|                                                    
                                              
                                                     
                                                                        
          ANNEXE        
                                                                        
                
        SAINT JEAN CHRYSOSTOME  
                    (mort    en  407) 
                    HOMÉLIE SUR SAINT JULIEN 
                    prononcée  à Antioche 
                    
                     
                                                                 
                                                    
      
                     
                                                                 
                                                    
      
  
                                                                 
                                                    
      AVERTISSEMENT ET ANALYSE 
              par l’abbé Jean-Baptiste Jeannin (1867) 
                     
                      
                                                                 
                                                    
                                          
                                                    
                                                            
 
                                                            
           
                                                             
                    
                                                             
                              
                      
       Il est parlé, dans le martyrologe romain, d’un Julien, martyr,
   né    à Anazarbe, en Cilicie. Son père était
  sénateur,    et sa mère chrétienne. Ayant été
  élevé    par sa mère dans la foi de Jésus-Christ,
  et ayant étudié    les lettres sacrées, il fut dénoncé
  à l’âge    de dix-huit ans au gouverneur Martian. Comme il
refusait  de sacrifier aux    idoles, il fut tourmenté et déchiré
  dans différentes    parties du corps. Jeté en prison , et
animé  par les exhortations    de sa mère, il déclara
qu’il confesserait  Jésus-Christ    jusqu’au dernier soupir. Le gouverneur,
le voyant inflexible, le fit enfermer    dans un sac rempli de sable et d’animaux
venimeux, et le fit jeter dans  la  mer. Ce fut ainsi que Julien obtint la
couronne du martyre. C’est lui,  ajoute-t-on,  que le grand Chrysostome a
célébré  dans  un éloge. 
                        
                           1°       Après avoir exposé 
les grands honneurs que Dieu réserve       aux saints martyrs, pourquoi 
il ne les récompense pas dès     cette  vie, et le courage que
leur inspire la perspective d’une félicité       future,  
                  2° l’orateur parle
de   la   fermeté de Julien, qui, promené avec outrage par
toute   la Cilicie,  ne faisait que montrer partout un athlète généreux,
    et qu’annoncer avec éclat dans sa personne la gloire du Très-Haut.
     — 3° Ici un lieu commun sur
la   splendeur    dont brillent les martyrs. En vain on tourmente Julien,
en vain  on le déchire    dans toutes les parties du corps, on ne
peut lui ravir les trésors    de la foi; on ne peut lui arracher que
cette parole, et c’est la dernière    qu’il prononce: Je suis chrétien.
Le gouverneur est obligé   de s’avouer vaincu; il fait enfermer le
saint dans un sac rempli de sable   et d’animaux venimeux, et le fait jeter
dans la mer. — 4° Saint Jean Chrysostome
   compare Julien    enfermé dans ce sac, avec Daniel enfermé
  dans la fosse aux   lions, et avec Noé enfermé dans l’arche.
  — 5° Ce discours est terminé
  par une    très-longue et fort belle exhortation de l’orateur aux
 fidèles    d’Antioche qui l’écoutaient, de ne pas se rendre
 le lendemain à    un faubourg de la ville, nommé Daphné,
 où il y avait    des divertissements peu conformes à l’esprit
 du christianisme, de   ne pas se rendre, dis-je, à ce faubourg, et
 d’empêcher que leurs   frères ne s’y trouvent, de les en détourner
 même de force  pour les ramener au tombeau du martyr, bien préférable
    au faubourg  de Daphné. Cette exhortation prouve que le discours
  a  été  prononcé à Antioche , mais on ne sait
  en  quelle année. 
                       
                     
                   
                 
               
             
              
                                                                        
                                             
      
  
                                                
                                          
                                                    
                                                            
 
                                                            
           
                                                             
                    
                                                             
