Conférence des Sociétés
savantes, littéraires et artistiques de Seine et Oise. Compte-rendu
de la quatrième réunion,
Étampes, Flizot, 1909, pp. 143-152.
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Maxime Legrand
Narcisse Berchère intime
Notes biographiques et bibliographiques
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Il serait
regrettable — tout le monde, je le crois, sera de cet avis — que dans un
Congrès de Sociétés savantes, tenu à Étampes,
le nom de Narcisse Berchère ne soit pas, au moins, prononcé.
C’est dans cette louable pensée que le zélé secrétaire
de la Conférence est venu faire appel à mes souvenirs. Nul
n’est moins apte que moi cependant, — et je n’hésite pas à
l’avouer humblement — à faire l’éloge de l’illustre orientaliste
dont Étampes s’enorgueillit, et, n’était l’amitié
qu’il avait bien voulu me témoigner depuis mon enfance, je n’aurais
pas osé parler de lui dans cette assemblée. Pourtant, il
me semble que les plus vulgaires sentiments de gratitude nous obligent,
nous autres Étampois, à commémorer devant nos hôtes
l’homme qui dans ces dernières années a le plus honoré
sa ville natale, tant par son génie que par la constance de l’affection
qu’il avait vouée à sa petite patrie de prédilection.
Voilà pourquoi je me hasarde à vous signaler dans son œuvre
considérable, un petit coin peu connu sinon tout à fait ignoré.
Narcisse Berchère est bien un des nôtres. Né à
Étampes le 11 septembre 1819, il appartenait par sa mère
à l’une des familles les plus nombreuses et les plus honorables de
notre région: la famille Darblay. En effet, Marie Adèle Dubois,
née le 28 juillet 1799 et morte le 14 mars 1882 était la fille
de cet Étienne Stanislas Dubois qui épousa Marie Adélaïde
Darblay. Devenue veuve en 1822 de Pierre Narcisse Berchère, qu’elle
avait épousé le 14 septembre 1818, Marie Adèle Dubois
se remaria à Louis Marcille le 20 décembre 1824 ainsi qu’il
résulte des actes inscrits dans nos registres municipaux.
Notre illustre compatriote vit le jour dans une maison portant le n°5
de la rue de l’Île-Maubelle, où son père exerçait
la profession bien étampoise de «marchand-meunier».
Si nous en croyons la [p.144] topographie actuelle
des lieux, ce n°5 aurait existé sur l’emplacement du grand
immeuble de rapport dont le rez-de-chaussée est occupé maintenant
par le «Café de l’Île-Maubelle». Lorsqu’après
de longues absences il revint à Étampes, la maison familiale
n’existait plus. Sa mère, une seconde fois veuve, habitait alors
une maison portant le n°20 de la rue Basse. C’est là qu’il établit
son atelier. Campé, comme aux beaux jours de ses excursions lointaines,
dans une petite construction sise en bordure de cette Promenade des
Prés qui devait plus tard prendre son nom, au milieu des fleurs,
des arbres, de la verdure, seul avec sa vieille gouvernante, la «fidèle
Victoire», il aimait à se reposer du bruit de la capitale et
à en oublier pour un temps les agitations. Le Pont de Pierres,
l’allée à Bonnevaux, Vouroux... tous ces
coins charmants et pittoresques étaient à sa portée;
il les avait sous la main pour ainsi dire et le travail lui devenait ainsi
facile. C’est dans cette solitude qu’il aimait aussi à revivre ses
jeunes années et à en fixer les souvenirs.
Plus d’un illustre confrère, plus d’un ami célèbre,
vint partager avec lui l’hospitalité de ce home d’artiste et parmi
eux, Gustave Moreau, également son intime et son admirateur.
C’est dans ce petit coin perdu de notre
antique cité que, gravement atteint déjà, Berchère
vint passer ses dernières vacances et c’est de là enfin
que ses amis éplorés le virent partir pour Asnières
où il devait s’éteindre, trop tôt hélas! pour
l’art, dans les bras de sa fille chérie et de son gendre M. C.
