NOTICE
SUR HELGAUD.
IL
en est du moine Helgaud comme de la plupart des chroniqueurs de son temps;
nous ne connaissons, de leur personne et de leur vie, que ce qu’ils en
ont dit eux-mêmes dans leurs ouvrages, et nous sommes réduits
à deviner, d’après des rapprochemens plus ou moins probables
l’époque de leur naissance et de leur mort. Helgaud fut moine de
Fleury, ou Saint-Benoît sur Loire, sous l’abbé Gosselin, élevé
en 1004, à la dignité d’abbé de ce célèbre
monastère, et mort archevêque de Bourges en 1029. Il termine
sa Vie du roi Robert en disant: «Quant aux guerres du siècle,
aux ennemis vaincus, aux honneurs acquis par le courage et le talent, je
les laisse à conter aux historiographes qui, s’il y en a, et qu’ils
s’occupent de cela, trouveront, sous ce rapport, le père et ses
fils glorieux dans les batailles, et brillants à ce titre d’un grand
éclat. Il écrivait donc probablement après l’an
1042, époque des guerres où se signala le roi Henri, fils
de Robert, contre Étienne, comte de Champagne, et d’autres vassaux. [p.360] Enfin sa mort
est marquée dans les Nécrologes des abbayes de Saint-Bénigne
de Dijon et de Saint-Germain-des-Prez, au 27 ou 28 août 1048. Ce
sont là les seuls renseignemens qu’aient recueillis sur son compte
les érudits. Quant aux faits qu’il rapporte lui-même dans son
livre sur ses travaux monastiques et ses relations avec le roi Robert ou
quelques autres de ses contemporains, il est inutile de les répéter.
|
François Guizot (1787-1874)
|
Le titre d’Abrégé
(Epitome) qu’on lit en tête de sa Vie de Robert, a fait douter
si l’ouvrage était de lui, et s’il ne fallait pas y voir plutôt
un extrait d’un travail plus considérable entrepris sur le même
sujet par quelque autre historien. M. de Sainte-Palaye a judicieusement
réfuté cette opinion (A),
et il suffit de lire la Chronique même pour sentir l’invraisemblance
d’une telle conjecture. Elle porte tous les caractères de l’originalité;
l’auteur écrit la vie de Robert parce qu’il l’a connu et parce que
le roi a comblé son abbaye de bienfaits; il se complaît dans
le détail de ses rapports personnels avec le roi, et à reproduire
tout ce qu’il en a vu ou entendu conter à ses serviteurs. Ces rapports
flattent sa vanité et lui ont inspiré pour le monarque une
affection sincère. La plupart des chroniqueurs [p.361] n’ont pas eu, pour écrire,
de si bonnes et si apparentes raisons.
|
(A) Mémoire
sur la vie et les œuvres du moine Helgaud, par M. de la Curne de Sainte-Palaye,
dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions,
tom. X. pag. 553-562.
|
M. de Sainte-Palaye
explique autrement, et d’une façon plus vraisemblable, ce titre
d’Abrégé qui a exercé l’inquiète sagacité
des érudits. L’espèce de Préface qui précède
le récit, et ces premiers mots: «ici commence l’abrégé
de la vie du roi Robert,» lui ont paru indiquer que cette vie faisait
partie de quelque ouvrage plus étendu, probablement d’une histoire
des abbayes de Fleury et de Saint-Aignan, rédigée par Helgaud
ou par d’autres moines. Cette conjecture semble appuyée par la
nature de l’ouvrage, consacré plutôt, comme le dit l’auteur
lui-même, à la peinture du caractère des mœurs et des
vertus religieuses du roi Robert, qu’au récit des événemens
de son règne. C’est moins une histoire qu’un panégyrique
destiné prendre place dans les archives de l’abbaye dont Robert s’était
montré le bienfaiteur. Malgré cette circonstance, et peut-être
pour faire preuve d’indépendance et d’impartialité, les savans
Bénédictins ont traité l’ouvrage avec assez de mépris:
«C’est, disent-ils, un sermon, une oraison funèbre, où
l’auteur a placé beaucoup de minuties et est entré dans les
plus petits détails, le tout assorti à un style affecté,
rude et obscur. (B)» Rien n’est
plus vrai; mais je ne pense [p.362] pas
que le livre en ait moins de valeur; il nous fournit sur l’état
des mœurs, la vie intérieure, la situation sociale du roi et de ses
serviteurs, plus de renseignemens, et des renseignemens plus naïfs
et plus curieux que la plupart de ces chroniques où les faits sont
sèchement enregistrés sous chaque année. A tant
de siècles de distance, les guerres, les révoltes, les
accidens extérieurs et matériels de la destinée d’une
époque ou d’un homme, sont encore importans pour la science; mais
les monumens et les souvenirs de la nature morale conservent seuls le
pouvoir d’intéresser notre imagination.
François
Guizot [p.363]
|
(B) Histoire littéraire de la
France, tom. VII, pag. 405-409.
|
PRÉFACE.
Ici commence l’abrégé de la vie
du pieux roi Robert.
LE maître du céleste empire, à
qui l’esprit de superbe voulut s’égaler en puissance, a choisi
sur la terre des princes pour tenir les sceptres puissans du siècle;
et comme la sainte Église, notre mère, en a obtenu, pour
gouverner le peuple de Dieu, des évêques, des abbés
et autres ministres revêtus des Ordres sacrés, de même
il a fait choix en ce monde d’empereurs, rois et princes pour châtier
les malfaiteurs et réprimer l’audace des méchans, afin que
Dieu soit loué dans les siècles des siècles. Et puisque
ce discours a commencé par les Pères du monastère
de Saint-Aignan, il est nécessaire et utile de reconnaître
celui qui a été le père commun de tous, afin que
tout le monde reçoive consolation de ce que la miséricorde
de notre Seigneur Jésus-Christ a choisi ce bon prince, et de ce
que la majesté divine l’a établi souverain de ses enfans.
Nous dirons à qui ceci se rapporte.
Ainsi donc, par l’ordre de la toute-puissance
du Dieu Tout-Puissant, et le secours de saint Aignan, nous avons fait
mémoire de monseigneur et révérend Leudebod, abbé
du susdit monastère de Saint-Aignan, lequel, par testament, a transporté
ce qui lui appartenait en propre à Saint-Pierre d’Orléans,
à Sainte-Marie, [p.364] et
à Saint-Pierre de Fleury. Maintenant, nous voulons ajouter à
cet écrit que le très-bon et très-pieux Robert, roi
des Français, fils de Hugues, dont la piété et la bonté
ont retenti par tout le monde, a de tout son pouvoir enrichi, chéri
et honoré ce saint, par la permission duquel nous avons voulu écrire
la vie de ce très-excellent roi, digne d’être imité
par les âges présens et futurs; afin que les ames tièdes
y apprennent ce que valent les œuvres de charité, d’humilité
et de miséricorde, sans lesquelles nul ne pourra parvenir au royaume
céleste, et qui ont tellement éclaté en lui, qu’après
le très-saint roi-prophète David, nul en ceci ne lui peut
être égalé, particulièrement dans la sainte humilité
qui, se tenant toujours en présence de Dieu, unit à Dieu
de corps et d’esprit ceux qui l’aiment. Nous commencerons par décrire,
ainsi que nous l’avons vu, les traits de son visage et la beauté
de son corps, aidés en ceci du secours de notre Seigneur Jésus-Christ
qui, par sa naturelle bonté, inspire qui il veut, comme il veut,
et quand il veut. [p.365]
|
Sceau de Robert
II
|
VIE DU ROI ROBERT.
DANS le temps où Dieu jeta les yeux
sur les fils des hommes, pour voir s’il en était un qui le connût
et le cherchât, le roi des Français fut Robert, d’une très-noble
origine, fils de l’illustre Hugues, et d’Adélaïde, pour qui
l’honneur d’être sa mère paraît un éloge suffisant.
Son auguste famille, comme lui-même l’affirmait en saintes et humbles
paroles, avait sa souche en Ausonie. Quant à lui, illustre par
des actions vertueuses, il augmentait chaque jour l’éclat de son
mérite, déjà remarquable par la connaissance parfaite
de toutes les sciences. Il avait la taille élevée, la chevelure
lisse et bien arrangée, les yeux modestes, la bouche agréable
et douce pour donner le saint baiser de paix; la barbe assez fournie, et
les épaules hautes. La couronne placée sur sa tête
indiquait qu’il sortait d’une race qui fut royale dans son aïeul et
son bisaïeul. Lorsqu’il montait son cheval royal, (chose admirable)
les doigts de ses pieds rejoignaient presque le talon, ce qui dans ce siècle
fut regardé comme un miracle par ceux qui le voyaient. II priait
Dieu fréquemment et continuellement, fléchissait le genou
une innombrable quantité de fois, et pour me servir des termes d’Aurelius
Victor, et parler le langage [p.366] humain,
c’était un homme parvenu au plus haut rang par ses mérites
en tout genre. Lorsqu’il siégeait dans le consistoire, il se disait
volontiers client des évêques. Jamais une injure reçue
ne le porta à la vengeance; il aimait la simplicité, et se
livrait à la conversation , aux promenades et aux repas en commun;
il était tellement appliqué aux saintes lettres, qu’il ne
se passait pas de jours qu’il ne lût le psautier, et ne priât
le Dieu très-haut avec saint David. Il fut doux, reconnaissant, d’un
caractère civil et agréable, et plus bienfaisant que caressant.
Ce même roi, au très-sage
cœur, auquel étaient naturels les dons de la science parfaite,
qu’il avait reçus de Dieu même, fut très-savant dans
les lettres humaines. Sa pieuse mère l’envoya aux écoles de
Rheims, et le confia au maître Gerbert, pour être élevé
par lui, et instruit suffisamment dans les doctrines libérales, et
de manière à plaire en tout, par ses hautes vertus, au Dieu
tout-puissant. Ainsi fut fait. Ce même Gerbert, à cause de son
mérite qui brillait dans tout le monde, reçut du roi Hugues
l’archevêché de Rheims; en peu d’années il le pourvut
splendidement des choses nécessaires à une église
sainte. En quittant ce diocèse il fut mis à la tète
de celui de Ravenne, par Othon III; de là, bientôt élevé
au siége du très-saint apôtre Pierre, il montra dans
cette dignité de très-grandes vertus, et fut surtout remarquable
par de saintes aumônes dans lesquelles il persista fortement tant
que dura sa fidèle vie. Entre autres choses, gai et de bonne humeur,
il plaisante ainsi de lui sur la lettre R.
Scandit ab R. Girbertus in R.
post papa viget R. [p.367]
«Gerbert est monté de Rheims
à Ravenne, et depuis pape règne Rome.»
Il montrait clairement par là que
les trois évêchés que lui Gerbert, fait moine par
la profession de la vie régulière sous la règle de
son père saint Benoît, avait reçus, gouvernés
et possédés, étaient désignés par le
signe de la lettre R, qui se trouve au commencement de ces mots.
Robert, cet humble serviteur de Dieu,
eut pour compagnon dans son éducation maître Ingon, qui
reçut de lui l’abbaye de Saint-Martin et celle de Saint-Germain
de Paris, rendant ainsi au siècle ce personnage remarquable, ainsi
qu’il convenait à un tel homme. Nous aurons soin de dire brièvement
et en peu de paroles, comment les semences des vertus prospérèrent
en Robert.
Dans un certain temps, cet homme de miséricorde
et de piété se trouva au palais de Compiègne, et
y fit une action qui fut connue de tout le monde, et donna un exemple de
piété et de miséricorde. Cet aimable roi se disposait
à célébrer la sainte Pâque en ce lieu, le jour
de la Cène du Seigneur, lorsqu’une inique conspiration fut tramée
par douze personnes qui jurèrent sa mort, et voulaient lui ôter
la vie et la couronne. Le roi ordonna de les prendre et de les lui amener.