                              
                           1. Si les martyrs obtiennent     de tels honneurs
   sur la terre, de quelles couronnes, après leur  départ 
 de   cette vie, ne seront pas décorées leurs têtes vénérables?
     s’ils jouissent d’une telle gloire avant la résurrection, de
quelle      splendeur ne seront-ils pas revêtus après la résurrection? 
     si de simples hommes les honorent d’un tel culte, quelles marques de 
bienveillance     ne recevront-ils pas de leur divin Maître? si nous, 
qui sommes méchants,     nous accordons de pareils témoignages 
d’estime et d’admiration aux    vertus de nos semblables, parce qu’ils ont 
combattu pour Jésus-Christ,     combien plus notre Père céleste 
 prodiguera-t-il ses faveurs     à ceux qui se sont épuisés 
 pour lui de peines et de   travaux! Ce n’est pas parce qu’il est libéral 
 et magnifique dans  ses  dons, qu’il leur réserve de grandes récompenses, 
 mais parce  qu’il est leur débiteur. Les martyrs ne se sont pas immolés 
    pour nous, et nous nous empressons d’honorer leur cendre. Mais si nous, 
  pour  lesquels ils ne se sont pas sacrifiés, nous courons à 
  leur tombeau, que ne fera point Jésus-Christ, pour lequel ils ont 
 dévoué   leurs têtes! Si Dieu a comblé de telles 
 grâces des hommes   auxquels il ne devait rien, de quels dons ne gratifiera-t-il 
 pas ceux dont   il est le débiteur! Dieu ne devait rien auparavant 
 à la terre:         Tous ont péché, dit saint Paul, 
 tous ont besoin de   la gloire de Dieu (Rom. III, 23); ou plutôt 
 il ne nous devait que  des peines et des supplices. Toutefois, quoiqu’il 
ne nous dût que des  peines et des supplices, il nous a accordé 
 la vie éternelle.   Si donc il a donné son royaume à 
 des hommes auxquels il ne  devait que des punitions, que ne donnera-t-il 
pas à ceux auxquels il doit la vie éternelle! s’il a expiré 
 sur la croix , s’il a répandu son sang pour ceux qui le haïssaient, 
 que ne fera-t-il  pas pour ceux qui ont répandu leur sang pour confesser 
 son nom! s’il  a aimé des ennemis et des rebelles [408] , jusqu’à 
 mourir pour  eux, quelles marques de bienveillance et de distinction ne réserve-t-il
     pas pour des hommes qui lui ont donné la plus forte preuve d’amour,
     puisqu’on ne peut prouver plus fortement à ses amis qu’on
les    aime  qu’en leur sacrifiant sa vie! (Jean, XIII, 15.) 
                                          
                                        Les athlètes
des jeux profanes sont proclamés      et couronnés dans la
même lice où ils ont combattu   et   vaincu. Il n’en est pas
de même des athlètes de la foi:   ils  ont combattu dans la
vie présente, ils sont couronnés  dans le siècle futur;
ils ont lutté sur la terre contre le démon,  dont ils out triomphé,
ils sont proclamés dans le ciel. Et afin que vous soyez convaincus
de cette vérité, que ce n’est pis sur la terre que les saints
reçoivent leurs couronnes, mais que c’est dans le ciel que les plus
magnifiques récompenses les attendent, écoutez saint Paul qui
dit: J’ai bien combattu, j’ai achevé ma course, j’ai gardé
la foi: il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice (pour
quel lieu et pour quel temps?)       que le Seigneur, comme un juste juge,
me rendra en ce grand jour. (II Tim. IV, 7 et 8). Il a couru sur la terre,
il est couronné dans le ciel; il a vaincu sur la terre, il est proclamé
dans le ciel. Vous avez encore entendu aujourd’hui le même apôtre
s’écrier:       Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant
pas reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et
les saluant de loin.    (Héb. II, 13.) D’où vient donc
que pour les athlètes    profanes, les couronnes suivent de près
les victoires, tandis que   pour les athlètes de la foi, les victoires
sont séparées   des couronnes par un long intervalle de temps?
Les saints ont éprouvé     ici-bas des peines et des fatigues,
ils ont reçu mille blessures,    et ils n’ont pas été
couronnés à l’instant même!    Non, sans doute; parce
que la nature de la vie présente ne comporte    pas la grandeur de
la récompense future. La vie présente  est   courte et fragile;
la récompense future est immense, infinie,  éternelle.   Si
donc Dieu a enfermé les peines dans le court  espace d’une vie passagère,
 s’il a réservé les couronnes  pour une vie incorruptible et
inaltérable, c’est afin que le fardeau  des peines soit allégé
par la brièveté du temps  qui les termine, et que la jouissance
des couronnes, sans être bornée   par aucun terme, se prolonge
dans l’éternité des siècles.   C’est donc parce qu’il
voulait les récompenser plus abondamment qu’il   a différé
la récompense; c’est aussi afin qu’ils goûtent,   par la suite,
une joie plus pure. En effet, comme celui qui doit éprouver   des
afflictions, après avoir vécu dans les plaisirs et dans   les
délices, ne sent pas les charmes de l’abondance où il vit 
maintenant, par l’attente des maux dont il est menacé: de même
  celui qui doit obtenir des couronnes après les plus rudes combats,
  et des peines sans nombre, ne sent pas les maux présents, animé
  par l’espoir des biens futurs. Et ce n’est pas seulement par de espérances
  dans l’avenir que Dieu allège à ses saints les peines de
la   vie présente, mais c’est encore en plaçant la tribulation
avant  le plaisir, afin que la perspective d’une félicité future
empêche  qu’ils ne soient accablés par les maux présent.
C’est ainsi  que les athlètes reçoivent des blessures avec
courage, considérant   moins les peines qu’ils éprouvent, que
ta couronne qu’ils espèrent.   C’est ainsi que les nautoniers, en
butte aux périls et aux tempêtes,   exposés aux guerres
les plus cruelles contre les monstres de la mer   et les brigands qui l’infestent,
ne pensent à rien de cela, mais ne  voient que les ports, et le commerce
qui doit les enrichir. C’est ainsi que  les martyrs, qui souffraient une
infinité de maux, dont le corps était  déchiré
par mille tourments divers, ne voyaient rien de cela,  mais ne soupiraient
qu’après le ciel, après le bonheur d’une  autre vie. Et afin
que vous sachiez que ce qui est difficile et accablant  par soi-même
devient facile et léger par l’espoir des biens à venir, écoutez
le Docteur par excellence , qui nous dit:       Le moment si court et
si léger des afflictions de cette vie produit en nous le poids éternel
d’une souveraine et incomparable gloire (et comment, je vous le demande?),
                    si nous ne considérons point les choses visibles,
mais les invisibles. (II Cor. IV, 17 et 18.) Ce n’est pas au hasard que
je vous prêche ces vérités:     c’est pour votre instruction,
 c’est afin que, quand vous verrez le méchant,      qui doit être
 puni dans un autre monde, jouir de toutes les délices,      de tous
 les plaisirs de cette vie, ces plaisirs et ces délices  ne   vous
le fassent pas trouver heureux, mais que plutôt vous le trouviez  
  malheureux, en considérant les supplices qui l’attendent; et aussi
    afin que, quand vous verrez dans l’affliction, dans la détresse,
  environné  de tous les maux d’une vie passagère, un de ces
 hommes qui dans le  ciel doivent être comblés de gloire et
de  bonheur, vous ne déploriez   pas son sort à la vue des
maux  [409] qu’il souffre actuellement, mais  que les couronnes qui lui sont
réservées    dans les siècles   éternels vous
fassent regarder sa condition    comme heureuse et digne   d’envie. 
                                          
