Corpus Littéraire Étampois
 
George Sand
Lettre à Geoffroy Saint-Hilaire
1837
  
Etienne Geoffroy Saint-Hilaire George Sand
    Georges Sand était une admiratrice d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, comme le montre cette lettre qui date de 1835, époque où faisait rage une célèbre controverse entre l’Étampois et son ennemi intime, le grand Cuvier.

     Dans cette lettre charmante où l’artiste dialogue avec le scientifique, la jardinière de Nohant n’oublie pas non plus de mendier une graine rare au fondateur de la Ménagerie du Jardin des Plantes.
   
Lettre à Geoffroy Saint-Hilaire
 

     Monsieur, 

     J’ai reçu avec orgueil et reconnaissance, la lettre dont vous avez bien voulu m’honorer, et les intéressans écrits qui y étaient joints. J’aurais répondu plustôt si le tems ne m’eut manqué; car je ne voulais pas vous répondre sans avoir lu attentivement ces pages importantes et sans vous dire avec un esprit pénétré, combien elles m’ont ému et frappé. Cependant, Monsieur, après les avoir lues, je ne suis senti plus embarrassé qu’auparavant, car si je m’écriais, conformément à mon inspiration, oui vous avez trouvé la vérité. vous auriez lieu de sourire de ma présomption, et de dire en vous-même que le coche n’a pas besoin de la mouche. Je ne vous dirai donc pas que vous avez vaincu la science et le génie de Cuvier, je dis seulement que j’ai peut-être assez bien compris la discussion pour savoir de quel côté se partent mes sympathies et ma confiance. 

     En cela, je ne crois pas être influencée par les bontés que vous avez eues pour moi, mais quelque chose de plus grand, de plus hardi, de plus sincère, et (permettez-moi de parler de la langue de ma profession) de plus poétique dans vos larges vues, sur ce que nous appelons la création. Pourtant, Monsieur, comme je suis assez sincère et assez hardie moi-même, je me recommande à votre pitié, en vous avouant que je suis spiritualiste, — mais à ma manière et sans trouver que Spinoza me chagrine et votre doctrine encore moins. Je ferais une œuvre risible certainement si j’essayais d’expliquer comment tout cela s’arrange dans ma tête, aussi je ne l’entreprendrai pas. Je suis une pauvre artiste, et une femme qui pis est. Je n’ai donc pas beaucoup de cette logique qui sait admettre et exclure à propos, appuyer les affirmations, par la négation du contraire. Non pas! Les contraires se donnent la main et vivent en bonne intelligence dans ma tête. J’ai vu dans vos recherches sur l’élément psychique peut-être tout autre chose que ce que vous voulez bien accorder aux psichologues, et cela m’aide à accepter bien d’autres choses qui m’épouvanteraient peut-être sans les concessions que vous semblez nous faire. Ce que je puis vous assurer, c’est que l’œuvre de vos sept jours est une pensée large et magnifique, et qu’elle jette à bas la genèse de Cuvier, pour quiconque déteste le mesquin dans les arts. Pardonnez-moi mes façons de parler, vous savez que devant un tableau d’Appelle, un cordonnier ne vit que le soulier, et si, jugea-t-il assez bien le soulier. 

     Si j’en crois ce que je sens, vous êtes dans la voie des prophètes de la vérité. Ne suffit-il pas que vous disiez avec l’honnêteté du génie, Homme tu ne sais rien, il te faut tout apprendre, pour qu’on sente en vous quelqu’un de plus que le savant anatomiste et le patient observateur. Il y a déjà longtems qu’ayant non pas lu, mais entendu résonner vos idées dans le public, je m’étais tellement passionnée pour ce nouveau plan de l’Univers, que j’avais écrit quelques pages, vraiment absurdes, comme peut l’être la traduction d’une langue qu’on ne sait pas. Néanmoins avec l’aide de la réflexion, dans un an ou deux quand j’aurai le tems de penser avant d’écrire, je ne désespère pas de joindre une pauvre petite feuille à votre glorieuse couronne, mais je ne me permettrai pas d’envoyer cette feuille à l’impression, sans vous prier non pas de la rendre digne de vous, ce serait trop entreprendre mais de la mettre au feu, si grâce à mon intelligence biscornue, elle défigure absolument vos idées et vos opinions. 
  
     Sur ce, pardonnez-moi, Monsieur, d’être un disciple si indigne, mais sachez bien que je me prosterne devant les savants comme devant les pères spirituel du genre humain. Eux seuls entraînent et font avancer l’intelligence de notre race dans ses voies lentes et pénibles. Les hommes d’action, marchent à leur suite, sans le savoir et subissant l’influence mystérieuse font les lois humaines dans une sorte de rapport avec les lois divines pénétrées par les savans; rapport éloigné, paresseux et récalcitrant, entravé toujours par les croyances et les erreurs du passé, mais inévitable, et représentant dans l’ordre des idées, le progrès continu de création que vous avez signalé dans l’ordre matériel, celui-là commande l’autre. Est-ce à dire que la matière soit le Dieu, c’est-à-dire le dernier mot? Vous n’en savez rien vous-mêmes, hommes immortels! Mais vous trouvez dans l’examen approfondi des lois de la matière, le doigt de ce maître inconnu dont vous n’écrivez le non qu’avec un point d’interrogation? — Après vous, prêtres de la nature, après les législateurs et les guerriers, prêtres de la fortune, viennent les poètes et les artistes, prêtres de la beauté, dans le sens étendu du mot. Ils donnent plus souvent raison à ce qui leur plait qu’à ce qui est, mais après tout ils sont les vulgarisateurs des grandes idées en langue vulgaire. Ils leur donnent des formes abordables pour le peuple, et s’ils ne faisaient pas la plupart du temps des contre-sens épouvantables (comme il arrive à votre très humble serviteur 15 fois sur 16), Ils seraient des gens fort estimables et fort utiles. 
  