Il les interrogea, commanda de les garder dans la demeure de Charles le Chauve,
de les nourrir magnifiquement des viandes royales, et au jour de la sainte
Résurrection, de les fortifier par la réception du corps et
du sang de Jésus-Christ.Ensuite leur cause fut exposée; ils
furent jugés, condamnés, et il y eut
[p.368] contre eux autant de sentences de mort qu’ils étaient
d’hommes. Ce prince de Dieu, pieux, prudent, savant et intelligent, les entendit,
et leur pardonna pour l’amour du doux Jésus, disant qu’il ne pouvait
faire exécuter ceux qui avaient été repus de la viande
et du breuvage céleste; et, afin qu’ils ne retombassent pas dans
le même crime, il les exhorta par ses saints discours, et les renvoya
chez eux impunis.
Quant aux larcins des pauvres, clercs
ou laïques, faits contre lui, et qui portaient sur de l’or, de l’argent,
ou de très-précieux ornemens, il en était pleinement
consentant. Lorsqu’on voulait les poursuivre, il feignait qu’il n’y eût
point de crime dans leur action, et jurait, par la foi du Seigneur, qu’ils
ne perdraient point ce qu’ils avaient emporté. La reine Constance
avait fait construire un beau palais et un oratoire au château d’Etampes.
Le roi, gai et content de cela, s’y rendit avec les siens pour dîner,
et ordonna que la maison fût ouverte aux pauvres de Dieu. Un d’eux
s’étant placé à ses pieds, fut nourri par lui, sous
la table; mais ne perdant point l’esprit, le pauvre aperçut un ornement
de six onces d’or qui pendait aux genoux du roi, de ceux qu’en langue
vulgaire nous nommons franges ou falbalas; il le coupa avec son couteau,
et s’éloigna rapidement. Lorsqu’on voulut délivrer la chambre
de la foule des pauvres, le roi commanda qu’on éloignât ceux
qui avaient été rassasiés de chair, d’alimens et de
boisson, et comme ils se retiraient de la table, la reine remarqua que
son seigneur était dépouillé de sa glorieuse parure;
troublée, elle se récria contre le saint de Dieu avec ces
paroles peu calmes: «Eh! mon bon seigneur, quel ennemi de Dieu vous
a enlevé votre [p.369] beau
vêtement d’or? — Moi? dit-il; personne ne me l’a ravi; mais, Dieu
aidant, il servira plus utilement à celui qui l’a emporté
qu’à nous.» Ayant dit ces paroles, le roi entra dans son oratoire,
qui était un don de Dieu, souriant de sa perte et du discours de
son épouse. Là étaient présens maître
Guillaume, abbé de Dijon, le comte Eudes et plusieurs Français
des plus considérables. |
Miniature de Jean Fouquet (XVe siècle):
Robert II le Pieux à Rome.
Siège de Melun en 999
|
Il faut encore
raconter des actions non moins pieuses. Un certain évêque
n’ayant point une saine foi sur le Seigneur, et cherchant, pour plusieurs
causes, des preuves sur la nature corporelle de Jésus-Christ, le
roi, ami de la vérité, ne supporta pas cela et lui écrivit
en ces termes: «Tandis que tu portes un nom de science, la lumière
de la sagesse ne luit pas en toi, et je cherche par quelle audace, soit
à cause de tes iniques volontés, soit,à cause de cette
haine invétérée que tu portes aux serviteurs de Dieu
, tu oses élever des doutes sur le corps et le sang du Seigneur;
et lorsqu’il est dit par le prêtre qui le distribue; Que le corps de
Jésus-Christ te serve au salut du corps et de l’ame, comment tu
ne crains pas de dire d’une bouche téméraire et souillée:
Si tu en es digne, reçois-le? tandis que personne n’en est digne.
Pourquoi attribues-tu à la Divinité les fatigues du corps,
et joins-tu à la divine nature l’infirmité des douleurs humaines?»
Et ce prince de Dieu, jurant alors par la foi du Seigneur, continua en disant:
«Tu seras privé des honneurs du pontificat, si tu ne renonces
pas à ces erreurs; et tu seras condamné avec ceux qui ont
dit à Dieu: Éloignez-vous de nous, et tu
n’auras pas de communication avec ceux à qui il est dit: Approchez [p.370] de Dieu, il se rapprochera
de vous.» L’évêque, mal instruit, mais sagement repris
par le bon roi, ayant ouï ces paroles, se tint tranquille, se tut, s’éloigna
de ce dogme pervers, contraire à tout bien, et qui déjà
croissait dans ce siècle.
Ce roi, serviteur de Dieu, placé
dans le sein de l’Église sa mère, fut un zélé
gardien du corps et du sang du Seigneur et de ses vases sacrés;
il ordonnait tout aussi parfaitement que s’il eût vu Dieu, non
seulement descendu sur l’autel , mais dans la propre gloire de sa sainte
majesté; sa dévotion à cet égard veillait
surtout à ce que le Seigneur fût immolé, pour l’expiation
des péchés de tout le monde, par un prêtre dont le
cœur fût pur et le vêtement blanc; par son assiduité
à ce service, déjà destiné pour le ciel, il
était heureux sur la terre; il se plaisait à orner les reliques
des saints d’or et d’argent, à donner des vêtemens blancs,
des ornemens sacerdotaux, des croix précieuses, des calices fabriqués
en or pur, des encensoirs exhalant un parfum choisi, et des vases d’argent
pour les mains des prêtres qui se tenaient à toute heure
devant Dieu, priant pour les péchés de tout le peuple. Que
dirai-je? Un vase pour le vin, fait en argent, et qu’on nomme
cantare, fut volé par un de ses clercs, ce qui rendit
le roi triste de toute manière, mais pas au point de faire inquiéter
ce clerc, qui depuis lui fut très-cher; il menaça seulement
de faire poursuivre le vol, et, bon gré, malgré, l’ecclésiastique
auteur de cette mauvaise action fit faire la recherche du vase, le racheta,
et le remit en son lieu. Le roi, ami de Dieu, plaisantant là-dessus,
dit au clerc: «Il vaut mieux porter dans la maison ses propres [p.371] effets qu’en
emporter, de peur d’être semblable à Judas, qui était
voleur, gardait la bourse et dérobait ce qui lui était confié.»
Le roi eut ensuite ce clerc près de sa personne pour son service,
et celui-ci devint digne de ses bons conseils, car cet homme très-pieux
savait par sa vertu soigner les plaies d’autrui, et, selon les commandemens
du père Benoît, ne les point découvrir ni publier.
Nous prions donc Dieu que, par sa clémence, il efface pour une telle
action ses péchés, et que par l’intercession de tous les
saints, le roi possède les joies promises aux justes.
Il m’est très de communiquer aux
oreilles des fidèles ce qui est si digne d’être raconté
la mémoire de ce roi doux et libéral nous appellera, nous
tous qui aimons Dieu, dans ce jour où la trompette sonnera, non
celle qui est d’airain, mais celle qui procède du céleste
trésor, et qui, ouvrant sa bouche, dit: «Verse l’aumône
dans le sein du pauvre, et elle priera pour toi.» Réfléchissant
sur un tel homme, il se présente à nous mille choses, par
la. pensée, l’ouïe ou le discours, qui ne peuvent être
écrites à cause de leur grand nombre, car Dieu seul connaît,
par Son immense sagesse et science, ce qui ne peut être compris
par l’esprit d’hommes misérables. Et parce que nous nous intéressons
au monde, nous nous réjouissons des actions de cet excellent roi;
car, à ce que nous croyons, Dieu, ce roi glorieux, est loué
par ses œuvres; Dieu, du royaume duquel sera pour l’éternité
celui qui aura été grand par une entière pureté
de cœur et de corps. Et que l’univers croie bien que le monde serait encore
plein de joie par sa bonne et agréable vie, [p.372] si le Fils de
Dieu, mort polir les pécheurs, l’avait voulu.
Un jour étant allé à
l’église, et prosterné devant Dieu en oraison, ce roi,
doux et humble de cœur, fit rougir de sa faute un certain homme, à
l’occasion d’un ornement en fourrure qui lui descendait du cou; tandis
qu’il épanchait ses prières devant le Seigneur, Rapaton,
voleur (non ce fameux chef de brigands qui occupe le commencement de la
leçon du livre des Rois) s’approcha de lui, et prit la moitié
de la frange du manteau du roi; mais il reçut de sa bouche cet ordre
indulgent et plus doux que le miel: «Retire-toi, ce que tu as pris
te suffira, et le reste peut être nécessaire à quelque
autre.» Le voleur confus obéit au commandement du saint homme,
qui, pour l’amour de Dieu, compatissait ainsi d’habitude aux pauvres, et
à ceux qui étaient en faute, afin de les avoir pour intercesseurs
auprès de Dieu, car il savait qu’ils étaient déjà
citoyens du ciel.
Poissy, résidence royale, placée
sur la Seine, est très aux rois des Français; trois monastères
y ont été bâtis par de saint personnages, un en l’honneur
de sainte Marie, un en celui de saint Jean, et le dernier, en celui de
saint Martin, confesseur. Le bon roi adopta le monastère érigé
en l’honneur de la sainte Mère de Dieu, le bâtit de nouveau,
et le rendit très-beau pour les ornemens, les prêtres, l’or
et l’argent. La louange de Dieu n’y était pas interrompue, là
il s’unissait continuellement au Seigneur par ses oraisons. Un jour il
arriva au lieu de repos de son humble corps, après avoir répandu
devant Dieu et dans la prière ses torrens de larmes accoutumés,
il trouva [p.373] sa lance
bien ornée d’argent par sa glorieuse épouse; il regarde aussitôt
à la porte pour voir s’il se trouverait quelqu’un à qui cet
argent fût nécessaire; il aperçoit un pauvre, et lui
demande avec adresse s’il aurait quel que ferrement au moyen duquel on
pût enlever l’argent de dessus le bois. Ce serviteur de Dieu ordonne
ensuite au pauvre, qui ne savait pas ce qu’il en voulait faire, d’aller lui
en chercher un tout de suite. Pendant cet intervalle il vaquait à
l’oraison. L’envoyé revenant, lui apporta un fer assez, propre:
à une telle destination; les portes se fermèrent, le roi
bienfaisant, avec l’aide du pauvre, ôta l’argent de la lance, le
donna au pauvre, le mit dans son sac de ses saintes mains, et lui recommanda,
comme à l’ordinaire, de prendre garde en sortant que sa femme ne le
vit. Le pauvre obéit aux ordres du roi. Tout étant fini, la
reine arriva, demanda ce qu’était devenue cette lance, et s’étonna
de voir ainsi détruit ce bel ornement par lequel elle avait espéré
réjouir son seigneur. Le roi par plaisanterie lui répondit,
en jurant la foi du Seigneur, qu’il ignorait le fait; il s’éleva entre
eux une dispute amicale. Tant de libéralité en aumônes
leur profita à tous deux, et, avec l’aide de Dieu, elle était
de grand bénéfice à ceux qui voulaient mourir au monde
et vivre en lui. Il y a encore à raconter plusieurs traits d’une
piété non moins grande dont nous avons déjà
parlé.
|
Gisant de Robert II à Saint-Denis
Gisante de Constance à Saint-Denis
|
Un certain
pauvre clerc, venant du royaume de Lorraine, fut présenté
au roi serviteur de Dieu, et reçu par lui. Ce clerc s’appelait Oger;
le roi le traitant avec trop de bonté, l’associa à son collége
de saints prêtres, l’enrichit suffisamment de toutes sortes [p.374] de manières, espérant
habiter avec lui un grand nombre de jours et d’années. Mais ce
fourbe fut découvert d’une manière qu’il n’avait pas prévue,
car le prophète David avait bien dit de lui: «Les paroles
de sa bouche sont iniquité et ruse; il n’a pas voulu comprendre
pour bien agir; il a médité le crime dans son lit; il ne s’est
pas appliqué à la bonne voie, et n’a pas haï la malice
(C)» Car on voyait revivre en lui
la conduite de Judas qui trahit le Seigneur, et qui gardait la bourse et
dérobait ce qui lui était confié: en effet, un certain
jour, sur le soir, au moment où la nuit approchait, le roi ayant
soupé avec les siens se disposait à accomplir ses devoirs
envers Dieu, et à lui rendre l’hommage qui lui appartenait. Il marcha,
selon sa coutume, vers l’église, précédé par
des clercs qui portaient devant lui des chandeliers d’un grand prix. Lorsqu’ils
furent arrivés, l’humble roi fit signe de ne point approcher du
sanctuaire, et se plaçant dans l’angle, il offrit ses vœux à
son doux Seigneur. Tandis qu’il méditait en la présence
de Dieu, il vit Oger mettant à terre la cire, et cachant dans son
sein, le chandelier. Les clerc qui devaient être gardiens de ces
effets, furent troublés de ce vol, et en parlèrent au roi,
qui dit n’en rien savoir. Ce fait parvint aux oreilles de la reine Constance
sa femme, dont quelqu’un avait dit, en plaisantant sur son nom:
«Constans et fortis quæ
non Constantia ludit.»
