoir reçû de .......... .......... ..........
la somme de .......... .......... .......... .......... pour .......... années
de Censives des Héritages qu’il possede en roture et tenans dudit
chapitre, échuës le jour de S. Remy 17........ dont Quittance,
sans préjudice d’autres dûs, droits & actions. A Estampes
ce .......... .......... .......... ..........
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Commentaire
Pour comprendre la nature de ce document, il faut rappeler brièvement
ce qu’est un cens. Au début du
Moyen Age, la nature et le fonctionnement de ce que nous appelons la propriété
connut une altération notable, constitutive dans sa dernière
évolution du régime appelé féodal, qui fut en
vigueur en France jusqu’à la Révolution.
Pour simplifier, on peut dire que la propriété
fut progressivement démembrée, de sorte qu’il existait généralement
plusieurs propriétaires d’un même bien, selon une hiérarchie
au sommet de laquelle se trouvait le seigneur. Le seigneur, à qui
revenait la propriété éminente de ce bien, sans qu’il
en jouisse effectivement, le donnait à fief à un autre qui se
trouvait par là son vassal. Ce dernier pouvait lui-même jouir
directement du bien considéré, en le tenant de son seigneur, ou à son tour le
donner à fief à un troisième, selon le même processus.
On pouvait être seigneur soi-même d’un bien tenu à fief,
ou bien au contraire le tenir en roture,
c’est-à-dire en restant un roturier.
L’un des éléments constitutifs
essentiels de la seigneurie était la perception d’une rente généralement
annuelle appelée cens. On appelait
aussi parfois censive le dit cens, quoique
ce mot, plus proprement, désignât le bien ainsi donné
à fief (on disait aussi: donné à cens). Par suite
de l’inflation, le cens devint progressivement une redevance purement symbolique,
et c’est ce qui explique qu’on en soit venu au milieu du XVIIIe siècle,
comme le montre notre document, à percevoir généralement
d’un coup le cens de plusieurs années,
par exemple, comme dans le cas présent, trois pour une maison, voire
sept pour un jardin.
Le cens était souvent perçu, comme c’est
ici le cas, à la Saint-Rémi,
c’est-à-dire le 1er octobre.
Le document pré-imprimé utilisé par Desmollierre, boursier (c’est-à-dire trésorier)
du chapitre de Sainte-Croix en 1750, contient plusieurs autres informations
intéressantes.
Ainsi il apparaît les chapitres
de Notre-Dame et de Sainte-Croix d’Estampes
avaient fait imprimer en commun ce formulaire de quittance. En effet le nom
du chapitre est laissé en blanc, et comme il n’existait à cette
date que deux chapitres à Étampes, la conclusion s’impose. On relèvera pourtant que la partie
pré-imprimée portait “chapitre royal”,
alors que Basile Fleureau refuse pourtant expressément ce titre à
celui de Sainte-Croix, dès le siècle précédent,
arguant qu’il ne pouvait être considéré comme de fondation
royale (Antiquitez d’Estampes, p. 380). Son grand argument
est la situation de fait selon laquelle le droit de collation pour ce chapitre
(c’est-à-dire celui de désigner les bénéficiaires
des prébendes) n’appartient pas au roi, qui n’en est donc pas le
fondateur, mais selon l’usage ordinaire à l’autorité diocésaine,
qui est alors l’archevêque de Sens.
La question continuait pourtant à être
discutée, semble-t-il, et la chose n’est pas si évidente que
Fleureau, qui écrit vers 1668, voudrait nous le faire croire. Clément
Wingler considère pour sa part que Saint-Croix était “effectivement
de fondation royale” (Notre-Dame sous l’Ancien Régime, p.19).
J’ai pour ma part défendu l’idée que Sainte-Croix avait même
plus de titre certains à cette prétention que Notre-Dame, dans
mon édition en ligne de la charte de 1046.
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Cependant, un Arrest du Parlement de Paris en date du 13 septembre
1694 (Wingler, p. 19 et n. 32, p. 30) interdit aux chanoines de faire état
publiquement d’une fondation royale, attendu que ce privilège est
réservé au chapitre de Notre-Dame. Notre document montre qu’au
milieu du XVIIIe siècle, la question n’est plus à l’ordre
du jour, parce que les intérêts des deux chapitres ne sont
plus en conflit.
Pourquoi en effet ces deux chapitres ont-ils
fait imprimer de concert ces formulaires de quittance? A cette date, le
montant des prébendes, c’est-à-dire des revenus ecclésiastiques
attachés à la dignité de chanoine, probablement sous
l’effet de l’inflation, n’est plus suffisant pour permettre à un ecclésiastique
de mener une vie décente. On est donc réduit au cumul et aux
participations croisées.
C’est ce qui ressort notamment d’un règlement
évoqué par Clément Wingler, imposé par le même
Arrest de 1694: “Lors d’Assemblée réunissant les
religieux des deux chapitres, ceux qui sont membres de l’un et de l’autre
(cumul des bénéfices) siègent pour Notre-Dame, non pour
Sainte-Croix.” (p. 19).
En voici d’ailleurs un exemple emprunté au
même Clément Wingler: un certain Bernard Claude Voizot est
attesté comme chanoine de Sainte-Croix et chapelain de Saint-Louis
en Notre-Dame de 1716 à 1743 (ibid.,
p. 34), avant de devenir curé de Notre-Dame,
de 1743 à 1755 (p. 35). En d’autres termes, le curé lui-même
de Notre-Dame est en 1750 un chanoine de Sainte-Croix.
