CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS

Archives de la Bastille
Abbé Desforges
1758-1760
 
La Bastille

     Jacky Gélis a récemment publié une synthèse qui renouvelle complètement notre connaissance de l’affaire Desforges, dans le numéro 5 des Cahiers d’Étampes-Histoire. Rappelons que ce chanoine étampois fut incarcéré à la Bastille en 1758 pour avoir publié un ouvrage qui prônait le mariage des prêtres.
     C’est l’occasion de mettre en ligne ce que les archives de la Bastille ont conservé au sujet de ce chanoine étampois tout à fait anticonformiste, y compris une lettre de Desforges lui-même. Nous suivons l’édition de ces archives par François Ravaisson-Mollien qui date de 1891 et donne en note des extraits intéressants de l
ouvrage condamné de Desforges.
     
Rappelons également qu’à la demande du Corpus Étampois, M. Éric Elst, astrophysicien belge, a accepté de dénommer un astéroïde nouvellement découvert lui Desforges, et ce avec l’accord officiel de l’Union Astronomique Internationale.
   
ABBÉ DESFORGES (1)

Libelles.
SAINT-FLORENTIN A BERTIN.
28 juillet 1758.    

     Je joins ici la lettre que m’a écrite l’abbé de Bernis, au sujet du livre intitulé: Avantages du mariage (2), etc. Je vous prie de vouloir bien me marquer le plus tôt possible, en me renvoyant [p.219] la lettre de M. de Bernis, ce que vous avez fait pour tâcher de découvrir l’auteur de cet ouvrage, et si vos démarches à cet égard ont eu quelque succès. Il est fort intéressant qu’on puisse s’assurer de l’auteur.
 
(B. A.)    

D’HÉMERY AU MÊME.
   

La Bastille 26 septembre 1758.    

 
       J’ai arrêté et conduit ce matin à la B. J. Desforges, prêtre et chanoine d’Étampes, après l’avoir fait convenir qu’il était le seul auteur du livre intitulé: Les avantages du mariage, et combien il est nécessaire et salutaire aux prêtre et aux évêques de ce temps-ci d’épouser une fille chrétienne, ainsi qu’il l’a déclaré au comm. de Rochebrune, par le procès-verbal de perquisition qu’il a faite dans la chambre garnie que cet abbé occupait, rue de la Parcheminerie, où il ne s’est rien trouvé de suspect; mais comme je savais que le dépôt était rue de la Harpe, dans une chambre que l’abbé avait louée à ce sujet, je l’ai accompagné dans cet endroit pour être présent à la saisie d’environ 2000 et quelques cents exemplaires de son ouvrage que j’ai fait porter à la B., ainsi qu’il est constaté par le procès-verbal du comm.

(B. A.)    
BERTIN A DUVAL.

     Faire dire à l’abbé Desforges qu’on lui demande avant tout le nom et la demeure de l’imprimeur qui a imprimé son ouvrage et la demeure du crocheteur à qui il a vendu les exemplaires.
     Apostille de Duval. — Écrit au major de la B. de lui dire. Ce 30 septembre 1758.

CHEVALIER A BERTIN.
10 avril 1759.   

     L’abbé Desforges a besoin de bas. Ce prisonnier a de l’argent que j’ai à ma garde. Voulez-vous bien permettre que je lui achète ce qu’il a de besoin? Nous attendons vos O.

(B. A.)    
D’HÉMERY AU MÊME.
9 mai 1759.    

     J’ai notifié et remis ès mains de l’abbé Desforges, en le mettant [p.221] en liberté de la B., l’O. du R., etc., qui l’exile à Étampes, au bas de la copie duquel il a fait sa soumission et promis d’y obéir sous les peins portées (3).

(B. A.)    
LE MÊME AU MÊME.
9 mai 1759.    

     Vous trouverez ci-joint la lettre que M. le G., au sujet de la liberté de l’abbé Desforges, qui est sorti du ch. cette après-midi, à 5 h. Il a été signifié à l’abbé Desforges un O. d’exil pour se rendre à Étampes, lieu de sa naissance, jusqu’à nouvel ordre.

(B. A.)    
BEAU AU MÊME.
Étampes, 29 mai 1759.    