Manen, le 28 septembre 1891.
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Portrait de Narcisse Berchère
par son ami Gustave Moreau
(Musée d'Étampes)
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Étampes! Aucun nom pour lui n’avait plus de charmes; il en aimait
l’aspect vieillot, les monuments curieux, et par-dessus tout, les environs
si pleins de pittoresque. Il fallait l’entendre parler de sa vallée,
avec les accents d’un tendre fils parlant de sa mère. C’est à
Étampes qu’il avait commencé ses fortes études qui,
selon l’expression de M. Bernard Prost, son biographe, «développèrent
chez lui d’heureuses aptitudes et le mûrirent de bonne heure».
C’est d’Étampes qu’il était parti comme à regret pour
faire ses débuts à Paris dans l’atelier Renoux, puis chez
Charles Remond qu’il quitta pour entrer aux Beaux-Arts. A chaque étape
de sa vie il y revenait, avec bonheur, se retremper aux sources vivifiantes
du sol natal.
D’ailleurs tout l’attirait dans notre ville. Sa famille y était
apparentée avec tout ce que le pays comptait de vieilles familles:
les Blavet, les Bourgeois, les Floréat-Préaux alliés
aux de Banville, les Chevallier, les Mainfroy, etc... etc... Il y avait laissé
lui-même des amis nombreux qui lui furent fidèles jusqu’à
la fin, les Chaudé, les Bourdeau... et tant d’autres.
[p.145]
La notoriété artistique
de Narcisse Berchère parmi les peintres de l’époque contemporaine
est assez grande, assez bien établie, pour qu’il me soit inutile
d’insister sur le caractère particulièrement remarquable
et original de son talent. D’autres l’ont fait et non des moindres parmi
les critiques et les écrivains les plus renommés du siècle.
Arsène Houssaye, Henri Vermot, Théophile Gauthier, Maxime
Du Camp, de Lépinois, Paul Mantz, Paul de Saint-Victor, H. Dumesnil,
Léon Lagrange, Olivier Merson, Edmond About, P. Challemel-Lacour,
Ch. Clément, A. de Pontmartin, Paul-Casimir Périer, Émile
Bergerat, Louis Énault et tutti quanti, ont célébré
à l’envi, la puissance et l’étrangeté de son coloris,
la profondeur de sa science du dessin, la poésie de ses inspirations
et la mélancolie de ses aperçus. Lisez le Catalogue illustré
des œuvres de N. Berchère publié par la Librairie d’art
en 1885 sous le n° 9 du Dictionnaire illustré des Beaux-Arts
et la signature de M. Bernard Prost et vous vous en rendrez compte (1).
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(1) Artistes modernes. Dictionnaire
illustré des Beaux-Arts, N. Berchère. Photogravure Goupil
et Cie. Libraire d’Art. L. Baschet, éditeur, 125, Boulevard Saint-Germain.
Paris 1885.
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Ce que le biographe n’a pas su, c’est la précocité véritablement
remarquable de cette irrésistible vocation. Dès l’enfance,
Berchère cultivait avec passion l’art du dessin qui devait plus tard
lui procurer tant d’intimes jouissances. M. Dujardin me communiquait naguère
avec sa bienveillance habituelle un pastel qu’il croit être le premier
tableau de notre compatriote. C’est une corbeille de pêches et raisins
portant cette dédicace: Offert à ma mère le jour
de sa fête XV Août 1832. Berchère né en 1819
n’avait pas encore à cette date 14 ans!
