CORPUS DES ÉTABLISSEMENTS ÉTAMPOIS
 
 
Bernard Gineste
L’auberge des Trois-Maures à Étampes
XVIe-XVIIe siècles
 
   
Le peintre Chudo restaurant une ancienne enseigne des Trois Maures à l'Arbresle (détail d'une cliché du photographe professionnel Régis Moissonnier, © Chudo et Régis Moissonnier)
Le peintre Chudo restaurant l’enseigne des Trois-Maures à  l’Arbresle
Extrait d’un cliché de Régis MoissonnierChudo & Moissonnier)


     Les historiens locaux étampois Léon Marquis en 1881 et Léon Guibourgé en 1957 ont cru devoir identifier l’auberge étampoise disparue des Trois-Maures à celle des Trois-Rois, qui existait encore en leurs temps, au numéro 150 de la rue Saint-Jacques. Il s’agit en fait d’un établissement tout à fait distinct, qui se trouvait pour sa part rue des Cordeliers, et qui disparut en 1648. On donne ici quelques éléments pour servir à retracer son histoire, en attendant davantage.
1ère édition, octobre 2008
                      
Bernard Gineste
L’auberge étampoise des Trois-Maures
XVIe-XVIIIe siècles

     Je ne prétends pas ici faire œuvre d’historien. Je donne seulement ici ce que j’ai trouvé sur cette question chez mes prédécesseurs (c’est l’État de la question), avant de récapituler par ordre chronologique ce que l’on sait désormais de cet établissement, grâce à leurs travaux d’une part, et d’autre part grâce aux mentions de cette auberge que j’ai trouvées de mon côté au hasard de mes recherches, tant chez l’historien Tallemant des Réaux que dans le registre des baptêmes de Saint-Gilles d’Étampes (Chronique de l’Auberge des Trois-Maures).


1. État de la question

1.
Un récit de Dom Fleureau (1668)


     Dom Basile Fleureau, père de l’historiographie étampoise, dans ses Antiquités d’Étampes, rédigées vers 1668 et publiées en 1683, y situe un épisode intéressant*.
     * Antiquitez de la ville et du duché d’Estampes, p. 259.

     A la fin de 1589, «les habitants d’Estampes furent contrains de payer la rançon des sieurs de Vaugrigneuse et de Monroger, du parti du roy, qui furent enlevez de l’hôtellerie des Mores par des soldats de la garnison de Dourdan, qui se saisirent de la porte de saint Martin, pendant que l’on étoit occupé à remedier à un desordre arrivé en un autre quartier de la ville».

2.
La théorie de Léon Marquis (1881)


     Selon Léon Marquis, commentant en 1881 cette anecdote*, il s’agit sans doute ici de l’hôtel des Trois-Rois, qui s’appelait tantôt des Trois-Rois-Maures, tantôt des Trois-Maures; à la Révolution, on ne le connaissait que sous ce dernier nom.
     A l’appui de cette dernière affirmation, Marquis cite vaguement en note des
«manuscrits de l’époque».
     * Les Rues d’Étampes et ses monuments, p. 115

     La localisation de l’auberge des Trois-Rois, qui existait encore à l’époque de Marquis, ne fait pas de doute: elle se situait quant à elle à l’actuel n°150 de la rue Saint-Jacques.


     On reconnaît bien là la manière de travailler parfois singulièrement brouillonne de Marquis, et son expression parfois confuse. A-t-il personnellement constaté l’existence de la dénomination intermédiaire Trois-Rois-Maures, ou bien en suppose-t-il l’existence? En fait il la suppose. Quant aux manuscrits «de l’époque» auquel il fait référence, par quoi il semble se référer à l’époque révolutionnaire, il fait certainement erreur.


     En effet, il s’agit de deux enseignes très différentes, qui n’ont rien de spécifiquement étampois, puisqu’on les retrouve chacune, sous l’Ancien Régime, aux quatre coins de la France et au-delà, dans plusieurs pays européens. Les Trois Rois étaient les mages dont parle l’Évangile de Luc, et dont la tradition avait précisé les traits, qu’on appelait aussi les rois de Cologne, parce que cette ville prétendait détenir leurs reliques.

     Quant à l’enseigne des trois Maures, dont l’origine et la signification n’est pas bien établie, elle était constituée de trois têtes de nègres (comme on disait alors sans la moindre connotation raciste), comme on le voit encore par exemple à l’Arbresle, où une très ancienne enseigne des Trois-Maures a été restaurée par le peintre Chudo, photographié par Régis Moissonnier (photo de titre).


