CORPUS  HISTORIQUE  ÉTAMPOIS
 
Chapitre de Sainte-Croix d’Étampes
Quittance de cens pour une maison et un jardin
15 octobre 1750
   
N. Desmolliere (boursier de Sainte-Croix d'Etampes): Quittance de cens pour M. Brict (15 octobre 1750)
  
     Les documents et les études sur la collégiale disparue de Sainte-Croix d’Étampes ne sont pas si nombreux que l’on puisse négliger d’étudier cette modeste quittance de cens. Un particulier étampois, qui la conserve dans ses papiers de famille, nous a généreusement autorisé à la photographier, et à l’éditer au bénéfice de tous.
  

1. FORMULAIRE DE QUITTANCE VIERGE



Formulaire de quittance de cens pour les chapitres de Notre-Dame et de Sainte-Croix d'Etampes (milieu du XVIIIe siècle)





 
Transcription

JE soussigné Prêtre, Chanoine & Boursier de la Communauté du chapitre Royal de .......... d’Estampes, reconnois avoir reçû de .......... .......... .......... la somme de .......... .......... .......... .......... pour .......... années de Censives des Héritages qu’il possede en roture et tenans dudit chapitre, échuës le jour de S. Remy 17........ dont Quittance, sans préjudice d’autres dûs, droits & actions. A Estampes ce .......... .......... .......... ..........

Commentaire

       Pour comprendre la nature de ce document, il faut rappeler brièvement ce qu’est un cens. Au début du Moyen Age, la nature et le fonctionnement de ce que nous appelons la propriété connut une altération notable, constitutive dans sa dernière évolution du régime appelé féodal, qui fut en vigueur en France jusqu’à la Révolution.

     Pour simplifier, on peut dire que la propriété fut progressivement démembrée, de sorte qu’il existait généralement plusieurs propriétaires d’un même bien, selon une hiérarchie au sommet de laquelle se trouvait le seigneur. Le seigneur, à qui revenait la propriété éminente de ce bien, sans qu’il en jouisse effectivement, le donnait à fief à un autre qui se trouvait par là son vassal. Ce dernier pouvait lui-même jouir directement du bien considéré, en le tenant de son seigneur, ou à son tour le donner à fief à un troisième, selon le même processus. On pouvait être seigneur soi-même d’un bien tenu à fief, ou bien au contraire le tenir en roture, c’est-à-dire en restant un roturier.

     L’un des éléments constitutifs essentiels de la seigneurie était la perception d’une rente généralement annuelle appelée cens. On appelait aussi parfois censive le dit cens, quoique ce mot, plus proprement, désignât le bien ainsi donné à fief (on disait aussi: donné à cens). Par suite de l’inflation, le cens devint progressivement une redevance purement symbolique, et c’est ce qui explique qu’on en soit venu au milieu du XVIIIe siècle, comme le montre notre document, à percevoir généralement d’un coup le cens de plusieurs années, par exemple, comme dans le cas présent, trois pour une maison, voire sept pour un jardin.

     Le cens était souvent perçu, comme c’est ici le cas, à la Saint-Rémi, c’est-à-dire le 1er octobre.

       Le document pré-imprimé utilisé par Desmollierre, boursier (c’est-à-dire trésorier) du chapitre de Sainte-Croix en 1750, contient plusieurs autres informations intéressantes.

       Ainsi il apparaît les chapitres de Notre-Dame et de Sainte-Croix d’Estampes avaient fait imprimer en commun ce formulaire de quittance. En effet le nom du chapitre est laissé en blanc, et comme il n’existait à cette date que deux chapitres à Étampes, la conclusion s’impose.  On relèvera pourtant que la partie pré-imprimée portait “chapitre royal”, alors que Basile Fleureau refuse pourtant expressément ce titre à celui de Sainte-Croix, dès le siècle précédent, arguant qu’il ne pouvait être considéré comme de fondation royale (Antiquitez d’Estampes, p. 380).  Son grand argument est la situation de fait selon laquelle le droit de collation pour ce chapitre (c’est-à-dire celui de désigner les bénéficiaires des prébendes) n’appartient pas au roi, qui n’en est donc pas le fondateur, mais selon l’usage ordinaire à l’autorité diocésaine, qui est alors l’archevêque de Sens.

