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comédie-vaudeville en deux actes, par MM. Bayard et A. de Beauplan. |
Voici la critique féroce d’une pièce interprétée par Rose Chéri en 1852. Le critique n’épargne ni les auteurs, ni la comédienne née à Etampes. Rappelons que Rose Chéri, de son vrai nom Rose-Marie Cizos, avait épousé le directeur du théâtre du Gymnase. Elle est ici accusée d’avoir commandité cette pièce ridicule et bâclée dans le seul but de rivaliser avec la célèbre Rachel, dont elle aurait été jalouse. |
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Le bourgeois se figure qu’elle est tout plaisir, la vie du journaliste; pour
lui, le journaliste est un être fantastique qui a de l’or et du plaisir
à gogo. Le journaliste est un monsieur qui se lève à
midi, et qui n’a d’autre occupation que d’aller le soir respirer le doux
parfum des coulisses en société de femmes charmantes. [p.440]
D’abord, plus d’un journaliste ne dort pas autant que l’épicier du coin; et, quant au parfum des coulisses, c’est souvent l’odeur de choux qui s’exhale de la cuisine du concierge. Tout cela n’est rien. Mais figurez-vous un homme honnête, et il y en a parmi ces malheureux gazetiers, quoi qu’on en dise, — figurez-vous un homme honnête forcé d’assister à dix-neuf de ces choses qu’on appelle une pièce de M. Bayard! C’est un garrot moral! Dix-neuf Bayard par an, soit 1 Bayard 7/12 par mois, soit 1/365 par jour! En sorte que, dans la vie d’un journaliste, le Bayard entre toujours pour près de 4/100. Ah! je n’ai jamais si bien compris l’abjection du métier que je fais! Monsieur Bayard! monsieur Bayard! que de fois vous m’avez fait maudire l’Éclair et donner ma plume à tous les diables! Monsieur Bayard! monsieur Bayard! bien sûr, si je meurs à la peine, j’irai la nuit vous tirer les pieds. M. Bayard a incontestablement un certain esprit; ses pièces ne sont pas précisément bêtes, elles sont idiotes! Pourquoi M. de Beauplan, qui fait des pièces souvent mauvaises, mais toujours spirituelles, s’est-il associé au talent au gratin du digne élève de Scribe? Depuis longtemps les lauriers de Mlle Rachel empêchaient Mme Rose Chéri de dormir. Elle aussi voulait jouer deux rôles dans la même pièce. Il lui fallait sa Valérie. On s’adressa à M. Bayard. M. Bayard prit ses lunettes, ouvrit le carton Z, y prit une idée de M. de Beauplan, la dérangea, et la Valérie demandée fut obtenue. Chez M. Bayard, c’est comme dans l’Évangile: les [p.441] directeurs de spectacle n’ont qu’à frapper, et on leur ouvre. Un monsieur orphelin, du nom de Georges, en dépit des conseils de son oncle, un bourgeois de l’école Scribe et Bayard, veut épouser une ouvrière vertueuse qui est sa voisine. Une porte les sépare; mais Thérèse, qui est modèle à l’atelier Scribe et Bayard, n’a jamais voulu tirer le verrou aux instances de Georges. Cette conduite, que je n’hésite pas à qualifier de dangereuse et de mauvais exemple, ne fait qu’irriter l’amour de Georges Mais, pendant l’absence de Georges, une dame élégamment mise, ressemblant à Thérèse, s’introduit dans son logement et dépose sur une table ce fameux bouquet de fleurs d’oranger dont les élèves de l’atelier Scribe et Bayard font un si déplorable abus. Georges revient, il demande l’explication de ce fait, et, pour tâcher de le deviner, Thérèse tire le verrou et apparaît en costume matrimonial, robe montante, voile stupide, et autres affiquets également virginaux. Un monsieur peu beau se présente: c’est Bridoux, le cousin de Georges; il reconnaît Thérèse pour avoir admiré à l’Opéra sa beauté facile. Un autre monsieur peu beau et très-colère se présente, et déclare reconnaître en Thérèse une infidèle beauté. —Nom d’un petit bonhomme! s’écrie Georges très-stupidement. Le mariage est rompu, et Thérèse part pour Londres, où l’appelle une lettre de sa mère, qui se meurt dans un hôpital. Quelle voie prend-elle pour aller à Londres? C’était là l’occasion de faire une réclame pour Boulogne ou pour Calais, pour Douvres ou Southampton: M. Bayard l’a négligée. Chez une comtesse de n’importe quel comté de [p.442] Cythère, il y a bal masqué. On y admire Mme Delétang et une baronne, maîtresse d’un Danois, le comte Dienper. Tout le monde reconnaît Thérèse en elle. La baronne sort, peut-être pour satisfaire un besoin, et la Thérèse, qui craint que l’erreur ne soit reconnue, profite de l’occasion pour apporter un costume à Mme Delétang, car elle est revenue de Londres. Georges profite de l’occasion pour l’accabler d’injures. Elle s’en va. Mais on prétend qu’elle est là en domino. Georges s’empresse de lui arracher son masque. Le comte tire l’épée; le domino se précipite entre les combattants et tombe blessé d’un coup qui, j’espère, ne sera pas mortel, Thérèse était sa sœur. Vous devinez le reste... et ils eurent beaucoup d’enfants C’est tout bonnement stupide; un monsieur qui ne reconnaît pas celle qu’il aime! Je suis bien myope, mais pas à ce point. Est-ce que le cœur n’y voit pas? Il est vrai que l’école de Scribe et Bayard a supprimé le cœur. Ubinandre [sic, lisez Ménandre], Plaute, Trission, Shakspeare, Rotrou, Molière, Regnard ont successivement traité ce sujet: M. Bayard ne les a jamais lus, donc il ne peut les avoir imités. Mais il paraît probable qu’il s’est inspiré de la Mariée de Poissy, pièce que MM. Dennery, Larounat et Granger, dans laquelle Mlle Delorme se montrait comédienne bien autrement remarquable que Mme Rose Chéri.
A l’école Scribe et Bayard, on marque un mauvais point à tous
ceux qui ont une idée nouvelle. |
Source: Mystère des théâtres 1852, Paris, Librairie nouvelle, 1853, pp. 439-442, d’après l’édition numérique en mode image de la BNF, 2001. Saisie en mode texte: Bernard Gineste, octobre 2001. |
Cornélius HOLFF [pseudonyme de Pierre-Charles-François-Ernest de VILLEDEUIL], «Gymnase. — Thérèse, ou ange et démon, Comédie-vaudeville en deux actes, par MM. Bayard et A. de Beauplan», in Edmond de GONCOURT, Jules de GONCOURT & Cornélius HOLFF, Mystères des théâtres, 1852 [519 p.], Paris, Librairie nouvelle, 1853 [d’où l’édition numérique (en mode image) de la BNF, gallica.bnf.fr (2001), N028304], pp. 439-442. Bernard GINESTE [éd.], «Cornélius Holff: Thérèse, ou ange et démon (critique d’un vaudeville composé pour Rose Chéri, 1835)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-corneliusholf-rosecheri1.html, 2001. Toute critique, correction ou contribution
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