«Constance, constante et forte,
qui ne plaisante pas.»
|
(C) Ps. 35, v. 3 et 4.
|
Enflammée
de fureur, elle jura par l’ame de son [p.375]
père Guillaume, qu’elle infligerait
des peines aux gardiens, les priverait des yeux, et leur ferait d’autres
maux, si ce qui avait été enlevé du trésor
du saint et du juste ne se retrouvait pas. Le roi, qui avait le calme de
la piété, appela le voleur, dès qu’il eut entendu
ces paroles, et lui parla ainsi: Ami Oger, va-t’en d’ici de peur que ma
femme irritée ne t’anéantisse bientôt; ce que tu as
te suffira jusqu’à ce que tu sois dans ton pays natal; que le Seigneur
t’accompagne partout où tu iras.» Lorsque l’auteur du vol
entendit ces paroles, il tomba aux pieds du pieux roi, et se roula par
terre, en criant: « Secourez-moi, seigneur; secourez-moi!» Mais
le roi voulant le sauver, lui dit: «Va-t’en, va-t’en, ne demeure
pas ici.» Et il ajouta plusieurs choses à celles qu’Oger emportait
afin qu’il ne manquât de rien en route. Quelques jours après,
le roi, serviteur de Dieu, supposant qu’Oger devait avoir atteint le lieu
de sa naissance, et conversant avec les siens, dit, doucement et agréablement:
«Mon cher Theudon (car ce Theudon était très-familier
avec lui) , pourquoi te fatigues-tu à chercher ce candelabre que
le Dieu tout-puissant a donné à un de ses pauvres? Sachez,
toi et les tiens, qu’il lui est plus nécessaire qu’à nous pécheurs,
à qui le Seigneur a donné toutes les richesses de la terre,
afin que nous vinssions au secours des pauvres, des orphelins, et de tout
le peuple de Dieu.»
Ses officiers lui construisirent par son
ordre un beau palais à Paris; et voulant l’honorer par sa présence
le jour de Pâques, il commanda qu’on y préparât un
grand repas, selon l’usage royal. Comme [p.376]
il allait prendre de l’eau, pour se laver les
mains, un aveugle qui était là dans la foule des pauvres,
qui lui étaient un cortège perpétuel, s’approcha
du roi, et le pria de lui jeter de l’eau sur la figure et d’offrir pour
lui une humble prière. Le roi accueillit par manière de jeu
la demande du pauvre; et lorsqu’il eut l’eau sur les mains il lui en lança
au visage: aussitôt l’aveugle, à la vue de tous les grands
qui étaient présens, recouvra l’usage des yeux par l’attouchement
de l’eau. Tous louèrent le Seigneur; et le pauvre, content, s’assit
au banquet avec les convives. Pendant tout le jour on n’eut au repas d’autre
entretien que de louer sur ce miracle le Dieu tout-puissant. Peut-être
les discours des convives eussent été vains et inutiles,
s’ils n’eussent pas été éclairés en cette journée
d’une si grande lumière; et certes, on ne peut raisonnablement s’étonner
que le roi ait fréquemment honoré de sa présence
ce palais, que la vertu divine a illustré par un tel miracle, et
a consacré par la joie du peuple, le premier jour où ce pieux
roi a voulu y prendre son repas.
|
Gisante de Constance à Saint-Denis
|
Ce vertueux
prince, vivant de la vie des justes, s’appliquait à ne pas permettre
le mensonge à sa bouche, et à dire la vérité
du cœur et dès lèvres; il jurait souvent par la foi du Seigneur;
mais voulant rendre les siens innocens comme lui, lorsqu’ils lui prêteraient
serment, il fit faire un reliquaire de cristal, orné tout autour
d’or pur, mais qui ne renfermait point d’os des saints. Ses grands, ignorant
cette pieuse fraude, juraient dessus; il en fit construire un autre d’argent,
dans lequel il mit un œuf d’un certain oiseau nommé griffon, et
sur ce vase il faisait prêter serment
[p.377] de fidélité aux gens moins
puissans, et à ceux des campagnes. Oh! combien convenaient parfaitement
à ce saint homme les paroles du prophète sacré, lorsqu’il
disait: «Il a habité dans le tabernacle du Très-Haut,
celui qui a dit la vérité dans son cœur, qui n’a pas eu de
fausseté sur les lèvres, qui n’a pas fait de mal à
son prochain, et n’a pas cherché à lui nuire.»
Griffon de Saint-Basile d’Étampes régurgitant
une jambe (X ou XIe siècle)
|
Griffon de Torcello (début XIe siècle)
|
Il faut
dire en peu de paroles combien ce roi posséda la vertu d’humilité.
Tenant une assemblée avec les évêques de son royaume,
et les regardant l’un après l’autre, il en vit un accablé
par son embonpoint, et dont les pieds pendaient de haut; conduit par un
sentiment de piété, il chercha des yeux un tabouret, et, en
trouva un. Alors ce roi, cher à Dieu et aux hommes, le prit dans
ses mains, voulut lui-même l’offrir à ce pontife, et ne dédaigna
pas de le lui poser lui-même sous les pieds. C’était l’évêque
de Langres, nommé Lambert, et puissant par la science, la religion
et la bonté. Tous les évêques et les princes furent
dans une telle admiration de cette action, qu’ils proclamèrent à
plusieurs reprises Robert un roi humble et parfait. En effet, ce prince,
aimé de Dieu, ne perdit pas le souvenir de la sainte loi, et se
la rappela dans toutes ses actions. Il savait bien qu’il est écrit
«La science est la vertu, et l’humilité sainte est gardienne
de la vertu.» Et il connaissait ces paroles du bienheureux pape
Grégoire:
«Celui qui recueille des vertus sans humilité,
porte de la poussière au vent.» Il avait lu ce qu’a dit un
Père: «Tout travail sans humilité est vain; le signe
de l’humilité donne le royaume des cieux.» [p.378] Nous donc Dieu,
afin que ce prédestiné, qui a déposé toute
l’enflure de l’orgueil, et s’est uni à Jésus, son Dieu, par
la vertu de la sainte humilité, lui soit uni de même di l’éternité;
qu’au jour du jugement, il soit placé à la droite du Seigneur,
q Jésus-Christ ne trouve rien à condamner en lui, et que
par son immense miséricorde, il le conduise à la couronne
de gloire, qu’il a promise à ceux qui l’aiment; car ce Dieu, que
ce saint roi a tant et tellement aimé cru et désiré,
est le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, et l’espérance des
fidèles!
|
|
Cet humble
roi Robert, qui rejetait loin de lui tout orgueil, et doit être
nommé avec toute sorte d’amour, s’étudiait à plaire
par ses vertus à celui qui habite dans les cieux. Il évitait
les personnages élevés, et accueillait autant qu’il pouvait
les obscurs, afin qu’ils rendissent au vrai Dieu des hommages véritables.
Il suivait en cela l’exemple du vénérable Ambroise, évêque
de Milan, qui livra, pour s’être enflés d’orgueil, à
d’immenses gémissemens deux clercs de son église, jusqu’à
ce que, corrigés par la verge de la discipline sacerdotale, ils
eussent foulé aux pieds leur superbe, et appris l’humilité.
Ce même saint pontife a soin de décrire, dans son Traité
du déluge et de l’arche de Noé les habitudes des orgueilleux,
de même que les racontait le prophète Isaïe, au sujet
filles de Judée, qui brillaient par leurs mouvemens d’yeux, et marchaient
en portant la tête haute; car il y a des gens qui élève
leurs sourcils, enflent leurs cœurs, gonflent leur poitrine, reculent la
tête en arrière, frappe fortement le sol de leurs pieds, se
balancent le corps , et se couvrent de vains ornemens. Au premier [p.379] pas, ils marchent en avant,
et au second, se renversent en arrière, Ils regardent le ciel, méprisent
la terre, et on dirait que, tourmentés de douleurs de tête,
ils ne peuvent la baisser. Dieu les a rayés du livre de vie, en
disant: «Celui qui s’élève sera humilié;»
et il ne les inscrira pas dans les célestes histoires des mérites
des saints; c’est pourquoi nous disons tout cela, afin que tous connaissent
combien ce grand empereur des Français a méprisé le
monde, et combien son humilité lui a acquis le royaume des cieux.
Hugues, aïeul de ce grand roi,
et nommé Grand, pour sa piété, sa bonté et
son courage, avait construit magnifiquement avec son fils un monastère
dédié à saint Magloire, confesseur de Jésus-Christ,
et situé à Paris; il y avait placé des moines, destinés
à vivre sous la règle de saint Benoît, et avait enrichi
ce lieu par l’or, l’argent, et d’autres ornemens, pour son salut, celui
de son fils et celui de sa postérité future. Adélaide,
déjà nommée comme mère de Robert, reine admirable
par s sainte piété, fonda aussi le monastère de Saint-Frambault,
dans la ville de Senlis; elle y mit douze clercs pour servir Dieu, et
leur fournit abondamment de quoi vivre; elle bâtit aussi un couvent
à Argenteuil, ville dans le territoire de Paris, où elle
assembla un nombre égal de du Seigneur qui devaient y servir Dieu
sous la règle de saint Benoît, et qu’elle voulut consacrer
et dédier sous l’invocation de la bienheureuse Marie, mère
de Dieu, et toujours vierge, à la louange et à la gloire du
Dieu tout qui seul inspire tout bien Elle fit don encore à saint
Martin, évêque, d’une [p.380]
chasuble travaillée en or très-pur.
On y voyait, entre les épaules, la majesté du pontife éternel,
et les chérubins et les séraphins, humiliant leurs têtes
devant le Dominateur de toutes choses. Sur la poitrine, l’agneau de Dieu,
victime de notre rédemption, liant quatre bêtes de divers
pays qui adoraient le Seigneur de gloire. Elle fit aussi, pour ce bienheureux
confesseur, une chappe tissue d’or, et deux d’argent. Elle fabrique aussi
pour saint Denis, son protecteur spécial après le Seigneur,
une chasuble faite de même, et d’un travail admirable. Elle lui offrit
aussi, comme il convenait à une telle femme, un ornement appelé
le globe de la terre, et semblable à celui de Charles le Chauve.
Cette reine, fidèle à Dieu, espérait ainsi se concilier
la faveur de ce saint, à qui Dieu a promis par un fidèle
serment de lui accorder ce qu’il lui demanderait pour quelqu’un; et toute
la famille de cette reine se proclamait, dévouée en toutes
choses à un si grand martyr, rendant à son Dieu l’hommage
d’une profonde obéissance, comme il convient à des serviteurs.
Les amis particuliers de cette maison étaient la bienheureuse Marie,
saint Benoît père et chef des moines, saint Martin, saint Aignan,
et les victorieux martyrs Corneille et Cyprien. Mais les plus vénérés
de tous par cette race, étaient le glorieux martyr Denis, et l’illustre
vierge Geneviève. On rapporte que Hugues en mourant, dit à
son fils:
«Bon fils, je t’adjure, au nom de la sainte
et indivisible Trinité, de ne pas livrer ton ame aux conseils
des flatteurs, et de ne pas écouter les vœux de leur ambition,
en leur faisant un don empoisonné de ces abbayes que je te confie
pour toujours; je [p.381] souhaite
également qu’il ne t’arrive point, conduit par la légèreté
d’esprit, ou ému par la colère, de distraire ou enlever
quelque chose de leurs biens: mais je te recommande surtout de veiller
à ce que, pour aucune raison, tu ne déplaises jamais à
leur chef commun, le grand saint Benoît, qui est un accès
sûr, auprès du souverain juge, un port de tranquillité,
et un asile de sûreté, après la sortie de la chair.»
|
Martyre de saint Denis (XIVe s.)
