CORPUS  ONOMASTIQUE  ÉTAMPOIS
 
Bernard Gineste
Le nom d’Étampes signifie-t-il Les Juments d’Étain?
hypothèse étymologique amusante, mars 2009
       
Représentation grecque de la déesse gauloise Epona (Thessalonique, IVe siècle)
La déesse gauloise Epona et ses chevaux (Thessalonique, IVe siècle après Jésus-Christ)
 
     Je propose ici trois hypothèses toutes nouvelles sur l’origine et la signification du nom énigmatique de la ville d’Étampes, sans cacher ma préférence pour la troisième. Je n’ai pas le temps de leur donner tout l’apparat scientifique d’usage, car je suis occupé à d’autres tâches, et je me résous à les donner telles quelles, quitte à y revenir plus tard.

B.G., 24 mars 2009 (1ère édition)
Page dédiée à Fanny, qui aime les chevaux.

     
Bernard Gineste
Le nom d’Étampes signifie-t-il Les Juments d’Étain?
hypothèse étymologique, mars 2009


01. Introduction

     Voilà plusieurs années que je suis intrigué par l’origine et la signification du nom de la ville d’Étampes, qui pour l’instant n’a pas trouvé de solution satisfaisante. Pour un rapide aperçu de cette question, depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, on peut se reporter à la compilation un peu brouillonne et inachevée que j’ai mise en ligne il y a quelque temps déjà (1).
     (1) Cliquez ici.
     Attendu qu’on annonce une prochaine conférence de notre ami Michel Martin sur la toponymie celtique dans la région d’Étampes (2), on nous saura peut-être gré de participer au débat et de proposer, ne serait-ce que d’une façon sommaire, deux ou trois hypothèses nouvelles sans prétention, au moins pour le plaisir de la discussion. On nous excusera de ne pas surcharger cette modeste contribution, au moins pour l’instant, de références érudites.

     Pour ma part, j’ai l’intime conviction que le nom d’Étampes est d’origine celtique, et que c’était déjà celui du bourg gallo-romain (vicus) autrefois situé dans la zone industrielle, et dont l’énorme cimetière a été récemment découvert à côté de la zone commerciale des Rochettes.

     La langue gauloise malheureusement a disparu sans laisser autre chose que d’infimes traces dont des générations de savants, malgré une extraordinaire débauche de science et d’ingéniosité, ne tirent pas beaucoup plus que quelques connaissances éparses et toujours plus ou moins hypothétiques.


     (2) Organisée par l’association Étampes-Histoire à la salle Saint-Antoine le samedi 4 avril à 16 h 30. Michel Martin a déjà lui-même proposé, sans conviction, Stam-Pettia, où le premier élément signifierait peut-être “bouche” et le second probablement “pièce”, spécialement “pièce de terre”.
     La forme canonique du toponyme latin est Stampae, au féminin pluriel (accusatif Stampas, génitif Stamparum, ablatif Stampis); le gentilé est Stampensis (et, seulement au XVIe siècle, Stempanus). A date ancienne on trouve surtout une forme indéclinable Stampis, comme pour bien d’autres villes. Je voudrais d’abord faire remarquer que parmi les premières attestations sur toponyme, du VIIe au XIe siècle, on trouve Stambis à côté de Stampis et de Istampis. On passe ici des variantes graphiques plus insignifiantes.

     La dernière de ces formes (seulement mérovingienne), Istampis, est généralement regardée comme une simple épenthèse (3), reflétant l’évolution de la langue parlée vers la prononciation Estampes qui finira par donner Étampes; mais on peut parfaitement imaginer, vu notre profonde ignorance du gaulois, que ce pouvait être également la forme originelle du toponyme; en ce cas la graphie Stampis ne représenterait qu’une hypercorrection, c’est-à-dire une pure vue de l’esprit, la forme originelle du toponyme ayant bien été en réalité Istampis ou Estampis. Mais entendons-nous bien, je dis cela, sans trop y croire, pour soutenir la première de mes hypothèses, qui me paraît la moins solide.

     (3) Phénomène bien connu: de Studium on passe à estude puis à étude; stella, estoile, étoile, etc.; et donc, dans notre cas, Stampae, Estampes, Étampes.  
      Ceci considéré, voici les trois hypothèses étymologiques qui me sont venues à l’esprit ces dernières années: 1) Est-Ambe: “les Rivières de l’Ouest”; 2) Stann-Ambe: “Les Rivières d’Étain”; 3) Stann-Epe, “les Juments d’Étain”. On me saura gré, sans doute de m’en expliquer.

