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Nathalie Gobin, morte en 1992, fut l’une des grandes figures de L’École d’Étampes et sa première théoricienne à notre connaissance. Nous rééditions ici la notice qu’elle consacra à cette école en 1991, et qui a déjà été rééditée en 1997. |
Nathalie Gobin: L’École
d’Étampes (1991)
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L’ÉCOLE
Il y avait sur la place d’Étampes un hôtel: François Ier y mit Anne de Pisseleu sa maîtresse. Dans cet hôtel était une grande chambre. C’est cette pièce qu’on alloua à l’atelier nouveau-né, ou plutôt à Philippe Lejeune, chargé, en 1969 par la société artistique, du soin d’ouvrir une école d’arts plastiques. Ne doutant point que la nécessité succède à la constance, ce “Van Eyck qui aurait lu Pascal et médité sur l’identité du Christ” (Jean Bouret) “est certes un des meilleurs peintres religieux français d’aujourd’hui” comme le dit Henri Héraut. Il y peignit donc chaque jour, laissant affleurer les souvenirs tout proches d’un voyage en Inde: ces silhouettes fluides en sari qui devaient habiter désormais la marqueterie en perspective de ses toiles. “La figuration ne manque jamais de s’imposer à notre œil qui veut toujours identifier les formes colorées à des objets réels”, tel était son credo. A l’image de ses personnages se cristallisant à partir des moirures et des frémissements de la couleur, les élèves apparurent peu à peu. “Je peins pour faire partager mes doutes concernant l’invisible et rendre évident que notre faculté de le concevoir ne limite pas le réel”. Gageons que le spectacle du face à face constant du peintre et de sa toile, ce cérémonial si humain et si peu expliqué, aura éveillé quelques doutes; avivés par une maïeutique étonnante. L’exemple frappe lorsqu’il est cautionné par une vie et une œuvre qui se ressemblent. Ainsi naquit l’atelier d’Étampes qui engendra une école picturale, on le verra plus loin.
Où l’on voit l’histoire
de l’atelier d’Étampes
Le Docteur Gabriel Barrière, ami des arts et artiste lui-même, lui attribua généreusement l’ancien atelier du sculpteur Léauté. L’enseignement de la peinture de chevalet se doubla d’un atelier de sérigraphie en noir et couleurs. Plusieurs cahiers collectifs furent publiés grâce aux écrans de soie. Lejeune initia les néophytes, d’après les recettes de Cennino Cennini et d’autres anciens, à la fabrication artisanale et artistique de l’icône; depuis les enduits jusqu’au brunissage à l’agate, ou l’art de casser des oeufs et de ne pas laisser s’envoler la feuille d’or si ductile et légère! Chaque jour bientôt, grâce aux conseils du graveur Patricia Legendre, les enfants s’adonnèrent aux hasards heureux des encres de couleur sur le zinc, à l’exploitation des effets de la pointe sèche, au maniement des acides pour l’eau-forte. Dans la pièce du fond où vient chaque semaine poser le modèle vivant, l’aquarelliste et graveur en médaille Gaëtan Ader et l’illustrateur Philippe Legendre — qui succédait à Madame Binet — les initièrent aux joies de la peinture à l’eau. N’est-il pas doux de déborder de la feuille sur le mur ou la table lorsqu’on vous offre, à dix ans, un gros pinceau plein de gouache? Les enfants ont dès le début joui d’une priorité qui n’a jamais été remise en question. Pour les adultes le portrait tint la place de la version latine; entendez par là qu’il revêtit le caractère qu’on osera dire sacré, [p.5] que prenait cet exercice dans les humanités classiques. “Rappelez-vous que de l’oreille au nez il y a autant de perspective que dans les plans de la Montagne Sainte- Victoire” ou bien “Puisque vous ne savez pas dessiner ce nez demandez-lui de se transformer en losanges colorés. Lorsque le visible se réduira pour vous à une mosaïque de formes, vous l’affronterez armé de votre seule palette; comme le Chat Botté croque le géant qui s’est transformé en souris”. Et encore “Accentuez le caractère sapristi ! Vous croirez l’exagérer et ne ferez qu’en rendre compte. Soyez assuré qu’on est toujours en deçà des accidents réels de la nature”. On ne saurait résumer en trois lignes les conseils issus de quarante ans de métier que dispense Lejeune au cours de ces séances hebdomadaires. Puis, passant d’un chevalet à l’autre comme Gustave Moreau, il chasse ces automatismes, ces redondances de formes, ces égalités curieusement identiques chez tous les débutants. Enfin, à la pause, il réveille ses émules en parlant de la conversion de Saint Augustin, du miroir brisé de Malebranche, des variations sur l’infini de Bach, comme on raconte l’histoire de sa famille, cette véritable patrie du savoir. Je tiens que le meilleur moyen d’affirmer alors sa personnalité c’est d’enduire un panneau avec le blanc de Meudon et la colle de peau, de composer ses tons avec le couteau à palette et de se fier à la discipline de l’horaire au lieu d’attendre l’inspiration... Les couches superposées d’affiches, de cartons d’invitations et d’esquisses accumulées sur les murs de l’atelier racontent son histoire. Derrière les natures mortes mourant çà et là, les parois ainsi décorées présentant l’alliance chaleureuse de l’antre d’un alchimiste, devinrent naturellement un sujet d’élection. Les peintres prirent plaisir à reproduire ce lieu qu’ils avaient sécrété, comme l’huître sa perle. Où l’on voit