Ainsi, au milieu du XVIIIe siècle, les
deux communautés ont visiblement fini par se fondre l’une dans l’autre,
et les comptes de l’une n’ont plus de secret pour l’autre, au point que les
frais de gestion sont mis en commun dès qu’il est possible. Voilà
un aspect de l’histoire de ce chapitre qui ne semble pas avoir été
remarqué jusqu’à aujourd’hui: l’historiographie locale s’étant
jusqu’à présent surtout focalisée sur les innombrables
querelles qui opposèrent les deux chapitres dans les premiers siècles
de leur existence commune.
B.G. juillet 2007
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2. LA QUITTANCE
RÉDIGÉE POUR M. BRICT DU 15 OCTOBRE 1750
Transcription
(On porte en bleu
les parties manuscrites et entre crochets ce qui aurait dû être
rayé et ne l’a pas été):
31 sols 3 deniers
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Monsieur Brict
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JE soussigné Prêtre, Chanoine & Boursier de la Communauté
du chapitre Royal de sainte croix d’Estampes, reconnois avoir reçû de Monsieur Brict Marchand au Pont quesneau la somme de trante et un
sol trois deniers pour trois années de
Censives de la maison ou il demeure au Pont quesneau
et sept années du jardin qu’il a acquis du sieur Baron Avocat au Parlement
à Estampes [des Héritages] qu’il
possede en roture et tenans dudit chapitre, échuës le jour de
S. Remy 1750 dont Quittance, sans préjudice d’autres dûs, droits
& actions. A Estampes [ce] ce
quinze octobre 1750. N. Desmollierre, Boursier Prêtre chanoine et Boursier.
7 sols 6 deniers par
an pour la maison du Pont quesneau
1 sol 3 deniers par an pour le jardin et bastimens acquis du sieur Baron
8 sols 9 deniers
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[Au milieu du texte
de la quittance est porté en diagonale:]
trente septieme de
cincante deux.
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Commentaire
Pour le commun des mortels, peu accoutumé désormais au calcul
non décimal, il peut être intéressant de vérifier
ce calcul en réduisant toutes ces sommes en deniers. Rappelons qu’un
sol vaut douze deniers.
On règle ici le cens de la maison
pour trois années: 7 sols 6 deniers par
an pendant 3 ans font (7X12+6)X3, c’est-à-dire 270 deniers.
On règle de plus le cens du jardin et
de ses dépendances pour sept années: 1 sol 3 deniers par an pendant 7 ans font
(1X12+3)X7, c’est-à-dire 105 deniers.
Le cens dû pour trois ans ans de maison
et 7 ans de jardin est donc de 375 deniers.
31 sols 3 deniers
font bien (31X12+3) = 375 deniers.
En bas à gauche est porté un calcul
de ce qui est théoriquement dû chaque année au chapitre
pour la jouissance des deux biens considérés, soit 8 sols 9 deniers.
Nous avons dit que le boursier
(en latin médiéval bursarius) est le caissier
ou trésorier du chapitre. Littré ne connaît pas
ce sens du mot, pour lequel il donne seulement le sens de “fabriquant de bourse” (latin médiéval
bursius). Le Robert allègue seulement de son côté,
depuis le XVe siècle, “celui qui fait sa profession à la Bourse”.
Nous trouvons seulement dans le Lexique de l’Ancien français
de Godegroy, à côté de “celui qui fait les bourses”,
une acception proche de celle de notre texte étampois du XVIIIe siècle:
“celui qui tient la bourse, qui ordonne les dépenses”.
Ce titre d’un chanoine étampois paraît
donc a priori un archaïsme local peu attesté ailleurs à
une date aussi avancée de l’Ancien Régime.
On notera comme curieux à cet égard
un microtoponyme étampois attesté selon Frédéric
Gatineau en 1790 pour un champtier non identifié: Champboursier (Étampes
en lieux et places, 2003, p. 29, alléguant AM 1G2). Mais selon
les règles de la grammaire de l’Ancien français, Boursier
devait être en ce cas un patronyme, sans quoi l’on aurait Champ-le-boursier.
Sur le chanoine Desmollierre,
je ne dispose pas pour l’instant de données.
On est toujours dans l’attente d’une prosopographie étampoise en ligne,
qui verra bien le jour sans doute d’ici quelques années.
Sur la famille Brict
à Étampes, je ne dispose pas non plus pour l’instant de données.
Quant à ce sieur Baron, avocat au Parlement,
il ne devrait pas être bien difficile de recueillir des données
sur lui aux Archives municipales d’Étampes (comme d’ailleurs pour
Brict). Ce devait un descendant, ou à tout le moins un parent du Pierre
Baron qui était maire d’Étampes en 1652 (sur lequel nous avons
mis en ligne une notice biographique de Paul Pinson).
Quant au Pont Quesneau,
situé sur la rivière des Prés, il est mentionné
selon Frédéric Gatineau depuis au moins 1493 (Étampes
en lieux et places, 2003, p. 106, alléguant ADE E3855). Il était
situé au bout de l’actuelle rue Magne, ainsi baptisée en 1894,
après s’être appelée précisément
rue du Pont Quesneaux, et ce depuis au moins 1605 (ibid., alléguant
A dioc 1).
Reste une question. Comment faut-il interpréter
la mention portée en travers de la quittance: “trente septieme de cincante deux”?
Ou bien elle a été portée
par Desmollierre lui-même, pour qu’on puisse plus facilement se reporter
au registre de la collégiale. Ou bien par Brict, dans le cadre d’un
tri de ses archives personnelles. On ne pourrait trancher en la matière
que par recoupement avec des documents de la même série.
Dans le premier cas, cela pourrait éventuellement
constituer une indication intéressante sur le nombre de censives détenues
à cette date par le chapitre de Sainte-Croix.
Tout autre élément de commentaire
serait le bienvenu: car je suis loin d’être un spécialiste de
l’Ancien Régime.
B.G., juillet 2007
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