In memoriam aeternam
J. J. discip. cariss.
Requiescat in pace.
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Introduction
L’histoire d’Étampes
est enveloppée d’obscurité jusqu’au milieu
du onzième siècle. C’est seulement à
partir de ce moment que nous disposons d’une série
de documents réellement consistants et proprement
relatifs aux institutions locales. Le plus ancien et l’un
des plus riches en informations est une charte qui se présente
comme donnée aux chanoines de Notre-Dame par Henri
Ier en 1046. Maxime de Montrond a justement souligné
dès 1836 «son importance pour l’histoire de la ville
d’Étampes» (1). De fait
les auteurs du récent tome premier du Pays d’Étampes
s’y réfèrent en huit endroits de leur ouvrage
(2), qui fait actuellement référence
sur la période considérée.
Il nous faut d’abord établir
le texte de ce document, tâche quelque peu aride;
on ne pourra qu’après cela le traduire et discuter
les nombreuses données de détail qu’il
présente, et qui trop souvent ont été
soit négligées ou mal comprises, puis proposer
une synthèse de ses principales données.
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(1) Maxime de Montrond, Essais historiques sur la Ville d’Étampes,
tome 1, Étampes, Fortin, 1836, p. 72.
(2) Michel Martin
et alii, Le Pays d’Étampes. 1. Des
origines à la ville royale, Étampes, Étampes-Histoire,
2003, pp. 74 (et note 129), 75 (ter), 98 (et note 213), 105
(bis, et notes 249-247 et 253), 141 (et note 416), 142, 187 (et
notes 610-511), 198.
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En effet
on ne dispose pour l’heure que d’un texte latin non critique et très
fautif, édité dans des ouvrages
rares datant respectivement de 1683, 1760, 1836
et 1867. L’édition de 1760 est accessible sur
internet mais présente plus de quarante fautes de lecture
dont deux lacunes de plusieurs mots chacune. Personne
n’a encore étudié le document pour lui-même.
Le texte n’est pas établi, son authenticité
n’a jamais été discutée, ni sa teneur étudiée
d’une manière réellement systématique.
Que s’est-il passé à cet égard depuis
1046?
01. Les sources disponibles
Le privilège accordé par Henri Ier en
1046, s’il est authentique, a dû être rédigé
au moins en deux exemplaires, dont l’un a été
conservé par la chancellerie royale, et l’autre par
les chanoines, afin de pouvoir le présenter à
tous ceux qui se risqueraient à leur contester
telle ou telle possession ou immunité. Mais
les archives royales n’étaient pas bien tenues par les
premiers capétiens, qui notamment les emmenaient avec
eux lors de leurs voyages: et l’on sait que lors de la bataille
de Fréteval en 1194, Richard Cœur de Lion pilla et détruisit
les archives de Philippe Auguste. Ce n’est qu’à partir
de cette date que les archives royales reconstituées
vaille que vaille furent conservées à Paris.
Quant
à notre charte de 1046, nous voyons bien
trois siècles plus tard les chanoines de Notre-Dame
s’en procurer une «copie faicte à l’original»,
le lundi 18 juin 1364, «sous le seel de la prevosté
d’Estampes». Mais il faut comprendre sans doute que le
prétendu original en question vraisemblablement
altéré, était alors conservé par
les chanoines eux-mêmes plutôt que la prévôté.
Tout laisse à penser qu’ils ont alors montré
à la prévôté un vieux parchemin,
et qu’on leur en a alors donné acte, sans plus. Les
termes utilisés en 1364 ne font allusion à aucun
sceau royal, à aucune marque certaine d’authenticité
sur le document dont la prévôté atteste
seulement la conformité avec sa copie.
A la fin du XVe siècle, c’est cette
copie de 1364, aujourd’hui perdue, que recopie d’abord
l’auteur anonyme du Cartulaire de Notre-Dame d’Étampes
au folio 11 de son registre (recto et verso), en prétendant
qu’elle avait été faite sur l’original. C’est un indice
assez net de ce que ce prétendu original était
soit perdu, ou altéré, ou qu’il ne présentait
aucune marque d’authenticité qui puisse le faire
préférer à cette copie de 1364, elle scellée.
Ce qui confirme cette impression, c’est que
l’auteur du cartulaire reproduit quelques folios plus
loin (aux folios 32, recto et verso, et 33, recto) une
deuxième copie de cette charte qui présente
des particularités intéressantes et
qui précisément paraît altérée.
Son texte n’est pas exactement identique à
celui de la première. Il est nettement meilleur, comme
le montrera notre analyse de détail, et plus proche
de leur source commune. En revanche, alors que le premier texte
reproduisait explicitement la copie de 1364 (y compris les additions
initiales par lesquelles cette copie se signale comme telle),
le deuxième texte est visiblement tiré d’un
document dont les premières lignes étaient abîmées,
voire détruites (1). Mais
par ailleurs ce deuxième texte a conservé la suscription
finale du chancelier Baudouin sous la responsabilité
duquel l’acte aurait été rédigé
en 1046, suscription que la copie certifiée conforme
en 1364 a négligé de reproduire. Il ne s’ensuit
pas que ce deuxième texte constitue une copie de l’original
de 1046. Le nombre important de fautes qu’il présente
et certaines autres particularités permettent d’affirmer
au contraire qu’il ne s’agissait déjà que d’une
copie de copie, dont l’authenticité totale est loin d’être
établie. Nous appellerons désormais la première
de ces copies A, et la deuxième B.
Notre troisième source pour établir
le texte originel de cette charte est celui qui a
été consulté par Dom Basile Fleureau
vers 1668. Il en fit une copie qu’il inséra dans
le manuscrit de son grand œuvre, les Antiquitez
de la Ville et du Duché d’Estampes (2), en la faisant précéder
d’une courte notice d’introduction. Le manuscrit de Fleureau
ne fut malheureusement édité qu’après
sa mort, en 1683, de sorte que cette édition n’a pu
bénéficier des corrections de l’auteur (3). Nous appellerons ce texte F. Fleureau
n’indique pas sa source, mais l’expérience montre
qu’il ne paraît pas connaître ou utiliser le cartulaire.
Quand les deux copies du cartulaire divergent, il est d’accord
tantôt avec A contre B, tantôt avec B contre A
(4); d’une manière générale
ses points communs avec A contre B sont de mauvaises leçons
(5), tandis que ses points
communs avec B sont de bonnes leçons (6); de plus certaines fautes de
lecture de Fleureau, qui seraient inexplicables s’il avait
utilisé B, se comprennent mieux si l’on suppose qu’il a
mal compris une abréviation utilisée par A ou plutôt
par la source de A (7);
il a donc sous les yeux, selon toute apparence, un troisième
texte moins bon que B, mais complet, et d’autre part meilleur
que A. L’intérêt du texte de Fleureau est
surtout secondaire: il nous aide à reconstituer
l’histoire des corruptions qui se sont introduites dans le texte
(8), ce qui est parfois très
précieux (9).
Ce sont là les trois seuls témoins
directs dont nous disposons pour établir
le texte de notre charte sur des bases scientifiques.
Lors de la Révolution en effet, le chartrier de
Notre-Dame, qui conservait vraisemblablement beaucoup d’originaux
(10), fut saisi et déposé
au District d’Étampes, puis à Versailles,
chef-lieu du nouveau département de Seine-et-Oise.
Il fut restitué vers 1804 à la paroisse mais
ce fut, selon les mots de l’abbé Alliot «un malheur
pour la science»: lorsque les biens de l’église
furent à nouveau confisqués vers 1905, on ne signale
plus comme pièce ancienne que notre cartulaire, de
la fin du quinzième siècle. Ce gros volume, d’abord
conservé à nouveau à Versailles, a depuis
été reversé aux Archives du nouveau département
de l’Essonne, à Chamarande, où il est enregistré
sous la cote 1 J 448 (11). C’est un
registre en papier de format in-quarto, comptant 189 folios,
dont 66 seulement ont été utilisés
pour recopier, à l’extrême fin du 15e siècle,
un ensemble de 114 pièces datées de 1046
à 1495 (12).
Cependant une quatrième source peut
nous aider indirectement à établir le
texte de notre charte, concernant surtout la partie du texte
qu’on appelle le préambule, et qui est ici un développement
stéréotypé que j’ai retrouvé
dans toute une série de chartes de Robert II et
Henri Ier, toutes rédigées sous la responsabilité
du chancelier Baudoin, de 1030 à 1058. Les chartes
de Robert II et Henri Ier, malheureusement, n’ont
pas connu d’édition critique générale
depuis que Mauristes ont compilé celles que l’on
connaissait au 18e siècle dans leur monumental
Recueil des Historiens de la France. Deux
seulement ont fait l’objet d’une édition fiable. La
première, donnée par Robert II en 1030, au
palais d’Étampes, en faveur de l’abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés,
a été éditée d’abord par Dom
Bouillard en 1725, à qui les Mauristes la reprennent
en 1760 (13); mais il faut s’appuyer
ici sur l’édition critique de Tardif de 1866, qui repose
sur l’original lui-même (14);
nous appellerons ce premier témoin du préambule
P1. Dans une charte du même de 1031 (P2), le préambule
est incomplet. Les autres sont de Henri Ier. Une seule a été
éditée de manière critique par Lasteyrie
en 1887 (15) (P7). Citons pour mémoire
d’autres chartes respectivement de 1045 (P4), 1048 (P5) et 1058
(P6), d’après l’édition non critique des Mauristes.
On trouvera ci-dessous un graphique récapitulant
l’histoire du texte ainsi reconstituée. Nous
y intégrons déjà, à gauche, des
données qui seront établies par la suite de cet
article, comme l’existence d’une interpolation dans le texte
qui nous est parvenu. On comprend en regardant sa partie droite
pourquoi le meilleur texte est celui de B: c’est le plus proche
de la source commune de nos trois copies, et il a pu même
être copié sur cette source elle-même, quoique
rien ne le prouve. Au contraire le texte de A est de loin le
plus mauvais: c’est qu’il a existé au moins deux intermédiaires
entre lui et cette source commune de nos trois textes.
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Sceau
d’Henri Ier
Henri Ier selon un camée des
années 1630
(1) En effet: 1) il y manque
l’invocation initiale à la Trinité; 2) le
nom de l’auteur de l’acte, qui suivait immédiatement,
est l’objet d’une erreur qui a été corrigée
ultérieurement: le copiste a porté
Ego Ludovicus, «Moi Louis», mots
raturés et remplacés au-dessus dans l’interligne,
par Henricus («Henri»).
(2) Paris, Coignard, pp. 292-294.
Le manuscrit est apparemment perdu.
(3) On le constate souvent,
car même la ponctuation est souvent aberrante
dans les Antiquitez, de sorte qu’on se demande
si le typographe ou les typographes comprennent le
texte qu’ils éditent.
(4) Accords entre A et Fleureau:
Herchembaldus, Nuarevieriis, alodum…Magneruallo,
Albaterra, arpentum, hospitantur, contre B:
Herchambaldus, Nuaremarii, alodum unum…Magniruallo,
Alba Terra, arpennum, hospitentur.
(5) Accords entre B et Fleureau:
nostrorum, que annotari, edificium, Sarcleis,
présence de la suscription de Baudouin, contre
A: meorum, annotari que, officium turris, Sarcleriis,
absence de la suscription du chancelier.
(6) Surtout pour
Nuarevieriis et arpentum au lieu de
Nuaremariis et arpennum.
(7) C’est particulièrement
net pour prosperatur lu per
spatia, pour fisco regali Stampense
au lieu de fisco regali Stampis, et pour
la disparition de predictum, mots qui sont écrits
en toutes lettres dans B mais en abrégé
en A comme ils l’étaient dans la copie de 1364.
(8) Son texte comparé
à celui de A nous permet de conclure que les
abréviations de cette copie n’était pas toujours
claires en deux cas précis: 1) pour les noms
des monnaies (Fleureau a écrit une fois «sous»
au lieu de « deniers» et ailleurs A a
failli faire la faute inverse); 2) le tilde représentant
l’abréviation de l’élément -er-
(Fleureau en oublie un pour accesserit et A en ajoute indûment
deux dans Sarcleriis et frustraretur).
(9) Par exemple,
sachant qu’un élement -er-
indésirable peut s’introduire facilement
à partir de cette copie, on est d’autant plus fondé
à rejeter la variante Sarcleriis (A) et
à adopter Sarcleiis (B). Il s’agit donc
bien de Saclas, ce que refusait de croire Sœhné, et avec
raison, si Sarcleriis, mauvaise correction
de Montrond d’après A, était la bonne variante.
(10) Il est certain que
bien des originaux étaient encore conservées
au début du 16e siècle, puisque le 5 novembre
1526 deux notaires attestent sur le cartulaire qu’ils
ont vérifié le texte d’un acte de 1185
en le comparant avec l’original: Jean-Marie Alliot, Cartulaire
de Notre-Dame d’Étampes, Paris, Alphonse Picard
(Documents publiés par la Société
historique et archéologique du Gâtinais, n°3),
1188, p. VII.
(11) Je dois ici remercier
chaleureusement Frédéric Gatineau, qui
me l’a signalé; car il y avait du mérite à
le trouver, sous la cote où il est rangé .
(12) Voyez l’introduction
de l’abbé Alliot, op. cit., pp.
V-XXVI.
(13) Recueil
des Historiens, tome X, p. 623B, d’après
une édition antérieure faite sur l’original
par Bouillard.
(14) Jules Tardif,
Monuments historiques. Cartons des rois,
Paris, Claye, 1866, n°261, pp. 164-165.
(15) Cartulaire
général de Paris, tome I, 1887,
p. 120. Il s’agit d’une charte non datée de Henri
Ier (Lasteyrie note que ce préambule manque dans
l’un des témoins de cette charte.) |
02. Les éditions
et la tradition interprétative de cette
charte
Nous avons
déjà parlé de l’édition de Fleureau.
Cette première édition a été
reproduite au 18e siècle par les Bénédictins
de l’ordre de Saint-Maur, au tome XI de leur monumental Recueil
des historiens des Gaules et de la France, sous le
n°XIV de leur série des diplômes de Henri Ier
(1). Ce dernier ouvrage a été
réimprimé en 1876 sous la direction de Léopold
Delisle, réimpression mise en microfiches apparemment
dans les années 1970, microfiches elles-mêmes récemment
numérisées par la BNF, puis mises en ligne sur
son site Gallica (2).
Le texte des Mauristes ainsi mis sous les yeux de tous les internautes
est une réédition assez scrupuleuse de
celui de Fleureau; ils aventurent une seule correction
en note (3), mais par ailleurs
deux nouvelles fautes, se glissent dans le texte, dont une nouvelle
lacune de plusieurs mots. L’édition des Mauristes a été
reprise par Jean-Marie Pardessus dans un volume de Supplément
à son édition des Ordonnances des rois de France:
mais il n’a même pas pris la peine d’aller revoir le texte de Fleureau et conserve la lacune propre
au texte des mauristes (4).
En 1836 Maxime de Montrond, conscient de l’importance
de ce document, et sans doute alerté par certaines
bizarreries évidentes du texte des Antiquitez
(5), prend la peine de consulter
le cartulaire, alors de retour à Étampes.
Il est le premier à en traduire un passage, au premier
tome de ses Essais historiques sur la Ville
d’Étampes. Il en donne surtout, en annexe (6), une édition légèrement
améliorée, qui reste cependant très
imparfaite. L’examen de son propre texte montre qu’il
a consulté les deux copies présentes dans
le cartulaire, mais que son travail est loin d’être méthodique
(7). Il corrige certaines fautes,
de ci de là, le plus souvent de vaines variantes purement
graphiques, en oubliant, sauf deux ou trois exceptions, les
plus graves. Et quand même il repère une faute, il
lui arrive de rayer le mot de Fleureau en oubliant de reporter la
bonne leçon, ou bien ne pas la reporter au bon endroit, ou
encore de ne pas porter la correction qu’il faudrait, sans parler de
nouvelles fautes dues à l’inattention. Globalement cependant
le texte auquel il parvient est légèrement meilleur
que celui de Fleureau.
En 1866 Ernest Menault donne de son côté
une édition du Cartulaire de Morigny
(8). En prélude à
son texte il reproduit différentes chartes éditées
avant lui par Fleureau qui ne se trouvent pas dans
ce cartulaire, dont l’acte de 1046, qui contient la
première mention du lieu-dit Morigny. C’est une reprise
peu soignée du texte de Fleureau, qui ne tient de
plus pratiquement pas compte des améliorations apportées
au texte par Montrond, sans parler de nouvelles fautes par
distraction ou de conjectures mal venues.
En 1888, l’abbé Jean-Marie Alliot édite
enfin le cartulaire de Notre-Dame. Malheureusement, il
reçoit pour consigne de la Société
historique et archéologique du Gâtinais,
qui finance cette publication, de laisser de côté,
par mesure d’économie, celles des chartes qui
avaient déjà été éditées
par Fleureau plus de deux siècles auparavant (9). Aussi se contente-t-il de reproduire l’introduction
de la copie de 1364 inconnue du barnabite, ou négligée
par lui comme étrangère à son propos. Il
ignore visiblement le travail de Montrond, et ne prête
de plus que très peu d’attention à cet acte, qu’il
ne semble pas avoir lu attentivement (10),
comme d’une manière générale les chartes
déjà éditées par Fleureau (11), ce qui a échappé à
ses lecteurs (12).
En 1907 Frédéric Sœhnée,
des Archives Nationales, publie un Catalogue des
actes d’Henri Ier (13). Il
y présente et analyse la charte de 1046, visiblement
sans avoir consulté le texte original. Ce travail
a cependant le mérite d’intégrer toutes les corrections
opérées par Montrond, mais la présentation
du l’histoire du texte est incomplète, sinon confuse
(14). Et malheureusement, depuis
cette date, personne n’a encore mené à bien l’édition
des actes d’Henri Ier que pouvait laisser espérer
ce catalogue maintenant centenaire (15).
En 1992, dans la préface à sa remarquable
édition des chartes de Louis VI, Jean Dufour annonçait comme
imminente la publication de celles de Henri Ier par Olivier Guyotjeannin
(16); il lui paraissait alors certain que toutes les chartes des
premiers capétiens seraient éditées avant la fin du
millénaire; mais l’intéressé, six ans plus tard, ne
faisait encore état de l’existence que de matériaux préparatoires
(17), qui n’ont pas encore donné lieu à une édition.
Il est fort dommage que des sources historiques d’une telle importance fassent
encore défaut à l’historiographie française, et, dans
le cas présent, aux historiens d’Étampes.
Après Sœhnée en effet, rares sont les érudits qui mentionnent
encore l’édition de Montrond, un peu moins mauvaise
que celle de Fleureau: je n’ai trouvé que Louis-Eugène
Lefèvre pour s’y référer en 1907
(18). Même Maurice Prou en 1908
l’ignore: il est vrai cependant qu’il a pour sa part personnellement
consulté le cartulaire (19).
Quant à Philippe Plagnieux et Jean-Marie Pérouse
de Montclos en 1999 (20) ainsi que Michel
Martin en 2003 (21), ils se contentent visiblement
pour le texte, de Fleureau, et pour la compréhension
de ses grandes lignes de la notice très elliptique de Sœhnée.
Tout ceci n’est pas sans conséquences (22). |
(1) Pages 579-580. L’acte est signale
par Louis de Bréquigny, dans sa Table chronologique
des diplômes, chartes, titres et actes imprimés
concernant l’histoire de France, tome 2, Paris, Imprimerie
royale, 1775, p. 36.
(2) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k501290.
(3) Præpositus
ou lieu de propositus, correction qui s’impose
immédiatement à tout lecteur attentif
(4) Supplément
édité sans date, vraisemblablement entre 1849 et 1853. En
Pardessus il introduit avec raison dans le texte la correction suggérée
en marge par les Mauristes, signalée en note 2.
(5) Six exemples seulement:
1) rerum quæ.. religio… largitur
est une faute de grammaire très étrange
(quæ au lieu de quas);
2) de même l’indicatif accessit
(au lieu du subjonctif attendu accesserit);
3) «fruit immuable pour tous» n’a guère
de sens; 4) l’orthographe du toponyme Senauni
n’est pas conforme au génie du latin médiéval
qui ne rend le son o par la graphie
au que s’il a une bonne raison de le
faire, étymologique ou analogique; 5) une vigne d’un
arpent et demi paye un cens de 14 deniers seulement tandis
qu’une autre d’un seul arpent paye la somme énorme de
5 sous qui font 60 deniers («ce qui est beaucoup !»
s’exclame justement Michel Martin, p. 98); 6) propositus
Stamparum («propos d’Étampes») est un
non sens et une erreur manifeste pour præpositus
(«prévôt»), déjà
suggérée par les Mauristes.
(6) Essais historiques
sur la Ville d’Étampes, tome 1, Étampes,
Fortin, 1836, pp. 72-74 (traduction partielle et commentaire);
197-198 (commentaire) et 199-202 (texte).
(7) Ce qui ne laisse pas
d’étonner, de la part d’un ancien élève
de l’École des Chartes.
(8) Essais historiques
sur les villages de la Beauce. Morigny, sa chronique et son
cartulaire, suivis de l’histoire du doyenné d’Étampes,
Paris, Aubry, 1867, t. 2, pp. 1-3. Cette édition
méritoire en elle-même n’a pourtant pas
été unanimement applaudie. Il est certain
qu’il faudrait la réviser entièrement.
(9) Au nombre de 42 sur 116 selon
le compte d’Alliot.
(10) Faisant dans son introduction
la liste des actes reproduits deux fois par le cartulaire,
il n’y mentionne pas l’acte de 1046; lorsqu’il en arrive à
la première copie, il note que Fleureau a conservé
la suscription finale du chancelier, sans remarquer cette suscription
se trouve dans la deuxième copie, qu’il ne mentionne
même pas alors; arrivant à la deuxième
copie, il ne fait que mentionner sans commentaire que c’est un
double; surtout il ne fait pas état des nombreuses fautes
de Fleureau qu’il n’aurait pas manqué de constater s’il
avait lu soigneusement le cartulaire; il semble en fait avoir
été pressé par le temps.
(11) Par exemple au N°LXI,
p. 57, son résumé est erroné.
D’ailleurs non seulement
Alliot n’a pas relu dans le cartulaire le texte des
chartes déjà éditées par Fleureau
(sauf exceptions), mais il semble même qu’il n’a
pas relu Fleureau lui-même: au point
qu’il réédite sans s’en apercevoir une
chartes déjà donnée par le barnabite sous
une mauvaise date. De plus, il est particulièrement
déplorable que le précieux index de son édition
n’intègre pas les données des chartes éditées
par Fleureau: tout ce travail est çà refaire.
(12) Ainsi L.-E. Lefèvre,
Étampes et ses monuments aux XIe et
XIIe siècles, Picard, Paris, 1907, p. 9,
n. 2, lui prête erronément la pensée
que Fleureau a eu en main l’original, en renvoyant à
sa note p. 19.
(13) Frédéric
Sœhnée (et non pas Soehné),
Catalogue des actes d’Henri Ier, roi de France,
Paris, Honoré Champion (Bibliothèque
des Hautes Études. Sciences philologiques et historiques,
n°161), 1907.
(14) Par exemple il ignore
visiblement que le cartulaire contient deux copies
de l’acte de 1046.
(15) Ni d’ailleurs de ses père
et grand-père Robert le Pieux et Hugues Capet,
ce qui ne laisse pas d’étonner
(16) Recueil
des actes de Louis VI, tome I, Paris, Imprimeri Nationale, 1992, p.
XI: «On est en droit d’espérer qu’elle sera immédiatement
suivie par l’édition des actes de Henri Ier (1031-1060) —
en cous d’achèvement par Olivier Guyotjennannin».