                                        2. Le saint martyr dont nous 
 célébrons      la mémoire naquit en Cilicie, où 
 était né  saint    Paul; il était compatriote de cet 
 apôtre, et tous deux,  sortis    de cette région, se sont montrés 
 de dignes ministres  de l’Eglise.    Loi sue la carrière de la foi 
 fut ouverte, et qu’il  fallut soutenir    des combats, il tomba entre les 
 mains d’un gouverneur cruel et barbare.  Et  considérez les ruses 
qu’employa ce méchant  homme: Comme  il apercevait dans notre saint 
une volonté ferme, une  âme courageuse,   dont il était 
impossible de triompher par la violence des tourments,   il diffère 
de jour en jour son supplice,  il le fait paraître   et retirer sans 
cesse. Il ne lui fait pas trancher  la tête dès   qu’il est instruit
de ses dispositions, de peur  que la promptitude de sa  mort ne rende sa
course plus facile; mais il le  fait amener devant lui à   plusieurs
reprises, lui fait subir de fréquents  interrogatoires, le  menace
de mille tourments, cherche à le gagner  par des paroles flatteuses,
 en un mot, emploie tous les moyens pour ébranler  ce rocher inébranlable.
  Il le promena même durant une année  entière par toute
  la Cilicie, comme pour lui faire affront; mais  il ne faisait que manifester
  la gloire de ce généreux martyr,  qui s’écriait avec
 saint Paul:                     Je rends grâces à Dieu qui
nous fait toujours   triompher en Jésus-Christ, et qui répand
 par nous en tout lieu  l’odeur de la connaissance de son nom. (II Cor.
 II, 14.) Un parfum renfermé   dans un espace étroit n’embaume
 de son odeur que l’air dont il est   environné; mais s’il est porté
 dans plusieurs lieux, il les   remplit tous d’une odeur suave: c’est ce
qu’on  vit alors dans notre bienheureux   martyr. Il était transporté
 de pays en. pays pour être   couvert de confusion; et par toutes ces
 courses répétées,   devenu un athlète plus illustre,
 il faisait admirer sa vertu à   tous les habitants de la Cilicie.
Il était transporté partout,   afin que les Ciliciens n’apprissent
  pas seulement par ouï-dire ses combats,  mais qu’ils vissent de leurs
  propres yeux l’athlète couronné.   Plus le gouverneur multipliait
  les courses de Julien, plus il augmentait  sa gloire; plus il lui ouvrait
  de lices, plus il lui fournissait occasion  de se signaler par des combats
  admirables; plus il prolongeait ses souffrances,   plus il mettait sa patience
  à l’épreuve. Plus l’or reste dans   la fournaise, plus il
devient  pur; plus l’âme du saint était   éprouvée,
plus  elle brillait avec éclat. En faisant  conduire partout le martyr,
 le gouverneur ne faisait que montrer partout un trophée contre lui-même
  et contre le démon, une preuve  de la cruauté des gentils,
 un témoignage de la piété  des chrétiens, un
signe frappant de la puissance de Jésus-Christ,  une exhortation aux
fidèles pour les engager à soutenir courageusement  les mêmes
combats, un héraut de la gloire divine, un maître   dans la
science de pareils assauts. Le saint excitait tous les hommes à  
imiter son zèle, moins par ses paroles que par ses actions, dont la
  voix retentissait partout avec éclat. Et comme les cieux annoncent
     la gloire du Très-Haut aux mortels qui les contemplent; comme
ils    nous invitent à admirer le Créateur, non parles paroles
qu’ils    font retentir à notre oreille, mais par l’éclat dont
ils frappent    nos regards: de même le martyr annonçait la
gloire du Très-Haut,    étant lui-même un ciel, et un
ciel plus éclatant que   le ciel visible. Non, les chœurs des astres
ne rendent pas aussi brillant   le firmament qu’ils embellissent, que le
sang qui sortait des blessures du  martyr rendait son corps resplendissant;
et voyez comment les blessures du  martyr brillaient avec plus de splendeur
que les astres placés dans  les cieux! Les hommes et les démons
envisagent le ciel et les astres  qu’il renferme; mais lus blessures de Julien,
que les fidèles peuvent  envisager, les démons n’osent les
regarder en face, et s’ils entreprennent  d’y jeter la vue , leurs yeux éblouis
 ne peuvent supporter l’éclat  qu’elles renvoient. C’est ce que je
vais prouver par des faits dont nous sommes les témoins, sans recourir
aux anciens prodiges. Prenez un homme furieux, tourmenté par le démon,
 amenez-le au tombeau respectable où sont déposés les
 restes du martyr, et vous verrez l’esprit impur abandonner le corps qu’il
 tyrannise, et prendre honteusement la fuite. Dès le seuil de la chapelle
 où le martyr est honoré, il s’enfuit comme s’il allait marcher
 sur des charbons, sans oser même regarder la châsse qui renferme
 ses reliques. Mais si aujourd’hui, que le saint n’est plus que cendre et
poussière,  les démons n’osent regarder en face le monument
où reposent  ses os dépouillés, il est clair que, lorsqu’ils
le voyaient  revêtu de son [410] sang comme d’une pourpre royale, et
brillant par  ses blessures plus que le soleil par ses rayons, ils se sont
retirés  frappés de cette vue, les yeux éblouis. Voyez-vous
comme les  blessures des martyrs sont plus brillantes, plus admirables, et
ont plus de pouvoir que les astres du firmament? 
                                          