Émule de Fromentin, dont il était l’ami, maniant comme lui
avec une égale facilité, un égal bonheur, la plume
et le pinceau, il a su se faire, dans l’orientalisme, à côté
des Ziem, des Pasini et de tant d’autres, une renommée qui a pu
être égalée mais qui, à mon avis, n’a pas été
surpassée. Sa manière est tellement personnelle, tellement
spéciale qu’elle se reconnaît à la première inspection
et qu’on ne peut la confondre avec aucune autre. Son originalité
le classe dans cette phalange d’artistes qui, rompant courageusement avec
la convention, avec le procédé, s’efforcèrent en s’affranchissant
des règles étroites, de rendre leur pensée d’une façon
claire et réellement «vraie». Sa sincérité
en matière d’art, comme dans toutes les circonstances de sa vie,
lui a valu et lui vaudra toujours les suffrages des gens de bonne foi.
Ceux qui ont eu le bonheur d’approcher ce que j’appellerai le [p.146] «Berchère intime», ont
pu se rendre compte de l’harmonie profonde qui lie l’homme à ses
productions. Plus que tout autre, peut-être, on peut juger Berchère
à ses œuvres. Doux, modeste à l’excès, presque timide,
un tant soit peu taciturne et renfermé, ce travailleur inlassable,
toujours replié sur lui-même, toujours épris d’idéal
et confiné dans un rêve sans fin, était ce qu’on peut
appeler un «triste». D’une activité pour ainsi dire
maladive, jamais satisfait de lui-même, toujours en quête d’un
nouvel effort, il a beaucoup produit. En dehors de ses nombreux tableaux
dont le Dictionnaire illustré des Beaux-Arts
nous offre la copieuse nomenclature, l’artiste a exécuté un
nombre incroyable d’aquarelles d’une exquise finesse et d’une remarquable
luminosité. Quantité de ces œuvres ont passé qui le
détroit, qui l’Océan, et se retrouvent en Angleterre et en
Amérique chez des amateurs délicats qui ont su de bonne heure
apprécier son talent. Ce sont en général des motifs
tirés de ses œuvres principales, des répliques d’un même
sujet traitées de manières diverses. Les bords du Nil lui
ont ainsi fourni des scènes ravissantes qui se répètent
avec une telle diversité que jamais elles ne fatiguent. Telle aussi
sa Rue du Caire qui, de 1851 à la fin de sa carrière,
lui a procuré mille aspects séduisants et d’innombrables
sujets d’études (2). Jusqu’aux dernières
années, jusqu’aux derniers jours, pouvons-nous dire, de sa vie,
le travail a été sa grande jouissance; labeur opiniâtre
parfois sans récompense, mais qui fut avec les sentiments chrétiens
dont il s’honorait la suprême consolation de déboires inévitables.
Quelle vie d’artiste ne les a pas connus! Les siens ont peut-être
dépassé la mesure ordinaire. Trop fier pour solliciter, il
n’a certes pas reçu toutes les récompenses auxquelles il
était en droit de prétendre. Aimant la solitude, il s’est
peut-être trop tenu à l’écart et n’a connu que peu
ce grand «succès» que d’aucuns à force d’intrigues
arrivent rapidement à enchaîner. Il fallut lui faire violence
pour le faire entrer aux Tuileries où l’Empereur Napoléon
III, très amateur de son talent, l’attendait. La faveur [p.147] de la Cour ne l’éblouit pas autant
que le soleil d’Orient. Aux Tuileries, il préféra le «Désert
de Suez».
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(2) Rue du Caire, Marchands
au Caire, etc., ces titres fourmillent dans la nomenclature de ses
productions. M. H. Quignon, professeur au lycée de Beauvais, en me
rappelant l’exode de ces aquarelles, qui a précédé l’entente
cordiale, a bien voulu me signaler en l’accompagnant d’une reproduction photographique
une jolie aquarelle qu’il possède et qui est intitulée: «Intérieur
d’une cour de marchand au Caire, (0,40X0,27), filiale, évidemment,
de la belle toile de 1851. — Parmi les autres sujets qui ont fourni d’abondants
motifs: Thèbes, le Simoun, la plaine de Gizeh,
le Nil. Nombreuses sont ses Caravanes, et ses Fontaines
sont légion. Dans chacune de ces pseudo-répliques on trouve
une note spéciale qui leur donne une existence propre et en fait
un véritable original.