(17)
Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire
de France (1998), p. 23, n. 10: l’auteur dit s’appuyer sur des
«matériaux préparatoires à l’édition des
actes des trois premiers capétiens».
(18)
Loc. cit.
(19) Il
en cite un passage en note à son édition
de la charte de 1082, Actes
de Philippe Ier, 1908, p. 275 n. 3, où il apparaît
qu’il a consulté la version B.
(20) Bien plus ils renvoient à
l’édition d’Alliot, qui précisément
n’en donne pas le texte, Étampes, un canton entre
Beauce et Hurepoix, Paris, éditions du Patrimoine,
1999, p. 78, n. 176 (p. 279) et p. 89 et n. 207 (p. 279).
(21) Le
Pays d’Étampes. 1. Des origines à la
ville royale, Étampes, Étampes-Histoire,
2003, surtout p. 187, où Martin s’appuie
visiblement sur la notice de Sœhnée pour brosser
un état des «propriétés
de Notre-Dame à sa fondation».
(22) Ainsi, je relève
quinze erreurs de différentes sortes à
la seule page 187 du tome I du Pays d’Étampes
— ce qui n’a rien d’énorme,
relativement à la masse de travail et de données nouvelles
que synthétise pour la première fois cet ouvrage pionnier.
Ceux qui travaillent comprendront ce que je veux dire.
|
II. Établissement du texte
Cartulaire de Notre-Dame
d’Étampes (fin du XVe siècle, folio
32, recto)
03. Remarques sur le texte
La
situation est plutôt bonne: nous disposons de trois
témoins indépendants et complémentaires
qui peuvent nous faire remonter à un état
du texte antérieur à 1364, sans parler de parallèles
textuels dans d’autres chartes dues au même chancelier
Baudoin.
Dans notre apparat critique nous appellerons
A la première version du cartulaire, B la deuxième,
P le formulaire habituel du chancelier Baudouin, avec
éventuel indice pour ses différents témoins
(1); nous attirons l’attention sur
le fait que le premier (P1) est le plus fiable car il s’agit
de l’édition critique d’un acte original, et non
d’une copie; nous appellerons par ailleurs Fleureau
F, Montrond m, Alliot
a, Prou Prou (ce dernier juste pour une phrase); nous citerons aussi
pour mémoire les particularités les plus notables
de la tradition textuelle secondaire sous les dénominations
respectives suivantes: Mauristes,
Pardessus, Menault,
Sœhnée et Martin. Nous respecterons
selon l’usage les graphies des manuscrits, et ne mentionnerons
celles de chaque éditeur que lorsqu’elles peuvent
être de quelque utilité (2).
Nous
mettons en italiques les sections hors-texte de
notre document, à savoir tout d’abord les titres
donnés par le cartulaire à notre charte;
d’autre part, nous mettrons entre crochets et en retrait,
en petits caractères, la section finale du dispositif, de toute évidence
apocryphe, qui doit représenter une interpolation
probablement du XIIIe siècle. Enfin
nous mettons aussi en italiques la partie du dispositif
où l’auteur de la charte reproduit un texte émanant
des chanoines eux-mêmes, et où ils parlent à
la première personne du pluriel.
|
(1) P1 pour
le préambule de 1030 d’après l’édition
de Tardif, P2 pour 1031 (formulaire seulement partiel),
P4 pour 1045, P5 pour 1048, P6 pour 1058, d’après
l’édition des Mauristes, P7 pour un acte non daté édité
par Lasteyrie, Cartulaire général
de Paris, tome I, p. 120; ces variantes peuvent nous aider
à comprendre celles de notre document.
(2) Fleureau
restitue par exemple systématiquement la graphies
-æ- simpliée au moyen-âge
en -e- (ces -e- étaient
le plus souvent cédillés d’après
l’édition par Tardif de la charte de 1030, mais ils
ne le sont pas dans notre cartulaire); il restitue
-ti- à la place de -ci-; il
distingue le -v- du
-u-, etc. Nous respecterons quant à nous
les graphies du cartulaire, selon l’usage contemporain.
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04. Texte et apparat
critique
[Titre de
la première version dans le Cartulaire]
Copie faicte à l’original. Comment
il appert que la iustice laye ne peulent mettre la main a
ung chanoine d’Estampes ne prendre riens ès maisons
où ilz demeurent sur (1)
pene de .c. livres d’ammende.
[Titre de
la copie de 1364 qui fait l’objet de cette première
copie] Donné par (2) copie soubz le seel
de la preuosté d’Estampes l’an de grace mil .ccc.
soixante et quatre le lundi xvii° iour du moys de iuing.
[Titre de
la deuxième version dans la Cartulaire]
Carta data a rege Henrico, quomodo iustitia
Stampensis virique seruientis non possunt aliquid
accipere in domibus canonicorum sub pena .c. librorum,
et de confirmacione precariarum et alodorum plurimorum.
[Texte proprement
dit de la charte] In nomine sancte (3) et indiuidue
Trinitatis (4). Ego Henricus (5) Dei gracia (6) Francorum
rex.
Cum in exibicione (7) temporalium
rerum quas (8) humana religio diuino cultui (9) famulando
locis sanctorum (10) et congregacionibus (11) fidelium
ex devocione (12) animi largitur tam
presentis quam perpettue (13) vite (14), ut iam
pridem multis expertum est indiciis, solatium adquiratur
(15), saluberrimus ualde et omnibus immitabilis (16) est hic
fructus primittive (17) uirtutis
scilicet caritatis (18) per quem (19) et mundi prosperatur (20) tranquillitas (21) et felici (22) remuneracione (23) eterna (24) succedit
felicitas.
Nouerit
ergo omnium sancte matris ecclesie fidelium
et nostrorum (25) sollers (26) curiositas quod deuote accesserit (27) ad nostre
serenitatis presenciam communis assensus Sancte Marie Stampensis castri,
postulans (28) et obnixe obsecrans nostre auctoritatis
precepto firmari ea que Herchembaldus (29) prepositus
et plures alii, annuente uel pocius (30) fauente
bone memorie genitore meo (31) Roberto,
predicto loco concesserant (32).
Sunt autem
que annotari (33) petierunt hec: uicus
qui dicitur Canisculus cum omnibus appendentiis (34) sine
ulla redibicione; precariam unam in terra Sancte
Crucis cum omnibus consuetudinibus sub censu (35) .u.
(36) solidorum; sepultura Stampensis castri et totius
suburbii cum ecclesia sancti Basilii, a molendino Sewanni (37) usque
ad terram que pertinet (38) ad
uetus edificium (39) Brunichildis (40) et
usque ad ripam Louie (41); mollendinum (42) unum
cum hospitibus cum omni consuetudine ad nos
pertinentibus in eodem (43) suburbio;
oblationes altaris sancte Marie per totum annum, excepta Assumpcione
sancte Marie; alodum unum (44) qui
(45) dicitur Magniruallo (46) et
Frotmundiuillario (47) cum
omnibus consuetudinibus; et unum alodum qui (48) dicitur
Anseniuillario (49) ex
beneficio Teudonis militis cum omni consuetudine; et unum alodum
in uilla (50) que dicitur Alba
Terra (51) cum duobus hospitibus et cum omni consuetudine;
et unum alodum in uilla que dicitur Montelosberti (52) cum
omni consuetudine (53); et
precariam unam in uilla que dicitur Nuaremariis (54) cum
omnibus consuetudinibus sub censu duodecim denariorum;
et unum (55) alodum in uilla que Mauriniacus dicitur
(56); et duos molendinos in Biervilla sub censu
.x. (57) solidorum (58), quis (59) census
de fisco regali Stampis (60) donante
Roberto rege ad opus ecclesie persoluitur; in
Sarcleiis (61) dimidium molendinum in uadimonio
precii (62) .iii. (63) unciarum
auri et .xl. (64) solidorum; in supradicta
Biervilla (65) molendinum unum
sub censu .iii. (66) solidorum
(67); et de Culturis Regis que super (68) Stampas
Vetulas sunt decimas; et iuxta molendinum nostrum
predictum (69) in suburbio (70) uineam (71) cum
.ii. (72) hospitibus
sub (73) censu .u. (74) denariorum
(75); subtus castrum Stampis (76) uinee
arpennum (77) et dimidium
qui (78) soluit .xiiii. (79) denarios;
et unum alodum apud Mansum Bavonis quem dedit Adeladis filia
Benzelini propter sepulturam eius; et alium (80) alodum
quem (81) dedit supradicta (82) Adeladis (83) post
excessum eius et domini sui (84) in
uilla que dicitur Roureia
[Interpolation,
probablement du XIIIe siècle] [et ne prepositus (85) Stamparum uel aliqua
persona alia (86) audeat aliquid (87) inuadere
uel accipere in domibus canonicorum; et ne hospitentur (88) canonici
ullomodo; si autem in posterum alicui persone
locus concederetur ad custodiendum, ne eius prelatio
canonicis (89) obesse posset; omnia ministeria
ecclesie canonicorum potestati et voluntati concedimus;
et ne discuciatur causa canonicorum iudicio alicuius secularis
persone (90) nisi tantum regis iudicio aut precentoris
cui (91) committetur ille locus ad
custodiendum.
Hec supra annotanda (92) exarata (93) que actenus (94) sunt concessa
et que amodo (95), deo (96) donante,
concedenda, regali precepto concedimus, et nostra auctoritate
astipulendo (97) corroboramus, eo pacto
ut, si quis legem dissimullando (98) uel neglegendo
(99), hec uiolare temptauerit (100), conatus illius omnino
frustretur (101), et fisco regali .c. (102) libre
auri persoluantur.
Actum
Compendii m° xlmo (103) ui°
anno incarnati Verbi, regnique Henrici regis xui.
Ego
Balduinus (104) cancellarius relegendo subscripsi (105).
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(1) sur a. Le manuscrit porte un
S suivi d’une abréviation confuse qui doit effectivement
selon l’usage le plus courant représenter
sur plutôt que sous.—
(2) pour a.—
(3) sanctæ… indiuiduæ
P1 (témoignage d’autant plus intéressant
que dans la suite du texte P1 porte des e cédillés,
voire des e simples), sanctę…individuę P7.—
(4) La phrase manque dans
B.— (5) B, qui
ne porte pas la phrase précédente a de plus porté
par erreur Ludouicus; go Ludouicus est rayé
et il est porté au-dessus Henricus.— (6) Dei gracia manque dans Fm
(Nous résolvons ainsi l’abréviation par
analogie, mais P1, qui est un original, porte bien gratia.)
— (7) in exibicione
B, in exibitione A,
in exhibitione Fm, P (dont P1; in manque
en P6).— (8) quas ABP,
quæ Fm (contre la grammaire).— (9) cultui ABFmP24567, cultu
P1 (seulement dans l’édition Tardif).— (10) locis sanctorum ABP12367, Montrond,
locis sanctis P5 F (par une mauvaise résolution de
l’abréviation).— (11) congregacionibus
A, congregationibus
P7.— (12) deuocione
A, deuotione BP.— (13) perpettue A, perpetue
BP1-6Fm, perpetuę P7.— (14) Vitę P7.— (15) adquiratur BP136,
ad quiratur A, acquiratur P25Fm.—
(16) immitabilis (8
jambages) B, imnitabilis A (il manque un jambage, même
problème plus bas pour domini en B et
domni en A), imitabilis
P, immutabilis (9 jambages, et sens peu satisfaisant)
Fm.— (17) primittiue AB,
primitivae P1-6Fm, primitivę P7.—
(18) caritatis AB, karitatis
P16, charitatis P5Fm. Le mot
manque en P3.— (19) quem ABP156,
quam P3Fm.— (20)
mundi prosperatur ABP3 et mundi prosperatur
P5, per mundi spatia F (la faute
de Fleureau, incompréhensible s’il avait utilisé
B où le mot est écrit en entier, s’explique s’il
a utilisé la copie de 1364 dont A a conservé l’abréviation),
mundi per spatia m (pour une fois suivi par Menault),
mundi adquiratur P1, et mundi adquiratur P6,—
(21) tranquillitas BFmP1-6,
transquillitas P7, tranquilitas A.—
(22) felici ABP156,
fœlici P3Fm, faelici Menault (et pareillement
pour felicitas).— (23)
remuneratione A.— (24)
ęterna P7.— (25) nostrorum BPFm,
meorum A.— (26)
sollers B, solers AFm. (cf.
solertie P1).— (27)
accesserit ABm(P1), accessit
F (contre la grammaire).— (28)
postulant (sic)
AB, postulans Fm (P1).— (29) Herchembaldus AFm, Herchambaldus B
— (30) pocius B, potius
AFm.— (31) meo ABm,
nostro F.— (32) A a d’abord
écrit consecc.., puis a raturé
et recommencé.— (33)
annotari que B, que annotari AFm.—
(34) appendentiis
Am, appendetiis
B (oubli du tilde représentant le
n), dependentiis F.— (35) A a d’abord écrit
sub s… puis a raturé et recommencé.—
(36) .u. ABm, quinque
F.— (37)
Sewanni B, Sevanni A,
Senauni Fm («moulin de Senaune»),
Lefèvre, Sœhnée, Martin p. 105.— (38) ad terram que pertinet manque dans
F (par saut du même au même, de ad à
ad), restitué par m.— (39)
edificium B, Fleureau, officium turris
A, edificium turris m.— (40) m ajoute ici, par erreur,
in eodem suburbio (voir plus bas).— (41) Louie AB,
Iuinæ F, Juinæ m,
Menault, Sœhnée, Martin.— (42)
mollendinum B, molendinum
AFm.— (43) eodem
manque dans F. m a repéré la faute mais s’est
embrouillé dans ses notes et a ajouté in
eodem suburbio après Brunichildis.— (44) unum semble raturé en A et n’était
donc sans doute pas dans sa source; il manque de fait dans
Fm.— (45) quod Fm
(alodum étant pris
erronément pour un mot neutre).— (46) Magniruallo AB, Magnervallo
Fm, Sœhnée, Magnervallus
Martin.— (47) Frotmundivillario
ABm, Sœhnée, Frotmunvillario
F, Frotmunivillario Menault,
Frutmanvilleria Martin.— (48) quod Fm (alodum
étant pris pour un un neutre); mot sauté
par les Mauristes.— (49) Anseniuillario
ABm, Sœhnée, Ausunvillario
F, Ausunivillario Menault,
Ausunvillarius Martin.— (50) in uilla ABm, in terra
F, Martin (p. 98: «sur la terre
d’Albaterre»).— (51)
Alba terra B, Albaterra AFm.—
(52) Montelosberti AB
(en A la syllabe -ber- peut
être lue –ba- par un lecteur trop rapide),
Montelesbati m, Sœhnée, Sœhnée. Item
omis par F, Menault, Martin.— (53)
et unum alodum in uilla que dicitur Montelosberti cum omni consuetudine
manque dans F (par saut du même au même)
et Martin; texte partiellement rétabli (sauf cum omni
consuetudine) dans m, Sœhnée.— (54) Nuaremariis B, Nuarevieriis
AFm, Menault, Sœhnée, Martin.—
(55) unum manque dans F.—
(56) Mauriniacus dicitur ABm,
dicitur Mauriniacus F.—
(57) .x. ABm,
decem F.— (58)
Solidorum ABFm, mais A a commencé par écrire
un d (pour deniariorum)
qu’il a raturé; plus bas F commet la faute de lecture
inverse, solidorum au lieu de deniarorum.—
(59) quis AB (sic),
qui F.— (60)
Stampis B, Stamp’ A, Stampensi
F; le mot manque chez m qui a oublié
de porter sa correction.— (61)
Sarcleiis BF (ce dernier sans majuscule initiale,
et de même chez les Mauristes), Martin. Sarcleriis
A (par ajout d’un tilde indû, sans doute
parce que les deux i de sa source portaient des points qui
ont été pris pour une abréviation de l’élement
-er-), m (qui pourtant écrit encore Sarcleis
à la page 74 de son tome 1, où il renvoie
à son édition qui porte Sarcleriis), Sœhnée
(qui pour cette raison rechigne à identifier ce toponyme
à Saclas).— (62) precii
manque dans Fleureau, rétabli par
m qui de façon incohérente garde l’orthographe
du manuscrit A alors qu’il garde par ailleurs les graphies normalisées
par Fleureau (qui aurait porté pretii).— (63) .x. ABm,
decem F.— (64)
40 Fm.— (65)
Bierrila Menault.— (66)
.iii. B, trium AFm.— (67) Tout cet item a été
sauté par les Mauristes et Pardessus (saut du même
au même, de solidorum à
solidorum).— (68) super AB, supra
Fm.— (69) predictum
manque chez Fm, Sœhnée
(ce dernier: «à côté du moulin appartenant
au roi»), Martin (pour qui la charte mentionne trois
moulins).— (70) suburdio
Menault.— (71) uineam ABm,
vineam unam F.— (72) .ii. ABm,
duobus F.— (73) sub manque
chez F.— (74) .v. ABm, quinque
F.— (75) denarium AB,
solidorum Fm, Sœhnée («un cens
de cinq sous»), Martin (id.).— (76) Stampis B, Stamp’ A, Stampense
F. Manque dans m. Il est à noter qu’on lit
bien Castellum Stampis sur les monnaies de Philippe Ier: le
mot est alors indéclinable.— (77)
arpennum B (cf. P1), arpentum AFm.—
(78) quod Fm (considérant
arpentum comme un neutre).— (79) .xiiii.
AB, XIV Fm.— (80) aliud Fm (considérant
alodum comme un neutre).— (81) supradicta
manque dans m.— (82)
quod Fm (considérant arpentum comme un neutre).—
(83) Adelardis Mauristes
(anthroponyme également attesté).— (84) domini sui
B, domni sui A (il manque un jambage, même
problème que plus haut pour immitabilis), domum
sitam F (l’erreur s’explique mieux si F a la même
source que A), domum sui m.— (85) prepositus AB Prou,
propositus F, Menault); «forsitan
praepositus» suggéré par les
Mauristes en marg, Praepositus m, Pardessus.— (86) aliqua personalia AB (lia
raturé et alia ajouté
au-dessus à droite dans B); aliqua alia persona Fm;
aliqua persona alia Prou.— (87) aliquid manque dans A et a
été ajouté en marge.— (88) hospitentur B, Maurice Prou,
hospitantur AFm Mauristes Pardessus.—
(89) canonicus m.—
(90) personæ sæcularis
(inversion) Fm.— (91) cum F Mauristes Pardessus.—
(92) annotanda B,
annotenda A, annotata et F, annotenda
et m.— (93) exarata
ABF.— (94)
actenus AB, hactenus Fm.—
(95) amodo A, admodo
B (le d étant raturé), modo
Fm.— (96) Deo AB,
Domino Fm.— (97) adstipulando Fm.—
(98) dissimullando
B, dissimulando A, Fm.— (99) neglegendo AB, negligendo
Fm.— (100)
temptauerit ABm, tentaverit F.—
(101) frustretur B,
Fm, frustraretur A (sous forme de tilde; même
insertion vicieuse de -er- que plus haut pour
Sarcleiis, Sarcleriis).— (102) .c.
AB, centum Fm.— (103) xlmo B (cf. P1),
.xl°. A, XL Fm.—
(104) Balduinus
ABm, Menault, Baldovinus F, Mauristes, Pardessus.—
(105) La suscription
finale manque dans A. En B, le copiste s’y est repris
à plusieurs fois pour écrire le mot final,
qui ne porte pas moins de quatre ratures qui le rendent illisible;
une main postérieure a réécrit
suscripsi.
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III. Discussion
05. Structure du texte
Cette
charte royale d’Henri Ier, rédigée par un
notaire inconnu sous la direction du chancelier Baudouin, respecte
évidemment les formes de rigueur. Vient d’abord l’invocation
qui place l’acte sous le patronage d’une autorité
divine. L’invocation à la Trinité est la
plus usuelle, spécialement sous cette forme: «Au
nom de la Sainte et indivisible Trinité».
Vient
ensuite la suscription, non moins
stéréotypée, qui donne l’identité
de l’auteur de l’acte: pronom personnel, nom personnel
et titre intégrant une formule de dévotion:
«Moi Henri par la grâce de Dieu roi des Français
». Deux parties manquent ici, l’adresse (qui
énonce l’identité du destinataire, individuel,
collectif ou universel) et le salut. Leur
absence caractérise précisément un acte considéré
comme très solennel.
Suit
le préambule, constitué
de considérations générales qui
motivent et légitiment l’acte.
L’étape
suivante est la notification,
brève formule standard exprimant la volonté
de porter à la connaissance des lecteurs et des
auditeurs de l’acte ce qui suit, à savoir, à
savoir les deux parties centrales et essentielles de l’acte,
qui sont aussi les plus longues, l’exposé et le dispositif.
L’exposé
énonce les circonstances qui ont amené
l’auteur de l’acte à prendre sa décision,
en l’occurence ici la démarche du chapitre auprès
du roi. Le dispositif explicite
par le menu la teneur de cette décision. Ce sont
évidemment ici les parties qui intéressent
le plus directement l’historien local, puisque ce sont les
seules à présenter des données concrètes
d’intérêt proprement local.
L’exposé
est suivi systématiquement de clauses finales,
ici d’une clause pénale qui prononce
à l’avance une condamnation séculière
des éventuel infracteurs ; celle-ci n’a rien
de très original et se retrouve sous cette forme ou d’autres
dans bien d’autres chartes du temps éditées
par les Mauristes. Suit la date, qui mentionne
le lieu et l’année de la composition de l’acte.
Les
éventuels signes de validation
qui suivaient, comme le dessin du monogramme royal
et la nature du sceau apposé à l’original,
n’ont pas été reproduits ni indiqués
par l’auteur du cartulaire qui le fait pourtant dès
qu’il le peut: nouvelle preuve qu’on ne possédait
plus l’original intact à Notre-Dame à la fin du
15e siècle. Nous n’avons que la suscription finale
du chancelier Baudouin, conservée seulement que par
la deuxième copie du cartulaire, ainsi que nous l’avons
déjà noté.
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Sceau
d’Henri Ier
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06. Rôle du chancelier
Baudouin
Le chancelier
Baudouin (1) a commencé
sa carrière sous le règne de Robert le Pieux:
il contresigne pour la première fois à ma
connaissance une charte en 1015 à Dijon, en l’absence
du chancelier Francon, en temps que notaire (apocrisarius)
(2), puis 1018, comme sous-chancelier
(subcancellarius) «à la place de
l’archevêque Arnoult, premier chancelier» (3). A partir
de 1019 il est le seul chancelier mentionné
jusqu’à la mort de Robert II (cancellarius) (4) et tout
au long du règne suivant. Sa carrière
se continuera même sous le règne suivant
de Philippe Ier, au moins jusqu’en 1067. Dès 1019
sa suscription est pratiquement la même qu’en 1046:
Ego Balduinus cancellarius relegi et subscripsi:
«C’est moi le chancelier Baudouin qui ai relu et ai souscrit».
C’est
son rôle essentiel: relire et signer après
avoir vérifié que le texte est conforme
aux directives qu’il a données à ses notaires
pour donner forme à la volonté royale. Lorsqu’il
écrit lui-même, ce qui est rare, il le mentionne,
par exemple à deux reprises en 1030:
scripsi et subscripsi, «j’ai écrit
et souscrit» (5). Il précise même
une fois d’une manière éloquente: «j’ai
souscrit de ma propre main» (6). Autrement
le texte est matériellement rédigé
par l’un de ses notaires, dont le nom n’est mentionné
que lorsque il est absent et qu’on doit signer à
sa place: ainsi entrevoyons-nous Seguin en 1051 (7), Foulques
en 1059 (8), ou un certain Guillaume (9). C’est un donc un tel notaire
qui a rédigé les deux originaux de l’acte
de 1046, d’après les consignes données par Baudouin:
il est resté anonyme parce que Baudouin était
présent.