Charles le Chauve et son globe
|
Il faut raconter
en peu de paroles les bonnes œuvres que fit cette servante de Dieu, mère
du sage roi Robert. Quand il était enfant, il fut attaqué
d’une grave maladie, dont le danger inquiétait son père et
sa mère; c’est pourquoi elle donna à l’église que
saint Évurce avait bâtie, avec l’aide de Dieu, dans l’ancienne
ville d’Orléans, et que, selon le rite ecclésiastique, il
avait consacrée à l’honneur de la croix sainte et vivifiante,
une image de Notre-Seigneur sur la croix, en or pur, afin que Dieu sauvât
de la mort celui que sa toute-puissance avait déjà marqué
pour régner sur la terre, et qu’il délivra par sa volonté.
Hugues, de son côté, avait donné aussi à l’église
de la Croix, et pour obtenir la santé de son fils, un vase
d’argent pesant soixante livres, et qui est demeuré, dans ce lieu
saint jusqu’à nos jours. Robert, devenu homme par son âge
et ses vertus, et serviteur du Dieu tout-puissant, à qui il plaisait
par ses louanges et ses discours, étant accablé de chagrin,
rendit, par un don, l’église de cette sainte croix qui porte le salut,
et pour qu’elle fût célébrée dans tous les siècles,
toutes les terres qui lui avaient appartenu, et que Foulques, évêque
d’Orléans, avait données, à Beauvais, [p.382] au puissant Hugues pour
obtenir son secours. Il aima toujours spécialement cette ville d’Orléans
où il était né, avait été élevé,
et depuis régénéré dans l’eau et l’Esprit-Saint,
et où, après son élévation au trône,
il avait reçu une bénédiction solennelle. L’illustre
Thierri, évêque de cette ville, dont la voix publiait dignement
les louanges du Seigneur, voulut laisser une mémoire de lui dans
le monastère de la sainte Croix, et ordonna qu’on fît un vase
du prix de cent sous d’or pur, dans lequel on consacrerait le sang de notre
Seigneur Jésus-Christ. L’humble roi voulut se joindre à ce
dessein d’un si grand pontife, et, touché de l’amour divin, fit
faire, pour servir avec le saint calice, une patène pour y produire
le corps du sauveur du monde, afin que sur l’autel fût la fois le
signe de la croix et la sainte passion, vraie rédemption des corps
et des ames. Il donna encore à l’évêque Odolric un
vêtement sacerdotal, pour qu’il parût entouré d’or
et de pourpre lorsqu’il se présenterait à l’autel du Seigneur.
Ce généreux prince donna encore à l’église
de la sainte Croix un petit vase d’albâtre du prix de soixante livres,
et en même temps un manipule d’argent.
|
|
Il donna
aussi trois précieux manteaux pour l’ornement du lieu saint, pour
son salut et celui de ses enfans, et beaucoup d’autres choses dont l’écriture
ne peut dire le nombre ni la qualité. Il revêtit d’or, d’argent,
de pierres précieuses, les corps des saints martyrs Savinien et Potentien,
qui ont souffert, auprès de Sens, une mort très-cruelle, afin
que le monde se confiât en ceux qu’un roi, digne de louanges, honorait [p.383] de telle sorte sur la terre.
De plus, par une grande bonté, il accorda la pêcherie de la
Loire, et confirma ce don par un édit, au patriarche saint Benoît
et aux siens, auxquels il fut toujours attaché de cœur pour leur admirable
vie dans toute l’étendue de la terre. II ne leur demanda en retour
que le secours de leurs prières; il affermit de plus, par sa royale
autorité, l’ordonnance d’immunité du lieu nommé Fleury,
et de toutes les choses destinées au service du monastère,
et ce bon et sage prince la scella de son sceau. Il montra clairement, par
ses dons d’ornemens ecclésiastiques, son respect pour saint Benoît,
qu’il aima chèrement, car il fit présent d’un pallium
précieux à l’autel de la sainte Mère de Dieu, après
l’incendie qui fut pour le lieu saint une très-grande calamité;
et il orna son sanctuaire d’un admirable encensoir embelli d’or et de pierreries,
et qui s’élevait facilement en haut. II était placé
à merveille auprès de celui en or pur que l’abbé Gosselin
avait fait faire par un habile ouvrier, et dont le travail brille au-dessus
des plus bel les choses que nous ayons vues et décrites dans l’église
de Fleury. Robert rebâtit aussi de nouveau, à Autun, ville considérable,
pays des Éduens, le monastère qui était dédié
à saint Cassien, confesseur, et tombé en ruines. Il y plaça
des ministres de Dieu, rétablit l’abbaye dans son premier état,
et fournit à la dépense de ceux qui serviraient Dieu et le
saint dans ce lieu, car son étude fut toujours d’accomplir en toutes
choses la volonté du Seigneur.
|
Sceau
de Robert II
|
Le palais
de Compiègne souffrit un dommage par un vol fait à ce noble
roi. On était aux jour de la Pentecôte, où le Saint-Esprit
remplit les âmes et purifie [p.384]
les cœurs des fidèles, afin qu’ils se
rendent agréables au Père et au Fils, dont la gloire est
égale à la sienne. Robert, ce père et roi glorieux,
voulut s’associer comme roi, Hugues, son fils, jeune homme d’une très-haute
noblesse. Le monde entier se hâtait plein de joie pour l’accomplissement
de cette volonté, parce qu’il se réjouissait de cet événement,
à cause de l’immense bonté du père et du fils que
la terre entière connaissait. Ce bon jeune homme était d’une
grande probité, accueillait et aimait tout le monde, ne méprisait
personne, et fut toujours chéri et aima de tous. Le premier jour
des fêtes se passa avec la bénédiction de Dieu; Robert
se réjouissait de son fils, et était plein d’une immense joie.
Il lui fit cette exhortation: «Vois, mon fils, souviens-toi toujours
de Dieu qui t’associe aujourd’hui à la couronne, et plais-toi toujours
dans les chemins de l’équité et de la vertu, et je prie le
Seigneur de permettre que je voie cela et qu’il m’accorde de te voir faire
sa volonté, que trouvent toujours ceux qui la cherchent.»
Pendant ces fêtes solennelles, un certain clerc médita dans
son méchant cœur de mauvaises choses, et se dépêcha de
les accomplir. Le roi, cet homme de Dieu, avait dans ses trésors une
figure de cerf faite en argent très-pur, sur laquelle il comptait pour
les fêtes. Il avait reçu ce présent de Richard, duc
des Normands, qui le lui avait donna pour des usages ordinaires; mais ce
prince, doux dans ses discours, doux dans ses pensées, voulait l’offrir
au Dieu tout-puissant. Un vase de corne, où on portait le vin pour
célébrer le saint sacrifice, était joint à
cet ornement. Ce scélérat et méchant clerc [p.385] les regarda, les prit,
et les enfonça dans ses bottines. Mais il ne pût trouver qui
les vendre, ni comment il pourrait détruire la figure du cerf; et l’on
doit croire que ce fut par les mérites de ce pieux roi, qui était
fidèle à Dieu de tout son cœur, que ces effets furent conservés;
car le troisième jour du sabbat, tandis que Robert conversait dans
l’oratoire de la tour de Charles avec quelqu’un avec qui il était très-familier,
le voleur y vint, se plaça devant l’autel, y répandit d’inutiles
prières, poussa de longs soupirs, plaça ce qu’il avait volé,
ainsi que la coupe, sous la nappe de l’autel, et le malheureux s’en alla
sans savoir quels yeux avaient été fixés sur lui. Le
roi interrompit sa conversation, s’approcha doucement de l’autel avec son
ami, et reprenant ses effets, les remit gaîment à un serviteur
et défendit à son compagnon, tant que cet homme vivrait, de
faire connaître son nom, ou de lui causer quelque honte.
|
Robert
II sur un denier de Laon
|
Jean-Paul Laurens: Étude
pour l’Excommunication de Robert le Pieux (1875)
Scène imaginaire, Robert n’ayant
jamais été excommunié.
|
Mais nous
verrons s’opposer à notre narration le mauvais esprit de ceux qui
ne veulent pas pratiquer le bien et ne rougissent pas de haïr ceux
qui le font, ni de mordre méchamment au talon quand ils le peuvent.
Ces gens-là, lorsque quelque faute tenant à la fragilité
humaine est commise, aboient comme des chien et n’ont pas honte de la mettre
en avant pour obscurcir toutes les bonnes œuvres, et de déchirer
la réputation d’un si saint homme. «Non, diront-ils, les actions
saintes rapportées ici de lui n’auront pas été utiles
au salut de son ame, car il n’a pas eu horreur du crime d’une union illégitime,
et il a épousé une femme qui lui était jointe par
une affinité spirituelle et les liens du sang.» Il faut [p.386] réprimer
leur haine par les paroles de l’Écriture sainte; mais pour qu’ils
ne disent pas qu’on leur ferme la bouche, qu’ils nous indiquent quelqu’un
sans péché; qui donc se peut glorifier d’avoir, le cœur chaste,
lorsque l’Écriture affirme que même l’enfant d’un jour n’est
pas pur? Si toutefois j’ai dit cela pour réprimer la folie d’insensés,
je ne tairai pas la faute de cet homme pénitent. De même que
saint David, transgressant la loi, désira criminellement et enleva
Bersabée, ainsi Robert, agissant contre les lois de la sainte foi,
s’unit illégitimement avec la femme dont il s’agit: David pécha
doublement, non seulement par sa liaison avec Bersabée, mais encore
par la mort de son innocent époux; Robert aima mieux offenser Dieu
que de conserver son lit pur d’une femme qui lui était interdite
par deux raison; mais le vrai médecin du genre humain voulut bien
par sa miséricorde guérir les blessures de l’un et de l’autre,
celles de David, lorsque, après avoir entendu de la bouche du prophète
Nathan la parabole de la brebis unique du pauvre, et des nombreux troupeaux
du riche, il se fut reconnu coupable, et eut avoué qu’il avait péché;
celles de Robert, par l’entremise du saint et vénérable Abbon,
que Dieu avait choisi pour abbé de Fleury, qui, par la grâce
de Jésus-Christ, brillait par ses miracles, et qui, méprisant
la crainte de la mort, reprit le roi en public et en particulier. Ce saint
personnage continua ses reproches jusqu’à ce que le bon roi eût
reconnu sa faute, abandonné définitivement la femme qu’il ne
lui était pas permis de posséder; et lavé de son péché
par une satisfaction agréable à Dieu, l’un et l’autre roi fut
réprimandé [p.387] par
Dieu, et couronné par lui, car il voulut, par sa sainte volonté,
que ces deux rois, que la nature avait mis nus au monde, fussent grands
et glorieux devant le monde, et parce que, comme dit l’Écriture,
Dieu souffre qu’on désobéisse à sa volonté,
et que, par une bénigne intention, il permet que les siens succombent
au péché, afin qu’ils se reconnaissent semblables aux autres
hommes, et qu’ils passent le reste de leur vie dans l’assiduité
aux veilles et aux oraisons, qu’ils supportent les diverses souffrances
du corps, et que le témoignage de l’Écriture soit, accompli
en eux, lorsqu’elle dit: «Dieu corrige ceux qu’il aime, et il châtie
le fils qu’il adopte,» David et Robert péchèrent,
ce qui est habituel aux rois; mais visités de Dieu, tous deux gémirent,
pleurèrent, firent pénitence, ce dont les rois n’ont pas
coutume. En effet, à l’exemple du bienheureux
David, Robert, notre seigneur, avoua sa faute, demanda l’absolution, déplora
sa faiblesse, jeûna, pria, et transmit aux siècles futurs
le témoignage de sa douleur publique, avec la confession de son
péché. «Le roi n’a pas rougi de confesser ce que des
particuliers n’ont pas honte de commettre. Ceux qui sont tenus par des
lois osent nier leur faute, et dédaignent de réclamer l’indulgence
que demandait celui qui n’était soumis à aucune des règles
humaines. Le péché vient de la nature humaine, la confession,
de la grâce divine. » La faute est commune, l’aveu rare; cela
tient la condition de l’homme d’avoir péché, à la vertu
de l’avoir avoué. Robert ne s’est pas cru trop grand pour cela, car
il savait que Dieu doit être craint par les grands et les petits, et
que les divines Écritures instruisent
[p.388] ainsi les puissans: «Plus tu es grand, plus
tu dois t’humilier devant le Seigneur, et tu trouveras grâce devant
Dieu.» Cet humble roi, absous selon les lois, était coupable
selon sa conscience, et désirant être délivré des
chaines du péché, il demanda le secours divin, pour être
purifié de la tache de tout crime.
|
Ce roi, doux
et humble de cœur fit des actions remarquables de piété
et de bénignité, si bien qu’il pardonna souvent à ses
ennemi et crut devoir toujours s’abstenir de leur mort; il n’est donc pas
extraordinaire qu’il déplorât tant une faute nuisible à
lui-même; c’est pourquoi il demanda d’être délivré
des péchés mortels, loua le Seigneur son Dieu, proclama
l’équité de ses jugemens, et glorifia par sa bouche la justice
descendant du ciel, et qui s’incarna dans le sein de la Vierge très-pure.