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S’il n’a pas connu la Renommée
tapageuse, il n’a surtout pas arrêté sur son chemin cette
aveugle Fortune sur les pas de laquelle tout un peuple avide se précipite.
Jamais il ne rencontra de ces Mécènes qui couvrent d’or
des œuvres parfois banales mais que le snobisme exalte démesurément.
Pour lui, qu’importe? Sa gloire n’en est pas moindre, car l’œuvre qu’il
a laissée se charge d’immortaliser sa mémoire.
Peintre,
écrivain, poète, Berchère fut tout cela.
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Écrivain délicat — il l’a prouvé
dans une suite de lettres charmantes, dont le style original, les aperçus
pittoresques, les appréciations justes avaient su mériter
la haute approbation de M. de Lesseps (3).
Poète à ses heures, Berchère était un rêveur
dans toute l’acception du terme, mais un rêveur qui pouvait, privilège
aussi rare que précieux, fixer ses rêves et leur donner un
corps. Ce qui l’avait séduit dans l’Orient, ce n’était ni
l’éclat brutal des coloris, ni l’ardeur irrésistible du soleil,
ni la puissance invincible — presque féroce — de la lumière,
dans ce pays où elle ruisselle de partout. Non. Ce qui l’avait charmé
surtout, c’était, avec l’harmonie des couleurs se jouant dans la
pureté d’une atmosphère idéale, le vague flottant des
horizons baignés par de mystérieuses effluves, le charme enivrant
de la nuit orientale, la poésie et surtout, oui surtout, la mélancolique
majesté des ruines. Voilà pourquoi, plus que tout autre, l’Égypte
a été sa terre de prédilection. Littérateur,
il a décrit avec l’impartialité de l’historien mais aussi
avec l’imagination de l’artiste, cette contrée particulièrement
mystérieuse dont la Compagnie du Canal de Suez lui avait à
bon escient confié la glorification; poète, il a chanté
avec sa palette et son pinceau ses incomparables monuments, ses monstres
énigmatiques, ses hypogées troublantes [sic], et c’est incontestablement du royaume mystérieux
des Pharaons qu’il a rapporté les impressions les plus saisissantes
de sa carrière d’artiste.
Poète, il a également chanté son pays natal dans une
gamme chromatique étourdissante de dessins et d’aquarelles où
la note triste domine toujours, cette note qui souvent tinte comme un
glas dans le concert des souvenirs qu’il évoque. Chant du cygne
au surplus, puisque la collection que possède notre musée
local est la dernière œuvre du grand artiste.
Pour louer celle-là, point de critiques fameux, point de littérateurs
[p.148] en renom, point de publications luxueuses: une modeste suite
d’articles publiés après la dernière vente dans un
journal local: «Le Postillon d’Étampes» de Décembre
1891 à Février 1892.
Après avoir rappelé à grands traits dans une première
série de numéros les glorieuses étapes de la vie publique
de l’artiste étampois, analysé ses principales productions,
énuméré ses succès bien gagnés, l’auteur,
qui se bornait à recopier le jugement des grands critiques dont
je viens de parler, étudie pièce par pièce l’incomparable
ensemble légué par l’illustre enfant d’Étampes à
sa ville natale. Je ne puis qu’y renvoyer pour faire connaître tout
ce qu’a d’intéressant et de précieux pour nous cette collection
inestimable que chacun peut admirer dans la salle du musée où
le conseil municipal, se conformant au vœu du donateur, l’a fait déposer.
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(3) Le Désert de Suez. Cinq mois dans
l’Isthme. Paris, Hetzel (1861-1862). Dédié à
Eugène Fromentin.
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D’aucuns nous feront constater que l’œuvre dernière du maître
se ressent de sa maladie, de sa fatigue; que ce n’est plus... l’Orient
des grands jours. Peut-être! Mais pour quelques touches «vieillies»
que de ressouvenirs des jeunes années!