Si
la personnalité de Baudouin a laissé
une trace dans notre document, c’est dans la seule partie
de notre charte qui laisse quelque place à la créativité,
le préambule, qui formule la justification idéologique
d’une décision royale avant de la notifier (10). C’est ici une longue période,
mûrement composée. On y voit les concepts-clés
d’une pensée théologico-politique peu
innovante (11) se couler dans le
moule des antithèses et des redondances binaires
chère à la rhétorique médiévale;
on imite les longues périodes oratoires de Cicéron
d’une manière un peu poussive à la vérité.
A travers les chartes composées par Baudouin, relues
rétrospectivement, on voit progressivement s’assembler
les différents éléments qui vont finir
par composer ce morceau, en formules de plus en plus complexes,
jusqu’à se réunir vers 1030 sous la forme représentée
par notre charte, dans une charte précisément
donnée par Robert II au palais d’Étampes, en faveur
de l’abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés (12). Il sera régulièrement repris
tel quel en alternance avec d’autres formulaires pendant plus
d’un quart de siècle (13). On conservait
visiblement une sorte d’aide mémoire pour les formules-types:
nous retrouvons celle-ci mot pour mot (14) dans neuf chartes contresignées
par Baudouin sous Robert, Henri et Philippe Ier, puis deux qui le sont par son successeur Pierre sous le même
Philippe Ier (15).
Il semble que l’on choisisse ce préambule
lorsqu’il s’agit pour le roi de constater et de garantir de son autorité
des donations opérées par autrui en faveur d’établissements
religieux. Le concept ambigu d’exhibitio qui ouvre la période
est en effet clairement à entendre en ce sens, d’après le
contexte: il ne s’agit pas pour le roi lui-même d’opérer
une donation, mais d’en faire état d’une manière
qui ne lui donne pas seulement l’appui de son autorité, mais encore
surtout une forme de publicité, avec l’objectif explicite de susciter
ainsi dans toute la société une émulation de générosité
charitable.
L’idée
que le roi attend de son bienfait une double rétribution,
la vie éternelle sans doute, mais aussi dès
ici-bas un règne qui ne soit pas troublé
ni brutalement interrompu, cette idée est déjà
représentée dans les diplômes
carolingiens. Ce qui est plus daté, c’est l’idée
que son acte est un exemple d’amour, ou plutôt la célébration
d’un acte d’amour (caritatis) dont l’exemple peut être suivi par
tous (omnibus imitabilis), et ainsi faire prospérer
la paix: ce qui nous ramène à l’idéologie
de la paix de Dieu, caractéristique du règne
de Robert II. |
(1) La carrière de Baudouin a été
étudiée soigneusement par Maurice Prou, et plus au long
qu’elle ne l’est ici, dans une partie de son introduction qui avait échappé
à mon attention lorsque j’ai mené mes propres recherches:
le lecteur curieux pourra s’y reporter avec fruit, op. cit., pp.
L-LIII.
(2)
Recueil des Historiens, tome X, p.
597D: Balduinus sacri palatii apocrisarius
postulatus.
(3) Ibid.,
p. 602D.
(4) Sauf dans un texte lacunaire
et mal daté (soit 1021 ou 1027 selon les Mauristes) où
il se qualifie seulement de «notaire» (notarius,
ibid., p. 604E).
(5) Ibid.,
pp. 624E et 623A.
(6) Ego Balduinus
Cancellarius manu propria subscripsi (ibid.,
p. 599A)
(7) Seguinus
sciolus scripsit ad vicem Balduini regii cancellarii
(ibid. p. 589C ): «C’est Seguin sciolus
qui a écrit à la place du chancelier royal
Baudouin»; le sens de sciolus est probablement
ici «lettré», peut-être dans une
acception technique qui nous échappe; originellement
c’est un mot ironique dont le sens est «demi-savant»,
«pédant»). Exceptionellement, en
1047, c’est Rainault, abbé de Saint-Médard
de Soissons, qui fournit son propre chancelier Rainod
(ibid., p. 582A)
(8) Sous Philippe Ier.
(9) Scriptam
manu Guillelmi ad vicem Balduini regii cancellarii
(ibid., p. 560D).
(10) Je n’ai consulté qu’après avoir
mis cette édition en ligne un article d’Olivier Guyotjeannin qui fait
la part belle à notre préambule, reproduit in extenso
en Annexe avec une certaine emphase; en tête de «quelques
grands textes», il est présenté comme l’une «des
compositions les plus admirables», comme le «préambule-type
de la chancellerie royale» (on aimerait savoir de quel point de vue),
comme «l’exemple le plus achevé de sa formulation», sans
être pourtant ni traduit ni commenté précisément,
son propos spécifique n’étant même pas énoncé,
comme si tous les préambule étaient interchangeables: «Le
roi de France en ses préambules», in Annuaire-Bulletin de
la Société de l’Histoire de France (1998), pp. 21-44.
Notons par ailleurs deux légères erreurs de l’auteur: ce formulaire
ne s’est pas «figé dans les années 1040-1050»
(p.27), mais bien dès 1030; il ne disparaît pas en «1067»
(ibid.), mais en 1071.
(11) Ces concepts sont déjà
énoncés sous d’autres formes dans les
diplômes carolingiens.
(12) Ibid.,
p. 623B, d’après une édition antérieure
faite sur l’original par Dom Bouillard.
(13) La même année
1030, nous trouvons une charte où la deuxième
partie du préambule est différente, ce qui
tend à trouver que la première a d’abord eu une
existence propre, et que c’est peut-être à
Étampes la même année que l’ensemble
prend sa forme définitive pour la première fois.
(14) Sauf négligence,
comme par exemple, dans les chartes de 1030 et 1058, où prosperatur
est remplacé par une répétition vicieuse
d’adquiratur.
(15) Une de Robert
(1030), six de Henri, et quatre de Philippe Ier: 1061 (Prou, p. 39), 1065
(p. 58), 1071 (p152) et 1071 (p. 153). On notera que Maurice Prou ne paraît
pas avoir remarqué que ce préambule remontait au deux règnes
précédents.
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07. Trois couches
du texte et cinq auteurs.
Un examen approfondi
des particularités de notre texte nous amène
à y distinguer, malgré sa brièveté
et sa simplicité apparente, trois niveaux de
rédaction où interviennent à des titres
divers cinq personnes, dont trois prennent la parole à
la première personne. Faute de le comprendre, on s’expose
à de graves erreurs d’interprétation.
Le
texte auquel nous avons affaire, tel que du moins il
nous parvenu, a été composé en effet
en trois étapes. Tout d’abord, les chanoines ont constitué
une liste de leurs possessions, et l’ont présentée
à la chancellerie de Henri Ier, qui séjournait
alors à Compiègne. Une charte de type standard
leur fut alors accordée, qui reprenait mot pour mot cette
liste à l’intérieur de son dispositif. Enfin, sans
doute au XIIIe siècle, un copiste qu’on peut qualifier
de faussaire a inséré une interpolation de son cru à
la fin de cette liste. Il nous reste à
le démontrer.
Commençons
par les trois personnages dont le rôle est
le plus évident.
Nous
établirons ensuite la préexistence
d’une liste rédigée par les chanoines à
la première personne du pluriel et reprise telle
quelle par la charte, puis l’existence d’une interpolation.
|
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1.
Le premier des ces personnages à retenir l’attention,
et le seul dont on fasse généralement état,
malheureusement, est l’auteur moral du texte, à
savoir le roi Henri Ier
sous l’autorité duquel il est édicté,
et à qui on fait dire «Moi Henri, etc.»
Naturellement, il ne dicte pas l’acte, ni même probablement
ne le relit.
2. Le second est celui qu’on pourrait
appeler le responsable éditorial, à savoir
le chancelier Baudouin
sous la direction duquel l’acte est rédigé;
il est chargé de donner les formes requises à
l’expression de la décision royale (1); nous avons déjà
vu quelle est part dans la composition et la rédaction
de l’acte. C’est lui qui conclut, également à
la première personne: «J’ai souscrit».
3.
Le troisième est le notaire anonyme dont Baudouin
s’est contenté de viser le travail.
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4.
En quatrième lieu viennent les chanoines
eux-mêmes. Plusieurs indices en
effet nous invitent à penser que dans
la section du dispositif qui énumère la
première partie des items concédés, ce sont
les chanoines
qui parlent à la première personne du pluriel. C’est-à-dire
que le notaire a reproduit telle quelle la liste de
biens qu’ils ont présentée à la chancellerie
royale. Comme cette considération est très importante
pour l’interprétation de notre document, il nous faut
ici l’étayer d’une manière indiscutable, par
les quatre remarques qui suivent.
Première
remarque. Cette liste est pleine de fautes
de grammaire bizarres qui semblent bien originelles,
d’après la tradition manuscrite que nous avons
reconstituée; surtout, elles ne dénotent
pas le même niveau de maîtrise du latin
et de ses flexions que le reste du document.
Par
exemple, le premier item de la liste est au nominatif,
comme l’impose ce qui l’introduit, chacun des items successifs
étant grammaticalement apposé au pronom
hec (hæc, «ces choses»),
lui-même au nominatif; mais nous voyons au contraire
alterner arbitrairement accusatifs et nominatifs (1).
Par
ailleurs l’auteur formule certains toponymes à
l’ablatif, alors qu’ils sont en fonction d’attributs
du sujet (2), après le tour qui dicitur,
«qui s’appelle», barbarisme véritablement étonnant
à cette époque. Toutes ces fautes de déclinaison
sont concentrées dans la liste, et totalement absente
du reste de l’acte. On ne les trouve pas dans les autres actes
de la chancellerie royale du temps (3),
ni dans le cartulaire. En revanche elles ne sont pas écho
dans le contexte local, et peuvent reposer sur un particularisme
local (4).
Enfin
on doit noter une confusion barbare entre l’adjectif
relatif qui et le pronom interrogatif
quis (5).
Deuxième
remarque. Il est deux fois question dans l’acte
du roi Robert, père et prédécesseur
de Henri. La première fois, Baudouin fait dire à
ce dernier: «notre géniteur de bonne mémoire
Robert»; la deuxième fois, dans la liste,
il est précisé que le revenu du cens de deux
moulins a été affecté aux besoins de la
collégiale «par un don du roi Robert».
Or dans la langue des chartes, il est obligatoire, lorsqu’on parle
(6) d’une personne ou d’une chose déjà
mentionnée, même à la phrase
immédiatement précédente, voire
dans le membre de phrase précédent, d’utiliser
un tour qui l’indique; on devrait donc avoir «le même
roi Robert», ou «le susdit», ou «le
susmentionné» , etc. C’est bien le cas un
peu plus loin pour Alais par exemple. Nouvel
indice que la liste est un élément prérédigé
et recopié tel quel par le notaire.
Troisième
remarque, qui nous ramène à ce
moulin. Il est d’abord question dans cette section d’un
moulin: «un moulin avec les hôtes et tout
le droit coutumier qui nous appartiennent (ad nos pertinentibus)
dans le dit faubourg», puis, un peu plus loin, d’un
arpent et demi de vigne «à côté
de notre susdit (nostrum predictum) moulin dans le faubourg».
Qui dit «nous» et «notre moulin»
? Tous ceux qui se sont référés à
ce texte comprennent que c’est le roi qui parle et qu’il s’agit
donc d’un, voire de deux moulins royaux (7). Il est vrai que le
texte corrompu par Fleureau et Montrond, qui ont sauté
le mot «susdit» (predictum) ajoute un élément
d’obscurité à ce passage (8).
Mais
dans le premier cas déjà, même
s’il s’agissait d’un nouveau moulin, comment Henri pourrait-il
dire sans absurdité qu’il reconnaît aux chanoines
la jouissance de coutumes et surtout d’hôtes qui lui
appartiennent à lui? C’est donc qu’ils n’en jouissaient
pas jusqu’au moment où on rédige cet acte?
Et dans ce cas pourquoi ne mentionne-t-il pas expressément
qu’il en fait don?
Dans
le deuxième cas on arrive à une situation
encore plus absurde, puisque le roi appellerait «notre
moulin» celui dont il vient justement de garantir
la propriété aux chanoines. Voilà précisément
le genre d’ambiguïté voire d’obscurité
que la langue des notaires abhorre plus que tout.
D’ailleurs
la vigne dont il est question, «sous notre moulin», ne peut être que celle qui a donné son
nom à la rue de la Vigne, non loin du Moulin
Notre-Dame, et non près de celui de Darnétal,
qui lui appartenait au roi.
Quatrième
remarque: cette liste est clairement encadrée
par des formules qui n’ont pas été comprises
de Fleureau, parce que son texte était déjà
altéré, mais qui signalent clairement à
qui sait les lire (9) qu’on donne la parole à une tierce personne.
Il
faut considérer les termes qui l’introduisent:
«Voici les items dont ils ont demandé qu’il
y soit souscrit»; et ceux qui la clôturent:
«Les ci-dessus items mis par écrit pour qu’il
y soit souscrit, etc.».
Par
suite, dans cette liste, «nous» signifie
«nous les chanoines» et «notre susdit moulin»
ne peut renvoyer qu’au moulin qui s’est appelé
pendant des siècles Moulin Notre-Dame,
et dont rien n’indique qu’il ait jamais été
royal.
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(1)
hec: uicus … precariam… sepultura…
mollendinum… oblationes… alodum... etc. (Rappelons
que le mot alodus, «alleu»,
est dans la langue de notre charte un nom masculin et non
pas neutre comme dans la forme canonique ultérieure
allodium, chose que n’a pas remarquée
Fleureau, qui par suite se permet plusieurs corrections injustifiées
du texte, par exemple de quem en quod).
(2) Magniruallo,
Frotmundiuillario, Anseniuillario,
Monte-losberti, Nuare-mariis.
Le reste est au bon cas: Canisculus, Mauriniacus,
ou bien à une forme où il n’est pas possible
de déterminer si le rédacteur songeait à
un nominatif ou à un ablatif, Alba
terra, Roureia. On surestime parfois la connaissance
du latin qu’avait le commun des clercs au moyen âge;
certaines traductions médiévales de chartes
latines en français contiennent des fautes grossières,
notamment à Étampes.
(3) Je n’ai trouvé trace que
d’une seule dénomination analogue dans les chartes des
trois premiers capétiens éditées du moins
par les Mauristes (vers 987: quartam partem de villa
quæ vocatur Judeis, «le quart du domaine appelé
Aux-Juifs», ibid., p. 558B).
(4) En 1274 une charte de reine Marguerite
que la boucherie d’Étampes s’appelle non pas
«Les Nouveaux Étaux», mais «Aux
Nouveaux Étaux» (boucheriam stampensem
quæ dicitur ad novos stallos), tour qui ressemble
fort à notre usage de l’ablatif de lieu en lieu et place
d’un nominatif en fonction d’attribut du sujet, par exemple,
in uilla que dicitur Montelosberti, «un alleu appelé
au-Mont-Losbert».)
(5) Quis census,
au lieu du qui census attendu. A moins de comprendre ici qu’on
a un tour interrogatif, suivi d’une réponse elliptique:
«deux moulins à Bierville moyennant un cens
de dix sous... lequel?! ce cens, extrait du trésor
royal à Étampes, par un don du roi Robert,
est reversé au bénéfice de l’Église!»
mais ce genre d’effet de style est totalement exclu par
la langue des actes, qui vise à la clarté maximale
même au prix des répétitions les plus fastidieuses.
Admettons cependant que cette faute peut être aussi imputée
à la copie locale source du faussaire dont nous parlerons
ensuite.
(6) Précisément Fleureau
et Montrond ont oublié une fois ce mot devant une
occurrence du mot «moulin», et c’est la
source d’une erreur de Sœhnée et de Martin qui
en concluent que la charte parle de trois moulins distincts
à Étampes, alors qu’elle n’en cite que deux.
(7) En dernier lieu Martin parle de trois
moulins royaux (ibid. p. 105, mais ce passage
n’est pas clair, la note 253 n’arrangeant rien à l’affaire)
au lieu qu’il n’en est que deux, dont aucun ne paraît
royal et dont au moins l’un ne l’est certainement pas, celui
que précisément l’auteur affuble malheureusement
de la dénomination «moulin Royal»
(ibid., pp. 174 bis et 178).
(8) C’est sans doute ce qui explique
la phrase embarrassée de Michel Martin, qui conserve
le flou du texte corrompu par Fleureau: «un moulin
avec des hostes dans la périphérie et,
près du moulin royal dans la périphérie
étampoise, un arpent de vigne etc.».
(9) En effet le verbe annotare
a entre autres sens en latin médiéval
le sens de souscrire, et on est bien forcé de lui donner
de ce sens ici (plutôt que celui de «mettre par
écrit») , parce que dans sa deuxième
occurrence, il ne peut pas signifier la même chose
que le verbe erarare («mettre
par écrit»), sans quoi on aboutirait au sens
absurde de «mis par écrit pour qu’il soient mis
par écrit». Il est manifeste que Fleureau n’a pas
compris ce passage puisqu’il le corrige arbitrairement, y voyant
une simple redondance, annotata et exarata, «rédigés
et mis par écrits». Montrond non plus puisqu’il
corrige le premier mot d’après le manuscrit mais conserve
le et introduit par Fleureau: «devant être
mis par rédigés et ayant été mis par
écrit».
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5.
Venons en maintenant au faussaire
à qui l’on doit la deuxième section
du dispositif que nous avons mise entre crochet. Plusieurs
indices convergent en ce sens et nous les regrouperons
en huit remarques.
Première
remarque. Le faussaire n’a pas observé
que la liste des possessions garanties aux chanoines
étaient purement et simplement recopié sur
un document où ce sont les chanoines qui disent «nous»,
de sorte que dans les nouveaux items qu’il a surajoutés,
il fait parler le roi à la première personne
du pluriel d’une manière incohérente avec le
contexte: concedimus, «nous avons concédé».
Deuxième
remarque. La teneur de ces items
ne concorde pas avec ce qui est annoncé au commencement
de la charte, puisque le roi annonce seulement qu’il va
certifier par le présent édit les donations
opérées par certains particuliers sous le règne
de son père.
Troisième
remarque. Un des privilèges prétendument
accordés dans cette section envisage une situation
ultérieure qui n’était pas forcément
prévisible en 1046, d’une manière qui engendre
naturellement le soupçon.
Elle
établit à l’avance les pouvoirs juridictionnels
du préchantre qui à l’avenir pourrait faire
office d’abbé en lieu et place du roi. Par là
même elle envisage de plus comme une situation naturelle
que le roi le roi lui-même se réserve le titre
d’abbé de Notre-Dame.
Or
il est difficile de croire qu’en 1046 on ait pu envisager
cette situation comme prévisible. En 1082 nous
voyons que l’abbé de Notre-Dame est un certain
Bernodalius (10), qui l’est toujours en 1104 (11), apparemment
apparenté à une famille noble de la Ferté-Alais
(12). Ensuite vient un certain Payen. Puis deux fils de Louis VI
le Gros. Mais ensuite à nouveau deux personnages obscurs: un certain
Jean de la Chesne, puis, encore mentionné en 1193, un certain
Eudes Clément (13).
Ensuite,
à partir de 1210, il n’est plus question que du
préchantre (praecantor,
dénomination ultérieurement simplifiée
en chantre). Ce n’est donc que sous
le règne de Philippe Auguste que les rois de France
prirent le titre d’abbé de Notre-Dame d’Étampes
et qu’il déléguèrent au préchantre
l’administration effective du chapitre. L’insertion n’est
donc certainement pas antérieure au XIIIe siècle.
Quatrième
remarque. De même cette insertion garantit
les intérêts des chanoines vis-à-vis
de toutes les autres nouvelles dignités ecclésiastiques
qui pourraient être instituées au sein
de la collégiale Notre-Dame, ce qui paraît
anticiper le conflit chronique qui opposera chanoines et les
chapelains plusieurs siècles durant.
Cinquième
remarque. Il a déjà été
bien établi par Maurice Prou, dans son édition
des actes de Philippe Ier (14), qu’une des chartes de ce roi, datée
de 1082 et conservée seulement par notre cartulaire, contenait
d’évidence une section apocryphe de ce genre, anticipant
de la même manière, ab eventu,
les conflits ultérieurs qui opposèrent cette fois
les chanoines à leur abbé.
Ce
sont les deux chartes les plus anciennes conservées
par le cartulaire, et les indices de la falsification
sont du même ordre: incohérence matérielle
de l’insertion avec le contexte (15), et contradiction
de sa teneur avec ce qui est annoncé au départ.
Sixième
remarque. On peut même supposer que c’est
le même faussaire qui a trafiqué ces deux
chartes, puisque ces deux insertions contiennent des stipulations
analogues dont tout dénonce le caractère
anachronique et apocyphe (16).
Charte de 1046: «Et que le prévôt
d’Étampes ni aucune autre personne n’ose rien occuper
ni saisir dans les maisons des chanoines, et qu’on n’impose le
droit d’hébergement aux chanoines en aucune manière».
Charte de 1082: «Dans les terres
des chanoines qui seraient à l’Église,
que nos officiers ne rendent aucun jugement ni ne commettent
aucune exaction et qu’il ne se fassent pas dans leurs maisons
des hébergements forcés» (17).
Charte
de 1046: «Et si, à l’avenir un poste était concédé
à quelque personne pour l’administrer, que la
dignité qui lui sera accordée ne puisse
porter préjudice aux chanoines: nous avons concédé
tous les ministères de l’église au pouvoir
et à la volonté des chanoines».
Charte de 1082:
«Et ces droits coutumiers que la
dite église avait obtenus du susdit roi Robert, comme il
a été dit plus haut, et de notre père
notre père, à savoir que les dits chanoines
attribuent et confèrent les ministères de la
dite église, les dignités de prévôt,
de chevecier, de chantre à quiconque d’entre eux
ils auront choisi pour ce faire, etc.» (18).
Septième
remarque. On sait d’ailleurs qu’au travers de
l’histoire la collégiale Notre-Dame, il est
arrivé à plusieurs reprises que soit contestée
l’authenticité ou l’intégrité
des titres que présentaient les chanoines à
leurs rivaux pour garantir leurs droits (19).
Huitième
remarque. Plus précisément on
sait avec certitude que personne n’a jamais pris au sérieux
le prétendu droit des chanoines à désigner
eux-mêmes tous les dignitaires de leur collégiale.
A la fin de l’Ancien Régime encore, les ducs d’Étampes,
détenteur du droit de patronat de cette église,
s’arrogeaient encore, malgré les récriminations
du chapitre, le droit de nommer les chapelains (20).
Nous
pensons donc avoir démontré d’une
part que le dispositif de notre charte reprend mot pour mot
une liste prérédigée par les chanoines
à la première personne du pluriel, et d’autre
part que cette liste est suivie, dans l’état actuel
de notre texte, d’une interpolation qu’on peut dater approximativement
du XIIIe siècle.
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(10) Charte de Daimbert de Sens éditée
par Fleureau, op. cit., p. 338.
(11) Michel Martin (op. cit., p. 188,
n. 616) pense que c’est un certain Hugo Bardulphus
qui serait alors abbé de Notre-Dame, et relève
à ce sujet une prétendue erreur de Clément
Wingler (Notre-Dame sous l’Ancien Régime, Étampes,
Archives Municipales d’Étampes, 1998, p. 40). Il
a tort: la charte de 1082 mentionne bien comme abbé Bernodalius.