Je juge convenable de rapporter ici un
trait digne d’un père, fait par ce grand roi et cet élu
de Dieu. En effet, les vrais prêtres, les abbés, les moines
qui n’ignorent pas la sainte loi, y trouveront un exemple de vertu, qu’ils
doivent non seulement imiter, mais admirer; avant tout, ces œuvres de piété
et de miséricorde doivent être louées par toutes les
louanges possibles. En un certain temps Robert célébra solennellement
la sainte Pâque à Paris, et plein de joie, le second jour
du sabbat, il retourna à sa maison de Saint-Denis, et y passa les
grands jours; le troisième jour du sabbat, l’heure approchant où
il devait rendre les laudes, hommage à Dieu de tous les siècles,
il quitta son lit, et se disposa à aller à l’église:
en regardant, il aperçut deux personnes couchées dans l’angle
vis-à-vis de lui, et commettant [p.389]
une œuvre coupable. Plaignant leur fragilité,
il ôta de son cou un vêtement de fourrure très-précieux,
et d’un cœur compatissant le jeta sur les pécheurs; ayant fait
cela, il entra dans l’église des saints pour y prier le Dieu tout-puissant
et l’implorer pour ces mêmes pécheurs, afin qu’ils ne périssent
pas. Après avoir prolongé son oraison, et espérant
que ces personnes, mortes à la grâce, se seraient retirées
du péché, et ne vivraient plus que pour la pénitence,
il appela un de ses gardes du corps, lui ordonna avec de douces paroles
d’aller lui chercher un vêtement semblable, et lui défendit
avec d’impérieuses menaces de le faire connaître à
sa glorieuse épouse, ou à quelque autre. Oh! quel homme parfait,
qui couvre de son manteau les pécheurs! A combien de saints prêtres,
de pieux abbés, de religieux moines, ne peut-il pas, s’ils le désirent,
donner l’exemple de la justice et la droite règle de la vertu?
Ainsi le père et le chef des moines ordonne que les péchés
soient confessés, mais que celui qui sait soigner ses plaies et
celles des autres ne les publie ni ne les découvre. Heureuse piété
et, miséricorde qui ont fleuri dans ces deux hommes, par la bonté
de Dieu! Notre Robert a possédé ces vertus, comme un droit
héréditaire venu de son père.
Ingon, homme d’une grande bonté
et candeur, abbé du monastère de Saint-Germain, bâti
à Paris, envoya à ce serviteur de Dieu, pour son utilité
et celle de ses frères d’Orléans, deux frères de
bon renom. Lorsqu’il les eut vus, il les honora , selon la coutume, du
baiser de paix, et les interrogea avec douceur sur la cause de leur voyage.
Ils étaient nommés, l’un [p.390]
Herbert, l’autre Geoffroi et n’étaient
pas les derniers des moines; il leur ordonna, selon son pieux usage, de
se rendre en sa présence après les hymnes de matines, et
qu’alors il les entendrait sur leur affaire. Ils obéirent à
ses ordres, et il arriva que dans l’église où ils étaient
assis, le cierge s’éteignit à leurs yeux. Alors le roi prend
en main le cierge, fait sortir de son lit le saint homme Theudon, prêtre,
et son parent, et le lui remettant, lui dit d’aller au plus vite chercher
de la lumière. Cependant ce roi dévot continue ses psaumes
et ses oraisons; et son messager, à son retour, voit ce prince, serviteur
du Seigneur, tenir dans ses mains un cierge allumé. Le roi admirant
cela, et désirant louer Dieu par le chant des hymnes, défendit
de divulguer ce fait, afin de ne pas tomber dans l’orgueil d’un cœur superbe.
Il loua en toutes choses la vertu de Dieu, et dit avec David: «Je
suis un ver et non un homme, l’opprobre des hommes, et l’abjection du peuple.»
Et encore: «Seigneur, je me suis humilié; vivifiez-moi selon
votre parole.»
Nous avons lu dans les livres divins que
«servir Dieu, c’est régner.» Certes, il connu cette
sentence, celui qui dit: «Servez Dieu avec crainte», et il
n’y a aucun doute que notre bienheureux roi accomplit, d’intention et de
fait, ces deux maximes; et de même que Moïse, serviteur du Seigneur,
abattit Amalech par ses humbles prières et ses bras étendus,
ainsi Robert, ce véritable ami de Dieu, vainquit tous ses ennemis
par la vertu du Saint-Esprit, et eut toujours pour aide Dieu qui est le
salut de tous. La douceur qui brillait en lui, lui gagnait les cœurs de tous [p.391] les hommes;
il possédait une science salutaire par laquelle il se réjouissait
avec les siens; il instruisait l’un par des lectures, l’autre par des
hymnes et des louanges de Dieu, et ainsi que l’Apôtre, il se faisait
tout à tous pour les gagner tous. Ce véritable ami de Dieu
faisait avec zèle ce que diffèrent souvent les abbés
et les évêques, savoir le soin de corriger les pécheurs,
et d’exhorter par son exemple les justes à une plus grande perfection.
Une voix de salut et de louange sortait du trésor de son cœur, et
comme l’Apôtre, il crucifiait sa chair avec ses vices et les concupiscences
du monde, et préparait en lui-même un temple agréable
au Seigneur. II était toujours le premier aux divins offices, et
le plus assidu à louer le Seigneur; à quelque endroit qu’il
dût se rendre, on préparait un chariot pour porter une tente
pour les ministres saints, et dès qu’il était fixé
dans un lieu, on y déposait les choses sacrées, afin que, suivant
l’expression du Psalmiste, «la terre et tout ce qu’elle enferme
est au Seigneur; le globe de la terre et tous ses habitans sont à
lui,» il pût partout se montrer serviteur de Dieu et chanter
en tout lieu ses louanges. Ce roi doux, et aimant Dieu, portait gravées
dans son cœur les paroles du bienheureux Antoine: «Désirez
toujours Jésus-Christ, parce que le royaume des cieux est à
préférer à toutes les choses de la terre.» Il
passait sans dormir jusqu’au matin les saintes nuits de Noël, Pâques,
la Pentecôte, et ni couché ni assis, il ne prenait aucun repos
jusqu’à ce qu’il eût reçu le secours salutaire du corps
et du sang de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il attendait et désirait.
Que sa conduite fût telle, C’est ce qui est manifeste et connu [p.392] de tout le monde. A la solennité
de la naissance de saint Jean, il avait l’habitude, après avoir
loué le Seigneur par l’hymne Te Deum laudamus,
de faire, comme au jour de Noël, célébrer la messe qui
est notée dans les livres saints, pour le point du jour. L’autorité
de Grégoire le Grand et de plusieurs autres a établi cette
sainte coutume pour les messes; la doctrine d’Amalaire, tirée des
ouvrages des saints Pères, y est aussi conforme.
|
Robert II le Pieux
gravure d’Ancien Régime
|
Nous ne négligerons
pas de conter ici combien il faisait d’aumônes dans les villes de
son royaume, savoir Paris, Senlis, Orléans, Dijon, Auxerre, Avalon,
Melun, Étampes; dans chacune, on distribuait abondamment du pain
et du vin à trois cents, ou plutôt à mille pauvres,
et surtout l’année de sa mort, qui fut la 1032e de l’Incarnation
du Seigneur (D); sans compter que dans
le carême, en quelque lieu qu’il fût, il faisait donner à
cent ou deux cents pauvres du pain, des poissons et du vin. De plus, le
jour, de la cène du Seigneur, il assemblait avec soin au moins trois
cents pauvres, et lui-même, à la troisième heure du
jour, servait à genoux, de sa sainte main , des légumes, des
poissons, du pain à chacun d’eux, et leur mettait un denier dans
la main. Ce fait admirable pour ceux qui le virent dans un tel office ne
sera pas cru par ceux qui ne l’ont pas vu. A la sixième heure, il
réunissait cent pauvres clercs, leur accordait une ration de pain,
de poissons et de vin, gratifiait d’un denier douze d’entre, eux, et chantait
pendant ce temps, de [p.393] cœur
et de bouche, les psaumes de David; après cela, cet humble roi préparait
la table pour le service de Dieu, déposait ses vêtemens,
couvrait sa chair d’un cilice, et s’adjoignait le collége des clercs,
au nombre de cent soixante, ou plus encore; il lavait, à l’exemple
du Seigneur, les pieds de ces douze pauvres, les essuyait avec ses cheveux,
les faisait manger avec lui; et au mandatum Domini, donnait à
chacun d’eux deux sous. La cérémonie se faisait en présence
d’un clerc et d’un diacre qui lisait le chapitre de l’évangile de
saint Jean, où est rapporté ce qui s’est dit et fait dans
la cène du Seigneur. Ce roi, plein de mérites, s’occupait
à des actions de même genre, et passait dans le lieu saint
tout le jour du vendredi saint; il adorait la croix sainte jusqu’à
la veille de la Résurrection, où il offrait aussitôt
le saint sacrifice de louanges, auquel sa bouche n’a jamais manqué.
C’est ainsi que le roi Robert, couvert de gloire par le mérite
de ses vertus, et par la manifestation de ses bonnes œuvres, se montra au
monde comme un objet à admirer, et laissa un modèle à
imiter aux siècles à venir.
|
(
D) C’est en 1031. Helgaud fait commencer
1’année au jour de l’Annonciation, le 25 mars; de la proviennent
les différences de sa chronologie.
Denier de Robert le représentant
|
Ce roi, après
Dieu, la gloire des rois, aima toujours d’un cœur dévoué
les saints apôtres, dont il prévenait les fêtes par un
jeûne auquel il s’était engagé, et pour suivre leurs
exemples, et en l’honneur de leur sacré nombre, il menait avec lui
partout douze pauvres, qu’il aimait particulièrement, il leur était
un vrai repos après leurs travaux, car achetant pour ces saints
pauvres de forts ânons, il les faisait marcher devant lui partout
où il allait, louant Dieu, pleins de joie, et le bénissant;
pour les secourir, eux et un [p.394] nombre
infini d’autres pauvres, il ne manquait jamais de volonté, et était
toujours bien disposé. Il avait toujours une provision de pauvres
pour que, lorsqu’un mourait, le nombre ne diminuât pas. Les vivans
succédaient aux morts, et l’oblation de ce grand roi à Dieu
continuait. Son étude fut toujours de faire la volonté du
Seigneur, auquel il fut toujours uni, en pratiquant le souverain bien, vraie
bonté qu’un illustre versificateur (E)
s’est plu à décrire dans ces vers:
«Le grand soin de l’homme bon est
de soulager ses frères dans leurs travaux, de prêter à
ceux qui sont tristes le secours qu’ils demandent, de nourrir ceux qui
ont faim, de vêtir ceux qui sont nus, de délivrer ceux qui
sont captifs, et de se concilier ceux qui sont irrités; d’accorder
autant qu’il est possible, d’un cœur compatissant, aux hommes malheureux
toutes les consolations qu’ils recherchent, de telle sorte que, désirant
vraiment le bien, et vraiment bon, il fuie tout ce qui est mal, et pratique
tout ce qui est bon.»
|
(E) Probablement
l’historien Aimoin, moine de Fleury.
|
De plus,
le roi Robert construisit de nouveau, dans la ville d’Orléans,
un monastère à saint Aignan, son avocat spécial auprès
de Dieu. On n’a pas besoin de dire qu’il conserva toujours pour lui le
pieux amour d’une tendre dévotion, car il le voulut toujours, après
Dieu, pour son protecteur spécial, pour secours et défenseur,
en quelque lieu qu’il portât ses pas. Un jour en effet, interpellé
par un de ses meilleurs amis pourquoi il exaltait par ses louanges ce
grand évêque plutôt que les autres saints, il répondit
avec humilité: «Tu demandes ce qu’est Aignan? Aignan est
la sûre [p.395] consolation
de ceux qui sont tristes, la force de ceux qui travaillent, la protection
des rois, la défense des princes, la joie des évêques,
et le doux et ineffable secours des clercs, moines, orphelins et veuves.»