la destinée de l’École d’Étampes
François Legrand le premier — dont l’oncle, maître verrier, travailla pendant quinze ans avec Lejeune— s’engagea définitivement dans l’aventure; Jacques Rohaut qui faisait alors son droit, le Flamand Debusschère que sa mère elle-même peintre confia à 14 ans, Élisabeth Bardolle à la couleur hardie et Joël Giraud mouleur-staffeur constituèrent une première génération, bientôt suivie d’une seconde. Si l’on devient ici tacitement élève, apprenti et compagnon comme chez Maurice Denis, on devient surtout peintre comme chez Gustave Moreau. Ce voyage explorateur dans les paysages infinis du visible rejoint constamment la métaphysique. Le professeur si généreux qui accoucha les âmes audacieuses de Matisse, de Marquet, de Rouault le répétait sans cesse; poussant chacun vers la terre promise, où devait le mener — à force de batailles semblables à celles de Don Quichotte — sa traversée du désert. Mais la filiation est un mystère d’ardents. “Lorsque je lis Montaigne c’est en moi que je trouve tout ce que j’y vois”. Par échos, l’écriture de Moreau engendra les motifs de Matisse. Découvrant, grâce à la connaissance puissante des [p.6] véritables rénovateurs, que le dessin des plis de Léonard et les contrastes simultanés de Bonnard sont incompatibles, l’impétrant se résoudra finalement à ne se fier qu’à ses yeux. Par échos, l’œuvre abstracto-figurative et spiritualiste de Lejeune suscite ou suscitera des solutions aussi variées dans le fond que dans la forme scénographie et amour du visage humain de Legrand, écriture des hangars d’aviation de Debusschère, des oiseaux métalliques arrêtés; quête des lignes et des sur faces des compositions mythologiques de Giraud; volonté d’art sacré des toiles de Gobin; couleur forte des natures mortes et paysages de Corse d’Idir; sentiment de l’espace intérieur des scènes de Rohaut analyse de la lumière des paysages de Piquet et des portraits de Decroix; composition hardie des toiles de Verluca. Spontanément on a parlé de l’École d’Étampes pour définir un optimisme qui se réclame de Vélasquez et de Vuillard. Les œuvres parlent d’elles-mêmes. Si un air de famille les unit, c’est celui de la touche volontaire, celui d’une authenticité têtue qui est celle des groupes picturaux bien portants. Signalons entre autres manifestations, les expositions personnelles de Lejeune au Grand Palais en 1990, de Legrand à l’Orangerie de Bagatelle en 1989, de Debusschère à l’Espace Cardin au printemps 1990. L’année précédente Lejeune et cinq de ses élèves exposaient à Alzey en Allemagne, manifestation qui fut l’occasion d’un voyage au bord du Rhin. Les nombreux prix remportés témoignent aussi de ces talents: Prix de la Jeune Peinture, Prix du Portrait Paul Louis Weiller, Prix de Monaco, Prix Noufflard, trois peintres et trois années de suite Prix du Reader’s Digest, Prix Rugale Michaïlov de la Fondation Taylor... Ce qui rassemble les tenants de cette école c’est bien une analyse aigué de la lumière, une connaissance du métier classique, un graphisme s’appuyant au “près” de l’abstraction, comme on dit d’un bateau qu’il se tient au vent. Ils ont conscience de représenter une part de l’art contemporain, celle qui ressemble rarement à l’art officiel. Leur absence de préjugés est telle qu’ils aiment encore Raphaël et Corot, qu’ils ne veulent pas brûler le Louvre, mais courtisent la beauté au risque de se perdre. Nathalie GOBIN
Madrid 1991 |
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Sources: l’édition de 1991, saisie par Bernard Gineste en octobre 2004. |
Réédition partielle: Nathalie GOBIN, «Peinture: L’École d’Étampes», in LIONS CLUB D’ÉTAMPES, 12ème Salon des Antiquaires d’Étampes, 15-16 mars 1997, Étampes, 1997, pp. 13 & 15. Réédition numérique: Bernard Gineste [éd.], «Nathalie Gobin: L’École d’Étampes (huile sur toile et historique)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-20-nathaliegobin-ecoledetampes.html, 2004. L’École d’Étampes
dans le Corpus Étampois
Philippe LEJEUNE, «Berchère d’Étampes, Berchère l’Égyptien» [avec un Avant-propos de Clément WINGLER], in Corpus Étampois, http://corpusetampois.com/cae-20-lejeune-berchere.html, 2002. Nathalie GOBIN: L’École d’Étampes (huile sur toile et historique)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-20-nathaliegobin-ecoledetampes.html, 2004.
Nathalie
GOBIN: «Philippe Lejeune (huile sur
toile et notice, 1991)», in Corpus Étampois,
http://corpusetampois.com/cae-20-nathaliegobin-philippelejeune.html,
2003.
Franck
SENAUD [éd.]: «Philippe Lejeune (huile sur
toile et notice, 1991)», in Corpus Étampois,
http://corpusetampois.com/cae-21-francksenaud-philippelejeune.html,
2003.
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