                                        3. Le saint est amené 
 devant le      tribunal; il ne voit de toute part que tourments et supplices 
 affreux,   il   ne voit que peines et douleurs dans le moment et pour la 
suite. Les  bourreaux   environnent son corps comme des bêtes féroces;
  ils  déchirent   ses flancs, découpent ses chairs, mettent
 ses os  à nu, pénètrent   jusqu’aux entrailles. Mais
 malgré  leurs recherches cruelles, ils ne  peuvent lui ravir le trésor
 de la foi. Dans les palais des princes   , dans les lieux où est
déposé    leur or et d’autres richesses  immenses, si on perce
les murs, si on ouvre    les portes, on aperçoit   . aussitôt
le trésor qu’ils    renferment. Mais c’était  tout le contraire
pour notre saint, pour    ce temple vivant de Jésus-Christ.   Les
bourreaux perçaient    les murs; ils ouvraient la poitrine sans pouvoir
 découvrir ni prendre    les richesses cachées au dedans; et
de  même que les habitants    de Sodome, quoique à la porte
de la maison  de Lot, ne pouvaient  en  trouver l’entrée: ainsi, quoique
les bourreaux  ouvrissent de tous  côtés le corps de Julien,
ils ne pouvaient  ni saisir ni ravir  le trésor précieux de
la foi qu’il tenait  en réserve.    Telles sont les vertus qui décorent
 l’âme  des saints, qu’elles    ne peuvent être ni saisies ni
enlevées;   placées dans    le courage et la constance, comme
dans un asile sacré,   ni les yeux   des tyrans ne peuvent les découvrir,
ni les mains des  bourreaux  ne  peuvent les ravir; mais quand ils perceraient
le cœur, qui est  le siège    du courage, quand ils le couperaient
par morceaux, loin d’épuiser    les richesses de la grâce que
possèdent les saints, ils ne  feraient   même que les augmenter.
La raison de ce prodige, c’est que,  Dieu habite   dans leurs âmes,
et que, quand on fait la guerre à  Dieu, il  est impossible de triompher,
il faut absolument qu’on se retire  vaincu, couvert   de honte et de confusion.
C’est pour cela que, quoique les paroles ordinairement   soient si faibles,
et qu’elles aient si peu d’effet  contre les attaques de  la puissance, elles
eurent alors une efficacité  nouvelle, et triomphèrent   de
tous les efforts de la cruauté.  Le tyran et les bourreaux employaient
  les fouets; le fer, le feu, en un  mot, tous les instruments des plus affreux
  supplices; ils déchiraient  de tout côté les flancs
du   martyr, qui ne prononçait  qu’une parole , et cette parole seule
triomphait   de toutes les machines  dressées contre lui. Une parole
sainte sortie   de sa bouche répandait  une lumière plus éclatante
que   les rayons du soleil. Les rayons du soleil ne parcourent que l’espace
qui   est entre le ciel et la terre; ou plutôt ils ne peuvent parcourir
tout  cet intervalle, lorsqu’interceptés    et arrêtés
par un toit, par un mur, par un nuage, ou par quelqu’autre    corps, ils
sont rompus  par ces obstacles et ne peuvent aller plus avant.    La dernière
parole  du martyr, sortie de sa bouche sainte, s’élance    jusqu’au
ciel, elle  pénètre jusqu’aux cieux supérieurs;    les
anges, les archanges,  les chérubins, toutes les puissances célestes, 
  se retirent pour la laisser passer; et pénétrés pour 
  elle de respect,  ils la portent humblement au trône du Roi suprême. 
                                          