Quant à Hugues Bardoul Ier (Hugo Bardulfus), dont
la mention suit immédiatement une deuxième mention
de l’abbé, c’est un nobliau du temps, fils d’Erembert
ou Isembert, seigneur de Nogent-le-Roi (Nogent-l’Erembert),
lui-même seigneur de Broye et frère de l’évêque
d’Orléans Isembert. Au reste, la charte de 1082, présente
de graves problèmes d’authenticité et surtout
d’intégrité, et la première mention sûre
d’un abbé de Notre-Dame est donc bien celle de Bernodalius
en 1104.
(12) L’anthroponyme est rare et nous
le retrouvons porté vers la même époque,
selon la Chronique de Morigny, par un seigneur de la Ferté-Alais
qui donna aux moines de Morigny l’église de Guigneville.
Mention est faite aussi du don de l’église de Cerny
aux mêmes par Bernodalius
Potinus, qui est sans doute le même personnage.
(13) Clément Wingler (Notre-Dame
sous l’Ancien Régime, Étampes,
AME, 119, p. 40) cite pour denier abbé Jean de la Chesne;
Michel Martin quant à lui s’abstient de le nommer dans
sa liste (op. cit., p. 188); dans l’acte de 1193 en
question édité par Fleureau, p. 303-304, il se
donne lui-même le nom d’Eudes (Odo). Voyez Fleureau,
op. cit., p. 350.
(14) Maurice Prou,
Recueil des actes de Philippe Ier, Paris,
Imprimerie nationale, 1908, p. 275, nn. 1 et 3.
(15) En l’occurrence, dans la charte de 1082,
elle est insérée entre l’annonce des
suscriptions et les signes royaux de validation.
(16) Il est amusant de remarquer que
Prou concédait que la fin de l’insertion qu’il
incrimine dans la charte de 1082 avait pourtant des chances
d’être authentique… parce que sa teneur se retrouvait
dans celle de 1046. Étudiant spécifiquement
les chartes de Philippe Ier, il n’a pas évidemment étudié
celle d’Henri Ier avec le même soin que celle de Philippe,
qu’il se proposait d’éditer, et il n’a pas soupçonnée
qu’elle avait été elle-aussi interpolée
dans le même sens.
(17) Et ne prepositus
Stamparum uel aliqua persona alia audeat aliquid inuadere uel accipere
in domibus canonicorum; et ne hospitantur canonici ullomodo
(1046); In terris canonicorum, que
ecclesie fuerint, ministeriales nostri nullam justiciam nec
exactionem faciant, nec in domibus eorum violenter hospitalicia
fiant (1082).
(18) Si autem in posterum
alicui persone locus concederetur ad custodiendum,
ne eius prelatio canonicis obesse posset; omnia ministeria
ecclesie canonicorum potestati et voluntati concedimus
(1046); Hec vero consuetudines, quas ipsa
ecclesia tenuerat a prefato Roberto rege, sicut supradictum
est, et Henrico rege, patre nostro, videlicet ut ipsi canonici
ecclesie ipsius ministeria, preposituram, capiceriam, cantoriam,
quibuscunque ex eis elegerint donent et disponant, etc.
(1082).
(19) Voyez l’introduction d’Alliot à
son édition du Cartulaire (en ligne ici sur le Corpus Étampois).
(20) Clément Wingler,
Notre-Dame sous l’Ancien Régime, Étampes,
Archives Municipales d’Étampes, 1998, pp. 20-21.
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08. La question de l’authenticité
Le lecteur attentif doit ici se poser une question:
mais alors, notre charte est-elle authentique? Si l’on
excepte le passage que nous venons de caractériser
comme évidemment apocryphe, quelle garantie d’authenticité
nous donne le reste? Chacun de nos trois témoins
du textes en effet contient le passage incriminé;
nous ne connaissons donc qu’un texte trafiqué.
Raisons
apparentes d’en douter
De
plus plusieurs indices orthographiques trahissent
l’unité d’origine de nos trois témoins
(1). Ainsi, dans l’exposé, une
formule pourtant stéréotypée,
postulans et obnixe obsecrans, «demandant
et suppliant instamment», est déformée
comme suit: postulant et obnixe obsecrans, «demandent
et suppliant instamment». Surtout la source commune
de nos trois textes a une tendance fâcheuse à
multiplier les consonnes doubles (2). Ces traits ne peuvent
être attribué ni à l’auteur du cartulaire,
qui n’en est pas
familier, ni et encore moins à la chancellerie
royale.
Enfin
l’insertion dans une charte royale d’une liste non
remaniée produite par des demandeurs semble assez
inhabituelle, et il est difficile de comprendre pourquoi on
a conservé jusqu’aux fautes de syntaxe les plus évidentes
de cette liste. On peut imaginer, naturellement, qu’un
notaire opérant à Compiègne en 1046
n’a pas voulu se mêler de corriger les toponymes de la
liste qu’on lui avait donnée à recopier, soit
par manque d’esprit d’initiative, ou de peur d’altérer
des noms de lieu étampois dont il ne connaissait sans
doute pas l’arrière-plan vernaculaire. Mais enfin il
aurait pu corriger quelques autres fautes de grammaire.
Il
paraît donc légitime de douter de l’authenticité
même de notre charte dans son entier: on pourrait
parfaitement imaginer que le faussaire a simplement recopié
les parties purement formelles d’une charte quelconque
de Henri Ier, en y insérant, d’une part, une ancienne
liste des biens des chanoines qu’il aura retrouvée
dans les archives de la collégiale, puis quelques items de
son cru en rapport avec les différents conflits d’intérêt
qui étaient ceux des chanoines à son époque,
à une période indéterminée comprise
entre 1046 et 1364.
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(1)
Ces fautes d’orthographe n’apparaissent pas dans le texte
de Fleureau qui normalise comme à son habitude l’orthographe
des chartes (encore qu’il ait laissé passer
par négligence une faute de grammaire évidente
qu’on retrouve dans A mais non dans B, ne… hospitantur
pour ne… hospitentur). Mais sa faute immutabilis
pour imitabilis atteste que sa source
avait la même tendance à multiplier les consonnes
doubles.
(2) Perpettue,
immitabilis, primittive, sollers,
mollendinum (les cinq autres
occurrences du mot molendinum n’ont
qu’un seul l), dissimullando
et sans doute Sewanni (pour le double n).
On remarque que A, qui d’une manière générale
est beaucoup plus infidèle que B tend à corriger
ce travers: perpetue, solers, dissimulando,
et va même trop loin dans ce sens dans le cas
de tranquilitas, sans parler de
imnitabilis, Stamp’
(Stampis), domni (domini), Sevanni
(Sewanni), xl° (xlmo).
La comparaison avec le reste du cartulaire, où cette
tendance est absente, montre clairement qu’elle provient
bien de ses deux sources, et donc de leur source commune, et
que celui des deux témoins qui en présente le
moins est corrigé par rapport à cette source. Les
quelques diplômes originaux édités de manière
critique par Tardif en 1866 ne manifestent pas cette tendance
qui paraît donc propre à la copie locale qui a été
utilisée par le faussaire, car l’interpolation ne présente
pas de telles consonnes doubles.
|
Indices
d’authenticité
Ce qui plaide néanmoins
très fortement en faveur de l’authenticité
c’est la modestie tout
d’abord de ce qui est attesté
par cette charte, abstraction faite du passage si évidemment
inauthentique.
Le
fait le saillant, à cet égard, est
l’absence de toute référence à une
fondation de la collégiale par le roi Robert II.
La liste des items dont la possessions est confirmée
aux chanoines ne mentionne ce roi qu’en passant comme ayant
accordé une petite rente à la communauté,
sans que même aucune charte ait été
accordée en son temps par le dit roi. Le roi Henri de
son côté atteste seulement que son père
à donné son accord aux donations opérées
par ses vassaux. Maurice Prou, évoquant en note notre
charte dans son édition de celle de 1082, écrit
que «le diplôme du roi Robert est perdu» (3); mais
s’il avait consulté avec plus d’attention la charte
d’Henri, il en aurait plutôt tiré la même conclusion
que nous: ce diplôme n’a jamais existé, sans quoi celui
d’Henri n’aurait pas du tout la forme qu’il a; un faussaire n’aurait
pas rédigé de lui-même des passages si évidemment
en contradiction avec ce qu’on voulait faire croire au XIIIe
siècle.
Rien
n’indique non plus en dehors de notre interpolation
que le titre d’abbé de Notre-Dame revienne au
roi, ni que ce dernier se réserve quelque droit
que ce soit à ce sujet, pas même le patronat;
et au contraire tout s’y oppose, si l’on veut bien y réfléchir
un instant. Car si le faussaire était aussi l’auteur
de l’ensemble de notre charte, il n’aurait pas manqué
d’y mentionner, dans la section appelée l’exposé,
les droits et les liens particuliers du roi avec le chapitre
de Notre-Dame d’Étampes.
Un
troisième indice non négligeable de
ce que le faussaire s’est cantonné à interpoler
ces nouveaux items, est l’absence de faute grammaticale ou
orthographique dans la section évidemment apocryphe
qu’on lui doit, et spécialement l’absence de consonnes
doubles indésirables, ce qui tend à démontrer
que toutes celles qu’on trouve ailleurs dans le texte sont
à attribuer à la source qu’il a utilisée,
qui était une copie locale de l’original assez fautive.
Le
quatrième indice qu’on peut faire valoir en
faveur de l’authenticité est qu’il existe un lien
organique et non ostensible entre l’exposé et
la partie du dispositif qui énumère les biens
du chapitre. Le principal donateur mentionné par
Henri Ier, Herchembault, est un personnage
local dont nous ne savons rien par ailleurs et qui n’est même
pas mentionné par la liste, qui en revanche donne
incidemment les noms de trois autres donateurs auxquels faisait
allusion le roi sans les citer, à savoir Thion
d’une part, Robert II lui-même
d’autre part et enfin Benzelin et sa
fille Alais, ces derniers étant,
à nouveau, de parfaits inconnus par ailleurs.
Enfin
si le faussaire avait tout composé lui-même,
il est douteux qu’il aurait lui-même fait le choix
d’insérer dans le texte du dispositif une liste non
remaniée où les chanoines parlent à
la première personne du pluriel, et, s’il l’avait fait,
il aurait continué de la même manière
la liste de ses items apocryphes.
Concluons:
que la charte elle-même soit authentique ou
non, la liste des possessions du chapitre qu’elle a reproduite
présente quant à elle tous les caractères
de l’ancienneté et de l’authenticité;
mais comme, par ailleurs, elle s’insère harmonieusement
dans le cadre de l’acte qui nous l’a conservé (au
contraire de l’insertion apocryphe que nous avons mise en évidence),
absolument rien ne permet de douter que nous sommes en présence
d’une charte authentique, donnée par Henri Ier aux
chanoines de Notre-Dame d’Étampes, à Compiègne,
un beau jour de l’année 1046.
|
Sceau
d’Henri Ier
(3)
Op. cit., p. 274, n. 1 Dejà,
avant lui, Pardessus.
Sceau de Robert II le Pieux
|
IV. Traduction et commentaire
09. Traduction annotée sommairement
[TITRES DES COPIES]
[TITRE DE LA PREMIÈRE
COPIE DANS LE CARTULAIRE]
Copie faite sur l’original: comment il appert
que la justice laïque ne peut appréhender un
chanoine d’Étampes ni rien saisir dans les maisons
où ils demeurent, sous peine de 100 livres d’amende.
[TITRE DE LA COPIE DE 1364 SOURCE DE CETTE
PREMIÈRE COPIE] Donné
par copie sous le sceau de la prévôté
d’Étampes l’an de grâce 1364 le lundi 18e jour
du mois de juin (1).
[TITRE DE LA DEUXIÈME COPIE DANS LE
CARTULAIRE] Charte donnée par
le roi Henri (2): comment la justice
étampoise et les hommes d’un sergent (3) ne peuvent
rien prendre dans les demeures des chanoines sous peine de 100 livres
d’amende, et confirmation d’un grand nombre de précaires et d’alleux
(4).
[ACTE LUI-MÊME]
[INVOCATION] Au nom de la
très sainte et indivisible Trinité.
[SUSCRIPTION]
Moi Henri par la grâce de Dieu roi des Français.
[PRÉAMBULE] Faire connaître (5) les largesses que la dévotion a inspirées à
la piété humaine en faveur du culte divin,
c’est se mettre au service des établissements patronnés
par les saints (6) et
des communautés de croyants, et ainsi s’assurer une
protection autant pour la vie présente que pour la vie éternelle, comme on en a eu de nombreuses
preuves depuis longtemps. Ce fruit de la première-née des vertus, à savoir
de la charité, est donc des plus salutaires et doit être
imité de tous (7): c’est grâce à lui que la paix se
répand sur le monde, et qu’aux heureuses récompenses
qu’il nous mérite succèdera l’éternelle
félicité.
[NOTIFICATION] Qu’il soit
donc connu de la diligence experte de tous les fidèles
de notre sainte mère l’Église et des nôtres (8) [EXPOSÉ] que s’est respectueusement
portée en la présence de notre Sérénité
la pleine unanimité de Sainte-Marie (9) de la
place forte (10) d’Étampes, réclamant et suppliant instamment
que soient certifiées par un édit
de notre autorité les donations que le prévôt
Herchambault (11) et plusieurs
autres, avec l’autorisation ou plutôt avec l’approbation
de mon père de bonne mémoire Robert, avaient
concédées au dit établissement.
[DISPOSITIF] Voici les items
dont ils ont demandé qu’il y soit souscrit:
«1. Le village appelé Chancul
[Champdoux] avec
toutes ses dépendances sans la moindre réserve;
2. une précaire dans le territoire de Sainte-Croix
avec tous ses droits coutumiers; 3. le droit de sépulture
pour la forteresse d’Étampes, ainsi que pour tout son faubourg
y compris l’église Saint-Basile (12), depuis
le moulin de Seguain (13) jusqu’à
la terre qui touche au vieux bâtiment (14) de Brunehaut
et jusqu’à la rive de la Louie (15); 4. un
moulin avec les hôtes (16) et tout
le droit coutumier qui nous reviennent, dans le dit
faubourg; 5. les offrandes déposées sur l’autel
de Sainte-Marie tout au long de l’année sauf lors
de l’Assomption de sainte Marie (17); 6. un alleu appelé
à-Magneruel-et-Fromonvilliers
[Richerelles (18) et
Fromonvilliers (19)] avec tous ses droits
coutumiers; 7. un alleu appelé à-Anzanvilliers (20) provenant d’un don
du chevalier Thion (21) avec tout son droit coutumier; 8. un alleu dans
le domaine appelé Aube-Terre (22) avec deux
hôtes (16) et avec tout son droit coutumier;
9. un alleu appelé au-Mont-Losbert (23) avec
tout son droit coutumier; 10 une précaire dans le domaine appelé
aux-Nouare-Mares (24) avec
tous ses droits coutumiers moyennant un cens de douze deniers;
11. un alleu dans le domaine appelé
Morigny (25); 12.
deux moulins à Bierville (26) moyennant un
cens de dix sous, lequel cens, extrait du trésor royal
d’Étampes, par un don du roi Robert (27), est
reversé au bénéfice de l’Église; 13.
à Saclas (28) un demi-moulin en gage
pour un montant de trois onces d’or et quarante sous; 14. au susdit
Bierville un moulin moyennant un cens de trois sous; 15. les dîmes
provenant des Coutures-le-Roi [les
Hautes-Coutures] (29) qui sont en contre-haut
des Vés-Étampes (30); 16. à côté
de notre susdit moulin dans le faubourg une vigne avec deux hôtes
moyennant un cens de cinq deniers (31); 17. sous la forteresse
d’Étampes un arpent et demi de vigne (32) qui paie
quatorze deniers; 18. un alleu à Mébon
[Bonvilliers]
(33)
, qu’a donné Alais (34), fille
de Benzelin, pour les funérailles de ce dernier; 19.
un autre alleu qu’a donné la susdite Alais, après le
décès de ce dernier et de son mari (35), dans le
village appelé Rouvray».
[ADDITION APOCRYPHE
DU XIIIe SIÈCLE: 19. Et
que le prévôt d’Étampes ni aucune
autre personne n’ose rien occuper ni saisir dans les
maisons des chanoines, et qu’on n’impose le droit de gîte
aux chanoines en aucune manière; 20.
et si, à l’avenir un poste était concédé
à quelque personne pour l’administrer, que la dignité
qui lui sera accordée ne puisse porter préjudice
aux chanoines: nous avons concédé tous les
ministères de l’église au pouvoir et à
la volonté des chanoines;
21. que les affaires des chanoines
ne soient pas arbitrées par le jugement d’une personne
séculière sinon seulement par le jugement du
roi ou bien par celui du préchantre auquel aura été
déléguée l’administration de cet établissement.]
[SUITE DU DISPOSITIF AUTHENTIQUE] Les ci-dessus items mis par écrit pour qu’il y soit
souscrit, ceux qui ont déjà été
accordés et ceux qui à l’avenir, seront
dispensés, nous les accordons par édit royal
et nous les certifions en les confirmant par notre autorité,
[CLAUSE FINALE (PÉNALE)]
avec cette clause: si quelqu’un, dissimulant ou négligeant
la loi, tente d’y porter atteinte, que son entreprise
échoue complètement, et qu’il paie cent
livres d’or au trésor royal (36).
[DATE] Fait à
Compiègne (37)
l’an 1046 de l’Incarnation du Verbe,
et 16 du règne du roi Henri.
[SUSCRIPTION FINALE]
C’est moi le chancelier Baudouin, qui, tout en relisant,
ai soussigné.
|
(1) On est au tout début du règne
de Charles V, Jean II le Bon vient de mourir à
Londres; le comté d’Étampes est aux mains
de Louis II d’Évreux et de son épouse Jeanne
d’Eu.
(2) Henri Ier, troisième fils
de fils de Robert II le Pieux et petit-fils de Hugues
Capet, né en 1008, sacré dès 1027,
règne depuis la mort de Robert en 1031.
(3) De l’officier royal, c’est-à-dire,
public.
(4) Un alleu
est une terre que l’on détient en pleine
propriété, tandis que la jouissance d’une
précaire (théoriquement
révocable comme son nom l’indique) impose
de reconnaître, par des redevances et des prestations,
l’existence et la supériorité d’un autre
propriétaire, le seigneur.
(5) Est-il question de fournir soi-même
des biens (l’un des sens d’exhibere), ou de faire
état des donations d’autrui (autre sens de ce verbe)?
Nous penchons clairement en faveur de ce deuxième sens;
plusieurs passages des chartes du temps expriment en effet nettement
le caractère en soi méritoire de cette action.
(6) C’est ce que signifie en latin médiéval,
au moins depuis l’époque carolingienne, l’expression
difficile à traduire loci sanctorum,
littéralement «les lieux des saints», tour
que Fleureau a altéré en «lieux saints».
(7) Et non pas «immuable pour tous»
(?), comme le laisserait croire le texte corrompu que donne Fleureau
et que conserve Montrond. On n’est pas loin ici de l’idéologie
de la paix de Dieu caractéristique du règne de Robert
II.
(8) Corrélativement la charte
est rédigée eu deux exemplaires originaux,
l’un destiné aux chanoines eux-mêmes, l’autre
conservé par l’administration royale.
(9) C’est-à-dire le chapitre,
l’ensemble des douze chanoines.
(10) Latin castrum,
ancien français châtre, qu’on pourrait peut-être
remettre à l’honneur.
(11) La forme Archambault n’a pas de
raison d’être ici car elle repose sur une confusion
entre la racine d’origine grecque arch-
et l’étymologie germanique erchen-
que le latin a parfaitement et délibérément
conservée.
(12) Littéralement: «le
castrum et (et) tout le suburbium
avec (cum)», c’est-à-dire «y
compris» l’église Saint-Basile.
(13) Sewannus,
graphie non attestée par ailleurs à
ma connaissance d’un anthroponyme qui doit être le
même que Sewinus, forme alternative
de Seguinus, prononcé de toute
façon Sevin ou plutôt
Seguin, mais ici compris Sevain
et latinisé sur le modèle de
Silvain, latin Sylvanus.
Le double n est sans doute à mettre au compte
du copiste intermédiaire antérieur au faussaire.
(14) Edificium Brunechildis.
Le texte de la première version du cartulaire
(moins fiable) porte ici un texte différent:
Officium turris Brunechildis, «jusqu’à
la terre qui appartient (autre sens du verbe pertinere)
à l’antique ensemble domanial (?) (officium)
de la tour de Brunehaut». Notons que ce sens médiéval
du mot officium est fort rare ( on trouve
aussi celui de «lieu où l’on rend la justice»),
et surtout que le texte de A, seul à porter cette leçon
est corrompu en plusieurs endroits; que Fleureau ne l’a pas
lu dans leur source commune; et qu’enfin le mot
edificium est pour sa part bien représenté
dans la langue des chartes du temps, spécialement dans
les descriptions de ce genre.
(15) Et non pas de la Juine (erreur de
Fleureau non corrigée par Montrond). Voir le commentaire.
(16) Un hôte est un tenancier
qui n’est théoriquement pas soumis au seigneur de par son statut
personnel (à la différence des hommes de corps),
mais seulement de par la coutume de la seigneurie où il réside.
(17)
C’est-à-dire le 15 août, où,
comme il sera précisé en 1120, les offrandes
reviennent à l’abbé.
(18) Magniruallo
et non Magnervallo comme le transcrivent Fleureau et Montrond,
c’est-à-dire «Ruel de Magne»
ou «de Mainier», est devenu entre 1046 et
1343 Richerelles (hameau de la commune d’Andonville, tout
proche de Fromontvilliers), «Ruel de Riche» ou «de
Richer», par une évolution comparable à
celle de la Ferté Baudouin devenue la Ferté
Alais.
(19) Frotmundiuillario
(transcrit erronément Frotmunvillario
par Fleureau, Frotmunivillario
par Menault, Frutmanvillaria par Martin),
c’est-à-dire «ferme de Fromont».
(20) Nous n’avons pu localiser ce lieu-dit.
(21) Étampois bien connu par
ailleurs, notamment par une donation aux moines de Fleury
antérieure à 1031.
(22) Ou Obterre, lieu-dit
de la commune de Chalô-Saint-Mars, aujourd’hui Les
Boutards.
(23)
Lieu-dit non identifié. Cet anthroponyme
rare paraît bien avoir été en usage
à Étampes puisque nous voyons en 1246 un
certain Lobert d’Étampes (Loobertus)
panetier de saint Louis.
(24) Peut-être les
Hautes-Mares (c’est-à-dire la Pointe à
Corbeil) et les Basses-Mares, au Chesnay. Nouare (Nuara)
est d’après le contexte un anthroponyme vraisemblablement
féminin.
(25) Première mention
de ce lieu-dit, une génération avant l’arrivée
des moines de Saint-Germer-de-Fly.
(26) Hameau de la commune
de Boissy-la-Rivière.
(27) C’est apparemment
la seule donation faite par le roi lui-même aux
chanoines: on leur rend le cens qu’ils continuent tout de même
de verser pour marquer qu’ils ne sont pas seigneurs
de ces moulins.
(28) Il s’agit bien de Saclas,
malgré les réticences de Sœhnée
égaré par une mauvaise leçon de la
version A,
(29) Tout le secteur jusqu’à
Lhumery paraît avoir été originellement
de possession royale. Il y existe encore une terre dite les Hautes
Coutures.
(30) Le mot vés,
«gués» se prononçait
en ancien français comme l’adjectif
vez, «vieux, vieilles», de
sorte que l’expression «les Gués d’Étampes»,
qui désignait le secteur de Saint-Martin d’Étampes
depuis l’époque mérovingienne, après
l’érection d’un pont sur la Louette et la Chalouette
vers le 10e siècle, a été compris «les
Vieilles Étampes».
(31) Et non pas cinq sous,
ce qui serait douze fois plus
(32) Vigne non localisée
à notre connaissance.