02. Sur le mot ambe
     Notre connaissance du vocabulaire gaulois est des plus limitées et c’est ce qui donne tout son intérêt à un petit lexique gaulois-latin découvert en 1836 par Endlicher.
     C’est un vieux débat chez les celtisants de savoir s’il faut faire confiance à cette liste de 17 termes gaulois. On tend à croire aujourd’hui qu’elle est d’origine extrêmement tardive, d’époque carolingienne, et par suite fort peu fiable.
     Elle nous dit expressément que le gaulois ambe signifierait «rivière», et que l’expression inter ambes signifierait inter rivos, «entre les rivières».
     Pour ma part je ne vois de raison sérieuse d’en douter, d’autant qu’on peut rapprocher facilement ce mot du latin amnis, «fleuve», lui-même rapproché, dans la récente réédition du dictionnaire Gaffiot, de l’osque aapam et du sanscrit ap-.
     Je ne sais pas pourquoi personne ne paraît avoir fait à ce jour, à ma connaissance ce rapprochement, ni pourquoi le nouveau Gaffiot ne rapproche pas le latin amnis du gaulois ambe. Mais je vois pas ce qu’on pourrait y opposer, ni comment, à cette lumière, on pourrait continuer à contester cette donnée explicite du glossaire d’Endlicher, suivant lequel il aurait existé un mot gaulois ambe signifiant
«rivière».

03. Première hypothèse

     Resterait à expliquer dans ce cas le premier élément du toponyme. On pourrait d’abord imaginer, de manière totalement hypothétique il est vrai, un gaulois est- signifiant «Ouest» et correspondant au vieil anglais, allemand et néerlandais west, sur une racine racine indoeuropéenne représenté en latin par vesper et en grec par hesperos, «soir, couchant, Ouest».

     On arriverait ainsi à un toponyme signifiant
«Les Rivières de l’Ouest». Il semble en effet que le site d’Etampes ait représenté, près du confluent de la Louette de la Chalouette et de la Juine, un avant-poste sénon relativement éloigné, à l’ouest, de la métropole de ce peuple gaulois, Sens.

     Cette hypothèse a évidemment contre le fait que l’élément est ne soit pas jusqu’à présent représenté dans ce que nous connaissons du vocabulaire gaulois.


04. Deuxième hypothèse

     On peut donc songer plutôt à un élément initial Stann-, plus assuré, puisqu’il a donné par emprunt le le latin stannum ou stagnum, qui lui-même a produit le français “étain”, mais qui aurait plutôt désigné au départ “plomb argentifère”; il est cependant quasi certain que ce terme a très tôt qualifié l’étain proprement dit dont les Gaulois contrôlaient le trafic depuis la Grande Bretagne jusqu’en Méditerranée. Pline le Jeune, au premier siècle de notre ère, rapporte déjà que la technologie de l’étamage, qui consiste à recouvrir d’une fine couche d’étain d’autres métaux oxydables pour les préserver de la corrosion, est tout entière d’invention gauloise.

     Stanbis serait dans en cas la contraction de Stann-Ambes,
«les Rivières de Plomb, ou d’Étain». Qu’est-ce à dire?

     Il faut remarquer que selon une hypothèse récente le mot étang lui-même, en ancien français estanc, dérivé lui-même du verbe étancher, proviendrait par là d’un bas-latin hypothétique stannicare,
“souder”, d’où, par métaphore, “figer, arrêter”.

     Cette hypothèse aurait pour avantage de décrire les lieux marécageux, où les eaux des rivières étampoises tendent naturellement à stagner, près desquels se dressait l’ancien vicus gallo-romain d’Étampes.

       Mais il faut reconnaître à nouveau deux difficultés à cette hypothèse: la graphie Stampis est nettement moins représentée Stampis, et, surtout, la contraction supposée
de notre hypothétique Stann-Ambes en Stanbis est difficile.

04. Gaulois epa, «jument», c’est-à-dire peut-être tout simplement «cheval».

     Une autre solution serait donc d’abandonner notre deuxième élément ambe et de lui substituer un terme pour sa part absolument incontesté, epa, «jument».

     On est là en terrain assez bien connu. Le gaulois epo,
«cheval», correspond au latin equus et au grec hippos. Il existe d’autres racine pour parler de cet animal important dans le monde celtique, comme semble-t-il manduo, marco et caballo. Certains celtisants prétendent que le mot epos évoquerait plus précisément le cheval de selle, d’autres spécialement le cheval d’attelage. Il paraît bien difficile de prouver de telles spécificités de sens avec un matériel littéraire aussi mince que celui dont nous disposons.