                                        4. Lorsque   Julien    eut prononcé sa 
 dernière parole, le gouverneur voyant.   que   tous ses moyens et 
toutes ses ruses étaient inutiles, qu’attaquer    le saint c’était 
 regimber contre l’aiguillon, c’était vouloir    entamer un diamant, 
 que fait-il? il prend dès lors le parti d’avouer    sa défaite, 
 de terminer les jours du martyr; car la mort des martyrs    est un aveu public
 que les tyrans font de leur défaite, et une victoire    éclatante 
 que les martyrs remportent sur ceux qui leur ôtent    la vie. Voyez 
 comme il imagine un genre de mort cruel, également  propre  à 
 manifester la barbarie du tyran et la fermeté du martyr. Quel est 
donc ce genre de supplice? Il fait apporter un sac, qu’il remplit de sable, 
de scorpions, de serpents, de vipères et de dragons; il yfait mettre 
le saint, et le fait jeter à la mer. Un juste se trouva   de nouveau 
enfermé avec des bêtes féroces; je dis de  nouveau, afin 
que vous vous rappeliez l’ancienne histoire de Daniel. L’un  a été 
jeté dans une fosse, dont les ministres du prince  avaient fermé 
l’entrée avec une pierre; un sac a été  la prison de 
l’autre, prison étroite où un gouverneur cruel  l’a fait enfermer. 
Dans l’une et l’autre circonstance, les bêtes féroces  respectent 
les corps des saints, pour condamner et confondre des êtres  qui sont 
doués d’une nature humaine et raisonnable, et dont la férocité 
   surpasse de beaucoup celle des brutes: tel était, sans doute, le 
 tyran  dont nous parlons. On vit alors un prodige aussi extraordinaire que 
  du temps  de Daniel. Les Babyloniens furent étonnés de voir, 
  après    plusieurs [411] jours, le prophète sortir plein de
  vie de la fosse    aux lions; les anges furent surpris de voir l’âme 
  de Julien sortir   du milieu des flots et du sac qui la renfermait, pour 
 s’élever jusqu’aux    cieux. Daniel a combattu et vaincu deux lions, 
 mais matériels: Julien    a combattu et vaincu un seul lion, mais 
spirituel.                     Le démon,  notre   ennemi, dit 
saint Pierre,                     tourne sans cesse autour de nous,  comme 
 un lion rugissant, et cherche qui il pourra dévorer (I Pierre, 
 V, 8); mais il a été vaincu par le courage du martyr. Le martyr 
  avait déposé le venin du péché; aussi n’a-t-il
   pas été dévoré par l’esprit impur, et n’a-t-il
   craint ni la cruauté du lion, ni la fureur des bêtes féroces.
   Voulez-vous que je vous rapporte une autre histoire encore plus ancienne,
   où un juste s’est trouvé avec des bêtes féroces?
   rappelez-vous le déluge arrivé du temps de Noé, et
 l’arche  qu’il avait construite un juste, alors, et des bêtes féroces
   se trouvèrent ensemble. Mais Noé entra homme dans l’arche
 et  en sortit homme; Julien entra homme dans la tuer et en sortit ange.
L’un   entra de la terre dans l’arche et retourna sur la terre; l’autre entra
de   la terre dans la mer, et de la mer s’éleva dans le ciel. La mer
l’a   reçu, non pour lui donner la mort, mais pour lui accorder la
couronne;   et après qu’il a été couronné, elle
nous a rendu   cette arche sainte, je veux dire le corps du martyr. Nous
avons conservé   jusqu’à ce jour ce trésor précieux,
la source d’une  infinité de biens; car le Seigneur a partagé,
en quelque sorte,  avec nous les martyrs; il a pris leurs âmes et nous
a laissé  leurs corps, afin que nous ayons, dans leurs saintes reliques,
un monument  qui nous rappelle sans cesse leurs vertus. En effet, si en voyant
les armes  ensanglantées d’un guerrier, son bouclier, sa pique, sa
cuirasse, l’homme le plus lâche est animé et enflammé,
s’il soupire après la guerre, si la seule vue de ces armes l’excite
à tenter les mêmes entreprises; nous qui voyons, non les armes,
mais le corps d’un saint qui a mérité d’être ensanglanté
pour avoir confessé le nom de Jésus-Christ, quand nous serions
les plus timides des hommes, comment ne concevrions-nous point la plus grande
  ardeur? comment cette vue n’embraserait-elle point notre âme, ne
nous   porterait-elle point à soutenir les mêmes combats? Dieu
nous   a abandonné les corps des saints jusqu’au temps de là
résurrection,   afin qu’ils nous donnent de grandes leçons
de philosophie chrétienne.   Mais craignons de diminuer, par la faiblesse
 de nos discours, les louanges   dues à un martyr, laissons au souverain
 Juge de ses combats à   le louer: Celui qui couronne les martyrs
les  louera lui-même; leur  louange ne vient pas des hommes, mais de
Dieu;  et tout ce que nous avons dit de Julien, ce n’est pas pour illustrer
davantage  un martyr, mais pour enflammer de plus en plus votre ardeur. 
                                          