(33) Mansus
Bavonis, que nous rendons audacieusement ici
par «Mébon» puisque
Mansus Roberti a bien donné donné «Mérobert».
Il apparaît que le tour Manse de Bavon
a ultérieurement été remplacé
par le tour Villier de Bavon (Bavonis
villare). Les deux termes désignaient un
«domaine», sans qu’on puisse préciser la
nuance qui les distinguait éventuellement.
(34) Latin Adeladis,
comme plus tard la dame éponyme de la Ferté-Alais.
(35) C’est bien l’un des sens usuels de dominus.
(36) C’est la peine la plus fréquemment
envisagée pour ce genre d’actes au moins sous
Robert II et Henri Ier. Le mot latin fiscus
alterne librement selon les chartes avec ærarium.
(37) Compiègne (Oise)
est depuis le règne de Dagobert (629-638) l’un
des sièges principaux du gouvernement itinérant
des rois mérovingiens, carolingiens, puis
capétiens.
|
10. Texte normalisé
et traduction vis-à-vis
Nous donnons ci-après
un texte à l’orthographe normalisée,
à l’intention des latinistes qui ne seraient
pas familiers avec les graphies du latin médiéval
et pour faciliter les recherches des internautes. Nous
gardons cependant pour «alleu», la
graphie alodus (au lieu de la forme canonique postérieure
neutre allodium), et de même pour
«arpent», la graphie arpennum plutôt
que la forme canonique postérieure arpentum. Nous portons en regard une traduction allégée
de toute note.
[TITRES DES COPIES]
Donné
par copie soubz le seel de la preuosté
d’Estampes l’an de grace mil .ccc. soixante et quatre
le lundi xvii° iour du moys de iuing.
[A] Copie
faicte à l’original. Comment il appert
que la iustice laye ne peulent mettre la main a ung
chanoine d’Estampes ne prendre riens ès maisons où
ilz demeurent sur pene de .c. livres d’ammende.
[B]
Carta data a rege Henrico, quomodo justitia
Stampensis virique servientis non possunt aliquid
accipere in domibus canonicorum sub poena C librorum, et
de confirmatione praecariarum et alodorum plurimorum.
|
[TITRES DES COPIES]
[Titre de la copie
de 1364] Donné par copie sous le sceau de
la prévôté d’Étampes l’an de grâce
1364 le lundi 18e jour du mois de juin.
[Titre
de la version A (fin XVe siècle)] Copie faite sur l’original: comment il
appert que la justice laïque ne peut appréhender un
chanoine d’Étampes ni rien saisir dans les maisons où
ils demeurent, sous peine de 100 livres d’amende.
[Titre de la version B (fin
XVe siècle)] Charte donnée
par le roi Henri: comment la
justice étampoise et les hommes d’un sergent
ne peuvent
rien prendre dans les demeures des chanoines sous peine de 100
livres d’amende, et confirmation d’un grand nombre
de précaires et d’alleux.
|
In
nomine sanctae et individuae Trinitatis. Ego Henricus Dei
gratia Francorum rex.
Cum in exibitione temporalium rerum quas humana religio divino cultui famulando locis sanctorum et congregationibus fidelium
ex devotione animi largitur tam praesentis quam perpetuae
vitae, ut jam pridem
multis expertum est indiciis, solatium adquiratur, saluberrimus valde et omnibus imitabilis est hic fructus primitivae virtutis, scilicet caritatis, per quem et mundi prosperatur
tranquillitas et felici remuneratione aeterna succedit felicitas.
Noverit
ergo omnium sanctae matris ecclesiae fidelium,
et nostrorum sollers curiositas, quod devote accesserit
ad nostrae serenitatis praesentiam
communis assensus Sanctae Mariae Stampensis castri, postulans
et obnixe obsecrans
nostrae auctoritatis praecepto firmari ea quae Herchembaldus
praepositus, et plures alii,
annuente uel potius favente bonae memoriae
genitore meo Roberto, praedicto loco concesserant.
Sunt autem
quae annotari petierunt
haec: Vicus qui dicitur Canis Culus
cum omnibus appendentiis sine
ulla redhibitione; praecariam unam in terra Sanctae
Crucis cum omnibus consuetudinibus sub censu V solidorum; sepultura Stampensis castri et totius suburbii
cum ecclesia sancti Basilii, a molendino Sewanni
usque ad terram quae pertinet
ad vetus aedificium
Brunihildis et usque ad ripam Louiae; molendinum unum cum
hospitibus cum omni consuetudine ad nos pertinentibus
in eodem suburbio; oblationes altaris
sanctae Mariae per totum annum, excepta Assumptione
sanctae Mariae; alodum unum qui
dicitur Magni Ruallo et Frotmundi Villario cum omnibus
consuetudinibus; et unum alodum qui dicitur Anseni Villario ex
beneficio Teudonis militis cum omni consuetudine;
et unum alodum in villa quae dicitur Alba Terra
cum duobus hospitibus et cum omni
consuetudine; et unum alodum in villa quae dicitur Monte
Losberti cum omni consuetudine; et praecariam unam in villa quae dicitur Nuarae Mariis cum omnibus consuetudinibus sub censu duodecim
denariorum; et unum alodum
in villa quae Mauriniacus dicitur; et
duos molendinos in Biervilla sub censu X
solidorum, qui census de fisco regali Stampis donante Roberto rege ad opus ecclesiae persolvitur;
in Sarcleiis dimidium molendinum
in vadimonio precii III unciarum auri et XL solidorum; in supradicta Biervilla molendinum unum sub censu III
solidorum; et de Culturis
Regis quae super Stampas Vetulas
sunt decimas; et juxta molendinum nostrum praedictum
in suburbio
vineam cum II hospitibus
sub censu V denariorum;
subtus castrum Stampis vineae
arpennum et
dimidium qui solvit XIV denarios; et unum alodum apud Mansum Bavonis
quem dedit Adeladis filia Benzelini propter sepulturam
ejus; et alium alodum
quem dedit supradicta
Adeladis
post excessum ejus et domini sui in villa quae dicitur Rovreia
[et ne praepositus
Stamparum vel aliqua
persona alia audeat aliquid
invadere
vel accipere in domibus canonicorum; et ne hospitentur
canonici ullomodo;
si autem in posterum alicui personae locus concederetur
ad custodiendum, ne ejus praelatio canonicis obesse posset; omnia ministeria
ecclesiae canonicorum potestati et voluntati concedimus; et
ne discutiatur causa canonicorum judicio alicujus saecularis
personae nisi tantum
regis judicio aut praecentoris cui committetur ille locus
ad custodiendum.]
Haec supra annotanda exarata, quae hactenus sunt concessa et quae amodo, Deo donante, concedenda, regali praecepto
concedimus, et nostra auctoritate adstipulendo corroboramus, eo pacto ut, si quis legem dissimulando vel neglegendo, haec violare temptaverit, conatus illius omnino frustretur,
et fisco regali C librae auri persolvantur.
Actum
Compendii millesimo quadragesimo sexto anno incarnati Verbi, regnique Henrici regis decimo
sexto. Ego Balduinus cancellarius
relegendo subscripsi.
|
[ACTE LUI-MÊME]
Au nom
de la très sainte et indivisible Trinité.
Moi Henri par la grâce de Dieu roi des Français.
Faire connaître
les largesses que la dévotion
a inspirées à la piété humaine
en faveur du culte divin, c’est se mettre au service des établissements
patronés par les saints et des communautés
de croyants, et ainsi s’assurer une protection autant pour la
vie présente que pour la vie éternelle,
comme on en a eu de nombreuses preuves depuis longtemps.
Ce fruit de la première-née
des vertus, à savoir de la charité, est donc des
plus salutaires et doit être imité de tous: c’est
grâce à lui que la paix se répand sur le
monde, et qu’aux heureuses récompenses qu’il nous mérite
succèdera l’éternelle félicité.
Qu’il soit
donc connu de la diligence experte de tous les fidèles de
notre sainte mère l’Église et des nôtres que s’est respectueusement portée en la présence
de notre Sérénité la pleine unanimité
de Sainte-Marie de la
place forte d’Étampes,
réclamant et suppliant instamment que soient
certifiées par un édit de notre autorité
les donations que le prévôt Herchambault
et plusieurs autres, avec l’autorisation
ou plutôt avec l’approbation de mon père de
bonne mémoire Robert, avaient concédés
au dit établissement.
Voici les items dont ils ont demandé
qu’il y soit souscrit: Le village
appelé Chan Cul avec toutes ses dépendances
sans la moindre réserve; une précaire
dans le territoire de Sainte-Croix avec tous ses droits coutumiers;
le droit de sépulture pour la forteresse d’Étampes,
ainsi que pour tout son faubourg y compris l’église
Saint-Basile, depuis le moulin de Seguain jusqu’à
la terre qui touche au vieux bâtiment de Brunehaut
et jusqu’à la rive de la Louie; un moulin avec les hôtes
et tout le droit coutumier qui nous reviennent, dans le dit faubourg;
les offrandes déposées sur l’autel de Sainte-Marie
tout au long de l’année sauf lors de l’Assomption
de sainte Marie; un alleu appelé à-Magneruel-et-Fromonvilliers
avec tous ses droits coutumiers; un alleu appelé
à-Anzanvilliers provenant d’un don du chevalier
Thion avec tout son droit coutumier; un alleu dans le domaine
appelé Aube-Terre avec deux hôtes et avec tout
son droit coutumier; un alleu appelé au-Mont-Losbert
avec tout son droit coutumier; une précaire dans le
domaine appelé aux-Nouare-Mares avec tous ses droits coutumiers
moyennant un cens de douze deniers; un alleu dans le domaine
appelé Morigny; deux moulins à Bierville moyennant
un cens de dix sous, lequel cens, extrait du trésor royal d’Étampes,
par un don du roi Robert, est reversé au bénéfice
de l’Église; à Saclas un demi-moulin en gage pour un
montant de trois onces d’or et quarante sous; au susdit Bierville
un moulin moyennant un cens de trois sous; les dîmes provenant
des Coutures-le-Roi qui sont en contre-haut de d’Étampes
les Vés; à côté de notre susdit moulin dans
le faubourg une vigne avec deux hôtes moyennant un cens de
cinq deniers; sous la forteresse d’Étampes un arpent et demi
de vigne qui paie quatorze deniers; un alleu à Mébon
qu’a donné Alais, fille de Benzelin,
pour les funérailles de ce dernier; un autre alleu qu’a donné
la susdite Alais, après le décès de ce dernier
et de son mari, dans le village appelé Rouvray.
[INTERPOLATION DU XIIIe SIÉCLE]:
Et que le prévôt d’Étampes
ni aucune autre personne n’ose rien occuper ni saisir
dans les maisons des chanoines, et qu’on n’impose le droit
de gîte aux chanoines en aucune manière; et
si, à l’avenir un poste était concédé
à quelque personne pour l’administrer, que la dignité
qui lui sera accordée ne puisse porter préjudice
aux chanoines: nous avons concédé tous les ministères
de l’église au pouvoir et à la volonté
des chanoines; que les affaires des chanoines ne soient
pas arbitrées par le jugement d’une personne séculière
sinon seulement par le jugement du roi ou bien par celui du
préchantre auquel aura été déléguée
l’administration de cet établissement.]
Les ci-dessus items mis
par écrit pour qu’il y soit souscrit, ceux qui ont
déjà été accordés et
ceux qui à l’avenir, seront dispensés, nous
les accordons par édit royal et nous les certifions en
les confirmant par notre autorité, avec cette clause: si
quelqu’un, dissimulant ou négligeant la loi, tente d’y
porter atteinte, que son entreprise échoue complètement,
et qu’il paie cent livres d’or au trésor royal.
Fait
à Compiègne
l’an 1046 de l’Incarnation du Verbe, et 16 du règne
du roi Henri. C’est moi le chancelier Baudouin, qui,
tout en relisant, ai soussigné.
|
11. Les biens du chapitre
en 1046
1.
Chancul (Canis Culus).
Sur le hameau (vicus) de Chancul, alias Champdoux,
qui n’est plus qu’une ferme, nous renvoyons à ce que nous
en avons déjà écrit (1).
Rappelons seulement ici nos conclusions: ce toponyme signifiait,
avec un jeu de mots certainement délibéré,
«Écart tenu par le dénommé Chien»;
en 1106, Gilbert Chien est le dernier abbé de Saint-Martin;
les Chien (dont le nom était prononcé localement
Chan) étaient donc une très noble
famille de l’Étampois. Ajoutons-y un nouvel indice
de leur puissance: il existe un lieu-dit Chanval
à Guillerval, commune voisine de celle d’Étampes,
dont l’étymologie n’est pas douteuse, «Val de Chien», et qui ne peut
qu’avoir appartenu à la même famille.
Dans la suite des temps, le lieu-dit Chancul
a pris le nom plus décent de Chandos
(Chandoux), où Dos remplace
Cul, évolution comparable à celle
qu’on observe à Dozulé
en Normandie, qui s’est autrefois appelé
Culuslé.
cla
L’ordre
de notre liste est peut-être aléatoire
mais certainement pas le choix du premier item mentionné.
Le principal donateur, à ce qu’il paraît,
avait été le prévôt Herchembault
(2), dont nous ne connaissons le nom que par cette
charte. Il est donc très probable qu’il est l’auteur
de la première donation mentionnée. Et si c’est
Herchembault qui a bien donné Chancul, c’est qu’il était
comme Gilbert à la génération suivante
d’une famille assez puissante au tout début du XIe siècle
pour que le roi y recrute et son prévôt et les
abbés de la plus ancienne collégiale de la
ville: c’était certainement un Chien.
|
Chandou et le Chesnay vers
1756
(1)
Cahier d’Étampes-Histoire n°6,
pp. 76-79. Ajoutons que dans le même diocèse
de Sens, Villecien, commune
de l’Yonne, est cité au XIIe siècle sous le nom
de Villa Canis, comme une possession
de l’abbaye de l’abbaye de Vauluisant (fondée en 1127
à Courgenay dans l’Yonne) puis au XIIIe siècle
comme appartenant à Saint-Pierre-le-Vif de Sens. Il existe
aussi une commune de Villechien dans la Manche (citée dès
1096).
(2) Et non pas le roi Robert
lui-même, comme l’écrivent avec un curieux
aveuglement presque tous les auteurs qui se réfèrent
à notre document, dont L.-E. Lefèvre,
op. cit., p. 9.
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2. Une précaire dans la terre de Sainte-Croix.
Il ne s’agit évidemment pas ici de la collégiale
Sainte-Croix d’Étampes, comme l’affirme par
erreur Sœhnée (1), puisque cette église
ne sera fondée qu’en 1183, mais du chapitre de Sainte-Croix
d’Orléans, qui possède depuis l’époque
carolingienne (2) un vaste domaine comprenant les lieux-dits actuels
Ormoy-la-Rivière, Boissy-la-Rivière, la Forêt
Sainte-Croix et le Mesnil-Girault (3). Les propriétaires
ecclésiastiques de l’époque carolingienne accordaient
fréquemment à des chevaliers (milites) de telles
précaires, avec pour condition de défendre leurs terres.
Ainsi entrée dans le patrimoine d’une famille de chevaliers,
elle a été donnée ou léguée au
chapitre de Notre-Dame d’Étampes, qui se trouve ainsi sur cette
terre vassal de celui de Sainte-Croix d’Orléans.
|
(1) Loc. cit.
(2) Un diplôme de Carloman
de 883 confirme la donation de cette terre et de ses
dépendances faite par son grand-père
Charles le Chauve (843-877). Les confirmations suivantes
précisent le nom des dépendances principales,
à partir d’un diplome de Lothaire de 956.
(3) Voyez l’étude récente
d’Alain Devanlay, «Le domaine du Chapitre de la cathédrale
Sainte-Croix d’Orléans dans l’Étampois (IXe siècle-XVIIIe
siècle)», in Cahier d’Étampes-Histoire
7 (2005), pp. 58-71
|
3a.
La forteresse d’Étampes.
Il s’agit ici de la partie fortifiée de la ville,
castrum, correspondant à l’ancien français
châtre, terme qu’il faudrait peut-être
remettre à l’honneur. La suite permet de se faire
une idée de l’extension de cette enceinte, nettement
plus restreinte que ce qu’a suggéré Michel
Martin en 2003.
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|
3b.
Tout le faubourg y compris l’église
Saint-Basile. Littéralement: du
castrum «et» (latin
et) de tout le suburdium
«avec» (latin cum),
c’est-à-dire «y compris» l’église
Saint-Basile. La préposition cum,
dans les listes de ce genre, introduit habituellement une sous-partie
de l’item dont on parle plutôt qu’un nouvel item à
proprement parler. Le contexte semble bien indiquer que l’église
Saint-Basile est alors en dehors des remparts, sous (sub-)
les murs de la ville (-urbi-), hors du châtre.
Le sens naturel du texte implique donc que l’église Saint-Basile
n’était pas comprise dans l’enceinte du castrum,
contrairement à ce qu’affirmait encore récemment
Michel Martin avec insistance (1).
De plus, on ne peut donc
plus également en attribuer la construction à
Robert II, comme je l’ai fait moi-même dans un article
précédent (2), à la suite
de Fleureau et de tous les historiens d’Étampes.
La base de cette croyance était le témoignage
d’Helgaud qui attribue à Robert la fondation à
Étampes d’une deuxième église dont il
ne donne pas la titulature mais qu’il situe dans le palais:
Item in ipso castro, ęcclesiam unam in palatio.
Or
le palais était évidemment dans l’enceinte
de la forteresse (3), mais non pas Saint-Basile.
Il en faut donc conclure que cette deuxième église
était bien la simple chapelle de ce palais, dont dans
un autre passage Helgaud attribue plutôt la fondation
à la reine Constance, et qui fut ultérieurement
déplacée avec celui-ci, du côté
de Guinette, en dehors de la première enceinte, hypothèse
déjà envisagée par Fleureau, mais rejetée
par lui pour de mauvaises raisons (4).
De
plus, au début du XIIe siècle, lorsque
Hugues de Sainte-Marie (lui aussi moine de Fleury) fait à
son tour la liste de ce qu’a bâti Robert II, il ne
mentionne plus en ce sens qu’une seule église à
Étampes, Notre-Dame (5).
La fondation de Saint-Basile, mentionnée sous Henri
Ier comme une dépendance de Notre-Dame dans une liste
de possessions remontant au règne précédent,
remonte donc nécessairement, soit à Hugues
Capet, ou plutôt à la période carolingienne
(6), comme l’indique la caractère très archaïque
des sculptures qui ornent encore pour quelques années
son tympan, et dont je rappelle qu’elles sont en voie de disparition totale sans que personne ne
paraisse s’en soucier.
Cette hypothèse
n’est pas déraisonnable du point de vue d’un spécialiste
du culte des saints en Île-de-France. Pierre Gillon en effet, de l’Université de Picardie, en réaction
à la première mise en ligne de cet article
(7), nous écrit que «la mémoire de Basile a été
commémorée dans les monastères dès
lors que la Règle de saint Benoît s’est imposée
au début du IXe siècle»;
or «la fondation d’Étampes est une titulature rare
(pas d’autre en Ile-de-France; en Normandie, J. Fournée (8) n’en
signale que trois sur 4334 églises), à connotation
fortement monastique»; on peut donc effectivement se demander «s’il ne s’agirait pas d’une petite
fondation monastique carolingienne, absorbée par la nouvelle collégiale».
Griffon
de Saint-Basile d’Étampes régurgitant une jambe
(Xe ou XIe siècle)
|
(1) Op. cit., pp.75, 85
(plan) et 187.
(2) Cahier d’Étampes-Histoire
6 (2004), pp. 54-66.
(3)
Où était le palais de Robert le Pieux? Fleureau
et la plupart des auteurs ultérieurs le situent à
l’emplacement de celui qu’on appelé ultérieurement
le palais du Séjour, qui est l’actuel Palais de Justice. Mais
cette hypothèse posait déjà un problème
à l’époque de Fleureau où certain se sentaient
par suite obligés de supposer (à ce qu’il rapporte, op.
cit., p.26) «qu’ils y residoient seulement le jour, &
se retiroient le soir au Château pour le seureté de
leurs personnes». Michel Martin hésite: «En effet,
si le palais se situe à l’emplacement du du palais du Séjour,
il se trouve hors du castrum, contrairement à l’indication
du moine Helgaud» (op. cit., p. 141). En fait Monique
Chatenet a montré que le palais de Robert se trouvait plus probablement
dans le secteur encore appelé Donjon au XVIe
siècle, entre l’impasse aux-Cerf et la rue du Petit Panier.
«Selon l’acception médiévale, le terme donjon
désigne la partie principale du logis seigneurial — aussi bien
le lieu d’exercice du pouvoir que le complexe résidentiel»
(in Étampes, un canton entre Beauce et
Hurepoix, Paris, éditions du Patrimoine, 1999,
pp. 39-41).
(4)
Antiquitez, pp. 399-400.
Fleureau voit bien que castrum signifie
non pas proprement le château mais toute la partie
fortifiée de l’agglomération. Mais il pense qu’elle
a toujours eu la même extension et donc englobé,
dès l’époque de Robert II, le château
de Guinette et Saint-Basile. De plus il ne cite et donc connaît
ou ne veut connaître qu’un texte tronqué d’Helgaud (pp.
290 et 399), amputé de la mention in palatio,
«dans le palais». Le raisonnement de Fleureau, de toutes
façons parti sur la mauvaise base d’une information tronquée,
s’embrouille par ailleurs: car il prétend qu’il n’a jamais
existé rien d’autre dans le château qu’un
oratoire qui n’a jamais pu être appelé église,
ecclesia, alors que c’est bien le
titre que donne à la chapelle Saint-Laurent le premier document
qui en fasse mention, à savoir une bulle du pape Luce III
en date de 1185, qu’il cite lui-même, pages 317-318.
(5) Recueil des Historiens
de la France, tome XII, p. 794.
(6) On notera à titre de curiosité
que dans la Chanson de Roland (du XIe siècle),
le pommeau de la fameuse épée du héros,
Durandal, entre autres reliques prestigieuses, contient
«du sang de Saint-Basile» (mais, à ce que nous
indique Pierre Gillon, il a été démontré
qu’il y a alors confusion avec le saint martyr Basilide).
(7)
Pierre Gillon, courriel au Corpus Étampois en
date du 12 novembre, dont il nous a autorisé à reproduire
des passages, vu qu’il n’envisage pas de publier le résultat
de ses recherches sur saint Basile, dont le culte est trop peu
représenté en Île-de-France.
(8)
Le culte populaire et l’iconographie des saints
en Normandie, t. 1, Paris, 1973, p. 31.
|
3c.
Le moulin de Segain. Et non pas de
Sénaune, comme l’écrivait
Montrond d’après le texte de Fleureau qu’il a négligé
encore une fois de corriger. Le texte B porte
Sewannus, simplifié en Sevannus
par le texte A. Rappelons par ailleurs que nous dépendons
d’un copiste qui a tendance à redoubler les consonnes
et que par suite la leçon originelle était peut-être
Sewanus. Il s’agit peut-être d’une variante
locale de l’anthroponyme plus courant Sewinus,
autrement écrit Seguinus et Sevinus
(sur le modèle Albin,
Albinus). Nous supposons qu’il s’agit ici d’une
rétroversion latine maladroite de Seguin
/ Sewin, compris Segain,
Sewain (sur le modèle de Sylvain
qui provient bien pour sa part d’un latin Sylvanus).
Le nom de Sevinus, Sewinus
ou Seguinus a notamment été
porté par archevêque de Sens à
la fin du 10e siècle, sous le règne de Hugues
Capet et au commencement de celui de Robert le Pieux (1).