Alors plaisantant, il dit aux enfans qui l’entouraient: «Et vous,
enfans, n’avez-vous pas vraiment éprouvé qu’Aignan, de qui
nous parlons, vous a souvent délivrés de la peine des verges?»
|
|
Ce roi, la
fleur embaumée de son pays, et l’honneur de la sainte Église,
dévoré de zèle pour la gloire d’un si grand évêque,
voulut par un saint désir placer son corps en lieu plus honorable;
il commença à bâtir sur le lieu une église;
et par l’aide de Dieu et le secours du saint, il la conduisit à
sa fin. Elle eut quarante toises dans sa longueur, douze en largeur, dix
en hauteur, et cent vingt-trois fenêtres; il fit dans ce même
monastère dix-neuf autels en l’honneur des saints que nous allons
nommer ici avec soin. Le principal était dédié à
l’apôtre saint Pierre, auquel le roi associa Paul, son co-apôtre.
Auparavant Saint Pierre seul était vénéré dans
ce lieu. Un de ces autels était à la tête de saint Aignan,
l’autre à ses pieds, un autre était consacré à
saint Benoît; les autres sont dédiés à saint Évurce,
saint Laurent, saint George, tous les saints, saint Martin, saint Maurice,
saint Étienne, saint Antonin, saint Vincent, sa Marie, saint Jean,
saint Sauveur, saint Mamert, saint Nicolas et saint Michel. Le roi fit la
façade de cette maison d’une admirable manière, et semblable
au couvent de Sainte Marie, mère de Dieu, et de Saint Vital et Saint-Agricole,
bâti à Clermont; il fit faire la
[p.396] chasse de saint Aignan en or, en argent,
et en pierres précieuses par devant; il fit couvrir entièrement
d’or la table de l’autel de saint Pierre, à qui ce lieu est consacré;
sur cet or, la noble reine Constance, sa glorieuse épouse, après
la mort de son mari, donna au Dieu très-saint, et à saint
Aignan, la somme de sept livres, pour réparer les toits qu’elle avait
fait bâtir dans le monastère, et qui étant ouverts depuis
le bas jusqu’en haut, laissaient voir le ciel plus que la terre. Il en resta
quinze livres d’or éprouvé; la reine les distribua à
ceux à qui elle devait les donner, car elle était occupée
des églises de Dieu, selon la sage volonté de son seigneur. |
Plan de l’église Saint-Aignan
rebâtie par Robert
|
Tout cela
fait, le glorieux roi Robert, avide de la bénédiction céleste,
en l’année trente-six de son ordination, bénédiction
et élévation au trône, convoqua par un ordre exprès
les archevêque Gosselin de Bourges, abbé de Fleury, Leuteric
de Sens et Arnoul de Tours. Ils étaient suivis des évoques,
Odolric d’Orléans, Thierri de Chartres, Bernier de Meaux, Guarin
de Beauvais, et Rodolphe de Senlis. On ne fut point privé de la
présence du vénérable maître Odilon, abbé
de Cluny, et d’autres hommes vertueux de non moindre mérite, avec
lesquels le roi désirait avoir une entrevue; le précieux corps
du serviteur de Dieu, saint Aignan fut levé du sépulcre par
eux et d’autres ministres de Dieu, ainsi que ceux des saints confesseurs
Euspice, Moniteur et Floscule; des martyrs Baudel et Scubile, et d’Agie,
mère du confesseur saint Loup. Le glorieux roi et ceux que nous
avons déjà nommés, et qui étaient venus pour
cette œuvre, demeurèrent près de ces saints corps, [p.397] louant Dieu
et chantant des hymnes et des cantiques dans l’église de Saint-Martin,
tandis qu’on préparait les choses nécessaires à la
sainte cérémonie. Tout étant prêt, le lieu fut
consacré et béni solennellement par les prêtres sacrés,
l’année de l’incarnation du Seigneur 1029; le saint corps fut mis
sur les épaules de ce grand roi et du peuple, aussi joyeux les uns
que les autres, et on le transporta en chantant dans le nouveau temple qu’avait
fait bâtir le grand Robert. Tous louèrent Dieu et saint Aignan
avec des timbales, des chœurs de musique, des instrumens à vent et
d’autres à cordes, et ils placèrent les reliques dans le lieu
saint, à l’honneur, la gloire et la louange de notre Seigneur Jésus-Christ
et de son serviteur Aignan, honoré d’une gloire spéciale.
Lorsque la bénédiction
solennelle fut achevée, ainsi que toutes les cérémonies
usitées pour la dédicace d’une église, Robert, qui
a vraiment mérité le nom de père de la patrie, alla
avec respect devant l’autel de saint Pierre et de son patron chéri,
Aignan, se dépouilla d’un vêtement de pourpre, vulgairement
appelé roquet, fléchit les deux genoux, et offrit
à Dieu de tout son cœur une prière suppliante, en disant:
«Je te remercie, Dieu bon, de ce que par les mérites de saint
Aignan, tu as conduit en ce jour ma volonté à sa fin, de
ce que tu as réjoui mon ame par le triomphe des corps des saints
qui s’effectue aujourd’hui; accorde Seigneur, par l’intercession de tes
saints, aux vivans le pardon de leurs péchés, et à
tous les morts le repos éternel et la vie bienheureuse; regarde
avec bonté notre siècle; gouverne, règle le royaume
que tu nous a donné par [p.398] ta
générosité, ta miséricorde et ta bonté;
et garde-le à la louange et à la gloire de ton nom, par
les admirables mérites de saint Aignan, père de la patrie,
miraculeusement délivrée de ses ennemis.» Ayant fini
sa prière, il revint plein de joie en son logis, et combla en ce
jour ce lieu de ses dons, savoir, quatre manteaux très-précieux,
une cruche d’argent, et sa chapelle, qu’il légua au Dieu tout-puissant
et au saint confesseur Aignan. La chapelle de ce très-pieux, très-prudent
et très-puissant roi Robert était ainsi composée:
dix-huit bonnes chappes très-belles et bien travaillées;
des livres d’évangiles, deux en or, deux en argent; deux autres
petits; un missel d’outre mer, bieu fait, en ivoire et en argent; douze
tablettes en or; un autel admirablement orné en or et argent, où
était au milieu une pierre très-rare nommée onyx;
trois croix d’or, dont la plus grande contenait sept livres d’or pur;
cinq cloches, dont une superbe, et qui pesait deux mille six cents livres.
Robert ordonna de lui imprimer le signe du baptême avec l’huile
et le saint chrème, et le Saint-Esprit lui assigna le nom de Robert.
Le roi dédia aussi à saint Aignan deux églises, une
à Gentilly, et l’autre à Rouen, avec les maisons et toutes
les terres qui en dépendent. Il confirma ce don par un édit
royal; il obtint du vénérable Thierri, évêque
d’Orléans, pour les autels de ces églises, la concession
des privilèges épiscopaux, et l’évêque les offrit
à saint Aignan et au roi immortel, qu’il aima toujours d’un cœur
d’un dévoué, et dont il chanta les louanges.
|
Jean Fouquet: Robert le Pieux à l’office
(Grandes Chroniques, XVe siècle)
|
Le roi rendit
illustre à jamais le château de Crépy, bâti superbement
sur le territoire de Soissons, par le [p.399]
puissant Gautier (F)
et combla d’honneurs l’abbaye qu’il y avait instituée en l’honneur
de saint Arnoul. Il y établit pour abbé en notre siècle
un certain Lescelin, homme de bonne réputation, moine par la profession
de la vie régulière, et qui tous les ans venait visiter Robert,
l’homme de Dieu; il en était reçu comme un serviteur du Seigneur,
ils conféraient ensemble des choses du ciel; et lorsque l’abbé
était près de s’en retourner, le roi le comblait de dons honorables
qui, par la vertu d’une charité parfaite, se rapportaient à
ceux du ciel. Un certain jour de carême, Lescelin vint, selon sa coutume,
trouver le roi, alors à Poissy; et ayant accompli l’objet de son
voyage, ils prirent la nourriture spirituelle et corporelle: ces deux hommes
étaient lié ensemble par leurs anciennes vertus. Le bon
abbé proposa au roi l’indulgence de Dieu, et l’engagea à
soulager son humble corps, et à lui donner quelque nourriture, afin
de pouvoir ensuite par ses prières frapper à la porte des
cieux, et être fut concitoyen des saints. Le pieux roi le refusa,
et, se prosternant par terre, le supplia de l’y point contraindre, car,
disait-il, s’il obéissait, il n’offrirait donc point à Dieu
le sacrifice du jeûne. L’abbé alors, garda le silence, réfléchit
à quelle perfection Robert était arrivé pour l’exacte
observance du jeûne, et offrit pour lui plusieurs messes basses,
afin que Dieu lui accordât de persévérer dans cette
vertu.
|
(F) Gautier
le Blanc, comte d’Amiens.
|
Le roi, content
de ces dons du saint homme homme, rendit grâces à Dieu, et
célébra sans interruption le saint jeûne jusqu’à
la Passion et la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ.
Ce roi, qui recherchait tous [p.400] les
bienfaits de la religion pour l’expiation de ses fautes, avait l’usage,
depuis la Septuagésisme [sic] jusqu’à
Pâques, de ne se point servir de matelas, et toujours tendant
au ciel, de coucher fréquemment sur la terre; enfin que la courte
oraison que voici serve pour toutes ses fautes: «Que Dieu passe
l’éponge sur ses premiers péchés, qu’il les livre
à un oubli perpétuel, qu’enfin Jésus-Christ qui vit
et règne dans les siècles des siècles, lui accorde
une part dans la première résurrection!»
Qu’y a-t-il de plus doux pour mon cœur,
que puis-je faire de mieux que de louer mon maître, mon protecteur,
en toutes ses actions? Je reprends la suite de mon récit, et comme
j’avais coutume dans ces jours que nous passions ensemble, je retrace
son aimable et chère bonté pour moi; je me plais à
me la rappeler et à songer combien elle m’a été utile;
et en la repassant dans ma mémoire, je ne connais, je n’éprouve
aucuns sentiments [sic] qui
ne soient ceux d’un fils pour un père, d’un ami pour son ami, d’un
bien aimé pour son bien-aimé. Je rougis cependant lorsque
je conte les œuvres admirables d’un tel homme, et que je pense que nous
avons vu fleurir en lui les vertus qui sont couronnées au plus
haut des cieux, et assurent le salut du corps et de l’ame. S’il voyait quelqu’un
se lasser dans le Service de Dieu, il l’exhortait de paroles, le soulageait
par un don secret, qui était toujours peu de chose lorsqu’il le
promettait, et très-considérable quand il le donnait. Je
reçus l’ordre paternel de mon respectable abbé Gosselin, de
bâtir une église dans un lieu du monastère de Fleury.
Je commençai à exécuter son commandement, et à [p.401] la construire: elle était
petite, mais agréable; les peuples y accouraient en foule, et elle
devait à leur piété de se voir en état d’être
consacrée par les saintes bénédictions. Quoiqu’elle
fût en bois, et pas encore achevée, le roi, cet homme de
pieux désirs, plein d’envie de la voir de ses saints regards, quitta
son château de Vitry. Par l’ordre du vénérable et
aimable pontife Odolric, Gosselin, archevêque de Bourges, a béni
cette église; il lui donna généreusement la terre
environnante qui était très-fertile. Lorsque le roi y entra,
il pria et posa un manteau du prix de quatre livres sur l’autel consacré
à saint Denis, saint Rustique et saint Éleuthère;
et ce fut sans doute en ce moment que, portant partout ses pieux regards,
il lui vint dans l’idée, lorsque je me rendrais à Paris après
lui, d’orner magnifiquement ce lieu par des reliques de saint Denis, saint
Rustique et saint Éleuthère, et de l’enrichir de leur intercession.