                                        Nous 
 allons donc laisser son éloge pour   vous   adresser la parole; ou 
 plutôt parler dans l’église d’objets    instructifs, c’est faire
 l’éloge des martyrs. Ecoutez-moi avec attention:    je veux détruire
 aujourd’hui un ancien abus, afin que nous imitions    les martyrs, sans
nous  contenter d’honorer leurs tombeaux.  Oui , l’honneur    rendu aux martyrs
 ne consiste pas seulement à venir  à leurs    tombeaux, mais
 plus que cela encore, à s’efforcer  d’imiter leur courage.   Il faut
 dire, d’abord, quel est l’abus que j’attaque,  parce que la maladie   étant
 inconnue, il n’est pas facile d’appliquer  le remède:   je découvre
 d’abord la plaie, pour mettre ensuite  l’appareil. Quel   est donc l’abus
 dont je parle? 
                                          
                                        5. Quelques-uns      de ceux qui sont ici présents
(car à Dieu ne plaise que  mes    reproches s’adressent à toute
l’assemblée!) nous abandonneront      demain par lâcheté 
 et par faiblesse, ils courront au faubourg      de Daphné pour dissiper 
 demain ce que nous avons recueilli aujourd’hui,      pour détruire 
 ce que nous avons édifié. Afin donc   qu’ils   ne- soient pas
 venus ici inutilement, nous finirons par dire quelques   mots   sur cet
objet:  Pourquoi, je vous prie, courez-vous au faubourg d’Antioche?     
c’est ici  le faubourg de la Jérusalem d’en-haut, c’est ici le Daphné
    spirituel. Là-bas sont des fontaines d’eau, ici sont les sources
   des  martyrs; là-bas sont des cyprès, arbres stériles;
   ici  sont des arbres qui ont leurs racines en terre, et qui étendent
   leurs  branches jusqu’au ciel. Voulez-vous voir le fruit de ces branches?
   ouvrez  les yeux de la foi, et vous apercevrez aussitôt une espèce
   de  fruit merveilleux. Non, le fruit de ces branches n’est pas corruptible
   et  périssable, il ne ressemble à aucun de ceux que produit
   la terre: c’est la guérison des corps mutilés et des âmes
    malades, la rémission des péchés, l’abolition du
vice,    la prière continuelle, la confiance dans le Seigneur; tout
ici est    spirituel, tout est rempli de biens célestes. Ces fruits
sans cesse    cueillis repoussent sans cesse, et ne trompent jamais l’espoir
du [412]  cultivateur.  Les arbres terrestres ne produisent qu’une fois l’année;
  et aux approches  de l’hiver, ils perdent leur beauté propre, leurs
  fruits, qu’on n’a  pas cueillis, se corrompant et tombant d’eux-mêmes.
  Les arbres dont  je parle ne connaissent ni hiver, ni été,
 ne sont pas sujets  à l’inclémence des saisons: jamais dépouillés
     de leurs fruits, ils conservent toujours leur beauté, sans être
     exposés ni à la corruption, ni à la vicissitude
des    temps. Combien, depuis que ce corps est planté dans la terre,
les   fidèles ont cueilli de ce tombeau des guérisons, sans
que le  fruit ait jamais manqué; ils ont moissonné les blés,
   et il reste encore une ample moisson; ils ont puisé aux fontaines,
   et les eaux jaillissent toujours. La source est intarissable, elle ne
manque    jamais; plus on y puise, plus on en voit couler de prodiges. 
                                          