Le
contexte suggère que le moulin qui portait
se trouvait à la limite de la paroisse de Notre-Dame
du côté de Saint-Martin (puis de Saint-Gilles,
paroisse détachée ultérieurement
de celle de Saint-Martin). Deux possibilités se présentent.
Il peut s’agir, comme le suggère après d’autres
Michel Martin, du moulin ultérieurement appelé
Sablon, qui appartenait au roi, et qui de fait pendant des
siècles marqua la limite de la paroisse Notre-Dame, d’abord
avec celle de Saint-Martin, puis avec celle de Saint-Gilles lorsque
cette dernière fut constituée par un démembrement
de celle de Saint-Martin.
Mais
comme rien n’indique positivement que ce moulin de Segain
ait appartenu au roi, et comme son nom tend plutôt
à indiquer le contraire, on ne peut exclure que ce
moulin se soit trouvé plus bas, sur l’ancien cours de la
Louie ou Loa (c’est-à-dire
sur le cours du ruisseau dit de la Filière) encore
alimenté par les eaux de la Chalouette, avant que celles-ci
ne soient réunies elles aussi à celles de la
Louette devenue la Rivière d’Étampes. Ce serait
dans ce cas, un moulin depuis longtemps disparu.
|
(1)
Seguin de Sens a été un grand reconstructeur
dans toute l’étendue de son diocèse, au
moins à Sens même et à Melun: pourquoi
pas, donc, à Étampes?
|
3d.
Le vieux bâtiment de Brunehaut.
Jusqu’au début du XIXe siècle on
voyait encore dans ce secteur les assises certainement gallo-romaines
d’une tour circulaire que je soupçonne fortement
d’avoir été initialement un monument funéraire
plutôt que militaire, et qui portaient les ruines
de reconstructions ultérieures, peut-être mérovingiennes.
Il
est plus d’un site qu’on ait appelé Tour
de Brunehaut et pour certains depuis fort longtemps (1). Mais cela n’implique
pas que cette dénomination soit fantaisiste. Elle peut refléter
au contraire une occupation mérovingienne faisant
suite à l’occupation gallo-romaine du secteur, déjà
avérée par l’archéologie au XVIIe siècle.
A
Tongres en Belgique, des fouilles ont livré
déjà depuis le XIXe siècle une partie
d’autel dans les fondations du «Château de
Brunehaut», de même qu’on a trouvé au Brunehaut
d’Étampes à la fin du XVIIIe siècle
ou au début du XIXe un atlante ithyphallique toujours
conservé au Musée d’Étampes et provenant
lui aussi certainement, à mon sens, d’un autel gallo-romain
monumental.
|
(1)
Comme à Auxerre, à Girolles dans l’Yonne,
à Vaudémont et à Époisses en
Lorraine, ou à Chiny en Belgique, entre autres.
|
3e.
La Louie. En latin Louia,
et non pas Iunia. Tous les éditeurs
de notre texte écrivent que les chanoines ont le droit
de sépulture (sepultura) jusqu’à la
rive de la Juine (usque ad ripam Juinae). C’est l’une des
nombreuses fautes que Montrond n’a pas corrigées.
Nous donnons ci-contre la photographie du texte des deux versions
pour ce mot, et, à l’appui de cette lecture, ceux du mot locis
dans la même charte. Les deux textes manuscrits portent sans
aucun doute possible usque ad ripam Louie (1), c’est-à-dire
«jusqu’à la rive de la Lovie» ou plutôt «de la Louie», rivière
dont le nom se transcrivait encore Loa au VIIe
siècle, dans la chronique dite du pseudo-Frédégaire
(2). Fleureau s’est laissé obnubiler
par sa conception préconçue des limites
de la paroisse Notre-Dame, qui de son temps est séparée
de celle de Saint-Pierre par la Juine. Il est d’ailleurs
intéressant de noter que ce n’est pas le seul cas où
le nom de la Louette a été altéré
et abusivement remplacé par celui de la Juine (3).
Comment
donc comprendre notre texte? A mon sens il n’est qu’une
seule solution. Avant le détournement de la Louette,
cette rivière se joignait à la Chalouette.
Puis les eaux mêlées de ces deux rivières
suivaient le cours de ce qu’on a appelé, après
le détournement ultérieur de la Chalouette,
le ruisseau de la Filière, et ce jusqu’à
la Juine. Comment appelait-on le cours d’eau formé par
la réunion de la Louette et de la Chalouette? Selon les
conventions actuellement en vigueur, ce serait Chalouette, puisque
le cours de cette rivière en aval du confluent est nettement
plus long que celui de la Louette. Mais nos ancêtres n’avaient
que faire de telles conventions et il paraît bien qu’on
appelait alors la Louie (évolution du latin mérovingien
Loa), le cours des eaux réunies
de la Louette et de la Chalouette jusqu’à leur embouchure
dans la Juine.
Rappelons
qu’il ne s’agit pas alors de déterminer proprement
la limite des paroisses, mais l’étendue de la zone
où s’exerce le droit de sépulture du chapitre.
Dans ce cadre, la zone marécageuse qui séparait
la Loa de la Juine n’intéressait
pas alors grand monde, puisqu’elle était sans
doute alors inhabitée.
Quant
au cours supérieur de la Loa,
seul conservé, il a pris, ou plutôt conservé
pour nom la forme diminutive que l’on accorde usuellement
aux affluents de certaines rivières tels que le
Loiret (Ligeritus, petite Loire, Ligeris)
ou la Moselle (Mosella, petite Meuse,
Mosa). Il en a été de même,
probablement en grande partie par analogie, pour le cours
supérieur de la Chalouette dont le nom originel, d’après
un diplôme de 615 (4), était
Calla, sans trace de diminutif, ce qui aurait
dû donner à l’époque moderne Challe
ou Chelle (5).
Cette hypothèse
nous paraît plus séduisante que celle qu’ont développée
récemment Olivier Devilliers et Jean Meyer (6) et qui
suscite les justes réticences de Michel Martin (7): l’origine
de ces diminutifs seraient dû selon eux à une
baisse du débit de ces rivières.
|
LOUIE (version A)
|
LOUIE (version B)
|
LOCIS (version A)
|
LOCIS (version B)
|
(1) Le -e
final est un génitif que Fleureau aurait transcrit
selon l’usage de son temps par -æ.
(2) Voyez ce que j’en ai écrit
dans le Cahier d’Étampes-Histoire 6 (2004),
p. 75 n. 12 où j’ai traduit et commenté ce passage
(et de même Michel Martin, ibid., pp. 67-70).
(3) Ainsi, dans la Chronique
d’Aimoin, lorsqu’elle reproduit le récit
de celle de Frédégaire dont nous venons de parler
, ne parle plus de la Louette (Loa) mais de la Juine
(orthographié Ionia). Dans les deux
cas, le L initial est pris pour un I; à quoi s’ajoute
le préjugé, qui dispose toujours à lire ce
qu’on connaît, ou ce à quoi on s’attend, même
au prix d’une supposée correction, plutôt que ce qu’on
ignore ou qui surprend; on sait par ailleurs qu’il est parfois difficile,
voire impossible de distinguer le u du n dans les
manuscrits médiévaux).
(4) Cet acte mentionne «le
domaine de Boinville sur la Chalouette dans le territoire
d’Étampes» (villam Bobane quæ est
in terraturio Stampense super fluvio Calla).
(5) La Chronique de Morigny paraît citer
le fluvium Calo (éd. Mirot, p. 30), au début
du XIIe siècle, mais malheureusement dans un passage très
clairement corrompu, sur lequel on ne peut donc pas s’appuyer.
(6) Frédégaire,
Chronique des Temps mérovingiens, Turnhout, Brepols,
2001.
(7) Michel Martin, «La localisation
de la bataille de 604 entre Thierry et Landry»,
in Cahier d’Étampes-Histoire
6 (2004), pp. 67-68. Nous irons même plus loin
que lui: même si l’existence de cette baisse de débit
était avérée, elle ne pourrait en aucun
cas constituer une explication satisfaisante de cette (prétendue)
évolution de l’hydronyme. |
4.
Un moulin dans le dit faubourg.
«Ce moulin, écrit Michel Martin, p. 105,
est situé à l’extérieur du castrum,
ce qui paraît curieux». Mais c’est bien ce que dit
le texte, et il fait donc bien reconsidérer le tracé
de l’enceinte qu’il a proposé, qui de ce côté-là
de la ville également est largement surestimé.
Il s’agit du Moulin Notre-Dame dont
on voit encore aujourd’hui les ruines près de la rue du Pont
Danjouan, non lui de la Rue qui s’appelle toujours de la Vigne, cette
vigne que les chanoines mentionnent un peu plus loin, item n°16.
|
Moulin Notre-Dame et rue de la Vigne (Marquis, 1881)
|
5.
Les offrandes déposées
sur l’autel. Les offrandes déposées par
les fidèles (selon l’usage du temps) sur l’autel même
de la collégiale Notre-Dame le 15 août revenaient
en propre à l’abbé, comme cela est précisé
en 1120.
|
|
6a.
Maigneruel-et-Fromonvilliers
(Magniruallo et Frotmundiuillario) L’ensemble
est porté fautivement à l’ablatif.
Il s’agit ici d’après le contexte, d’un seul et
même alleu (1). Comment donc interpréter
ce double nom? On pourrait penser qu’il s’agit de deux
dénominations alternatives (2). Cependant il est plus
vraisemblable qu’il s’agit ici de deux lieux-dits proches l’un
de l’autre et constituant une seule unité seigneuriale. De
fait nous voyons que le chapitre de Notre-Dame possède encore
au 17e siècle un vaste domaine de ce genre autour de Fromonvilliers
(3). Après la terrible année 1652, les chanoines
considérablement appauvris sont obligés de s’en défaire.
Ils cèdent le hameau de Richerelles en 1654 à un seigneur
des environs; puis, en 1660, à un autre, leurs droits sur
«Fromonvilliers, Tremeville et autres lieux». Fleureau
nous précise alors qu’ils les détenaient «d’ancienneté»,
c’est-à-dire depuis une époque immémoriale,
et, apparemment, sans en avoir conservé les titres.
|
Fromonvilliers et Richerelles (1756)
(1)
Contrairement à ce qu’en dit Martin, ibid.
(2) Reflétant le nom
de deux propriétaires successifs, comme dans le
cas de La Ferté Alais, qui s’est
d’abord appelée La Ferté Baudouin.
(3) Fleureau, Antiquitez,
pp. 24-25.
|
6b.
Magne Ruel (Magniruallo). Ce toponyme est
difficile.
Le
latin Magniruallo a été
corrompu par Fleureau, malheureusement non corrigé
par Montrond, en Magnervallo, terme incompréhensible
où aucun des deux éléments constituant
le toponyme n’est reconnaissable. En effet l’élement
vall- qui a donné -val
ou -vau est en latin de la troisième
déclinaison (vallis) de sorte qu’il ne
peut en aucune manière présenter un ablatif
en -o (1); et par ailleurs
l’élément Magner- ne peut
pas représenter le génitif d’usage dans la langue
de notre charte, qui correspond à l’anthroponyme habituel.
Heureusement
les deux copies du cartulaire nous ont conservé
la bonne leçon, Magniruallo, où Magni représente évidemment
le génitif de Magnus, et où
l’on est par suite obligé de reconnaître dans
ruallo l’ablatif d’un mot ruallum
ou ruallus, non classique, qui doit être
la latinisation du vieux français rual,
bien représenté en toponymie (2), bien que son sens ne soit pas certain.
Que
faut-il penser de l’élément
Magnus? Il ne signifie pas nécessairement
que la véritable étymologie de ce toponyme
soit «Ruel de Magne»,
mais seulement qu’en 1046 sa prononciation pouvait laisser
supposer une telle étymologie. Or, comme l’anthroponyme
Magne n’est guère représenté à
ma connaissance, il est bien plus probable qu’on est en présence
d’un Ruel de Mainier, anthroponyme beaucoup mieux attesté.
Que
faut-il penser maintenant de l’élément
Ruel? On évoque le plus souvent dans les cas
analogues un diminutif de Ru, «petit ruisseau».
Enfin, est-il possible d’identifier ce lieu-dit?
Il s’agit très probablement de Richerelles dans
le Loiret, lieu-dit tout proche qui a constitué effectivement
une seule unité avec Fronmonvilliers jusqu’au
XVIIe siècle. Nous avons vu en effet que les chanoines
se défont de ce hameau en 1654; nous trouvons aussi
dès 1343 un Sanche de Richerelles (Sancius de Richerellis),
chapelain de Notre-Dame (3).
Magneruel
et Richerelle reflètent
selon toutes apparences une étymologie analogue, «Ruel
de Mainier» et «Ruels de Richer», de
même que vers la même époque «La Ferté
Baudouin» se transforme en «La Ferté Alais».
|
Fromonvilliers et Richerelles
(carte de Cassini de 1756)
(1)
Le nominatif Magnervallus suggéré
par Martin est impossible.
(2)
Par exemple il existe des lieux-dits Le Ruel, dans la commune
d’Haravilliers au canton de Marines dans le Val d’Oise, dans la commue
de Marais-Vernier dans l’Eure, dans la commune de Cormolain dans le
Calvados et dans celle de Bagnols-en-Forêt dans le Var; deux
lieux-dits Le Rual en Isère (à Roche
et Vignieu), un Ruel à La Guéroulde dans l’Eure,
etc. sans parler de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine)
(3) Édition Alliot, n°33,
p. 23.
|
6c. Fromonvilliers (Frotmundivillarium),
commune du Loiret. Étymologiquement c’est
la «ferme de Fromont», c’est-à-dire de Frotmund,
anthroponyme germanique (1),
encore assez courant au 11e siècle (2) et porté par exemple par le comte de
Sens du temps, Fromont II, né vers 960 et mort en 1012, qui portait le nom de son grand-père mort en 951, nom
que portera encore son fils et successeur Fromont III, mort en 1029.
|
(1) Il est formé de façon classique
sur les éléments frod et mund,
«prudent» et «protection».
(2) Rien que dans le tome XI du Recueil
des Historiens de la France (qui concerne la période
1031-1050), on trouve mentionnés cinq Fromont différents.
|
7a.
Anzanvilliers (Anseni Villarium). Fleureau porte Ausunvillario,
dont Martin tire un improbable nominatif
Ausunvillarius (1).
Montrond cependant, justement suivi par Sœhnée,
avait pourtant ici heureusement corrigé le texte d’après
le témoignage convergent de A et de B, contre lequel
ne peut prévaloir celui de Fleureau, d’après
l’histoire du texte que nous avons reconstitué:
Anseniuillario, c’est-à-dire
Anseni Villarium, étymologiquement,
Domaine d’un certain Ansenus (2).
On trouve un toponyme voisin
de celui-ci dans une charte de Hugues Capet de 987
sous la forme
Anseinivilla, c’est-à-dire
Anseini Villa. Il s’agit alors d’Enzanville, actuellement hameau de la commune de Sermaises
dans le Loiret, et pendant tout le Moyen Age possession
du chapitre de Sens. Il ne peut s’agir
du même lieu, puisqu’Anzanvilliers est un alleu et que les chanoines de Sens sont
seigneurs d’Enzanville, mais
l’anthoponyme représenté est le même dans
les deux cas.
Quel
est donc cet anthroponyme rare Ansenus ou Anseinus, curieusement
récurrent dans notre secteur? On peut imaginer
qu’il s’agit de l’hypocoristique local d’un nom d’origine
germanique dont le premier élément serait
Ans- (Anséric, Ansfred, Ansegise, Ansbert,
Anschar, etc.), comme c’est probablement le cas pour le plus
usuel Ansellus (Anseau).
Logiquement
donc ce toponyme, s’il avait survécu, aurait
dû donner quelque chose comme Anzanvilliers (3). Mais
nous ne trouvons pas dans le secteur trace d’un toponyme de ce genre.
|
(1)
Villarium est en effet un mot neutre.
(2) On doit donc rejeter nettement comme
rigoureusement impossibles les deux identifications
proposées sous toutes réserves par Martin,
p. 187, Andonville (Undoni Villa) et Sainvilliers.
(3) Il faut ici signaler l’existence d’un
patronyme contemporain Danzanvilliers (apparemment représenté
de nos jours par une seule famille parisienne qui n’en
connaît plus l’origine): c’est peut-être
une simple coïncidence et ce patronyme peut représenter
l’altération du plusieurs toponymes français
analogues. |
7b.
Le chevalier Thion (ou Teudon, ou Theudon).
Ce Thion Ier d’Étampes, né dans la fin du
Xe siècle, est très loin d’être un inconnu
(1), même si Joseph Depoin l’a
curieusement ignoré dans sa généalogie d’Ours le Riche
(2). Nous le voyons donner à
l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire un alleu qui lui venait
de son père sous l’abbatiat de Gauslin, c’est-à-dire
entre 1008 et 1031 (3). Il est mentionné
ici, en 1046, pour avoir donné de son vivant, et probablement sous
Robert II, c’est-à-dire avant également avant 1031, à
Notre-Dame un alleu non identifié, Anseni Villarium.
C’est probablement
ce même personnage qui a donné son nom au lieu-dit Thionville
(4), actuellement situé dans la commune
de Congerville-Thionville (Essonne), à côté de Chalou-Moulineux
(autrefois Chalo-la-Reine), dans un secteur qui relevait du diocèse
de Chartres bien que tourné naturellement vers Étampes,
bien plus proche que la lointaine métropole du diocèse.
Il paraît avoir eu un fils, Ours (Ier) le Riche, lui-même mort avant 1064, date à
laquelle il est mentionné pour avoir détenu de
son vivant un certain un alleu à Étampes,
et pour être le père d’un certain Thion (II) (5).
Thion II, probable petit-fils de Thion Ier,
mentionné à la même date de 1064, comme fils d’Ours
(5),
puis en 1067 (6), l’est encore en 1082, à Étampes, comme témoin de
la charte accordée par Philippe Ier aux chanoines de
Notre-Dame (7). Quelques auteurs ont cru devoir conclure de ce passage
que le «Thion d’Étampes» en question était le fils d’un certain «Ours de Paris»; mais je montrerai prochainement dans mon édition
de la charte en question que ce passage est en réalité corrompu
et que l’élement «de Paris»
a été déplacé par un copiste maladroit: il qualifiait
originalement la personne citée immédiatement après,
«Pierre
prévôt (de Paris)» comme le montre la suite de la charte,
dont le texte est d’ailleurs
corrompu de la même amnière en plusieurs autres endroits.
Ce Thion II eut apparemment à son tour
pour fils d’une part Ours (deuxième du nom), et d’autre part Aimon
et Milon, qui furent moines.
Cet Ours II, fils de Thion II, petit-fils d’Ours
Ier et probable arrière-petit-fils de Thion Ier, est l’objet en 1096 d’une plainte d’Yves, évêque
de Chartres, qui demande à l’archevêque Daimbert
de Sens de le frapper de sanctions ecclésiastiques en raison
des exactions qu’il
a commises dans la partie du diocèse de Chartres qui jouxte
le pays étampois (8), à savoir probablement
dans le secteur de Thionville.
Vers la même époque Ours II, alors
appelé Ours le Riche d’Étampes, avec son frère Aimon,
d’une donation en faveur de l’abbaye de Longpont (9).
De même, il est témoin avec son
frère Milon, moine, d’une donation au monastère parisien
de Saint-Martin-des-Champs (10).
Ours II est
encore témoin d’un acte signé à Étampes
apparemment dans les premières années du XIIe
siècle; il est alors accompagné de son fils Thibaud (11).
Ours II, outre ce Thibaud, paraît avoir
eu pour fils un Thion III, que nous voyons vers 1110 autoriser une donation
opérée par son propre fils Geoffroy (12).
Voilà pour la descendance apparente de ce Thion, mentionné
par notre charte.
Relativement à sa généalogie
ascendante, on est conduit à se demander avec Joseph Depoin (13) si notre Thion Ier d’Étampes et son père,
dont nous ignorons le nom, qui paraissent avoir été possessionés
dans l’est du pays chartrain, ne seraient pas apparentés, ou à
tout le moins alliés à un certain Etienne Chef-de-Fer (Stephanus
Caput de Ferro) nommé avec ses fils également nommés
Thion et Aimon (Teudo et Amo) dans une
charte d’Aivert (Agobardus), évêque de Chartres, entre
1049 et 1060 (14).
Le dit Thion Chef-de-Fer eut un fils Hardouin
(que nous voyons seigneur de Denonville) et une fille Milesende (que
nous voyons mariée à Gautier d’Aunay). Il se fit moine
de Marmoutier, apparemment au prieuré de Saint-Martin-de-Brétencourt:
nous le voyons vers 1080 se démener de tout côté dans
la région pour obtenir en faveur de cet établissement la possession
de Vierville, et notamment à Étampes où différentes
personnes, dont certaines lui sont sans doute apparentées, possèdent
des droits sur le même lieu (15).
Il faut accorder
à Depoin que la résurgence des deux mêmes prénoms,
Thion et Aimon, dans une famille si proche géographiquement de celle
qui nous intéresse, est troublante. Thion Chef-de-Fer est probablement
un cousin d’Ours II et peut-être
sa mère était-elle une sœur de Theudon
II.
|
(1)
Contrairement à ce qu’en dit Dom Jean Leclercq,
Yves de Chartres, Correspondance, tome 1,
Paris, Belles-Lettres, 1949, p. 206, n. 2.
(2) Bulletin
de la Société historique et archéologique de Corbeil,
d’Étampes et du Hurepoix 15 (1909), pp. 78-83. En fait Depoin
est obnubilé par l’idée que cette famille descend des Le
Riche de Paris.
(3)
Mémoire de la Société
archéologique de l’Orléanais,
II, § 29.
(4) Hippolyte
Cocheris, dans son Dictionnaire des anciens noms des communes du département
de Seine-et-Oise de 1874, p. 53, donne trois graphies anciennes de
ce nom de lieu sans préciser ses sources: Tyoinvilla (XIIIe
s.), Taignunvilla (XIIe s.) et Thianville.
(5) En 1064,
Sanceline, épouse de Gauthier Castel, possède
par héritage le huitième d’un «aleu
d’Ours Le Riche, père de Thion» (Cartulaire
de Longpont, édition Marion, n°CCCXIII,
p. 251).
(6) M. Prou
et A. Vidier, Recueil des Chartes de Saint-Benoît-sur-Loire,
tome 1, p. 202: Theudo miles Stampensis filius Orsionis..
(7) Fleureau,
Antiquitez, p. 295; Alliot,
Cartulaire, p. 68; Maurice Prou,
Philippe Ier, p.180.
(8) Yves
de Chartres, Correspondance, tome 1,
Paris, Belles-Lettres, 1949, n° 50, pp. 206-207.
(9) Aymon
et son frère Ours Le Riche d’Étampes (Ursus
Dives, de Stampis; Aymo, frater ejus) sont
témoins d’une donation de Hugues de Champigny
au monastère de Longpont vers 1090 (Cartulaire
de Longpont, éd. Marion, n°CIX, pp. 133-134).
(10)
A la fin du XIe siècle, le moine Milon d’Étampes
et son frère Ours (Milone monacho de Stampis
et frater ejus Urso) sont témoins d’une cession
de dîme à ce monastère par Gautier d’Étampes
(Liber testamentorum de Saint-Martin-des-Champs,
fol. XVIII-XIX, éd. Coüard et alii, Paris, Picard,
1905, p. 52, n°XL, fin XIe siècle).
(11)
Ours fils de Thion (Ursio filius Tedonis) et Thibaud
fils d’Ours (Teobaldus filius Ursonis) (Liber
Testamentorum de Saint-Martin-des-Champs folio XII,
n° XXVII, édition Coüard et alii, Paris, Picard,
1905, p. 25).