Enfermée modestement dans un meuble ad hoc, cette ultime
collection se trouve, là où elle est, en bonne compagnie. Elle
y voisine notamment avec cette toile impressionnante «Après
le simoun, presqu’île du Sinaï» (Arabie) datant de 1864
(4), une nature morte magistralement
brossée, la jolie aquarelle provenant du Legs Poisson, un «Café
au Caire», un «Campement à Amalachouk»
(1862), une «Vue de Saint-Malo» (1865) etc..
etc..
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(4) Salon de 1861 et Exposition Universelle
de 1867. Dessin de l’auteur reproduit dans l’Autographe au salon
de 1864. Gravé hors texte au Dictionnaire précité.
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La série d’articles publiés
par le Postillon, alors rédigé par M. Émile
Penot, neveu de l’artiste, suivait de près la vente qui avait dispersé
à Drouot la collection particulière du maître, ensemble
qui comprenait quelques jolis dessins, aquarelles et tableaux, notamment
de J. L. Brown, Corot, Fromentin et Ziem. Cette vente jetait aussi au feu
des enchères une quantité d’études personnelles formant
pour ainsi dire le solde de ce que l’artiste avait conservé de la
période active de son existence. Croquis originaux, impressions
prises sur le vif, notes fugitives fixées à la hâte
un beau soir au bord du grand fleuve ou à l’ombre de quelque palmier
séculaire, compositions ébauchées... tout cela se
pressait dans la grande salle de l’Hôtel transformée en exposition
rétrospective, souvenir d’un passé qui allait bientôt
tomber dans l’oubli des choses. C’est à cette dernière exhibition
que sont venus s’approvisionner largement les fidèles du maître,
ses fervents, tout heureux de pouvoir emporter avec eux [p.149] un souvenir de l’illustre concitoyen, de
l’ami regretté, de l’artiste préféré. Nombreux
sont les salons Étampois fiers d’étaler aux yeux des visiteurs
une toile, une aquarelle, une sépia, une mine de plomb revêtues
de la signature aimée et portant l’empreinte de ce talent si original.
Qu’il soit modeste ou somptueux, chacun est fier de «son
Berchère» et cette note toute simple a bien sa valeur
dans la biographie de notre concitoyen (5).
Le catalogue de la vente faite les 12, 13 et 14 novembre 1891 sous la direction
de M. Henri Lechat, commissaire priseur et de MM. J Chaine et Simonson,
experts, contient une courte nécrologie résumant fort laconiquement
les travaux de l’artiste et relatant avec une brutale concision ses principaux
succès. Rien d’inédit, rien de nouveau dans cette notice,
dernières fleurs semées par une main amie sur une tombe à
peine fermée. Seules quelques notes intimes nous rappellent l’origine
du maître.
Avec la consciencieuse et substantielle étude de M. Bernard Prost,
dont la nécrologie ci-dessus s’est inspirée, avec les articles
des grands quotidiens: Soleil, Figaro, Gaulois, Autorité,
Gil Blas, Temps, France nouvelle, etc. etc.,
et ceux de nos feuilles locales: Abeille, Postillon, Réveil
d’Étampes, c’est là à ma connaissance ce que l’on
peut appeler la «Bibliographie» de Narcisse Berchère.
C’est peu, et pourtant ces évocations répétées
d’un jugement à la fois envié et redouté, celui de
la Gazette des Beaux-Arts dont M. B. Prost s’est fait l’écho
fidèle, de ce jugement impartial auquel notre compatriote attachait
tant de valeur, peut suffire à sa gloire.
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(5) Nous pouvons citer notamment dans
cet ordre d’idées : 1° chez M. O. Lecesne une des plus remarquables
compositions de N. BERCHÈRE, Coup de vent sur le Nil après
l’inondation. Salon de 1875. (Acquis à la 1re vente du 2 avril
1885. Catalogue dressé par M. Jules Chaine, expert et M. Henri Lechat,
comre priseur). Gravé hors texte. Marché au
Caire (aquarelle). Vaisseau dans le Port du Havre (id.). 2°
chez M. le Dr Pasturaud. Les Pyramides de Gizeh (même vente).