                                        Et le 
 tombeau du saint n’opère pas seulement      des miracles, il produit 
 encore la sagesse. Etes-vous riche, enflé      d’orgueil, rempli d’arrogance?
 venez ici, voyez le martyr, considérez      combien votre richesse
 diffère de son opulence; et vous réprimerez      bientôt
 votre fierté, vous vous en retournerez ayant déposé
      tout orgueil, et l’âme guérie d’une vaine enflure. Etes-vous
       pauvre, vous croyez-vous digne de mépris? venez ici, voyez
la   richesse     du martyr, et dédaignant les biens de ce siècle,
  vous vous    en retournerez plein d’une philosophie chrétienne.
Oui,   quand on  vous   aurait causé mille torts, quand on vous aurait
accablé     d’outrages   et de coups, cette pensée, que vous
n’avez pas encore     souffert autant   que le martyr, vous fera remporter
d’ici une abondante    consolation. Vous  voyez quels fruits naissent de
ces racines, combien ils   sont inépuisables,   combien ils sont spirituels,
combien ils appartiennent   à l’âme! 
                                          
                                        Je n’empêche 
 pas que vous vous rendiez  au  faubourg,   mais je m’oppose à ce que
 vous y alliez demain. Pourquoi?    c’est afin   que votre plaisir ne soit
 pas répréhensible,  afin  que votre   joie soit pure, qu’elle
 ne vous attire pas de condamnation;  car  vous pouvez,   dans un autre jour,
 vous livrer sans crime à des  divertissements  honnêtes.  Que
 si vous voulez goûter, même  aujourd’hui,  quelque plaisir, 
quoi de plus agréable que cette assemblée    et ce spectacle 
spirituel?  quoi de plus doux que la société    de vos frères 
et de  vos membres? Mais voulez-vous même participer    à une 
table matérielle?  vous pouvez, lorsque l’assemblée    sera 
séparée, vous asseoir près de la chapelle du martyr, 
  sons un figuier ou sous une vigne, et procurer à votre corps quelque 
  satisfaction, sans charger votre conscience d’un crime. Le martyr qui est 
  présent et qui assiste à votre table, ne permet pas que la 
 joie dégénère en licence: comme un maître attentif 
 ou un bon père aperçu des yeux de la foi, il réprime 
   les ris immodérés, il arrête les joies excessives, 
il   empêche toutes les révoltes de la chair, inconvénients 
   inévitables dans le faubourg de Daphné. Pourquoi? c’est qu’il
   y aura demain des danses dans tout le faubourg. Or, la seule vue de ces
 danses  entraîne le plus sage à imiter les mouvements indécents
   dont il est le témoin surtout lorsque le démon est de la
partie;   et il est présent, appelé  par les chants des prostituées,
    par les discours obscènes, par les pompes diaboliques qu’on y
étale.     Or, vous avez renoncé  à toutes ces pompes,
vous vous êtes     attachés au culte  de Jésus-Christ,
du jour où vous    avez été admis  aux sacrés
mystères. Rappelez-vous     donc les paroles que vous  avez prononcées,
les engagements que  vous   avez pris, et craignez de  violer vos promesses. 
                                          