Les dons qui nous assurent leur protection sont des fragmens de la chasuble
de saint Denis, de la dalmatique de saint Rustique, de la chasuble de saint
Eleuthère, des vêtemens arrosés de leur sang, de la
poussière de leur chair, et un morceau de la triple corde dont fut
lié saint Denis, précieux martyr du Seigneur. Ce roi, qui
aimait Dieu, combla de bienfaits ce lieu, en lui donnant ces précieux
gages et d’autres encore Ces mêmes saintes reliques des saints déjà
nommés furent reçues dans le monastère de Fleury par
le vénérable abbé Gosselin, comme des choses qui devaient
être données et reçues par un homme considérable.
Cela se passa le jour des calendes d’octobre, où tombe toujours la
fête des saints [p.402] Germain,
Remi, et la solennité des confesseurs de Saint-Waast. Cette même
église a été depuis détruite par le feu, sans
doute à cause des péchés des hommes; la première
fois elle était de bois, et la seconde, par l’aide du Dieu tout-puissant,
par les mérites de Marie, sainte mère de Dieu, de saint Benoît
et de tous les saints, elle fut rebâtie en pierres par moi, misérable
pécheur; et le glorieux Odolric, évêque, plein de bonté,
voulut, avec le secours de Dieu et de ses saints, la dédier et consacrer
de même qu’auparavant; il se conduisit comme il convenait à
un tel homme. Tant que vécut ce pontife, il m’honora de son affection,
et, par la bonté du Seigneur, jamais je ne le trouvai contraire à
mes désirs, mais il voulut toujours ce qui était bon et utile;
aussi nous prions le Dieu souverain, et notre Seigneur Jésus-Christ,
d’accorder à ce prêtre, digne de l’épiscopat, l’héritage
des saints, qu’il a toujours travaillé à acquérir;
que Jésus-Christ, qui est rédempteur, sauveur et doux libérateur
des ames saintes, lave ses péchés, le place dans les cieux
et le joigne aux célestes citoyens! Ceux qui entreront dans l’église,
auront les yeux frappés des vers ici écrits, qui retracent
la mémoire de saint Denis et du fondateur de ce temple, ils verront
les autels consacrés à ce saint divisés en deux parties.
Les vers placés à la gauche de l’autel de saint Denis sont
ainsi:
«Vous qui passez ces portes, que
saint Denis vous unisse au Seigneur par ses saints secours. Qui que vous
soyez et quoique [sic] vous
désiriez, suppliez le Seigneur tout-puissant de vouloir bien, par
sa bonté, [p.403] protéger
Helgaud; Helgaud dont la piété a bâti à notre
Seigneur Jésus-Christ et à saint Denis, ce vénérable
temple.»
Les vers à la droite étaient:
«C’est ici la maison consacrée
pour toujours au Dieu suprême, par la volonté et les soins
du bon Helgaud. D’ici l’on frappe à la porte du royaume des cieux;
ici un, peuple pieux se réjouit dans le Seigneur. Vous tous fidèles
qui y entrez, demandez ensemble que le Seigneur Jésus-Christ
nous conserve pour l’éternité. Qu’il en soit ainsi, ainsi
soit-il , ainsi soit-il, ainsi soit-il!»
Pendant le temps dont, avec l’aide de
Dieu, j’ai raconté les événemens, le célèbre
monastère de Fleur y posséda comme abbé le fameux
Gosselin, digne de cette charge, uni à Dieu par de saintes actions,
et savant dans les sciences divines et humaines; les fleurs de l’Écriture
sainte étaient présentes au cœur de son bon maître
Abbon, dont nous avons déjà parlé, et qui l’en imbut
de sorte qu’il les expliquait à tous, afin qu’ils pussent se nourrir
des célestes vérités. Il était si magnifiques
en aumônes, qu’un jour, par un froid très-rigoureux, il dépouilla
ses habits de fourrure, en vêtit les pauvres de Jésus-Christ,
afin d’en recevoir la récompense du céleste rémunérateur,
et de l’entendre dire: «J’étais nu et vous m’avez habillé.
Ce que vous avez fait au moindre de vos frères, c’est à
moi que vous l’avez fait; devenez les bénis de mon Père,
entrez en possession du royaume qui [p.404]
vous est préparé depuis le commencement
du monde.» Le roi parfait distingua bientôt Gosselin de
ses regards, l’aima par dessus tous les autres, s’attacha particulièrement
à ses conseils, et les choses qu’il approuvait étaient
toujours justes et sans reproche; il voulut l’honorer des honneurs séculiers,
lui donna les illustres dignités d’abbé de Saint-Benoît,
ce qui est le chef-lieu de tout l’Ordre, et d’évêque de
Bourges, sous le titre de saint Étienne, premier martyr, qui donne
la primatie de toute l’Aquitaine, et est un des plus grands et plus honorables
de France. Que ses pieuses aumônes, sa charité, et toutes
les vertus qui fleurirent en lui, plongent dans un oubli perpétuel
les fautes qu’il a pu commettre, et qu’il reçoive la récompense
des bonnes œuvres qu’il a faites par l’inspiration de l’Être suprême!
|
Tentation de Saint Benoît (Fleury, XIe siècle)
|
Le roi étant
dans l’illustre ville de Paris, dans les jours de la Septuagésime,
l’humble abbé lui envoya, suivant l’usage, des messagers pour les
affaires des saints lieux. De ceux qui furent choisis pour cet effet, l’un
s’appelait Albéric, honoré de la dignité de prêtre,
homme d’une immense charité; la bonté de Dieu et l’ordre
du saint abbé Gosselin avaient adjoint un frère nommé
Helgaud, que le pieux roi aimait d’une affection paternelle; ils avaient
encore avec eux le nommé Isambert, que sa conversion avait rendu
digne d’être moine, et qui leur rendait des services de frère.
On devait passer à Poissy les jours du carême, et nous étions
pressés par la longueur du chemin, pour nous rendre aux ordres
exprès du roi, qui nous devait rendre raison sur les motifs de notre
voyage, lorsque nous fûmes arrêtés au port [p.405] de la Seine,
dit Caroli-Venna (G), (c’est-à-dire
la pêcherie). Nous trouvâmes la rivière très-difficile
à passer. Nous entrâmes, par le saint ordre du roi, seuls
dans une petite barque; tandis qu’il regardait ce qui adviendrait de nous,
et désirait fort nous voir arrivés saints et saufs, le Dieu
qui est loué, adoré et béni en tous lieux, fut favorable
en cette occasion à nous pécheurs, par l’intercession de
ce pieux roi. Nous naviguions et tenions nos chevaux attachés au
bâtiment, lorsqu’un coursier indompté, et qui n’avait jamais
été dans une telle position, posa ses deux pieds de derrière
dans le bateau qui était au milieu des flots, et nous courûmes
les plus grands dangers par sa fureur, car il entraînait la barque
dans les ondes. Le dévot prince aussitôt implore à grands
cris avec les siens le secours de Dieu et des puissances célestes;
il prie avec larmes pour nos périls, crie à haute voix de
détacher les rênes de nos chevaux, et de les repousser loin
du navire. On obéit à cet ordre aimable: les rênes
furent déliées, on retira du bateau le jambes du cheval, et
nous commençâmes à aborder au rivage. Là, Robert
invoquait à notre secours saint [p.406]
Denis, saint Benoît, et tous les saints
du Seigneur, il versait des larmes, et offrait des prières qui furent
entendues du Dieu béni qui règne dans tous les siècles.
Il arriva ainsi, qu’il l’avait voulu, et par la grâce divine; il
nous reçut sans dommage sur la rive, et avec lui, nous louâmes
le Dieu admirable, et pour ce fait, nous chantâmes toujours les
louanges du Tout-Puissant. Nous demeurâmes trois jours avec ce
serviteur, de Dieu; nous fûmes comblés de joie par ses doux
entretiens, par son aimable présence, et nous supplions celui qui
a acheté par son sang précieux son ame sainte de la placer
dans son royaume.
|
(G) Chalevane ou Chalvaine
est situé, selon Valois, sur la Seine, entre le Pecq et Rueil.
«Ce lieu, dit M. de Sainte-Palaye, ne se trouve ni sur les cartes
ni dans les géographies modernes, et ne subsiste plus apparemment.
Il est placé, sous le nom de Chalevane, près de la rive gauche
de la Seine, entre la Malmaison et la Chaussée, à égale
distance de Lucienne et de Bougival, dans deux cartes anciennes de l’Ile-de-France;
l’une de 1598, par Fr. de la Guillotière; l’autre sans date, mais
à peu près du même temps, par Damien Temploux. L’abbaye
de Saint-Denis eut, en 1273, la haute et basse justice de Chalevane.»
(Mémoires de l’Académie des Inscriptions, tom. X,
pag. 555, not. b.)
Carte de François de la Guillotière, 1598
|
II faut poser
le pied dans un lieu plus auguste que celui où nous avons été
jusqu’à présent, et nous hâter de décrire la
mort glorieuse de ce roi, que nous avons osé, par des louanges vraies
et non fausses, franches et non feintes, recommander à notre Seigneur
Jésus-Christ, par la vertu de l’Esprit afin que, marqué
du signe de la Trinité, il mérite d’éviter le jour
de dernière vengeance. Mais comme il nous reste à décrire
certaines œuvres admirables de lui, que l’on doit à son humilité,
et qui peuvent être utiles à beaucoup de gens et les conduire
au salut, il convient que nous les contions, et que sa sainte mort, qui,
par un don de Dieu, a paru si louable et si glorieuse, ne nous inspire pas
l’oisiveté. Cet excellent roi, qui voulait mourir au siècle,
et ne vivre que pour Jésus-Christ, désirant voir un jour
celui à qui tout appartient, et auquel nous attribuons tout ce que
nous avons écrit, voulut avoir pour compagnon sur la terre celui
que le ciel ne peut contenir. Il se mit donc en route un jour de carême,
pour aller visiter les [p.407] saints
qui lui étaient unis dans le service de Dieu; il les pria, les honora,
et frappa leurs oreilles par ses humbles et salutaires prières;
il employa à cela la force de son corps et de son esprit, afin de
vaincre, par l’aide de Dieu. Il arriva à Bourges, visita le saint
martyr Étienne, ainsi que saint Maïeul, grand par sa vertu;
l’illustre et grand Julien, la très-pieuse Vierge des vierges, Marie;
saint Gilles, grand confesseur; le fameux Saturnin, le courageux Vincent,
Antonin, digne du martyre; saint Gérald, brave soldat du Seigneur;
et revint sain et sauf au glorieux Étienne, auprès duquel
il passa joyeusement le dimanche des Rameaux. De là il se rendit
à Orléans, pour y recevoir, le jour de Pâques, l’auteur
de notre salut. Dans tout ce chemin il fit beaucoup d’offrandes aux saints,
et jamais sa main ne fut vide pour le pauvre. Cette terre est habitée
par beaucoup de malades, et notamment de lépreux; mais cet homme
de Dieu n’avait pas horreur d’eux, car il avait lu dans les saintes Écritures
que souvent notre Seigneur Jésus avait reçu l’hospitalité
sous la figure d’un lépreux. Il allait à eux, s’en approchait
avec empressement, leur donnait l’argent de sa propre main, leur baisait
les mains avec sa bouche, et se rappelait les paroles du Seigneur, qui
dit: «Ressouviens-toi que tu retourneras en poussière, parce
que tu n’es que poussière.» Il le louait en toutes choses,
traitait les autres avec bonté, pour l’amour du Dieu tout-puissant,
qui opère partout de grandes choses. Au reste, la divine vertu conféra
à ce saint homme une telle grâce pour la guérison des
corps qu’en touchant aux malades le lieu de leurs plaies avec sa pieuse
main, et y imprimant le signe de la [p.408]
croix, il leur enlevait toute douleur de maladie.