     La question continuait pourtant à être discutée, semble-t-il, et la chose n’est pas si évidente que Fleureau, qui écrit vers 1668, voudrait nous le faire croire. Clément Wingler considère pour sa part que Saint-Croix était “effectivement de fondation royale” (Notre-Dame sous l’Ancien Régime, p.19). J’ai pour ma part défendu l’idée que Sainte-Croix avait même plus de titre certains à cette prétention que Notre-Dame, dans mon édition en ligne de la charte de 1046.

Ruines de Sainte-Croix en 1895
     Cependant, un Arrest du Parlement de Paris en date du 13 septembre 1694 (Wingler, p. 19 et n. 32, p. 30) interdit aux chanoines de faire état publiquement d’une fondation royale, attendu que ce privilège est réservé au chapitre de Notre-Dame. Notre document montre qu’au milieu du XVIIIe siècle, la question n’est plus à l’ordre du jour, parce que les intérêts des deux chapitres ne sont plus en conflit.

     Pourquoi en effet ces deux chapitres ont-ils fait imprimer de concert ces formulaires de quittance? A cette date, le montant des prébendes, c’est-à-dire des revenus ecclésiastiques attachés à la dignité de chanoine, probablement sous l’effet de l’inflation, n’est plus suffisant pour permettre à un ecclésiastique de mener une vie décente. On est donc réduit au cumul et aux participations croisées.

     C’est ce qui ressort notamment d’un règlement évoqué par Clément Wingler, imposé par le même Arrest de 1694: “Lors d’Assemblée réunissant les religieux des deux chapitres, ceux qui sont membres de l’un et de l’autre (cumul des bénéfices) siègent pour Notre-Dame, non pour Sainte-Croix.” (p. 19).

     En voici d’ailleurs un exemple emprunté au même Clément Wingler: un certain Bernard Claude Voizot est attesté comme chanoine de Sainte-Croix et chapelain de Saint-Louis en Notre-Dame de 1716 à 1743
(ibid., p. 34), avant de devenir curé de Notre-Dame, de 1743 à 1755 (p. 35). En d’autres termes, le curé lui-même de Notre-Dame est en 1750 un chanoine de Sainte-Croix.

     Ainsi, au milieu du XVIIIe siècle, les deux communautés ont visiblement fini par se fondre l’une dans l’autre, et les comptes de l’une n’ont plus de secret pour l’autre, au point que les frais de gestion sont mis en commun dès qu’il est possible. Voilà un aspect de l’histoire de ce chapitre qui ne semble pas avoir été remarqué jusqu’à aujourd’hui: l’historiographie locale s’étant jusqu’à présent surtout focalisée sur les innombrables querelles qui opposèrent les deux chapitres dans les premiers siècles de leur existence commune.

B.G.  juillet 2007
Ruines de Sainte-Croix en 1895
 


2. LA QUITTANCE RÉDIGÉE POUR M. BRICT DU 15 OCTOBRE 1750


N. Desmolliere (boursier de Sainte-Croix d'Etampes): Quittance de cens pour M. Brict (15 octobre 1750)  

Transcription
     (On porte en bleu les parties manuscrites et entre crochets ce qui aurait dû être rayé et ne l’a pas été):


31 sols 3 deniers
Monsieur Brict


JE soussigné Prêtre, Chanoine & Boursier de la Communauté du chapitre Royal de
sainte croix d’Estampes, reconnois avoir reçû de Monsieur Brict Marchand au Pont quesneau la somme de trante et un sol trois deniers pour trois années de Censives de la maison ou il demeure au Pont quesneau et sept années du jardin qu’il a acquis du sieur Baron Avocat au Parlement à Estampes [des Héritages] qu’il possede en roture et tenans dudit chapitre, échuës le jour de S. Remy 1750 dont Quittance, sans préjudice d’autres dûs, droits & actions. A Estampes [ce] ce quinze octobre 1750. N. Desmollierre, Boursier Prêtre chanoine et Boursier.



7 sols 6 deniers par an pour la maison du Pont quesneau
1 sol 3 deniers par an pour le jardin et bastimens acquis du sieur Baron

8 sols 9 deniers
[Au milieu du texte de la quittance est porté en diagonale:]
trente septieme de cincante deux.
 
Commentaire


     Pour le commun des mortels, peu accoutumé désormais au calcul non décimal, il peut être intéressant de vérifier ce calcul en réduisant toutes ces sommes en deniers. Rappelons qu’un sol vaut douze deniers.
     On règle ici  le cens de la maison pour trois années: 7 sols 6 deniers par an pendant 3 ans font (7X12+6)X3, c’est-à-dire 270 deniers.
     On règle de plus le cens du jardin et de ses dépendances pour sept années: 1 sol 3 deniers par an pendant 7 ans font (1X12+3)X7, c’est-à-dire 105 deniers.
     Le cens dû pour trois ans ans de maison et 7 ans de jardin est donc de 375 deniers.
     31 sols 3 deniers font bien (31X12+3) = 375 deniers.