     Identifier ces deux enseignes est arbitraire et invraisemblable en soi-même; à ce tarif il faudrait aussi y identifier l’auberge des Trois-Couronnes (124 rue de la République) et celle des Trois-Empereurs (rue du Haut-Pavé), ou encore celle des Trois-Fauchets (dite aussi du Grand-Courrier, 65 rue Saint-Jacques), ou encore identifier le Lion-d’Or (rue Paul-Hugo) et le Lion-d’Argent (130 rue Saint-Jacques), etc.


     Il est impossible que l’on soit passé de l’une de ces enseignes à l’autre, clairement distinctes dans l’imaginaire collectif du temps, comme on le voit par exemple dans ce poème autobiographique de Raimond Poisson, vers 1690, où l’auteur ne se rappelle plus si l’auberge orléanaise dont il parle s’appelait des Trois-Rois ou des Trois-Maures:
Ce vieux domestique, c’est moi,
Moi qui reçus de vous le nom de Belleroche,
Dans un lieu d’Orléans, où l’on tournoit la broche;
C’étoit un cabaret que l’on nommoit, je crois,
     Les trois Maures ou les trois Rois.*

     * Cité par Claude-Pierre Goujet dans sa Bibliothèque françoise, Paris, Mariette & Guerin, 1756, tome 18, p. 272.
3.
Travaux et théorie de Léon Guibourgé (1957)


     Léon Guibourgé, dans son Étampes ville royale, publié en 1957, reprend et développe la théorie de Léon Marquis, qu’il ne remet pas en cause, bien qu’il se soit aperçu que l’hôtel des Trois Maures était en fait rue des Cordelier, comme il l’écrit*:
     Non loin de l’hôtel de La Fontaine, dont nous avons parlé, se trouvait l’important hôtel des Trois Rois. Primitivement il était au bout de la rue des Cordeliers. II s’est installé rue Saint Jacques quand la Congrégation Notre-Dame vint s’établir rue des Cordeliers. Dom Fleureau au sujet des guerres civiles vers la fin du XVIe siècle écrivait: «En 1589, les habitants d’Etampes furent contraints de payer la rançon des sieurs de Vaugrigneuse et de Monroger du party du roy, qui furent enlevés de l’hôtellerie des Mores par les soldats de la garnison de Dourdan.» — Cette hôtellerie des Mores était celle des Trois Rois Maures, qu’on appelait encore «Hôtel des Maures» pendant la Révolution, car naturellement il fallait supprimer tout ce qui rappelait la royauté. Nous pensons que, primitivement, il s’agissait des «Trois Rois Mages». Avant le dernier bombardement d’Etampes on voyait encore sur la façade de l’ancien hôtel trois bustes qui prétendaient rappeler ces trois rois et qui en réalité représentaient trois empereurs romains.
     Actuellement l’hôtellerie des Trois Rois est devenu le garage Gouguenheim. Au lieu d’automobiles, c’étaient des carrosses qui entraient dans la cour. Au XVIIe siècle, de grands personnages venaient y loger.



     *
Page 189.


     Guibourgé a profondément renouvelé la question parce qu’il a trouvé mention de notre auberge, au cours de ses recherches dans les Archives des Religieuses de la Congrégation, dont il  résume les données comme suit
*:
     L’importance de la Communauté allant toujours croissant, les religieuses ne tardent pas à manquer de place dans la rue des Tripots. Alors, elles se décident à bâtir un nouveau et plus vaste couvent dans la paroisse Saint-Gilles, près des Cordeliers. Pour cela, elles achètent en cet endroit plusieurs terrains voisins les uns des autres, et sur leur emplacement elles construisent aussitôt de grands bâtiments, sous la direction de la Supérieure, qui était alors Mme Madeleine d’Herbemont de Charmois, en religion Mère Gabrielle de l’Annonciation.
     A l’heure actuelle, le carrefour qui est au bout de la rue des Cordeliers avant d’arriver à la rue Saint-Jacques s’appelle encore le «Carrefour des Religieuses». Il s’agit bien entendu des religieuses de la Congrégation Notre-Dame qui s’installèrent près du carrefour.
[...]
     En vue d’établir leur Congrégation dans le quartier Saint Gilles, proche des Cordeliers, les religieuses font l’acquisition de plusieurs maisons et terrains en cet endroit.
     C’est d’abord le 16 février 1645 une petite maison servant d’hôtellerie, à l’enseigne des «Trois-Marchands», puis le 25 avril, plusieurs autres bâtiments, un grand jardin, un pré, d’un côté aulnaie, de l’autre arbres fruitiers; le 24 octobre 1647, deux maisons voisines et un jardin, et, le 2 novembre 1648, toujours dans le voisinage, une grande maison et un jardin servant d’auberge à l’enseigne des «Trois-Maures».
     Les propriétés des religieuses s’étendaient ainsi depuis le carrefour jusqu’à la rivière des Prés. Le 19 septembre elles avaient obtenu du seigneur d’Etampes la permission de renfermer la rivière dans ces propriétés, afin d’en compléter la clôture malgré la vive opposition des religieux Cordeliers, leurs voisins.