     Il me paraît plus important de remarquer que la divinité gauloise attachée aux chevaux est une déesse bien connue, Épona, dont le culte s’est répandu dans tout l’empire romain. On peut conjecturer à cette lumière que le nom de l’espèce était en gaulois plutôt le féminin que le masculin, et qu’on parlait plus usuellement de la jument, epa, que du cheval, epo, à l’inverse du français moderne. Il semble qu’il en allait bien ainsi pour l’ours, lui aussi divinisé sous une forme féminine, très clairement, d’après l’épigraphie.

     Aussi par epe, faut-il peut-être entendre
«chevaux», sans spécification de sexe; à titre de comparaison, lorsqu’on traduit en français un texte latin  parlant de vulpes ou vulpicula (qui a donné goupil), on rend ce mot par «renard», et non par «renarde», bien que ce soit le sens littéral de ces mots latins: car on se conforme alors à l’usage de chaque langue, spécialement lorsque la pensée de l’auteur n’était pas de spécifier le sexe de l’animal dont il parle. Par suite donc il ne faut pas hésiter à supposer que l’élément epe, dans notre toponyme, peut simplement signifier «chevaux» plutôt que spécialement «juments».

     Quoi qu’il en soit, l’élément epo-/-epa paraît avoir été très productif en onomastique gauloise, puisqu’on lui rattache notamment de nombreux noms de personnes tels que Atepomaros, Epacus, Epadumnacos, Epasius, Epasnactus, Epenos, Epiacum, Epidi, Epillos, Epomeduos, Eponina, Eporedorix, Epos, Epossium, Eppia, Eppius, Eppilus, Epponus, etc.

     Des peuples gaulois tiraient aussi leurs noms de cet élement, tels que les Epidii, installés en Écosse. Plus proche de nous, un peuple client des Éduens avait aussi nom les Epomandui. Ils avaient un chef-lieu dénommé Epomanduo sur la carte de Peutinger, Epomantuduro et Epomanduoduro sur l’Itinéraire d’Antonin (349,2 et 386,4) et enfin Mandroda dans la Cosmographie de Ravenne (IV, 26),
aujourd’hui Mandeure (Doubs). L’interprétation traditionnelle de ce nom de peuple est “les petits (manduo) chevaux (epo)” (4). Si le masculin est motivé, il faut peut-être comprendre “les petits étalons”.

Cavaliers celtes sur le chaudron de Gundestrup (IIe siècle avant J.-C.)
Cavaliers sur le chaudron de Gundestrup (IIe siècle av. J.-C)



     (4) Xavier Delamare, dans son Dictionnaire paru en 2003, suppose plutôt que manduo (rapproché du latin mannus, “poney”, lui-même sans doute emprunté au gaulois) signifie à lui tout seul “petit cheval” et qu’epo est donc à prendre au sens d’“attelage”. Cette interprétation me paraît bien forcée: ce n’est pas parce que mannus signifie en latin “petit cheval” que le terme manduo avait déjà en gaulois un sens aussi spécialisé. Il est plutôt à supposer que le terme gaulois qui signifiait “petit” a été emprunté par le latin au sens spécial de “poney”. D’où également, sans doute, la curieuse disparition de l’élément epo- dans le nom de la ville de Mandeure, au moment où le gaulois est totalement supplanté par le latin.
     On soupçonne bien, à droite et à gauche, la présence de cet élément epo- ou epa- dans bien des noms de lieux, mais un seul cas est avéré par une déclaration explicite de Pline l’Ancien au premier siècle (Histoire Naturelle, III, 21, 2). Il nous apprend qu’Eporedia (la moderne Ivrée dans le Val d’Aoste) tire son nom d’un mot gaulois qualifiant les bons dresseurs de chevaux (5).
     (5) Voici le texte: Oppidum Eporediam, Sybillinis a Populo Romano conditum jussis (Eporedias Galli bonos equorum domitore vocant); traduction: “L’oppidum d’Eporedia, fondé par le Peuple Romain sur l’ordre des Sybilles (les Gaulois appellent eporediae les bons dresseurs de chevaux)”.

Potin sénon au cheval
Potin sénon au cheval (monnaie locale de bronze fortement alliée de plomb ou d’étain)

05. Troisième hypothèse: «Les Juments d’Étain» ou «Les Chevaux d’Étain».

       Nous nous arrêtons donc pour l’instant à une troisième hypothèse sur l’origine de la formation du toponyme Stampae, qui serait une contraction d’un composé Stann-Epe, littéralement «Les Juments d’Étain» ou «Les Chevaux d’Étain».