3° chez M. Leproust, Une mosquée au bord du Nil, réplique
de l’une de ses compositions les plus fréquentes. 4° chez M.
Henri Thomas: Ruines de la Mosquée du Kalife Hakem. Salon de
1869. Vente de 1885. Gravé hors texte au Dictionnaire, etc.
etc.
Je possède en outre: Étude prise dans la plaine de Gizeh
(legs particulier de l’auteur). Chamelier à la Fontaine (aquarelle);
Femmes Fellahs, bords du Nil. Réplique du tableau
de 1871. (Id. Don de l’auteur). Le Haut Nil à Midi (aquerelle).
Le Rhamesseion de Thèbes (id.). Vol de flamants
roses (Étude provenant de la vente Barré),
Les Falaises à Port-en-Bessin (2 aquarelles),
La Terre repose (id.) don de M. G. Manen, Bierville
(aquarelle), La maison d’Anne de Pisseleu (dessin). De nombreuses
aquarelles et d’intéressants dessins ont été acquis
par M. Chéron de Lardy (Le château de Gillevoisin), par
M. Amédée Dufaure, M. Falcimaigue, M. Collin, M. Pierret et
tout une phalange d’amateurs Étampois.
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En dehors de «l’Œuvre» pour ainsi dire officiel du maître,
œuvre dont la critique s’est emparée, il est un à côté,
plus modeste, [p.150] mais non moins intéressant
pour nous. C’est cette suite de dessins et d’aquarelles que lui ont inspirée
la ville et les environs d’Étampes, les souvenirs rapportés
de ses voyages et les feuilles détachées de ses carnets
de touriste, toutes choses qui n’ont point passé dans le public.
Au sein de ces pages intimes, il en est une que je me permets de signaler
à l’attention de la Conférence parce qu’elle est encore absolument
inédite. C’est un Album de famille où l’artiste a réuni
pour une parenté affectionnée des croquis de voyage, des
impressions familières, des souvenirs de jeunesse, des pochades
exécutées au cours de ses promenades, des maquettes ou des
répliques de ses œuvres principales.
L’Album en question s’ouvre précisément
sur une maquette de l’Éclaireur, cette magistrale composition
exposée au salon de 1866: «ralliement des Caravanes à
la Halte de Nuit. Ouady-el-Had (Haute-Nubie)» acquisition du
Luxembourg. On sait par quels éloges cette toile fut accueillie par
l’unanimité des critiques d’art, au salon de 1866 où elle
mit en valeur le nom de notre concitoyen (6).
Quel magnifique frontispice pour cet incomparable «Recueil»
où l’artiste a mis quelque chose de sa tendresse familiale et de son
amour du sol natal!
A sa suite, comme une caravane immense qu’éclaire le Chamelier
arabe, se déroulent et défilent tour à tour à
nos yeux ravis, une longue théorie de dessins pris à Brunehaut,
à Vauvert, à Brières-les-Scellés, au Larry,
au cimetière d’Étampes sur la tombe des Florat-Préaux,
etc., etc., en un mot, autour de nous. Puis ce sont des croquis rapportés
du Canal de Suez, de Thèbes, du Nil; tels Les Colosses de Memnon
en plaine de Thèbes pendant l’inondation, avec ses monstres figés
dans leur attitude hiératique, l’Étiage du Nil et [p.151] ses hâleurs, Thèbes
et ses ruines fantastiques (salon de 1852), Femmes Fellahs au bord du
Nil, que sais-je? Toute la série des souvenirs de la grande époque,
toutes les ébauches des succès des salons (7). Tout cela se trouve mêlé à
des souvenirs de côtes Bretonnes et Normandes, à des vues
de Saint-Malo, de Saint-Servan, d’Anelles, d’Arromanches, de Port-en-Bessin,
(voyage dont je faisais partie et dont je me souviens), à des dessins
pris en Suisse en 1866: à Zurich, Lucerne, Altorff, Constance, ainsi
qu’en Allemagne, à Bade et... un peu partout.