(12) Accord
de Thion fils d’Ours d’Étampes, vers 1110, pour
la donation de la moitié du port de Paluel par son
fils Geoffroy (Cartulaire de Longpont, éd.
Marion, n°CCXV, p. 191).
(13) Op. cit.,
loc. cit.
(14) Collection
Moreau, XXIV. 152 (cité par Couärd et alii, Liber testamentorum,
p. 49, n. 218).
(15) Archives départementales
de l’Eure-et-Loir (et non de l’Eure comme le portent par erreur Depoin
et Coüard, dans deux ouvrages différents), cote H 2254. J’éditerai
prochainement en ligne cette charte importante qu’ils paraissent ne connaître
qu’indirectement et n’avoir pas avoir consultée personnellement.
|
8.
Aube-Terre (Aubterre,
Obterre). Ce lieu-dit bien localisé s’appelle maintenant
Les Boutards et se situe dans la commune de Chalô-Saint-Mars.
Ce toponyme n’est pas isolé, et il est bien possible
qu’il ait réellement signifié, étymologiquement,
«Blanche
Terre», comme l’entend
la retroversion latine de notre charte, qui est usuelle dans
le cas des lieux-dits homonymes (1).
|
(1)
En quelques cas assez rares l’élément
Alba-, dans les rétroversions latines
du temps, a rendu une forme dévivée par altération
de «Abbe-», de sorte qu’il n’est pas en soi rigoureusement
impossible qu’on ait ici en réalité une ancienne
«Abbeterre, terre de l’abbé».
|
9.
Mont-Losbert. Le cartulaire
mentionne «un alleu nommé Montelosberti
avec toutes ses coutumes». Cet item disparaît
complètement dans le texte de Fleureau. Montrond
repère la lacune mais ne la comble que partiellement
en y introduisant qui plus est deux fautes de lecture. Il
porte seulement «un alleu nommé Montelesbati».
En effet, dans la deuxième copie, la syllabe -ber-
est mal formée et peut être lue -ba-
si l’on y prête pas attention. Tout se passe comme dans
le cas précédent: Menault néglige cette
correction, Sohnée suit Montrond, mais l’item disparaît
à nouveau dans la liste des biens de Notre-Dame que donne
Michel Martin.
Il
s’agit pourtant d’une donnée intéressante,
puisque nous sommes cette fois en présence
d’un «Mont de Losbert»: anthroponyme fort rare,
qui précisément est attesté deux
siècles plus tard à la cour de saint Louis, où
nous trouvons en novembre 1246 un Loobert d’Étampes
panetier, qui ne devait pas être né de la dernière
pluie (1). Par ailleurs les archives du fief de Foresta mentionnent en
1274 comme censitaires les enfans feu Lobert et peu après les
anfan feu Loubert (2).
|
(1) En novembre 1246 saint Louis récompense
Lobert d’Étampes (Loobertus), son
panetier, mari d’une certaine Marie elle-même
veuve du panetier Loubin (Leobinus), selon Lucien
Merlet (Cartulaire des Vaux-de-Cernay, Tome premier 1118-1250,
Paris, Henri Plon, 1857, p. 349, note 1, citant Arch. d’Eure-et-Loir,
fonds du chap. C. 41, n°56, mis en ligne par l’École
des Chartes, http://elec.enc.sorbonne.fr/cartulaires/vauxcernay1/acte384/,
en ligne en 2006). Notons qu’en 1236 le bailli
d’Étampes s’appelle Adam Le Panetier, ce
qui n’est peut-être pas une coïncidence.
(2)
Inventaire-Sommaire des archives de Seine-et-Oise,
série E, tome II, p.276a et 277a.
|
10.
Nouare-Mares (Nuare-Mariis)
toponyme altéré et méconnaissable dans
le texte A comme chez Fleureau et Montrond (Nuarevieriis).
Notons un possible parallèle dans le Calvados,
une commune appelée La Chapelle-Noiremare. Cependant
ce n’est pas
du tout l’étymologie que suggère la rétroversion
latine Nuare Mariis, où le premier élément
Nuare paraît représenter un
génitif de la première déclinaison
(plutôt que l’adjectif noires, car on aurait alors
Nigris Mariis; et, de toute façon, l’adjectif
noir n’avait pas au XIe siècle sa prononciation
actuelle, avec laquelle coïncide par hasard celle de ce terme
latin). On paraît donc ici être en présence
des Mares d’une certaine Nuara, «Nouare». Cet anthroponyme ne paraît
pas attesté. Qui a une idée?
Qoui qu’il en soit, il s’agit
peut-être ici du Champtier situé au-dessus
du Chesnay, appelé les Hautes-Mares (nom attesté
par un plan de 1779 selon Gatineau (1)), ainsi
que Pointe à Corbeil, et mentionné sous le premier
nom de ces noms comme possession du chapitre dans le Terrier
de Notre-Dame de 1539 (2); notons
que ce nom de Hautes Mares fait pendant à
celui des Basses-Mares (mentionnées
au moins en 1781, toujours selon Gatineau), lieu-dit aussi dénommé
Champtier des Rosières, à l’entrée
du hameau du Chesnay (ces dernières mares existant
toujours).
|
Chandou et le Chesnay vers 1756
(1)
Op. laud. ad verb.
(2) Archives départementales de
l’Essonne.
|
11.
Morigny. Il s’agit
ici de la première mention du lieu-dit Morigny, qui
va devenir un noyau de peuplement probablement seulement à
partir de l’installation des moines de Saint-Germer-de-Fly
au siècle suivant, tandis jusqu’alors dans le
secteur le noyau principal était probablement Bonvilliers,
ce Mansus Bavonis, devenu ultérieurement
un Bavonis Villare (ou Villarium).
|
|
12a.
Deux moulins à Bierville.
On ne sait pas par qui ont été donnés
ces moulins: il apparaît que ce n’est pas par
le roi lui-même, qui s’est contenté pour sa part
de donner son accord à cette donation et qui y a ajouté
que le cens qui lui était dû sur ces moulins
serait désormais, après sa perception, versé
au chapitre.
Le cens continue cependant d’être
versé, parce qu’il constitue la marque principale
de la seigneurie, dont le roi n’entend pas se défaire
concernant ces moulins, pour lesquels le chapitre lui doit certainement
hommage. On les voit encore sur la carte de Cassini de 1756 (ci-contre).
|
Les deux moulins de Bierville vers 1756
|
12b. De fisco regali Stampis, «du trésor d’Étampes». Il ne faut
pas interpréter ici Stampis comme un ablatif
complément de lieu. Ce tour est
en effet à rapprocher de celui qu’on trouve plus bas,
subtus
castrum Stampis, «sous le châtre d’Étampes».
Dans les deux cas
le nom d’Étampes est à comprendre comme un
génitif complément de nom, bien qu’il soit traité
comme un nom propre indéclinable: c’est alors l’usage pour
les villes principales du royaume, Ambianis (Amiens),
Aurelianis (Orléans), Cenomanis
(Le Mans), Parisius (Paris), Remis (Reims),
Senonis (Sens), Trecis (Troyes),
Turonis (Tours) (1).
C’est aussi ce qui
explique la légende des monnaies frappées à
Étampes depuis le règne du roi Raoul (923-936) jusqu’à
celui de Louis VI, qui toutes portent la légende Castellum
Stampis, où la forme Stampis qui représente
évidemment un complément de nom au génitif,
n’est compréhensible qu’à la condition de savoir que
Stampis est alors considéré comme
indéclinable.
La source commune du manuscrit
utilisé par Fleureau et de la copie A du cartulaire ont
abrégé ce tour dans les deux cas en
Stamp’, abréviation malheureuse
que Fleureau a erronément interprétée comme
celle d’un adjectif (2).
|
Stampis (Castellum) sur un denier
du roi Raoul (923- 936)
(1) Voyez
le Formulaire d’Odart Morchesne
d’après la version du ms BNF fr.
5024, édité par Olivier Guyotjeannin et
Serge Lusignan sur le site ELEC de l’École des
Chartes, http://elec.enc.sorbonne.fr/morchesne/chapitre19/.
(2) La première
fois à l’ablatif, Stampensi, et la
deuxième à l’accusatif, Stampense.
|
12c.
Au bénéfice de l’église
(ad opus ecclesie). L’archéologue
Louis-Eugène Lefèvre, à qui l’histoire
étampoise doit beaucoup, a tenté de soutirer
à notre charte, si possible, quelques renseignement
sur les campagnes de construction de la collégiale Notre-Dame.
C’est
dans cette optique qu’il relève que cette
remise de cens se fait ad opus ecclesiæ. Il voudrait
en tirer la conclusion que la construction (opus,
«œuvre») de la collégiale Notre-Dame (ecclesia)
est toujours en cours en 1046 (1);
il est suivi sur ce point par plusieurs auteurs (2) dont ceux de la notice des Monuments Historique,
désormais mise en ligne par plusieurs sites internet,
notice qui répercute aussi la légende d’une fondation
de Notre-Dame à la date précise de 1022 (3).
Malheureusement
pour l’archéologie, le sens constant de l’expression
ad opus, en latin médiéval,
est tout simplement: «au benéfice de»; au
reste il ne faudrait pas oublier que le sens usuel en latin d’ecclesia
est celui de «communauté ecclésiastique».
Aussi cette expression signifie-t-elle tout simplement
que cette somme est versée au chapitre. Fleureau lui-même
reproduit une charte de Louis VII de 1147 qui mentionne
une donation ad opus Canonicorum, «au
bénéfice des chanoines» (4).
|
(1)
Op. cit.
(2) Pratiquement tous, en fait.
(3) Jean-Marie Pérouse de Montclos,
L. Saulnier et Julia Fritsch, Notice (pour
l’Inventaire général des Monuments Historiques):
«Fondation due à
Robert le Pieux en 1022: la crypte en est le seul vestige,
mais l’église n’était pas achevée
en 1046.» Martin, p. 105, n. 252,
se référant à la même source, porte
pour sa part 1018, apparemment par distraction.
(4) Antiquitez, p.119.
|
13.
Saclas (ablatif
Sarcleiis). Il s’agit bien de
Saclas, évolution normale de Sarcleiae ou
Sarcleia (1),
et au-delà de Sarclitæ (639)
et de Salioclita (2e siècle, Itinéraire
d’Antonin), contrairement aux réticences de Sœhnée,
qui a été induit en erreur par la mauvaise
graphie Sarcleriis de A, malheureusement
adoptée par Montrond.
La
présence de moulins à Saclas est
attestée depuis 639, sous Dagobert Ier (1),
|
(1)
Le contexte ne permet pas de déterminer s’il
s’agit d’un neutre pluriel, Sarcleia, ou d’un
féminin pluriel, Sarcleae.
(2) Cf. Martin Bouquet,
Recueil des Historiens, t. 4, p. 629.
|
15.
Les Coutures-le-Roi
(Culturae Regis).
Il s’agit des terres situées entre le secteur de
Saint-Martin et Lhumery, y compris probablement ce dernier
lieu-dit. On trouve encore au dessus de Saint-Martin une
pièce de terre appelée les Hautes Coutures.
Tout
ce secteur paraît avoir été
originellement de possession royale, jusqu’à Lhumery
compris, lieu où le roi paraît avoir perçu
de ses serfs la huitième gerbe (1). Louis
VII le Jeune expulsera de Lhumery certains occupants considérés
comme des squatters en 1158, puis mettra ce même
secteur en vente en 1179 (2).
|
(1)
«Huitième» se disant ancien français
huime, comme «dixième»
se diait dîme, Lhumery représente
donc une Huimerie, comme on a aussi dans le secteur
des lieux-dits Dîmerie. J’ai montré
tout cela dans le Cahier d’Étampes-Histoire
6 (2004), pp. 79-81; François Guizot avait déjà
fait l’hypothèse que le nom de ces terres Octavae
leur venait d’un tel prélèvement de la huitième
gerbe.
(2) Ibid.
|
16.
A côté de notre susdit moulin
une
vigne dans le faubourg (iuxta molendinum nostrum predictum in suburbio uineam), c’est-à-dire sous le moulin Notre-Dame
déjà mentionné (item n°4), sans doute
entre les actuelles rues du Pont-d’Anjouan, de la Roche
et Magne, secteur qui touche à la fois le Moulin Notre-Dame
et la rue qui s’appelle encore de la Vigne.
|
Moulin Notre-Dame et rue de la Vigne (Marquis, 1881)
|
17. Une vigne sous la forteresse d’Étampes.
Nous n’avons pu la localiser. La première,
d’un arpent et demi, paie quatorze deniers. Dans le texte
de Fleureau, non corrigé par Montrond, la deuxième,
d’un seul arpent, payerait 5 sous, qui font 60 deniers,
«ce qui est beaucoup!» s’exclame justement Michel
Martin (1). Les deux textes du cartulaire
portent évidemment «cinq deniers»,
soit douze fois moins, ce qui est au contraire plutôt modeste.
|
(1) Op.
cit., p. 98.
|
18a.
Mébon (Mansus
Bavonis). Nous rendons un peu audacieusement ce toponyme
disparu par «Mébon». En effet nous avons
toutes les raisons de considérer qu’il s’agit de
Bonvilliers, toponyme qui répond pour sa part à
un latin théorique Bavonis Villare ou Villarium.
Cette évolution correspond probablement à un développement
du domaine, mais les nuances entre ces termes, Villa et
Villarium, sont très difficiles à discerner.
Niemeyer donne pour villare le sens
de «lieu habité faisant
partie d’un domaine»,
et, pour mansus, toute une palette de sens entre
lesquels il est extrêmement difficile de trancher ici. Peut-être
faut-il retenir celui de «centre d’exploitation rurale (la maison avec
ses annexes et son enclos)», en comprenant
que ce lieu-dit, une fois intégré à un ensemble
plus vaste provenant de donations ultérieures, et circonvoisines,
a dès lors été appelé villiers
plutôt que mas?
Les moines
de Morigny reconnaissent en 1443 en faveur des chanoines
de Notre-Dame que «dés loncg temps ancian
iceulx avoyent, tenoient et possédoient, et encores
ont, tiennent et possèdent au lieu de Bonvillier ung
hostel et appartenances avecque plusieurs et grant quantité
de terres au territoire du dit lieu et situez en plusieurs pièces,
etc.» (1) Cet hôtel est
sans doute notre mas.
|
(1) Cartulaire
de Notre-Dame, n°LXXXIV, éd. Alliot,
p. 99 (cf. pp. 98, 101, 104, 111, 113).
|
18b.
Alais, fille de Benzelin.
La forme latine Adeladis est l’une des nombreuses
graphies de l’anthroponyme féminin d’origine germanique
Adal-haïd, «noble lande». Nous
adoptons ici la forme française Alais attestée
dans notre région par le toponyme La Ferté-Alais.
Mais c’est par distraction que Michel Martin identifie cette
Alais avec son homonyme dame de la Ferté à la
génération suivante (1).
|
(1)
Op. cit., p. 187. Et comme c’est sur cette
base qu’il identifie le Mansus Bavonis avec Baulne,
proche de La Ferté Alais, il faut renoncer aussi
à cette hypothèse qui n’a d’ailleurs pour
elle aucune vraisemblance philologique.
|
18c.
Benzelin. L’orthographe
Benzelinus présentée
par les manuscrits est plus proche de l’étymologie
germanique que les formes plus usuelles Bezelin,
Bencelin ou Becelin.
Sous ces différentes formes,
l’anthroponyme Benzelin est bien attesté
en Île-de-France encore au début du 12e
siècle (1).
C’est
la forme longue de Bentz, lui-même
hypocoristique de Berthwald. En d’autres
termes, une même personne pouvait être
appelée, selon les circonstances, Berthwald (Berthoud),
Bentz ou Benzelin (en latin Berthoaldus,
Bencius, ou Benzelinus). C’est
encore le cas en anglais de nos jours: quelqu’un selon les circonstances
et les usages peut être appelé William, Bill ou
Billy, Richard, Dick ou Dicky. Ce phénomène
est bien connu et attesté depuis l’époque
carolingienne sur le continent pour certains anthroponymes
d’origine germanique, et il l’est encore au XIe siècle.
Ainsi par exemple le célèbre archevêque
de Reims Adalbéron, mort en 1031, que Hugues Capet
a hébergé à Dourdan et qui l’a ensuite
sacré roi de France en 987, est appelé alternativement
Adalbéron et Ascelin suivant le même
processus, Azzo étant la forme intermédiaire
(latin Aszo), hypocoristique de tous les anthroponymes
dont le premiers élément est Adal-.
Cette remarque prendra
tout son sens à l’article 19b.
|
(1)
Un Bencelinus est mentionné vers 1104
(cartulaire de l’abbaye Saint-Martin de Pontoise), un autre
en 1117 (cartulaire de Longpont), un autre, pelliparius,
en 1122 (cartulaire de l’abbaye Saint-Martin de Pontoise),
etc. |
19a. Après la mort de ce dernier et
celle de son mari. Après la mort de son père
Benzelin et de son mari anonyme, en sus du «Manse de
Bavon», que nous identifions avec Bonvilliers, Alais dispose
d’un bien dont nous ne savons pas s’il lui venait de l’un ou de l’autre.
La mention de la mort de son mari signifie probablement que ce bien a
également été donné à l’occasion
du décès et dans le même but que précédemment.
La note qui suit fait penser que ce bien lui venait plutôt
de son père.
|
|
19b.
Rouvray. Le latin porte
Rovreia, c’est-à-dire très
vraisemblablement Rouvray-Saint-Denis en Eure-et-Loir,
car cette forme qui peut difficilement refléter
le Rouvre du Loiret que suggère Michel Martin.
En
effet la terminaison latine choisie pour rendre
ce toponyme, -eia, est régulièrement
une alternative à la terminaison caractéristique
en latin classique des noms de lieux plantés: -etum,
correspondant aux modernes -ay,
-aie et -oy (1). Ainsi Cocheris (2), note-t-il une graphie Charmeia
(XIIIe s.) pour La Charmoie (aujourd’hui La Hauteville), et
Urmeia à côté de Ulmetum
et de Ormetum pour Ormoy.
Deuxième
argument en faveur de cette identification, quoique
nettement plus conjectural: A moins de sept kilomètres
de Rouvray-Saint-Denis se trouve Berthouvilliers (3), c’est-à-dire le «domaine de Berthwald»;
or nous avons vu que Benzelin est l’hypocoristique de Berthwald;
il s’agissait donc peut-être de la même personne,
ou de deux membres de la même lignée. Un peu plus loin encore on
trouve Bonvillettes, qui a peut-être aussi
la même étymologie que Bonvilliers.
|
Rouvray-Saint-Denis et Berthouvilliers
(1756)
(1) Une meilleure rétroversion
latine du toponyme aurait donc été
Roboretum, «lieu planté
de chênes rouvres» (toponyme déjà
en usage à l’époque galloromaine, puisque
nous trouvons une localité espagnole Roboretum
sur l’Itinéraire d’Antonin).
(2) Dans son Dictionnaire
des anciens nom des communes de Seine-et-Oise, Paris, Bibliothèque
de «l’Écho de la Sorbonne»,
1874, que nous avons mis en ligne.
(3) La carte de Cassini (ci-dessus)
porte Bartouvilliers au milieu du 18e siècle. |
12. Notre-Dame, fondation
royale?
Les caractères
généraux de ce document n’ont généralement
été saisis correctement la plupart
des auteurs qui en ont parlé. Quel est le propos
essentiel de l’acte? On prétend généralement
ou on répète de confiance qu’il s’agit
d’une confirmation par le roi Henri Ier de privilèges
accordés au chapitre de Notre-Dame par son père
et prédécesseur Robert II le Pieux.
En réalité
il n’y a aucune trace d’aucune charte de quelque sorte
que ce soit accordée par Robert à ce chapitre,
et un tel document, s’il avait existé, ferait
forcément l’objet d’une allusion, voire d’une citation
in extenso. Ni charte de fondation,
ni même de confirmation: personne même ne semble
avoir requis ou obtenu de ce roi de charte en faveur de Notre-Dame
d’Étampes.
Bien plus l’acte de Henri Ier ne dit en aucune
façon que Robert II ait été lui-même
à l’origine de la fondation du chapitre de Notre-Dame,
il exprime seulement l’idée, bien modeste à
la vérité, que Robert a favorisé,
ou plutôt même simplement vue d’un bon œil
les donations qui avaient été faites de son vivant
à ce chapitre: avec l’autorisation, ou
plutôt avec l’approbation de mon père de bonne
mémoire Robert. Le mot ou plutôt
(immo) qui paraît tout d’abord vouloir corriger l’impression fâcheuse selon
laquelle le roi ne serait pas pour grand-chose dans cette fondation,
mais la précision qui suit ne dit rien d’autre que ce
qui précède, car favere ne
désigne rien d’autre techniquement, dans la langue des actes,
que l’acte de consentir à une donation. Lui-même
n’a rien donné, sinon une remise de cens
ad opus ecclesiæ, c’est-à-dire tout
simplement «au bénéfice des chanoines»,
bienfait qui n’est mentionné qu’en annexe au douzième
des dix-neuf items de notre liste.
En
réalité, tout cet acte reflète
une réalité bien différente de
ce qu’ont donné à croire pendant plusieurs siècles
tant le pouvoir royal puis ducal que la communauté
des chanoines d’Étampes, dont les intérêts
étaient communs en cette matière, puisque
tous deux voulaient échapper à la tutelle de
l’archevêque, et ainsi se partager à son détriment
le droit de collation des prébendes: Robert II n’a
eu aucune part directe à la fondation de ce chapitre,
dont rien ne prouve d’ailleurs avec certitude qu’elle ait
eu lieu sous son règne plutôt que sous celui d’Hugues
Capet.
Le
plus grand rôle semble avoir été
joué par des nobliaux locaux, au premier rang desquels
vient le prévôt d’Étampes, Herchembault,
qui lui-même paraît appartenir à
une famille bien possessionnée dans l’Étampois.
Les deux autres familles de nobliaux étampois qui
ont doté le nouveau chapitre sont celles de Thion d’Étampes,
fils d’Ours, famille assez bien connue par ailleurs, ainsi
que celle d’un certain Benzelin et de sa fille Alais.
Il
semble donc au contraire que la charte de 1046 soit
le tout premier acte royal entérinant globalement
toutes les possessions et privilèges dont est
dotée la nouvelle communauté ecclésiastique,
qui s’est formée selon toute apparence sous le
règne précédent d’une manière
qui reste mystérieuse, comme cela avait déjà
été le cas à Saint-Martin d’Étampes
à une époque antérieure indéterminée,
et comme ce sera encore le cas après 1182 lors de
la création de la collégiale Sainte-Croix,
qui n’a pour sa part jamais réussi à faire accroire
à qui que ce soit qu’elle était de fondation royale.