     En 1649, les travaux pour aménager le couvent et le pensionnat sont à peu près terminés. Le 28 août, en la fête de Saint Augustin, elles viennent s’établir dans leur nouvelle résidence. L’année suivante, elles s’agrandissent encore par l’acquisition de l’hôtellerie du «Cheval Blanc». Ces différentes hôtelleries achetées par la congrégation s’installèrent ailleurs dans la rue Saint Jacques.

     La théorie de Guibourgé complique celle de Marquis sans la remettre en cause, tant lui paraît grande l’autorité de cet auteur, qui pourtant ne cite aucune source précise. Aussi imagine-t-il qu’il n’y a pas eu seulement un changement de dénomination mais encore de localisation de notre auberge. On nage dans l’invraisemblance, puisque plus rien ne permet de les identifier, abstraction faite des allégations confuses d’un érudit local souvent pris en défaut sur des questions de ce genre.

     Le plus fort est d’aller supposer, en raison de la naïve confiance qu’il accorde à son prédécesseur, que cette dénomination de Trois-Maures aurait réapparu sous la Révolution, en haine de la royauté, comme le laisse confusément à entendre Marquis.





     * Étampes ville royale, pp. 173-174.
4.
Le bon sens de Frédéric Gatineau (2003)


     Frédéric Gatineau*, grand dévoreur d’archives, à qui l’on doit bien des trouvailles, dont on ne lui rend pas toujours le mérite, a retrouvé aux Archives départementales de l’Essonne, dans la série G, la source vraisemblable à laquelle se réfère Guibourgé.

     Il se contente pour sa part de nous dire que l’auberge des Trois-Maures,
«située vers l’ancien couvent des Cordeliers, a été achetée en 1648 par les Dames de la Congrégation pour l’agrandissement de leur couvent».

     Pour sa part il se garde bien d’identifier nos deux auberges et observe un silence, soit prudent, ou miséricordieux, sur les errances de ses deux prédécesseurs.
     * Étampes en lieux et places, p. 127.
 


2. Chronique de l’auberge des Trois-Maures


Jehan Mygnon parrain à Saint-Gilles le 2 février 1596
Jehan Mygnon, hostellier demourant aus Mores (parrain à Saint-Gilles le 2 février 1596)


      Pour ma part j’ajoute à ce petit dossier, deux mentions de Jean Mignon, hôtelier de cette auberge, trouvées dans le registre des baptêmes de Saint-Gilles en 1596 et 1599; et une autre de cette auberge dans lune des Historiettes de Tallemant des Réaux. Voici donc au total ce qu’on sait de cette auberge étampoise des Trois-Maures, pour l’instant (11 octobre 2008):

1589 (fin)
Deux officiers du roi enlevés à cette auberge


     Selon Fleureau, alors que les Étampois assiégés s’étaient portés dans un autre quartier, des soldats ligueurs de la garnison de Dourdan enfoncèrent la porte de Saint-Martin et trouvèrent à l’hôtellerie des Mores deux officiers du roi, les sires de Vaugrigneuse et de Monroger, qu’ils enlevèrent, et dont ils demandèrent une rançon.
     Henri IV en fit supporter le poids
aux Étampois, qu’il fit mine de considérer comme responsables de leur capture.
     Voyez ci-dessus.
1596 (2 février)
Jean Mignon, hôtelier des Trois Maures, parrain