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(6) Le Ralliement des Caravanes
à la Halte de Nuit, dit M. Maxime Du Camp, est un tableau dont
l’ordonnance ne laisse rien à désirer. Il exprime précisément
ce qu’il représente avec une probité qui s’impose à
l’attention. La caravane a marché tout le jour; le soir est venu,
puis la nuit est arrivée rapide et comme empressée de rafraîchir
ces pays brûlés du soleil. Des retardataires sont loin encore
qui peuvent s’égarer et ne plus entendre le cliquetis des sonnettes
suspendues au cou des chameaux conducteurs. Un homme alors, penché
sur un dromadaire, la main armée d’une branche enflammée,
monte sur une colline. Il appelle vers les quatre points cardinaux en agitant
son brandon lumineux. A ce signal qui s’entend et se voit de loin, toute
la caravane se rassemble et se groupe autour d’un feu pour y passer la nuit
autour d’un feu après avoir fait les ablutions de sable prescrites
par le prophète lorsqu’on voyage dans les contrées où
il n’y a pas d’eau. L’instant choisi avec discernement, par M. Berchère,
est celui où le Kébril, du haut de son dromadaire arrêté,
lève le flambeau et pousse le cri de ralliement. Sur le fond obscur
de la nuit l’homme et l’étrange animal se détachent en tons
plus clairs et forment avec le fond une harmonie sombre qui n’est pas sans
grandeur, etc.. Dictionnaire précité, p. 25, 26 et 27.
(7) La plupart de ces dessins sont reproduits dans la notice
de M. Bernard Prost au Dictionnaire illustré des Beaux-Arts.
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Après cette randonnée nous revenons à la Juine pour
repasser bientôt d’un bond en Égypte où l’auteur nous
montre ses Enfants Fellahs chassant les oiseaux, tableau dont
l’original fut acquis pour le Musée d’Orléans par le conservateur
d’alors, M. Marcille, parent de Berchère. Un feuillet de plus, et
voici la terrifiante vision du Simoun, le terrible Kamsin-Abasieh,
puis le mirage enchanteur des minarets et des mosquées du Caire...
ou d’ailleurs. [p.152]
Ces dernières aqua-teintes,
ces sépias rehaussées de plume, ces crayons de diverses
couleurs avec des mines de plomb où l’on retrouve les Portereaux
à côté des vues de Dinan, de Granville, de Saint-Père
et même du Mont-Saint-Michel.
Souvenirs que tout cela; souvenirs intimes où l’artiste a mis tout
son talent et où l’homme, je l’ai dit, a laissé quelque chose
de son cœur; souvenirs émotionnants qui restent là comme
des témoins muets de sa vie familiale!
Telle est la composition de cet Album
qui n’était nullement destiné à sortir du cercle
étroit de la famille et qu’une pieuse pensée m’a destiné.
La modestie de Berchère, son horreur pour toute réclame,
son aversion pour la publicité, — sentiments qui l’ont poussé
à défendre la reproduction de ses aquarelles Étampoises
— m’incitaient à ne pas mettre au jour ce coin ignoré de son
œuvre. Avant de le faire j’ai bien hésité; pourtant sa mémoire
n’en peut être offensée et je suis sûr que son indulgence
pardonnerait aux motifs qui m’ont déterminé. J’ai été
heureux, en effet, de faire connaître à des érudits,
ce Berchère intime que nous avions appris ici tous à respecter
et à aimer, dans l’espoir que connaissant mieux l’artiste, nos voisins
s’uniront à nous pour mieux apprécier l’homme privé.
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Fig. XIV. — N. BERCHÈRE.
Après le Simoun. Presqu’île du Sinaï,
en Arabie. Salon de 1864.
(Gravure extraite
d’Étampes pittoresque, par Max. LEGRAND).
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