Il
vaut la peine d’examiner l’argumentation de Fleureau
pour refuser à la collégiale de Sainte-Croix
le statut de fondation royale. Sainte-Croix avait pourtant
été édifiée sur l’emplacement
d’une synagogue par ordre de Philippe Auguste. Fleureau
lui même donne le texte de cette charte royale de 1183
(1). Cependant, fait-il observer quelques
pages plus loin, on infere avec raison que l’Eglise, &
le College de sainte Croix n’est pas de fondation Roiale de
ce que les Prebendes sont à l’entière disposition
de l’Archevêque Diocesain. Joint que suivant la remarque faite
par Choppin, au livre premier de sa Police Ecclesiastique:
il ne suffit pas, afin que le Roy s’attribuë la collation
ou nomination aux Benefices d’une Eglise,
qu’il ait fait consacrer au culte du vray Dieu, des edifices
qui luy avoient déja été dediez sous un
culte illicite; à cause que ces edifices avoient déja
été en quelque façon, mis hors du commerce
des hommes par la destination des fondateurs. D’ailleurs Rigord
en la vie du Roy Philippe Auguste remarque que les habitans d’Estampes
sont les fondateurs des Prebendes Canoniales de l’Eglise de sainte
Croix de leur ville, j’ay ci-devant rapporté le passage latin,
& l’on ne voit point que cette Eglise possede aucuns biens
[certains biens], qui
luy aient été donnez par ce Roy. On trouve seulement
une confirmation de la donation, avec l’amortissement d’une maison,
qu’on nommé Roger avoit donnée, en pure aumône,
à ces Chanoines etc. (2)
Si l’on utilise les mêmes
critères dans le cas de la collégiale Notre-Dame
que ceux qu’applique Fleureau à celle de Sainte-Croix,
on voit mal sur quel titre les rois de France pouvaient fonder
leur patronat et droit de collation. Il n’est aucune trace de
quelque charte de Robert II en faveur de Notre-Dame. Seul
son fils accorde à cet établissement une charte, et une
charte qu’on ne peut même pas qualifier de charte d’amortissement.
Le cas est donc encore plus défavorable que le sera ultérieurement
celui de Sainte-Croix. De plus, Robert aurait-il même fait
bâtir Notre-Dame à ses dépens, ce qui
est loin d’être assuré, c’était de l’aveu
de Fleureau lui-même sur l’emplacement d’un lieu de culte
antérieur, à savoir d’une chapelle dédiée
à Saint Serin Confesseur (3),
et ce ne serait pas un titre suffisant au Patronat, selon la logique
du même Fleureau: le principe qu’il invoque en la matière
dans le cas de Sainte-Croix, fondée sur l’emplacement
d’une synagogue, s’applique à bien plus forte raison
à celui de Notre-Dame, élevée sur l’emplacement
d’une chapelle où se pratiquait déjà le
culte catholique.
Mais
alors, pourquoi Fleureau accepte-t-il de considérer
Notre-Dame comme une fondation royale? Le Roy
Robert, écrit-il, en dotant l’Eglise
de Nostre-Dame d’Estampes, s’est retenu ce droit de Patronat;
puisque ses successeurs en ont jouÿ: & c’est en cela,
& en la nomination de l’Abbé seculier, que consistoit
la marque de leur Patronage sur cette Eglise, pendant qu’il
y eut des Abbez; puisque c’étoient ceux-cy qui conferoient
les Prebendes (4). Notons d’abord le curieux aveuglement de Fleureau relativement
à la prétendue dotation de Notre-Dame
par Robert II, puisque le seul titre qu’il a allégué
prouve en réalité que Robert n’a jamais
lui-même doté Notre-Dame, et qu’elle ne l’a
été que par des nobliaux du pays. Mais sur le fond,
Fleureau, si on sait le lire, reconnaît qu’il n’y a aucune
preuve de ce qu’il avance, à moins d’accepter le principe
selon lequel force fait droit.
Il
semble en effet que les rois de France ont tout bonnement
usurpé ce patronat vers le XIIIe siècle, en
même temps que le titre d’abbé. C’est dans ce cadre qu’ont été insérées
dans les chartes les plus anciennes les interpolations que
nous avons signalées et qui se réfèrent
à cet état de fait. Mais, bon indice que personne
ne les prenait vraiment au sérieux, c’est que les
ducs d’Étampes encore à la fin de l’Ancien Régime,
n’en tenaient compte que dans la mesure de leur intérêt:
ils ne voulaient pas en connaître lorsqu’elles conféraient
au chapitre lui-même le droit de se partager des bénéfices.
Clément Wingler nous montre en effet le Prince de Conti
conférer lui même les prébendes de telle
ou telle chapellenie, malgré les récriminations et
les remontrances du chapitre (5).
Quant au fait que, dès avant d’usuper l’abbatiat,
les rois de France se seraient réservé
le droit de nommer des abbés séculiers de Notre-Dame,
c’est une pure supposition de la part de notre savant barnabite,
même si elle a tous les caractères de la vraisemblance
(6), car il n’en donne aucune sorte
de preuve. Mais admettons: cela signifierait-il pour autant
nécessairement que cette pratique était fondée
en droit? et qu’on pourrait en tirer par là une preuve
rétroactive du rôle de Robert II dans la fondation de
Notre-Dame? Évidemment non.
|
(1)
Antiquitez, page 380.
(2) ibid., pp. 394-395.
(3) ibid., p. 288.
(4) Ibid., p. 296.
(5) Notre-Dame sous l’Ancien
Régime, Étampes, Archives Municipales
d’Étampes, 1998, pp. 20-21.
(6) Le premier
abbé connu est Bernodalius (cité en 1082 et 1104), le
second Payen, le troisième Henry de France fils de Louis VI le
Gros, après 1137, le quatrième son frère Philippe,
cité comme défunt en 1171 (cf. Fleureau, op.
cit., p. 350); mais on trouve ensuite Jean de la Chesne (cité
en 1171) et Eudes Clément (cité en 1189 et 1193).
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Le témoignage d’Helgaud
La seule autorité
vraiment ancienne qui attribue fermement à Robert
la fondation de la collégiale Notre-Dame d’Étampes
(monasterium sanctę Marię in Stampensi castro)
est son biographe ou plutôt hagiographe Helgaud
(6). Mais la liste que donne cet
auteur des fondations faites par son royal ami est extrêmement
sujette à caution, car elle est contredite dans certains
des rares cas où on a l’occasion de la vérifier
par d’autres sources. Ainsi, selon Helgaud, Robert aurait fait
édifier (aedificavit) l’église de Saint-Vincent-des-Vignes
à Orléans, alors qu’on a la preuve que
cet établissement existait déjà sous
sous Charles le Chauve (7). De même,
dans le même diocèse de Sens, c’est à
Robert qu’il attribue la fondation à Melun de la
collégiale Sainte-Marie (monasterium sanctę
Marię in Miliduno castro) alors qu’on sait il y
avait déjà là en 901 un petit monastère
(abbatiola) (8). Quant au
monastère de Saint-Germain de Paris, qui lui est également
attribué par Helgaud, il aurait été
en réalité reconstruit par l’abbé
Morard, selon une chronique du temps qui ne mentionne pas Robert
à ce sujet (9).
A
la génération suivante Hugues de Sainte-Marie,
dans la liste bien plus modeste des constructions qu’il
attribue à Robert II, cite encore Notre-Dame d’Étampes
(10). Mais cet auteur est comme
Helgaud un moine de Fleury: comme lui apporter plus de crédit
qu’à celui qui est probablement sa source?
|
(6) L’édition
critique de référence (du moins pour le
texte latin) en est maintenant celle de Robert-Henri Bautier
et Gillette Labory, Helgaud, Vie de Robert le Pieux,
Paris, CNRS, 1965, pp. 128-133.
(7) Joseph Thillier et Eugène Jarry,
Cartulaire de Sainte-Croix d’Orléans,
1906, introduction, p. LVI.
(8) Ph. Lauer, Recueil des
actes de Charles III, pp. 82-83, cité par Bautier
et Labory, ibid., p. 130, n. 7.
(9) Continuation
de la chronique d’Aimoin éditée
par Dom du Breul, 1603, p. 359, cité par Bautier et
Labory, p. 132, n. 2.
(10) Recueil des Historiens,
t. XII, p. 794.
|
Sur la prétendue
date de 1022
Cependant, nous objectera-t-on
peut-être, un grand nombre d’auteurs (11) affirment qu’on connaîtrait
même la date précise de la fondation de Notre-Dame
par Robert II, qui nous aurait été transmise
par une tradition des chanoines eux-mêmes: 1022.
Sur quelle source s’appuient
tous ces auteurs pour cette date?
Sur une déclaration
de l’abbé Alliot, qui, dans son édition du cartulaire
de Notre-Dame d’Étampes, résume une pièce
de procédure du XVIe siècle qui a été
copiée à la suite du cartulaire, près d’un
siècle après sa composition.
Et sur quelle
source s’appuie l’abbé Alliot?
Non pas sur le
texte lui-même de cette pièce de procédure,
qui ne mentionne pas cette date, mais sur une note marginale porté
au crayon par une main du XIXe siècle en marge du cartulaire,
au recto du premier folio, seule à porter la date de 1022.
Et sur quelle
base s’appuie l’auteur de cette note anonyme? Le texte ainsi
annoté porte en effet seulement que chanoines prétendaient
«quil y avoit cinq cens cinquante ans que Robert premier
de ce nom avoit fondé ladicte Eglise Notre dame d’Estampes».
Notons au passage
que l’auteur de cette note anonyme ne se recommande pas à
notre confiance par la note qu’il a mise au folio suivant, où
il porte «chapelain (sic) en 1331 (sic)»,
en regard d’un texte qui
rapporte que selon les mêmes chanoines, l’office des
chapelains n’aurait été institué qu’en 1231
(12).
Sur quelle base
a donc été calculée cette date de 1022
aujourd’hui encore canonisée par la tradition historiographique?
L’auteur de la
note a été voir la date qui a été
portée à la fin de ce dossier de procédure,
où il a trouvé celle de 1572, date de l’arrêt
final. Il n’a pas observé que nous sommes en présence
d’une pièce composite longue de 26 folios écrits
recto verso, qui commence ex abrupto par une charte
de Charles IX en date de 1555, charte qui mentionne elle-même
que l’affaire a été porté devant le Bailly d’Étampes
dès 1554.
La déclaration
des chanoines est en bas du verso de ce premier folio; elle
n’est pas datée clairement (13).
A quel moment de cette longue procédure ont-ils allégué
cette durée de 550 ans, qui est de toute façon
évidemment donnée en chiffres ronds et sans prétention
à l’exactitude, c’est ce qu’il est bien difficile de
déterminer.
De plus,
même si nous avions tort sur ce point, et si les chanoines
avaient eu l’idée de cette date précise de 1022,
comme l’a supputé l’auteur de cette note anonyme, comment
de toute façon leur accorder le moindre crédit, que
ce soit dans un sens ou dans l’autre, quand on voit que dans la même phrase ils
qualifient Robert le Pieux de «premier de ce nom»,
alors qu’il s’agit de Robert II, et quand on les voit alléguer
quelques lignes plus loin que le dit Robert avait institué
onze chanoines sous la direction d’un chantre, ce qui est un anachronisme
manifeste (14)? Et que dire de cette date fantaisiste pour la création
de la dignité de chapelain, prétendument en 1231
(transformée en 1331 par notre annotateur), alors qu’on
trouve déjà dans le Cartulaire lui-même des chanoines
un réglement relatif aux chapelains édicté par l’abbé
Eudes en 1193 (15)? Il est manifeste
que nos chanoines de Notre-Dame sont au XVIe siècle d’une
ignorance crasse de leur propre histoire, outre que leur propos est
alors partisan.
Alliot souligne lui-même d’ailleurs dans son introduction
qu’un grand nombre des affirmations des chanoines reproduites
dans ce dossier sont des plus suspectes, et d’autres clairement
erronées, parce qu’en contradiction flagrante avec certaines
chartes de leur propre cartulaire, où il a pourtant
ensuite été recopié (16).
Si
du reste il y avait eu le moindre document à
la disposition des chanoines à l’appui de cette date
fantaisiste, en admettant qu’ils aient prétendu la donner,
il est clair qu’on en aurait au moins une copie dans le cartulaire.
Fleureau quant à
lui, qui avait à sa disposition toutes les archives de
Notre-Dame, observe précisément qu’on n’a aucune donnée
sur la date de cette fondation, et il se rapporte sur cette question
à la célèbre déclaration
du chroniqueur Raoul le Glabre, selon lequel l’année
1003 marqua le commencement d’une vague générale
de construction d’églises par toute la terre et spécialement
en Italie et dans les Gaules (17).
C’est certainement à une date analogue qu’ont
songé les chanoines, et il est bien probable qu’il faut
faire courir les 550 ans dont ils parlent, en chiffre ronds, à
partir du commencement de la procédure lancée en 1554,
ce qui nous ramène aux environs de l’an 1003 supputé
de son côté par Fleureau, en l’absence de toute données
d’archives. De toute façon, l’historien n’a pas à tenir
compte de ces opinions, parce que ceux qui les ont formulées
n’avaient pas plus d’informations que nous à ce sujet. Ils en avaient
même moins à certains égards. |
Sceau de Robert II le Pieux
Sceau
d’Henri Ier
(11)
Pratiquement tous.
(12) Il est curieux qu’Alliot mentionne
et discute la valeur de cette deuxième note marginale comme
s’il s’agissait d’un témoignage de quelque importance, alors
qu’elle est évidemment due à lecteur aussi tardif
qu’étourdi.
(13) Pour se faire une idée claire
de cette question de détail, il faudrait que quelqu’un
se dévoue pour déchiffer entièrement ce dossier
de plus de 50 pages et en dégager la structure. Le
Corpus Étampois serait prêt à
éditer cette source un peu indigeste mais sûrement très
utile par ailleurs pour l’histoire du XVIe siècle étampois.
(14) On sait qu’il y avait douze
prébendes au départ et que la douzième
ne fut supprimée qu’en 1142. F leureau,
ibid., pp. 297-300, donne le texte de quatre
chartes relatives à cette question.
(15) Charte éditée et commentée
par Fleureau, pp. 303-304. Fleureau pense qu’il y a eu des chapelains
dès l’origine: c’est peut-être excessif. Les chapelains cités
en 1082 sont en fait des chapelains du roi, comme l’a vu Prou
(16) Voyez Alliot,
op. cit., pp. 145-146.
(17) Antiquitez,
p. 290.
|
Et l’évêque
du lieu?
Si l’on observe par ailleurs que le moulin
qui indique le point de séparation entre le territoire
du chapitre de Notre-Dame et celui des chanoines de Saint-Martin,
s’appelle le moulin de Seguain ou de Sevain (qu’il se soit
situé sur l’ancien cours de la Louette, ou comme le
veut Martin, à l’emplacement du moulin dit ultérieurement
Sablon), on en vient naturellement à une tout autre
hypothèse.
Qui d’autre aurait
pu être à l’initiative de la fondation du
chapitre de Notre-Dame d’Étampes que l’évêque
du lieu? Qui d’autre aurait pu enlever au chapitre
de Saint-Martin le droit de sépulture de tout ce
secteur et l’attribuer autoritairement au nouveau chapitre
de Notre-Dame, sinon l’archevêque diocésain de
Sens, sans l’accord duquel de toute façon rien n’a
pu se faire? Or ce personnage est curieusement absent de tous
les premiers actes conservés par le chapitre de Notre-Dame.
Au début du règne de Robert,
l’archevêque de Sens, personnage considérable,
puisque, rappelons-le, il prétend comme celui
de Lyon à la primature de toutes les Gaules et les Germanies,
est précisément de 978 à 999 un Seguin
(alias Sewin). Cet archevêque n’a pas bonne presse
dans la jeune dynastie capétienne parce que précisément
il s’est ouvertement opposé au sacre d’Hugues Capet
autant qu’il a pu; il est vrai que cédant à
la demande du pape il a fini par reconnaître la nouvelle
dynastie et même consenti à sacrer Robert II
en 988, du vivant de son père Hugues Capet; mais il
s’est à nouveau attiré les foudres de ce dernier
au concile de Saint-Basle (17) en
991 où il a refusé de consentir à la déposition
de l’archevêque de Reims Arnoul, partisan des carolingiens et carolingien lui-même:
et il fut incarcéré
pendant trois ans à Orléans.
Seguin
de Sens, mort en 999 après avoir récupéré
son siège, a lui aussi été un
rebâtisseur. Non seulement il a fait reconstruire à
Sens même le monastère de Saint-Pierre-le-Vif
à Sens et inauguré la nouvelle cathédrale
en 982, mais encore ailleurs dans son diocèse il a fait
réparer et doté l’église Saint-Pierre
de Melun, en 981. Notons que ces constructions ou reconstructions,
fondations ou refondations, ont lieu bien avant l’an 1003 dont parle
Raoul le Glabre, qu’il ne faut pas nécessairement prendre au
pied de la lettre (18).
Or nous n’avons pas plus
de raison pour attribuer à Robert II l’inititiative
de la fondation de Notre-Dame d’Étampes qu’à
l’évêque du lieu.
Dans l’état actuel de nos connaissances, rien
ne permet donc d’exclure une fondation du chapitre de Notre-Dame
d’Étampes avant l’an mil, sous l’impulsion de l’archevêque
de Sens. C’était d’ailleurs l’ordre naturel des choses si
l’on veut bien lire ce qu’en écrit incidemment Fleureau
lui-même à un autre sujet: «la
Religion chrêtienne s’augmentant, les Evêques n’ont
pû faire par eux-mêmes tout ce qui étoit de leurs
charges; & (...) ils ont été obligez de prendre
des personnes qui les aidassent en la plus part de leurs fonctions;
(...) dans la suite des temps l’on a fondé dans les autres villes
des collèges de chanoines sur le modèle de ceux qui
étoient auprés de l’Evêque» (19).
Le
successeur de Seguin, qui occupe le siège archiépiscopal
de Sens pendant toute la suite du règne de Robert II et
le début de celui de Henri Ier, soit de 999 à 1032,
est un certain Lierry (Leothericus), auquel la tradition
ne paraît pas rapporter de fondations dans le diocèse.
En revanche son pontificat
est tumultueux. Il est dès le départ mis en difficulté
par son parent et rival le comte de Sens, au point que le roi
Robert en profite pour intervenir à Sens à deux reprises,
d’abord en 1001, puis à nouveau en 1015, où il prend
possession de la ville, comme de bien entendu.
Ce Lierry est l’homme de
Robert à Sens. Il n’a pas les moyens de faire valoir
ses droits à Étampes, sur les terres d’un prince
dont il est le jouet, alors qu’à Sens même le fils
du comte lui crache au visage pendant la messe. Une fois Sens aux
mains du roi, les choses ne s’arrangent pas: le roi se mêle de
tout et lui dicte sa loi même en matière de théologie,
n’hésitant pas à lui reprocher une prétendue
hérésie. C’est lui qui préside ce fameux concile d’Orléans qui inventa en
1022 de livrer des hérétiques au bûcher,
sous la pression de ce roi qu’on appelle le Pieux.
Après la mort de Robert en 1031,
Sens échappe en partie à son fils qui ne réoccupera
vraiment ce comté qu’en 1055. Il réussit toutefois à y installer
contre la volonté des habitants du lieu un archevêque
qui lui doit tout, mais qui n’arrive pas à se faire respecter dans
son propre diocèse, Gelduin (20), que ses ouailles réussissent
au bout du compte à faire déposer pour simonie (1032-1049) et à remplacer par
Mainard, fils du comte de Sens (1050-1062).
Le chapitre d’Étampes
pendant ce temps est livré à lui-même, ou
plutôt à l’influence des nobliaux des environs, qui
se partagent ses prébendes, d’ailleurs peut-être
non sans droit légitime. Le premier abbé mentionné
est apparenté visiblement à une famille noble de La
Ferté-Alais. Nul ne songe à préserver les droits
éventuels de l’archevêque. Un siècle plus tard,
lors de la fondation de Sainte-Croix, les choses se passeront différemment.
Nous débordons ici
naturellement le cadre de nos conclusions les plus sûres.
Il s’agit de pistes de travail, et d’hypothèses que des
travaux ultérieurs devront soit infirmer, ou confirmer.
|
Robert II le Pieux et les
chanoines d’Orléans,
vus par un artiste du XVe siècle, Jean Fouquet
(17)
Saint Basle (latin Basolus) était
fort en honneur en ce temps-là. Il n’est pas vraisemblable
cependant qu’il y ait eu confusion de titulature, même
si celle de Saint-Basile (Basilius) est d’une rareté
intrigante, et même si la chanson de Roland, au XIe siècle,
confond bien allégrement avec notre saint Basile le saint
martyr Basilide, dont le sang est contenu dans le
pommeau de Durandal. Dans le domaine liturgique, même en
comptant avec l’ignorance des clercs du temps, la confusion est peu
vraisemblable.
(18)
Et ce d’autant que la reconstruction par exemple de la cathédrale
Saint-Étienne de Sens, terminée par Seguin, avait été
commencée par son précédesseur Anastase (968-978).
(19)
Antiquitez, p. 421.
(20)
Ce Gelduin (ou Gerduyn, comme écrit Fleureau, Antiquitez,
p. 367) aurait présidé en 1048 ou 1049 un concile
provincial à Étampes, qu’il vaudrait mieux qualifier de
synode, et dont on ignore le sujet: mais cette affirmation reste à
étayer car les auteurs paraissent varier sur la date et le lieu
de ce synode.
|
13. Aspect général d’Étampes en 1046
Nous ne faisons
ici que quelques brèves observations, réservant
à une prochaine page un tableau de la société
et de la topographie étampoises vers 1046.
Ainsi
que l’écrit Michel Martin, «ce diplôme
trace, quoique de façon assez vague, la topographie
de la ville» et «en 1046 le suburbium
est très bien défini autour du castrum»
(1).
Nous
en sommes d’accord, mais nous pensons qu’il a largement
surestimé l’extension du dit castrum,
ou châtre, qui ne comprenait certainement que
quelques pâtés de maison actuels du Centre-Ville.
Cette enceinte ne comprenait ni l’église Saint-Basile
ni le moulin Notre-Dame, et elle n’allait certainement pas
jusqu’au cours forcé de la rivière. Elle suivait
d’abord la rue Évezard puis passait derrière
les terres des chanoines jusqu’au début de la rue du Renard,
qui garde encore une trace de cet arrondi, jusqu’à
la rue de Petit Panier, faisant ainsi le tour de l’ancien palais
royal, secteur qui gardait encore au XVIe siècle le nom de
Donjon. Je conjecture qu’elle suivait ensuite la rue Sainte-Croix
jusqu’aux Quatre-Coins. La synagogue n’était sûrement
pas comprise dans la première enceinte. Les fouilles récentes
menées par Xavier Peixoto pendant la première rédaction
de cet article semblent bien confirmer ce tracé de l’enceinte
au XIe siècle du côté de la rue Évezard
et derrière les maisons canoniales: elles ont même mis à
jour un tracé de l’enceinte encore plus rapproché de Notre-Dame que je ne
l’avais d’abord pensé, comme on le voit sur
le plan que je propose ci-dessus, où est porté en rouge le
fossé découvert par les archéologues de l’INRAP, précisément daté
de la fin du XIe siècle et du début du XIIe.
En dehors et non loin de l’enceinte s’étirait
déjà le cours forcé de la Louette,
qui faisait tourner au moins le moulin Notre-Dame, et certainement
aussi dès lors, non loin la porte de la ville qui
est tournée vers Sens, le moulin royal (dit de
Darnatal après la création
des Nouveaux Étaux par Philippe Auguste).
Mais il est bien possible que les eaux de la Chalouette pour
leur part suivaient encore leur ancien cours. En tout cas c’est
le premier tracé de ce cours qu’on appelait encore la Louie,
ou bien la Loué, après avoir été
appelée la Loa au VIIe siècle
De l’autre côté de la ville se dressait
l’église Saint-Basile depuis au moins deux générations,
sinon davantage, indice d’un noyau de peuplement
ancien dans le secteur. En effet on ne peut plus en attribuer
la construction à Robert II, comme je l’ai fait moi-même
dans un article précédent (2), à
la suite de Fleureau et de tous les historiens d’Étampes.
Je tends maintenant à croire qu’il s’agit d’une petite
fondation monastique caroligienne.
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Sceau
d’Henri Ier
(1) Op. cit., respectivement
pp. 187 et 45.
(2) Cahier d’Étampes-Histoire
6 (2004), pp. 54-66. |
Bernard Gineste, 12 novembre 2006
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