     J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, par laquelle il vous a plu de me faire part que le R., ayant bien voulu accorder la liberté de l’abbé Desforges, en l’exilant à Étampes, son pays, où il a un bénéfice, il ne peut venir à Paris et s’éloigner d’Étampes de plus de 2 h. L’intention du ministre étant que je veille à sa conduite, et en cas qu’il fit imprimer de nouveaux livres que j’aie à vous en informer sur-le-champ, je vous supplie d’être persuadé combien je serai attentif à remplir vos intentions et celles du ministre. J’ai différé de vous accuser la réception de votre lettre, voulant avant étudier les sentiments de l’abbé Desforges, qui, depuis son retour à 
Étampes, me paraît pénétré d’un sincère repentir de sa faute, et très sensible à la grâce que vous lui avez faite de lui procurer la liberté.

(B. A.)    

L’ABBÉ DESFORGES AU MÊME.
Étampes, 7 août 1759.    

     Je vous prie de souffrir que je vous importune encore pour que vous ayez la bonté de me rendre un service. Les chanoines de mon chapitre me disent qu’ils ne me tiendront point compte du temps que j’ai été retenu à la B., à moins que je ne leur produise un certificat en bonne et due forme que je suis rentré à la B. le 26 de septembre dernier, et que j’en suis sorti le 9 de mai dernier. Je vous [p.222] prie donc de vouloir bien m’en envoyer le certificat. Je tâche de me comporter de façon que tout le public soit édifié de ma régularité et de ma bonne conduite, et je garde un silence inviolable sur mon livre, ainsi que je l’ai promis. Je m’occupe maintenant à la construction d’une machine qui sera d’une très grande utilité au public. J’en ai fait un petit essai qui m’a assez bien réussi. Je vais bientôt la proposer à la cour, car je voudrais être en état de témoigner ma reconnaissance à mes bienfaiteurs; mais je ne pourrai jamais m’en acquitter dignement avec vous, après les services importants que vous m’avez rendus, et dont je garderai un éternel souvenir.

(B. A.)    
SAINT-FLORENTIN A SAUVIGNY.
16 mars 1760.    

     Desforges, chanoine à l’église collégiale de Notre-Dame d’Étampes (a), est l’auteur du livre contre le célibat des prêtres, rempli d’obscénités, et qu’il a été très difficile de détruire. Il fut conduit dans le temps à la B. et relégué ensuite à Étampes, d’où il n’est sorti qu’après avoir signé la rétractation la plus ample de son livre. Mais, bien loin de suivre son engagement, M. le cardinal de Luynes me marque qu’il vient d’en recevoir une lettre pleine d’injures, par laquelle il ajoute de nouveaux griefs à ceux qu’on avait déjà à lui reprocher, et qu’il refuse de tenir le soumission qu’il avait faite de se retirer volontairement au grand séminaire de Sens. Comme ce chanoine a dans l’esprit et dans le cœur tout le fanatisme nécessaire pour devenir le chef d’une nouvelle secte qui troublerait autant l’État que la religion, le R. a jugé à propos de donner l’O. ci-joint, par lequel vous verrez que l’intention de S. M. est que cet ecclésiastique se retire au grand séminaire de Sens pour y rester jusqu’à nouvel O., à peine de de désobéissance. Vous voudrez bien, en le lui faisant notifier, faire prendre sa soumission d’y obéir et me l’envoyer (4).

(A. N.)    
NOTES DE L’ÉDITEUR
(plus ou moins bien informées et à ne pas prendre pour argent comptant. B. G.)
(ici renumérotées)

     (1) Ordres d’entrée du 26 septembre 1758, et de sortie du 9 mai 1759. Contresignés Saint-Florentin.
 
     (2) Voici quelques passages qui peuvent donner une idée de ce qu’était ce livre. L’auteur avait certainement la cervelle renversée, et sa place était plutôt à Charenton qu’à la B.:
« ÉPÎTRE AU ROI DE FRANCE.