     Du deuxiesme febvrier 1596. Fut baptisé Pierre fils de Pierre de La Croix et de Charlotte Meusnier. Les parrins: celluy qui a nommé, Jehan Mygnon, hostellier demourant aus Mores, et Denis Jamberolle cabarettier; la marenne: Christine Meusnier. Environ trois heures apres mydy. 
     Dont cliché ci-dessus.
1599 (26 décembre)
Jean Mignon, hôtelier des Trois Maures, parrain


     Du XXVIIesme decembre 1599. Fut baptisé Jehan filz de Pierre Fortier et de Magdeleine Guilleneuf. Les parrins: celuy qui a nommé, sire Jehan Mygnon, hostellier demourant aux Trois Mores, et sire Michel Gilles, drappier. La marenne: Katherine Heymard, femme de sire Françoys Gabaille. Environ deux heures après mydy.
Gamoys
     Dont cliché ci-dessous.
peu après 1625
Aventure galante à l’auberge des Trois-Maures


     Cependant La Barre devint amoureux de la femme d’un nommé Compain de Tours, petit partisan, qui étoit venue à Paris avec son mari; c’étoit une jolie personne, coquette, rieuse, gaie, qui contrefaisoit tout le monde, et qui concluoit assez facilement, pourvu qu’on payât bien. La Barre et elle ne purent pourtant mettre l’aventure à fin à Paris, car le mari ne la quittoit point: mais ils s’avisèrent d’une assez plaisante invention. Compain part de Paris avec sa femme; La Barre les laisse aller. Trois ou quatre heures après il prend la poste avec un nommé La Salle, son barbier: ils descendent aux Trois-Mores à Etampes, où la belle étoit logée. Elle, qui avoit le mot, se coucha dès qu’elle fut arrivée, feignant de se trouver mal. La Barre ne se laisse point voir au mari, et la va trouver, tandis que Compain soupoit à table d’hôte. Apres souper La Salle l’engage au jeu, de sorte que le galant eut tout le loisir de faire ce pourquoi il étoit venu. Le lendemain il demande à La Salle s’il n’avoit point d’argent: La Salle lui donne sept ou huit pistoles qu’il va vite porter à la servante de la dame. Quand elle fut partie, et qu’il fallut payer leur couchée, La Barre dit à La Salle que la Compain ne lui avoit pas laissé un sou. «Vraiment, dit le barbier, si je n’avois eu l’esprit de garder deux ou trois pistoles, nous en tiendrions. — J’eusse laissé mon épée, répond La Barre; et puis les officiers d’ici me connoissent apparemment.» Ils retournèrent à Paris.
Tallemant des Réaux, Historiettes,
éd. Monmerqué, 1834, t. 3, pp. 285-286.
    Voyez l’édition en ligne, intégrale et annotée, que j’ai donnée de cette historiette.
1648 (2 novembre)
Suppression de l’auberge des Trois-Maures


     Selon Léon Guibourgé, les Religieuses de la Congrégation achètent à cette date, pour agrandir leur établissement, une grande maison et un jardin servant d’auberge à l’enseigne des Trois-Maures.
     Voyez ci-dessus.
 
Jehan Mygnon parrain à Saint-Gilles le 27 décembre 1599
Sire Jehan Mygnon, hostellier demourant aux Trois Mores (parrain le 27 décembre 1599)


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE ET PROVISOIRE
 
     Bernard GINESTE [éd.], «L’auberge étampoise des Trois-Maures (XVIe et XVIIe siècles)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cee-troismaures.html, 2005.

     Bernard GINESTE [éd.], «Gédéon Tallemand des Réaux: Madame Lévesque et madame Compain (vers 1659)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cle-17-tallemant1659compain.html, 2008.

     CHUDO (peintre) &
Régis MOISSONIER (photographe), «Les Trois Maures. Restauration d’une peinture murale sur la façade de l’ancien hotel Les Trois Maures à l’Arbresle, datant du 15ème siècle», in Chudo [site personnel de l’artiste], chudo.wifeo.com/peinture-mural-les-trois-maures.php, 2008.
     Voir aussi le site professionnel du photographe Régis MOISSONNIER, Régis Moissonnier - Photographe - Créateur, regis.moissonnier.free.fr/, en ligne en 2008.


Autres auberges d’Étampes

     COLLECTIF, «Les auberges d’Étampes (compilation)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cee-aubergesdetampes.html, depuis 2011.

 
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