     Reste à expliquer un toponyme aussi énigmatique à première vue.

1) L’étain envisagé comme marchandise?

     On sait qu’une des ressources économiques principales de la Gaule ancienne était le commerce de l’étain venu de la Cornouaille britannique, qui transitait à travers le pays jusqu’aux rives de la Méditerrannée, spécialement il est vrai par la vallée du Rhône.

     C’est ainsi par exemple qu’on a expliqué l’existence du trésor 
découvert en 1953 près de Vix (Côte-d’Or) et plus précisément près  l’oppidum du mont Lassois: cet établissement aurait contrôlé le passage de l’étain vers la vallée du Rhône.

     On pourrait supposer dans le cadre de cette hypothèse qu’Étampes a été une étape notable de l’une de ces routes commerciales terrestres de l’étain, spécialement de celle qui se dirigeait, via Cenabum, c’est-à-dire Orléans, vers la vallée de la Garonne et l’Espagne, ancêtre de cette grande voie de communication qu’on a appelée ultérieurement la Voie Royale, et aujourd’hui la RN 20.

     Dans cette perspective on pourrait peut-être comprendre
«Les Chevaux de l’Étain», c’est-à-dire les convois de cette marchandise. J’avoue cependant préférer nettement à cette hypothèse celle qui suit.

Autre potin sénon au cheval
Autre potin sénon au cheval
2) Les Juments d’Étain, un nom de peuple?

      Une autre interprétation se présente en effet, qui me paraît plus vraisemblable et séduisante dans le cadre de cette hypothèse. Il faut d’abord remarquer l’immensité du territoire contrôlé par le peuple des Sénons, dont la métropole était à Sens. Il en découla que jusqu’à la Révolution française le pays d’Étampes a relevé du diocèse de Sens, dont le siège était pourtant à plusieurs jours de voyage de la vallée de la Juine.

      On peut donc légitimement se demander si cette vallée de la Juine n’était pas occupée par une peuplade gauloise distincte, cliente des Sénons certes, mais dotée d’une identité bien déterminée, et d’un nom propre, comme dans le cas des Epomandui, peuplade cliente de celle des Éduens. Ainsi leur nom propre aurait été Les Juments d’Étain, de même que celui des Epomandui était Les Petits Chevaux. ou Les Petits Étalons.

     Le déterminant d’Étain  pourrait se rapporter soit à la matière, ou à la couleur des enseignes sous lesquelles combattaient les contingents étampois au sein de la fédération sénone (6). Rappelons que les Gaulois étaient notoirement les inventeurs et les spécialistes du procédé de l’étamage, destiné à éviter la corrosion d’objets métalliques tels que l’étaient, précisément, les enseignes.

     On ne peut exclure non plus l’hypothèse selon laquelle les carnyx (ou trompes de combat) des Étampois aient revêtu la forme de têtes de chevaux.


     On notera en tout cas qu’on a bien découvert à Tintignac,
dans un trésor de guerre daté du IIIe siècle av. J.-C.
, en septembre 2004, entre autres, outre sept carnyx, une tête de cheval, en tôles de bronze repoussées.



05. Conclusion provisoire

     Tout ceci est bien hypothétique. Nous espérons cependant avoir donné aux Étampois une occasion de rêver à leurs ancêtres.

     Peut-être cette vision est-elle trop belle, et ressemble-t-elle trop à une image d’Épinal: nos ancêtres les Étampois, réunis au printemps pour combattre avec leurs alliés sénons, mais sous leurs propres enseignes, qui auraient été des chevaux de bronze, joliment étamés par les forgerons du pays.


Guerriers gaulois

Cheval (art celtique): enseigne?
Cheval stylisé, qui fut peut-être une enseigne gauloise.

     (6) Selon Pline (X, 5), les Romains eux-même, jusqu’à l’époque de Marius, eurent aussi des chevaux pour enseignes de certaines de leurs unités.

Guerriers celtes soufflant dans leurs cornyx (chaudron de Gundestrup)
Cornyx (chaudron de Gundestrup)


Bernard Gineste, mars 2009

Cheval ailé décorant un torque du trésor de Vix
BIBLIOGRAPHIE

 

     Bernard GINESTE [éd.], «Sur le nom de la ville d’Étampes (étymologies proposées du XVIe au XXIe siècle)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/coe-compilationdetymologies.html, 2007.


     Bernard GINESTE, «Le nom d’Étampes signifie-t-il Les Juments d’Étain?», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/coe-jumentsdetain.html, 2009.

     Ci-contre: Cheval ailé décorant un torque du trésor de Vix.


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