Ce serviteur de Dieu, plein d’une charité parfaite, méditait
les glorieuses actions du moine martyr qui couvrit un lépreux de
ses propres vêtemens, le souleva sur ses épaules, et s’apprêtait
à lui rendre les offices les plus serviles, lorsqu’il le vit monter
au ciel, et que le Christ, qu’il avait accueilli sous cette forme, lui dit
en s’élevant: «Martyr, puisque tu n’as pas rougi de moi sur
la terre, je ne rougirai pas de toi dans les cieux.» Que Robert, dont
nous avons déjà parlé, par la grâce de Dieu, et
à l’aide des bonnes œuvres par lesquelles il se hâtait de s’unir
à Jésus-Christ, ait part au ciel avec ce saint martyr!
Ce roi, oint par l’huile spirituelle et
temporelle et le don de la sainte bénédiction, voulant
accomplir sa puissante volonté, et aspirant à conquérir
la palme de la béatitude céleste, commença à
concevoir de nouvelles pensées et les conduisit ensuite à
leur effet pour. l’édification des églises du Dieu saint dont
la grandeur et la bonté doivent être exaltées par
la louange, et dont il aima toujours à parler et à publier
les bienfaits. Cette sainte disposition parut dans les faits que nous allons
rapporter, et l’on verra que ses soins furent toujours chastes, saints,
purs, et tels que sont ceux de notre sainte mère l’Église;
aussi jamais le Seigneur ne l’oublia.
|
Médaille de Jean Dassier, vers 1720
|
Il bâtit
dans la même ville d’Orléans un monastère à
saint Aignan, comme nous l’avons déjà dit; un autre en l’honneur
de sainte Marie, mère de notre Seigneur Jésus-Christ et
du grand confesseur saint Hilaire; un à la sainte Mère de
Dieu; il fit un monastère de Saint-Vincent, martyr de Jésus-Christ;
un de Saint-Paul, [p.409] apôtre;
celui de Saint-Médard à Vitry; celui de Saint-Léger
dans la forêt Yveline; celui de Sainte-Marie, avec une autre église,
à Melun; celui de Saint-Pierre et Saint-Régule dans la ville
de Senlis; celui de Sainte-Marie à Étampes,
dans le palais de la même ville*;
une église dans la ville de Paris, en l’honneur de saint Nicolas,
évêque à Auxerre; une à saint Germain; une église
à saint Michel dans la forêt de Bièvres; un monastère
à saint Germain de Paris; et une église à saint Vincent
dans la forêt dite Lédia; une église en l’honneur
de saint Aignan à Gomède; une autre au même saint,
et un monastère à la sainte Vierge à Poisay, et un
à saint Cassien à Autun. A cause de toutes ces bonnes œuvres
et de beaucoup d’autres qu’il a faites par la vertu du Seigneur, nous prions
le Seigneur, tous et chacun, et nous disons:
«Dieu, qui as fait fleurir entre tous
les rois ton serviteur Robert par la dignité royale, accorde, nous
t’en supplions par l’intercession de la glorieuse Mère de Dieu
et de tous les saints, puisque sur la terre il a mené une vie semblable
à eux, qu’il ait un jour part avec eux aux jouissances éternelles
du ciel, par notre Seigneur Jésus-Christ!»
|
*Au moins
dans ce passage la traduction de Guizot est très lâche, ou
bien le texte sur lequel il s’appuie est-il corrompu: Voici ce que devrait
être selon nous sa traduction: le monastère
de Sainte-Marie dans la forteresse d’Étampes; en outre, dans la
même forteresse, une église dans le palais. (monasterium
sanctę Marię in Stampensi castro; item in ipso castro, ęcclesiam unam in
palatio). Voici la traduction qu’en ont donnée Robert-Henri Bautier
et Gilette Labory en 1965: le monastère de sainte
Marie au bourg d’Étampes et aussi, dans le même bourg, une
église dans le palais. |
Quelque
temps avant sa très-sainte mort, qui arriva le 20 juillet, le jour
de la mort des saints apôtres Pierre et Paul, le soleil, semblable
au dernier quartier de la lune, voila ses rayons à tout le monde,
et parut à la sixième heure du jour, pâlissant au
dessus de la tête des hommes, dont la vue fut obscurcie de telle
sorte, qu’ils demeurèrent sans se reconnaître jusqu’à
ce que le moment d’y voir fut revenu. On vit bientôt ce que nous
présageait cette éclipse, puisqu’il ne nous arrive [p.410] rien d’aussi
malheureux que la douleur intolérable que nous laisse la mort. Depuis
le jour de Saint-Pierre jusqu’à celui de sa mort, il se passa vingt
et un jours, pendant lesquels il chantait les cantiques de David, et méditait
jour et nuit la loi du Seigneur, afin que l’on pût véritablement
lui attribuer ce qu’on disait au sujet du patriarche saint Benoît:
«Assidu à réciter des psaumes, il ne donnait aucun repos
à sa langue, et il mourut chantant les saints cantiques.» Ce
bienheureux soldat du Seigneur connaissait combien est douce la paix de
ses serviteurs, combien est tranquille leur repos, lorsque, sortis des tourbillons
du monde, ils entrent dans le port éternel, siége de la sécurité,
et qu’après avoir vu la mort, ils parviennent à l’éternité.
Ses vertus, déjà décrites, le rendaient plein d’impatience
de quitter la tristesse de cette vie pour les jouissances éternelles;
il se disait plein d’une joie parfaite, et impatient de contempler Jésus-Christ,
vrai Dieu. Prêt à sortir de ce monde, il invoquait le Seigneur
Jésus maître de son salut et de Son bonheur; et afin de voir
la souveraine puissance de Dieu, il priait sans cesse, par les paroles
et les signes de croix, les anges, les archanges, de venir à son
secours, et se munissait sur le front, les yeux, les narines, les lèvres,
le gosier et les oreilles, par le signe de croix; il rappelait ainsi I’incarnation,
la nativité, la passion, la résurrection et l’ascension de
notre Seigneur Jésus-Christ, et la grâce du Saint-Esprit. Il
avait eu cette coutume pendant sa vie, et, autant qu’il le pouvait, se
servait d’eau bénite. Armé de ces saintes vertus, âgé,
à ce que nous croyons, de soixante ans, il attendait la mort avec
intrépidité, et [p.411] affaibli
par une forte fièvre, il demanda le saint et salutaire viatique du
corps vivifiant de notre Seigneur Jésus. Peu de temps après
l’avoir reçu, il alla au Roi des rois et Seigneur des seigneurs, et,
heureux, entra dans les célestes royaumes. Il mourut, comme nous l’avons
dit, le vingtième jour de juillet, au commencement du mardi, au château
de Melun, et il fut porté à Paris, et enseveli à Saint-Denis,
près de son père. Il y eut là un grand deuil, une douleur
intolérable, car la foule des moines gémissait sur la perte
d’un tel père, et une multitude innombrable de clercs se plaignait
de leur misère, que soulageait avec tant de piété ce
saint homme. Un nombre infini de veuves et d’orphelins regrettait tant de
bienfaits reçus de lui; tous poussaient de grands cris jusqu’au ciel,
disant d’une commune voix: «Grand Roi, Dieu bon, pourquoi nous tues-tu,
en nous ôtant ce bon père et l’unissant à toi?»
Ils se frappaient avec les poings la poitrine, allaient et venaient au
saint tombeau, répétaient les paroles marquées plus
haut, et se joignaient aux prières des saints, afin que Dieu eût
pitié de lui dans le siècle éternel. Dieu! quelle douleur
causa cette mort! tous criaient avec des cris redoublés: «Tant
que Robert a régné et commandé, nous avons vécu
tranquilles, nous n’avons rien craint; que l’ame de ce père pieux,
ce père du sénat, ce père de tout bien, soit heureuse
et sauvée! qu’elle monte et habite pour toujours avec Jésus-Christ,
Roi des rois!» Certes le partage de cet admirable roi dans la céleste
patrie sera Dieu lui-même. Mais il y a encore des choses à raconter.
|
Camée, vers 1630
|
Élevé
au plus haut poste d’un royaume cet humble
[p.412] homme de Dieu rejeta loin de lui ce
qui fait l’orgueil d’un mauvais esprit, l’élévation des hommes,
la gloire du monde; il plaça son trésor dans le ciel; et
c’est pour cela que Dieu lui-même sera son partage dans le royaume
éternel. Son grand trésor qu’il possède auprès
de Dieu, et que lui a procuré le Dieu libérateur du monde,
est un amas de saintes richesses, et le lit éternel du saint repos.
Mais dans tout cela, nous avons un grand sujet de douleur, en voyant qu’un
tel et si grand homme repose sans une pierre ornée d’inscriptions,
sans nom, sans lettres, lui, dont la gloire et la mémoire ont été
en bénédiction à toute la terre. La vertu de ce saint
roi a paru et été utile à tout le siècle,
et l’ordre des ecclésiastiques et des moines, qui fut toujours chéri
par lui, lui demeurera toujours attaché. Le Christ Dieu l’avait
donné à tous pour un bon père; cependant il faut
dire en peu de mots à la fin de cet ouvrage l’immense bonté
de cet admirable roi. Qui lui a parlé, et n’a pas été
plein d’une grande joie? quel est l’ami de la paix qui n’a pas oublié
toute haine en le voyant? qui, en apercevant son visage, n’a pas renoncé
à toute fraude? quel est le moine qui n’a pas obtenu le calme par
ses prières, et n’a pas été aimé, chéri
et respecté par lui? quel clerc n’est devenu zélé
pour la chasteté par ses saintes exhortations? à qui ses aimables
discours n’ont-ils pas servi de remède? quels sont les insensés
à qui sa présence n’a pas été une règle?
qui, en voyant ses humbles regards, n’a pas médité les choses
célestes? quel est le pauvre et l’affamé qui est sorti sans
être rassasié de sa table? quel est le mort qui n’en a pas
reçu le dernier vêtement? quel est l’imbécile [p.413] qu’il pas rendu savant?
les veuves et les pauvres ne pourraient-ils pas montrer les habits qu’il
leur donnait? toute la multitude des malheureux ne l’appelle-t-elle pas
son père et son nourricier? quel est celui qui, tombé dans
le péché, n’a pas reçu de lui le secours de ses saintes
consolations? quel est celui qui, dormant par paresse, n’a pas été
par lui tiré du sommeil? qui, voulant louer le Seigneur, ne l’a
pas eu pour modèle? qui, voulant faire l’aumône, n’a pas
dû le prendre pour exemple, ainsi qu’un autre Jean? Je parle de
Jean, patriarche d’Alexandrie, qui, pour l’immense charité qu’il
eut pour les pauvres et les malheureux, mérita d’être appelé
miséricordieux, et que sa vie fût prêchée en
exemple par toute la terre. Certes, depuis saint David,il n’y a pas eu
parmi les rois de la terre, un roi semblable à lui en vertu, humilité,
piété, miséricorde, et en charité, qui est
la première de toutes les vertus, et sans laquelle personne ne
verra Dieu. Il a toujours été attaché à Dieu,
et avec un cœur parfait, ne s’est jamais éloigné de ses
commandemens. Quant aux guerres du siècle, aux ennemis vaincus,
aux honneurs acquis par le courage et le talent, je les laisse à
conter aux historiographes, qui, s’il y en a, et qu’ils s’occupent de cela,
trouveront sous ce rapport le père et ses fils glorieux dans les
batailles, et brillans à ce titre d’un grand éclat. O Robert!
notre amour de prédilection, reçois de la part des moines,
clercs, veuves, orphelins, et de tous les pauvres de Jésus-Christ,
un adieu éternel, et offre des prières pour ton serviteur
à Jésus-Christ, Dieu miséricordieux, auquel tu as
plu par ta sainte vie, et dont tu as mérité le royaume céleste
par tes saintes vertus! Que le Seigneur Dieu
[p.414] tout-puissant, qui convertit les impies, et ressuscite
les morts, qui orne les cieux de saints rois, et dont le règne et
l’empire demeurent dans tous les siècles des siècles, daigne
exaucer ces prières!
FIN DE
LA VIE DU ROI ROBERT.
|
Siège de Melun en 999 (XIVe siècle)
|
|
|
Jean Fouquet: Robert II le Pieux
à Rome. Siège de Melun en 999
(Grandes Chroniques, XVe siècle, © BNF)
|
Jean Fouquet: Robert le Pieux
et les chanoines d’Orléans
(Grandes Chroniques, XVe siècle, © BNF)
|
|