                                        Mais 
 je vais m’adresser à ceux qui ne  se  rendront   pas à Daphné, 
 et leur recommander le salut de  leurs  frères.   Lorsqu’un médecin 
 visite un malade, il dit  peu de  chose au malheureux   gisant dans son lit:
 il s’adresse à ses proches,  leur parle des remèdes,   de
la.  nourriture, et leur recommande les  autres parties du traitement. Pourquoi?
  c’est que le malade n’est point en état, pour l’heure, de recevoir
  des conseils, au lieu que celui qui est en santé, écoute, 
avec  la plus grande attention toutes  les ordonnances du médecin. 
Voilà  pourquoi je veux m’adresser  aussi à vous. Saisissons-nous 
demain des  portes, assiégeons    les chemins, que les hommes fassent 
revenir malgré  eux les hommes,    que les femmes ramènent malgré
 elles les femmes.  N’ayons   pas de honte, il n’y a pas de honte à
avoir  lorsqu’il s’agit  du  salut de notre prochain. Si nos frères
ne rougissent  pas de se rendre  à une fête profane et criminelle,
ne rougissons  pas de les ramener à une solennité sacrée;
ne négligeons  rien, lorsqu’il est question du salut de nos frères.
Si Jésus-Christ   est mort pour nous, nous devons tout supporter pour
eux. Quand ils vous accableraient   de coups et d’invectives, retenez-les,
ne les quittez pas que vous ne les   ayez ramenés au saint martyr.
Quand il vous faudrait [413] prendre   les passants pour juges, dites à
ceux qui voudront l’entendre: Je  veux sauver mon frère, je vois qu’il
perd son âme, je ne puis  négliger celui auquel je tiens de
si près. Que celui qui le  voudra m’accuse, que celui qui le voudra
me condamne. Ou plutôt personne  ne me blâmera, tous me loueront,
tous me chériront, puisque ce n’est ni pour un vil intérêt,
ni pour contenter un ressentiment  personnel, ni pour aucun autre motif profane,
que je dispute, mais pour le  salut de mon frère. Qui n’approuvera
pas ma conduite? qui ne l’admirera  pas? Quoique nous n’ayons ensemble aucune
liaison de parenté charnelle,  la parenté spirituelle nous
rend plus chers les uns aux autres, que  des enfants ne le sont à leurs
parents. Si vous voulez même,  prenons avec nous le martyr; il ne rougira
point de nous accompagner, et de sauver ses frères. Montrez-le à
leurs yeux; qu’ils craignent     sa présence, qu’ils respectent ses
prières et ses exhortations.     Si Dieu exhorte ses créatures: 
       Nous faisons la charge d’ambassadeurs    pour Jésus-Christ, 
 dit saint Paul, et c’est Dieu même    qui vous exhorte, par notre 
 bouche, à vous réconcilier avec    lui (II Cor. V, 20), 
 à plus forte raison un serviteur de Dieu   exhortera-t-il ses frères. 
 La seule chose qui l’afflige, c’est notre   perte, la seule chose qui le 
réjouisse, c’est notre salut; aussi ne  se refusera-t-il à rien
pour nous sauver. N’ayons donc pas de honte  de nous-mêmes, et ne croyons
pas en pouvoir trop faire. Si des chasseurs  parcourent les montagnes, les
précipices, les gouffres et les abîmes,  pour prendre quelques 
animaux terrestres, ou même des oiseaux sauvages;  vous qui devez ramener 
de la perdition, non un vil animal, mais votre frère   spirituel, pour
lequel Jésus-Christ  est mort, vous rougissez, vous   hésitez, 
je ne dis pas de franchir  des forêts et des montagnes,   mais de sortir 
simplement des portes  de la ville! quelle excuse, je vous  prie, vous restera-t-il? 
n’entendez-vous  pas l’avertissement d’un sage qui  vous dit: Il y a une 
honte qui conduit  au péché? (Ecclés.   IV, 25.) 
Mais vous craignez  qu’on ne vous blâme; rejetez toute la faute  sur 
moi, qui vous ai donné  le conseil; dites que c’est votre maître 
 qui vous l’a ordonné.  Je suis prêt à me justifier devant 
 ceux qui m’accuseront , et à rendre compte de ma conduite; ou plutôt, 
  aucun homme, quelque impudent qu’on le suppose, ne vous blâmera ni 
 vous ni moi, mais tous nous approuveront, et applaudiront à nos soins. 
 Tous les habitants d’Antioche, ceux même des villes voisines admireront 
 la force impérieuse de notre charité et l’ardeur de notre zèle.
   Mais que parlé-je des hommes? le Maître des anges lui-même
   nous donnera son approbation. Puis donc que nous savons quelle sera la
récompense   de nos peines, ne négligeons pas cette chasse
spirituelle; ne revenons   pas seuls demain, mais présentons-nous chacun
avec notre proie. Pourvu   que nous nous rendions à l’heure où
notre frère sortira   de sa maison pour se mettre en chemin, et que
nous l’engagions à visiter   ce lieu, il n’y aura plus dès lors
de difficulté. Lui-même   vous en saura gré par la suite,
tous les autres vous loueront, vous   admireront, et, ce qu’il y a de plus
essentiel, le Maître des cieux   vous en récompensera  abondamment,
il vous comblera de biens et de  louanges. Considérant  donc l’avantage
qui résulte pour nous  d’une telle conduite, rendons-nous  tous en
foule aux portes de la ville, saisissons-nous de nos frères,  ramenons-les
ici, afin que demain l’église soit pleine, et que la solennité
soit parfaite; afin que le bienheureux   martyr, pour prix de notre zèle
, nous reçoive avec confiance   dans les tabernacles éternels.
Poissions-nous obtenir cette faveur   par la grâce et par la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ,   par qui et avec qui soit la gloire
au Père et à l’Esprit saint   et vivifiant, maintenant et toujours,
dans tous les siècles des siècles!   Ainsi soit-il. 
                       
                     
                   
                 
               
                             
           
           
                                                                        
                             
      
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