     Prosterné devant vous, l’artiste reconnaissant de votre bienveillance, vous prie de la lui continuer et de la croire votre tout dévoué. 

     Après avoir osé m’élever dans des régions si au dessus de mon effort, je retombe naturellement sur mon terrain en vous suppliant de m’envoyer des graines de fleurs. J’adore la couleur, la forme et le parfum. Est-ce que vous penserez en promenant vos belles rêveries dans les serres Newman à ramasser au hasard quelques valves au tems de la maturité? peut-être que oui; les grandes intelligences sont accessibles aux puériles demandes des enfans et des femmes. Il y a en elles une bonté paternelle qui rassure la faiblesse. Ainsi donc, il y a au bout de l’ancienne serre, en dehors, une plante grimpante sur des fils de fer, plante qu’on m’a dit être chinoise, et dont je ne sais pas le nom, mais qui a des grappes bleues et que les jardiniers m’ont dit être facile à acclimater. Cette belle plante m’a fait tant envie que si j’avais été grosse, mon enfant en aurait eu sur le nez. Si je pouvais en faire grimper à ma fenêtre, jugez quel plaisir j’en aurais en outre à la en tenir de vous. — Le portrait est dans ma chambre encadré avec les honneurs qui lui sont dus. 

     La Châtre, Poste restante. 
Source: Laure Gigou, «George Sand, son fils et les sciences»  (http://perso.wanadoo.fr/laure.gigou/pages/Sand/sand3.htm) (en ligne en février 2002).


 
Laure Gigou 
Lettre de George Sand à Etienne Geoffroy Saint-Hilaire
[extrait de «George Sand, son fils et les sciences» ]
 
2001 (?)
 
          Une lettre découverte récemment par Monsieur Jacques Bertrand, fut écrite par George Sand au professeur Etienne Geoffroy Saint-Hilaire. Elle confirme la préoccupation de cet écrivain pour toutes les choses concernant les sciences de la nature. 

     Cette lettre, datée de 1835, a été découverte par hasard dans une vieille flore achetée chez un brocanteur. Elle révèle que dès cette époque l’écrivain était préoccupée de l’évolution des idées philosophiques et scientifiques sur l’origine des espèces. 

     Pour la petite histoire, le grand Geoffroy Saint-Hilaire avait trouvé cette lettre si remarquable qu’il en avait pris une copie de sa main et qu’il avait confiée à deux polytechniciens, lesquels sans son aveu ni celui de George Sand l’imprimèrent dans un ouvrage intitulé Histoire de la génération de 1’homme par Grimaud de Caux et Martin Saint-Ange (Librairie encyclopédique, 1837). 

     La copie de Geoffroy Saint-Hilaire porte de sa main, la mention Lettre de La Châtre timbrée 30 avril 1837. Il semble donc qu’il y ait une erreur dans la date de la lettre découverte dans la vieille flore, car la réponse du savant, envoyant une glycine chinensis et une aristoloche siphon est du 2 mai 1837. 

     D’après Georges Lubin, auteur des publications des lettres de George Sand et des indications ci-dessus, aimablement transmises par Jacques Bertrand inventeur de la lettre dans la vieille flore, la glycine qui encadre la porte du château de Nohant, sur la façade sud, est Visterla sinensis D.C. qui fut envoyée par le savant. Elle a donc plus de 150 ans et a vu Liszt, Chopin, Flaubert, Gautier, Dumas fils, etc... [...] 
 
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
 
Éditions

     Manuscrits: original découvert par Jacques BERTRAND (selon GIGOU 2001); une copie manuscrite par Geoffroy Saint-Hilaire (s
elon GIGOU 2001).

    
GRIMAUD DE CAUX & Martin SAINT-ANGE, Histoire de la génération de 1’homme, Librairie encyclopédique, 1837, pp. ?-? 

     Georges LUBIN (1904-2000) [éd.], Correspondance de George Sand [25 tomes plus un index], 1964-1991, tome ?, pp. ?-?. 

     Laure GIGOU, «George Sand, son fils et les sciences», page Web,  http://perso.wanadoo.fr/laure.gigou/pages/Sand/sand3.htm, 2001 (?) (en ligne en février 2002). 

     Bernard GINESTE [éd.],
«George Sand: Lettre à Geoffroy Saint-Hilaire (1835)» [reprenant la saisie de Laure GIGOU], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-georgesand1837ageoffroysainthilaire1.html, 2004.
    

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