     En bas à gauche est porté un calcul de ce qui est théoriquement dû chaque année au chapitre pour la jouissance des deux biens considérés, soit
8 sols 9 deniers.

     Nous avons dit que le boursier (en latin médiéval bursarius) est le caissier ou trésorier du chapitre. Littré ne connaît pas ce sens du mot, pour lequel il donne seulement le sens de “
fabriquant de bourse” (latin médiéval bursius). Le Robert allègue seulement de son côté, depuis le XVe siècle, “celui qui fait sa profession à la Bourse”. Nous trouvons seulement dans le Lexique de l’Ancien français de Godegroy, à côté de “celui qui fait les bourses”, une acception proche de celle de notre texte étampois du XVIIIe siècle: “celui qui tient la bourse, qui ordonne les dépenses”.
     Ce titre d’un chanoine étampois paraît donc a priori un archaïsme local peu attesté ailleurs à une date aussi avancée de l’Ancien Régime.
     On notera comme curieux à cet égard un microtoponyme étampois attesté selon Frédéric Gatineau en 1790 pour un champtier non identifié: Champboursier (Étampes en lieux et places, 2003, p. 29, alléguant AM 1G2). Mais selon les règles de la grammaire de l’Ancien français, Boursier devait être en ce cas un patronyme, sans quoi l’on aurait Champ-le-boursier.


     Sur le chanoine Desmollierre,
je ne dispose pas pour l’instant de données. On est toujours dans l’attente d’une prosopographie étampoise en ligne, qui verra bien le jour sans doute d’ici quelques années.

     Sur la famille Brict à Étampes, je ne dispose pas non plus pour l’instant de données. Quant à ce sieur Baron, avocat au Parlement, il ne devrait pas être bien difficile de recueillir des données sur lui aux Archives municipales d’Étampes (comme d’ailleurs pour Brict). Ce devait un descendant, ou à tout le moins un parent du Pierre Baron qui était maire d’Étampes en 1652 (sur lequel nous avons mis en ligne une notice biographique de Paul Pinson).

     Quant au Pont Quesneau, situé sur la rivière des Prés, il est mentionné selon Frédéric Gatineau depuis au moins 1493 (Étampes en lieux et places, 2003, p. 106, alléguant ADE E3855). Il était situé au bout de l’actuelle rue Magne, ainsi baptisée en 1894, après s’être appelée précisément  rue du Pont Quesneaux, et ce depuis au moins 1605 (ibid., alléguant A dioc 1).

     Reste une question. Comment faut-il interpréter la mention portée en travers de la quittance: “trente septieme de cincante deux”?
     Ou bien elle a été portée par Desmollierre lui-même, pour qu’on puisse plus facilement se reporter au registre de la collégiale. Ou bien par Brict, dans le cadre d’un tri de ses archives personnelles. On ne pourrait trancher en la matière que par recoupement avec des documents de la même série.
     Dans le premier cas, cela pourrait éventuellement constituer une indication intéressante sur le nombre de censives détenues à cette date par le chapitre de Sainte-Croix.

     Tout autre élément de commentaire serait le bienvenu: car je suis loin d’être un spécialiste de l’Ancien Régime.

B.G., juillet 2007
Ruines de Sainte-Croix en 1895
 
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     N. DESMOLLIERE (prêtre, chanoine et trésorier du chapitre de Sainte-Croix d’
Étampes), Quittance de cens pour M. Brict [feuillet de papier pré-imprimé et renseigne manuellement], Étampes, 15 octobre 1750 (collection particulière).

     Bernard DUCLOS & Bernard GINESTE [éd.], «Chapitre de Sainte-Croix d’Étampes: Quittance de cens pour une maison et un jardin (15 octobre 1750)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-18-stecroix1750quittancedecensbrict.html, 2007.

Sur la collégiale et le chapitre de Sainte-Croix

     Nous donnerons une bibliographie sur Sainte-Croix dans notre édition du chapitre des Antiquitez d’Estampes de dom Fleureau consacré à cette collégiale. Voyez en attendant la base Libris de François Jousset.


Toute critique ou contribution seront les bienvenues. Any criticism or contribution welcome.
     Source: collection particulière.
   
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