     «Nous nous prosternons au pied de votre trône, suppliant instamment V. M. de nous secourir: à ce qu’il soit permis à votre clergé de France, aux évêques et aux prêtres, d’épouser une fille chrétienne, afin que leur fragilité soit garantie des dangers où le célibat les expose sans cesse. Le pape ne sera pas assez inhumain que de vous refuser cette grâce, que V. M. aura la bonté de lui demander pour nous; mais s’il la refusait et s’il était déraisonnable au point de manquer de déférence à V. M., elle y pourrait très bien remédier…
     «Ah! grand roi, le plus grand bien que vous puissiez faire à votre clergé c’est la permission d’épouser une fille chrétienne. Tout est possible à V. M. auguste: il ne tient qu’à vous de nous rendre heureux; il ne tient qu’à vous de nous délivrer de la tristesse où nous avons langui continuellement jusqu’à présent. Votre clémence nous laissera-t-elle toujours en proie aux désirs brûlants qui nous tourmentent sans aucun fruit? Hélas! La mort est préférable à une vie triste…»
     «Il n’est pas possible de nombrer les sottises que les théologiens ont écrit dans leurs livres pour empêcher que les gens mariés n’usent du mariage.
     «L’usage en est défendu, disent-ils, dans le carême; il est défendu les jours de fête; il est défendu d’en user pour remédier à sa propre concupiscence ou par amour de sa femme; il est seulement permis, disent-ils, d’en user dans l’intention d’avoir des enfants, et quand l’autre demande l’action conjugale.
     «Qu’est-ce qui les a prié de tant faire de défenses et de tant disputer sur un bien qui ne leur appartient pas? On dirait que c’est le regret qu’ils ont de n’être pas mariés. Hélas! Combien n’y a-t-il pas de théologiens qui commettent des adultères et des fornications à toute occasion; ils ne s’en feraient pas même scrupule le Vendredi Saint, et ils voudraient que les gens mariés s’abstinssent de l’action conjugale presque tous les jours de l’année…
     «….Hélas! il y a des prêtres qui seraient fâchés d’être mariés, parce que s’ils l’étaient il faudrait qu’ils n’eussent d’affection et de tendresse que pour leur épouse seulement, et que ne l’étant pas ils ont le plaisir d’aimer toutes sortes de femmes…»

 
     (3) Le Parlement avait condamné son livre au feu.

     (4) Ce chanoine était un fou déclaré, mais il n’était pas bête, plus tard il attrapa 100,000 francs à des souscripteurs bénévoles pour faire un essai d’aérostation. Le ballon et son conducteur tombèrent à l’eau, mais l’abbé surnagea, sans qu’on ait entendu parler de lui ni de son argent.

     (a) Il était en fait chanoine de Sainte-Croix.

     (b)
Source: le site Gallica de la BNF. Saisie en mode texte de Bernard Gineste, 2004.
  
  
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE

Éditions

     François RAVAISSON-MOLLIEN [éd.], Archives de la Bastille. Documents inédits. Tome XVII. Règne de Louis XV: 1757 à 1762, publiés et recueillis par François Ravaisson [V+500 p.], Paris, G. Pedone-Lauriel, 1891 [dont une réédition numérique en mode image par la BNF, 1995, mise en ligne sur son site Gallica, N083167, http://gallica.bnf.fr/document?O=N083167, en ligne en 2004, d’où la présente saisie en mode texte], pp. 218-222.

     Bernard GINESTE, «Archives de la Bastille: L’abbé Desforges (1758-1760)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-18-1758-1760bastille-desforges.html
, 2004.

Sur Desforges

     Paul PINSON, Étude biographique sur l
abbé Desforges, chanoine de léglise collégiale de Sainte-Croix dÉtampes (1732-1792), Paris & Étampes, 1897 [ouvrage cité par GÉLIS 2003, non conservé à la BNF].

      Jacques GÉLIS, «Voler ou convoler? L’étonnante destinée du chanoine Desforges», in ID. [dir.], Des grands Étampois méconnus. Louis Moreau. Nathan ben Meschullam. Le chanoine Desforges. Le gisement à vertébrés fossiles de Vayres-sur-Essonne [29 cm; 52 pages], Étampes, Association Étampes-Histoire [«Les Cahiers d’Étampes-Histoire» 5], 2003, pp. 25-45 (15 illustrations; cite les archives de la Bastille d
après PINSON 1897).

Étampes et l’Aviation dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE, «Étampes et l’Aviation: quelques documents», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-aviation.html, 2006.


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